lundi 11 janvier 2010
La zone industrielle d’Alger paralysée par la grève
Plusieurs milliers d’ouvriers sont en grève depuis le 3 janvier, contestant l’accord signé entre le syndicat UGTA, le patronat et le gouvernement, remettant en cause notamment l’âge de départ à la retraite.
La zone industrielle de Rouiba (banlieue est d’Alger) est en ébullition. Mercredi, des affrontements ont opposé des milliers de salariés, en grève depuis le 3 janvier, aux forces de police. Celles-ci ont brutalement chargé les manifestants scandant « non aux salaires de misère », pour les empêcher de se rendre au centre de la ville de Rouiba. Plusieurs travailleurs ont été blessés. Une répression dénoncée par la Ligue algérienne des droits de l’homme et plusieurs partis de l’opposition.
Pour une revalorisation des salaires
Le 3 janvier, en effet, 5 000 salariés de l’entreprise de fabrication de camions, bus et véhicules industriels (SNVI) avaient observé une grève pour dénoncer les accords signés entre l’UGTA (la centrale syndicale), le gouvernement et le patronat privé et public. Cette grève s’était étendue aux salariés de sept autres entreprises, paralysant de fait la zone industrielle où d’importantes forces de police antiémeutes avaient été déployées. « Entre nous, un gouvernement, un patronat et un syndicat qui sortent tous satisfaits d’une réunion, c’est louche (…) Nous sommes finalement les dindons de la farce », a déclaré au Soir d’Algérie un syndicaliste de l’entreprise. Les grévistes exigent une revalorisation des salaires pour faire face à la baisse du pouvoir d’achat et à la flambée des prix. Ils dénoncent surtout la décision du rallongement de la période de cotisation à la retraite de trente à quarante ans pour les métiers les plus pénibles. « Comment des gens occupant des postes d’une grande pénibilité peuvent-ils résister plus de vingt-cinq ans sans y laisser leur santé ? » s’indigne un ouvrier cité par le même journal. « Comment ose-t-on demander à un homme qui ne mange chaque jour qu’un plat d’épinards de travailler pendant quarante ans devant un haut-fourneau ? » ajoute un autre. Qui plus est, ils pointent du doigt le patron de la centrale syndicale, Sidi Saïd, accusé d’avoir fait « des compromissions », qualifié de « vendu » et de « syndicaliste bien grassouillet » par les grévistes ! Face à l’absence de réaction de la centrale syndicale UGTA, qui s’est bornée à publier un communiqué vantant les résultats de la négociation avec le gouvernement et le patronat, notamment un accord concernant un « plan de sauvetage » des entreprises en difficulté financière, les syndicalistes de base de la SNVI ont vivement réagi.
Deux mois après le succès des enseignants
Samedi, ils ont qualifié le communiqué de la centrale syndicale de « tentative de discréditer les syndicalistes et de dresser l’opinion publique contre le mouvement de contestation », et ont décidé de poursuivre leur mouvement « jusqu’à ce que les pouvoirs publics annoncent des mesures concrètes quant aux salaires et à la date du départ à la retraite ».
Cette contestation sociale intervient moins de deux mois après le succès de la grève de trois semaines des enseignants des lycées et collèges algériens. Un succès qui ne serait pas étranger au développement des mouvements sociaux en cours, dont celui des praticiens de la santé publique qui en sont à leur troisième semaine et qui menacent de ne plus assurer le service minimum. Elle intervient surtout dans un contexte de mécontentement social – manifestations de chômeurs à Annaba (Est algérien), de mal-logés ou réclamant de meilleures conditions de vie à Alger, Oran, Constantine, Mostaganem –, auquel répond le silence assourdissant du pouvoir.
Hier, une quarantaine de véhicules de la police antiémeute, dont des canons à eau, étaient déployés autour des sites en grève. Ici, personne n’a oublié que le soulèvement populaire d’octobre 1988, qui a mis fin au système du parti unique, était parti de cette zone industrielle.
Hassane Zerrouky
Il règne un climat d’émeute à la zone industrielle de Rouiba. Tous les accès menant à la plus grande concentration d’usines du pays sont bouclés par un dispositif sécuritaire impressionnant. Les gendarmes, bouclier en main, sont prêts à en découdre et leur intention est plus que dissuasive : ce sont des dizaines, voire des centaines de CRS, qui sont déployés, en plus de dizaines d’autres restées dans les interminables files de fourgons verts de la Gendarmerie nationale. Pourtant, aucun réel danger ne menace l’ordre public en cette belle mais froide matinée de dimanche. En revanche, celui redouté vient des alentours de l’usine de la SNVI (Société nationale des véhicules industriels) où les travailleurs entament aujourd’hui leur septième jour de grève. « Nous faisons notre grève de manière pacifique », s’insurgent des salariés, rencontrés hier en fin de matinée, devant leur usine dont ils refusent toujours de rejoindre ateliers et bureaux. Ils sont indignés par ce déploiement de la force publique. Pourtant, à les entendre parler, ils ne demandent rien d’extraordinaire. « Juste un salaire décent et une vie décente », résume l’un d’eux, avant qu’un rassemblement ne s’improvise autour de nous. Et, plus que tout, les 7 100 salariés de celui qui fut, pendant longtemps, un fleuron de l’industrie nationale dénoncent ce qu’ils considèrent comme un « manque de considération ». « En six jours de grève, personne n’est venu nous écouter », dénonce Benmiloud, secrétaire général de la section locale de l’Union générale des travailleurs algériens. « Pourtant, nos revendications sont simples : suppression de l’article 87 bis du code de travail, la sauvegarde de l’actuel système de retraite et l’augmentation des salaires », poursuit-il. Les revendications ne sont plus adressées à la direction de l’entreprise mais au gouvernement. « La SNVI est une propriété de l’Etat, c’est donc au gouvernement de nous répondre », dit-on, comme pour répondre à la Centrale syndicale qui rappelle que l’Etat a aidé l’entreprise à se relever. « Pour saborder notre mouvement, on s’est empressé de montrer les bus vendus à l’ETUSA en guise de trophées », se désole un autre salarié qui dit ne pas sous-estimer les décisions du gouvernement. Sauf que cela ne suffit plus.Et, ce qui fait enrager le plus les travailleurs de la SNVI, c’est la situation catastrophique qu’ils endurent au plan salarial. « Avec mes 34 ans d’expérience, je gagne 30 000 DA par mois », témoigne Rabah, technicien supérieur. « Et, avec cela, on paie plus de 6 000 DA d’IRG (impôt sur le revenu global) », précise-t-il. D’autres salariés, notamment les agents d’exécution, attestent que leurs salaires ne dépassent pas 18 000 DA dans le meilleur des cas. « Certains d’entre-nous ne peuvent même pas s’offrir un déjeuner, puisque, avec leur salaire de misère, ils ne sont même pas capables de débourser 150 DA pour se nourrir à midi », témoigne Noureddine, qui travaille dans la mécanique. Mais, au-delà des revendications salariales, les travailleurs de la SNVI (auxquels se sont joints d’autres employés) veulent s’attaquer à la racine de la précarité, l’article 87 bis du code du travail. « Avec cet article-là, nos salaires ne vont pas évoluer, ce qui fait que les résultats de la tripartie ne changeront rien », estime Ali Belkhiri, technicien au complexe SNVI. Il pense, au même titre d’ailleurs que beaucoup de ses collègues, que, si l’article incriminé n’existait pas, la récente augmentation du SNMG pourra probablement entraîner l’augmentation d’autres salaires. L’autre décision de la tripartie que les travailleurs de la SNVI contestent est celle relative à la retraite. « On en peut pas nous obliger à travailler jusqu’à 60 ans dans les conditions dans lesquelles nous vivons », proteste Benmiloud, qui met en avant la pénibilité de travail au sein de son entreprise. Malgré cela, aucun responsable, y compris ceux de l’UGTA, « syndicat de la base », comme ils l’appellent, n’est venu les écouter. C’est pour cela que l’usine SNVI de Rouiba est toujours fermée jusqu’à nouvel ordre.