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Que penser du trotskysme ?

jeudi 3 décembre 2009

Témoignages sur Léon Trotsky

Salut à l’opposition de gauche internationale ! C’étaient "les nôtres" !

Quand les staliniens français étaient mobilisés contre le trotskisme, proclamé ennemi numéro un et agent du fascisme

Quand les staliniens ont assassiné tous les trotskistes russes

Défense du trotskysme

Trotsky

Défense du marxisme

Programme de Transition

Bolchevisme contre stalinisme
L’Internationale communiste après Lénine

La révolution trahie

Les fautes fondamentales du syndicalisme

Natalia Trotsky, Benjamin Péret, Grandizo Munis

La IV° Internationale en danger

Lettre ouverte au Parti Communiste Internationaliste

Déclaration de rupture avec la IV° Internationale

Stéphane Just

Défense du trotskysme - 1

Défense du trotskysme - 2

Tony Cliff

Le trotskysme après Trotsky

La dérive du courant trotskyste après la mort de son fondateur a été dénoncée par Barta

Les cahiers du militant nº2

Le P.O.I. et la révolution prolétarienne en France

15 février 1944

Formellement, l’attitude du POI à l’égard de la révolution prolétarienne en France a radicalement changé. Les appels à l’union avec des bourgeois " pensant français ", pour la création de " comités de vigilance nationale ", et les phrases nationalistes ont fait place à une propagande internationaliste. Mais un parti qui se réclame de l’internationa­lisme, n’est garanti contre les errements social-patriotiques que s’il découvre, par une cri­tique inexorable, les sources mêmes de ses erreurs passées, pour réarmer ses militants à l’aide d’une analyse marxiste sérieuse.

Mais loin de renoncer à l’attitude qu’ils ont prise depuis juin 1940, les dirigeants du POI aggravent le désarmement idéologique de leurs militants, en justifiant théori­quement leur attitude depuis l’occupation du territoire par l’impérialisme allemand.

En effet nous lisons en substance dans le bulletin commun POI-CCI de juillet 1943 : le POI n’a commis que la faute d’employer dans La Vérité " certaines expressions dange­reuses " ; la position fondamentale a été non seulement juste, mais perspicace, car le POI aurait " prévu en 1940 " la transformation du mouvement national en mou­vement de classe ! ("du mouvement national est sorti le mouvement de classe"). Le POI se serait d’autre part efforcé de combattre les préjugés de la petite-bourgeoisie pour dégager le mouvement confus des masses vers une issue prolétarienne...

Pour pouvoir – dans un texte exprimant la position officielle – transformer la trahi­son du mouvement de la IVème Internationale en un conte bleu de perspicacité bolchévique (hormis " quelques " expressions dangereuses), il faut que le niveau idéologique de la plupart des militants du POI soit bien bas. A son tour, cette explication, en travestissant entièrement les faits, ne peut qu’augmenter la confusion des prétendus " guides révolu­tionnaires ", qui n’arrivent presque jamais à trouver le véritable centre de gravité des événements.

Les dirigeants du POI comptent sur l’oubli ou sur des préjugés encore existants quand ils prétendent avoir lutté contre les préjugés des masses. Nous pourrions remplir le présent texte d’expressions typiquement staliniennes ou gaullistes qui remplissent les publications du POI depuis juin 40. L’abstrait internationalisme qu’elles évoquaient par-ci par-là ne faisait qu’aggraver les conclusions pro-"démocratiques". Cependant le but du présent texte n’est pas de reprendre des critiques anciennes, mais d’analyser la prétendue transformation du mouvement national en mouvement prolétarien.

Dans le n° 1 du Cahier du Militant (Décembre 42), nous avons montré que l’occupa­tion impérialiste n’avait pas transformé le pays en pays historiquement opprimé, que la France restait un pays impérialiste, exportateur de capital financier, partici­pant à l’exploitation de peuples coloniaux et semi-coloniaux sur tous les continents. L’occupation militaire devait être regardée comme " des déplacements conjoncturels de fronts militaires lors d’une nouvelle mêlée des impérialistes " (Trotsky, Après Munich), la liberté de toutes les nations d’Europe, petites et grandes, ne pouvant être assurée que dans le cadre des États-Unis d’Europe. La tactique prolétarienne impliquait donc une indépendance de classe organisationnelle absolue (que reniait la politique de " comités de vigilance nationale "), la fraternisation avec les soldats allemands (au lieu de la " lutte contre l’envahisseur "), un langage internationaliste d’une clarté irrésistible.

Pour le POI, après juin 1940, nous nous trouvons en présence d’un "mouvement national duquel est sorti le mouvement de classe".

La transformation du mouvement national en mouvement prolétarien implique que certains objectifs communs à la nation (y compris de larges couches de la bourgeoisie) ont été atteints et dépassés en mouvement prolétarien ; et même dans ce cas jamais dans une révolution nationale à l’époque impérialiste, le prolétariat ne peut renoncer à son in­dépendance de classe par l’entrée dans une organisation commune avec les bourgeois, comme les comités de " vigilance nationale ".

Or, quels objectifs économiques, politiques, culturels, religieux, etc... impliquaient une lutte dirigée spécifiquement contre l’impérialisme allemand, par l’union nationale, et non pas par la lutte de classes contre notre propre bourgeoisie ? Le pillage économique, la dictature politique ouverte, la destruction de la culture, les persécutions religieuses (ou des " métèques ") étaient-ils le résultat spécifique de l’occupation militaire allemande, ou bien le résultat inévitable du maintien du capitalisme en France et de la participation du pays à la guerre impérialiste (même en cas de victoire) ? A l’ordre du jour de la lutte des masses en France depuis le 30 septembre 1939 en passant par juin 1940, le parti révolu­tionnaire devait mettre seulement les objectifs de classe (aboutissant à l’expropriation des capitalistes), la révolution socialiste. La " libération nationale " préconisée par le POI après juin 1940 était-elle de la perspicacité pour capter le mouvement de masses, ou une tromperie pour les masses, qui pour en finir avec l’impérialisme et la guerre n’avaient d’autre moyen que de suivre le prolétariat français dans sa lutte pour les États-Unis Socialistes d’Europe ?

Mais si le mouvement national s’est transformé en mouvement prolétarien, comme le mouvement démocratico-révolutionnaire dans les colonies se transforme en révolution socialiste, il faut montrer quand et comment cette transcroissance a eu lieu.

Si après juin 1940, quand la France disposait encore de la presque totalité de ses colonies, d’une flotte de guerre importante dans le rapport de forces en Méditerranée, quand elle entretenait des relations diplomatiques dans le monde entier, nous nous sommes trouvés objectivement en présence d’un mouvement national, comment ce mou­vement national s’est-il volatilisé en 1943 dans un pays totalement occupé et mis au pas, tombé très bas sous la protection de l’impérialisme " étranger " (allemand et anglo-saxon) ?

En réalité, ce que le POI appelle un mouvement national, est envisagé par lui, RÉTROSPECTIVEMENT, comme un état idéologique des masses. Le nationalisme " superficiel " des masses dit le POI, ne pouvait manquer de se transformer en lutte de classe !

A-t-on jamais vu un Parti qui se réclame du marxisme tirer sa stratégie et sa tactique non pas de l’analyse objective des rapports de classes, mais de l’état idéologique des masses ? C’est cependant ce que fait le POI.

Un parti marxiste tire sa stratégie et sa tactique de l’analyse de l’économie et des classes en présence (expression de cette économie). L’état idéologique des masses lui ser­vant de critère pour apprécier le rapport de forces à chaque moment.

Au contraire, le POI loin de prendre les réactions nationalistes d’après juin 1940 (qu’il continue à appeler " aspirations nationales "), comme une composante du rapport de forces en défaveur de la révolution prolétarienne, prétend, en juillet 43, que "du mouvement national est sorti le mouvement de classe" ! Mais comme le soi-disant mouve­ment national n’a aucune base historique objective, comme la France d’après juin 1940 était un pays impérialiste économiquement et idéologiquement (toute idéologie en de­hors de celle de la révolution prolétarienne est impérialiste), la formule du POI signifie tout simplement que les PRÉJUGÉS nationalistes des masses petites-bourgeoises fran­çaises (qui n’étaient et ne sont rien moins que des aspirations nationales) ont aidé à la renaissance du mouvement ouvrier !! Les préjugés petits-bourgeois nationalistes des masses seraient le feu qui a ravivé la lutte de classe en France !!! Voilà ce que cache la formule du POI qui, destinée à laver les fautes de ses dirigeants et à sauver leur " prestige ", leur permettra demain de recommencer.

Puisque le POI appuyait après juin 40 le "mouvement" national, il faut bien que ce­lui-ci ait eu des vertus magiques. Sans lui, que serait devenu le mouvement de classes ? On frémit rien qu’à y penser !

Mais le "secret" du mouvement national, à la ville et à la campagne, nous l’avons " dévoilé " dans notre brochure de novembre 1940 en écrivant : " Les paysans envisa­gent les réquisitions des autorités allemandes de la même façon qu’ils envisageaient les réquisitions des autorités françaises : sur le plan des rapports entre la campagne et la ville et de la continuation de la guerre – et non pas sur le plan " national "-– . La seule différence qu’ils font, c’est que l’État français n’avait pas encore produit l’inflation, pourtant inévitable pour lui aussi. Les sentiments nationaux des paysans seraient réduits à peu de chose si les Allemands avaient une monnaie stable. La lutte des paysans est une lutte anti-impérialiste ".

Que le schéma de la " transformation du mouvement national en mouvement pro­létarien " ne soit qu’un alibi invoqué par les dirigeants du POI pour couvrir leurs erreurs passées (donc à venir), on le voit on ne peut plus clairement quand on passe à l’analyse du mouvement idéologique du prolétariat (les marxistes analysent les classes, que ce soit au point de vue économique, politique, idéologique, etc... et non pas les " masses ", abs­traction dont se servent les politiciens pour camoufler leurs trahisons).

Nous écrivions dans le n° 5 de Lutte de Classes, contre les staliniens : " Comment expliquer le succès incontestable de cette propagande impérialiste auprès des ouvriers (fin 1942) ? En septembre 1939, quand éclata la deuxième guerre impérialiste mondiale, les ouvriers n’avaient pas oublié les tromperies et les mensonges des capita­listes pendant et après la guerre mondiale de 14-18. Ils l’ont prouvé en contraignant le chef " démocratique " de la IIIème République, Daladier, à transformer le pays en une vaste prison et à prendre des mesures terroristes copiées sur le modèle fasciste.

" Le changement intervenu dans l’état d’esprit du prolétariat a-t-il été provoqué par la défaite militaire de juin 40 ? A première vue on pourrait le croire. Cependant, si le chauvinisme de la petite-bourgeoisie s’est réveillé avec l’occupation de la France, le na­tionalisme " anti-boche " ne s’est introduit dans les rangs des ouvriers les plus avancés que depuis le début de la guerre à l’Est, un peu après juin 1941. C’est ainsi que nous arrivons à la véritable cause du passage des ouvriers avancés au chauvinisme : LA POLITIQUE DU PARTI DIT COMMUNISTE, commandé par la bureaucratie soviétique anti-révolutionnaire. "

Il faut repousser avec dégoût les prétextes invoqués, à la manière stalinienne, par le POI, qui rejette ses fautes sur les " masses ". De ce point de vue il est caractéristique que les organisations POI-CCI attribuent l’effondrement des organisations de la IVème en France en 1939 à l’éclatement de la guerre qui aurait " isolé " l’avant-garde des masses. Tout révolutionnaire ayant fait son travail pendant la " drôle de guerre " sait que c’est là un pur mensonge : tout au contraire, jamais le contact avec les masses ouvrières n’a été plus facile (et pas seulement avec les masses ouvrières), jamais les masses n’ont été plus disposées à accueillir la propagande révolutionnaire.

Juin 1940 n’a pas produit de changements radicaux parmi les ouvriers. La défaite, dans la première phase, n’avait au contraire qu’exaspéré au maximum l’hostilité des masses (ouvrières et petites-bourgeoises) contre la bourgeoisie nationale. Et malgré la lourde poigne de l’impérialisme occupant, il a fallu le travail du parti stalinien (au fur et à mesure que la guerre avec l’URSS apparaissait comme inévitable) pour introduire le poison nationaliste-chauvin dans les rangs ouvriers. Dans ce travail, le POI, immédiatement après juin 40, a occupé une des premières places parmi les partis ouvriers, puisque le parti stalinien dirigeait à ce moment ses coups contre Vichy et jouait à l’internationa­lisme : en effet, le POI ne fut-il pas, dès l’été 40, un des initiateurs du concert nationalo-démocratico-allié. Le POI est un des principaux responsables de l’état idéologique des masses après juin 1940.

C’est seulement l’entrée de l’URSS comme facteur permanent dans la guerre, l’en­trée en guerre de l’impérialisme américain, les défaites de l’impérialisme allemand à partir de l’hiver 41-42 et ses défaites continues depuis l’hiver 42-43 à l’Est et en Afrique qui ont délivré les dirigeants du POI du cauchemar " hitlérien " (qui n’était autre chose que leur propre peur de petits-bourgeois devant l’expression monstrueuse – Hitler – de l’exaspéra­tion extrême de la lutte de classes à l’époque des guerres impérialistes), et leur ont permis de changer la " ligne " suivie. Mais là aussi le POI suit prudemment le courant... Car, après tout, leur main tendue aux "bourgeois pensant français" et aux staliniens pour la construction de " Fronts ouvriers " n’a rien donné. D’autre part, la félonie et la cruauté de l’impérialisme anglais et américain contre lesquels ils dirigent maintenant leurs coups (fin 43-début 44) est devenue de plus en plus visible pour de larges couches ouvrières et petites-bourgeoises. Et en dernier lieu, la critique des organisations et des éléments internationalistes du POI ont également exercé une pression sur les sphères dirigeantes du POI. Mais ces facteurs ne constituent nullement une garantie pour l’avenir du POI et du travail révolutionnaire.

QUAND LE POI. AFFIRME QUE DU MOUVEMENT NATIONAL EST SORTI LE MOUVEMENT DE CLASSE, IL NE FAIT EN RÉALITÉ QUE SUBSTITUER A L’ÉVOLUTION DE L’IDÉOLOGIE DES CLASSES EN PRÉSENCE, SA PROPRE ÉVOLUTION IDÉOLOGIQUE !

Le reniement du programme de la IVème apparaît aussi clairement quand on examine l’attitude du POI envers les conflits économiques entre patrons et ouvriers : "les luttes principales ont lieu contre les oppresseurs principaux : Hitler (?!), les fascistes (?!), les bourgeois français qui collaborent ou qui bénéficient du régime. Et c’est presque (souligné par nous) toute la bourgeoisie (même gaulliste) qui collabore à la machine de guerre nazie ou bien bénéficie de ses commandes et de l’écrasement des ouvriers". Il s’a­git ici de luttes économiques ; que viennent donc faire Hitler et les fascistes ; pourquoi les oppresseurs et la lutte contre eux, sont-ils divisés en une hiérarchie ? Les ouvriers se sentent-ils plus opprimés dans une grosse boîte travaillant pour la machine de guerre et où les salaires sont plus élevés, que dans une petite boîte ne bénéficiant pas du "régime" et où les salaires sont moindres ?

La bourgeoisie ne profite pas du système " nazi " (en quoi est-il spécifique­ment nazi ?), mais son profit est constitué par la plus-value extorquée aux ouvriers. Les travailleurs entrent dans des conflits économiques non par idéologie, mais poussés à bout par l’exploitation patronale. C’est Radio-Londres et les staliniens qui s’efforcent de détourner les conflits ouvriers de leur contenu de classe. Devant la hausse constante du coût de la vie, les ouvriers de tel ou tel atelier vont réclamer une augmentation à la direction. C’est le patron qui leur fait une réponse " idéologique " pour refuser l’augmentation. A cela les ouvriers ne peuvent répondre que par leur capacité de lutte poussée aussi loin que la situation objective le leur permet.

Il est indigne qu’un groupe se réclamant de la IVème Internationale établisse une hiérarchie d’exploiteurs et de conflits correspondants ; c’est là attribuer aux masses sa propre escrime dans le vide, imaginer une lutte de classes obéissant à ses propres préoccupa­tions, conscientes ou inconscientes.

Le programme de la IVème Internationale dit clairement :

" Aux capitalistes, surtout de petite et moyenne importance qui propo­sent parfois eux-mêmes d’ouvrir leurs livres de comptes devant les ouvriers – surtout pour leur démontrer la nécessité de diminuer les salaires – les ouvriers répondront que ce qui les intéresse, ce n’est pas la comptabilité des banqueroutiers ou des semi-banqueroutiers isolés, mais la comptabilité de tous les exploiteurs. Les ouvriers ne peuvent ni ne veulent adapter leur niveau de vie aux intérêts de capitalistes isolés devenus victimes de leur propre régime. "

Le devoir du révolutionnaire en présence des conflits entre ouvriers et patrons est de donner des objectifs qui découlent du rapport des forces ; contre le patron d’une boîte située en France en zone Nord ou Sud, recourant à la Gestapo ou à la police de Laval, sous prétexte ou à cause des ordres administratifs et politiques, il faut opposer l’action ouvrière, son potentiel de lutte sachant seulement tenir compte avec une grande pénétration de la situation du patron pour en tirer le meilleur parti. Il faut savoir comment obtenir les " pommes de terre " en utilisant les antagonismes au sein de la classe bour­geoise, et entre celle-ci et l’impérialisme allemand.

Mais cela n’est pas possible si l’on établit une hiérarchie à priori des conflits éco­nomiques suivant le gaullisme, le fascisme, collaborationnisme, etc... des patrons. Ce sont là des distinctions de gens qui subissent la pression de leurs adversaires ; car les classes dirigeantes sont toujours et dans tous les pays divisées en une hiérarchie com­pliquée nationale et internationale, qui oppose les bourgeois individuels les uns aux autres, et les prétextes nationaux et autres sont utilisés par eux dans cette lutte.

L’analyse sérieuse de la position du POI montre qu’il n’y a aucun progrès effectif de la part de sa direction, dans ses méthodes théoriques. Or, la théorie révolutionnaire est l’expression de la garantie suprême de la nature de la direction d’une tendance ouvrière. La consécration théorique de la trahison de la lutte de classes après juin 40 est l’acte le plus grave qu’ait pu commettre la direction du POI. Les militants de la IVème qui ne le comprendraient pas se prépareraient des lendemains pires que ceux de juin 40.


LA IVème EN FRANCE : DU P.O.I. AU P C.I. UN OPPORTUNISME CONSTANT

Mais ce n’est pas par plaisir que nous nous sommes tenus hors de cette organisation et que nous nous avons refusé , lors de l’unification des groupes trotskystes français en février 1944 de nous fondre dans le sein du P.C.I, qui venait de naître, ni comme nous en accusaient ces camarades à l’époque, nous n’avons pas non plus créé de toutes pièces des divergences pour justifier notre "autonomie" C’est pour des raisons politiques précises que nous rappellerons aujourd’hui.

Tout d’abord, des camarades pourraient s’étonner que nous remontions si loin. Cela tient simplement au fait que notre analyse commence dès la fondation de la IVème et se termine vers les années 1950, alors que d’autres camarades prennent la période 1952-1953 comme base d’analyse. Pour nous, à cette époque, la IVème Internationale avait cessé d’exister comme organisation d’avant garde révolutionnaire depuis plusieurs années.

Lorsque nos camarades quittèrent le P.O.I. (Section Française de la IVème Internationale) en 1939, ils voulaient se démarquer d’une organisation opportuniste. Il s’agissait pour eux de se délimiter d’un milieu petit bourgeois dont les pratiques organisationnelles étaient social-démocrates et non communistes. Mais il s’agissait à l’époque d’une critique de la section française et non de l’ensemble des organisations de la IVème Internationale.

La déclaration de guerre va voir l’effondrement complet de l’organisation française de la IVème internationale. Peu préparés à la clandestinité, un grand nombre de militants se retrouve en prison. Les organisations se démantèlent.

En juin 1940 , la grande majorité des éléments de la IVème Internationale, groupés dans les "Comités français pour une IVème Internationale" abandonnent complètement la position internationaliste en faveur d’un "front commun avec tous les éléments pensant français" et préconisent la création de comités de "vigilance nationale". Ces camarades faisaient paraître dans le "Bulletin du Comité pour la IVème Internationale"- N° 2 - 20 septembre 1940 - le rapport adopté au Comité Central du Comité pour la IVème Internationale à l’unanimité.

En voici quelques extraits :

"La bourgeoisie française s’est précipitée dans une impasse : pour se sauver de la Révolution elle s’est jetée dans les bras d’Hitler. Pour se sauver de cette emprise il ne lui reste plus qu’à se jeter dans les bras de la Révolution. Nous ne disons pas qu’elle le fasse de gaieté de cœur ; ni que la fraction de la bourgeoisie capable de jouer ce jeu soit la plus importante : la majorité des bourgeois en secret son salut de l’Angleterre, une large minorité l’attend d’Hitler. C’est à la fraction française de la bourgeoisie que nous tendons la main."

"Cependant notre politique sur ce plan doit être avant tout axée vers la fraction de la bourgeoisie qui se veut avant tout française, qui sent qu’elle ne peut attendre le salut de la France que des masses populaires, qui est capable de susciter un mouvement nationaliste petit bourgeois, capable de jouer la carte de la Révolution (de droite ou de gauche ou éventuellement de droite et de gauche)."

"Nous devons être les défenseurs des richesses que des générations de paysans et d’ouvriers de France ont accumulées. Nous devons aussi être les défenseurs de l’apport magnifique des écrivains et savants français au patrimoine intellectuel de l’humanité, les défenseurs de la grande tradition révolutionnaire et socialiste de la France...

b) Comités de Vigilance Nationale.
Il est nécessaire de créer des organes de lutte nationale. Les Comités de Vigilance Nationale peuvent être soit des organismes permanents, soit - et cette forme correspond davantage aux nécessités de la lutte nationale à l’étape actuelle forcément illégale - être des organismes temporaires..."

Des mots d’ordre : le nombre de mots d’ordre nationaux est infini. Nous essaierons seulement ici d’en mettre en relief quelques-uns.

"A BAS LE PILLAGE DES RICHESSES FRANCAISES.
Le b1é que les paysans de France ont fait lever, le lait des vaches qu’ils ont élevées ; les machines sans lesquelles nos ouvriers seront sans travail et sans pain ; le matériel de laboratoire qu’a construit le génie de nos savants, toutes ces richesses françaises doivent rester en France..."

"Retrait de la monnaie allemande ! Le peuple français veut créer par son travail de vraies richesses et non être précipité dans la misère de l’inflation."

Et pendant la guerre "La Vérité", qui s’intitulera successivement organe Bolchevik-Léniniste, organe Communiste-Révolutionnaire, organe Central des Comités Français pour la IVème Internationale, organe du P.O.I., organe du P.C.I., déversera jusqu’à la fin 1941 au nom du trotskysme une prose nationaliste, reprendra les, mots d’ordre de Comités de Vigilance Nationale, proposera un rassemblement de tous les partis qui veulent défendre les masses. Voici à titre d’exemple quelques extraits de la "La Vérité" :

VERITE N°2 - 15 SEPTEMBRE 1940
"L’office du b1é prévoit que 60% de la récolte française en céréales partirait pour l’Allemagne. Et le gouvernement ne dit rien. Est-il d’accord avec Hitler pour affamer les français ? Paysan, mon frère, oppose la résistance passive aux réquisitions ; ne vends ton blé que pour faire du pain aux femmes et aux enfants de France."

VERITE N°8 - 1er JANVIER 1941
"Tous ceux qui luttent contre l’oppresseur et qui ne sont pas ouvriers doivent comprendre que l’appui des forces ouvrières est vitalement nécessaire au succès rassemblement pour la libération nationale ; qu’on doit donc leur assurer un statut de travail qui les intéresse et à la défense et à la renaissance de la patrie dont ils constituent 1a force.
Que doit être l’Union Nationale ?
500 000 métallos anglais demandent l’adaptation de leurs "salaires au coût de la vie. Ils soulignent que le prix des denrées alimentaires a doublé sans élévation correspondante des salaires. C’est en satisfaisant à cette juste revendication que le gouvernement anglais commencera à réalisor une véritable solidarité nationale contre l’impérialisme allemand, en répartissant équitablement les charges entre les diverses classes du pays, en défendant aussi les intérêts des ouvriers anglais."

VERITE N° 11 – 1er AVRIL 1941
(A propos de l’anniversaire de la Commune de Paris.)
"Nous savons comme nos devanciers de 1871 que nous aurons à prendre en mains la lutte pour l’indépendance nationale trahie par la bourgeoisie..."

Ce ne sont plus là des positions internationalistes, cela n’a plus rien à voir avec le trotskysme.

L’unification des différents groupes trotskystes (P.O.I., C.C.I., Groupe Octobre) eut lieu au début de 1944. On passa allègrement l’éponge sur la politique chauvine de 1940 ; tout était oublié ; mieux, on avait toujours eu raison. Dans un bulletin commun P.O.I.-C.C.I, de juillet 1943 on peut lire en substance :

Le P.O.I. n’a commis que la faute d’employer dans "La Vérité" certaines expressions dangereuses ; la position fondamentale a été non seulement juste, mais perspicace car le P.O.I. avait prévu dès 1940 la du mouvement national en mouvement de classe.

Ainsi la trahison complète de l’internationalisme est qualifiée "d’expressions dangereuses" . C’est un euphémisme délicat qui recouvre malheureusement quelque chose qui l’est beaucoup moins. Et ces camarades écrivaient dans la déclaration d’unité parue dans "la Vérité" du 25 mars 1944 que depuis le début de la guerre :

"Ces organisations ont développé en conséquence une politique et une action internationalistes".

et plus loin :

"En ce moment décisif la IVème Internationale regroupe ses forces, corrige ses fautes, à travers une auto-critique "bolchevique"... "

Le texte faisant simplement allusion à

"des fautes épisodiques de tel ou tel groupement"...

Fin 1944, lorsque la Section Française de la IVème Internationale refusa non seulement de reconnaître ses erreurs mais prétendit avoir suivi une ligne correcte, il était évident que cette section n’avait plus rien de trotskyste. Comme il arrivera souvent par la suite, la Section Française inventera tout un théorique pour justifier une pratique opportuniste. On parlera d’un mouvement national en 1940, au XX° siècle, dans pays impérialiste, on découvrira deux résistances distinctes, l’une bourgeoise, l’autre ouvrière. C’est ce qui fit écrire à nos camarades en février 1944 :

"Pour pouvoir - dans un texte exprimant la position officielle - transformer la trahison du mouvement de la IVème Internationale en un conte bleu de perspicacité bolchevique (hormis "quelques erreurs") il faut que le niveau "idéologique du P.O.I. soit bien bas.
Il faut repousser avec dégoût les prétextes invoqués à la manière stalinienne par le P.O.I,, qui rejette ses fautes sur les "masses". De ce point de vue il est caractéristique que les organisations P.O.I. - C.C.I. attribuent ’effondrement des organisations de la IVème Internationale. en France en 1939 à l’éclatement de la guerre, qui aurait isolé l’avant garde des masses. Tout révolutionnaire ayant fait son travail pendant la drôle de guerre sait que c’est là pur mensonge : tout au contraire, jamais le contact avec les masses ouvrières n’a été plus facile (et pas seulement avec les masses ouvrières) jamais les masses n’ont été plus disposées à accueillir la propagande révolutionnaire"…

Cette attitude de la section française révélait que tant sur le plan politique (cas de 1939) que sur le plan des principes (refus d’autocritique et justification à tout prix) l’opportunisme régnait en naître dans son sein. Car il ne s’agissait pas pour nous de refuser de s’unifier sous prétexte que la section française avait commis des erreurs, des fautes graves. Mais un certain nombre de militants de cette section reconnaissaient ces erreurs mais refusaient de les réexaminer pour ne pas nuireà la fusion. Cette attitude montrait que cette organisation n’avait plus rien de bolchevik et n’était plus en rien l’avant-garde qu’aurait voulu forger Trotsky. Et lorsque après la guerre, la IVème entérina la politique de la section française il était clair qu’elle était aussi opportuniste.

La guerre finie, la section française va continuer sa politique. Elle se caractérise sur le plan intérieur par le suivisme vis-à-vis du PCF. Au référendum du 21 octobre 1945 le PCI appelle à voter OUI pour que l’Assemblée soit Constituante. Il lance un appel au P.S. et au P.C. pour former dos Comités de Défense de la Constituante, il demande que les députés soient éligibles et révocables à tout moment. Il veut ni plus ni moins "soviétiser" la Constituante bourgeoise. Il pratique alors une politique de critique de gauche du PCF mais absolument pas une politique révolutionnaire. Du nationalisme le plus notoire le PCI est tombé dans l’électoralisme le plus plat. Ce qui n’empêche d’ailleurs pas ces camarades de regretter quelques mois plus tard "la persistance des préjugés parlementaires dans les masses".

Et au référendum constitutionnel de mai 1946, le PCI fera bloc encore une fois avec les partis soi-disant ouvriers, en faisant voter OUI à la Constitution.

Et leur argument était pour le moins étrange. en effet, on pouvait lire dans "La Vérité" du 28 avril 1946 :

"La Constitution prévoit 1’indemnisation des gros actionnaires des entreprises nationalisées, elle maintient l’oppression impérialiste des peuples coloniaux. Elle reconnaît comme inviolable la propriété privée des exploiteurs."

Mais il fallait voter OUI pour empêcher le triomphe de la réaction.

VERITE N° 120 - MAI 1946
"Le MRP ayant fait bloc avec les partis bourgeois contre les partis "ouvriers" en faisant voter "NON" au "référendum", il faut faire bloc avec ces derniers en faisant voter OUI pour empêcher que le plébiscite pour ou contre le PCF - PS tourne à leur désavantage"...

Sur le plan extérieur on assiste au même phénomène de suivisme des staliniens non plus seulement de la part de la section française mais de toute l’Internationale. L’Internationale était atteinte dans son ensemble et l’image de la section française n’était que le reflet fidèle des autres sections.

La Conférence d’Avril 1946 de la IVème Internationale si elle demandait le "départ immédiat dos troupes d’occupation" (USA - France - Angleterre par rapport à l’Allemagne) refusa l’amende­ment de la section anglaise demandant le retrait des troupes russes des territoires qu’elles occupaient (IVème Inter. Décembre 1946).

Lorsqu’après 1948 les staliniens baptisent les "Démocraties Populaires" du nom d’Etats "ouvriers", la IVème leur emboîtera le pas allègrement en ajoutant bien entendu le terme "dégénérés" ou "déformés". On est trotskyste ou on ne l’est pas. Là aussi l’analyse politique sera remplacée par des étiquettes vides de sens décernées généreusement. Et lorsque se produira la rupture entre l’URSS et la Yougoslavie, Tito sera salué comme un révolutionnaire aux qualités remarquables et le PCY appelé à devenir le tremplin d’où partirait l’assaut contre le stalinisme. "La Vérité" d’octobre 1950, n° 258 titrait après le voyage de militants en Yougoslavie :

"Ceux qui ont vu la vérité en Yougoslavie vous disent : "OUI C’EST UN ÉTAT OU SE CONSTRUIT LE SOCIALISME, C’EST LA DICTATURE DU PROLÉTARIAT"

Ici apparaît clairement ce qui allait devenir une constante de la IVème Internationale. Incapables de construire une organisation révolutionnaire, ses militants étaient à la recherche de l’ersatz, du raccourci qui permettrait rapidement do construire une organisation. Sur le plan intérieur cela se traduisit par la politique dite d’entrisme (aller chercher ailleurs les masses que l’on ne peut soi-même influencer) et sur le plan extérieur par la découverte de leaders révolutionnaires qui évoluaient "objectivement" et quasi-automatiquement vers le trotskysme. Il y a eu d’abord Tito, puis Mao, puis Castro, puis Ben Bella et nous sommes sûrs que ces camarades ne s’arrêteront pas en si bon chemin. Et à son tour la recherche de "raccourcis révolutionnaires" ne faisait que traduire une incapacité de travail moléculaire au sein de la classe ouvrière et des habitudes de pensées et et de pratiques petites-bourgeoises.
LA CRISE DE 52-53

La crise qui éclata dans les années 1952-1953 ne fut que l’évolution logique de l’opportunisme de la IVème Internationale.

La guerre de Corée traduisait une tension extrême entre les anciens alliés victorieux de l’Allemagne, l’URSS d’une part, les impérialistes de l’autre. Le bloc des "démocraties" volait en éclats cinq années à peine après la fin de 1a guerre. La IVème Internationale théorisa alors l’incapacité qu’elle avait manifesté à construire une organisation révolutionnaire, aussi embryonnaire fût-elle. Elle déclara que la guerre mondiale était proche et que la guerre qui venait aurait un caractère spécial :

"Une telle guerre prendrait dès le début le caractère d’une GUERRE CIVILE INTERNATIONALE, particulièrement en Europe et en Asie qui passeraient rapidement sous le contrôle de la bureaucratie soviétique, des partis communistes ou des masses révolutionnaires."

Dans un tel conflit, les partis staliniens joueraient un rôle révolutionnaire et, comme on n’avait plus le temps de construire des partis révolutionnaires, il faut dire que ces camarades semblent n’avoir jamais le temps d’en construire, il fallait entrer coûte que coûte au sein des partis staliniens ou socialistes afin de s’intégrer dans le mouvement réel des masses. Il fallait travailler et rester à tout prix dans les P.C., les "ruses" et les trahisons étant non seulement admises mais nécessaires.

Cela équivalait à renoncer à l’organisation trotskyste après avoir renoncé à son programme. Mais ces positions n’étaient pas un tournant dans la politique de la IVème Internationale. Déjà la caractérisation des pays du glacis comme Etats ouvriers dégénérés signifiait que la bureaucratie avait un rôle révolutionnaire, qu’elle était capable de transformer à la place de la classe ouvrière des Etats bourgeois en Etats ouvriers, de remplir la tâche historique du prolétariat. Et Pablo comptait beaucoup sur cette possibilité. Il en tirait la conclusion que le stalinisme avait un rôle "historiquement progressif". Et l’intégration aux partis staliniens n’en était que la conséquence logique. Et c’est cette conception qui prit le nom de "pablisme".

Devant ce qui apparaissait enfin clairement comme une trahison de son programme, une partie de la IVème Internationale ne fit pas ce nouveau pas en avant sur la voie de la liquidation complète du trotskysme. La majorité de la section française refusa de se dissoudre au sein du P.C.F. et brandit l’étendard de la révolte. Elle créa peu après avec les sections anglaise, néo-zélandaise et suisse le C.I.

Et cette crise qui démantelait la IVème Internationale n’était qu’une confirmation de plus de l’analyse que nous avions faite de ces organisations. Leur composition essentiellement petite-bourgeoise, leurs pratiques politiques et organisationnelles héritées de ce milieu les rendaient non seulement incapables de se lier à la classe ouvrière mais les faisait suivre fidèlement toutes les fluctuations politiques de la petite-bourgeoisie intellectuelle influencée par les staliniens ou les sociaux-démocrates.
DES METHODES BUREAUCRATIQUE DÈS... 1944

Mais pendant ces années, quelles furent nos relations avec la IVème Internationale ?

Les camarades qui sont à l’origine de notre groupe ont quitté en octobre 1939 le P.O.I. Section française de la IVème Internationale. Au début, ce fut simplement pour se délimiter d’un milieu petit-bourgeois sans pratique bolchevique. Et la position nationaliste d’une grande partie des militants trotskystes après 1940 et l’occupation du pays par les armées allemandes, leur donna malheureusement raison.

Et dans un texte de juillet 1943, ils écrivaient :

"Nous nous sommes engagés depuis le début de la guerre, dans la création d’une organisation de type révolutionnaire bolchevique, Le bolchevisme implique, avec une politique juste (qui pour nous est celle définie dans "La IVème Internationale et la guerre" et le "Programme de Transition" qui continue la ligne des quatre premiers Congrès de l’I.C.), un contact réel et étendu avec la classe ouvrière, la participation quotidienne à ses luttes, il s’inspire des intérêts quotidiens et permanents de la classe ouvrière. Pour se dire Parti Bolchevique, il faut avoir un certain poids organisationnel qui permette la conduite de la lutte de classe dans tout le pays, il faut des traditions de luttes ouvrières. Il faut avoir un bilan de luttes politiques favorable. Dans ce sens, la question du Parti ne peut et ne pouvait être résolue par nos propres forces de A à Z et, en 1943, la question du Parti reste ouverte."

"Mais notre travail a été conçu comme un travail en direction d’un Parti Bolchevique. Pour cela notre indépendance nous était et nous est vitale. Car on ne peut pas commencer la formation de militants communistes... qui le deviennent réellement par la pratique de la lutte de classes dans un milieu petit-bourgeois opportuniste. Nous voulions et nous voulons au moyen de militants instruits et d’une politique conséquente, affirmer devant les autres organisations prolétariennes une conception révolutionnaire. Notre réussite dans cette tâche, si nous discernons dans la classe ouvrière des forces capables de former avec nous le Parti, peut déclencher ou précipiter un regroupement sur la base communiste de tous les militants vraiment révolutionnaires de la classe ouvrière française".

Comme nous l’avons vu nous ne participâmes pas à l’unification de 1944 car elle ne nous apparut pas comme menant à un regroupement positif.

La nouvelle organisation née du regroupement prit le nom de Parti Communiste Internationaliste (Section Française de la IVème Internationale).

Nous refusâmes cette unification parce que ces groupes se refusaient à réexaminer leur propre passé et à en faire la critique. Selon nous, et l’avenir nous a malheureusement donné raison, cela ne pouvait aboutir qu’à des résultats similaires, les mêmes causes produisant les mêmes effets.

Dans un texte de Février 1944 nous écrivions que :

"La consécration théorique de la trahison de la lutte de classes après Juin 1940 est l’acte le plus grave qu’ait pu commettre la direction du P.O.I.. Les militants de la IVème qui ne le comprendraient pas se prépareraient des lendemains pires que ceux de Juin 1940".

Mais nous savions que vu notre petit nombre il ne nous serait pas possible de l’intérieur de redresser la Section française. Elle était devenue une organisation opportuniste et notre seul espoir était d’arriver à démontrer aux éléments valables du P.O.I. la justesse des méthodes politiques et organisationnelles du bolchévisme et de provoquer un regroupement.

Malgré tout nous n’abandonnâmes pas la IVème. Pendant plusieurs années nous demandions que la discussion s’engage sur les problèmes que nous posions. On nous répondait en substance, entrez d’abord au P.C.I., nous discuterons ensuite.

Le P.C.I. nous reprochait, en nous traitant d’ailleurs de provocateurs et cela dès juillet 1945, d’utiliser le terme de IVème Internationale qui figurait sur notre presse et en nous menaçant d’un procès. Il faut noter à ce propos que le P.C.I. nous déniait dès 1945 le droit de nous réclamer de la IVème Internationale alors que la seule instance qui pouvait trancher était le Congrès Mondial qui ne se réunit que trois ans plus tard. Nous refusâmes d’engager la polémique sur ce terrain pensant que le recours aux tribunaux bourgeois ferait plus de mal que de bien à la IVème Internationale. Mais nous avons demandé une commission d’enquête au P.C.I. qui décide si nous, qui avions toujours défendu fermement des positions trotskystes, étions moins dignes de nous réclamer de la IVème Internationale que la soi-disant Section française dont les dirigeants s’étaient complètement effondrés à la première poussée nationaliste. Évidemment, le P.C.I. refusa toujours cette commission d’enquête.

C’est alors que nous avons porté sur nos publications la mention "trotskyste" au lieu de IVe Internationale.

En 1947, nous avons eu, en dirigeant 1a grève Renault d’avril-mai, qui obligea les ministres communistes à quitter le gouvernement, des succès visibles. Après aussi. Et ni à ce moment-là, ni à un autre, ne se produisit le "regroupement" sur lequel nous comptions. Nous avons interprété ce fait comme signifiant qu’il ne fallait plus escompter ce regroupement.

Mais pratiquement, en tant que telle, fin 1949, et avant même la crise de 1952-1953, la IVe Internationale avait vécu.

A cette époque, il n’était plus question pour nous de rejoindre l’un quelconque des petits bouts de la IVème.

Cependant nos positions restaient inchangées tout au moins sous la forme où précédemment nous le voyions, sauf bien entendu en ce qui concerne un éventuel regroupement. Nous n’y comptions plus. C’est pourquoi nous nous engageâmes dans un travail plus large qu’avant 1947.

En Janvier 1957 nous écrivions :

"C’est en élargissant notre expérience que nous pourrons provoquer le regroupement qui ne s’est pas produit en 1947. Mais cette fois-ci nous ne comptons plus, dans la période qui vient, sur les éléments déjà "organisés, trotskystes ou autres. Nous comptons sur les éléments les plus dévoués et les plus éveillés de la classe ouvrière elle-même.
C’est pourquoi notre expérience doit s’élargir : pour convaincre des éléments politisés, donc susceptibles de comprendre une expérience il pourrait suffire d’un succès voyant dans un secteur même limité. Mais, pour convaincre des ouvriers du rang, il nous faudra des succès, moins voyants, peut-être, mais sur une plus large échelle".

Mais comment l’organisation fondée par Léon Trotsky, comment la IVème Internationale a-t-elle pu en arriver là ?
DE LA IIIème A LA IVème INTERNATIONALE

La IVème Internationale est issue historiquement de la III° Internationale Communiste fondée au lendemain de la Révolution Russe. Mais l’isolement de cette dernière entraîna sa dégénérescence et celui du Parti Bolchévique dont le poids était déterminant à l’intérieur de l’Internationale.

Et la stalinisation du Parti Bolchévique entraîna celle du Komintern.

Dès 1923 Trotsky engagea la lutte contre la bureaucratie qui envahissait l’Etat et le Parti. Avec l’Opposition de gauche il essaya de combattre la politique de Staline qui mettait en péril les conquêtes de la Révolution d’Octobre (Comité Anglo-Russe en 1926, Révolution Chinoise, politique de concessions puis d’extermination envers les koulaks).

Rejoint par Zinoviev et Kamenev en 25-26, abandonné par ceux-ci un an plus tard, il se retrouve seul en 1928 ; l’Opposition de Gauche groupe à l’époque un grand nombre de militants de valeur, vieux bolchéviques qui ont fait Octobre.

L’enterrement de Joffé en 1927 sera leur dernière manifestation publique.

Deux ans plus tard en 1929, Trotsky est exilé hors d’URSS et Staline pour la première fois fait assassiner un sympathisant de l’opposition : Blumkine. L’exemple de Blumkine montrait en quelque sorte aux trotskystes d’Union Soviétique le seul avenir qui les attendait : la balle dans la nuque.

Le découragement dû au manque de perspective révolutionnaire, la possibilité de se rendre utile à la Patrie Socialiste, vont entraîner redditions et capitulations chez de nombreux membres de l’Opposition.

En 1929 Karl Radek militant des mouvements ouvriers polonais, allemand et russe capitule. Il est suivi d’Ivan Nikitich Smirnov, surnommé le Lénine de Sibérie, le vainqueur de Koltchak, de Serge Mratchkovsky, dirigeant de l’Opposition, d’Ivan Smilga chef de la Baltique, de Preobrajensky co-auteur avec Boukharine de "l’A.B.C. du Communisme".

Puis en 1934, Christian Rakovsky, lié à Trotsky depuis la Première guerre mondiale où ensemble ils écrivent le journal russe internationaliste de Paris : "Nache Slovo", Rakovsky, le Président du Conseil des Commissaires du Peuple d’Ukraine, capitule à son tour.

Mais d’autres comme Vladimir Smirnov, dirigeant de l’insurrection d’Octobre à Moscou, comme Solntsev, refusent de se plier au diktat stalinien. Le premier, devenu aveugle par suite des privations en isolateur disparaîtra sans avoir capitulé, le second, jeune bolchevik, mourra d’épuisement en janvier 1936 après une grève de la faim.

Mais Staline prépare la plus effroyable boucherie que le mouvement révolutionnaire ait connue. De 1936 à 1938 il va éliminer toute la vieille garde bolchevique au cours des sinistres mascarades de justice socialiste baptisées "Procès de Moscou".

En août 1936 sont jugés et exécutés : Zinoviev, Kamenev, Evdokimov, Bakaiev, I.N. Smirnov, Mratchkovsky, Ter Vaganian. Le 23 août, Tomsky mis en cause au cours du procès se suicidera. Du 23 au 30 janvier 1937, Piatakov et Mouralov seront exécutés. Du 2 au 13 mars 1938 Boukharine, Rykov, Rakovsky - et ce sont seulement là les plus connus - tous avoueront "être à la solde des impérialistes et avoir voulu tuer Staline".

Dans la Russie le massacre commence. Des milliers de bolcheviks obscurs, dont l’histoire n’a pas retenu les noms seront éliminés.

Évidemment les trotskystes n’échappent pas à la règle. Dans le tome III de sa biographie sur Trotsky, Deutscher a montré la fin des trotskystes au camp de Vorkouta. Arrivés à la mine durant l’été 1936, ils refusaient de travailler plus de huit heures par jour (le règlement exigeait dix et douze heures). Ils organisaient meetings et manifestations lors des procès de Moscou. Ils ignoraient systématiquement le règlement des camps. De mars à mai 1938 ils furent tous exécutés.

Mais le massacre ne touche pas seulement le Parti russe.

Tous les révolutionnaires étrangers se trouvant à Moscou sont eux aussi victimes des purges. Nous pouvons citer les Allemands Neumann, Remmele, le spartakiste Heckert ; les polonais Adolph Warsky, ami de Rosa Luxembourg, un des fondateurs de la Social-Démocratie polonaise et vétéran du P.C. Polonais, Lensky et Bronsky combattants de la Révolution Russe, Wera Kostzewa.

Le 17 décembre 1936 la Pravda annonce que "l’épuration des éléments trotskystes et anarcho—syndicalistes a commencé en Espagne et sera exécutée jusqu’au bout avec la même énergie qu’en URSS". Le 17 mai 1937 débutera la répression contre les anarchistes, les trotskystes et les militants du P.O.UM.

Comme l’écrivait Trotsky le 20 février 1938 dans la brochure consacrée à la mémoire de son fils Léon Sédov assassiné par la Guépéou :

"De cette génération ainée, dans les rangs de laquelle nous sommes entrés à la fin du siècle dernier, tous, sans exception, ont été balayés de la scène. Ce que n’ont pu faire les bagnes du tzar, la déportation rigoureuse, les besoins des années d’émigration, la guerre civile et les maladies, Staline l’a fait comme le fléau le plus malfaisant de la Révolution. Après la génération ainée, a été anéantie la meilleure partie de la génération moyenne, c’est à dire celle qu’a suscitée 1917 et qui a reçu sa formation des 24 armées du front révolutionnaire".

Ainsi Staline, par une fureur sanguinaire qui lui valait une place d’honneur au Panthéon des massacreurs d’ouvriers, laissant loin derrière les Thiers, Dollfus, Hitler et autres Franco, faisait disparaître des milliers de révolutionnaires socialistes, hommes qui quelques années auparavant avaient fait trembler la bourgeoisie de tous les pays.

Il ne traduisait par là que la peur de la bureaucratie russe devant toute révolution. Il est bon de se rappeler aujourd’hui, alors que certains osent se dire révolutionnaires en se réclamant de Staline, qu’avant de devenir le petit père des peuples, le sinistre Géorgien fut d’abord leur bourreau.

Dès le début de son exil, Trotsky espère que Staline expulsera à l’étranger d’autres militants de l’Opposition. Mais son espoir est déçu. Il est seul, bien seul. Et après le massacre de la Vieille Garde, il reste désormais l’unique maillon qui puisse transmettre l’héritage d’Octobre aux générations nouvelles.

La tâche qu’il entreprend est impressionnante. Il s’agit pour, lui de regrouper les révolutionnaires afin de continuer la lutte pour la Révolution. Mais se dressent contre cette poignée de militants non seulement la bourgeoisie et son appareil de répression, nais aussi la clique stalinienne et ses complices des différents P.C.

Très rapidement des agents provocateurs staliniens s’infiltrent dans le mouvement trotskyste, trahissant , suscitant partout suspicion et semant le trouble quand ils n’assassinent pas. Le meilleur exemple est celui de Marc Zborowsky, dit Etienne, agent provocateur stalinien, le meilleur ami et on l’apprit plus tard, l’assassin de Sedov, le fils de Trotsky. Il dirigera à la mort de Sedov le bulletin de l’Opposition et représentera la Section russe à la Conférence de fondation de la IVème Internationale en 1938. Huit secrétaires politiques de Trotsky sont successivement abattus et en Espagne tous les trotskystes sont massacrés.

De plus, l’énorme appareil du Komintern se sert de ses milliers de journaux pour déverser sur eux des flots de calomnies.

Mais malgré les tortures, les assassinats, les calomnies, les dénonciations, malgré les conditions de vie et de militantisme effroyables, les militants trotskystes tiennent bon et font preuve d’un courage admirable.

Mais parmi les militants trotskystes, les seuls qui aient eu une véritable formation bolchevique étaient ceux d’Union Soviétique.

A l’étranger les groupes qui soutiennent Trotsky sont formée pour la plupart d’hommes courageux, d’intellectuels brillants, dévoués tout entier à la cause de la Révolution. Mais ils ressemblent peu aux militants bolcheviks qui eux, se sont formés au cours des longues années de répression, qui ont subi le feu de deux révolutions et d’une guerre civile. Ils ignorent totalement ce qu’est la discipline bolchevique et le travail au sein de la classe ouvrière. Mais leur faiblesse n’est finalement que celle de la IIIème Internationale. Créée par le Parti Bolchevique sur une base programmatique, l’Internationale Communiste regroupa un certain nombre d’organisations les unes révolutionnaires, les autres plus ou moins opportunistes. Et les vingt et une conditions qui dressaient une barrière contre les opportunistes furent facilement tournées.

En France au Congrès de Tours, c’est la majorité du P.S. qui vota l’adhésion à la III° Internationale. Non seulement ces gens n’avaient pas de formation bolchevique mais beaucoup d’entre eux étaient des réformistes notoires.

Aussi les militants gagnés par le mouvement trotskyste viennent soit de la II°, soit de la III° Internationale, à leur déclin, qui sont de bien mauvaises écoles de militantisme. Dès cette époque les militants communistes sont formés au détriment du travail en profondeur et en plus sans formation bolchevique. Les trotskystes sont de plus isolés de la classe ouvrière car aux yeux de milliers de travailleurs les Partis Communistes qui se réclament de la Révolution Russe apparaissent comme des partis révolutionnaires. Car si le mouvement trotskyste compte des militants et sympathisants de grande valeur comme Trotsky lui-même, Rosmer, Cannon aux U.S.A., l’italien Blasco, il n’a pas de cadres moyens liés aux masses et capables de former l’armature d’un parti révolutionnaire.

Chassé du mouvement ouvrier par le stalinisme, le mouvement trotskyste recrutera surtout chez les intellectuels. "La prédominance des intellectuels dans une organisation [révolutionnaire], écrit Trotsky, est inévitable dans la première période de son développement".

Mais ces intellectuels pendant des années de 1928 à 1933 n’ont pas eu la possibilité de militer sur le terrain des luttes ouvrières et n’ont pas eu de formation ni de traditions véritablement communistes.

Tout cela confère au mouvement trotskyste un caractère petit-bourgeois qui rendent aléatoire tout développement ultérieur de la IVème Internationale. Et si dans la première période de son développement la prédominance d’intellectuels est obligatoire le fait que cette prédominance se perpétue entraîne obligatoirement des déformations politiques et organisationnelles. Nous essaierons de montrer les conséquences qu’eurent l’influence du milieu petit-bourgeois et son idéologie dans les rangs des révolutionnaires de la IVème Internationale.

Lors de la proclamation de la IVème Internationale en 1938, toute une partie des trotskistes, considérait cette décision comme prématurée et arbitraire. Des groupes trotskystes refusèrent donc l’appellation de IVème Internationale et continuèrent à militer "Pour une IVème Internationale".

La proclamation de la IVème Internationale était-elle prématurée ? NON, nous ne le pensons pas. Bien entendu à cette époque, Trotsky le premier ne pensait pas pouvoir construire réellement avant la guerre toute proche la IVème Internationale.

Elle existait certes, avec des sections dans de nombreux pays. Mais nulle part pratiquement ces sections n’étaient numériquement nombreuses, ce qui n’était pas très grave, mais nulle part liées aux masses, ce qui l’était plus.

Il fallait la créer cependant, cc n’était pas une erreur, car il était nécessaire de proclamer aux yeux de tous les travailleurs la valeur de l’Internationalisme devant les trahisons nationalistes et chauvines des partis staliniens et sociaux-démocrates.

La guerre mondiale ne pouvait pas manquer de provoquer une situation, une crise révolutionnaire, Il fallait que les masses aient un drapeau internationaliste auquel se rallier. A Zimmerwald et à Kienthal les internationalistes avaient, durant la première guerre mondiale planté les jalons d’une future Internationale. Là, les militants de la IVème Internationale s’y prenaient à l’avance et ils ne pouvaient pas ne pas le faire !

Cela eut été un renoncement aux responsabilités de l’heure. Cela devait être fait indépendamment du succès escompté à court terme. Car pour Trotsky et ses camarades il fallait répondre présent aux tâches du moment et non pas attendre des jours meilleurs pour faire leur devoir vis-à-vis de leur classe.

Si Trotsky n’avait pas créé la IVème Internationale, Isaac Deutscher lui aurait certainement décerné un satisfecit, mais ni nous, ni vous ne serions ici aujourd’hui.

L’assassinat de Léon Trotsky deux ans plus tard fut une perte irréparable pour le mouvement ouvrier en général et la IVème Internationale en particulier.

De son vivant Trotsky réussissait à maintenir le mouvement trotskyste dans une cohésion très relative dans le domaine politique. Il représentait à lui seul l’acquis théorique d’un demi-siècle de luttes ouvrières et de révolution. Il était, sans vouloir vexer personne, la seule tête théorique de la IVème Internationale et sa direction. Et de plus, il masquait de sa personne l’opportunisme plus ou moins latent des sections.


Voici un point de vue qui n’est pas le nôtre mais que nous diffusons cependant afin d’en discuter : celui de Ni patrie, ni frontières, de Yves Coleman

Faillite du "trotskysme"
14 janvier 2007

Quelques pistes pour un bilan du « trotskysme »

Quatre conditions préalables pour engager une discussion approfondie

1) Il est stérile de discuter du trotskysme comme les trotskystes eux-mêmes (et la plupart de leurs adversaires) le font. C’est-à-dire comme s’il s’agissait d’une idéologie cohérente et unifiée : continuation du « léninisme » (pour ses partisans) ou du « stalinisme (pour ses adversaires anarchistes) ; « marxisme révolutionnaire du XXIe siècle », etc. Traiter le trotskysme comme un tout cohérent peut servir dans le cadre d’une polémique expéditive mais il s’agit d’un procédé paresseux pour aborder les idées et les pratiques hétérogènes des trotskystes.

2) Il faut différencier les idées de Trotsky (particulièrement entre son exil d’URSS en 1927 et son assassinat en 1940), de ce qu’elles sont devenues entre les mains de ses partisans. Aujourd’hui, les différentes formes de « trotskysme » n’ont plus grand-chose de commun, en théorie et en pratique, avec leurs origines, même si quelques tics de langage, quelques idées dépareillées et quelques formes de raisonnement ont survécu. Ce qui reste surtout c’est le culte de la personnalité de Trotsky... et l’incapacité à faire le bilan de son œuvre théorique et de ses actions au pouvoir comme en exil.

3) Réduire le(s) trotskysme(s) à une forme de « centrisme » (une idéologie qui balance sans cesse entre la réforme et la révolution) n’est qu’une preuve de dogmatisme sectaire et autosatisfait. Ce procédé permet de réduire systématiquement l’évolution complexe des différents courants politiques du mouvement ouvrier à trois forces fondamentales : les révolutionnaires (nous-mêmes bien sûr), les contre-révolutionnaires (staliniens et réformistes) et ceux qui se trouvent entre les deux : les centristes. Cette vision ne fait que copier bêtement ce que Lénine écrivit durant la Première Guerre mondiale, quand il analysa les tendances au sein de la social-démocratie, et ne peut être appliqué sérieusement à tous les groupes qui se disent révolutionnaires depuis presque un siècle. De même que sont inopérantes toutes les comparaisons qui se fondent sur les courants politiques russes avant 1917 (bolcheviks, mencheviks, narodniks) et tentent désespérément d’en retrouver les équivalents actuels, dans des rôles répartis à l’avance.

4) Aujourd’hui il est plus important de souligner ce que font les trotskystes, que ce qu’ils écrivent. Ou plutôt d’étudier la relation entre ce qu’ils écrivent et ce qu’ils font dans la pratique, du moins dans les pays où ils ont une petite influence sur la réalité. Et cette démarche peut s’appliquer à tous les courants politiques qui se prétendent anticapitalistes. Un groupe comme Alternative libertaire est, dans sa pratique, plus proche de la LCR que de la FA. Le SWP britannique ressemble plus aux groupes mao-populistes italiens des années 1970 (genre Lotta continua) qu’aux International Socialists marxistes-luxembourgistes des années 50 ou même au SWP (britannique) trotskyste des années 70 La CNT-AIT est autant influencée par l’ultragauche marxiste que par la CNT espagnole, etc. Il n’existe plus de frontières étanches entre les tendances « révolutionnaires » les plus actives. Ou, si elles existent, elles sont plus subtiles que les différences politiques ou pratiques, affichées publiquement.

Ces considérations préalables sont essentielles, parce que si nous ne tombons pas d’accord sur ces points d’accord minimaux, discuter du trotskysme se réduit à une discussion généalogique : on remonte aussi loin que possible dans le passé (pour les révolutionnaires, généralement, à la moitié du XIXe siècle) et ensuite on établit une liste apparemment cohérente d’ancêtres politiques (ce que les marxistes appellent le « fil rouge » ou la « continuité historique »). Puis le jeu (et la réflexion politique) est déjà terminé : le groupe auquel vous appartenez aujourd’hui appartient à une longue tradition, apparemment cohérente, qui a toujours eu raison sur les questions essentielles depuis 150 ans, donc évidemment tout ce que vous faites et dites aujourd’hui est juste (voire « scientifique ») puisque vous agissez dans la continuité de vos ancêtres omniscients.

Les échecs de Trotsky

Ils sont a posteriori faciles à repérer, du moins en ce qui concerne l’analyse de l’Union soviétique et la volonté de défendre bec et ongles les idées de Lénine et les thèses politiques des quatre premiers congrès de l’Internationale communiste. Ce travail de critique des idées de l’Opposition de Gauche et de Trotsky a été partiellement effectué par les différentes tendances « capitalistes d’Etat » (Socialisme ou Barbarie de Claude Lefort et Cornelius Castoriadis : Tony Cliff et les International Socialists, dans les années 50 et 60), mais aussi par les communistes de gauche (Amadeo Bordiga, Anton Pannekoek, Grandizio Munis, Otto Rühle, Paul Mattick) et les anarchistes (pour ceux-ci dès les années 20 de Luigi Fabbri à Makhno en passant par Alexandre Berkman, Emma Goldman et Rudolf Rocker). Ce travail a été utile parce qu’il a montré que la conception du marxisme de Trotsky a eu des conséquences politiques désastreuses quand il a analysé le stalinisme, à la fois en URSS et dans d’autres pays. Et aussi qu’il a proposé des tactiques erronées face au réformisme et à la crise générale du capitalisme des années 30.

Mais les critiques de Trotsky élaborées pendant les années 20 et 30 (et celles reprises ensuite par les « gauches communistes » jusqu’à aujourd’hui) partageaient toutes l’idée qu’une révolution internationale était possible entre les deux guerres. Cette hypothèse devrait être aujourd’hui réexaminée en détail, si l’on veut comprendre ce qui s’est passé entre les deux guerres mondiales mais aussi après la Seconde Guerre mondiale.

En d’autres termes, l’explication par une longue « contre-révolution » et par l’absence d’un Parti révolutionnaire ne suffit pas à expliquer le poids et la persistance du réformisme social-démocrate et les raisons pour lesquelles le stalinisme a pu si facilement contrôler les jeunes partis communistes. Dernier point important : les analyses des « capitalistes d’Etat » et des communistes de gauche partaient de l’hypothèse que les catégories marxistes pouvaient être appliquées à l’économie et la politique de la Russie soviétique. Bien que l’Union soviétique n’existe plus aujourd’hui, il est consternant et inquiétant que, depuis la chute du Mur de Berlin et la disparition de l’URSS, aucun groupe révolutionnaire n’ait essayé de réévaluer le stalinisme maintenant que l’accès à ce pays, ses archives et ses habitants est beaucoup plus facile. On pourrait établir le même constat à propos des anciens Etats staliniens d’Europe de l’Est. Personne n’a tenté de comparer et confronter, d’un côté, les expériences et les théories du stalinisme dans les pays d’Europe de l’Est élaborées par les rares révolutionnaires locaux, et, de l’autre, les analyses produites en Occident. Au moins pour un dernier bilan des points forts et des points faibles des analyses du stalinisme. Cette faiblesse théorique et cette lâcheté politique ont des conséquences très dangereuses parce que cette suffisance intellectuelle signifie que le problème bureaucratique au sein du mouvement ouvrier est aujourd’hui encore sous-estimé y compris par ceux qui ont toujours dénoncé la bureaucratie comme une classe ou une couche sociale dans les Etats staliniens.

Qu’est-il arrivé aux idées de Trotsky ?

La plupart des groupes trotskystes ont en fait rejeté les intuitions les plus révolutionnaires de leur mentor politique. Ils ont conservé le pire (les recettes tactiques comme l’entrisme dans les partis réformistes, la croyance dans l’effet magique de slogans politiques comme l’Assemblée constituante, le Front unique ou le gouvernement « ouvrier ») et rejeté le meilleur (sa haine révolutionnaire du stalinisme et du réformisme).

Au moins une chose positive est resté du volontarisme de Trotsky, si on compare le destin des groupes trotskystes avec celui des groupes influencés par les tendances « ultragauches » marxistes : les groupes trotskystes ont attiré des gens (des intellectuels de toute sorte, mais aussi des travailleurs) qui voulaient faire quelque chose de concret contre le capitalisme et l’oppression, tandis que les « gauches communistes » ont souvent attiré des hommes et des femmes qui méprisaient ce qu’ils appelaient l’ « activisme » ou avaient une analyse tellement défaitiste et négative de la réalité qu’ils se réfugiaient dans l’étude ou le simple commentaire de l’actualité. Ainsi aujourd’hui en France, par exemple, les militants trotskystes sont connus sur leur lieu de travail, ils dirigent des grèves ou du moins ils défendent publiquement leurs idées dans les mouvements sociaux, tandis que rarissimes sont les militants « ultragauches » massivement connus par leurs collègues et qui aient joué un rôle déterminant dans des grèves récentes. En d’autres termes, il existe une étrange division du travail : les trotskystes agissent (avec des tactiques politiques et des stratégies totalement erronées) et les « ultragauches » les critiquent dans leurs publications théoriques confidentielles.

Si l’on revient aux aspects négatifs des différentes formes de trotskysme depuis 60 ans, on peut en ébaucher une première liste, sans doute incomplète :
 suivisme vis-à-vis des mouvements de libération nationale,
 suivisme vis-à-vis des Etats nés après le succès de ces mouvements de libération
 suivisme vis-à-vis des prétendues tendances de gauche apparues dans les partis socialiste et communiste ou dans les syndicats,
 incapacité d’analyser les tendances fondamentales du capitalisme après-guerre : a) jusqu’à la fin des années 50 les trotskystes pensaient qu’une Troisième Guerre mondiale allait se produire et par la suite ils ne sont jamais demandé pourquoi ils s’étaient trompés ; b) et ensuite ils ont été incapables de prévoir les tendances fondamentales du capitalisme mondial : crise du pétrole, crises écologiques, rôle social des femmes et ses conséquences sur la société capitaliste, modifications du rôle international et de la place de puissances capitalistes comme la Chine et l’Inde, disparition de l’URSS et des Etats staliniens d’Europe de l’Est, changements fondamentaux au sein de la classe ouvrière occidentale et mondiale, etc.
 incapacité de renouveler, moderniser le programme socialiste à la fois en fonction des échecs des révolutions entre deux guerres et les changements qui se sont produits au sein du capitalisme mondial.

YC

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Faillite du trotskysme

Le groupe Combat communiste publia un article sous ce même titre en 1978 dans sa revue Contre le courant n° 2. Plutôt que d’écrire un texte entièrement nouveau sur le même sujet j’ai préféré reprendre entre guillemets les passages qui me semblaient encore pertinents et plus ou moins actuels. Les passages gras ont été écrits en 2006.

« Si le mot trotskysme a été utilisé par les staliniens pour désigner les idées défendues par Trotsky et ses partisans dans les années 1924-1940, pour les militants de l’Opposition de Gauche puis de la Quatrième Internationale, le mot « trotskysme » est devenu synonyme de « marxisme de l’époque de l’internationalisme et du stalinisme ». Pour les groupes trotskystes aujourd’hui, le travail politique et théorique de Trotsky se situe dans la continuité et même au même niveau que celui mené par les militants et théoriciens révolutionnaires de la Première, de la Deuxième et de la Troisième Internationales. Considérer le trotskysme comme le « léninisme de notre époque » est tout aussi erroné que de considérer le léninisme comme le « marxisme » de l’époque de l’impérialisme.

« En fait les mots de trotskysme, de léninisme et de marxisme n’ont pas grand sens en eux-mêmes. Ils ont tous été inventés par des épigones ou par des adversaires de Marx, Lénine et Trotsky, et entretiennent l’idée fausse que ces différents « ismes » seraient des théories produites par des individus géniaux, exceptionnels, dont la classe ouvrière ne pourrait se passer et seraient des théories closes, fermées, sans contradictions. « Les écrits de Marx, Engels, Lénine et Trotsky sont souvent présentés comme 4 Evangiles qu’il suffirait d’apprendre par cœur et de réciter pour pouvoir comprendre et agir aujourd’hui.

« Aussi bien Marx, que Lénine et Trotsky ont, de leur vivant, refusé la canonisation de leur pensée individuelle, car ils savaient très bien que leur pensée avait évolué de façon contradictoire, qu’ils avaient buté (sans les résoudre) sur des problèmes théoriques fondamentaux, et que leur travail théorique faisait partie de tout un mouvement d’action et de réflexion collective.

« De plus, autant à l’époque de Marx et de Lénine, il y eut des dizaines de théoriciens révolutionnaires qui ont enrichi, développé ce qu’il est convenu d’appeler (à tort) le « marxisme », le « léninisme » et leurs théories étaient confrontées à l’épreuve quotidienne des faits, autant à l’époque où Trotsky a mené son combat contre la bureaucratie stalinienne, les théoriciens révolutionnaires » étaient en nombre beaucoup plus réduit. La période de reflux qui a commencé en Europe au milieu des années 20 a frappé tous les groupes communistes de gauche (conseillistes, luxembourgistes, « capitalistes d’Etat », « bordiguistes », etc.) qui ont tenté, à contre le courant, de maintenir des positions révolutionnaires. Si le trotskysme a été et est le courant « révolutionnaire » le plus important numériquement à l’échelle mondiale, il a été victime de cette situation tout comme les autres. « L’apport original de Trotsky » par rapport aux positions définies dans les quatre premiers congrès de l’Internationale communiste (nécessité d’un Parti communiste et de la dictature du prolétariat - réduite malheureusement à la dictature du Parti sur les conseils ouvriers ou les soviets ; soutien aux luttes de libération nationale contre l’impérialisme ; travail dans les syndicats et les organisations de masse ; participation aux élections bourgeoises) « se résume à 5 points essentiels :
 l’analyse de l’URSS et du stalinisme,
 la systématisation de la théorie de la révolution permanente déjà ébauchée en 1905,
 le Programme de transition,
 l’analyse du fascisme,
 la critique des fronts populaires. »

Comme on le voit, l’originalité de Trotsky (à part la théorie de la révolution permanente déjà esquissée après 1905) a consisté surtout à essayer de définir des positions révolutionnaires sur des événements et des phénomènes apparus après la révolution de 1917. Ce qu’il a écrit sur l’URSS est certainement ce qui a le plus vieilli : bien sûr parce que l’Etat soviétique a aujourd’hui disparu, mais surtout parce qu’il s’est trompé à la fois sur ses pronostics et, plus grave encore, sur la nature même de l’Etat russe, ce qui a conduit ses partisans, après sa mort, dans une direction encore plus droitière que leur maître spirituel. Néanmoins, lorsqu’on lit, malgré toutes ses illusions sur les « conquêtes d’Octobre » (la planification et la propriété collective des moyens de production), les textes de Trotsky sur l’URSS, on est à des années lumière de ce que beaucoup de trotskystes écriront, et écrivent encore sur les Etats staliniens après la Seconde Guerre mondiale.

Nous ne parlons même pas ici des micro-sectes qui défendent les dictatures anti-ouvrières de la Corée du Nord ou de Cuba comme des « avant-postes » du socialisme. Nous espérons seulement, pour ces gens-là, qu’ils sont grassement rétribués par les ambassades de ces pays pour leurs bons et loyaux services. Sinon nous ne pouvons que les plaindre. Mais nous voulons évoquer ici le cas de quelqu’un qui fait partie du trotskysme mainstream, du trotskysme considéré comme à peu près respectable par les médias bourgeois. Que nous raconte Alain Krivine dans son dernier livre « Ca te passera avec l’âge » ? Qu’il est régulièrement invité à Cuba, Etat « ouvrier » selon lui, dans des villas de luxe où il fait de plantureux repas pendant que le peuple cubain se serre la ceinture ! Il ne lui vient même pas à l’idée de refuser de telles invitations et de payer de sa poche une chambre d’hôtel, tant il croit encore que les staliniens cubains seraient seulement des camarades dans l’erreur avec lesquels on pourrait discuter ! Force est de constater aujourd’hui la faillite quasi générale des pronostics liés aux analyses de Trotsky sur l’URSS, le stalinisme, la révolution permanente et l’imminence de l’effondrement du capitalisme.

URSS et démocraties populaires

• Contrairement à ses prévisions maintes et maintes fois répétées la bureaucratie ne s’est pas effondrée pour laisser la place au prolétariat, et la propriété privée traditionnelle n’a pas été rétablie à la suite d’une contre-révolution violente.

• L’analyse de l’URSS faite par Trotsky a joué un rôle négatif dès les années 20 : en luttant pour la réforme du Parti et de l’Etat dans les années 1924-1933 le mouvement trotskyste n’a pas offert de perspective claire aux travailleurs qui vivaient sous le joug de la bureaucratie bourgeoise russe. Après la mort de Trotsky, les groupes trotskystes ont continué à défendre d’imaginaires « conquêtes d’Octobre » (planification, nationalisation des grands moyens de production), ce qui les a amenés à prendre d’innombrables positions ambiguës voire criminelles face aux interventions soviétiques dans d’autres pays et à considérer que des pays comme les démocraties populaires, la Chine ou Cuba pouvaient devenir des « Etats ouvriers déformés » alors que la classe ouvrière n’avait joué aucun rôle dans leur création. De Tito à Castro, les trotskystes n’ont cessé d’espérer qu’une fraction de la bureaucratie stalinienne capitaliste se convertirait magiquement aux idées « trotskystes » et ouvrirait la voie à une « révolution politique » dans les « pays socialistes » (qu’ils appelaient des Etats ouvriers « dégénérés » ou « déformés »).

Mouvements de libération nationale

« Contrairement aux prévisions de la « révolution permanente » les révolutions nationales, démocratiques-bourgeoises se sont multipliées dans les pays sous-développés après la seconde guerre mondiale. Alors que Trotsky affirmait que la bourgeoisie des Etats coloniaux était incapable de mener à bien les tâches démocratiques bourgeoises, aucune révolution bourgeoise dans l’histoire ne les a accomplies aussi radicalement que la révolution chinoise ou la révolution vietnamienne pour ne citer que deux exemples. « Et si Trotsky a toujours défendu le rôle dirigeant du prolétariat dans les luttes de libération nationale, les trotskystes, eux, par contre, à part LO et quelques groupes, se sont placés à la remorque des mouvements de libération nationale dirigés par les staliniens.

Le programme de transition et la compréhension du capitalisme

« Enfin la tentative des organisations trotskystes d’utiliser le programme de transition s’est soldée par une véritable débâcle. Le programme de transition est non seulement erroné mais il n’offre aucune indication pratique, aucune aide à des militants qui, comme nous, aujourd’hui, ne se trouvent pas dans une situation prérévolutionnaire et qui ont affaire à une classe ouvrière réformiste.

« Les trois principaux groupes trotskystes de France, qui se réclament tous les trois du Programme de transition, ont à l’occasion de chaque élection municipale, législative, présidentielle ou européenne, montré leur opportunisme. Tantôt en appelant au désistement réciproque des « partis ouvriers » au second tour, tantôt en appelant à voter plus hypocritement pour le PS et le PCF, tantôt en surenchérissant sur la propagande du PCF à propos des nationalisations en axant la sienne sur le thème « Il faut planifier l’économie ».

« A la faillite des principales analyses théoriques originelles de Trotsky devait donc nécessairement correspondre la faillite du courant trotskyste, dans la mesure où celui-ci s’est avéré absolument incapable de comprendre les erreurs et les limites du fondateur de la Quatrième Internationale.

« Un des aspects fondamentaux de cette faillite est l’incapacité à comprendre la nature et l’évolution du capitalisme - ainsi que les différences de base entre le mode de production capitaliste et le socialisme. Cette incompréhension a certes été rendue possible par les faiblesses de la Troisième Internationale qui a elle-même été largement marquée par les conceptions dominantes dans la Seconde Internationale : le kautskysme qui consiste à ne concevoir le socialisme que comme une rationalisation, une planification et une étatisation du capitalisme. Cette conception est clairement exposée dans Le programme socialiste de Kautsky qui sert encore aujourd’hui de livre de formation de base aux militants de LO, sans qu’il ait fait l’objet de la moindre critique écrite. Dans Le chemin du pouvoir, où Kautsky défendait pourtant (mais sans se poser concrètement le problème de l’insurrection armée et de la destruction de l’Etat), encore le principe d’une « révolution », celle-ci n’apparaissait que comme le couronnement final d’un mouvement naturel de concentration du capitalisme. Seuls restaient à éliminer les propriétaires et les actionnaires de trusts devenus parasitaires, mais tout l’édifice semblai devoir rester en place : division du travail, hiérarchie, etc. »

Cette conception se trouve également dans de nombreux textes de Lénine et n’a jamais été sérieusement critiquée par les différents groupes trotskystes. On peut avancer l’excuse faiblarde que la Troisième Internationale, avant de tomber sous la coupe du stalinisme, n’aurait guère eu le temps de faire un bilan complet des malversations que la Seconde Internationale a fait subir au « marxisme ». Mais cet argument du manque de temps et de l’histoire qui « mordait la nuque » des révolutionnaires, ne vaut pas pour les trotskystes qui ont eu 80 ans pour ce travail.

« Ces conceptions [social-démocrates], la Quatrième Internationale, les trotskystes les ont très largement conservées et l’analyse de Trotsky sur l’URSS confondant étatisation du capital et société de transition vers le socialisme a joué un rôle considérable dans la poursuite de cette mystification. [Sans compter que Trotsky s’est complètement trompé sur les possibilités d’évolution du capitalisme dans l’entre-deux-guerres - puisqu’il considérait que les forces productives avaient cessé de croître et que le capitalisme était entré dans une période de décadence et de déclin définitifs - et qu’il n’a pas su reconnaître vraiment dans le fascisme en Allemagne et en Italie, le stalinisme en Russie et le New Deal aux Etats-Unis, des signes du rôle de plus en plus important de l’Etat dans l’économie - rôle qui allait apparaître de façon éclatante pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Il a fallu attendre le début des années 60 pour voir les trotskystes - du moins la majorité d’entre eux - reconnaître que le capitalisme continuait à développer les forces productives.] Les conceptions social-démocrates du socialisme étatique imprègnent donc largement le courant trotskyste.

« On les retrouve dans tous les écrits d’Ernest Mandel, le seul théoricien trotskyste qui se soit efforcé de rendre compte de l’évolution du capitalisme et de ses tendances contemporaines - et ses positions n’ont pas été critiquées par les autres branches du courant trotskyste, du moins sur ce point. Ces positions fondent théoriquement la surenchère menée par la LCR par rapport au PCF sur le problème des nationalisations [dans les années 70] : pour les trotskystes, la nationalisation de secteurs clés de l’économie sort du cadre du capitalisme. Lutte Ouvrière qui analysait les Etats de l’Est, la Chine et Cuba comme des Etats bourgeois, n’a pas su partir de cette analyse pour remettre en question l’analyse trotskyste de l’URSS et les conceptions social-démocrates du capitalisme. Elle a préféré l’incohérence théorique à l’aventure de la remise en question du patrimoine trotskyste. Cette incohérence explique en partie le blocage complet de cette organisation sur les questions théoriques et son refus d’y répondre et d’en débattre au profit d’une fuite en avant activiste.

« Si LO a critiqué certaines interprétations particulièrement opportunistes des textes de Trotsky par les autres trotskystes, elle n’a pas fondamentalement rompu avec Trotsky et commet donc les mêmes erreurs d’analyse et de méthode que les autres organisations trotskystes. En l’absence de prise de positions claires, le « naturel » trotskyste et ses déformations social-démocrates ont rapidement pris le dessus. Ainsi la propagande électorale de LO tournée contre « les gros » qui « volent l’argent dans les poches des petites gens » relevait [dans les années 70] des pires traditions transmises par le guesdisme, la social-démocratie et le PCF, mais certainement pas du marxisme révolutionnaire et ne pouvait en aucune façon aider les militants et sympathisants de cette organisation à dépasser les conceptions vulgaires du capitalisme qui dominent dans le mouvement ouvrier depuis des décennies. Cette dénonciation populiste des « gros » ne pouvait même pas répondre aux interrogations qui agitent les militants du PCF. (...)

« Le fonctionnement bureaucratique et activiste de LO, l’absence complète de vie politique et intellectuelle dans ce groupe, le mépris pour les questions théoriques que la direction tente d’inculquer aux militants sont étroitement liés à ce refus de réflexion, à cette propagande populiste flattant le gros bon sens populaire dans le sens du poil.

« Quand une organisation répand l’idée que le capitalisme se réduit à quelques barons Empain, des industriels comme Dassault et à la force de frappe et que la dictature du prolétariat, ce sera les nationalisations sans indemnités plus des écoles et des hôpitaux avec en prime la liberté d’expression pour... les bourgeois, alors elle est incapable d’offrir une alternative révolutionnaire face au réformisme et au stalinisme.

Une conception manœuvrière du Parti

« A ce refus de comprendre ce qu’est véritablement le capitalisme (un mode de production qui engendre une division du travail, une hiérarchie, une organisation et des buts de production, et non la simple propriété privée d’une poignée de gros capitalistes qui mettent la main sur l’Etat et se remplissent les poches) s’ajoute une incompréhension complète de la période historique que nous avons déjà exposée en détail dans notre Critique du programme de transition.

« Pour les trotskystes qui n’ont jamais remis en question la période historique définie par Trotsky dans l’introduction du programme de transition, la révolution est en permanence à l’ordre du jour et seule manque la bonne direction révolutionnaire, seule la trahison des dirigeants staliniens et réformistes bloque l’ardeur révolutionnaire des travailleurs. Il en découle une conception manœuvrière et manipulatoire de l’intervention politique : si les échéances sont proches, il faut absolument se faire reconnaître comme pôle révolutionnaire, y compris en mettant son drapeau dans sa poche. Il sera toujours temps d’annoncer la couleur plus tard. Cette attitude se retrouve de façon différente dans la politique de la LCR et de LO. « La LCR cherche à débloquer la situation par des manœuvres tactiques subtiles, en réclamant un gouvernement PC-PS pour mettre les staliniens et les réformistes « au pied du mur ». »

Aujourd’hui la LCR parle d’un « gouvernement anticapitaliste », dont la définition est d’autant plus vague que l’on sait que ses camarades brésiliens ont participé aux gouvernements de Lula, le caniche du Fonds monétaire international. Mais la démarche n’a guère varié. Elle est même aggravée par le fait qu’avec le temps, et le renouvellement des militants depuis 40 ans, une bonne partie des adhérents et des dirigeants de la LCR ont renoncé à la révolution, malgré leurs discours du dimanche. Il n’est que de voir toutes les manœuvres de certains courants de la LCR pour participer à la campagne présidentielle unitaire de la « gauche de la gauche » en 2007 (y compris la communication de lettres privées de LO à la LCR au quotidien Libération) pour comprendre qu’une bonne partie de ces gens-là ont la même fringale de pouvoir que Jean-Luc Mélenchon, Clémentine Autain ou Marie-Georges Buffet.

Ils piaffent d’impatience de cogérer l’Etat avec leurs discours « antilibéraux ». Quant à LO, cela fait belle lurette qu’elle ne s’inspire plus des consignes de l’Internationale communiste pour mettre en faillite les municipalités, comme elle l’avait croire à ses militants lors de ses premières campagnes électorales dans les années 70. En 1978, mais cela s’est aussi répété par la suite, « elle a cherché à l’occasion des élections à apparaître par tous les moyens comme un pôle en regroupant le maximum de voix sur ses candidats. Elle n’a pas reculé devant la pire démagogie allant jusqu’à bannir systématiquement les expressions de « communiste », « socialiste », « révolution » de ses proclamations de foi. Elle a cherché à racoler les voix des femmes de toutes catégories sociales, des petits commerçants définis pêle-mêle en l’occurrence comme travailleurs. Elle a pris la défense des cadres dans plusieurs dossiers de son hebdomadaire dans des termes que le PCF n’aurait pas désavoués (du moins avant son virage sur la hiérarchie de un à cinq et sa campagne « faire payer les riches »). Elle n’a pas cherché à élever le niveau de conscience des travailleurs en expliquant clairement son programme et ses buts.

« Ce racolage éhonté avait pour but d’obtenir par tous les moyens un strapontin à la Chambre, ce qui apparaissait à LO comme un moyen d’intervention très important en cas d’approfondissement de la crise. Finalement, pour LO, « faire du scandale à la Chambre » semblait plus important que de faire une propagande communiste vers les travailleurs les plus avancés qui se posent des questions sur l’Union de la gauche, les pays de l’Est, etc. »

Depuis, LO et la LCR ont eu des députés au Parlement européen pendant une législature. On a vu que non seulement ils ne faisaient pas « de scandale », qu’ils n’utilisaient pas le Parlement comme une tribune révolutionnaire, mais qu’en plus ils étaient obligés de collaborer avec les staliniens et les néo-staliniens dans le même groupe parlementaire pour, deux ou trois fois par an, prononcer un discours de 90 secondes ! La situation des travailleurs français et européens ne s’est pas améliorée d’un iota pendant leur mandat. Ces organisations n’ont même pas recruté massivement grâce à leur présence au Parlement européen ou dans les conseils régionaux. Le seul avantage pour LO et la LCR a été d’empocher les indemnités de leurs députés, et de passer un peu plus fréquemment à la télé (le plus souvent dans des émissions à scandale ou de divertissement) ou dans les médias. Un bilan ridicule...

« Toutes ces manœuvres et contorsions [des trotskystes] ont pour même origine l’incompréhension de la période et des tâches des révolutionnaires » ; il ne s’agit pas « de regrouper des mécontents et de rechercher des raccourcis pour tenter de construire le parti à travers une campagne électorale. La révolution en France - ou dans n’importe quel autre pays - ce ne sera pas une émeute de la faim dirigée par le Comité Central de LO, ou de la LCR, qui seul saura ce qu’est le socialisme. La révolution, si elle se produit un jour, sera le fait de centaines de milliers de travailleurs, organisés ou pas, dont le niveau de conscience et le niveau de compréhension seront cent fois plus élevés qu’ils le sont aujourd’hui et qu’ils l’étaient pendant la révolution d’Octobre. »

Y.C.

Lire encore

Messages

  • Deux nouvelles publications
    de Ni patrie ni frontières

    Travailleurs contre bureaucrates (1876-1968)

    Les ouvriers et les employés, quand ils se battent contre leurs chefs, leurs
    patrons et contre l’Etat, doivent souvent affronter un autre adversaire,
    plus inattendu celui-là : les bureaucrates syndicaux. Cette question épineuse
    n’est pas nouvelle, et, depuis plus d’un siècle, personne n’a encore trouvé
    de remède magique contre le fléau que l’on appelait déjà, au début du XXe
    siècle, le « fonctionnarisme » syndical. Mais peut-être le mal est-il
    désormais plus profond et faut-il se demander si les syndicats ne seraient
    pas définitivement intégrés à l’Etat… Les articles de ce recueil tentent
    d’apporter quelques réponses à ces questions. Ils s’appuient sur l’histoire
    du mouvement ouvrier depuis ses origines et tentent de tirer les leçons des
    principales grèves, de 1936 à 1968 inclus, qui ont marqué la classe ouvrière
    en France. Conformément à la démarche de Ni patrie ni frontières, cette
    anthologie rassemble des textes écrits par des militants appartenant à
    différentes tendances – anarchistes, anarchosyndicalistes, marxistes de
    diverses obédiences, etc. Le lecteur devra donc confronter les arguments de
    ces auteurs avec ses propres hypothèses, s’interroger sur leurs présupposés
    idéologiques, pour se forger sa propre opinion. (480 pages, 12 €)

    Le monde comme il va (1999–2010)
    Analyses, coups de gueule et méchancetés
    Ce livre rassemble une centaine de chroniques hebdomadaires de Patsy sur
    Alternantes FM, dans le cadre de l’émission « Le monde comme il va ».
    Légèrement retouchés sur le plan du style, mais pas sur le fond pour
    refléter honnêtement l’évolution des réflexions de l’auteur, ces textes nous
    offrent l’occasion de revisiter la décennie qui vient de passer, en France
    comme dans le monde. L’auteur tient à faire œuvre « d’éducation populaire »,
    comme il l’explique dans sa préface : il nous livre donc des faits, des
    chiffres, s’appuie sur des sources fiables, sans avoir recours à la langue
    de bois militante, juste le strict nécessaire pour que son texte n’ait pas
    un ton académique et garde sa fraîcheur libertaire. L’ouvrage est divisé en
    plusieurs grandes rubriques aux titres explicites : « Le travail tue,
    l’exploitation rapporte ! », « L’altermondia-lisme en question », « Le
    syndicalisme d’aujourd’hui », « Leurs urnes, nos funérailles ». Sans oublier
    de nombreuses et riches chroniques internationales : « Afrique et
    Françafrique », « L’Empire du Bien », « Du côté de l’ex-Empire du Mal », « 
    Le Kosovo en guerre », « Amérique latine : espoir de la gauche ? », « 
    Maghreb : la schlague et le Coran », « Irak, Iran, Pakistan » et « Le conflit
    israélo-palestinien ». (378 pages, 12€)

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