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Marie-Victoire Louis, La lutte des femmes de Bekaert-Cockerill

samedi 17 janvier 2009, par Robert Paris

À la chômeuse, ils ont dit :
Rien pour toi, ton mari touche déjà
À la travailleuse, ils ont dit :
Rentre chez toi, ton mari touche déjà
À la ménagère, ils ont dit :
Reste chez toi, ton mari touche déjà
On a besoin de tout le monde
On a besoin qu’on parle de nous…
Que notre histoire ne finisse pas au fond d’un tiroir
Il faut que les femmes sachent qu’elles ont des droits
Sinon... dans deux ou trois ans, il n’y aura plus de femmes nulle part.

Marguerite Staquet, licenciée de Bekaert.

« Les femmes de Bekaert-Cockerill lâchées par les syndicats et les hommes. »1 C’est sous ce titre que paraissait, le 2 décembre 1982, dans le journal Libération, sous la rubrique « Sexisme », un article consacré à l’une des luttes les plus significatives de ces dernières années.

On y apprenait que 31 femmes travaillant dans une clouterie belge faisaient grève depuis un mois contre la décision prise de les mettre autoritairement à temps partiel et qu’elles avaient dû reprendre le travail, faute de soutien de leurs collègues masculins et de leurs représentants syndicaux.

Lutte de femmes, lutte minoritaire, lutte anti-sexiste : tous les éléments de la douloureuse histoire des rapports entre les ouvrières et les ouvriers, le patronat et les syndicats étaient réunis. Cette grève menée par quelques femmes flouées doit être connue pour que l ’« union sacrée » des intérêts sociaux masculins, qui s’est recomposée - en deçà des antagonismes de classes - pour écraser leur lutte, ne puisse plus se reproduire.ble des éléments d’une lutte d’autant plus complexe que tous les protagonistes, les femmes exceptées, ont intérêt à travestir leur responsabilité et donc à cacher les éléments du dossier 2, il importe d’abord de resituer le contexte de la lutte. Mais il importe aussi de dégager, au-delà des apparences, les intérêts et les pratiques réels pour enfin s’interroger sur les conséquences d’une lutte qui n’est qu’apparemment terminée.
I. Le contexte du conflit

Bekaert-Cockerill, qui appartient pour moitié au groupe Bekaert, multinationale d’origine belge employant 12.000 salariées - dont 3/4 en Belgique - et pour moitié à Cockerill-Sambre, groupe sidérurgique à capital d’Etat majoritaire, est composé de deux usines, l’une à Hemixem, dans les Flandres, l’autre à Fontaine l’Evêque dans la région de Charleroi. Or, depuis une dizaine d’années, le patronat a mis en oeuvre une politique de transfert des activités de son usine wallonne vers son usine flamande, qui est aussi le siège social de l’entreprise. 3

Le résultat en est que l’usine de Fontaine l’Evêque - où se déroulera le conflit -, a vu, en l’espace de 10 ans fondre ses effectifs salariés de 900 (dont 200 femmes) en 1973 à 320 en 1982.
Il ne reste plus alors qu’une trentaine de femmes.
Rien, au départ, ne rendait la lutte des ouvrières de Bekaert différente de celles qui avaient marqué l’histoire de nombreuses grèves ouvrières pour le maintien de l’emploi : « On a fait beaucoup de grèves, raconte une ouvrière, mais on a perdu à chaque fois ; on reprenait le travail sans rien obtenir avec des licenciements cinq fois sur six, par paquets de 100/150. Il n’y a eu qu’une seule année où l’on n’a pas licencié parce qu’on avait eu des commandes à l’improviste. »

À chaque stade de ces restructurations à répétition, des fabrications sont abandonnées. « On coupe les branches mortes » commentait la délégation syndicale. C’est donc dans un contexte marqué à la fois par la menace permanente du démantèlement, voire de la fermeture totale de l’usine de Fontaine l’Evêque et par un rapport de force défavorable aux ouvriers en lutte face à un patronat réputé « combatif » que se déroulera le conflit.
1. Le travail des femmes à Bekaert

L’usine comporte une majorité écrasante d’hommes : ils sont 242 au moment du déclenchement de la grève, tandis que les femmes sont au nombre de 31, concentrées dans le secteur encollage et emballage des clous (division D), où les salaires sont inférieurs.
Là, les conditions de travail rappellent, par certains aspects, celles du début du siècle : « On travaillait dans beaucoup de bruit, on ne s’entendait pas ... on communiquait par gestes. Et puis, en hiver, il faisait très froid et en été très chaud. On travaillait en plus en manipulant des produits toxiques. Quand on a rouspété à la sécurité hygiène, ils se sont contentés d’enlever l’étiquette des boîtes ! C’était fini ! On n’a plus vu ce que c’était, c’était çà la solution ! Et puis, on avait énormément de mal, parce qu’on soulevait beaucoup de poids, une tonne, une tonne et demie par jour ... des paquets de 14 à 35 kilos, bref, c’était un travail dur, fatigant, sale, bruyant et ça sentait mauvais ».

Les hommes qui travaillaient avec les femmes à l’emballage gagnaient le même salaire qu’elles, et pourtant ces dernières étaient victimes d’une triple discrimination :
 La promotion pour les femmes, c’était clair, n’existait pas. « On ne se faisait pas d’illusions chez nous, il n’y avait rien pour les femmes, c’était exclu ; on était ouvrière à l’encollage, c’est tout. »

On pourrait même parler, dans le cas de l’usine de Fontaine l’Evêque d’une politique de déclassement puisqu’une des ouvrières avait été affectée à l’impression des étiquettes et au pesage des camions parce que l’homme qu’elle devait remplacer « touchait un salaire trop élevé ». Alors le patron a dit : « Dans le fond, c’est un travail pas lourd, c’est un travail féminin ». 4
Les hommes, pour leur part, pouvaient devenir régleurs et ensuite, éventuellement, brigadiers.

 La productivité des femmes était nettement supérieure à celle des hommes. Elles étaient affectées à certains postes de travail que les hommes refusaient : « Là où il n’y a que des femmes qui travaillent, elles fassent tout, elles plongent dans la benne, elles soulèvent les boîtes de clous, elles mettent les clous dans un tambour, elles suivent machine, elles décalent la machine, elles empilent, emballent et mettent les boîtes au plancher. À ces postes, il n’y avait que des femmes parce qu’il faut être très rapide.... Par contre, là où les postes sont mixtes et où on met les ouvrières les moins rapides, on va dans une benne chercher une boîte, on met dans un tambour et on empile, c’est tout. »

Cette productivité des femmes supérieure à celle des hommes sera confirmée par la suite : lorsque les 13 femmes seront licenciées à fin du conflit, il faudra mettre 23 hommes pour les remplacer !

 Troisième élément discriminatoire de taille : les femmes devaient depuis deux ans nettoyer et balayer l’usine par roulement d’une semaine, parce qu’on ne voulait pas remplacer une femme de charge qui était malade. 5

Ce fait a d’ailleurs été la raison pour laquelle la majorité des femmes de l’encollage ont quitté la F. G. T. B. dont le délégué répétait à satiété que sa femme qui n’avait jamais travaillé « se contenterait, elle, de n’importe quoi ! ».

Néanmoins, les femmes de Bekaert affirmaient « aimer leur travail » ; elles insistaient essentiellement sur l’ouverture sur la société que ce travail leur procurait, sur l’indépendance économique que leur salaire leur conférait et sur la plus grande aisance qu’un deuxième salaire procurait à la famille.

« J’allais à l’usine pour gagner ma tartine, pour gagner mon indépendance, pour participer au ménage, pour avoir le même droit que mon mari dans le ménage. » « J’allais travailler, j’avais des rencontres, j’avais des échos du dehors, j’avais toujours quelque chose à raconter... et puis ça représente un mieux-vivre au sein du ménage... avec deux salaires, on regarde moins. »

Assidues au travail, rarement absentes, les femmes de Bekaert étaient considérées comme de bonnes ouvrières qui « n’hésitaient pas à pousser leur production », qui continuaient « à se battre pour garder leur ouvrage ».
2. Le syndicalisme à Bekaert-Cockerill

Sur le plan syndical, la F. G. T. B. (Fédération Générale des Travailleurs de Belgique), à dominante laïque et liée au Parti Socialiste, est majoritaire dans l’entreprise, comme elle l’est dans la région wallonne qui est son principal bastion. Chez les travailleuses, néanmoins, elle est à égalité avec la C. S. C. (Centrale des Syndicats Chrétiens) liée au Parti Social Chrétien. De caractère gestionnaire, le syndicalisme belge est pour une large part fondé sur une négociation entre partenaires sociaux et sur l’institutionnalisation d’organes de concertation qui ont pour vocation de canaliser et de tempérer les revendications des travailleurs. 6
Valables pour une courte période, un an en général, les conventions comportent en particulier une clause de garantie de paix sociale qui implique, comme ce texte l’indique, un contrôle très strict des conflits par les syndicats :

Exemple de clause de paix sociale
Convention collective d’entreprise du 3 septembre 1982.
Art. 3. 4. .. Les décisions de saine gestion du ressort de la Direction (de Bekaert), c’est-à-dire, la réalisation d’actif ... ne rencontreront pas d’opposition.
Art. 3. 7. .. Les procédures paritaires seront respectées et la paix sociale, c’est-à-dire l’absence de revendications d’ordre général et collectif, à l’exception de l’application de conventions conclues aux niveaux professionnel, interprofessionnel, régional, provincial, national, est garantie par les représentants syndicaux jusqu’au 31 décembre 1983.

Une analyse exhaustive de la nature du syndicalisme belge n’est pas l’objet de cet article. Il faut noter, toutefois, que ces pratiques conventionnelles renvoient, ici, à une forme de syndicalisme contractuel, fondée sur les idées d’intérêt général, de paix sociale, de collaboration nécessaire entre le capital et le travail.

C’est un syndicalisme contrat dans la mesure où, par l’intermédiaire des représentants syndicaux, le patronat cherche endiguer la résistance ouvrière pour des périodes déterminées par les conventions.

Il arrive donc souvent que les termes mêmes de la convention rédigée de manière suffisamment vague (par exemple, la notion de ‘paix sociale’, citée plus haut) pour paralyser toute tentative éventuelle du collectif ouvrier d’en appeler au non-respect patronal de accords.

En effet, la collaboration entre le patronat et le syndicat n’apparaît dans toute sa clarté en période de croissance, pour la raison que ce syndicalisme défend alors l’amélioration du pouvoir d’achat niveau de vie, ainsi qu’une redistribution plus « équitable » des revenus.

Il en va autrement en période de crise ; faute de voir dénoncer la multiplicité des liens qu’il a noués avec le patronat7, il devient alors un élément de la restructuration de la production et, en tant que tel, se trouver dans la nécessité de participer aux licenciements et répartition du travail disponible. Dans ce cas, les conventions collectives sont élaborées en vue d’une gestion de la crise, c’est-à-dire vue d’une maîtrise calculée de ses effets sur le collectif ouvrier.

Le syndicalisme, généreusement invité par le patronat à prendre sa part de « responsabilité », doit alors « gérer » les licenciements et donc participer à leur répartition de la manière la plus « socialement acceptable » par le collectif ouvrier.

Pour accomplir ce rôle et ne pas voir remises en cause les bases de son existence et de sa légitimité, le syndicalisme doit pouvoir se prévaloir d’une certaine efficacité dans la négociation avec le patronat (en faisant accepter, puis respecter les accords à la base), tout en tentant compte des résistances ouvrières.
Dans son rôle d’intermédiaire entre la classe ouvrière et le patronat, il doit donc se préserver certaine autonomie.
On peut donc dire que les responsables syndicaux d’entreprise peuvent avoir dans la négociation avec le patronat une marge de manœuvre considérable, sans être pour autant une représentation du collectif ouvrier. Leur pouvoir dans l’entreprise est inconstatable : "C’est comme s’il y avait une chasse gardée. Chacun a quelques entreprises dont il est exclusivement responsable." (Une permanente syndicale)

De l’autonomie à la "chasse gardée ", il y a donc beaucoup plus qu’un simple rapport de représentation entre le collectif ouvrier et le syndicat ; il y a une situation de pouvoir, à la limite d’une situation de domination qui fournit aux responsables syndicaux une marge de manœuvre considérable dans la pratique des négociations avec le patronat.

En ne se servant que d’exemples fournis et révélés par la lutte des de Bekaert, on peut dresser une liste des différentes "prérogatives" - incontestablement abusives - des responsables syndicaux.

1. Ils contrôlent très largement, sinon totalement, la formation des listes syndicales.
Une permanente F.G.T.B. confirme cette réalité : " Les travailleurs n’ont pas vraiment la responsabilité de jouer la-dedans ; c’est tout de même ceux qui sont dans la délégation à l’intérieur de l’entreprise qui organisent un petit peu comment ça fonctionne. "

Par ailleurs, ils maintiennent en tête de liste les délégués principaux, même si les suppléants ont obtenu plus de voix qu’eux : "Ici, en Belgique, les délégués sont toujours en tête de liste et ils s’arrangent comme ils veulent ; on a beau voter ; c’est toujours le délégué qui reste et même s’il n’a voix, il prend les voix des autres ... Moi, je trouve qu’on devrait élire celui qui a le plus de voix" déclare une ouvrière.

Enfin, alors que le conflit des femmes faisait vaciller leur pouvoir à la veille des élections sociales d’avril 1983, ils ont été jusqu’à demander que le vote n’ait pas lieu et qu’on re-prolonge leur mandat de quatre ans !

2. Ils ont un quasi-monopole de la négociation sans se sentir tenus à en rendre compte.

Ainsi, les ouvrier-es n’ont pas été informé-es de la nature des conventions signées. Les votes ont eu lieu sans que celles-ci n’aient été lues en Assemblée générale. Et lorsque les syndicats ont dû présenter les différents volets des dispositions patronales pour que les ouvriers puissent se prononcer, certains éléments sont délibérément passés sous silence.

3. Ils décident du paiement des jours de grève.

Ils ont donc le pouvoir n ne les rémunérant plus, de ne plus les reconnaître comme tels (ce qui fut notamment fait, le 26 novembre).

4. Ils sont investis, à l’égard des travailleurs syndiqués 8d’une mission légale d’assistance des chômeurs et de paiement des allocations de chômage (notamment en cas de chômage partiel).

À ce titre ils devraient assumer une responsabilité spécifique. Or, on constate que " dans la pratique, il arrive aux organismes de paiement de ne pas utiliser tous les moyens que la loi met a leur disposition et qu’elle leur donne pour obligation d’utiliser afin que le chômeur obtienne dans les conditions les plus satisfaisantes les allocation chômage." 9
Cette situation est d’autant plus dommageable pour le travailleur syndiqué qu’il pourra difficilement mettre en cause son syndicat en tant qu’organisme de paiement puisque le syndicat est censé se charger aussi de sa défense contre l’Onem. 10
En outre, chaque responsable syndical se voit rémunéré personnellement pour chaque dossier traité.

5. Ils ont un pouvoir réel de choix dans la composition de la liste personnes à licencier.
Une ouvrière se souvint qu’au cours de la grève, "Le délégué disait à mon mari :’Ta femme, c’est une bonne ouvrière, elle ne sera pas dehors’. "

6. Enfin, ils sont protégés pour quatre ans, tout en bénéficiant d’un crédit d’heures de délégation syndicale qui, dans les grandes entreprises, peut être quasiment à temps plein.

Ce qui signifie concrètement que ces délégués - et c’était le cas ici - ne travaillent pratiquement plus comme ouvriers. Et ce, depuis des années.

Une ouvrière raconte : "Après la grève, on a tellement dit que les délégués étaient payés à ne rien faire, que c’étaient les deuxièmes patrons, que maintenant, on les fait travailler un petit peu. Un des délégué, pour tirer un boulon, il a eu du mal, parce qu’il ne savait pas dans quel sens il fallait tirer... c’est vous dire qu’il ne faisait pas grand-chose depuis 15 ans...! "

Face à un tel pouvoir, les agissements de ces responsables syndicaux jouent donc un rôle fondamental. Dans le cas présent, "Un patron intelligent comme Bekaert, ça lui convient fort bien un délégué qui met son pied sur le côté... il y a un contrat tacite... Le délégué sait fort bien qu’il a quelque chose à se faire reprocher patron sait bien qu’il n’a pas besoin de le lui rappeler parce l’autre le sait". (Une permanente syndicale).

Ici, c’est le cumul de ces pouvoirs syndicaux avec le pouvoir masculin qui va rendre les pratiques syndicales particulièrement scandaleuses.
Les exemples, au cours du conflit, ne manqueront pas.
Ainsi, le délégué F.G.T.B a refusé la création d’un poste de travail pour imposer aux ouvrières le nettoyage de l’usine.
Et c’était le même qui avait, en 1979, refusé à une ouvrière sa présence sur la liste syndicale : "Il voulait me refiler le poste ‘ sécurité – hygiène’ où on n’avait rien à dire. Alors j’ai refusé ... ce n’était pas la peine que j’aille perdre mon temps". Et elle conclut : " Ils ont toujours vu ça avec des yeux d’hommes .... "

Quant au délégué C. S. C., il affirmait pendant le conflit que "les femmes aimaient bien chômer", tandis que le permanent de la même organisation traitera, à la fin de la grève, les femmes d’"égoïste parce qu’elles ne laissaient pas leur travail aux hommes".

Bref, d’après le témoignage des ouvrières, "c’était normal pour ces hommes-là de renvoyer les femmes à leurs casseroles ".
II. La grève ouvrière et la négociation : les femmes sacrifiées, le mi-temps imposé

Avec une régularité quasi-mécanique, puisque liée à la nécessité de la politique conventionnelle, la direction de Bekaert annonce à nouveau, d’avril à août 1982, la nécessité de licencier une quarantaine de personnes, en arguant de la baisse du nombre des commandes, tout en proposant "diverses solutions pour éviter un grand nombre de licenciements ".

Ces licenciements sont, en mai, intégrés dans un plan global qui comporte en outre la réduction de la durée hebdomadaire du travail à 36 heures avec perte correspondante de salaire, l’introduction du travail en quatre équipes dans certains ateliers, le passage en pré-pension (préretraite), ainsi que le mi-temps pour les femmes.

Néanmoins ce plan, publié dans la presse locale, n’est l’objet d’aucune discussion dans l’entreprise ; les ouvrières, notamment, ne sont pas au courant de la dernière proposition.
1. Une grève sans fin

Lorsque, le 17 août 1982, la direction annonce la suppression de 75 emplois, sans apporter par ailleurs de garantie quant à la survie à terme de l’entreprise, les propositions de la commission paritaire régionale sont repoussées à une majorité de 85 % des travailleurs.
Une nouvelle grève est déclenchée sur la base du refus des licenciements et du démantèlement de l’outil de travail.
Celle-ci durera 9 semaines et sera entrecoupée de négociations et de projets d’accords plusieurs fois repoussés.
Tout au long de cette grève à laquelle les femmes participent au même titre que les hommes, la résistance ne faiblit pas et quels que soient le nombre des licenciements et l’agencement des propositions conventionnelles, celles-ci sont toujours repoussées à une majorité de plus de 80 % des voix.

Le 24 septembre, en l’absence des représentants du personnel et alors que l’usine est encore occupée, le patronat fait part, au cours d’une réunion extraordinaire du conseil d’entreprise, de sa décision de licencier 56 personnes à la date du 29 novembre 1982, dont 50 hommes et 6 femmes. La menace devient réelle puisqu’une lettre adressée ce même jour au directeur de l’Office National de l’Emploi (ONEM) de Charleroi lui annonce officiellement ces licenciements collectifs.

La grève se poursuit : le patronat refuse tout engagement qui ne soit pas lié à une reprise des commandes et les syndicats reprennent, quant à eux, les arguments patronaux sur le risque de fermeture de l’usine, tout en revendiquant une "solution sociale" au conflit. Bref, c’est l’impasse ; le patronat ne peut faire reprendre le travail, tandis que les syndicats doivent continuer, comme c’est la pratique en Belgique, à rémunérer les grévistes. 11
2. Une solution ? Le mi-temps pour les femmes
a) La proposition patronale

Le 8 octobre, après plus de 8 semaines de grève et de nouvelles réunions officieuses avec les syndicats, la commission paritaire régionale se réunit à nouveau en présence des représentants patronaux et syndicaux. Le président évoque "l’existence d’éléments nouveaux" et rappelle aux représentants ouvriers que cette réunion est "celle de la dernière chance afin d’essayer de limiter les départs causés par cette grève. Oublier de saisir cette chance, risque de compromettre l’avenir siège de Fontaine l’Evêque et d’assister à sa fermeture définitive". (P.V. de la commission paritaire du 8 octobre.)

La proposition du mi-temps pour les femmes

La direction fait une nouvelle proposition comportant 2 volets :
 Soit 85 licenciements (29 effectués le 20 septembre, plus 56 nouveaux évoqués dans la lettre adressée à l’ONEM)
 Soit une série d’autres propositions qui permettraient de "sauver des emplois".

Voici la présentation de ces propositions :

Répartition des 56 emplois menacés
(Proposition patronale du 8 octobre)

1) Mise à la pré-pension ....................... ……………….. 7
2) Création d’un quatrième groupe en division C . …15
3) Travail à mi-temps pour 31 femmes : ……………..13
4) 36 heures généralisées non compensées. . . . . . ……8

Total des postes reconvertis, en tout ou en partie……43 12

5) Licenciements ..........................………………13 (À effectuer)

Cette proposition patronale, probablement élaborée en tenant compte d’une ligne syndicale de moindre résistance (les deux "parties" - syndicale et patronale - se sont rencontré à deux reprises avant cette réunion), est ici rédigée de manière telle que le seul choix offert aux travailleurs est d’avaliser le principe même des licenciements, principe qu’ils avaient, à plusieurs reprises, refusé lors des votes en A.G.

Dorénavant, le problème posé devient celui de leurs modalités d’application.

Par ailleurs, par sa proposition, le patronat parvient à se décharger sur le collectif ouvrier de la responsabilité du choix des licenciements, en les mettant dans une situation de concurrence entre eux : les ouvriers devront dorénavant choisir qui sera sacrifié.

Enfin, l’indépendance de ces propositions ["Le choix étant laissé d’accepter et de rejeter certains volets, les licenciements en étant réduits ou augmentés suivant le choix effectué et ainsi le nombre de personnes sauvées qui en découle" (P. V. du 8 octobre)] contribue à isoler le problème du choix des femmes de celui de l’ensemble du processus des licenciements.

C’est ainsi qu’une grève unitaire que l’offensive patronale n’arrivait pas à vaincre se mue, par cette proposition, en "un problème de femmes ".

Le collectif ouvrier est dorénavant confronté au problème de la discrimination - de l’opposition - entre les sexes.

Mais, que s’est-il passé entre le 24 septembre et le 8 octobre pour que les propositions patronales changent de nature en posant le mi-temps pour 31 femmes non-chefs de ménage comme pièce maîtresse de leur nouveau dispositif ?

Nous savons par la presse régionale que dès le mois d’août, le mi-temps pour les femmes était un des volets du plan de restructuration patronal ; nous savons aussi que les syndicats n’avaient pas réagi explicitement sur ce point.

En revanche, nous savons, par le mari d’une des futures femmes licenciées que « le délégué avait parlé du mi-temps aux hommes un mois auparavant et qu’il leur avait fait comprendre que, pour eux, il n’y avait pas de problème ».

Ce que l’on peut donc imaginer aisément, c’est que les syndicats, mis devant l’alternative du licenciement de 50 hommes et de 6 femmes ou d’une nouvelle répartition des "restes" se soient "naturellement" portés sur la solution qui, à leurs yeux, comportait le moins de "risques" et pouvait le plus facilement être justifiée.

Le cheminement de ce processus de pensée a été reconstitué ainsi par une permanente syndicale : "Les négociateurs ont dû se dire : puisque le temps partiel semble arranger des femmes dans certains secteurs de l’économie, pourquoi ne pas proposer le temps partiel aux femmes ? Culturellement, ça ne leur paraissait pas scandaleux... il ne paraît jamais extravagant à un homme, que ce soit un syndicaliste, un employeur et même un conciliateur social, de proposer à une femme de retourner à son ménage."

Une ouvrière, pour sa part, résume de manière lapidaire le pourquoi de la décision : "Ils auraient diminué le nombre d’hommes et rajouté des femmes à licencier pour pouvoir faire retravailler le plus vite possible. "

Mais, contrairement à l’interprétation "libre" qu’en ont faite les délégués syndicaux qui expliquaient aux femmes que "si elles acceptaient le mi-temps, cela permettrait de sauver 13 femmes qui autrement seraient licenciées", aucun texte n’a jamais précisé qu’il s’agissait de licenciements de femmes. Cette interprétation syndicale a même été publiquement démentie, le 3 novembre par le directeur du personnel du siège d’Hemixsen devant les femmes licenciées : "Je regrette, Salvatore 13 - a-t-il dit - il n’a jamais été question de 13 femmes mais de 13 personnes ! "

Ce qui, en réalité, était proposé par le patronat au début d’octobre et qui avait d’ailleurs été transmis par les délégués aux ouvriers et aux ouvrières, c’était le licenciement de 11 hommes, dont 7 suppléants syndicaux et de 2 femmes.
Là encore, on peut supposer que face à la menace ou au chantage patronal, les responsables syndicaux ont orienté la proposition patronale en décidant délibérément de sacrifier les ouvrières pour sauver les syndicalistes.

Cela ne signifie pas, pour autant que la proposition patronale ait été dénuée de toute équivoque.
On peut ainsi penser que le patronat a pu laisser planer une ambiguïté quant à la nature réelle des personnes licenciables et que cette ambiguïté n’a été levée que lorsqu’il fut clair que le "subterfuge" syndical se fut révélé être un échec... sur le plan de sa mise en oeuvre.
b) La caution syndicale

Le 12 octobre, une nouvelle commission paritaire régionale se réunit pour entendre la réponse syndicale aux propositions patronales. Le délégué syndical F.G.T.B. de l’entreprise prend le premier la parole. "Il explique qu’il a fait rapport à l’assemblée générale de travailleurs et qu’il a présenté les dernières propositions patronales. Pour des raisons psychologiques et afin de ne pas déroger au principe fondamental des lignes de conduite élaborées par les organisations syndicales et pour essayer que les travailleurs acceptent ces propositions, 14les délégations syndicales de l’entreprise ont préféré de ne pas présenter le volet de la réduction du temps de travail à 36 heures par semaine.

De ce fait, il faudrait que les membres du bureau de conciliation 15puissent acter que les 8 emplois que l’on aurait pu sauver par cette facette de la proposition ne le seront pas et d’examiner s’il n’y a pas moyen de récupérer d’autres personnes qui devaient être licenciées par une amélioration sensible du contenu des autres chapitres du plan patronal. En outre, des précisions supplémentaires sont à demander quant au travail à temps partiel. Il faudrait développer quelques exemples chiffrés afin de démontrer que la perte de salaire, en appliquant ce système, ne serait pas aussi importante que l’on ne pensait".

Suivent alors "pour alimenter la discussion et examiner le système du travail à temps partiel", deux tableaux chiffrés, dont le second est calculé par revenu d’un ménage dont la femme affectée à l’encollage est au chômage, permettant de comparer les "avantages" respectifs du mi-temps et du temps complet.

Quant au représentant de la C. S. C., il propose de nouveaux volets, mais il maintient le travail à mi-temps pour les femmes.

Ce compte-rendu révèle donc de manière incontestable le choix sexiste qui a prévalu dans la position syndicale. Non seulement le délégué reconnaît avoir délibérément tronqué la proposition patronale en ne présentant pas le volet concernant la réduction du temps de travail à 36 heures qui risquait de toucher l’ensemble des ouvriers mais de plus il étaye la proposition concernant la mise des femmes à temps partiel en présentant des arguments chiffrés tendant à "mieux les faire accepter".
c) La caution du conciliateur social, l’aval de l’Etat

À la fin de cette réunion, le bureau de conciliation n’ayant pu réunir l’unanimité de ses membres sur une proposition susceptible d’être acceptée par les parties, le conciliateur social 16propose la signature d’une convention, "estimant qu’en raison de la situation dramatique de l’emploi au niveau régional, tout doit être mis en oeuvre pour organiser et répartir le travail disponible afin de limiter au maximum les licenciements et valoriser ainsi les sacrifices demandés au personne.l"

Parmi les éléments de cette convention figuraient les points suivants :
1. Organisation du travail.
1.2. Toutes les femmes non-chefs de ménage assureront des prestations sous régime de travail à temps partiel....
2. Emploi
2.1. Désengagement de 14 personnes à la date du 29 novembre 1982.
Des volontaires peuvent se présenter jusqu’au 22 novembre.
Outre les indemnités légales et conventionnelles, une indemnité forfaitaire exceptionnelle de 75.000 F bruts sera payée.
2.2. Garantie d’emploi jusqu’au 31 décembre 1983.

3. Divers
3.4. Les décisions de saine gestion du ressort de la direction ne rencontreront pas d’opposition....
3.7. Paix sociale jusqu’au 31 décembre 1983.

Le conciliateur social présidant la négociation de cet accord d’entreprise est un représentant du Ministère du Travail, chargé de rapprocher lors du renouvellement des conventions paritaires, la position des parties (patronale et syndicale). 17
Son intervention directe dans le conflit, puisque c’est à son initiative que cette position, dite de conciliation, fut rédigée, pose le problème de la responsabilité de l’Etat dans le règlement du conflit.

Or, la mise autoritaire des femmes à un emploi à temps partiel était en contradiction avec la loi belge à un double niveau :
 La direction allait à l’encontre de la législation sur le temps partiel, puisque celui-ci ne peut être imposé ;
 Cette mesure n’était appliquée qu’aux seules femmes et représentait une nouvelle infraction à la loi sur l’égalité de traitements entre hommes et femmes (cf. annexe 1).

En cautionnant un accord d’entreprise qui violait délibérément la loi, le conciliateur social prenait une lourde responsabilité : en effet, il conférait une crédibilité apparente à des dispositions qui étaient en réalité frappées de nullité parce que contraires aux dispositions impératives de la loi 18 ; d’autre part, il créait un précédent d’envergure ; c’est l’idée même d’un "Etat de droit" qui était remise en cause.

Tout s’est donc passé comme si le patronat et le gouvernement avaient agi de concert pour sacrifier les femmes sur l’autel de la nécessité économique.

Ils auraient alors utilisé l’entreprise Bekaert (où l’Etat est actionnaire à 50 %) comme laboratoire social, sachant qu’y étaient probablement réunies les plus grandes chances de réussite (faible nombre de femmes, connivence avec une délégation syndicale exclusivement masculine, réputée machiste et peu combative, menace crédible de fermeture d’entreprise, F.G.T.B. régionale soucieuse d’améliorer l’image de marque d’une Wallonie accusée de combativité aiguë...).

Deux éléments concourent d’ailleurs à étayer l’hypothèse d’une convergence entre l’initiative patronale chez Bekaert-Cockerill et la position gouvernementale :
 Le conciliateur social ayant rédigé la première mouture de la convention discriminatoire a été chargé par le Ministre du Travail et de l’Emploi d’une enquête officielle sur le cas Bekaert. lorsque le Commissaire européen Richard a posé officiellement au gouvernement belge la question de sa position sur la violation des Directives Européennes. Le ministre renouvelait donc sa confiance au conciliateur, en connaissance de cause. 19

L’Onem s’est très rapidement servi de la brèche instaurée par la convention pour poser le cas Bekaert comme le bon exemple à suivre. Au cours d’une réunion de sa commission consultative régionale de Charleroi, l’Onem "a demandé à de nombreux petits employeurs de reconvertir le contrat à durée déterminée mais comprenant des périodes régulières de chômage partiel depuis des années, en contrat de travail à temps réduit".

Le but de cette proposition vise explicitement à réduire les décaissements de l’assurance-chômage puisque les personnes travaillant à temps partiel sont loin de bénéficier de la même couverture sociale que celles travaillant à temps plein. 20
3. La convention discriminatoire du 15 octobre

Le 15 octobre, une convention reprenant ces divers points (cf. annexe VI) sera signée entre la direction de Bekaert et les organisations syndicales représentant le personnel ouvrier. L’alinéa 1.4 précisait notamment : "Toutes les femmes non-chefs de ménage assureront des prestations sous contrat de travail à temps partiel."

Or, les femmes concernées sont catégoriques : les délégués syndicaux, depuis longtemps au courant des mesures concernant la proposition patronale sur le temps partiel, connaissaient aussi leur refus sans réserve.

Le vendredi 15, juste avant que les délégués ne partent à la négociation, les femmes leur avaient formellement "interdit" de négocier le temps partiel.
Le délégué F.G.T.B. leur avait même répondu qu’elles "pouvaient lui faire confiance".
Le soir même, la convention était signée, imposant le temps partiel aux femmes "non-chefs de famille".

Que se passait-il alors au niveau de l’entreprise ?

28 femmes sur 31 que comportait encore l’entreprise étaient concernées. Sur les 3 "femmes chefs de famille", l’une allait être pré-pensionnée, la deuxième était célibataire, la troisième divorcée avec un enfant.

L’une d’entre elles, la seule à travailler dans la division tréfilerie nous raconte comment elle fut informée de la signature de la convention : "J’étais dans un secteur où il n’y avait que des hommes. Mon chef est venu me trouver et il m’a dit que je faisais partie d’un ensemble de femmes et que je devais prendre le temps partiel. Comme je ne pouvais travailler que 4 heures à mon poste, je devais laisser. Il m’a dit :’On va essayer de te reclasser dans l’usine’. J’ai refusé. J’ai dit non, j’ai dit que je ne voyais pas la raison pour laquelle je devais donner ma place…que j’avais fait des sacrifices moi aussi pour être là tous les jours, pour garder mon ouvrage. Comme le temps partiel allait être instauré, il allait manquer de nettoyeuses. Alors je me suis dit : "Ca y est, c’est moi qui vais aller au nettoyage ! J’ai dit alors à l’ingénieur : Je n’accepte pas !. Il m’a demandé pourquoi et m’a donné toutes les bonnes raisons pour accepter. Il disait que je gardais quand même 4 heures de travail et puis que c’était comme ça que la convention avait été signée et je faisais partie d’un ensemble de femmes qui devaient passer au temps partiel. Je me suis révoltée : j’ai dit que c’était trop injuste et que je ne pouvais accepter de perdre ma place comme ça, Je lui ai même dit : "Alors il faut que j’aille me faire greffer un zizi pour ne pas perdre ma place ? Alors là, il a souri. "

Les autres femmes concernées, concentrées en majorité dans le secteur "encollage emballage", réagissent avec colère devant cette mesure qu’on leur imposait, qui ne leur convenait pas et dont elles percevaient l’injustice.

Si la dimension sexiste et discriminatoire n’est que progressivement apparue dans toute sa clarté ["On a mieux compris dans la lutte qu’on avait refusé", dit l’une d’elles], le refus était cependant catégorique chez les 28 femmes, d’autant plus que la convention n’était valable que pour un an, elles risquaient fort de se retrouver "quand même à la porte, dans un an, avec un mi-temps sur les bras...

Or en passant d’un contrat à durée indéterminée à temps plein à contrat à mi-temps valable pour la durée de la convention, les femmes perdaient les avantages sociaux liés à leur ancienneté.
4. La démocratie au service des hommes

L’affaire n’était pas close ; il s’agissait dorénavant de faire accepter cette convention par le collectif ouvrier et par les femmes concernées.

On l’a vu, les délégués syndicaux ne s’embarrassèrent pas de scrupules pour négocier le temps partiel dont les femmes ne voulaient pas. Ils firent ensuite pression sur elles pour qu’elles l’acceptent en les culpabilisant : - "On nous a traitées d’égoïstes" - en en diffusant de faux bruits dans l’entreprise selon lesquels de nombreuses femmes étaient d’accord pour accepter.

Il faut reconnaître ici que toutes les conditions étaient réunies pour qu’une décision sexiste ne rencontre que peu d’oppositions. Le patronat de Bekaert, membre de la Fédération des entreprises de Belgique a probablement mis tout son poids dans la balance pour que le temps partiel se développe dans l’industrie où il était peu implanté, en faisant craquer le maillon faible, le travail des femmes. Quant aux syndicats ouvriers, ils s’étaient assurés, par une connivence tacite, du soutien des ouvriers. Enfin le conciliateur social avait couvert cette mesure au mépris de la loi. Et ce n’est pas la politique menée par le gouvernement belge 21qui aurait pu fournir une alternative à cette convergence d’intérêts.

Quoi qu’il en soit, il restait à entériner par un "vote démocratique" la convention à la base.

Le 18 octobre eut lieu, en assemblée générale, le vote. La délégation syndicale demanda la reprise du travail sur un accord dont les principes généraux furent formulés verbalement et dont les points principaux étaient :

 Chômage économique de 2 jours par cycle de 4 semaines pour le personnel masculin 22 ;
 Prestation sous contrat de travail à temps partiel pour toutes les femmes non-chefs de ménage.

La convention ne fut même pas lue et le vote se fit dans des conditions de secret comme de respect du principe majoritaire plus que relatif : "On remplissait son bulletin sous l’œil des délégués et brigadiers qui le dépliaient avant de le glisser dans l’urne. Et on a compté avec la majorité ceux qui ont refusé de voter".

Sur 226 présents, il y eut 60 "non" (dont toutes les femmes), 40 refus de vote, tandis que 120 hommes décidèrent de la reprise du travail et donc de la fin de la grève.

Si les femmes opposèrent un front uni face à cette injustice, les hommes n’acceptèrent pas tous de la cautionner : 40 abstentions et 32 "non" exprimèrent la solidarité d’une fraction d’entre eux avec les ouvrières.

Mais immédiatement, le problème de la signification de ce vote était posé. "Le vote était bidon, disent - dans une formulation très forte - les ouvrières, les hommes étaient majoritaires."

En effet, ici, les règles de la démocratie fondées sur le principe de la suprématie de la loi majoritaire reproduisent et cautionnent tout à la fois l’injustice et la domination. Car l’enjeu réel du vote n’était pas seulement celui de l’affrontement des intérêts d’une majorité et d’une minorité mais aussi et surtout celui de la domination d’un sexe sur l’autre.

C’est ainsi qu’une majorité d’hommes décidèrent - en toute démocratie - du sort d’une minorité de femmes ici quasiment toutes sacrifiées.

Le 19 et le 20 octobre, "la mort dans l’âme", les ouvrières, avec leurs collègues masculins, doivent reprendre le travail et entériner par là même la décision de mise au travail à temps partiel.

Les syndicats leur avaient néanmoins promis qu’on rediscuterait secteur par secteur.
Une réunion eut donc lieu, le 28 octobre, entre les délégués, les permanents et les femmes pour discuter du mi-temps.
Ce qui est en réalité proposé aux femmes, en guise de discussion, c’est de choisir entre le mi-temps ou le tirage au sort du nom des femmes à licencier : "Comme il y avait des femmes avec plus d’ancienneté dans l’usine ou alors des femmes de chefs, le délégué F.G. T, B. nous a dit :’Il ne faut pas penser que ça va se passer comme ça ! ." On va aller mettre une boîte au milieu de la pièce et on va mettre tous les noms dedans et tirer au sort ! Il pensait que ça ferait plus honnête, plus démocratique.... Il trouvait que c’était plus juste... que ça donnait sa chance à tout le monde.... Alors lui, il n’en pouvait rien, puisque vous aviez tiré au sort vous-même ! ".

Les femmes, bien entendu, refusent ce procédé.
III. La grève des femmes ; le mi-temps refusé, le sexisme dévoilé

Alors même que tout semblait rentrer dans l’ordre :
 La grève de neuf semaines était terminée ;
 La convention imposant le temps partiel était signée ;
 La solidarité ouvrière était brisée ;
de nouveaux rebondissements bouleversent un scénario qui n’avait pas prévu l’action des femmes.

Celles-ci, vaincues, isolées, sans soutien syndical, vont entrer dans la lutte de manière autonome.
1. La discrimination sexiste

"Brusquement, nous avons réalisé que les commandes ne manquaient pas dans notre division... que c’était dans les ateliers masculins que le travail se faisait rare. C’était donc pour céder nos machines à des hommes qu’on nous forçait à abandonner la moitié de notre travail et de notre salaire."

Elles se rendent en outre compte, "en menant discrètement leur enquête et en faisant parler les délégués ", que la raison qui leur avait été donnée : "Les mettre à temps partiel pour sauver l’emploi de 13 femmes menacées" était un mensonge puisque, concrètement, il s’agissait de mettre sur leurs postes de travail des hommes d’un autre secteur qui, eux, chômaient.

Les syndicats avaient en effet escompté qu’en leur demandant d’accepter le temps partiel pour sauver 13 d’entre elles (dont les noms, bien entendu, étaient d’autant moins connus qu’aucun texte n’avait précisé qu’i s’agissait de femmes), les ouvrières réagiraient sur la base d’une solidarité de femmes.

L’acceptation des femmes aurait permis la réalisation d’un double objectif : le patronat faisait "passer" le temps partiel en échange de quoi les syndicats sauvaient leurs sept syndicalistes menacés.

On comprend mieux dès lors l’enjeu de la réussite de l’opération, l’absolue nécessité de brouiller les cartes et l’impossibilité de toute solution transactionnelle.

Les ouvrières apprennent alors de la direction qu’elles ne pourraient - pour les 13 d’entre elles qui préféraient partir plutôt que d’accepter le mi-temps - bénéficier de la prime de 75.000 francs prévue dans la convention pour les départs volontaires.
L’article 2. 1. a) de la convention du 15 octobre précisait en effet que "l’acceptation de ces demandes est du ressort de la Direction en fonction de la nécessité de la bonne marche des services ".

"Dans la convention, c’était pour tous, dit l’une d’elles, mais en parole, c’était pas pour les femmes : 13 femmes, ça coûtait trop cher."

Elles sont donc alors doublement discriminées en tant que femmes, puisqu, à la fois on leur impose le temps partiel et, en même temps, on les empêche de bénéficier des " avantages" du départ "volontaire" auquel elles sont acculées parce que femmes.

Plus encore, la direction leur précise que même dans l’hypothèse où une équipe entière de femmes partirait volontairement, l’autre équipe resterait quand même à temps partiel.

Troisième élément enfin, apparu comme une déclaration de guerre : les femmes, malgré l’accord paritaire affirmant qu’aucun licenciement ne serait envoyé avant que toutes les modalités ne soient réglées, apprennent par le délégué C.S.C. que les préavis de licenciement ont été postés. En effet, conformément à la procédure belge du passage du temps plein au temps partiel, le travailleur doit être préalablement licencié pour être réembauché sur un nouveau contrat de travail.

Ce préavis, qu’elles reçurent le 4 novembre, était donc une condition nécessaire (mais non pas suffisante) pour qu’elles puissent être réembauchées ... à temps partiel. 23
On saura par la suite, par le permanent C.S.C que ces préavis ont été envoyés sans que la C.S.C n’ait été consultée et alors que seule la F.G.T.B " connaissait les intentions de la direction ". Celui-ci a même affirmé - sans être démenti - que " le feu vert a été donné par la F.G.T.B, à l’envoi des préavis". (P.V. de la réunion paritaire du 22 novembre)
2. Le déclenchement de la grève

Après 15 jours de travail, le 3 novembre, avant même qu’elles ne reçoivent leur préavis qui devait arriver le 4, les ouvrières repartent en grève.

Mais, contrairement à ce qui a été largement diffusé dans la presse, elles n’ont pas pris cette décision spontanément, mais à la demande des délégués syndicaux.
L’une d’elles dit même : "Ils nous ont obligées à repartir en grève." 24

Les 28 femmes qui venaient donc de terminer 9 semaines de grève ["C’était dur, très dur, on n’a pas eu le temps de se relever"] s’installent à nouveau dans l’occupation : "On était là, assises au réfectoire, avec notre tricot, notre crochet et nos romans d’amour… .pour nous rafraîchir un peu la mémoire et on disait au délégué : ’Alors, il y a du nouveau ?’. Mais le permanent avait attrapé la grippe, le directeur était en vacances, le conciliateur absent.
Le délégué C.S.C disait qu’il fallait patienter, attendre... qu’il y avait des problèmes dans l’usine ... patienter parce que les syndicats allaient soi-disant négocier.
Mais nous, vu que ça ne bougeait pas, on voulait de l’action, quelque chose.
Ils avaient déjà négocié pendant 9 semaines et ça n’avait rien donné ".

À ce moment du déroulement de la grève, il est important de se pencher sur la position des syndicats ouvriers.
Le vote n’avait pas dissipé le malaise qui s’était emparé des ouvriers comme des ouvrières.
La réunion paritaire demandée pour le 22 novembre risquait de mettre à nouveau les syndicats en difficulté : les femmes avaient certes repris le travail, mais elles continuaient à exprimer ouvertement leur désaccord.

Est-ce la volonté de briser définitivement la résistance des femmes et d’éviter ainsi que la réunion prévue ne remette en cause le difficile équilibre auquel ils étaient parvenus en signant la convention qui ont conduit les délégués à leur imposer de repartir en grève ? Espéraient-ils ainsi mieux mettre en relief leur isolement et les éloigner définitivement des ouvriers ?

On pourrait croire en effet que leur but était la remise en question de l’accord.

Or, les femmes en effet concernées estiment, avec certain recul, qu’il s’agissait au contraire de le faire avaliser, mais à partir d’une stratégie de pourrissement : "Ils pensaient qu’on serait arrivées à la négociation complètement épuisées, surtout qu’on sortait de 9 semaines de grève.
Elles feront 15 jours de grève, et elles en auront marre… "25

Cette stratégie avait d’ailleurs de grandes chances de réussite puisque les hommes dans leur majorité ne les soutenaient pas non plus. Leur réaction fut celle de la dérision condescendante : "Des bonnes femmes qui se mettent en grève, elles ne tiendront pas le coup. Elles vont faire leur petite grimace et puis elles reprendront le travail..."
Lâchées par la majorité des hommes, elles découvrent alors que la solidarité ouvrière fonctionnait à sens unique : il était dans l’ordre des choses que les femmes participent aux grèves "unitaires", il était exclu qu’elles puissent impulser une grève sur des revendications propres et requérir sur cette base la solidarité des hommes. "C’était comme ça : les hommes font la grève, les femmes doivent suivre ; les femmes font la grève, les hommes ne doivent pas suivre… parce que ce sont ... parce que ... Mais qu’est-ce qu’elles veulent, ces bonnes femmes ? ... "
3. La position unitaire des femmes

Les femmes, en refusant la discrimination, recomposaient, par des mots d’ordre unitaires, l’unité de la communauté ouvrière qu’elles voulaient, c’était un partage équitable du travail, et de chômage, pour tous, soit sous la forme des 36 heures pour tous, soit sous celle du partage du chômage, mais en gardant leur contrat de travail à temps plein.
" Nous, ouvrières, voudrions des solutions sans discrimination entre les femmes et les hommes. Pourquoi devrions-nous faire les frais de trop de travailleurs masculins ? Il s’agit de notre emploi à tous et à toutes. Des solutions, en avons-nous ? Oui, de celle de passer à 36 heures par semaine tous et toutes. Ce qui revient à une perte de 2 heures par semaine au lieu de 4 heures par jour. "

Si les femmes refusaient vigoureusement le temps partiel, elles n’étaient pas pour autant favorables à la grève. Elles l’ont souvent répété ; elles souhaitaient continuer à travailler tout en refusant le temps partiel et "préparer une motion pour la réunion paritaire du 22 novembre... On espérait qu’ils allaient réaliser que c’était discriminatoire et qu’ils allaient supprimer ça... La grève, on savait qu’on n’aboutirait à rien."

Mais, une fois mises en grève, et lorsqu’elles découvrent que des hommes travaillaient sur leurs machines, elles décident alors de faire grève "mais pour quelque chose, cette fois-ci (...). C’est ainsi qu’on est montés arrêter les hommes de notre division, alors que les délégués ne le voulaient pas.... Les ouvriers étaient solidaires avec nous, ils étaient jeunes, on les connaissait depuis 10 ans : "c’était une petite famille"… En effet on avait décidé qu’au lieu de partir en grève avec nous, ce qui ne coûtait rien au patron, puisque c’était le syndicat qui payait, il valait mieux qu’ils soient mis au chômage technique du fait de notre grève... Ça embêtait plus le patron... et ils touchaient, eux, le double de ce qu’ils auraient touchés s’ils avaient été en grève... "

Et c’est ainsi que les hommes de la division "D" ont arrêté de travailler tout le temps de la grève des femmes.

Le 6 novembre, les femmes en grève ont rendez-vous avec le nouveau directeur du personnel qui demande à Marguerite Staquet26 de faire retravailler les femmes. Elle lui répond : "Enlevez les préavis et nous reprendrons le travail. "
Face à cette situation à nouveau bloquée, une nouvelle réunion de conciliation a lieu à Bruxelles le 10 novembre.

M. Delory, permanent C.S.C demande que "l’on reformule le libellé de certains articles afin qu’aucun doute ne subsiste sur l’application du contenu du texte", "fait remarquer que le travail à mi-temps ne concerne que les femmes ", mais "estime qu’il faut essayer, par tous les moyens possibles qui sont mis à la disposition de tous, de faire reprendre le travail aux femmes qui ont arrêté, afin de ne pas paralyser de nouveau l’entreprise".
M. Vandestriec F.G.T.B, explique, quant à lui, que le texte a certes été "signé par les organisations syndicales mais que le problème consiste maintenant en ce que les femmes n’acceptent pas de travailler à temps réduit" et qu "il faut essayer de sortir de l’impasse ". (P. V. de la réunion)

Les parties décident alors la réunion du bureau de conciliation pour le 22 novembre.
La C.S.C. annonce qu’elle mettra en cause le manque d’équité entre les hommes et les femmes face à l’application du travail à temps réduit, tandis que le patronat déclare qu’il défendra pour sa part la possibilité d’engager du nouveau personnel masculin à temps réduit.
En outre la direction décide de reporter les préavis à la date du 22 novembre, mais précise bien qu’elle plaidera le 22 novembre "pour que le temps partiel reste définitivement acquis", tandis que les organisations syndicales "décident de faire reprendre le travail dans la division où les femmes sont occupées et, ce, dès le lundi 15 novembre". (P.V. de la réunion paritaire du 10 novembre.)

Le soir même l’ingénieur et le brigadier informent les femmes en grève qu’une assemblée générale, pour les femmes uniquement, aura lieu le 15 novembre.

Ce qu’elles apprennent de la bouche des représentants syndicaux des résultats de la réunion du 10, c’est qu’on licencierait toutes les femmes si elles n’acceptaient pas le temps partiel.

L’Assemblée générale du 15 novembre.

Les femmes, alertées et inquiètes, avaient, par l’intermédiaire de Christiane Rigomont, de la Maison des femmes de La Louvière, pu contacter des femmes permanentes F.G.T.B. notamment.
Et c’est ainsi que le lundi matin, alors que les syndicalistes s’attendaient à un tête-à-tête avec les femmes en grève, ils découvrent la présence de nombreuses personnes extérieures à l’usine, ainsi que celle des ouvriers de la section " D ". "Il y avait une solidarité incroyable, les délégués ne s’attendaient pas à ça, ils étaient scandalisés !" Cette réaction de la part de délégués se sentant dépossédés du contrôle des réactions ouvrières qu’ils détenaient jusqu’alors, révèle bien à quel point ils s’étaient approprié l’expression ouvrière.

Les femmes révèlent alors publiquement le pot aux roses : "Les postes des femmes devant passer à mi-temps étaient occupés par des hommes ! "

Au cours de cette A.G., les syndicats demandent aux femmes de reprendre le travail en échange du retrait des préavis envoyés le 3 novembre.
Or, ces préavis n’étaient pas valables puisque le délai de 60 jours exigé par l’O.N.E.M. entre deux licenciements - non collectifs - n’avait pas été respecté (c’est-à-dire entre les 28 licenciements du 20 septembre et les 28 du 3 novembre).

Les femmes étaient au courant de ce vice de forme et réagirent très violemment : "J’ai explosé, raconte Marguerite Staquet, et je leur ai dit : Ou bien vous êtes inconscients, ou bien vous êtes ridicules ! Vous savez bien que ces préavis ne sont pas valables et vous avez l’air de nous faire une fleur ! C’est encore un piège ! Là, ils ont dû admettre que c’était la vérité. C’est pour vous dire la fourberie de nos délégués à l’intérieur ! "

Les ouvrières refusent tout net de suspendre leur grève et lient la reprise du travail à la suppression du temps partiel.

Retravailler, en outre, c’était en fait permettre de dégager et d’expédier le travail n’avait pu être livré du fait des 9 semaines de grève, et donc perdre tout moyen de pression. 27

Il semble bien qu’à l’issue de cette assemblée, la majorité des travailleurs avaient été fort impressionnés par la combativité des femmes qui assumèrent objectivement le rôle qu’auraient dû jouer les délégués syndicaux.
Ceux-ci en avaient du reste conscience puisque l’un d’eux a demandé à Marguerite Staquet, "si elle voulait sa veste ". Ce à quoi, celle-ci lui répondu : " Non. Parce qu’elle est usée des deux côtés ! "

Elle-même raconte d’ailleurs que, suite à ses interventions au cours de la réunion, les travailleurs (lui) faisaient entièrement confiance parce que disaient-ils "si (elle) défendait les hommes comme elle défendait les femmes, il n’y aurait plus de problème ! "

C’est en effet à elle et à Christiane Baetens que les ouvriers sont allés demander s’il fallait reprendre le travail après l’AG : Ils leur demandent par ailleurs de se mettre sur les listes syndicales pour les futures élections sociales.

L’élimination des "meneuses" devenait dès lors pour les syndicalistes une nécessité s’ils voulaient garder le contrôle de leur électorat ; la concurrence était trop dangereuse pour être maintenue en l’état.

Un tract, rédigé par des permanents F.G.T.B. est diffusé à cette assemblée :

Appel à tous nos camarades

Nous avons bien réfléchi à ce qui nous arrivait et ce n’est pas à la légère que nous avons décidé de partir en grève. La convention contre laquelle nous nous révoltons est cousue de fil blanc. Il y a des hommes en trop dans certains groupes. On veut les transférer dans notre secteur et, pour leur faire place à temps plein, on veut imposer aux femmes un travail à temps partiel.

La direction a du reste commencé à appliquer ce programme et nous a envoyé notre préavis.
Nous sommes solidaires de tous les travailleurs de l’usine, nous voulons aider nos camarades et prendre notre part des difficultés.
Mais nous refusons d’être traitées plus mal que les hommes : nous avons le même droit au travail et les cotisations syndicales que nous payons doivent nous donner les mêmes garanties d’être bien défendues.

Nous pensons que les Patrons font dans notre entreprise une tentative pour imposer le temps partiel avec le soutien d’un gouvernement qui est contre les travailleurs. Nous savons que le temps partiel, c’est le système que les Patrons veulent imposer à tous, hommes et femmes, pour réduire en douceur les salaires et le volume de l’emploi. On se sert des femmes pour mettre en route dans l’industrie un système de travail que l’on imposera demain aux hommes. Nos délégués doivent comprendre qu’en soutenant notre grève, ils se battent pour tous les travailleurs.

La direction fait pression pour que nous reprenions le travail en attendant la négociation. Nous savons bien que si nous travaillons, les commandes urgentes seront satisfaites et que le Patron occupera alors une position de force qui lui permettra de mieux imposer sa volonté. Si l’on veut une reprise du travail, il faut nous apporter une solution convenable.

Nous sommes prêtes à accueillir des hommes en plus dans notre secteur, même si cela doit entraîner pour tous un roulement de chômage, mais nous ne voulons pas d’un travail à temps partiel qui diminuerait davantage nos revenus et ferait de nous des travailleurs de seconde zone.

Nous sentons bien que, si nous restons isolées, le Patron va tenter de nous étrangler dans un coin.

Aussi, nous allons envoyer cette déclaration qui est un appel au secours à nos centrales syndicales, à Georges Debunne et à Jef Houtuys, ainsi qu’aux femmes de nos organisations pour que tous s’occupent de faire respecter nos droits.

Nous demanderons aux parlementaires d’intervenir auprès du Ministre de l’Emploi et du Travail pour qu’il fasse respecter la loi qui garantit aux femmes l’égalité de droit en matière d’accès à l’emploi.
Et nous allons nous charger nous-mêmes d’informer la presse.
Nous comptons sur la solidarité de tous nos camarades pour relever le défi que nous lancent les Patrons et gagner la bataille.

Les femmes en grève.
3. Une solidarité féministe ?

" Nous, les 28 femmes, décidions de défendre nos droits. Les patrons n’étaient pas pressés de négocier, ni nos délégués syndicaux non plus, nous décidions d’appeler à l’aide vers l’extérieur, pour qu’on explique nos droits.
Nous voulions apprendre et savoir nous défendre nous-mêmes, car la délégation, elle, en était incapable, elle nous laissait tomber.
Notre appel fut entendu et, de l’extérieur, on est nous aider, nous renseigner."

Mais, contrairement à la solidarité que rencontreront les ouvrières de Concord Lighting, les femmes de Bekaert, pour des raisons te essentiellement au rôle joué localement par les syndicats ouvriers dans le conflit, ne seront pas massivement soutenues par la solidarité régionale des travailleurs de Charleroi.

Mis à part le soutien des travailleurs de la S.N.C.B. alors en grève, d’individualités, les femmes de Bekaert seront essentiellement soutenues par des femmes en grève elle-même (Concord Lighting) et par des femmes menacées par le risque de diffusion du temps partiel (A.C.E.C.).

Aussi, quand il fut clair que c’était en tant que femmes qu’on les sacrifiait et que la solidarité ouvrière n’avait pas résisté à la défense des intérêts masculins, elles furent amenées à rechercher la seule solidarité possible pour elles, celle des femmes.

La première contactée fut Christiane Rigomont de la Maison des Femmes de la Louvière," grâce à qui nous avons pu démarrer notre lutte. À l’occasion de la journée des femmes, le 11 novembre, elle est partie à Liège et là, elle a parlé de notre problème à toutes les personnes qu’elle a rencontrées ; elle a appelé à l’aide pour nous et elle a continué à venir nous aider, en amie, sans essayer de nous manipuler". 28

Plus tard, le Comité de liaison de Bruxelles 29devait intervenir à tour, ainsi que divers groupes et individus.

Tout au long de leur lutte, les femmes de Bekaert ont refusé le label de "féministes". Et elles ont mis l’accent sur l’aide "des enfants et des maris car sans eux, notre combat n’aurait pas été aussi loin ; ils étaient toujours là pour nous aider à faire les vaisselles oubliées et acceptaient bien souvent les repas en retard ou simplifiés. Ils étaient là, avec leurs paroles d’encouragement et tant d’autres attentions encore". 30

Certes, leur expérience concrète les avait poussées à dévoiler et à dénoncer les mécanismes de la division sexuelle sur les lieux mêmes du travail mais confrontées à des femmes qui centraient uniquement leur dénonciation sur l’absence de solidarité masculine dans le conflit et qui voulaient dès lors opposer le collectif hommes au collectif femmes, les ouvrières de Bekaert ont vigoureusement repoussé cette vision d’une lutte fondée sur une opposition frontale : "On n’est pas des M.L.F. et tout ça, on est des femmes qui veulent récupérer notre travail. "

Femmes, épouses et ouvrières, elles avaient besoin d’un soutien de leur lutte au sein de leur foyer et d’une solidarité pour ébranler le front masculin dans l’entreprise. Que leurs collègues fussent aussi leurs maris rendait l’équilibre très précaire.

L’intelligence de ces couples a sans doute consisté à autonomiser sur le terrain de l’entreprise leurs pratiques (chacun étant libre et responsable de ses choix), tout en renforçant leur solidarité dans le couple afin d’y puiser les forces nécessaires pour faire face aux menaces dont il était l’objet (elles, en tant que "meneuses", eux, en tant qu’ "époux de meneuses".

Ce "front" du couple devenait un enjeu central de la lutte dans l’usine même, la meilleure preuve en étant que les attaques n’ont pas cessé pour le briser : chantage à un deuxième licenciement, mise d’un mari sur l’ancien poste de travail occupé par sa femme, plaisanteries machistes sur le thème de la virilité et du pouvoir masculin, proposition de remplacer les 13 femmes licenciées par 13 hommes. 31

Mais ce constat doit être relativisé. Cet équilibre conquis par les ouvrières les plus combatives, qui se sont aussi trouvé être celles dont les maris étaient les plus compréhensifs et les plus libéraux, ne fut pas le lot de toutes, tant s’en faut. Parmi les ouvrières italiennes, notamment - d’origine ou de nationalité -, nombreuses furent celles qui eurent à choisir entre continuer à se battre ou à rentrer à la maison.

Mais, quelles que soient les appréciations exprimées, c’est bien le mouvement féministe belge, puis international, est venu au secours des femmes de Bekaert.
Et cette solidarité va modifier les règles du jeu, y compris dans l’entreprise.
Les délégués syndicaux ont d’ailleurs bien compris la nature de l’enjeu de cette aide lorsqu’ils ont décidé de fermer l’entreprise à toute "manipulation extérieure".
C’est à partir de ce moment que les relations entre les femmes en grève et les responsables syndicaux vont plus particulièrement se dégrader.

L’ouverture de l’usine sur l’extérieur et l’aide que les femmes y ont trouvée ont été considérées par les délégués comme une contestation de leur pouvoir, comme un danger - qu’il redoutaient - pour leur emprise sur les ouvriers au point d’en redouter l’efficacité. Ils ne se trompaient d’ailleurs pas, puisque les femmes apprirent ainsi l’existence d’une loi qui les protégeait (loi du 4 août 1978 interdisant toute discrimination fondée sur le sexe).

Dorénavant elles pourraient s’appuyer sur un principe de légalité qu’elles opposeraient à l’injustice et à la discrimination.
4. Une solidarité femmes syndicalistes 32

Les femmes de Bekaert, en faisant "sortir" le conflit de l’usine et en révélant la nature d’un accord discriminatoire cautionné par les syndicats, interpellent violemment l’appareil syndical.

Ce n’est que tardivement - du fait de la résistance des structures locales à se laisser déposséder du dossier - que les femmes permanentes des commissions femmes et les femmes interrégionales pourront se rendre sur le terrain et chercheront à intervenir dans le conflit.

Si ces syndicalistes (Marcelle Hoens, responsable nationale des femmes F.G.T.B., Annie Massay, "Femmes Interrégionale Wallonne", Christiane Labar, "Femmes Régionale de Charleroi ") ont pu participer à certaines assemblées, elles n’ont pu y prendre la parole, l’argument institutionnel étant qu’elles n’appartenaient pas à la structure syndicale compétente en la matière, c’est-à-dire la métallurgie.
En réalité, leur intervention dans le conflit en tant que permanentes, mais surtout en tant que femmes, risquait de bouleverser le " consensus" local.

Elles ont tenté de convaincre les responsables syndicaux de l’impossibilité de maintenir leur position : elles ont "poussé" à ce que les femmes puissent participer à la réunion de conciliation du 22 novembre. L’une d’elles raconte avoir dit au responsable syndical que, s’il voulait être aidé par la présentation de ses arguments, l’idéal aurait été que des femmes de Bekaert aient entendu qu’il se battait pour elles, "mais non, il n’a pas voulu. "

Mais elles constatent que, malgré toutes leurs tentatives, « elles n’ont pas réellement été prises en compte. »

Aussi, faute de pouvoir intervenir dans la négociation locale, les femmes porteront le problème au niveau national de la F.C.T.B. (Cf., la note de Marcelle Hoens, en date du 29 novembre "à la commission du travail des femmes ". (annexe VII)

Qui plus est, il semble même qu’elles aient négocié leurs voix lors du renouvellement de la présidence de la F.G.T.B auprès du nouveau candidat en échange d’un engagement de sa part sur le cas des femmes de Bekaert. Mais ces femmes, dont l’engagement dans le conflit a beaucoup contribué à sa publicité, étaient écartelées entre leur position syndicale et leur identité de femmes syndicalistes.
Minoritaires elles aussi dans leur institution, permanentes qui plus est, elles ne pouvaient relayer jusqu’au bout l’aspiration des femmes de Bekaert, ni choisir clairement leur camp par la situation qu’elles occupaient dans l’appareil ; alors même qu’elles étaient conscientes de la discrimination, de la violation de la ligne syndicale, des abus de pouvoirs et de la nature des pratiques des délégués : "Même nous, on ne pouvait pas dire aux femmes : Mais si, faites-leur confiance’ !" (Une permanente F.G.T.B)

Néanmoins, si les ouvrières de Bekaert reconnaissent qu’elles ont fait de bonnes choses, "en mettant les pieds dans le plat au niveau de fédération régionale", elles constatent aussi "qu’elles ont dû diminuer leur enthousiasme à les défendre.... On a dû leur dû leur dire : "Ecrasez-vous un peu"... Mais toutes les grandes portes qu’on nous a ouvertes, c’est grâce à elles ".
IV. " Pour l’exemple ! " : Les femmes licenciée le mi-temps repoussé
1. Le patronat et les syndicats contre les femmes en lutte

Le 22 novembre devait avoir lieu la convention paritaire chargée de régler, entre autres, le problème du temps partiel.
Il était donc essentiel que les femmes puissent aller exprimer leur point de vue. Elles demandent donc que deux d’entre elles, soutenues dans cette revendication par les permanentes femmes de la F.G.T.B, puissent s’y rendre. Cela leur fut refusé par la délégation : "J’avais reçu un papier spécial de la fédération F.G.T.B. de Liège, raconte Marguerite Staquet, pour que je participe à la commission. Mais ça, les délégués n’ont pas voulu. Ce jour-là, on ne m’a pas laissée rentrer. Vous pensez bien, tout allait se jouer sur mon dos puisque j’étais nommée en tête de liste syndicale33 parce que j’étais considérée comme la meneuse par les délégués.... Il fallait accepter, accepter, accepter : ils ne voyaient que ça, eux !
Alors le 22, le matin, à 8 heures, on était sur le trottoir de Fabrimetal et là encore, une fois de plus, des gens de toutes les tendances sont venus nous soutenir, manifester avec nous ! Et il pleuvait !
On est resté jusqu’à 4 heures sous la pluie sans que nos délégués syndicaux veuillent bien venir nous dire quoi que ce soi, jusqu’à ce que, fatiguées d’attendre en vain, nous sommes rentrées chez nous.
Il paraît qu’ils sont sortis à 4 heures et demie !
Et moi j’étais allée me cacher jusqu’à 4 heures et quart et j’ai vu le concierge passer sa tête pour voir s’il n’y avait plus personne.
Et il paraît qu’eux sont sortis à 4 heures 30. C’est quand même une coïncidence bizarre, non !
En fait, ils n’osaient pas sortir parce qu’ils venaient de faire un sale coup dans notre dos."

Ce qui est en effet décidé au cours de cette réunion du 22 novembre, c’est la suppression du point 1.4 de la convention du 15 octobre "en échange" du licenciement de 13 femmes.

Ces licenciements, "décidés en raison de la non-application du travail à temps réduit ", selon la terminologie de la nouvelle convention signée ce même jour (point 2.3 de la convention du 22 novembre) restaient cependant toujours discriminatoires et illégaux puisqu’un employeur ne peut mettre fin à la relation de travail pour le motif que les femmes ont tenté de faire respecter la loi sur l’égalité du traitement.

Au cours de cette réunion du 22 novembre, les mêmes acteurs sont en présence : la C.S.C, la F.G.T.B, le patronat 34.
La C.S.C, qui semble-t-il n’avait pas été avertie par le patronat de l’envoi des 28 préavis de licenciements aux femmes "concernées" par le temps partiel, peut se permettre sans trop de risque, de mettre la F.G.T.B en difficulté : son représentant reproche donc à la F.G.T.B d’avoir cautionné l’envoi des préavis "avant que les modalités pratiques" n’aient été réglées et aussi de "n’avoir pas voulu faire évacuer les personnes extérieurs à l’entreprise lors de l’A.G. du 15 novembre" (dont bien entendu les permanentes femmes de la F.G.T.B. expressément nommées).

La C.S.C va même jusqu’à reprendre certaines critiques des femmes sur l’aspect discriminatoire de la situation qui leur est faite. Son représentant évoque en effet "le manque d’alternative à l’application du travail à temps réduit" ainsi que "le problème du remplacement des femmes licenciées par des hommes travaillant à temps plein".

Cependant, dans la mesure où il précise sans ambiguïté que la C.S.C ne remet pas en cause le texte signé, son plaidoyer anti-discriminatoire apparaît plus comme un argument contre la F.G.T.B qu’une remise en cause de la politique patronale.

La F.G.T.B pour sa part explique par la voix de son délégué principal que "vu le contexte dans lequel il se trouve aujourd’hui tant vis-à-vis "de l’intérieur que de l’extérieur, il se voit dans l’obligation de remettre en cause l’accord signé ".
Il s’agit donc moins d’une conviction personnelle, lorsqu’il évoque la nécessité de respecter les Directives Européennes ainsi que la loi du 4 août, que d’une conscience son impuissance à maintenir inchangée la position de son organisation.

Quant aux représentants patronaux, ils ont beau jeu d’en appeler au respect des conventions co-signées par les deux syndicats et vont même jusqu’à dénoncer leur double langage : "Les parties signataires étaient quand même bien conscientes de l’impact produit par le fait de l’instauration du travail à temps partiel dans une division de l’entreprise, que c’était les femmes de la division "D" qui allaient appliquer le temps partiel. […..] Finalement les femmes occupées à Fontaine-Lévêque ne s’inscrivent pas dans la philosophie décidée et confirmée paritairement dans l’accord du 15 octobre et, dans ces conditions, il est inutile de trouver des prétextes échappatoires en se référant notamment au problème discriminatoire.... "

Aussi, après avoir agité à nouveau le spectre de la fermeture totale de l’entreprise en insistant clairement sur le fait que si la division " D " (celle des femmes) fermait, celle des hommes (la " C") fermera nécessairement, le patronat met les syndicats en position d’accepte le licenciement des 13 femmes (dont celles qui avaient le plus durement attaqué la position syndicale pendant la grève) ou de fermer la division des hommes.

C’est ainsi que dans le silence total des représentants syndicaux furent tout à la fois décidé le licenciement de 13 ouvrières et l’abandon du point discriminatoire de la convention du 15 octobre.
Là encore, la responsabilité syndicale est posée.
Si aucune preuve ne peut être avancée, de nombreux indices vont dans le sens d’une responsabilité syndicale directe dans le choix des personnes à licencier
À la question posée : "Savez-vous que vous serez sur la liste de treize noms ? " une femme licenciée répond : "D’après ce que le syndicat nous lançait comme piques, on le sentait bien ! Et les deux délégués qui nous disaient : "Vous allez le payer cher !".
Et, à Marguerite Staquet, le responsable F.G.T.B. a précisé : " Il fallait faire un exemple".

D’ailleurs, un texte signé de Marcelle Hoens, responsable nationale de la F.G.T.B., en date du 29 novembre, donne - sans la démentir - l’information selon laquelle "la plupart des travailleurs de l’entreprise ont le sentiment que les licenciements des 13 travailleuses ont été cautionnés par la délégation syndicale et choisis parmi les travailleuses qui se sont révélées les plus combatives au cours du conflit ".

Il semble, plus précisément que, parmi les 13 licenciées, 5 aient été effectivement "choisies" parmi les "meneuses" par les syndicats. Quant aux 7 autres, soit "elles ne plaisaient pas", soit elles ne voulaient travailler qu’à l’emballage et étaient donc moins productives.
2. L’annonce des licenciements

Le 23 novembre, les délégués viennent à l’usine sans rien laisser filtrer des décisions prises la veille.
"Nous on était là, disent les ouvrières, pensant qu’ils allaient nous dire quelque chose…Grand mystère…rien du tout ! C’était notre avenir qui se jouait, mais nous on n’avait pas le droit de savoir."

Le 25 Novembre, une assemblée générale devait se tenir à l’usine pour faire part du compte -rendu de la réunion paritaire du 12 novembre.
En arrivant à l’usine, les ouvriers et ouvrières lisent l’avis suivant affiché sur la porte de l’usine.

Bekaert-Cockerill
Société anonyme
Fontaine-Leveque

Avis
Suite à la réunion de la commission paritaire qui s’est tenue le lundi 22 novembre 1982, il a été décidé de mettre fin au contrat de travail des 13 personnes dont les noms suivent :

Albrecht Danielle
Baetens Christine
Choquet Françoise
Cordaro Antonietta
Fabbricatore Angelina
Gilli Elda
Heraux Sylviane
Mantini Maria
Plamisano Margherita
Staquet Marguerite
Usai Anna

Cette rupture sera notifiée individuellement et se fera moyennant paiement de la valeur du préavis, lequel ne sera pas payé.

Le coup avait été bien mené.

Dans ces conditions, il n’était plus pas possible de compter sur la solidarité qui aurait pu se manifester au cours de l’assemblée générale : "Celles qui n’étaient pas affichées ne se sentaient plus concernées et les hommes disaient : ’Ouf ! On n’est pas dedans ! " (Une ouvrière licenciée.)

Lors de l’A.G., les femmes, en colère, stupéfaites, demandent aux délégués qu’on leur lise la convention, qu’ils justifient leur position mais, d’après l’une d’elles : "Ils n’ont dit qu’une chose : Reprenez le travail ! Je vous en supplie ! Ceux qui ne sont pas licenciés, reprenez le travail, ou alors l’entreprise va fermer ! Qu’est-ce qu’il va faire le patron !...
Vous vous rendez compte : des délégués qui pleurent pour le patron ! Et nous, on ne faisait déjà plus partie de l’usine, c’était fini ! "

Enfin, lors de cette même A.G., la presse rapporte que "le délégué principal a vigoureusement nié que les délégués syndicaux aient participé au choix des ouvrières dont le licenciement définitif vient d’être annoncé, mais ses propos ont été accueillis par des huées et des injures". 35

"Licenciées pour avoir réclamé l’égalité des droits.
Licenciées pour avoir osé nous battre malgré les délégations qui, apparemment, étaient d’accord avec la direction.
Oubliées. Rejetées pour avoir combattu la discrimination, on nous reconnaissait plus le droit de grève.
Expulsées pour avoir demandé qu’on nous reconnaisse nos droits de travailleuses". 36
3. Le dernier abandon syndical

Devant la menace d’une recomposition de la solidarité des ouvriers et des ouvrières, il était urgent de réagir.
En ce qui concerne les hommes, la solidarité d’un groupe d’entre eux survit au licenciement des 13 femmes et s’affirme lors de la reprise du travail 29 novembre : "Ils n’avaient pas envie de prendre la place des femmes", disent les ouvrières. En conséquence, ils demandent la réunion d’une nouvelle assemblée.

Les syndicats leur apprennent alors que le point 1.5. de la convention signée le 22 novembre prévoyait que : "Le travailleur devra accepter d’être affecté temporairement ou définitivement à toute tâche qui lui sera confiée, pour autant qu’elle réponde à ses aptitudes physiques et intellectuelles."
Tous refus d’une nouvelle affectation serait alors assimilé à un refus de travail et les exposait au risque de licenciement.
Mais au bâton était jointe la carotte puisque cet article se poursuivait ainsi : "La différence négative du salaire horaire de la nouvelle fonction ne pourra être supportée par l’intéressé pendant la durée de la présente convention. "

C’est ainsi que les hommes, contraints de travailler sur les postes de travail " libérés" par les femmes mises à temps partiel n’auront pas à subir la faiblesse du niveau des salaires féminins ; ils continueront - pour un temps -, celui de la convention - à toucher leur salaire antérieur.

Aux mêmes postes de travail que les femmes, les hommes toucheront 40 FB de plus qu’elles à l’heure.

Cet article ignoré des ouvriers comme des ouvrières puisque aucune convention n’avait été lue aux ouvriers visait donc à empêcher toute jonction et toute solidarité entre hommes et femmes.

Le problème de la solidarité des femmes devait lui aussi être résolu.
Le 25 novembre, les fédérations F.G.T.B et C.S.C font passer des appels radio déclarant qu’elles ne reconnaissaient plus la grève et donc qu’elles ne la rémunéraient plus.
Ni les permanents, ni les délégués n’eurent l’élémentaire courage de l’annoncer de vive voix aux ouvrières.

Bekaert-Cockerill
Le Front commun syndical ne reconnaît plus la grève des femmes !

Les organisations syndicales ont décidé de ne pas contester la décision de la direction de Bekaert-Cockerill, à Fontaine-l’Evêque, de licencier 13 des ouvrières en grève parce qu’elles s’estiment victimes de discrimination par rapport aux ouvriers. Le Front commun syndical F. G.T.B-C.S.C de Bekaert-Cockerill s’est réuni, jeudi.
Dans un communiqué, il rappelle que "plus de 170 heures de négociations ont conduit à l’accord du 15 octobre 1982 qui fut accepté après vote à bulletin secret par 94 % du personnel".
En outre, la commission paritaire régionale du 22 novembre 1982 a eu pour résultat d’éliminer toute discrimination.

Dès lors, estime le Front commun, compte tenu de la nécessité de préserver un maximum d’emplois à Fontaine-l’Evêque et d’éviter à tout prix de nouveaux licenciements, le Front commun syndical "décide de ne plus reconnaître la grève à partir de ce jeudi 25 novembre" et de ne plus l’indemniser.

II lance un appel à la raison à tout le personnel en vue d’apaiser le climat social et lui demande de suivre uniquement et scrupuleuse les mots d’ordre syndicaux, locaux et régionaux.
En outre, il s’insurge contre "les erreurs psychologiques commises par la direction et notamment la façon arbitraire dont tous les licenciements été effectués ".

Le Front commun conclut en appelant tous les travailleurs de Bekaert-Cockerill à être à leur poste lundi "en vue d’éviter la fermeture du siège de Fontaine-l’Evêque qui équivaudrait à un Waterloo social pour la région." 37

Ce communiqué mettait donc les femmes non licenciées dans situation dramatique puisque, si elles ne reprenaient pas le travail, elles perdaient toute indemnité de grève et risquaient d’être licencié.

Le 26 novembre, après avoir constaté qu’elles ne pouvaient plus pénétrer dans l’usine, les treize femmes licenciées se rendaient à la F.G.T.B., puis à la C.S.C.

Ayant sans doute appris que les femmes non licenciées ne pouvaient plus être solidaires des 13 [une réunion avait eu lieu la veille où elles avaient annoncé qu’elles reprendraient le travail lundi]. G. Staquet de la F.G.T.B. déclare aux femmes qu’il a démenti les appels radio [alors qu’il suppliait les non-licenciées de reprendre le travail] ce que Cammarata de la C.S.C. refuse de faire.

Aussi, le 29 novembre, jour de la reprise du travail, les femmes reçoivent chez elles un communiqué des métallos F.G.T.B. et C.S.C. de Charleroi qui fait le point sur le conflit en cours :

1. Les responsables syndicaux ont confirmé l’invitation à tous les travailleurs de reprendre le travail dès ce lundi 29 novembre en vue d’éviter la fermeture du siège de Fontaine-I’Evêque déjà durement meurtri.
2. Ils condamnent l’attitude de la Direction Générale qui, sans le moindre critère a licencié d’abord 29 travailleurs en septembre et les 13 travailleuses actuelles qui avaient particulièrement animé la grève des femmes.
3. Ils confirment leur volonté de s’opposer à toute nouvelle discrimination qu’ils entendent dès à présent contester devant les tribunaux du travail s’il le faut.
4. Ils déplorent une fois de plus la manipulation des évènements par certains médias notamment.
5. Ils assurent enfin les travailleurs et travailleuses de Bekaert-Cockerill de leur soutien le plus total.

Quant à la C.S.C., elle envoie la lettre suivante :

Chère amie,

Ce jour, nous avons eu l’occasion de rencontrer une délégation des travailleuses de Bekaert Cockerill Fontaine l’Evêque qui venait nous trouver pour avoir des informations et explications sur le comportement de la C.S.C.

Comme nous n’avions pas devant nous l’ensemble des personnes concernées, nous croyons qu’il est utile que chacune d’entre vous sache quel ont été le climat et le contenu de cette discussion.
Premièrement
Nous avons apprécié à sa juste valeur la démarche qui a été faite.
Deuxièmement
Nous considérons que le débat a été empreint d’une réelle dignité et ce, malgré les ressentiments que chacun peut avoir devant le conflit.
Troisièmement
Au nom de notre organisation, nous avons confirmé :
a) notre totale solidarité avec nos négociateurs ;
b) nous avons conseillé la reprise du travail pour lundi et ceci, d’éviter d’autres complications pour l’ensemble des travailleurs de Fontaine l’Evêque ;
c) à la question expresse de savoir si les journées des 25 et 26 novembre seraient indemnisées ?
Notre réponse est positive.
d) il nous a également été demandé ce qui se passerait lundi si :
1°. Un piquet de grève est présent et empêche les femmes de travailler.
Notre réponse : nous déconseillons formellement aux travailleuses de s’opposer au piquet de grève et, dès lors, elles seront soit chômeuses ou indemnisées pour cause de grève.
2° Au cas où la Direction provoquerait en mettant des hommes en lieu et place des femmes qui ont été licenciées
Nous avons dit que nous attendrions lundi pour voir ce qu’il en sera exactement sur le terrain et qu’en tout état de cause, nous apprécierions et nous soutiendrions le combat sous d’autres formes.
Il est donc exclu, à l’heure actuelle, de faire croire que la C.S.C. soutient ou abandonne les travailleuses de Fontaine l’Evêque.
De tout temps, notre organisation, tant sur le plan national que sur plan régional, a assumé toutes ses responsabilités.
Notre langage a été et reste clair. Nous n’avons pas cédé aux aventuriers extérieurs, car demain, ceux-ci se laveront les mains et abandonneront les victimes puisque leur objectif est de déstabiliser et de briser le mouvement syndical.
Voici le compte-rendu de notre discussion.
Bien cordialement,

F. Cammarata
Secrétaire.

Le 29 novembre ; le travail reprend à l’usine Bekaert-Cockerill.
13 femmes ne se présenteront pas à l’usine ; les autres restent embauchées à temps complet.
V. Conclusion 38

Sans doute n’est-il pas aisé de conclure de façon tranchée à propos d’une lutte dont les tenants et les aboutissants ne sont pas encore totalement connus. 39
De plus, il faut se garder d’extrapoler à travers cette expérience, des conclusions définitives qui se rapporteraient à la politique ou à la pratique du syndicalisme ou à celle du patronat belge.

Le caractère d’exemplarité de cette lutte réside sans doute moins dans des leçons globales que dans la révélation des effets spécifiques d’une structure complexe au sein de laquelle sont pris les divers acteurs sociaux.
D’une part, il est patent que la volonté du patronat de Bekaert de restructurer la production s’est déployée en jouant sur les contradictions d’ensemble de la structure : opposition inter syndicale, intra-syndicale et inter sexiste.

D’autre part du point de vue de l’organisation syndicale, la facilité avec laquelle on a accepté le temps partiel pour les femmes, et cautionné le licenciement des 13 femmes est étonnante et soulève de redoutables problèmes.

Elle atteste à tout le moins que la relation hommes/femmes, lorsqu’il s’agit de la défense d’intérêts sociaux, est grosse de contradictions y dont il importe de faire à chaque fois l’analyse précise.
Enfin, cette lutte a aussi démontré, et ce n’est pas un de ses moindres aspects, comment la combativité des femmes peut servir de révélateur à des mécanismes de domination et de pouvoir (ici, essentiellement celle des représentants syndicalistes masculins face au collectif féminin de la classe ouvrière) qui autrement seraient passés inaperçus.

Mais si les femmes de Bekaert ont finalement été vaincues, si 13 d’entre elles se retrouvent aujourd’hui au chômage, leur lutte aura cependant empêché que le temps partiel ne s’instaure comme une fatalité pour les femmes. 40

Il y a tout à parier que la résistance des femmes de Bekaert sera désormais un élément central dans la formation des stratégies patronales, gouvernementales et syndicales, en Belgique mais aussi bien au-delà.
***

Annexes (Non reproduites)

Annexe 1. La chanson des machos
Annexe 2. Extraits de la loi du 4 août 1978 sur l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes en ce qui concerne les conditions de travail et l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelle, ainsi que l’accès à une profession indépendante.
Annexe 3. Le travail à temps partiel. Position de la F.G.T.B. 5 août 1981
Annexe 4. Lettre de licenciement du 24 novembre 1982
Annexe 5. Publicité du Ministère de l’Emploi et du travail (en faveur du temps partiel). Mars 1983.
Annexe 6. Extraits de la convention du 15 octobre 1982 signée entre les organisations syndicales représentants le personnel et la Direction de Bekaert – Cockerill.
Annexe 7. Extraits de la note de la responsable nationale « Femmes » F.G.T.B. à la commission du travail des femmes sur le cas Bekaert.
Annexe 8. Lettre de Marguerite Staquet à M. le ministre du travail. 4 mars 1983.
Annexe 9. Extraits de la présentation par le Ministre du travail de la plaquette sur la nouvelle législation concernant le temps partiel.
Annexe 10. Conférence de presse au Comité de liaison de Bruxelles. 1er décembre 1982.
Annexe 11. Procès-verbal de la réunion de la Commission paritaire du 22 novembre 1982.
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Notes de bas de page
1 Sans l’amitié, l’intelligence, la disponibilité des travailleuses de Bekeart et de Concord-Lightning (Deuxième grève de femmes analysée dans ce numéro) ces articles n’auraient pas pu être écrit. M-V L
2 Ce texte a été rédigé alors que beaucoup de « zones d’ombre », tant dans l’articulation des événements que dans leur interprétation, subsistent encore. S’il pouvait contribuer à leur clarification, il aurait déjà partiellement rempli son but.
3 Ce transfert va dans le sens du déséquilibre économique croissant entre la Wallonie et la Flandre en faveur de cette dernière.
4 Ce même poste de travail sera « masculinisé » sept ans plus tard. Lorsque cette ouvrière sera « intégrée » dans le groupe de femmes devant autoritairement passer à temps partiel.
5 Des ouvrières racontent que lorsque le tour de certaines femmes venait de nettoyer, les toilettes étaient volontairement souillés par certains. « Ils nous prenaient pour des rien du tout... ».
6 La détermination des rapports de travail par voie collective est, depuis la guerre de 40-4S, une caractéristique de la législation sociale belge. Cette évolution a été sanctionnée par l’arrêté-loi du 9 juin 1945 conférant un statut légal aux commissions paritaires (composées de délégués des organisations représentatives des employeurs et des travailleurs) suivi de la loi du 5 décembre 1968 définissant le statut à la convention collective et généralisant les commissions paritaires.

La convention collective de travail est « la manifestation type de l’autonomie des partenaires sociaux ». Elle peut être conclue à divers niveaux (au sein du conseil national du travail, d’une commission paritaire ou d’une sous-commission paritaire, ou encore en dehors d’un organe paritaire, entre un employeur et son personnel). Elle peut même voir sa force obligatoire étendue par arrêté royal à tous les travailleurs qui sont dans le même ressort territorial et professionnel. (A condition d’être conclue au sein d’un organe paritaire et uniquement en ce qui concerne les obligations à l’employeur par rapport aux travailleurs). Valables pour une période déterminée (un an en général) les conventions comportent d’une part des dispositions normatives collectives (par exemple, l’organisation d’une procédure de conciliation en cas de conflits sociaux) et individuelles (par exemple des nonnes relatives aux conditions de travail qui modifient automatiquement les contacts de travail individuels) d’autre part des dispositions dites obligatoires qui ne s’appliquent qu’aux organisations d’employeurs de travailleurs et aux employeurs parties à la convention. J. Piron et P. Denis, Le droit des relations collectives du travail en Belgique, Bruxelles, Larcier, 1970, p. S
7 Le cas de la prime syndicale est particulièrement pertinent : les adhérents syndicaux mensuellement (à moins que la cotisation ne soit prélevée à la source par le patronat cotisations syndicales, tandis que le patronat ristourne en fin d’année l’équivalent des e tions aux syndiqués (dans certains cas, cette ristourne peut être même supérieure au me de leur cotisation ! ), sous forme de « prime syndicale ».

En soutenant ainsi la « fidélité, cale », le patronat dispose d’un moyen de pression d’une extraordinaire efficacité.
8 Les autres travailleurs ont recours à des organismes publics, les caisses auxiliaires de ment des allocations de chômage (C.A.P.A.C.).
9 Cf., B. Graulich et M. Neve, Les droits et obligations du chômeur, Paris, F. Nathan, Bruxelles, Labor, 1980, p. 273-274
10 Equivalent de l’ANPE.
11 La rémunération des jours de grève est d’autant plus élevée que le conflit se prolonge ; alors que le salaire moyen brut à Bekaert est d’environ I.400F/jour, les grévistes touchaient 500 F/jour au début du conflit pour atteindre 9OOF à la neuvième semaine de grève.
12 "Personnes sauvées par la proposition " selon le texte patronal.
13 Salvatore Calo - délégué C.S.C. Cette analyse a été confirmée par le patronat lors de la commission paritaire du 22 novembre.
14 Souligné par moi.
15 La commission ou la sous-commission paritaire peut créer en son sein un bureau de conciliation pour prévenir ou concilier tout litige entre employeurs et travailleurs. Cf., Piron et P. Denis, Le droit des relations collectives du travail en Belgique. Ed. Larcier, Bruxelles, 1970, p. 105.
16 Les conciliateurs sociaux ont pour mission :

 De veiller à prévenir des conflits sociaux et de suivre le déclenchement, le déroulement et la conclusion de tels conflits ;

 D’exercer toute mission de conciliation sociale ;

 De maintenir un contact permanent avec les organisations professionnelles des employeurs et des travailleurs et avec les inspecteurs et les contrôleurs sociaux du Ministère de l’Emploi et du Travail ;

 D’établir tout rapport concernant les relations sociales dans une industrie, un secteur d’industrie ou une entreprise déterminée. Ils peuvent, en outre, être chargés de la présidence de commissions paritaires.

Cf., J. Piron et P. Denis, Le droit des relations collectives du travail en Belgique, éd. Larcier, Bruxelles, 1970, p. 106).
17 De plus, "les conciliateurs sociaux exerçant leurs fonctions auprès du Ministère de l’Emploi et du Travail surveillent l’exécution de la loi et de ses arrêtés d’exécution dans tous les lieux, établissements et installations". (Art. 1 de l’arrêté royal du 27 novembre 1978). Loi du 5 décembre 1958, art. 9.
18 Loi du 5 décembre 1958. Art. 9
19 Interpellé à la Chambre des représentants, début mars 1983, par Madame Spaak, parlementaire F.D.F. (Front Démocratique des Francophones), sur la responsabilité gouvernementale dans le cas Bekaert-Cockerill, M. Hansenne, Ministre de l’Emploi et du Travail a récusé les accusations dont il était l’objet. Concernant la responsabilité du conciliateur social, et donc indirectement celle du gouvernement, le ministre a estimé que celui-ci n’étant "qu’un prête porte-plume aux parties concernées. Celui-ci ne pouvait être accusé de faute".

Quant au fait que l’Etat soit propriétaire de Bekaert-Cockerill à 50 % , M. Hansenne insiste sur le fait que, si le capital d’Etat est certes majoritaire, l’entreprise possède néanmoins "une personnalité juridique particulière et une responsabilité propre."

(Compte rendu analytique. Débats à la Chambre des représentants, 1983, p. 562.)
20 " L’inspecteur régional de l’O.N.E.M. s’inquiète notamment de constater que le schéma devient classique : L ’employeur constate que, pour survivre, il faut licencier du personnel. Dès l’annonce, il y a grève et occupation, puis négociations. Finalement, il y a accord sur un nombre réduit de licenciements et de pré-pensions. Et de faire travailler alternativement par l’instauration systématique et par roulement d’un chômage partiel d’ordre économique. Ne s’agirait-il pas de temps réduit et non pas de chômage partiel économique ? (P.V. du 20 octobre 1982).

Ce que l’inspecteur régional de l’O.N.E.M. remet en cause ici, c’est tout le problème de la politique patronale de transfert à l’Etat de ses coûts indirects.
21 Madame Spaak, parlementaire F.D.F ( Front démocratique des francophones) a, quant à elle, mis en doute "la bonne volonté du gouvernement dans ce problème". Dans son interpellation à la Chambre, celle-ci a rappelé l’existence de mesures discriminatoires préalables faisant référence à l’état matrimonial ou familial :

 L’introduction de la notion de ’cohabitant’ pour le calcul du taux d’allocation chômage.

 Les instructions données à l’ONEM de poursuivre en cas de chômage ’anormalement long’ d’abord les non chefs de ménage. [Parmi les chômeurs, sur 100 personnes (considérées comme ) co-habitants, 85 sont des femmes et sur 100 (personnes considérées comme) "chefs de ménage ", 95 % sont des hommes. Le résultat est que fin décembre 1981, sur 9.400 exclusions pour chômage ’anormalement’ long, 9.000 concernait des femmes.

 L’existence de clauses prévoyant une priorité à l’embauche pour les jeunes chefs de ménage dans les récentes conventions sur le partage du travail.
22 C’est exactement ce que le bureau de conciliation avait recommandé le 17 août - bien avant donc la proposition syndicale et le conflit qui s’en suivit - mais pour l’ensemble du personnel de l’usine !
23 En France la procédure est différente ; il faut pour "passer" au temps partiel signer un avenant au contrat de travail à temps plein.
24 "On est motivées ou pas !" disaient les délégués aux ouvrières.
25 Les délégués syndicaux, après avoir poussé les femmes à faire grève ont progressivement disparu de leur local pour ne plus y revenir.
26 La personnalité ouvrière la plus marquante, la plus forte, la femme emblématique de cette grève.
27 A la suite de cette A.G., Marguerite Staquet s’est vue menacée par téléphone par le permanent C.S.C.. - le même qui lors de la commission paritaire dénoncerait la discrimination dont les femmes étaient l’objet ! - syndicat auquel elle appartenait jusque-là. Celui-ci lui a dit : "Si tu fais encore bouger les femmes, on les licencie toutes."
28 Texte lu à la soirée de solidarité aux femmes de Bekaert. 29 janvier 1983.
29 Cf. ,note p. 159.
30 Remise du prix "Femmes de l’année" aux 13 femmes licenciées de Bekaert.
31 "Vous vous rendez compte ! On n’est pas plus bêtes qu’eux ! Dans les 13 hommes, ils vont mettre les 13 maris des femmes licenciées ! Mais ce n’est pas ce qu’on veut ! Ce n’est pas ça la solution !"

Et pourtant, une anecdote racontée par Marguerite Staquet montre bien que les hommes, eux aussi, avaient été ébranlés et avaient du mal à maintenir une logique de machisme dur : "Il y avait une petite Italienne licenciée à qui son mari avait interdit même de signer une pétition ; on lui avait même amenée chez elle pour qu’elle n’ait plus qu’à signer. Son mari nous a dit : ’J’aimerais mieux qu’elle perde tout ce qu’elle a’ et elle n’a pas signé.

À la fête de solidarité, je ne m’attendais vraiment pas à la voir. Marcelle Hoens (responsable Femmes nationale F.G.T.B.) m’a offert 13 roses rouges.

Moi j’en ai offert une à chacune de mes filles, et à un moment donné, on m’a dit : "La petite Anna est là."

Alors j’ai cherché dans la salle et j’ai trouvé que c’était formidable, c’est son mari qui m’a fait signe !

Alors je suis allée et je lui ai offert une rose, comme si elle avait toujours fait partie des treize.. Et j’ai vue qu’elle a été très émue et ça m’a touchée ... Elle a été licenciée comme nous."
32 Nous nous appuyons pour ce paragraphe uniquement sur le cas de la F.G.T.B. ; d’abord parce que c’est au sein de ce syndicat que la lutte a été le plus pris en charge et qu’elle a suscité le plus de débats ; ensuite, parce que des permanentes ont aimablement accepté de raconter comment le cas Bekaert avait été posé dans leur organisation. Néanmoins, il semble que la permanente C.S.C. ait subi de la part de son organisation des pressions pour qu’elles ne prennent pas en charge le cas posé par les femmes de Bekaert.
33 Lors de l’A.G. du 15 novembre, les ouvriers avaient en effet demandé qu’elle soit sur la liste syndicale pour les prochaines élections sociales.
34 Cf., le compte rendu in extenso reproduit en annexe XI.
35 La Nouvelle Gazette de Charleroi, 26 novembre 1982.
36 1er décembre, Conférence de presse au Comité de Liaison de Bruxelles. (Cf., annexe X)
37 Le Journal de Charleroi, 26 novembre 1982.
38 Ajout. Mai 2003. À la relecture, cette conclusion m’apparaît comme inappropriée par rapport à ce que cette lutte a révélé et dénoncé. Elle ne s’interroge pas non plus sur l’éclatement des concepts traditionnellement considérés comme opératoires notamment dans l’analyse des luttes sociales : classe ouvrière, démocratie, unité syndicale, représentativité syndicale…Sans même évoquer la profondeur de l’opposition des syndicalistes au travail salarié des femmes et leur mépris à leur égard.
39 Cette analyse a été rédigée avant l’été 83.
40 A cet égard, l’article que j’avais rédigé en 1982 avec Jocelyne Loos dans les Temps Modernes : " Femmes, travail et temps partiel" me paraît aujourd’hui devoir être revu à la lumière du cas Bekaert.

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