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Depuis décembre 2008, grève des enseignants de Côte d’Ivoire

vendredi 16 janvier 2009, par Robert Paris

Interview d’un responsable syndical :

Depuis le 21 décembre 2008, le Syndicat national autonome des enseignants chercheurs (SYNADEC) est en grève. Comment en est-on arrivé là ?

• Effectivement, nous avons déclenché un mouvement de grève depuis le 21 décembre à la suite du dépôt d’une plate-forme revendicative le 17 juillet 2008, qui n’avait pas du tout fait l’objet d’un examen de la part des autorités. Et ce, malgré des actions répétées pour faire des pressions. Quand nous avons analysé les actions que le gouvernement a menées par rapport à nos revendications, nous avons compris qu’elles ont été ramenées à la seule et simple question de la dette sociale à payer alors que nos préoccupations ont porté sur trois points : le premier concerne la revalorisation du statut de l’enseignant-chercheur. Le 21 novembre dernier, nous avons publié dans la presse une grille comparative des rémunérations.

Tout le monde a remarqué que nous travaillons dans des conditions très difficiles. C’est dire que notre statut est le principal de nos revendications ; la question de la dette sociale, le 2e point, est moins un problème de revendication qu’une simple réclamation de dette. L’opinion ne sait pas toujours ce qui se passe à l’université, l’enseignant est astreint à un volume horaire annuel avec un salaire à la fin du mois.

Mais, pour que la formation universitaire soit complète, il est obligé de prendre un travail supplémentaire et de poser un certain nombre d’actes. Ceux-ci ont été accumulés depuis des années et n’ont pas été payés. En 2000, le gouvernement a consenti à augmenter les indemnités de logement et de suggestion en 2005 au plus tard pour tous les agents de la fonction publique. Finalement, tout le monde en a bénéficié sauf les enseignants du supérieur.

Cette situation, inexplicable, relève de l’injustice. C’est pour cela que nous avons inclu ce point dans la dette ; le 3e point concernait les assises pour faire face à la crise structurelle. Pour nous, tous les acteurs doivent se retrouver pour identifier tous les problèmes qui bloquent la vie de l’institution universitaire. Le président Blaise Compaoré lui-même, quand il battait campagne en 2005, a mis le problème de la valorisation des ressources humaines au centre de la campagne.

Et depuis sa réélection, il n’a cessé de parler de cette question. Quand on parle de valorisation des ressources humaines alors que ceux-là même qui forment ces ressources humaines ne sont pas valorisés, il se pose un problème. Figurez-vous, un étudiant que nous avons formé en maîtrise qui travaille dans un projet ou dans une ONG a 3 fois notre salaire.

Ça pose le problème du statut de l’enseignant dans la société. Cette grève s’explique donc par cette situation et nous exigeons que le gouvernement tienne parole. Dernièrement, le président du Faso a redit aux jeunes à Bobo-Dioulasso qu’il met l’accent sur la valorisation des ressources humaines. Celles-ci sont au centre du processus de développement.

C’est pourquoi les Américains ont raflé toutes les ressources humaines qualifiées en Caraïbes et se sont retournés maintenant vers l’Afrique avec leur système de visa. La formation des ressources humaines fait partie de la production nationale comme étant un produit d’exportation. Les pays où on n’en a fait qu’un simple discours seront éternellement en recul.

Après trois semaines de mouvement, quelle est la situation sur le terrain ?

• Il faut dire qu’il n’y a pas de reprise en tant que telle sur le campus à l’exception de l’UFR/SEA (NDLR unité de formation et de recherche en sciences exactes et appliquées), où les enseignants ont délibéré et commencé les cours ; dans toutes les 5 autres plus grandes UFR, la mobilisation est totale. Et les collègues ne se mobilisent pas pour un problème de dette, mais parce qu’ils ont fait le pari de régler cette question du statut de l’enseignant.

Le mot d’ordre n’est pas suivi par l’UFR/SEA : est-ce qu’elle s’est désolidarisée de la lutte ?

• Nous sommes en démocratie, dans une lutte, surtout syndicale, il y en a qui s’engagent et d’autres, même s’ils sont concernés, donnent l’impression qu’ils ne le sont pas. A l’université, il y a trois syndicats. Il y en a qui ne sont pas de notre structure mais se sont mobilisés avec nous. L’UFR/SEA est l’UFR d’origine du président de l’université, il y a le non-respect du mot d’ordre, même si nos collègues nous encouragent.

L’année 2008 a été très éprouvante pour la communauté universitaire en particulier les étudiants ; est-ce qu’il ne faut pas mettre un peu d’eau dans votre vin pour alléger la souffrance de ceux-ci ?

• Je crois qu’il ne faut pas poser le problème en termes de souffrance des étudiants. Ils ont été les premiers à enclencher les mouvements de grève. En 2006-2007, ils ont fait une grève de 2 mois, ce qui a obligé les autorités à prolonger l’année et nous avions été obligés de sacrifier nos vacances pour sauver l’année, et l’an passé, ils ont repris le mouvement dans deux UFR.

Ils sont conscients de ce qu’ils veulent ; ils ont mis tous les moyens en jeu, et les autorités, de façon souveraine, ont fermé l’université. Qu’on rouvre l’université ; nous, qui avons posé un problème depuis longtemps, si le gouvernement essayait de nous recevoir assez tôt, aujourd’hui nous n’en serions pas là.

En matière de grève, il n’y a pas d’états d’âme. Nous sommes des fonctionnaires, en toute légalité, nous avons le droit d’aller en grève et d’exiger la satisfaction de nos revendications. Les étudiants eux-mêmes prennent de plus en plus conscience de nos conditions de travail. Ils sont partenaires dans la résolution de la grande problématique, à savoir le devenir de l’enseignement supérieur au Burkina Faso.

C’est depuis longtemps que les enseignants consentent des sacrifices pour transmettre le savoir aux futurs bâtisseurs de notre pays. Est-ce que vous êtes arrivés à un stade où vous ne pouvez plus continuer dans ces conditions ?

• Tout est question de manière et de méthode. Nous avons déposé une plate-forme revendicative. Les autorités n’ont pas senti la nécessité d’y réagir vite. Vous comprenez notre déception. Les députés ont compris vite que si le SYNADEC met à exécution sa menace, il y aura danger pour la nation. Voilà pourquoi ils ont joué le rôle de médiateur et ont reconnu que la satisfaction de notre plate-forme ne connaît pas de difficultés.

Ils nous ont simplement exhortés à en repousser la date buttoir. Nous avons dit qu’il faut d’abord payer la dette sociale, ce qui va nous permettre de reprendre les cours, quitte à ce que le gouvernement nous invite dans le mois de septembre à négocier la question de notre statut.

Malgré notre bonne volonté, le gouvernement n’a pas daigné nous écouter, c’est seulement le 27 décembre que nous avons été reçus, alors que le préavis de grève a été déposé le 5 du même mois. Pour nous, on nous a royalement méprisés. Quand on méprise un homme dans son honneur et dans sa dignité, il devient un fauve furieux.

Il y a eu de nouveau une rencontre entre vous et les autorités le 12 janvier. Est-ce que vos points de vue se rapprochent ?

• Parlons d’abord de la rencontre du 27 décembre : les autorités ont souhaité que nous analysions d’abord la dette sociale. Nous avons relevé que celle-ci n’était pas payée en entier, et un autre rendez-vous a été fixé pour le 12 janvier dans l’espoir que cette question soit, dans l’intervalle, réglée.

Curieusement, avant cette rencontre, le gouvernement a dit dans la presse que la dette sociale est entièrement payée. Le 12 janvier, lorsque nous nous sommes rencontrés, il y avait deux points : le premier, c’était le paiement de la dette, et tout le monde a constaté que, contrairement au communiqué des autorités, cela reste à faire. La partie gouvernementale en était même gênée. Le dernier chèque, de 299 millions, ne pouvait payer que les heures complémentaires, il restait la vacation et un autre chèque a été signé pour cela.

Il restait 117 millions pour payer les heures supplémentaires, et c’est aujourd’hui (NDLR : le 14 janvier) que le paiement a commencé. Mais notre déception a été grande, puisque le montant total des heures complémentaires, c’était 151 millions, or on n’a eu que 177 millions, et le reliquat de toute la dette, c’est 150 millions.

Vous voyez qu’on a tenté de payer une partie de la dette et non toute la dette. A l’évaluation, les enseignants diront que c’est le logement qui est réglé. La prime de rendement qu’on a payée ne fait pas partie de la dette.

C’était le président Odile Nacoulma qui l’a instituée en conformité avec les textes, nous n’insistons pas là-dessus comme sur le paiement de notre travail. Les soutenances des travaux de recherche, les copies supplémentaires, les jurys d’examen et bien d’autres actes académiques de 2006-2007 et de 2007-2008, il faut chercher de l’argent quelque part pour les payer.

Lorsque nous nous sommes rendus compte que ce point n’était pas réglé, le gouvernement nous a donné rendez-vous ce soir (NDLR : 14 janvier) pour refaire le point. Mais il reste le point le plus important qui est la revalorisation. Sur ce point, le gouvernement a dit qu’il nous convie le 16 mars 2009 à des négociations.

Quand on est en grève, et qu’on place la date des négociations dans deux mois, on se demande si on veut réellement résoudre le problème. Pour nous, il faut que cette date soit fixée avant la fin du mois de janvier. Il y va de la responsabilité de tous : nous avons la responsabilité de sauver l’année 2007-2008 et de commencer celle de 2008-2009 et le gouvernement a aussi la responsabilité de jouer le jeu.

Au cas où on réglerait la dette tout en rapprochant la date des négociations, est-ce que le mot d’ordre sera suspendu ?

• Les procédures financières sont longues, donc il vaut mieux pour le gouvernement fixer au plus tôt la date des négociations en attendant que les procédures du paiement de la dette soit engagées. Comme cela, d’ici qu’on tombe sur un accord, les procédures peuvent aboutir, et à ce moment, nous n’aurons plus de raisons de maintenir notre mot d’ordre de grève.

Propos recueillis par Abdou Karim Sawado

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