Accueil > 04 - Livre Quatre : HISTOIRE CONTEMPORAINE > 02- La deuxième guerre mondiale et l’alliance impérialisme/stalinisme contre (…) > Révolution politique et sociale dans les colonies à la fin de la deuxième (…)
Révolution politique et sociale dans les colonies à la fin de la deuxième guerre mondiale
dimanche 27 avril 2025, par
Révolution politique et sociale dans les colonies à la fin de la deuxième guerre mondiale
Indonésie
C’est en Indonésie que la révolution a commencé. Août 1945 au départ des japonais, quand les Hollandais à peine ressortis de prison veulent remettre en place la dictature coloniale, les indépendantistes et les staliniens d’Indonésie prennent les armes et le pouvoir.
Ils proclament immédiatement l’indépendance mais ils ne parviendront à virer complètement le colonialisme hollandais qu’en 1949. Le courant nationaliste bourgeois de Soekarno, le parti national, est loin d’être le seul. Bien que décapité par une répression féroce des hollandais lors de l’insurrection de 1928 le PKI, le parti communiste est au moins aussi puissant et beaucoup plus influent dans la classe ouvrière. Sa stratégie est le soutien total à Soekarno au point que le parti communiste met toute son énergie freiner la lutte des ouvriers et des paysans, à empêcher les occupations d’usines, et de terres des plantations étrangères et des grands propriétaires, à justifier le rachat des propriétés nationalisées par l’Etat, à justifier le désarmement des travailleurs et la formation de l’armée bourgeoise. Rapidement les forces nationalistes se trouvent circonscrites dans l’île de Java, la plus peuplée. Mais même là, une insurrection populaire partie de Madium conteste le pouvoir de Soekarno.
Le parti communiste, bien que réticent à mener une politique offensive contre la bourgeoisie nationaliste, est porté à la tête de l’insurrection par les masses populaires. Celle-ci fut noyée dans le sang par l’armée de Soekarno et les militants du parti communiste sont pourchassés. Un avant goût de ce qui allait se passer des années plus tard où cette même armée assassinera le parti communiste indonésien qui était le plus grand parti communiste de tous les pays du bloc non communiste, faisant en trois mois un véritable massacre, des centaines de milliers de victimes, dans les rangs de ce parti qui comptait 15 millions de membres en comptant toutes les associations qu’il dirigeait. Un parti communiste qui avait pourtant été à nouveau un soutien sans faille au régime nationaliste qui cependant n’était qu’une féroce dictature qui s’est contentée de faire passer l’exploitation pétrolière de la compagnie Shell à la Standard Oil et de surexploiter violemment la population.
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article448
En Indonésie, il a fallu écraser pendant plusieurs semaines Sourabaya sous les bombes, en massacrant des milliers de femmes et d’enfants, pour venir à bout de la résistance des travailleurs. Maintenant, "la situation se gâte à l’intérieur de Java" (Monde, 30-11-45). Et cela, malgré que le gouvernement hollandais ait "apprécié l’esprit de conciliation qui se fait jour, soit dans le cabinet Soekarno, soit dans d’autres milieux républicains influents" (Monde, 30-10-1945).
A Calcutta, pour protester contre le procès fait aux officiers de l’"Armée Nationale Indoue", "20.000 employés des services publics se sont mis en grève" (Monde, 24-11-45) ; "les manifestations organisées par les étudiants... ont fait 300 victimes civiles. Quarante policiers et 26 soldats américains ont, en outre, été blessés" (Monde, 27-11-45). Et cela, malgré Gandhi et sa théorie de la non-violence.
https://www.marxists.org/francais/barta/1945/12/ldc55_120145.htm
https://www.marxists.org/francais/malakka/works/1948/05/malakka1.htm
La révolution indonésienne est politique, sociale et nationale
C’est la révolution en Indonésie ! Dans le journal communiste L’Humanité, une brève, le 29 septembre 1945 : "Vers l’indépendance de l’Indonésie. Batavia, 28 septembre. Le mouvement d’indépendance déclenché il y a quelques jours à Java tend à gagner toute l’Indonésie. Il a l’appui des masses ouvrières d’Australie qui ont organisé de nombreuses manifestations dans les grandes villes de l’île." Java, les Pays-Bas, l’Australie, et plus loin encore : la révolution indonésienne, c’est une histoire mondiale !
Qu’est-ce qu’une révolution en contexte colonial ? Se révolter pour renverser l’ordre établi est une chose, se révolter contre une puissance coloniale en est une autre… La révolution indonésienne répond à un double enjeu, puisqu’elle procède à la fois d’un mouvement nationaliste et républicain, et d’une volonté d’indépendance face au pouvoir colonial.
https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_nationale_indon%C3%A9sienne
De 1948 à 1965, l’Indonésie est le théâtre de plusieurs mouvements insurrectionnels.
En 1948, des militaires sympathisants du Partai Komunis Indonesia (PKI, le parti communiste indonésien) occupent la ville de Madiun à Java oriental. L’insurrection sera réprimée en deux semaines.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l%27Indon%C3%A9sie#Occupation_japonaise_des_Indes_n%C3%A9erlandaises_et_proclamation_de_l’ind%C3%A9pendance_de_l’Indon%C3%A9sie_(1942-1945)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Parti_communiste_indon%C3%A9sien
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article1825
La révolte des Papous d’Indonésie
https://www.nationalgeographic.fr/histoire/2022/10/en-indonesie-la-revolte-meconnue-des-papous
Inde-Pakistan
En Inde la direction incontestée de la bourgeoisie nationale est le parti du congrès de Gandhi. Sa position est caractéristique vis à vis de la classe ouvrière : aucune indépendance syndicale. Ainsi la seule organisation syndicale qui lui soit liée, celle des ouvriers du textile d’Ahmedabad qui lui sont liées, est organisées syndicalement au sein du parti séparément du reste du mouvement ouvrier qui appartient à une fédération unifiée regroupant tous les autres syndicalistes des staliniens aux réformistes et aux militants radicaux. Le mouvement ouvrier organisé compte autant de membres que le parti du congrès soit 400 000 membres chacun en 1935. Mais plus la revendication politique devient prépondérante, plus la distance s’accroît en faveur de la formation nationaliste bourgeoise faute d’une politique du mouvement ouvrier. Directement lié aux propriétaires fonciers, industriels et commerçants, le parti du congrès est réticent à inclure toute mesure sociale y compris un programme agraire dans ses revendications ce qui laisserait une énorme marge pour un mouvement ouvrier révolutionnaire afin de s’adresser à une paysannerie en révolte. Tout mouvement à caractère révolutionnaire contre l’impérialisme anglais déborderait inévitablement le mouvement politique bourgeois puisque celui-ci s’interdit toute insurrection armée contre les anglais. Le mouvement nationaliste de Gandhi appelle les masses au pacifisme sous des prétextes philosophiques. N’oublions pas que cette philosophie n’avait pas empêché Gandhi de choisir d’appeler les Indiens à soutenir l’effort de guerre de l’impérialisme britannique pendant la première guerre mondiale. Par contre, la montée du mouvement indépendantiste avant guerre va le contraindre à une position plus radicale. En octobre 1939, 90 000 ouvriers d’industrie de Bombay participent à une grève politique contre la guerre qui va obliger le parti du congrès à une petite déclaration de non coopération à la guerre aux côtés des anglais. C’est seulement en 1941 qu’il peut à nouveau offrir sa coopération à l’effort de guerre anglais. Mais, de 1942 à 1944, l’impérialisme anglais ne veut qu’écraser le mouvement nationaliste et pratique des arrestations massives de ses dirigeants comme des militants plus radicaux. Et ce jusqu’à la fin de la guerre. C’est pour négocier avec eux de leur donner le pouvoir à l’indépendance que l’impérialisme anglais les fait libérer en 1945. L’année 1946 est marquée par la montée des luttes ouvrières et par une véritable maturation révolutionnaire qui débute par une mutinerie militaire. Les marins d’une caserne d’entraînement de Bombay manifestent leur mécontentement le 18 février 1946. Le lendemain il s’agit déjà d’un véritable soulèvement de plus de 20 000 marins casernés à Bombay et de 20 bâtiments ancrés dans le port. Les marins soulevés élisent un comité central de grève. Et à Karachi des troubles semblables se produisent. Face à la menace de répression violente le comité central de grève de la flotte en appelle aux travailleurs. Le parti du congrès et la ligue musulmane, les organisations indépendantistes de la bourgeoisie refusent leur soutien au soulèvement. Les 22 et 23 février la bataille fait rage dans Bombay où la population ouvrière qui a pris le parti des mutinés est violemment réprimée : 250 morts. Parti du Congrès et Ligue musulmane contraignent finalement les marins à se rendre et le comité de grève déclare : « nous nous rendons à l’Inde mais pas à l’Angleterre ». Les mutins sont sévèrement condamnés par les partis bourgeois. Gandhi les traite de « racaille » et de combinaison impie d’hindous et de musulmans ». Les dirigeants musulmans déclarent que la flotte doit être disciplinée. C’est là le point commun que ces partis bourgeois ont avec l’Angleterre : la crainte commune du déclenchement d’un mouvement de masse révolutionnaire. Et cela alors qu’ont lieu aussi des troubles dans l’armée anglaise des Indes.
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article91
L’année 1946 est marquée par la montée des luttes ouvrières et par une véritable maturation révolutionnaire qui débute par une mutinerie militaire. Les marins d’une caserne d’entraînement de Bombay manifestent leur mécontentement le 18 février 1946. Le lendemain il s’agit déjà d’un véritable soulèvement de plus de 20 000 marins casernés à Bombay et de 20 bâtiments ancrés dans le port. Les marins soulevés élisent un comité central de grève. Et à Karachi des troubles semblables se produisent. Face à la menace de répression violente le comité central de grève de la flotte en appelle aux travailleurs. Le parti du congrès et la ligue musulmane, les organisations indépendantistes de la bourgeoisie refusent leur soutien au soulèvement. Les 22 et 23 février la bataille fait rage dans Bombay où la population ouvrière qui a pris le parti des mutinés est violemment réprimée : 250 morts. Parti du Congrès et Ligue musulmane contraignent finalement les marins à se rendre et le comité de grève déclare : « nous nous rendons à l’Inde mais pas à l’Angleterre ». Les mutins sont sévèrement condamnés par les partis bourgeois. Gandhi les traite de « racaille » et de combinaison impie d’hindous et de musulmans ». Les dirigeants musulmans déclarent que la flotte doit être disciplinée. C’est là le point commun que ces partis bourgeois ont avec l’Angleterre : la crainte commune du déclenchement d’un mouvement de masse révolutionnaire. Et cela alors qu’ont lieu aussi des troubles dans l’armée anglaise des Indes. Les tommies qui veulent rentrer plus vite et sentent que ça va chauffer manifestent pour rentrer plus vite en Angleterre que ce soit à Delhi ou dans l’Uttar Pradesh. Au même moment, les luttes grévistes des travailleurs sont au point le plus élevé jamais atteint avec la grève insurrectionnelle de deux millions de travailleurs dans un climat de tension extraordinaire.
Pour faire diversion ces formations nationalistes, la Ligue musulmane et le Hindu Masahabha, organisent des manifestations d’opposition inter-ethnique, principalement dans le Bengale et dans le Bihar avec des heurts sanglants entre les communautés religieuses. La Ligue musulmane annonce qu’elle réclame la partition du pays sur des bases religieuses hindous d’un côté et musulmans de l’autre. Cette idée a été en fait discutée par la Ligue à Londres et c’est l’impérialisme anglais qui en a fait lui-même la suggestion pour détourner le mécontentement.
Malgré la répression et malgré les diversions racistes, dans les mois qui suivent, le pays plonge dans le soulèvement et le chaos. Dans des régions entières, plus personne n’obéit plus à l’administration colonialiste. Dans ces conditions, l’Angleterre accélère à toute vitesse le plan d’accession à l’indépendance. Signé début juillet 1947, le plan de partage en Inde et Pakistan, est adopté le 18 juillet et le nouveau pouvoir installé le 15 août 1947. On n’aura jamais vu un pouvoir colonial aussi pressé de donner sa place !
La menace prolétarienne en Inde était tout ce qu’il y a de plus sérieuse. Les salariés représentaient 55% de population des villes et les travailleurs indépendants n’exploitant personne 32% alors que les employeurs n’y étaient que 1%. L’essentiel du prolétariat travaillait dans de grandes entreprises industrielles et près des trois quarts vivaient dans de très grandes cités. Et la lutte s’est déroulée essentiellement dans les villes. Il y aurait eu pour une révolution prolétarienne un énorme potentiel de soutien d’une paysannerie très exploitée et révoltée. L’influence de la grande bourgeoisie sur le petite et moyenne était faible et c’est l’absence politique des travailleurs alors que les possédants ont eu des dirigeants de haut niveau capables d’unir toutes les classes possédantes indiennes qui a permis aux grands propriétaire, banquiers et grands commerçants de tenir le haut du pavé. Le parti communiste indien ne risquait pas de représenter même de manière déformée une politique de classe pour les travailleurs, lui qui proclamait vouloir « un gouvernement de démocratie populaire qui sera celui de tous les groupes, individus et partis démocratiques représentant les ouvriers, les paysans, les classes moyennes et la bourgeoisie nationale, celle qui est favorable à une véritable industrialisation du pays et à l’indépendance de l’Inde ». Pour se donner un visage plus radical que celui qu’il a eu au moment de l’indépendance, le parti communiste soutient un soulèvement paysan armé de deux régions en 1948 l’Andhra et Telengana où sur un territoire de 4000 km² 2000 villages sont organisés en comités populaires, soulèvement qui est réprimé dans le sang par la nouvelle armée de l’Inde indépendante, en guise d’avertissement aux couches populaires. La classe ouvrière a très vite eu à s’opposer à ce nouveau pouvoir avec notamment une grande grève générale de la ville de Calcutta.
Et l’absence d’une politique ouvrière indépendante n’est pas due à l’absence de soutien qu’il rencontrerait dans la population. Ainsi aux premières élections générales en Inde, le parti communiste recueille quand même plus de 6 millions de voix et quatre autres groupes se réclamant de l’extrême gauche font respectivement 2,5 millions de voix, 1,1 millions, un million et 400 000 voix à rajouter aux 22, 8 millions de voix obtenues par l’opposition socialiste et communiste.
La formation en Grande-Bretagne d’un gouvernement travailliste, à la suite des élections de l’été 1945, n’accélère pas l’accession de l’Inde à l’indépendance. (…)
Les premiers mois de l’année 1946 sont marqués par deux événements qui influencent sérieusement l’évolution à venir : la tenue des élections aux assemblées législatives et d’importants soulèvements dans la Royal Indian Navy. Aux élections aux assemblées provinciales (élections toujours tenues sur une base censitaire et auxquelles ne peuvent participer que 11% de la population), le Congrès obtient 930 sièges (et 55,5 ù des voix) et la Ligue musulmane obtient 427 des 507 sièges destinés aux musulmans. (…) ces élections mettent en lumière le caractère « représentatif » de ces organisations mais ne suffisent pas à inciter le gouvernement britannique à prendre l’initiative de nouvelles discussions sur le problème de l’indépendance indienne. Cependant, depuis de longs mois, on assiste à une maturation révolutionnaire qui est accélérée par l’action syndicale et ouvrière. Le 18 février les marins d’un centre d’entraînement de Bombay manifestent leur mécontentement, nombre de leurs doléances n’étant pas satisfaites depuis longtemps. Dès le 19 au matin, on est en présence d’un véritable soulèvement auquel participent plus de 20 000 marins casernés à Bombay et dans ses environs ainsi que 30 bâtiments à l’ancre dans le port. Les marins soulevés élisent un Comité central de grève. (…)
Le 21 février au matin, la bataille s’engage. Le Comité central de grève de la Flotte fait appel au soutien de la population et des organisations politiques. Le Congrès et la Ligue musulmane se refusent à apporter tout soutien aux marins ; par contre, les syndicats de Bombay et le parti communiste leur apportent leur concours et décident d’une grève générale qui commence effectivement le 22 février. Les 22 et 23 février, la bataille fait rage dans Bombay et une répression, massive et brutale, s’abat sur la population, faisant plus de 250 morts. Le Congrès et la Ligue font alors pression sur le Comité central de grève pour que les marins se rendent. Le Comité central de grève décide finalement de céder, en déclarant : « Nous nous rendons à l’Inde, non à l’Angleterre. » Gandhi condamne sévèrement la « combinaison impie » des hindous et des musulmans qui, si elle avait triomphé aurait « livré l’Inde à la racaille », tandis que Valabhbhai Patel déclare que « la flotte doit être disciplinée. » Ainsi se confirme la volonté de la direction du Congrès d’éviter le déclenchement ou l’expansion d’un mouvement de masse qui pourrait mettre en cause non seulement la domination étrangère mais le régime social.
A partir de la mi-août 1946, les heurts sanglants entre les communautés religieuses se multiplient, principalement au Bengale et dans le Bihar. A l’action de la Ligue musulmane, les organisations politico-religieuses hindoues, et principalement le Hindu Mahasabha qui, dans cette situation, reprend des forces, répondent également par la violence.
Parallèlement, les luttes revendicatives se développent, englobant près de 2 millions de travailleurs dans des mouvements de grève. Un tel chiffre n’avait jamais été atteint jusque là.
C’est dans ces conditions que le vice-roi décide de constituer le premier gouvernement intérimaire. Celui-ci entre en fonctions le 2 septembre 1946. Il est dirigé par Jawaharlal Nehru, Premier ministre. (…) La situation est telle que l’Assemblée constituante décide de s’ajourner jusqu’à avril. La formation du gouvernement intérimaire, en effet, n’a pas mis fin à la détérioration de la situation intérieure. En dépit de la répression massive et de milliers d’arrestations, le pays glisse vers le chaos et l’administration elle-même cesse par endroits de fonctionner. (…)
Le 20 avril 1947, alors que la situation intérieure indienne se détériore rapidement, le Premier ministre britannique, Clément Attlee, déclare que le gouvernement de sa Majesté est « décidé à prendre les mesures nécessaires pour transférer le pouvoir en des mains indiennes responsables, au plus tard en juin 1948. » En même temps le Premier ministre annonce (…) que lord Mountbattent est nommé vice-roi de l’Inde en remplacement de lord Wavell. Lord Mountbatten, aussitôt arrivé en Inde, prépare un plan de partage de l’Inde. Celle-ci doit être divisée en deux dominions : l’Union indienne et le Pakistan, tandis que les Etats princiers conserveront leur indépendance et joindront, après négociations, l’un des deux dominions. Le parti du Congrès et la Ligue musulmane acceptent ces propositions (…). Au début de juillet 1947, le plan est soumis au gouvernement britannique qui le discute et l’adopte en un temps record, faisant preuve d’un remarquable réalisme, étant donné la place tenue par l’Inde dans l’empire britannique. Le 18 juillet 1947, la loi d’indépendance de l’Inde est adoptée par le parlement britannique. »
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article1597
Les colonisateurs anglais constatant qu’il y a un mouvement révolutionnaire irrésistible, préfèrent céder le pouvoir d’eux-mêmes aux bourgeois nationalistes du Congrès avec lesquels ils tentent des accords pour conserver leurs intérêts économiques plutôt que de risquer que les masses populaires ne s’embrasent. Le travailliste, le major Attlee qui a succédé à Churchill déclare qu’il craint un soulèvement révolutionnaire des masses en Inde et c’est comme cela qu’il obtient très rapidement l’accord de la bourgeoisie anglaise pour céder à toute vitesse l’indépendance ce que l’Angleterre n’envisageait absolument pas un an plus tôt. En octobre 1946 il explique à la chambre que tout retard dans l’accession à l’indépendance provoquera des graves troubles révolutionnaires selon le compte rendu de la mission ministérielle qu’il a envoyée sur place et que selon lui il sera inutile et impossible d’amener suffisamment de renforts sur place. Il est certain que la population anglaise qui réclamait d’abord et avant tout sa démobilisation et qui venait de faire chuter Churchill le représentant de tous les sacrifices consentis au nom de l’effort de guerre ne se sentait pas prête à verser son sang pour lutter contre la population de l’Inde soulevée. Et en février 47 à la chambre des lords Pethic-Lawrence déclare que l’on a déjà trop tardé que selon ses termes « il existe en Inde une situation et un danger révolutionnaire extrême, que si le transfert du pouvoir ne s’effectue pas à bref délai la révolution dont l’éruption a été momentanément retardée par l’annonce de la préparation de l’indépendance par la mission ministérielle éclatera inévitablement ». L’exemple Birman montre toute l’utilité d’aller vers l’indépendance qui a permis en janvier 1947 un rapprochement entre l’Angleterre et le nationaliste Ang San ce qui leur a permis de casser l’alliance entre les nationalistes modérés et radicaux.
En Inde la direction incontestée de la bourgeoisie nationale est le parti du congrès de Gandhi. Sa position est caractéristique vis à vis de la classe ouvrière : aucune indépendance syndicale. Ainsi la seule organisation syndicale qui lui soit liée, celle des ouvriers du textile d’Ahmedabad qui lui sont liées, est organisées syndicalement au sein du parti séparément du reste du mouvement ouvrier qui appartient à une fédération unifiée regroupant tous les autres syndicalistes des staliniens aux réformistes et aux militants radicaux. Le mouvement ouvrier organisé compte autant de membres que le parti du congrès soit 400 000 membres chacun en 1935. Mais plus la revendication politique devient prépondérante, plus la distance s’accroît en faveur de la formation nationaliste bourgeoise faute d’une politique du mouvement ouvrier. Directement lié aux propriétaires fonciers, industriels et commerçants, le parti du congrès est réticent à inclure toute mesure sociale y compris un programme agraire dans ses revendications ce qui laisserait une énorme marge pour un mouvement ouvrier révolutionnaire afin de s’adresser à une paysannerie en révolte. Tout mouvement à caractère révolutionnaire contre l’impérialisme anglais déborderait inévitablement le mouvement politique bourgeois puisque celui-ci s’interdit toute insurrection armée contre les Anglais.
L’année 1946 est marquée par la montée des luttes ouvrières et par une véritable maturation révolutionnaire qui débute par une mutinerie militaire. Les marins d’une caserne d’entraînement de Bombay manifestent leur mécontentement le 18 février 1946. Le lendemain il s’agit déjà d’un véritable soulèvement de plus de 20 000 marins casernés à Bombay et de 20 bâtiments ancrés dans le port. Les marins soulevés élisent un comité central de grève. Et à Karachi des troubles semblables se produisent. Face à la menace de répression violente le comité central de grève de la flotte en appelle aux travailleurs. Le parti du congrès et la ligue musulmane, les organisations indépendantistes de la bourgeoisie refusent leur soutien au soulèvement. Les 22 et 23 février la bataille fait rage dans Bombay où la population ouvrière qui a pris le parti des mutinés est violemment réprimée : 250 morts. Parti du Congrès et Ligue musulmane contraignent finalement les marins à se rendre et le comité de grève déclare : « nous nous rendons à l’Inde mais pas à l’Angleterre ». Les mutins sont sévèrement condamnés par les partis bourgeois. Gandhi les traite de « racaille » et de combinaison impie d’hindous et de musulmans ». Les dirigeants musulmans déclarent que la flotte doit être disciplinée. C’est là le point commun que ces partis bourgeois ont avec l’Angleterre : la crainte commune du déclenchement d’un mouvement de masse révolutionnaire. Et cela alors qu’ont lieu aussi des troubles dans l’armée anglaise des Indes. Les tommies qui veulent rentrer plus vite et sentent que ça va chauffer manifestent pour rentrer plus vite en Angleterre que ce soit à Delhi ou dans l’Uttar Pradesh. Au même moment, les luttes grévistes des travailleurs sont au point le plus élevé jamais atteint avec la grève insurrectionnelle de deux millions de travailleurs dans un climat de tension extraordinaire.
Pour faire diversion ces formations nationalistes, la Ligue musulmane et le Hindu Masahabha, organisent des manifestations d’opposition inter-ethnique, principalement dans le Bengale et dans le Bihar avec des heurts sanglants entre les communautés religieuses. La Ligue musulmane annonce qu’elle réclame la partition du pays sur des bases religieuses, hindous d’un côté et musulmans de l’autre. Cette idée a été en fait discutée par la Ligue à Londres et c’est l’impérialisme anglais qui en a fait lui-même la suggestion pour détourner le mécontentement.
Malgré la répression et malgré les diversions racistes, dans les mois qui suivent, le pays plonge dans le soulèvement et le chaos. Dans des régions entières, plus personne n’obéit plus à l’administration colonialiste. Dans ces conditions, l’Angleterre accélère à toute vitesse le plan d’accession à l’indépendance. Signé début juillet 1947, le plan de partage en Inde et Pakistan, est adopté le 18 juillet et le nouveau pouvoir installé le 15 août 1947. On n’aura jamais vu un pouvoir colonial aussi pressé de donner sa place !
La menace prolétarienne en Inde était tout ce qu’il y a de plus sérieuse. Les salariés représentaient 55% de population des villes et les travailleurs indépendants n’exploitant personne 32% alors que les employeurs n’y étaient que 1%. L’essentiel du prolétariat travaillait dans de grandes entreprises industrielles et près des trois quarts vivaient dans de très grandes cités. Et la lutte s’est déroulée essentiellement dans les villes. Il y aurait eu pour une révolution prolétarienne un énorme potentiel de soutien d’une paysannerie très exploitée et révoltée. L’influence de la grande bourgeoisie sur le petite et moyenne était faible et c’est l’absence politique des travailleurs alors que les possédants ont eu des dirigeants de haut niveau capables d’unir toutes les classes possédantes indiennes qui a permis aux grands propriétaire, banquiers et grands commerçants de tenir le haut du pavé. Le parti communiste indien ne risquait pas de représenter même de manière déformée une politique de classe pour les travailleurs, lui qui proclamait vouloir « un gouvernement de démocratie populaire qui sera celui de tous les groupes, individus et partis démocratiques représentant les ouvriers, les paysans, les classes moyennes et la bourgeoisie nationale, celle qui est favorable à une véritable industrialisation du pays et à l’indépendance de l’Inde ». Pour se donner un visage plus radical que celui qu’il a eu au moment de l’indépendance, le parti communiste soutient un soulèvement paysan armé de deux régions en 1948 l’Andhra et Telengana où sur un territoire de 4000 km² 2000 villages sont organisés en comités populaires, soulèvement qui est réprimé dans le sang par la nouvelle armée de l’Inde indépendante, en guise d’avertissement aux couches populaires. La classe ouvrière a très vite eu à s’opposer à ce nouveau pouvoir avec notamment une grande grève générale de la ville de Calcutta.
Et l’absence d’une politique ouvrière indépendante n’est pas due à l’absence de soutien qu’il rencontrerait dans la population. Ainsi aux premières élections générales en Inde, le parti communiste recueille quand même plus de 6 millions de voix et quatre autres groupes se réclamant de l’extrême gauche font respectivement 2,5 millions de voix, 1,1 millions, un million et 400 000 voix à rajouter aux 22, 8 millions de voix obtenues par l’opposition socialiste et communiste.
Citons l’ouvrage de Charles Bettelheim « L’Inde indépendante » :
« depuis de longs mois, on assiste à une maturation révolutionnaire qui est accélérée par l’action syndicale et ouvrière. Le 18 février les marins d’un centre d’entraînement de Bombay manifestent leur mécontentement, nombre de leurs doléances n’étant pas satisfaites depuis longtemps. Dès le 19 au matin, on est en présence d’un véritable soulèvement auquel participent plus de 20 000 marins casernés à Bombay et dans ses environs ainsi que 30 bâtiments à l’ancre dans le port. Les marins soulevés élisent un Comité central de grève. (…) Le 21 février au matin, la bataille s’engage. Le Comité central de grève de la Flotte fait appel au soutien de la population et des organisations politiques. Le Congrès et la Ligue musulmane se refusent à apporter tout soutien aux marins ; par contre, les syndicats de Bombay et le parti communiste leur apportent leur concours et décident d’une grève générale qui commence effectivement le 22 février. Les 22 et 23 février, la bataille fait rage dans Bombay et une répression, massive et brutale, s’abat sur la population, faisant plus de 250 morts. Le Congrès et la Ligue font alors pression sur le Comité central de grève pour que les marins se rendent. Le Comité central de grève décide finalement de céder, en déclarant : « Nous nous rendons à l’Inde, non à l’Angleterre. » Gandhi condamne sévèrement la « combinaison impie » des hindous et des musulmans qui, si elle avait triomphé aurait « livré l’Inde à la racaille », tandis que Valabhbhai Patel déclare que « la flotte doit être disciplinée. » Ainsi se confirme la volonté de la direction du Congrès d’éviter le déclenchement ou l’expansion d’un mouvement de masse qui pourrait mettre en cause non seulement la domination étrangère mais le régime social. A partir de la mi-août 1946, les heurts sanglants entre les communautés religieuses se multiplient, principalement au Bengale et dans le Bihar. A l’action de la Ligue musulmane, les organisations politico-religieuses hindoues, et principalement le Hindu Mahasabha qui, dans cette situation, reprend des forces, répondent également par la violence. Parallèlement, les luttes revendicatives se développent, englobant près de 2 millions de travailleurs dans des mouvements de grève. Un tel chiffre n’avait jamais été atteint jusque là. C’est dans ces conditions que le vice-roi décide de constituer le premier gouvernement intérimaire. Celui-ci entre en fonctions le 2 septembre 1946. Il est dirigé par Jawaharlal Nehru, Premier ministre. (…) La situation est telle que l’Assemblée constituante décide de s’ajourner jusqu’à avril. La formation du gouvernement intérimaire, en effet, n’a pas mis fin à la détérioration de la situation intérieure. En dépit de la répression massive et de milliers d’arrestations, le pays glisse vers le chaos et l’administration elle-même cesse par endroits de fonctionner. (…) Le 20 avril 1947, alors que la situation intérieure indienne se détériore rapidement, le Premier ministre britannique, Clément Attlee, déclare que le gouvernement de sa Majesté est « décidé à prendre les mesures nécessaires pour transférer le pouvoir en des mains indiennes responsables, au plus tard en juin 1948. » En même temps le Premier ministre annonce (…) que lord Mountbattent est nommé vice-roi de l’Inde en remplacement de lord Wavell. Lord Mountbatten, aussitôt arrivé en Inde, prépare un plan de partage de l’Inde. Celle-ci doit être divisée en deux dominions : l’Union indienne et le Pakistan, tandis que les Etats princiers conserveront leur indépendance et joindront, après négociations, l’un des deux dominions. Le parti du Congrès et la Ligue musulmane acceptent ces propositions (…). Au début de juillet 1947, le plan est soumis au gouvernement britannique qui le discute et l’adopte en un temps record, faisant preuve d’un remarquable réalisme, étant donné la place tenue par l’Inde dans l’empire britannique. Le 18 juillet 1947, la loi d’indépendance de l’Inde est adoptée par le parlement britannique. »
Depuis de longs mois, on assiste à une maturation révolutionnaire qui est accélérée par l’action syndicale et ouvrière. Le 18 février les marins d’un centre d’entraînement de Bombay manifestent leur mécontentement, nombre de leurs doléances n’étant pas satisfaites depuis longtemps. Dès le 19 au matin, on est en présence d’un véritable soulèvement auquel participent plus de 20 000 marins casernés à Bombay et dans ses environs ainsi que 30 bâtiments à l’ancre dans le port. Les marins soulevés élisent un Comité central de grève. (…) Le 21 février au matin, la bataille s’engage. Le Comité central de grève de la Flotte fait appel au soutien de la population et des organisations politiques. Le Congrès et la Ligue musulmane se refusent à apporter tout soutien aux marins ; par contre, les syndicats de Bombay et le parti communiste leur apportent leur concours et décident d’une grève générale qui commence effectivement le 22 février. Les 22 et 23 février, la bataille fait rage dans Bombay et une répression, massive et brutale, s’abat sur la population, faisant plus de 250 morts. Le Congrès et la Ligue font alors pression sur le Comité central de grève pour que les marins se rendent. Le Comité central de grève décide finalement de céder, en déclarant : « Nous nous rendons à l’Inde, non à l’Angleterre. » Gandhi condamne sévèrement la « combinaison impie » des hindous et des musulmans qui, si elle avait triomphé aurait « livré l’Inde à la racaille », tandis que Valabhbhai Patel déclare que « la flotte doit être disciplinée. » Ainsi se confirme la volonté de la direction du Congrès d’éviter le déclenchement ou l’expansion d’un mouvement de masse qui pourrait mettre en cause non seulement la domination étrangère mais le régime social. A partir de la mi-août 1946, les heurts sanglants entre les communautés religieuses se multiplient, principalement au Bengale et dans le Bihar. A l’action de la Ligue musulmane, les organisations politico-religieuses hindoues, et principalement le Hindu Mahasabha qui, dans cette situation, reprend des forces, répondent également par la violence. Parallèlement, les luttes revendicatives se développent, englobant près de 2 millions de travailleurs dans des mouvements de grève. Un tel chiffre n’avait jamais été atteint jusque là. C’est dans ces conditions que le vice-roi décide de constituer le premier gouvernement intérimaire. Celui-ci entre en fonctions le 2 septembre 1946. Il est dirigé par Jawaharlal Nehru, Premier ministre. (…) La situation est telle que l’Assemblée constituante décide de s’ajourner jusqu’à avril. La formation du gouvernement intérimaire, en effet, n’a pas mis fin à la détérioration de la situation intérieure. En dépit de la répression massive et de milliers d’arrestations, le pays glisse vers le chaos et l’administration elle-même cesse par endroits de fonctionner. (…) Le 20 avril 1947, alors que la situation intérieure indienne se détériore rapidement, le Premier ministre britannique, Clément Attlee, déclare que le gouvernement de sa Majesté est « décidé à prendre les mesures nécessaires pour transférer le pouvoir en des mains indiennes responsables, au plus tard en juin 1948. » En même temps le Premier ministre annonce (…) que lord Mountbattent est nommé vice-roi de l’Inde en remplacement de lord Wavell. Lord Mountbatten, aussitôt arrivé en Inde, prépare un plan de partage de l’Inde. Celle-ci doit être divisée en deux dominions : l’Union indienne et le Pakistan, tandis que les Etats princiers conserveront leur indépendance et joindront, après négociations, l’un des deux dominions. Le parti du Congrès et la Ligue musulmane acceptent ces propositions (…). Au début de juillet 1947, le plan est soumis au gouvernement britannique qui le discute et l’adopte en un temps record, faisant preuve d’un remarquable réalisme, étant donné la place tenue par l’Inde dans l’empire britannique. Le 18 juillet 1947, la loi d’indépendance de l’Inde est adoptée par le parlement britannique. »
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article3070
LE CONFLIT HINDO-MUSULMAN
(EXTRAIT DU "SOCIALIST APPEAL" ORGANE DU R.C.P. ANGLAIS (IVème INTERNATIONALE), MI-OCTOBRE 1946)
Le 16 août vit le début de l’une des pires émeutes religieuses de l’histoire de l’Inde. Quoique presque entièrement confinés à Calcutta et à Bombay, des milliers d’hommes furent tués et des dizaines de milliers blessés dans les conflits hindo-musulmans directement inspirés par la Ligue Musulmane de Jinnah, en signe de protestation contre la formation d’un gouvernement issu du Congrès.
Les rues de Calcutta sont jonchées de cadavres et les hôpitaux sont bondés de blessés.
L’entière responsabilité de ce massacre retombe sur Jinnah et la Ligue musulmane qui ont, par leurs appels à "l’action directe", dressé les musulmans contre les hindous. Ils ont fait le jeu de l’impérialisme britannique.
La domination anglaise, principale cause
En fait, la domination britannique est la cause principale des antagonismes religieux qui règnent aux Indes à l’heure actuelle. Avant l’établissement du vice-roi, les luttes hindo-musulmanes de cette sorte étaient pratiquement inconnues. Les guerres d’Etat à Etat ont pu avoir des meneurs hindous ou musulmans, mais les soldats sortis des deux communautés combattaient aussi bien d’un côté que de l’autre. Les dirigeants musulmans employaient souvent des Hindous à des hautes responsabilités, de même que les dirigeants hindous employaient des Musulmans. Il est aussi vrai que dans les Etats où la domination anglaise ne se manifeste qu’indirectement, les luttes religieuses étaient comparativement rares jusqu’à ces derniers temps.
"Diviser pour régner ! doit être la devise de notre administration des Indes", écrivait l’Asiatic Journal en 1821, et en 1858 cette politique fut reprise officiellement par le Gouverneur général, lord Elphinstone. Tour à tour, on favorisa les Hindous et les Musulmans, on se servait des uns contre les autres, on enfonça entre eux un coin d’acier pour empêcher cette union des opprimés qui aurait rendu impossible la domination anglaise sur les Indes. Comme le nationalisme commençait à faire son chemin parmi les Hindous, l’Angleterre s’en remit de plus en plus aux leaders musulmans et tenta de s’en servir pour arrêter le développement du Congrès National Indien. Au début, ces efforts n’eurent que peu de succès. Mais au début de ce siècle furent prises deux mesures, qui aiguisèrent beaucoup les relations des deux communautés.
La première de ces mesures fut la division de la province du Bengale en deux parties, une musulmane et une hindoue. C’était un acte délibéré dans le but – d’après les propres mots du Statesman, principal organe de l’impérialisme anglais à Calcutta – "d’aider la formation dans l’Est du Bengale d’un pouvoir musulman qui aurait pour effet de faire échec à la force rapidement croissante de la communauté hindoue éduquée".
La seconde mesure prise fut la création d’un système électoral basé sur la communauté religieuse. Comme conséquence directe, l’attention du peuple fut détournée des intérêts économiques et politiques communs et concentrée sur des futilités comme la représentation accordée à chaque communauté. Une représentation privilégiée fut donnée aux Musulmans dans le but d’enfoncer encore plus profondément le coin entre les deux communautés.
La base économique et sociale
Dans le Bengale et le Punjab -provinces de population en majorité musulmane et comprises dans la proposition du "Pakistan" de Jinnah- les propriétaires, les usuriers et les marchands les plus riches sont hindous, tandis que la majorité des Musulmans sont de pauvres paysans, et leurs débiteurs. Là les combats des paysans musulmans contre leurs exploiteurs hindous sont aussi présentés dans la presse impérialiste comme des "troubles religieux".
D’autre part, durant les luttes ouvrières dans les grandes usines de Bombay et de Calcutta, les patrons hindous n’ont pas hésité à faire appel à des jeunes Musulmans pour briser la grève de leurs ouvriers hindous. L’action des grévistes à travers les piquets de grève est aussi rapportée comme "troubles religieux".
Il existe aussi une grande rivalité entre les intellectuels hindous et musulmans des classes moyennes dans la recherche des emplois (fonctionnaires, etc...)
En résumé, le terrain est favorable aux agents provocateurs qui ont avec succès attisé des antagonismes latents. Il est indiscutable que la bourgeoisie hindoue, représentée principalement par le Congrès, a beaucoup appris de l’impérialisme anglais et n’est pas plus gênée que celui-ci pour provoquer des troubles religieux si cela sert ses fins. Ainsi, durant les émeutes du mois d’août, un conflit fut instigué aux filatures de coton de Birla, propriété du plus gros capitaliste hindou, un des principaux soutiens du Congrès. Les tra-vailleurs de Birla ont un passé de luttes héroïques et l’on espérait, en dressant les tra-vailleurs hindous contre les travailleurs musulmans, détruire l’unité de classe des travailleurs. Cet essai échoua et les provocateurs ont satisfait leur soif de sang en molestant un certain nombre de Musulmans isolés, ce qui finit par une tuerie.
Les travailleurs musulmans viennent en aide aux Hindous
En effet, un des caractères des émeutes de Bombay et de Calcutta – sur lequel la presse capitaliste a gardé le silence – fut la discipline des travailleurs qui refusèrent malgré les provocations de participer à la tuerie. A Oriya, 600 et plus, travailleurs hindous furent massacrés. Des travailleurs musulmans se portèrent à leur secours, mais furent eux-mêmes écrasés.
Les actes de violence sont presque entièrement l’œuvre de provocateurs à gages, la population n’y prenant qu’une faible part. En fait, pour obtenir quelque appui parmi les travailleurs musulmans, Jinnah a dû faire usage de slogans anti-impérialistes, et il tente même de dépeindre sa campagne pour le "Pakistan" comme une arme contre l’"Hindou entièrement vendu". Comme le prouvent les élections dans les territoires purement musulmans comme la province du nord-ouest – où le Congrès a obtenu une bonne majorité des votes – les prétentions de Jinnah à représenter les masses musulmanes sont des mensonges manifestes. Dans la lutte pour l’indépendance nationale et pour de meilleures conditions de vie, les travailleurs musulmans et hindous combattent coude à coude le principal ennemi : l’impérialisme anglais.
C’est cette unité croissante de la classe travailleuse des deux communautés – dans les Syndicats et les Ligues paysannes &"8211 ; qui est redoutée non seulement des impérialistes anglais, mais aussi des capitalistes et des propriétaires fonciers hindous et musulmans. Dans cette unité, ils voient non seulement la fin de la domination anglaise, mais la fin de tous les exploiteurs. Pour sauver leurs profits et leur peau, ils doivent perpétuer les rivalités religieuses. "Diviser pour régner" demeure toujours leur maxime.
Les patrons craignent l’union des ouvriers
Cette crainte de la toute-puissance des centaines de millions de travailleurs est la raison de l’entente de Gandhi et Nehru, les représentants de la bourgeoisie nationale, avec l’impérialisme anglais : partager le pouvoir et partager les profits. La bourgeoisie des Indes n’a pas moins besoin que le Capital financier anglais des troupes britanniques pour "préserver l’ordre" aux Indes.
Mais c’est justement cette exploitation commune qui soude les ouvriers et les paysans hindous et musulmans en une union de plus en plus étroite. Dans les syndicats ouvriers et les syndicats paysans il n’y a qu’ouvriers et paysans, sans aucune distinction entre Hindous et Musulmans. Ici il n’y a pas d’électorat différent selon les religions. Ils sont liés par leurs besoins économiques et sociaux communs et leur combat commun pour de meilleures conditions de vie. Pour se libérer de l’exploitation des capitalistes et des propriétaires fonciers, ils forgent unes des armes qui conduira l’Inde vers une véritable émancipation nationale et lui fera prendre sa place comme nation socialiste dans un monde socialiste.
https://www.marxists.org/francais/barta/1946/12/ldc78_120746.htm
Indochine
DE QUI L’INDOCHINE DOIT-ELLE SE LIBERER ?
Depuis que l’impérialisme américain a mis a l’ordre du jour le "trusteeship", moyen par lequel celui-ci veut s’assurer le contrôle des colonies du monde entier, le gouvernement français a "révélé" ses intentions de transformer l’ancien système colonial en une "Union française". Les capitalistes français cherchent, face aux revendications de l’impérialisme américain, à rallier les ouvriers français à une politique colonialiste "style nouveau", celle du "bon patron", du "bon collaborateur". Cette propagande, qui concerne surtout l’Indochine ne représente cependant qu’une nouvelle hypocrisie, parce que ce n’est pas au moyen de phrases nouvelles qu’on peut changer quelque chose à un système qui, pour être "amélioré", demande à être aboli.
Le mot même de colonisation est synonyme de surexploitation, de vol et de terreur. C’est sur cette base que l’impérialisme fonde sa force. C’est de là aussi qu’il tire les surprofits à l’aide desquels il corrompt les "chefs" du mouvement ouvrier officiel, et entretient le lourd et coûteux appareil de répression que les travailleurs de la Métropole voient se dresser devant eux dès qu’ils entrent en lutte contre leurs exploiteurs.
Ce que les capitalistes ont fait en Indochine
En occupant le pays, ils ne l’ont pas élevé en bloc à un niveau de vie et de culture supérieur. Bien au contraire, ils ont pris sous leur protection et se sont appuyés sur la couche exploiteuse indigène la plus haïe et la plus rétrograde : la féodalité, toute puissante chez les peuplades arriérées du Laos et du Cambodge, et dont les restes, en pays annamite, ont été préservés de la liquidation complète par l’administration française.
Directement et par son intermédiaire, les capitalistes français pressurent et écrèment le pays de ses richesses. Les bénéfices qu’ils en extraient sont tels qu’il leur est possible de céder des "miettes" importantes à cette mince couche indigène privilégiée dont ils ont fait une bande de gouverneurs, d’administrateurs et de fonctionnaires-bureaucrates, valets de l’impérialisme, formant ce qu’on appelle le mandarinat.
En qualité de mandarins, ils défendent les intérêts de leurs puissants maîtres et soutiens, et leurs intérêts propres, ceux des propriétaires fonciers.
La vie du peuple.
La classe laborieuse indochinoise se trouve ainsi doublement exploitée, l’exploitation capitaliste sans frein venant s’ajouter à l’exploitation terrienne féodale. Aussi, comme celle de tous les autres peuples coloniaux, a-t-elle un standard de vie bien inférieur au minimum vital.
Ainsi un ouvrier agricole ne gagne qu’un litre de riz ou 1 franc par journée de travail de 12 heures – rien de plus, sauf un "repas" à midi pour chaque journée de travail effective, et un lopin de terre avec une habitation misérable fourni par le propriétaire.
Le paysan ne peut tirer de l’exploitation de sa parcelle de quoi se nourrir et se vêtir, s’il veut payer ses impôts : impôt individuel de 35 frs, ce qui représente un mois de travail, impôt sur le "revenu", taxe sur chaque pied de tabac, sur chaque oranger, etc... qui frappe d’autant plus lourdement l’exploitation agricole qu’elle est plus petite. Et s’il survient une inondation (assez fréquente dans le delta tonkinois), si la récolte est ravagée, mais que la bicoque ne s’en aille pas complètement à l’eau et que son buffle (le cheval en France) lui reste, il faudra que le petit paysan trime encore plus dur pour payer quand même ses impôts, pour éviter la perquisition, la confiscation de ce qui lui reste ou l’emprisonnement.
La situation des ouvriers n’est pas moins terrible. Ceux des plantations de caoutchouc, thé et café, sont pour la plupart nourris et logés par les patrons dans la dépendance complète desquels ils sont ainsi placés. La maladie les frappe d’autant plus durement que les régions de plantations sont de climat très dangereux, surtout pour des travailleurs sous-alimentés.
L’ouvrier d’usine spécialisé gagne de 5 à 10 frs par jour mais il y en a bien peu. La plupart sont des ouvriers non spécialisés dont le salaire ne dépasse pas 2,50 à 3 frs maximum par jour. Quant à l’ouvrière, avec 1,50 fr par journée de travail de plus de 10 h, elle doit pour vivre chercher à compléter ce salaire dérisoire. Hanoï, capitale du Tonkin, est ainsi renommée... pour sa place au 4ème rang dans le monde, dans le "domaine" de la prostitution ! Voilà la civilisation colonisatrice à l’œuvre...
Mille extorsions s’abattent sur la population, dont les plus connues sont peut-être celles découlant de la régie du sel et de celle de l’alcool.
Tout le sel exploité est vendu obligatoirement à l’Etat, au prix de 20 centimes ou 30 centimes le kilo, et celui-ci le revend 70 centimes à la population – y compris à l’ouvrier des salineries. Comment appeler cela autrement que de l’escroquerie ? La population n’a pas non plus le droit de fabriquer de l’alcool de riz pour sa consommation. Un service de douane spécial a été formé pour la lutte contre la fabrication en fraude, et le fraudeur doit payer une amende bien supérieure à tous ses biens. Pourquoi cela ? C’est que l’alcool de riz est vendu à la population à des tarifs "rémunérateurs" par l’administration française qui, dans certaines régions, oblige les autorités indigènes à écouler des quantités d’alcool arbitrairement fixées.
Voilà encore la colonisation civilisatrice à l’œuvre...
Le régime intérieur.
La terreur policière complète et maintient ce régime d’exploitation sans borne. Un Indochinois n’a pas le droit de circuler librement dans son pays et les voyages à l’étranger ne sont autorisés que par faveur, après un sérieux examen de la vie du candidat – sauf lorsque des milliers et des milliers de travailleurs sont arrachés à leurs foyers pour aller rejoindre les travailleurs de la Métropole et mourir avec eux pour le profit des capitalistes.
L’"ordre", c’est-à-dire la dictature arbitraire des capitalistes, est assuré par des soldats marocains, sénégalais, la Légion et une poignée de policiers indigènes. En revanche de nombreux corps d’infanterie indochinoise sont envoyés pour défendre le même "ordre", dans toutes les possessions françaises d’Afrique, de Chine, etc...
Dans ces conditions, la répression de tout mouvement nationaliste et révolutionnaire est impitoyable. Le moindre mouvement est qualifié de "communiste" – la bourgeoisie connaît son ennemi – et aussitôt l’appareil de répression entre en action. Les prisonniers politiques sont gardés par des soldats recrutés parmi les peuplades arriérées des hautes montagnes de l’intérieur, et soumis aux pires traitements. Les méthodes de torture sont très "efficaces" : piqûres d’aiguilles sous les ongles, attache du "coupable" par les deux pouces du pied à un poteau où on le laisse se dessécher au soleil, ingurgitation d’eau salée pour provoquer la soif, enfoncement d’une tige de fer dans la verge, et mille autres procédés aussi sauvages, bien dignes des capitalistes. Nourris de riz mélangé à du poisson pourri, 99% des prisonniers sont ainsi réduits à la mort.
L’oppression sans phrases est combinée avec la mascarade parlementaire. Mais 40.000 Français envoient au Parlement indochinois deux fois plus de députés que 27.000.000 d’indigènes, et encore la presque totalité des candidatures électorales sont-elles choisies par le gouvernement : riches propriétaires fonciers, industriels, etc..., qui d’ailleurs n’ont souvent qu’une connaissance incomplète de la langue française. Lorsque le jeu des "combines" électorales n’arrive pas complètement à empêcher les masses travailleuses de l’Indochine ; de se faire entendre, leur volonté s’exprime par l’envoi de représentants communistes, tels Tran-Van-Trach et Ta-Thu-Thau, candidats de la IVème Internationale élus à Saïgon en 1939, sous l’occupation japonaise.
Depuis quatre ans, deux camps impérialistes oppriment économiquement et nationalement le peuple indochinois. L’occupation japonaise, avec sa dictature capitaliste-féodale n’a pas permis à la classe laborieuse indochinoise d’obtenir un niveau de vie plus élevé. La classe ouvrière a été poussée frénétiquement au travail pour industrialiser l’Indochine (voies de communication, usines) ; ainsi s’est élargie la base du mouvement prolétarien et se préparent des contradictions futures plus terribles entre l’Indochine et la Métropole. Cette industrialisation n’est pas sans profiter aux capitalistes français Ainsi la Compagnie des Tramways Indochinois continua pendant l’occupation à verser des dividendes à ses actionnaires et les Raffineries d’Indochine réalisèrent en 1941 (derniers bilans publiés) le coquet bénéfice de 9.541.158 frs.
Mais les révolutionnaires emprisonnés sont restés dans les bagnes.
Pour obtenir l’appui du peuple dans la guerre, l’impérialisme japonais a proclamé "l’indépendance" de l’Annam, en flattant ainsi l’esprit nationaliste entretenu par l’occupation étrangère. De son côté, l’impérialisme français proclame la création d’une "Union française" accordant aux Indochinois pour l’avenir et aux "élites", c’est-à-dire aux classes riches, propriétaires fonciers et capitalistes, certains droits, et l’espoir de places lucratives dans l’administration ou le gouvernement (députés). En même temps il est vrai, il fait propager l’idée que "tous les territoires ayant appartenu à leurs possesseurs naturels" doivent leur être "rendus le plus tôt possible". Et dans ce nombre... l’Indochine qui certainement, devrait être rendue à la France." (Déclaration de M. Fraser à l’A.F.P., 30/3/45).
Ainsi, de quelque côté qu’ils se tournent, les travailleurs indochinois ne voient que des pillards qui se réclament à grands cris de leur droit "naturel" à les mettre en coupe réglée.
La situation des Indochinois en France.
Lorsqu’en 1939 éclata la deuxième guerre de pillage mondial, 25.000 Indochinois, pour la plupart des paysans, furent arrachés à leurs foyers pour aller travailler en France dans l’industrie de guerre, poudreries et arsenaux, où ils accomplirent les travaux les plus dangereux et les plus malsains, côte à côte avec d’autres ouvriers coloniaux (arabes notamment) – 15.000 restent encore déportés en France, parce que la guerre a empêché leur rapatriement. Et l’Etat – c’est-à-dire les capitalistes – réalise sur eux de gros bénéfices.
Ces exilés vivent en camps, soumis à l’arbitraire le plus complet et à une discipline terroriste qui, comme à Bergerac, comprend souvent des sévices sanglants. Leur approvisionnement est le même en principe que celui de la population civile, mais, échappant à tout contrôle de la part des intéressés, il est "écrémé" successivement par les commandants de Légion, de Groupements, de Compagnies, puis par toute la séquelle des "sous-officiers", des chefs cuisiniers et cuisiniers, qui s’engraissent de la famine des requis.
Et tandis que, d’une année sur l’autre, les travailleurs doivent se contenter de rebuffades et de promesses, leurs dignes chefs sont en mesure de fournir vêtements et brodequins à leurs amis et connaissances.
Qu’importe qu’il gèle en hiver, et que la tuberculose (60% des morts à l’hôpital indochinois de Marseille) décime les effectifs ! L’important, pour les marchands d’esclaves, c’est que "ça rende", c’est-à-dire que la sueur et le sang des travailleurs se transforment entre leurs mains en "bon argent" et grasses richesses. Aussi pressions et vexations s’abattent sur les camps, pour pousser au rendement : diminution des rations des malades, comme à Salin-de-Giraud (Bouches du Rhône), pour les obliger à retourner sur le chantier, travail le dimanche "en prévision des jours de pluie" comme à la Société de Gadones, etc...
Et malheur à qui tombe malade ! L’hôpital le Dantec de Marseille, le "Tombeau des Indochinois", l’attend. Au train où vont les choses, d’ici quelques années, deux bateaux suffiront à rapatrier les survivants des 15.000 déportés...
Pour les travailleurs indochinois, les employeurs versent à l’Etat, pour chaque journée de travail effective, une moyenne de 65 frs. Mais celui-ci paye aux travailleurs un salaire de famine, et les oblige en même temps à déposer à la caisse d’épargne 25 à 30% de leur solde mensuelle (40 à 60 frs), économies forcées qui servent à masquer aux yeux des masses la détresse des travailleurs.
Quelle que soit la barrière que la différence de langue dresse entre travailleurs français et indochinois, cette barrière doit être franchie, car il est indispensable aux uns et aux autres d’unir leurs efforts contre leurs exploiteurs capitalistes. Les masses indochinoises – surtout annamites – possèdent une tradition révolutionnaire riche d’abnégation et d’héroïsme. L’indépendance qu’elles désirent ne saurait être obtenue par les marchandages de mandarins, liés à l’oppression populaire. Elle ne peut être que le résultat d’une lutte acharnée, impitoyable, menée contre les grandes banques, les 200 familles, bref contre les capitalistes. Et c’est précisément la lutte qu’ont à mener aussi les prolétaires français. Ceux-ci savent bien par expérience, qu’un peuple qui en opprime un autre ne saurait être un peuple libre, et doit s’attendre à être opprimé à son tour.
La situation des travailleurs indochinois est si terrible que les social-chauvins eux-mêmes n’ont pu garder le silence. Le CCN de la CGT les a assurés de la "solidarité ardente des travailleurs de France organisés dans la CGT".
Il faut faire une réalité de cette assurance platonique des bureaucrates chauvins (qui par ailleurs ne disent rien de l’Indochine même).
Les travailleurs indochinois exigent :
En France,
LA LIBERATION DES TRAVAILLEURS EMPRISONNES DE BERGERAC ET DE BORDEAUX,
L’ABOLITION DES MESURES D’EXCEPTION ET DU TERRORISME DISCIPLINAIRE DANS LES CAMPS,
LE LIBRE EXERCICE DU DROIT SYNDICAL,
DES SALAIRES QUI LEUR PERMETTENT DE VIVRE.
Pour l’Indochine,
LA TERRE AUX PAYSANS,
LES DROITS POLITIQUES ET SYNDICAUX COMPLETS POUR LES OUVRIERS ET PAYSANS,
UNE ASSEMBLEE CONSTITUANTE ELUE LIBREMENT PAR LES INDOCHINOIS AU SUFFRAGE UNIVERSEL.
Nous, travailleurs de la Métropole, devons appuyer et soutenir entièrement ces revendications et reconnaître en même temps le droit du peuple indochinois à disposer de lui-même, y compris le droit de séparation de la Métropole (c’est-à-dire des capitalistes français).
https://www.marxists.org/francais/barta/1945/05/ldc47s_050845.htm
Saïgon en révolution en août 1945
Une situation révolutionnaire éclata au Vietnam le 16 août 1945 lorsque la capitulation japonaise fut annoncée. Dans les provinces de Trung Bo, Bac Bo, Sadec et Long Xuyen, les paysans renaissants tuèrent leurs propriétaires et exproprièrent les terres.
Mais le centre de la révolution était Saïgon. D’énormes manifestations réclamant l’indépendance nationale et la libération de tous les types d’oppression ont eu lieu : de 300 000 le 21 août et d’un million le 25 août. Les slogans des trotskystes pour le pouvoir ouvrier ont gonflé leurs contingents par milliers.
Plus de 150 comités populaires ont été mis en place (cette politique a été activement combattue par les trotskystes de l’ICL), le premier à Ban Co le 19 août. Ils ont pris le pouvoir administratif dans de nombreuses banlieues de Saigon, à commencer par Phu Nuan le 19 août. Une conférence des comités a publié un programme qui insiste sur le fait que la bourgeoisie nationale sera complètement incapable de jouer le rôle d’avant-garde révolutionnaire, et que seule l’alliance populaire des ouvriers industriels et des travailleurs ruraux sera en mesure de libérer la nation des domination des capitalistes étrangers ». Comme dans toutes les situations révolutionnaires, aucune quantité d’organisations ou de publications ne pouvait satisfaire la soif de direction politique des masses. Tranh Dau, le journal du groupe Struggle, est devenu quotidien ; l’ICL a, à un moment donné, publié des bulletins toutes les trois heures à partir d’un siège nouvellement établi. Des centaines de comités de la jeunesse de l’avant-garde ont été mis en place, certains sous la direction stalinienne, qui ont tous déclaré qu’ils étaient prêts à mourir pour la libération nationale. Les partis bourgeois et petit-bourgeois prolifèrent également ; selon un rapport de l’ICL, pas moins de 50 nouveaux ont germé. Qui contrôlait Saigon ? Les différences entre les différents comptes montrent à quel point la situation était volatile. Il est certain que le Front national uni (UNF), qui avait un programme pour l’indépendance nationale et comprenait des nationalistes bourgeois, les sectes religieuses Cao Dai et Hoa Hao et la jeunesse de l’avant-garde, a reçu le pouvoir par le gouvernement effondré de Bao Dai le 14 août, et l’a adopté. sur le Vietminh une semaine plus tard. John Spencer, un partisan du groupe anti-trotskyste Banda, a récemment fait l’allégation stupide que au moins certains des trotskystes vietnamiens ont participé à la formation de l’UNF sous les auspices japonais le 14 août 1945 ’’, un groupement qui était chèrement conçu comme un contrepoids au Vietminh ’. (Trotskysme vietnamien et révolution d’août 1945). Spencer essaie manifestement de donner un poids « savant » au mensonge stalinien, originaire de Ho Chi Minh, selon lequel les trotskystes travaillaient pour les Japonais. Mais au moins un compte rendu faisant autorité dit que l’UNF « comprenait une petite minorité communiste », ainsi que les trotskystes du groupe Struggle. (Communisme vietnamien : ses origines et son développement, par R. Turner, p. 39). Le même récit explique comment le dirigeant vietminh Tran Van Giau a arrangé que l’UNF lui cède le pouvoir par voie de négociation. ».
Deuxièmement, un rapport du groupe Lutte au Secrétariat international de la Quatrième Internationale (La Révolution d’Août et le Groupe de Lutte, dans les archives de l’ISFI, Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine, Université de Nanterre, Paris) déclare qu’ils ont proposé aux staliniens un front uni sur la politique d’indépendance nationale et de réforme agraire, ces derniers la refusant « parce qu’ils croyaient pouvoir compter sur l’aide et le respect des Alliés, pour parvenir à une« république démocratique du Vietnam »par des moyens diplomatiques.
Après cela, et après que le Vietminh eut pris le contrôle administratif, ils prirent part à des réunions avec les nationalistes bourgeois - auxquelles les staliniens étaient également présents, accusant les trotskystes de « sabotage ». Quelques semaines plus tard, lorsque les troupes britanniques ont été accueillies à Saïgon par les Vietminh, les trotskystes se sont certainement retrouvés dans une alliance de fait avec les nationalistes bourgeois : tous deux prônaient la résistance armée à la réimposition du contrôle impérialiste. (Spencer n’exprime pas sa propre opinion sur la petite question de l’invasion britannique, en s’appuyant sur des citations de diverses sources soutenant le point de vue stalinien qui opposait ceux qui résistaient aux Britanniques comme étant « fous », « provocateurs » et « ultra-gauches »). Le 22 août, après deux semaines de troubles révolutionnaires, le Vietminh a tenu une réunion avec des représentants de l’UNF qui ont accepté de céder le contrôle de la ville. Le 25 août, à 5 heures du matin, jour de la manifestation d’un million de personnes, les Vietminh ont occupé tous les bâtiments gouvernementaux et ont officiellement mis en place un « Comité exécutif provisoire de la République du sud du Vietnam ». La politique de cette administration était double : maintenir, si possible, la bourgeoisie et la classe foncière vietnamiennes chancelantes, et accueillir les troupes alliées dans des conditions où un accord serait négocié avec elles. Le dirigeant stalinien Tran Van Giau a proclamé que « les libertés démocratiques seront assurées et garanties par les alliés démocratiques » (cité dans « Quelques étapes… » dans Quatriéme Internationale). Un autre responsable vietminh, Nguyen Van Tao, a été plus explicite : « Tous ceux qui ont incité les paysans à saisir la propriété des propriétaires terriens seront sévèrement et impitoyablement punis. . .
Nous n’avons pas encore fait la révolution communiste, qui résoudra le problème agraire. Ce gouvernement n’est qu’un gouvernement démocratique, c’est pourquoi une telle tâche ne lui incombe pas. Notre gouvernement, je le répète, est un gouvernement démocratique bourgeois, même si les communistes sont maintenant au pouvoir. »(Communisme vietnamien : ses origines et son développement, p. 43). L’historien Phillipe Devilliers raconte que le leader vietminh Duong Bach Mai a parlé de « calmer l’ardeur tumultueuse des militants de base, en leur montrant que la tâche du moment n’était pas de faire une révolution prolétarienne mais de briser le« colonialisme »en appelant à tous les peuples à lutter contre elle. »(History of Vietnam 1940-52, par P. Devilliers, p. 181). Buttinger dit que le gouvernement vietminh à Saïgon « est allé jusqu’à décréter la peine de mort pour les atteintes à la propriété privée » (Vietnam : A Dragon Embattled, J. Buttinger, vol. 1, p. 347). Spencer, essayant de « replacer dans son contexte » le massacre des trotskystes vietnamiens, prétend qu’ils étaient « sans ambiguïté hostiles » à « l’administration révolutionnaire » du Vietminh. En fait, cette administration était contre-révolutionnaire, c’est-à-dire déterminée à empêcher à tout prix les prises de propriété, même lorsque les comités populaires et les soulèvements paysans les avaient déjà mis en œuvre à grande échelle.
1er OCTOBRE 1945 : le Vietnam avait traversé six semaines de convulsions révolutionnaires, atteignant un point culminant dans la dernière semaine de septembre lorsque les troupes britanniques, françaises et japonaises occupaient le centre-ville de Saïgon, déplaçant l’administration vietminh et menaçant la terreur contre les ouvriers et les paysans révolutionnaires. Après des tentatives répétées, les Vietminh ont négocié une trêve avec les Britanniques le 1er octobre, dont le principal résultat a été que les troupes impérialistes - britanniques, françaises et japonaises - ont obtenu le « libre passage » des Vietminh à travers les banlieues rebelles de Saïgon. Un cessez-le-feu d’une semaine entre le 3 et le 10 octobre a été utilisé par les impérialistes pour renforcer leurs forces. Le 5 octobre, le général Leclerc arrive à la tête d’un corps expéditionnaire français. Alors que les Français et les Gurkhas renouvelaient leur offensive contre les trotskystes et d’autres forces de résistance, Tran Van Giau eut le culot de publier un tract condamnant les trotskystes en tant qu ’« agents impérialistes français ». « Les combattants trotskystes qui se sont repliés vers l’ouest ont été désarmés à Cho Dem », indique le rapport de Struggle. (The August Revolution and the Struggle Group, ISFI files, Paris). Les forces de lutte qui sont allées à l’est ont tenté de mobiliser deux armées, le Hoang Pho I et le Hoang Pho II, lorsqu’elles ont été encerclées à Xuan Truong par un grand nombre de forces armées vietminh : Tran Van Thach, Nguyen Van So et Nguyen Van Tien étaient emmenés à Thu Dau Mot où ils ont été jugés militaires et fusillés sur les ordres de Kieu Dac Thang, un criminel ordinaire et un oiseau de prison fait grâce à la courtoisie générale de Duong Bach Mai (le chef de la police stalinienne) ; Phan Van Chanh et Phan Van Hum ont pris la direction de Bien Hoa, d’où ils espéraient rejoindre Hue.
Le soulèvement de Saïgon de septembre 1945
Le 24 août, le Viet Minh a déclaré une administration provisoire, un Comité administratif du Sud, à Saïgon. Lorsque, dans le but déclaré de désarmer les Japonais, le Viet-Minh a accueilli le débarquement et le positionnement stratégique des troupes britanniques et anglo-indiennes, des groupes politiques rivaux sont apparus en force. Les 7 et 8 septembre 1945, dans la ville delta de Cần Thơ, le Comité dut s’appuyer sur ce qui avait été l’auxiliaire japonais, Jeunesse d’Avant-Garde / Thanh Nien Tienphong. Ils ont tiré sur des foules, rejoints par l’ICL, exigeant des armes contre une restauration coloniale française.
À Saïgon, la réaffirmation brutale de l’autorité française sous la protection des Japonais britanniques, britanniques-indiens et britanniques réquisitionnés a déclenché un soulèvement général le 23 septembre. Sous le slogan « La terre aux paysans ! Les usines aux ouvriers ! », L’ICL a appelé la population à s’armer et à s’organiser en conseils. Pour coordonner ces efforts, les Internationalistes ont créé un Comité Révolutionnaire Populaire, un "soviet embryonnaire qui a mis sa marque sur la région de Saigon-Cholon, Gia-dinh et Bien-Hoa." Les délégués ont publié "une déclaration dans laquelle ils ont affirmé leur indépendance vis-à-vis des partis politiques et ont fermement condamné toute tentative de restreindre l’autonomie des décisions prises par les ouvriers et les paysans. "
Avec d’autres camarades de la Ligue, Ngô Văn s’est associé aux ouvriers du tramway. Dans « l’esprit internationaliste de la Ligue », les ouvriers avaient rompu avec leur syndicat, la Confédération générale du travail (rebaptisée par le Viet Minh « Ouvriers pour le salut national »). Refusant l’étoile jaune du Viet-Minh, ils se sont rassemblés sous le drapeau rouge sans fioritures « de leur propre émancipation de classe ». Mais les milices ont été durement touchées par le retour des Français. Ngô Văn enregistre à eux seuls deux cents massacres, le 3 octobre, au pont de Thi Nghe.
Alors qu’ils retombaient dans la campagne, eux et d’autres formations indépendantes (groupes armés de nationalistes indépendants et sectes syncrétiques Hoa Hao et Cao Dai) ont été pris entre deux feux alors que le Viet-Minh revenait pour encercler la ville. Dương Bạch Mai, qui avait été parmi les staliniens sur le comité de rédaction original de La Lutte, a conduit la sécurité Vietminh à traquer ses anciens collègues sur le papier. À la fin d’octobre, ils avaient capturé et exécuté, entre autres, Nguyen Van Tien, l’ancien rédacteur en chef, et Phan Văn Hùm.
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article6153
En mars 1945, les forces japonaises ont liquidé le régime colonial français et ont assumé la domination directe sur l’Indochine. Ta Thu Thau avait été libéré de Poulo-Condore à la fin de 1944, après de cinq ans de prison. Il reprit l’activité politique et, pendant l’été, se rendit dans le nord, rencontrant des partisans trotskystes parmi les mineurs de charbon en grève. C’était lors de son retour de ce voyage, à mi-chemin de Saïgon, que Thau fut capturé par les staliniens à Quang Tri.
« À Saïgon, le rétablissement de la domination coloniale française et l’entrée des troupes britanniques ont déclenché un soulèvement populaire général dans lequel les trotskystes ont joué un rôle majeur, formant une milice ouvrière qui a été brutalement réprimée par les forces britanniques et françaises, y compris lors d’un massacre de plus de 200 ouvriers au pont de Thi Nghe le 3 octobre 1945. Des militants trotskystes contraints de fuir la répression de masse dans la ville ont été pris en étau à la campagne entre le Viet Minh et les forces militaires coloniales rétablies. Seule une poignée put survivre en quittant complètement le pays.
Alors que les tensions s’intensifiaient en septembre 1945, les staliniens désarmèrent les comités populaires, supprimèrent le comité central provisoire et assassinèrent des dizaines de trotskystes, dont le chef de La Lutte, Ta Thu Thau. Loin de garantir l’indépendance, la collaboration du PCI avec les Français n’a contribué qu’à restaurer la domination coloniale dans le sud. Le peuple vietnamien devait payer un prix lourd pour la trahison de la montée révolutionnaire d’après-guerre et les manœuvres ultérieures des staliniens avec l’impérialisme français puis américain. Trente ans de guerre ont dévasté le pays et entraîné des millions de morts.
Pendant de nombreuses décennies, le sort tragique des trotskystes vietnamiens ainsi que leur rôle politique de premier plan dans les années 1930 étaient peu connus ou compris parmi les partisans de la Quatrième Internationale. Les révisionnistes dirigés par Michel Pablo et Ernest Mandel, qui tenaient des postes de direction jusqu’en 1953, avaient rejeté le rôle des trotskystes chinois et vietnamiens, qualifiant ceux-ci de « réfugiés d’une révolution ». Plus tard, dans les années 1960, les pablistes ont salué la direction stalinienne vietnamienne sous Ho Chi Minh pour sa résistance à l’impérialisme américain lors de l’intervention américaine au Vietnam, et se sont opposés à soulever la question du sort des trotskystes vietnamiens.
Mais dans le conflit de 1945, Ho Chi Minh a révélé l’orientation nationaliste qui caractérise le stalinisme. Comme il l’a dit à ses associés, il a préféré permettre l’entrée des forces françaises et britanniques parce que les anciennes puissances coloniales étaient faibles et discréditées, tandis que les forces chinoises, beaucoup plus grandes et plus proches, constituaient la plus grande menace.
Il a ainsi révélé un profond scepticisme quant aux perspectives d’une révolution réussie en Chine : les armées prétendument puissantes du Kuomintang se désagrégèrent en à peine trois ans et le Parti communiste chinois arriva au pouvoir. Dans le même temps, reflétant les préjugés anti-chinois d’un nationaliste vietnamien, il considérait la Chine, qu’elle soit dirigée par Mao Zedong ou Chiang Kai-shek, comme plus à craindre par le Vietnam que des impérialistes européens, en raison de sa proximité et de sa longue histoire de conflit avec son petit voisin du sud.
Ho, suivant la logique du stalinisme, avait longtemps rejeté la lutte pour une révolution socialiste mondiale et avait procédé dans une perspective nationaliste, dans le but d’établir un Vietnam indépendant. Sur la base de sa raison d’État nationaliste, il a approuvé le meurtre des internationalistes révolutionnaires, y compris celui de Ta Thu Thau. »
« En 1945, le Vietminh dirigé par le parti communiste vietnamien d’Ho Chi Minh n’était fort que dans le nord du pays, au Tonkin. Dans le sud, en Cochinchine, Ho Chi Minh est beaucoup plus faible et les travailleurs ont un rapport de force beaucoup plus favorable et l’escamotage de la révolution va s’avérer beaucoup plus difficile. Il a en face de lui un courant trotskyste implanté avec lequel il a dû plusieurs fois s’entendre. En 1939, seul face à toutes les forces nationalistes et staliniennes les trotskystes ont eu 80% des voix aux élections de Saigon. A l’annonce de la capitulation japonaise s’est en fait un véritable soulèvement révolutionnaire qui a lieu car la population est révoltée contre toutes les autorités. Il faut dire qu’il y a eu au Vietnam un million de morts et par la seule famine il y a encore en 1945 des centaines de milliers de morts chaque mois. Au Tonkin et au Nord Annam, c’est la révolution. Des pauvres s’attaquent aux autorités locales, aux profiteurs et oppresseurs de toutes sortes, les arrêtent les tuent. Ils forment des comités du peuple. Ils mettent en avant le partage des terres, la confiscation des biens des riches. A Saigon, l’opération des nationalistes et des bourgeois qui a eu lieu au nord n’a pu se faire car ce sont les comités du peuple qui se sont fédérés et qui ont pris le pouvoir à l’issu d’une manifestation dirigée par les trotskystes sur les slogans armement du peuple, la terre aux paysans, nationalisation des usines sous contrôle ouvrier. Des tribunaux du peuple jugent les anciens grands propriétaires et fonctionnaires. Les comités du peuple élisent alors une direction provisoire auquel ils affectent un local et qui est gardé par un détachement d’ouvriers en armes. C’est pour se débarrasser de cette révolution que le vietminh qui s’est associé d’anciennes forces vietnamiennes liées à l’ancien régime vichyste va pratiquer une politique se répression et d’assassinat systématique contre les membres des comités du peuple et particulièrement contre les dirigeants trotskystes comme Ta Thu Tau et Tran Van Tach qui sont assassinés systématiquement. C’est en brisant le soulèvement ouvrier que le vietminh va se hisser au pouvoir et non en s’appuyant dessus. Nous le verrons dans un texte que nous lirons sur ce sujet. Et dès qu’il parvient au pouvoir son langage est clair : « seront sévèrement et impitoyablement punis ceux qui auront poussé les paysans à s’emparer des propriétés foncières. Notre gouvernement n’est qu’un gouvernement démocratique bourgeois et il ne lui appartient pas de réaliser la révolution communiste. » Le 2 septembre 1945 ils manifestent même en l’honneur de la commission des alliés. Des colons français tirent dans la foule qui arrête un certain nombre de ces assassins. Cependant le chef de la police stalinien les fait rapidement relâcher. L’exaspération des masses grandit et les staliniens décident d’en finir avec la révolution. Ils annoncent « seront considérés comme provocateurs et saboteurs ceux qui appellent le peuple à l’armement et surtout à la lutte contre les alliés occidentaux ». En septembre 1945 les staliniens vont désarmer les comités du peuple puis pourront en finir définitivement et physiquement avec les membres des comités du peuple de Saigon. Ils avaient fini d’assassiner la révolution indochinoise. En octobre 1945, Ho Chi Minh déclare à la presse : « la France et le Vietnam ont depuis longtemps conclu un mariage. Le mariage n’a pas toujours été heureux mais nous n’avons pas intérêt à le briser. » En novembre 1945, le parti communiste indochinois s’autodissous déclarant : « il faut placer les intérêts de la patrie au dessus de ceux des classes ».
« Dans le nord, Ho suivait la même politique de capitulation face aux forces alliées, dans ce cas aux Chinois et aux Français. Cependant, cela prit beaucoup plus de temps qu’au sud, car les troupes chinoises arrivèrent seulement fin septembre, laissant au Viet Minh le temps de consolider son pouvoir. Aussi, le Vietminh avait sa propre zone de guérilla armée au nord, et les Chinois n’étaient pas activement opposés à un Vietnam indépendant. Dans la ligne de sa politique d’ »ouverture » de la coalition pour y inclure les nationalistes bourgeois et les leaders catholiques, Ho décréta en novembre la liquidation complète du parti communiste indochinois. La déclaration du Comité central affirmait que « afin d’accomplir la tâche du Parti … en vue d’une union nationale sans distinction de classes, de partis est un facteur indispensable » et que ce geste a été fait pour montrer que les Communistes « sont toujours disposés de placer les intérêts de leur pays au dessus de ceux de classe, et de renoncer aux intérêts du Parti pour servir ceux du peuple vietnamien. »
A cette époque, cependant, l’opposition était toujours forte au Nord. Le groupe La Lutte publiait à ce moment un quotidien à Hanoï, Tran Dao (La Lutte), qui avait une diffusion de 30.000 exemplaires à la fin 1945. Un courrier du secrétariat de la Quatrième Internationale à ce moment parlait d’un groupe La Lutte bien organisé mais persécuté dans le nord. Conduit par Ta Thu Thau, ancien dirigeant des éditeurs du Tonkin dans les années 1937-38, il tenait de grands meetings et publiait de nombreux ouvrages en plus de son quotidien. (…)
Ta Thu Thau fut arrêté par le Viet Minh au cours d’un voyage vers le sud. Jugé trois fois par des comités du peuple locaux, il fut acquitté trois fois, un tribut à la réputation des trotskystes à cette époque. Finalement, il fut simplement fusillé à Quang Ngai, en février 1946, sur ordre du dirigeant stalinien du sud Tran Van Giau.
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article6148
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article440
https://www.marxists.org/francais/4int/postwar/1946/Mouvements.pdf
Vietnam
Vietnam : chronologie
8 mars 1945 : Coup de force japonais qui fait tomber le régime français au Vietnam
9 mars 1945 : Démantèlement des troupes françaises d’Indochine
11 mars 1945 : Bao Daï proclame l’indépendance de l’Indochine en collaboration avec le Japon
17 avril 1945 : Constitution du gouvernement vietnamien projaponais de Tran Van Kim
26 juillet 1945 : Aux accords de Potsdam, les Alliés décident l’occupation chinoise au nord du Vietnam et anglaise au sud, zones limitées par le 16e parallèle.
13 août 1945 : Pour anticiper l’arrivée des Alliés, les staliniens du « Comité de Libaration du peuple vietnamien » parlent de renversement du pouvoir japonais, la veille de sa reddition.
15 août 1945 : Capitulation du Japon dans la guerre mondiale
18 août 1945 : Constitution du Front National Unifié qui regroupe bourgeoisie et féodaux (Caodaïstes, Hoa Hao et Parti de l’indépendance).
19 août 1945 : Apparition de comités du peuple dans la région sud
21 août 1945 : Constitution de centaines de comités de la jeunesse d’avant-garde
Le même jour, le plus grand quartier ouvrier de Saïgon (Phu-Huan) élit son comité du peuple qui se proclame nouveau pouvoir central. Les paysans liquident les anciens serviteurs des gouvernements français et japonais. Ils investissent les bureaux et tribunaux de l’administration locale. Constitution de tribunaux du peuple qui jugent les grands propriétaires et les anciens fonctionnaires. Les comités du peuple, d’août à septembre, confisquent les biens des riches et partagent les terres. Manifestation de 300.000 personnes dont 30.000 derrière la bannière trotskyste de la LCI.
23 août 1945 : Pour contrer la vague révolutionnaire, le Front National Unifié se dissous et adhère au Viet Minh tenu par les staliniens, seule force capable de contrer la révolution sociale.
25 août 1945 : Abdication de Bao Daï. Formation par les staliniens du « Comité exécutif provisoire du sud Vietnam » qui vise à éviter le vide du pouvoir en occupant tous les postes adminstratifs et en maintenant en place la police : sept staliniens sur neuf ministres et Ho Chi Minh à la présidence. Grandiose manifestation à Saïgon pour l’indépendance.
26 août 1945 : Entrée des troupes chinoises au nord du Vietnam. Première assemblée des comités du peuple.
27 août 1945 : Déclaration du stalinien Nguyen Van Tao, ministre l’Intérieur, contre les trostskystes : « Seront sévèrement punis et impitoyablement frappés tous ceux qui auront poussé les paysans à s’emparer des propriétés foncières. (…) Nous n’avons pas encore fait la révolution communiste qui apportera la solution au problème agraire. Ce gouvernement n’est qu’un gouvernement démocratique, c’est pourquoi il ne lui apartient pas de réaliser une telle tâche. Notre gouvernement, je le répète, est un gouvernement démocratique bourgeois, bien que les communistes soient actuellement au pouvoir. »
28 août 1945 : Déclenchement d’une vaste campagne de calomnies contre les trotskystes accusés de semer le désordre et de provoquer des troubles.
29 août 1945 : Formation du gouvernement provisoire vietnamien
1er septembre 1945 : Déclaration de Tran Van Giau affirmant que l’indépendance n’est pas le produit de la lutte mais des « négociations avec nos alliés » et qui menancent quiconque prétend combattre les armes à la main les « forces alliées » : « Ceux qui incitent le peuple à l’armement seront considérés comme des saboteurs et des provocateurs, ennemis de l’indépendance nationale. Nos libertés démocratiques seront octroyées et garanties par les Alliés démocratiques. »
2 septembre 1945 : Manifestation organisée par le gouvernement et les staliniens pour « accueillir les Alliés » qui débarquent à Saïgon. La manifestation se déroule dans le calme mais des coups de feu sont tirés contre les manifestants en marge du cortège. La colère des Vietnamiens explose. La population explose de colère contre le retour des colonialistes. Le climat change. Des Français sont pris à partie et assassinés. Les staliniens accusent les trotskystes de la responsabilité des troubles.
7 septembre 1945 : A Hanoï, Tran Van Giau décrète le désarmement des organisations non-gouvernementales, dont les comités populaires qui préparaient une insurrection armée contre le retour des troupes alliées au Vietnam. Le nouveau pouvoir stalinien se prépare à « accueillir nos alliés. »
10 septembre 1945 : Débarquement des troupes anglaises à Saïgon
12 septembre 1945 : Manifeste commun des comités du peuple et du groupe trostskyste LCI dénonçant la politique de trahison du gouvernement stalinien et capitulation devant l’Etat-major des troupes anglaises.
14 septembre 1945 : Un détachement armé sous les ordres du chef de la police, le stalinien Quang Bach, arrête les membres du comité populaire révolutionnaire de Tan Dinh (banlieue de Saïgon). Le massacre des trotskystes est lancé par les staliniens et le nouveau pouvoir dans tout le pays pour décapiter la révolution.
22 septembre 1945 : Le général britannique Gracey arme les troupes françaises, liquide le « comité exécutif du sud Vietnam » et proclame la loi martiale.
Octobre 1945 : Les troupes de leclerc se rendent maitresses de Saïgon.
Octobre 1945 à janvier 1946 : Leclerc et les troupes françaises réoccupent la Cochinchine.
11 novembre 1945 : autodissolution du Parti Communiste « pour placer les intérêts de la patrie au dessus de ceux des classes. »
6 mars 1946 : Accord entre la France et le Viet Minh : le Vietnam appartient à la Fédération Indochinoise et dépend de l’Union française (c’est-à-dire à l’empire colonial français).
18 mars 1946 : Entrée des troupes françaises à Hanoï.
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article91
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article578
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article5073
Japon
Le bombardement massif, meurtrier et fasciste (le fascisme a pour but d’éliminer massivement les prolétaires révolutionnaires) des civils japonais visait à éradiquer la révolution prolétarienne après la défaite du Japon, à sauver les capitalistes et militaires japonais au lieu de les battre définitivement comme le prétendait la propagande alliée !
Le pilonnage des villes japonaises correspondait également à cette stratégie destinée à détruire le moral des civils. Un bombardement nocturne sur Tokyo fit quelque quatre-vingt mille victimes. Puis, le 6 août 1945, apparut dans le ciel d’Hiroshima un unique avion américain qui lâcha la première bombe atomique faisant environ cent-mille morts et des dizaines de milliers d’autres victimes qui allaient mourir lentement de l’effet dévastateur des radiations. (…) Trois jours plus tard, une autre bombe atomique était lâchée sur Nagasaki, faisant environ cinquante mille victimes supplémentaires. Ces actes atroces furent justifiés par la nécessité d’accélérer la fin de la guerre et d’éviter d’envahir le Japon. (…) En août 1945, le Japon était déjà dans une situation désespérée et prêt à se rendre. (…) Les cent mille morts d’Hiroshima étaient presque tous des civils. Le US Strategic Bomb Survey déclara quant à lui dans son rapport que « Hiroshima et Nagasaki avaient été choisie pour cibles en raison de leur forte concentration d’activités et de population. » (…) Après la reddition du Japon, les puissances fascistes étaient battues. Mais qu’en est-il du fascisme en tant qu’idée, et en tant que réalité ? » Anéantir le fascisme et les fascistes n’était pas l’objectif de l’impérialisme US lui qui maintenait même au pouvoir l’empereur Hiro Hito, grand organisateur du régime fasciste. Comment l’impérialisme pourrait-il vouloir détruire définitivement le fascisme puisque celui-ci n’est rien d’autre que l’anéantissement physique et moral de toute possibilité pour la classe ouvrière de faire la révolution sociale ? Cet anéantissement n’était-il pas le premier objectif des Alliés à la fin de la guerre ?
La violence contre le Japon avait pour but de détruire une partie de la classe ouvrière et de terroriser l’autre partie pour éviter l’explosion sociale.
Quant à la classe ouvrière japonaise, elle s’est montrée effectivement comme une force menaçante pour les bourgeois. En décembre 1945, on est passé de zéro à 509 syndicats. En un an il y avait 17 000 syndicats regroupant 5 millions de syndiqués. Très vite, les grèves ont inquiété non seulement le patronat et le gouvernement japonais, mais les autorités américaines. Les grèves étaient non seulement revendicatives mais radicales, ne craignaient pas de toucher le sacro-saint droit de propriété. Ainsi en octobre 1945, les employés et journalistes d’un grand journal en grève le sortirent et lui donnèrent un contenu tellement contestataire qu’ils firent rapidement céder le patron. En décembre 1945, les cheminots d’une compagnie privée en grève faisaient voyager gratuitement les passagers et se servaient dans la caisse pour se payer. Toujours en décembre 1945, les mineurs décidèrent d’exploiter eux mêmes les mines ramenant la journée de travail de 12 à 8 heures. En janvier 1946, chez Toshiba c’est un comité regroupant les syndicats de douze usines différentes qui prit l’entreprise en mains. Dans tous ces cas les patrons cédèrent rapidement. L’effervescence populaire a gagné tout le pays au printemps 1946. La population affamée manifeste partout pour réclamer du riz. Le 12 mai, les manifestants forcent les grilles du palais impérial. Il faut dire que le seul reste que les américains aient choisi de conserver de l’ancien régime était justement son chef, l’empereur ! Les revendications des manifestants n’étaient pas seulement économiques mais politiques : gouvernement démocratique, arrestation des criminels de guerre, contrôle populaire sur les ressources alimentaires, contrôle ouvrier sur la production, etc… Le 19 mai, le mouvement gagne tout le pays avec 2 millions de personnes dans la rue dont 250.000 à Tokyo. Dans bien des secteurs, les ouvriers sont victorieux : dans les chemins de fer et les transports maritimes le gouvernement doit renoncer aux 120.000 licenciements programmés. Les électriciens obtiennent des augmentations de salaires de 20%. Le 18 janvier la fédération syndicale lance une grève générale illimitée pour le premier février. Mac Arthur décide de l’interdire. Les dirigeants staliniens reculent immédiatement en déclarant : « un pas en arrière, deux pas en avant ». C’est le Parti communiste qui permit ce que les patrons et le gouvernement n’avaient pas réussi : à briser l’élan gréviste. L’occasion manquée n’allait pas se renouveler. La période avait changé. En 1948, le mouvement ouvrier n’étant plus gros d’une révolution comme à l’après guerre, les attaques se multiplièrent contre les travailleurs, pour reprendre tout ce qui avait été concédé : Mac Arthur retira le droit de grève aux fonctionnaires, une grève des cheminots contre les licenciements fut brisée. La confédération des syndicats proche du parti communiste fut cassée, et le parti communiste pratiquement hors la loi. Des milliers de ses militants furent licenciés, lors de ce que l’on a appelé les « purges rouges ».
Un réveil grandiose du mouvement ouvrier japonais, englobant presque un million de travailleurs, - un tiers des forces ouvrières organisées – a commencé le 10 septembre 1946 à Tokyo par une grève générale totale du Syndicat des Marins japonais. Ceci fut suivi peu de jours après par une grève de 556.000 travailleurs de la C.G.T. japonaise et de 330.000 ouvriers agricoles organisés dans le Syndicat National Agraire du Japon. Cette grève puissante eut lieu face au décret dictatorial promulgué par le général Mac Arthur il y a deux semaines, décret soutenu par le gouvernement marionnette, interdisant "les grèves, abandons de travail et autres formes d’arrêt de travail". Ce décret de style hitlérien et la menace faite par Mac Arthur d’utiliser les troupes d’occupation comme briseurs de grèves servirent à écraser une grève de trois jours des marins à Sasebo. Cette semaine, d’après les rapports syndicaux, 3.899 bateaux sont immobilisés, paralysant virtuellement la marine marchande japonaise. Des grèves de sympathie du Syndicat des Travailleurs des ports japonais et du Syndicat des Marins côtiers ajoutèrent 60.000 grévistes aux 54.000 marins de la marine marchande qui avaient quitté les bateaux. Les équipages japonais de huit Liberty Ships qui devaient retourner aux U.S.A., se sont joints à la grève, et six autres équipages se préparent à en faire autant.
Le Syndicat des marins japonais exige une augmentation de 100% des salaires. Et, plus important, ils sont déterminés à empêcher le gouvernement de réaliser sa menace de licenciement de 80% des marins, sans consultations avec les Syndicats. Le Syndicat déclare que ces licenciements massifs non seulement ne sont pas nécessaires, mais d’après le Christian Science Monitor du 12 septembre, "peuvent être à l’heure actuelle un effort pour arrêter la croissance du mouvement ouvrier sous prétexte de nécessités économiques". La grève des marins s’étend parce que le mouvement syndical japonais est déterminé à faire échec aux tentatives des impérialistes américains et de leur gouvernement marionnette d’écraser leur force organisée et de faire retourner les ouvriers aux formes de servitude semi-féodale. Le Congrès des syndicats ouvriers (équivalent du C.I.O. américain) a ordonné aux simples centrales affiliées de se mettre en grève et de tenir bon jusqu’à ce "que le gouvernement réactionnaire de Yoshida s’effondre". L’ordre de grève a été donné chez les mineurs, métallos, industries chimiques, imprimeurs, électriciens et d’autres corporations. La grève des travailleurs agricoles suivit l’ordre de grève de la C.G.T. japonaise de près, étant donné l’impossibilité d’arriver à un accord entre le Syndicat et les grands propriétaires fonciers sur l’augmentation des salaires et les conventions collectives. La C.G.T. japonaise a 1 600 000 membres, comprenant 600 000 cheminots. La Fédération Générale des Cheminots a aussi lancé l’ordre de grève après que le gouvernement eut menacé de licencier 75 000 cheminots sous prétexte d’"économies", le même prétexte qui fut utilisé pour menacer les marins de licenciements massifs.
Les USA n’allaient pas se contenter de terroriser la population puis de faire la police dans le pays. Ils voulaient régler un certain nombre de problèmes pour éviter que, la guerre passée, les luttes ne reprennent de plus belle contre eux directement cette fois. Ils réglaient le problème du régime qui allait succéder en en prenant eux mêmes d’abord la direction par l’occupation militaire et par l’arrestation d’une grande partie de l’appareil d’Etat précédent, une bonne manière d’éviter à la population de s’en prendre aux anciens dirigeants. Mais ils ont fait bien plus, ils ont même volé aux travailleurs japonais leur révolution sociale en réalisant une partie de ses objectifs par en haut, en renversant tout l’ancien système légal qui avait cours au Japon et en modernisant toutes les règles de vie sociale, de la vie politique et même de la vie civile et renversant le système social au pouvoir, en expropriant les grands patrons japonais et grands propriétaires terriens. Mac Arthur n’avait pourtant rien d’un réformiste. Ce militaire réactionnaire avait peu avant occupé le Philippines et y avait restauré, les armes à la main, le pouvoir des grands propriétaires terriens contre les paysans en révolte, contre toute réforme agraire y compris celle qu’avaient entamé les occupants japonais. Seulement, au Japon c’est la révolution ouvrière que les occupants américains craignaient et, en face de celle-ci, ils savaient qu’il n’y aurait plus aucune confiance dans la classe dirigeante japonaise et dans aucun gouvernement japonais. Il n’y avait plus d’autre garde fou que la force armée américaine qui pouvait, face à une révolution sociale, n’être qu’un fétu de paille. Mac Arthur a promulgué plus de 700 lois nouvelles bouleversant de fond en comble les structures politiques et sociales, avec une nouvelle constitution, un gouvernement responsable devant un parlement, avec l’égalité juridique et le droit de vote des femmes, avec la suppression des droits féodaux, l’épuration de 200 000 personnages haut placés dont les officiers et les politiciens et les corps de répression les plus détestés. Le problème des grèves était résolu d’avance puisque l’essentiel de l’économie était démantelée, les grands trusts expropriés. En août 1944, un impôt sur le capital était instauré allant jusqu’à 90% pour les plus grosses fortunes. Eh oui, il ne s’agit pas d’un pays du bloc de l’est mais de la politique menée par l’armée et le gouvernement des USA. Les trusts ont quand même trouvé le moyen de résister et de faire traîner les choses. Ils ont d’abord signé leur dissolution volontaire puis ont influencé la commission chargée de leur suppression. Et, en juillet 1947, quand il s’est agi de mettre en pratique ce n’était plus la préoccupation des USA d’éviter un soulèvement des travailleurs du Japon mais de combattre l’URSS et pour cela de s’appuyer sur le Japon.
Les USA ont également réalisé la réforme agraire du Japon qui était resté sous structure féodale. Les propriétaires de grandes terres n’ont pu conserver que 3 hectares maximum et les anciens métayers ont récupéré les terres restantes. En deux ans plus de la moitié des terres changea de mains. Le nombre de paysans sans terre est passé de 30 % à moins de 5%. Cette réforme que la bourgeoisie japonaise aurait été incapable de réaliser car trop liée aux grands propriétaires fut donc réalisée par la puissance occupante américaine, grâce à la crainte des masses populaires par l’impérialisme US !
Quant à la classe ouvrière japonaise, elle s’est montrée effectivement comme une force menaçante pour les bourgeois. En décembre 1945, on est passé de zéro à 509 syndicats. En un an il y avait 17 000 syndicats regroupant 5 millions de syndiqués. Très vite, les grèves ont inquiété non seulement le patronat et le gouvernement japonais, mais les autorités américaines. Les grèves étaient non seulement revendicatives mais radicales, ne craignaient pas de toucher le sacro-saint droit de propriété. Ainsi en octobre 1945, les employés et journalistes d’un grand journal en grève le sortirent et lui donnèrent un contenu tellement contestataire qu’ils firent rapidement céder le patron. En décembre 1945, les cheminots d’une compagnie privée en grève faisaient voyager gratuitement les passagers et se servaient dans la caisse pour se payer. Toujours en décembre 1945, les mineurs décidèrent d’exploiter eux mêmes les mines ramenant la journée de travail de 12 à 8 heures.
En janvier 1946, chez Toshiba c’est un comité regroupant les syndicats de douze usines différentes qui prit l’entreprise en mains. Dans tous ces cas les patrons cédèrent rapidement. L’effervescence populaire a gagné tout le pays au printemps 1946. La population affamée manifeste partout pour réclamer du riz. Le 12 mai, les manifestants forcent les grilles du palais impérial. Il faut dire que le seul reste que les américains aient choisi de conserver de l’ancien régime était justement son chef, l’empereur ! Les revendications des manifestants n’étaient pas seulement économiques mais politiques : gouvernement démocratique, arrestation des criminels de guerre, contrôle populaire sur les ressources alimentaires, contrôle ouvrier sur la production, etc…
Le 19 mai, le mouvement gagne tout le pays avec 2 millions de personnes dans la rue dont 250.000 à Tokyo. Dans bien des secteurs, les ouvriers sont victorieux : dans les chemins de fer et les transports maritimes le gouvernement doit renoncer aux 120.000 licenciements programmés. Les électriciens obtiennent des augmentations de salaires de 20%. Le 18 janvier la fédération syndicale lance une grève générale illimitée pour le premier février. Mac Arthur décide de l’interdire. Les dirigeants staliniens reculent immédiatement en déclarant : « un pas en arrière, deux pas en avant ». C’est le Parti communiste qui permit ce que les patrons et le gouvernement n’avaient pas réussi : à briser l’élan gréviste. L’occasion manquée n’allait pas se renouveler. La période avait changé. En 1948, le mouvement ouvrier n’étant plus gros d’une révolution comme à l’après guerre, les attaques se multiplièrent contre les travailleurs, pour reprendre tout ce qui avait été concédé : Mac Arthur retira le droit de grève aux fonctionnaires, une grève des cheminots contre les licenciements fut brisée. La confédération des syndicats proche du parti communiste fut cassée, et le parti communiste pratiquement hors la loi. Des milliers de ses militants furent licenciés, lors de ce que l’on a appelé les « purges rouges ».
LA LUTTE OUVRIERE AU JAPON
(Reproduit de The militant du 21-9-46)
« Un réveil grandiose du mouvement ouvrier japonais, englobant presque un million de travailleurs, - un tiers des forces ouvrières organisées – a commencé le 10 septembre 1946 à Tokyo par une grève générale totale du Syndicat des Marins japonais. Ceci fut suivi peu de jours après par une grève de 556.000 travailleurs de la C.G.T. japonaise et de 330.000 ouvriers agricoles organisés dans le Syndicat National Agraire du Japon. Cette grève puissante eut lieu face au décret dictatorial promulgué par le général Mac Arthur il y a deux semaines, décret soutenu par le gouvernement marionnette, interdisant "les grèves, abandons de travail et autres formes d’arrêt de travail". Ce décret de style hitlérien et la menace faite par Mac Arthur d’utiliser les troupes d’occupation comme briseurs de grèves servirent à écraser une grève de trois jours des marins à Sasebo. Cette semaine, d’après les rapports syndicaux, 3.899 bateaux sont immobilisés, paralysant virtuellement la marine marchande japonaise. Des grèves de sympathie du Syndicat des Travailleurs des ports japonais et du Syndicat des Marins côtiers ajoutèrent 60.000 grévistes aux 54.000 marins de la marine marchande qui avaient quitté les bateaux. Les équipages japonais de huit Liberty Ships qui devaient retourner aux U.S.A., se sont joints à la grève, et six autres équipages se préparent à en faire autant.
Le Syndicat des marins japonais exige une augmentation de 100% des salaires. Et, plus important, ils sont déterminés à empêcher le gouvernement de réaliser sa menace de licenciement de 80% des marins, sans consultations avec les Syndicats. Le Syndicat déclare que ces licenciements massifs non seulement ne sont pas nécessaires, mais d’après le Christian Science Monitor du 12 septembre, "peuvent être à l’heure actuelle un effort pour arrêter la croissance du mouvement ouvrier sous prétexte de nécessités économiques". La grève des marins s’étend parce que le mouvement syndical japonais est déterminé à faire échec aux tentatives des impérialistes américains et de leur gouvernement marionnette d’écraser leur force organisée et de faire retourner les ouvriers aux formes de servitude semi-féodale. Le Congrès des syndicats ouvriers (équivalent du C.I.O. américain) a ordonné aux simples centrales affiliées de se mettre en grève et de tenir bon jusqu’à ce "que le gouvernement réactionnaire de Yoshida s’effondre". L’ordre de grève a été donné chez les mineurs, métallos, industries chimiques, imprimeurs, électriciens et d’autres corporations. La grève des travailleurs agricoles suivit l’ordre de grève de la C.G.T. japonaise de près, étant donné l’impossibilité d’arriver à un accord entre le Syndicat et les grands propriétaires fonciers sur l’augmentation des salaires et les conventions collectives. La C.G.T. japonaise a 1 600 000 membres, comprenant 600 000 cheminots. La Fédération Générale des Cheminots a aussi lancé l’ordre de grève après que le gouvernement eut menacé de licencier 75 000 cheminots sous prétexte d’"économies", le même prétexte qui fut utilisé pour menacer les marins de licenciements massifs.
Les cheminots accusent le gouvernement de s’occuper seulement de réunions au sujet du paiement des bons de défense nationale, émis pendant la guerre, aux dépens des ouvriers. Ces paiements vont aux mêmes profiteurs capitalistes japonais qui firent massacrer les travailleurs durant la guerre impérialiste et qui sont maintenant protégés par Mac Arthur. Le Syndicat se prépare à la grève parce qu’on fait supporter aux travailleurs les "déficits" qui furent faits "dans le but de mener la guerre". Le gouvernement a reculé devant cette menace de grève et le Ministère des Transports a retiré ses ordres de licenciements. On rapporte que le Syndicat des Cheminots a une attitude de trêve temporaire. »
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article104
Le faux rôle des deux bombes atomiques dans la guerre contre le Japon
Tokyo - 9 et 10 mars 1945
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article4327
Hiroshima et Nagasaki en août 1945
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article3773
L’occupation militaire du Japon
https://fr.wikipedia.org/wiki/Occupation_du_Japon
Corée
En Corée les alliés avaient décidé d’un système d’occupation apparemment absurde et qui allait donner lieu au pire affrontement de la guerre froide en 1950 mais qui, en cette fin de guerre mondiale, correspondait aux différentes zones dans cette région. En effet la péninsule coréenne était divisée en deux, une partie sous occupation russe et une autre sous occupation américaine, les deux étant séparées par le 38ème parallèle. En fait en disant cela on oublie lune grande part du problème, on attribuait à la Chine la partie de la Corée continentale, le Kan Do, prise lors des conquêtes militaires et cela allait s’avérer très important par la suite.
Au départ cette division discutée lors des conférences de Téhéran en 1943 et Yalta en 1945 devait être provisoire. Les premiers arrivés sur place sont les russes au nord le 24 août 1945. Puis les USA arrivent un mois plus tard au sud en septembre 45. Des deux côtés tout est programmé et aucun des deux camps n’a l’intention de demander à la population de décider. Les russes ont dans leurs bagages Kim Il Sung qu’ils comptent imposer comme dirigeant sous l’étiquette parti communiste. Pourtant il existe en Corée un parti communiste clandestin dont Kim n’est pas le dirigeant mais c’est l’homme des russes et dans l’ambiance d’effervescence sociale les russes s’en méfient comme ils se méfient de tous les militants démocrates ou syndicalistes qui vont très vite peupler leurs prisons. Pour se débarrasser du réel parti communiste coréen, les russes vont avoir de grandes difficultés car il faut s’en débarrasser à la fois au nord et au sud. Au nord cela se fera sous l’occupation militaire russe, les anciens dirigeants iront en prison ainsi qu’au fur et à mesure tous les opposants à Kim Il Sung. Au sud, ce sera beaucoup plus difficile d’autant que traditionnellement la direction du parti communiste résidait au sud à Séoul et que le parti va rester un seul parti malgré la division du pays.
Des deux côtés, il y a la même situation catastrophique pour la population qui se traduit tout de suite par une explosion sociale La misère des travailleurs est catastrophique. Le nombre des morts est considérable. Et, en plus la population sort de nombreuses années d’occupation japonaise où ils ont souffert atrocement. Ce n’est pas pour accepter facilement une autre occupation militaire. Enfin, très vite le problème du partage du pays en deux qui semble être du provisoire qui dure va devenir un problème politique de premier ordre, empêchant les deux pouvoirs de se stabiliser et de gagner du crédit. En effet, sur ordre de Staline, Kim Il Sung au nord va défendre la division du pays de la même manière qu’au sud le fantoche des américains Syngman Rhee, un dictateur d’extrême-droite corrompu et ultra-violent. Des deux côtés, la classe ouvrière va s’opposer à cette division et en particulier les syndicats d’origine plutôt anarcho-syndicalistes avec des militants d’extrême gauche et qui ne sont pas encore contrôlés par le parti communiste. La pression est telle au sud que le parti communiste sud coréen prend son indépendance politique de la direction du nord en août 46. Mais en même temps il le fait sur des bases tout ce qu’il y a de moins révolutionnaire, du moins dans un sens prolétarien. La thèse d’août qui souligne cette indépendance politique à la fois n’accepte plus la division du pays mais affirme qu’il faut mener une révolution bourgeoise en vue de la réunification, révolution qui aura pour base les campagnes et non les villes. Et cela signifie aussi que le PC du sud appelle les ouvriers et les paysans à rejoindre les montagnes pour y organiser la guérilla. Le syndicat des ouvriers du sud va s’opposer violemment à ces propositions. En effet, les travailleurs sont très loin de se sentir impuissants dans leurs luttes dans les usines au point d’aller se retrancher dans les montagnes. La thèse du caractère bourgeois de la révolution n’est pas mieux acceptée.
En fait, dans les usines c’est à une offensive ouvrière que l’on assiste en Corée du sud. L’insurrection ouvrière part de deux villes : Taekou, grande ville du sud est et Busan le grand port du sud. C’est un soulèvement spontané qui débute par une grève des cheminots et qui se termine par de véritables affrontements armés, les travailleurs s’étant organisés en milice ouvrière. Partout des comités de grève sont mis en place et la grève s’étend à de nombreuses autres villes. La réaction des troupes américaines est très violente. La répression s’étend à tout le pays contre les syndicats et les militants radicaux. Le PC du sud qui n’était pour rien dans le mouvement est interdit. La dictature de Syngman Rhee devient féroce. Des opposants politiques et des dirigeants syndicalistes sont assassinés comme le leader anarcho-syndicaliste.
Kim Ku et le dirigeant social-démocrate Yo Un Hyong. Le Parti communiste a été contraint de passer dans la clandestinité totale. La direction politique du PC du nord en profite pour réussir pour la première fois à établir sa domination sur l’ensemble du parti communiste.
En 1946-47, loin de se stabiliser, le régime de Corée du sud est attaqué sur tous les fronts : mutineries militaires, insurrections paysannes, mouvements politiques dans les villes contre le régime de Syngman Rhee et mouvements sociaux. Le pouvoir central de Séoul est tellement affaibli qu’il est contraint de laisser les paysans occuper toute une région dite libérée. Le PC du sud décide de s’investir dans cette révolution paysanne et il appelle à nouveau les ouvriers à le suivre. La plupart des ouvriers et des militants intellectuels qui vont suivre cet appel sont massacrés avant même qu’ils aient pu rejoindre la région ni s’armer. Le PC du sud va quand même prendre la direction politique de ces paysans insurgés. Il leur conseille de quitter les terres agricoles pour rejoindre les montagnes et effectivement cette guérilla va tenir là jusqu’à la guerre de Corée en 1950, où elle fera sa jonction avec l’armée nord coréenne. Paradoxalement c’est cela qui lui sera fatal car le régime de Corée du nord n’avait nullement envie de soutenir les paysans du sud et va les abandonner en cessant de les armer dès l’offensive américaine.
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article91
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article1680
Chine
En août 1945, Mao était l’allié de Tchang Kaï Shek. Mao et Tchang Kaï-shek essaient encore de s’entendre en 1946.
La capitulation japonaise trouve, en 1945, Mao à la tête d’une armée de 900.000 hommes, à laquelle s’ajoute une milice de 2.200.000 hommes. (…) Le P.C.C. a joué à fond la carte du front uni et de la défense nationale. (…) Il abandonne une bonne part de son programme social, renonce à la confiscation des terres des grands propriétaires et se contente d’appliquer effectivement la loi qui limite le taux de la rente foncière. (…) Pour les petits exploitants, il promulgue et fait appliquer une baisse du taux de l’intérêt (fixé à 10% l’an) et la réduction de l’impôt qui devient progressif. (…) Le social une fois repoussé à l’arrière-plan et à d’autres temps, l’accent est mis sur le national. Sans relâche, le P.C.C. invoque la nécessité de « sauver le pays ». Dans la « Nouvelle Démocratie » publiée en 1940, Mao se présente sans sourciller comme le disciple fidèle et le continuateur véritable de Sun Yat-sen. (…) L’administration locale résistante, dominée par le P.C.C., a occupé le vide, les fonctionnaires du Guomintang ayant assez souvent fui ou abandonné les positions de responsabilité au premier signe d’insécurité. (…) La meilleure alliée du P.C.C. a été l’armée japonaise, dont les atrocités ont rendu la position de la paysannerie si désespérée qu’il n’était d’autre issue pour elle que de se mettre sous la protection de l’Armée Rouge. A la guérilla, aux attentats, aux sabotages, les Japonais ont répliqué par le massacre aveugle des villageois et les destructions systématiques. (…) Au cours de la guerre, le « communisme » chinois s’est transformé en une simple variété du nationalisme. Et c’est en tant que tel qu’il a conquis le pouvoir. (…) En Chine, la guerre hâte la désintégration d’un régime faible. Elle met à nu son inefficacité, rend plus aiguës ses contradictions. Chaos, incurie, ces mots reviennent constamment dans les descriptions d’observateurs neutres ou bienveillants. (…) Un général américain déclare : « Nous sommes alliés à un cadavre ». (…) Conséquences habituelles d’une inflation (massive et qui n’est pas combattue), spéculation et corruption fleurissent. (…) Les victimes de l’inflation furent dans un premier temps la classe moyenne des villes. A partir de l’été 1948, les privilégiés aux-mêmes sont ruinés. (…) Le régime démolit lui-même ses assises. (…) Les communistes ne peuvent être pires est la conviction qui s’impose peu à peu à l’opinion bourgeoise elle-même. On les attend avec espoir ou avec crainte ; quoiqu’il arrive, que l’incertitude cesse. (…) Triomphe du nationalisme chinois, né de l’excès même de la menace : l’invasion japonaise n’aide pas seulement la nation chinoise à prendre conscience d’elle-même, elle contraint encore les Alliés, impérialistes, à reconnaître à la Chine un statut d’égalité jusqu’alors obstinément refusé. Américains et Britanniques renoncent en 1943 aux privilèges d’exterritorialité, pour lesquels le nationalisme chinois combattait depuis un siècle. (…) La Chine est considérée comme l’un des « Quatre Grands ». (…) Dans les faits, le « communisme » chinois, c’est d’abord la revanche du nationalisme chinois. (…) Cette révolution finit comme une conquête militaire. (…) Communistes comme Guomintang se font la course pour récupérer les armes japonaises. (…) Le médiateur américain en Chine, Marshall, celui-là même qui devait donner son nom au fameux plan, cherche inlassablement à intégrer effectivement les communistes chinois dans un gouvernement de coalition, à l’image de ce qui se pratique en France, par exemple. S’il ne vient pas à bout de l’obstination de Chiang, il réussit du moins, dès janvier 1946, à faire proclamer une trêve et à mettre sur pied à Pékin, un organisme triparti (nationalistes, communistes et Américains) chargé d’aller enquêter et d’intervenir partout où des accrochages sont signalés. (…) En dépit de ses succès initiaux, la mission Marshall se solde par un échec total. Total et inévitable. (…) Les communistes chinois ne sont pas aidés par l’Union soviétique. Quant aux villes, l’armée soviétique les a tout simplement livré aux nationalistes (de Chiang). (…) Les opérations militaires sont d’abord favorables aux Nationalistes (été 1946-printemps 1947). (…) Vers le milieu de l’année 1947, les communistes prennent l’initiative en Mandchourie. Ils la conserveront jusqu’à la fin de la guerre. (…) 1948 est l’année des grandes victoires de l’armée rouge. (…) En juin 1948, elle conquiert les grandes villes du Henan. Elle les évacue une fois qu’elle a saisi les armes. (…) En septembre 1948, la Mandchourie entière est conquise. (…) La campagne militaire de Huaï-hai a anéanti en deux et cinq jours ce qui subsistait des forces nationalistes : 550.000 hommes. (…) Le 21 janvier 1949, Chiang démissionne. (…) C’est après la victoire que les « communistes » entrent dans les grandes villes : Tientsin est prise le 15 janvier, Pékin le 23 janvier, Nankin le 23 avril, Shangaï en mai. (…) L’Armée Rouge n’a cessé de représenter la vraie force du P.C.C. "
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article1291
La « révolution » maoïste est l’une de celles qui a produit le plus de mythes mensongers pour couvrir d’un voile « révolutionnaire » et « communiste » des politiques qui étaient tout le contraire de cela. On a même longtemps présenté la Chine comme plus communiste, plus anti-impérialiste et plus révolutionnaire que la Russie de Staline, et même de Lénine. Selon cette légende, Mao serait arrivé au pouvoir à la tête d’une révolution paysanne. Il aurait construit un pouvoir des ouvriers et des paysans, du type soviétique comme en octobre 1917 en Russie. Il aurait rompu avec l’impérialisme. Il aurait aidé la révolution mondiale, en restant révolutionnaire, contrairement au « révisionnisme » russe. La révolution culturelle marquerait le caractère de « révolution permanente » du régime chinois, sa capacité à s’attaquer aux idéologoqies réactionnaires et la jeunesse des idées révolutionnaires en Chine. Voilà quelques uns des mensonges qui courent sur le pouvoir chinois.
La Révolution chinoise de 1949
Nous allons essayer de rétablir une réalité qui n’a pas grand-chose à voir avec les affirmations précédentes. Ce qui a donné ses forces armées à Mao, ce n’est pas la lutte des classes, ni la révolution sociale, mais la lutte de défense nationale contre le Japon. Il a ainsi pu construire sa fameuse « huitième armée de route » intégrée à l’ensemble des forces armées chinoises, aux côtés de Tchang Kaï Chek, et aux côtés des USA. C’est cette armée, une fois la défaite japonaise acquise, qui lui a permis de prendre le pouvoir. Même s’il a eu un recrutement dans les campagnes, l’armée de Mao est tout sauf une organisation fondée sur une lutte radicale de la paysannerie. Mao a gouverné des régions paysannes comme un chef d’armée qui s’entend bien avec les paysans, mais qui s’accommode avec les possédants locaux, propriétaires fonciers, banquiers, commerçants et usuriers. Dans ces zones dites libérées, il n’appliquait pas un programme social radical, se contentait de baisser les impôts. Il n’a pas appliqué un programme radical de distribution de terres aux paysans pauvres. Mao n’est même pas un chef de révolte paysanne, comme la Chine en a connu dans le passé. Quant à la révolution paysanne, quand elle a éclaté – nullement à l’initiative de Mao – il a longuement hésité à prendre son parti, et, même après cette décision, il a toujours refusé d’armer les paysans. Y compris durant l’offensive contre le régime de Tchang Kaï Chek, il déclarait que « Les paysans qui nous rejoignent peuvent nous apporter à manger, pousser nos chariots, ou s’occuper des soins des blessés. En aucun cas, ils ne doivent être armés. » En ce sens, son armée et son appareil d’Etat sont des instruments classiques de pouvoir et non des organes révolutionnaires. Son parti est un organe politique de pouvoir et, avant même la prise de pouvoir, un parti unique. Il n’est pas question de remettre en question cette direction dictatoriale. Mao n’a pas un seul instant envisagé d’organiser les travailleurs de villes au cours de sa « révolution », même pas au moment de la prise de pouvoir dans les villes. Dans les villes, il a, par contre, pris contact avec les bourgeois, petits et grands, et les intellectuels, auxquels il donnera des places dans le pouvoir. Il a également recyclé l’essentiel du pouvoir de Tchang Kaï Chek, notamment ses chefs militaires, même ceux ralliés de la dernière seconde. Il est encore moins, malgré le titre de communiste dont il pare son parti, un dirigeant du prolétariat chinois. A partir de 1927, il avait quitté ce prolétariat et ne l’a jamais retrouvé. La lettre aux militants trotskystes qu’écrit Trotsky explique que, si l’armée de Mao prend le pouvoir, elle interviendra contre le prolétariat. La politique de Mao n’est pas communiste, ne vise pas au pouvoir du prolétariat, n’a nullement renoué avec Marx ni rompu définitivement avec l’impérialisme et le capitalisme, comme le rappelle son idylle actuelle. Le terme le plus juste sur son régime est celui de bonapartisme bourgeois. Le bonapartisme signifie une dictature militaire qui est populaire et dont l’apparence de force provient de l’équilibre entre deux forces réelles. Ici ces forces sont, d’un côté la bourgeoisie impérialiste et de l’autre le prolétariat.
Afrique
Afrique noire
En Afrique aussi, contrairement à une image mensongère, il y a une classe ouvrière et elle a déjà tout un passé de luttes de classe. Un des mensonges les plus couramment diffusés concernant l’indépendance de l’Afrique coloniale française est qu’elle aurait été octroyée sans lutte. En fait, la lutte de classe s’y est développée à la fin de la guerre mondiale avec un développement notamment de grandes luttes ouvrières, comme du côté colonial anglais. L’après-guerre a été explosive sur le continent noir comme dans le reste du monde, à la mesure des souffrances subies et de la prise de conscience qu’elles entrainaient. La guerre mondiale et l’après-guerre n’ont fait qu’accroître l’exploitation des peuples colonisés. Mais ils leur ont dévoilé les richesses de l’impérialisme et les guerres entre impérialismes ont montré aussi la possibilité de le battre. C’est ce qui a incité en 1944, à Brazzaville, De Gaulle à parler de liberté des peuples d’Afrique. La réalité était tout autre et on le voyait déjà dans le contenu de ces déclarations. La conférence de Brazzaville écrivait en préalable : « Les faits de l’œuvre de la civilisation accomplie par la France dans les colonies écartent toute idée d’autonomie, toute possibilité d’évolution hors du bloc français de l’empire. La constitution même lointaine de self gouvernement est à écarter. » Le programme général confirme : « On veut que le pouvoir politique de la France s’exerce avec précision et rigueur sur toutes le terres de son empire. » La réalité coloniale durant et à la fin de la guerre en dit encore plus long. Toute la thèse de la « France libre » est là dedans de la droite au parti communiste. Ce dernier reproche au Maréchal Pétain de « ne pas s’être opposé à la pénétration japonaise en Indochine, la grande colonie française de l’extrême orient (…) et de vouloir livrer la Syrie aux Allemands. » N’oublions pas qu’à la fin de la guerre, c’est le PCF qui poussera les résistants à s’engager dans le corps expéditionnaire en Indochine, que c’est le ministre « communiste » Tillon qui commandera les forces armées aériennes françaises quand celles-ci bombardaient l’Algérie à Sétif en 1945. La guerre n’a pas changé la nature de l’impérialisme français côté vichyste comme côté gaulliste. L’essentiel des colonies est vite passé côté « France libre » mais le colonisé y est toujours un esclave dont la vie ne compte pas. Le Tchad, passé très rapidement dans le camp de la « France libre » de De Gaulle, ou camp de l’impérialisme anglo-américain, est une colonie qui exploite et opprime affreusement ses populations. L’exploitation y est même accrue à l’après-guerre, reconstruction du capital français oblige. Le massacre de Madagascar comme celui de Sétif en Algérie, les émeutes du Maroc violemment réprimées, la répression du Kenya comme celle du Vietnam, montrent pleinement que les impérialismes n’étaient ni plus pacifiques, ni plus démocratiques, après la guerre qu’avant, malgré la nécessité après la guerre de reconstituer les illusions et les faux espoirs des peuples.
L’Apartheid d’Afrique du sud a été une politique de la bourgeoisie, sud-africaine et impérialiste, face à la lutte de classe exacerbée par la guerre. En Afrique du sud, la lutte de la classe ouvrière s’est développée en pleine deuxième guerre mondiale. En 1940 et 1941, les travailleurs ont mené des grèves dures malgré les mesures gouvernementales déclarant illégale toute grève d’Africains « en toute circonstance ». An août 1943, à Alexandra près de Johannesburg, un vaste mouvement de boycott eut lieu contre la hausse des tarifs des transports. En même temps, la classe ouvrière prenait conscience de sa force. Le syndicat des mineurs se reconstituait. En 1946, éclatait une grande grève spontanée des mineurs et la répression eut un mal considérable à faire reprendre le travail. La bourgeoisie sud-africaine, consciente du danger que représentaient désormais les grèves des Africains, mit en place l’Apartheid en 1948.
Dès 1945, la répression coloniale française fait rage en Afrique. Elle prend un tour violent à Douala, au Cameroun. Dans cette ville, c’est un soulèvement spontané de la classe ouvrière qui menace de débuter une véritable insurrection anticoloniale. Elle est écrasée dans le sang le 24 septembre 1945. Au début des événements, la grève des journaliers du chemin de fer pour laquelle le quartier populaire de Bou-Béri a pris fait et cause. C’est toute une population pauvre qui s’est mobilisée, armée seulement de bâtons, et a envahi le quartier de New Bell. Les Blancs réagissent à l’arme à feu, faisant immédiatement 80 morts et lançant une chasse à l’homme contre les militants ouvriers. Les chemins de fer sont un des hauts lieux de la classe ouvrière et, partout, ils sont le point central de la mobilisation. En 1947, a lieu également la grande grève des cheminots dans toute l’Afrique française, qui s’est étendue du Sénégal à la Côte d’Ivoire. On peut également citer la grève qui oppose les cheminots, et avec eux tous les travailleurs, aux Blancs armés de Matadi à Léopoldville, ou encore le soulèvement ouvrier au Kenya en 1947, dans le centre ferroviaire de Mombasa où, pendant onze jours, dockers et cheminots dirigent toute la classe ouvrière, domestiques compris, et font la loi dans la ville. En 1945-46, au Congo-Zaïre, ont lieu des mouvements de grève des lignes de chemins de fer accompagnés de révoltes urbaines. En 1946, c’est la grève de Dakar, en 1949 la grève des mines de charbon du Nigeria, les émeutes en Côte d’Ivoire en 1947 et 48. Et encore, en 1950, c’était à Nairobi qu’avait lieu la grève générale. Enfin, en 1956, en Côte d’ivoire et au Nigeria, de nouveaux soulèvements de la classe ouvrière réprimés férocement, par des fusillades et des arrestations. Puis, il y a eu des mouvements nationalistes notamment à Madagascar, au Cameroun ou au Congo (futur Zaïre). En même temps, se développait le mouvement Mau-Mau au Kenya qui prenait le tour d’une guerre civile en 1955. C’est tout le continent africain qui était concerné par la lutte d’indépendance mais aussi par le développement de la lutte et de l’organisation de la classe ouvrière.
Dans « Le 20e siècle américain », Howard Zinn rapporte sur ces mouvements : « Tout aussi inquiétants aux yeux du gouvernement américain, des mouvements indépendantistes éclataient partout à travers le monde chez les peuples colonisés. Des mouvements révolutionnaires se développaient en Indochine contre les Français, Indochine contre les Hollandais, aux Philippines contre les Etats-Unis. En Afrique, la rébellion et le mécontentement s’exprimaient au travers des grèves. Dans « Let freedom come », Basil Davidson fait état de la plus longue grève de l’histoire africaine conduite par dix-neuf mille cheminots d’Afrique Occidentale française en 1947 ; elle dura cent soixante jours. Le message qu’ils adressèrent au gouvernement général exprime assez bien le nouvel esprit militant qui les habitait : « Préparez vos prisons, sortez vos mitrailleuses et vos canons. De toute façon, le 10 octobre à minuit, si nos revendications ne sont pas acceptées, nous proclamerons la grève générale. » L’année précédente, en Afrique du sud, cent mile mineurs des exploitations aurifères avaient cessé le travail pour obtenir 10 shillings supplémentaires par jour. Il s’agissait de la plus grande grève de toute l’histoire de l’Afrique du sud et il fallut une intervention de l’armée pour que les mineurs reprennent le travail. En 1950, au Kenya, il y eut également une grève générale pour protester contre les salaires de misère. (…) En Chine, en Corée, en Indochine, aux Philippines, il s’agissait de mouvements communistes locaux et non de complots soviétiques. Cette vague généralisée de révoltes anti-impérialistes conduisit les Etats-Unis à fournir un effort gigantesque pour en venir à bout (…) »
Le rôle dirigeant, le caractère central, de la classe ouvrière dans la contestation de la domination coloniale à la fin de la guerre, est évident. Et d’autant plus qu’il convient de rappeler que les « élites » africaines comme Houphouët Boigny ou Senghor ne sont pas du côté des grévistes ni des émeutiers. Des leaders syndicalistes apparaissent et jouent un rôle dirigeant dans les luttes sociales et politiques. Par contre, les petites bourgeoisies et bourgeoisies nationales ont des leaders qui ne revendiquent généralement même pas l’indépendance et ne prennent pas la tête des luttes. Là où des soulèvements des masses pauvres des campagnes explosent, comme en Algérie, à Madagascar, au Kenya, ou au Congo, elles sont amenées à les accompagner mais ne leur offrent aucune perspective. La radicalité des luttes sera plus due à la violence de la répression coloniale qu’à la radicalité des leaders de la petite bourgeoisie. Les dirigeants staliniens sont en pleine phase « démocratique », d’ « alliance anti-fasciste » avec leur colonialisme au nom de l’alliance de l’URSS avec l’impérialisme. Les dirigeants petits bourgeois en restent aux espoirs suscités par les discours de De Gaulle à Brazzaville. Les petites bourgeoisies nationalistes craignent de perdre cette perspective d’être appelées à gouverner en prenant partie pour les masses populaires. Les dirigeants nationalistes sont des modérés qui jouent le jeu électoral. Les Partis communistes obéissent à la politique de Moscou d’alliance contre-révolutionnaire avec l’impérialisme ce qui les empêche même d’être anti-colonialistes. Le PCF reprend la politique de la bourgeoisie et du colonialisme français, intitulée « Union française », qui consiste à maintenir à tout prix l’essentiel de son empire colonial malgré la défaite du régime de Pétain allié à Hitler. Les partis communistes des colonies s’alignaient. Le Parti communiste algérien prétendait rester dans le cadre de l’alliance avec la France au nom de l’antifascisme, allant jusqu’à traiter les émeutiers de 1945 de fascistes. La Parti communiste tunisien condamnait en bloc toute agitation nationaliste. La CGT tunisienne perdait ainsi son influence sur le prolétariat tunisien au profit de l’UGTT de Ferhat Hached.
L’Afrique pendant et après la deuxième guerre mondiale
https://www.youtube.com/watch?v=ygrvGRcAjyA
L’Afrique noire se révolte contre le colonialisme à la fin de la deuxième guerre mondiale
En 1947, a lieu la grande grève des cheminots dans toute l’Afrique française, qui s’est étendue du Sénégal à la Côte d’Ivoire. On peut également citer la grève qui oppose les cheminots, et avec eux tous les travailleurs, aux Blancs armés de Matadi à Léopoldville, ou encore le soulèvement ouvrier au Kenya en 1947, dans le centre ferroviaire de Mombasa où, pendant onze jours, dockers et cheminots dirigent toute la classe ouvrière, domestiques compris, et font la loi dans la ville..
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article732
Les grèves de cheminots se multiplient dans toute l’Afrique : en 1945, de Matadi à Léopoldville, en Afrique centrale, en 1945-46 à Douala (Cameroun) et en 1947 au Zaïre. On atteint alors le sommet de la mobilisation, avec à la fois la grève générale de 11 jours au Kenya, la mobilisation de 15.000 ouvriers à Mombasa, celle de 10.000 cheminots soudanais, celle des cheminots et mineurs de Gold Coast, avec une émeute populaire à Abidjan, en Côte d’Ivoire, luttes qui se déroulent en pleine grève générale des cheminots de la ligne du Dakar-Niger. Cette mobilisation ouvrière dure jusque dans les années 1950 dans toute l’Afrique.
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article5788
Madagascar
En mars 1947, c’est l’insurrection de Madagascar. La France va mettre cinq mois à l’écraser, malgré la violence de la répression. En juin et en décembre 1946, des signes avant-coureurs de la grande révolte ont été émis. Ces premières révoltes sont durement réprimées. Ces étincelles vont allumer un grand incendie. Dans la nuit du 29 au 30 mars 1947, toute la partie Est de l’île se soulève, contre la misère, contre les exactions des Européens et du pouvoir colonial. C’est une explosion spontanée. Cela se voit notamment au fait que, sans armes, l’insurrection le restera jusqu’à la fin de l’année 1948. Les plus pauvres, les plus opprimés se mobilisent, n’ont plus peur de la répression, ne reviendront plus en arrière. La réaction coloniale est violente et débute, dès le 4 avril, avec la proclamation de l’état de siège dans dix districts. Le 31 mars, c’est un camp militaire français qui est attaqué par plusieurs centaines d’hommes seulement armés de sagaies et de coupe-coupes. C’est la guerre côté français : infanterie, parachutistes et aviations attaquent les civils désarmés et font déjà un carnage. Le 30 avril, un camp militaire, celui de Moramanga, est attaqué. Les révoltés libèrent cent cinquante prisonniers. Les Européens, survoltés, organisent une véritable milice de tueurs et le carnage commence. Les exactions et l’arrivée de renforts militaires n’y suffisent pas. Ce n’est qu’en juillet que le colonialisme commencera à prétendre qu’il est désormais à l’offensive. Il faudra toute l’année 1948 au colonialisme français pour en finir avec les rebelles. Le 7 décembre 1948, Mr De Chevigné, Haut commissaire de France à Madagascar, déclare : « Le dernier foyer rebelle a été occupé. » Bilan : l’île est ravagée et il y a eu bien plus que les 80.000 morts reconnus officiellement, sans compter les blessés, les personnes arrêtées, les torturés.
Tout au long des événements, les principales organisations malgaches comme françaises n’ont pas pris le parti des insurgés. Le Parti communiste français ne risquait pas de le faire puisqu’il participait au pouvoir colonial français qui écrasait la révolte. En juin 1947, au onzième congrès du PCF à Strasbourg, Maurice Thorez conclue : « A Madagascar, comme dans d’autres parties de l’Union Française, certaines puissances étrangères ne se privent pas d’intriguer contre notre pays. » L’empire colonial français, hypocritement appelé « Union française », est défendu par le PCF. Dans les « Cahiers du communisme » d’avril 1945, on peut lire : « A l’heure présente, la séparation des peuples coloniaux avec la France irait à l’encontre des intérêts de ces populations. » Quant à François Mitterrand, il déclarait le 6 avril 1951, alors que des milliers de Malgaches pourrissaient dans les geôles de la France : « Je me déclare solidaire de celui de mes prédécesseurs sous l’autorité duquel se trouvait M de Chevigné quand il était haut commissaire. Les statistiques manquent de précision mais il semble que le nombre de victimes n’ait pas dépassé 15.000. C’est beaucoup trop encore, mais à qui la faute si ce n’est aux instigateurs et aux chefs de la rébellion. »
A Madagascar, l’attitude des organisations de gauche ne vaut pas mieux. Le 8 avril, ils envoient à Ramadier, président du Conseil, le télégramme suivant : « Les comités et groupes suivants, France combattante, Union rationaliste, CGT, Ligue des droits de l’homme, Groupes d’études communistes, Fédération socialiste, soucieux de traduire l’opinion de tous les Français et Malgaches unis dans un sincère désir de construire une véritable Union française, profondément indignés des troubles actuels, s’inclinent devant les victimes, condamnent toute la réaction factieuse, approuvent les mesures prises par l’autorité civile et lui font confiance pour rétablir l’ordre dans la légalité démocratique et poursuivre l’œuvre constructive vers une véritable union. » L’opposition démocratique malgache, elle, avait été accusée d’avoir organisé la révolte, accusation totalement infondée en ce qui concerne sa direction. Les dirigeants du M.D.R.M (Mouvement démocratique de rénovation malgache) n’étaient nullement politiquement de taille à vouloir une insurrection contre le colonialisme français. Il s’agissait tout au plus de politiciens libéraux. Mais il fallait bien que le pouvoir trouve des coupables ayant manipulé les masses malgaches. Dès le lendemain de l’insurrection des 29-30 mars, ses dirigeants sont arrêtés et torturés. Le MDRM avait déclaré : « Les événements du 30 mars apparaissent comme le fait d’éléments ou de groupes isolés de la population ayant agi spontanément sous la pression des souffrances endurées et des persécutions subies. » M de Coppet, Haut commissaire à Madagascar, déclare : « Le M.D.R.M est le responsable des troubles à Madagascar. La preuve de la préméditation des crimes est établie, c’est là un coup préparé minutieusement et de longue date. » Le 26 mars, le M.D.R.M collait une affiche appelant les populations au calme. Pourtant, le 7 mai, déjà 13.000 militants de ce parti sont arrêtés et torturés et les députés sont inculpés de crime et d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Il en résultera dix condamnations à mort et trois aux travaux forcés à perpétuité, qui se rajoutent à plus de cent mille morts. Même après l’indépendance, la mainmise de l’impérialisme français se maintiendra, notamment avec la mise en place de la dictature de Tsiranana.
Grégoire Madjarian rapporte dans « La question coloniale et la politique du Parti communiste français » :
« Madagascar, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, était exsangue ; sa population accablée de misère, au bord de la révolte. Les colonialistes ne se maintenaient qu’en exerçant une répression inouïe. (…) Le spectacle de l’effondrement des forces vichystes devant les armées britanniques en 1942 avait renforcé l’idée que la France était affaiblie et que le moment était venu de s’organiser pour hâter la libération de la patrie. Des sociétés secrètes s’étaient données pour objet un vaste soulèvement pour restaurer la souveraineté nationale. Jina et Panama, créées la première en 1941, la seconde en 1943. (…) Le MDRM (Mouvement démocratique pour la rénovation malgache) (…) pensait acquérir l’indépendance par voie légale et pacifique. L’indépendance elle-même était conçue dans le cadre de l’Union française et du maintien des intérêts économiques de la France. (…)
A partir de 1946, des manifestations populaires, souvent très violentes, se multiplièrent dans différentes villes de l’île contre l’arbitraire colonial. (…) Le 19 mai arrivait à Tananarive le nouveau haut commissaire, le socialiste de Coppet, déjà en fonction avant 1940. L’envoi de ce gouverneur d’avant-guerre cristallisa le mécontentement envers la métropole coloniale. (…) De Coppet était accueilli aux cris de « Vive l’indépendance ! ». De nombreuses bagarres éclataient contre les forces de police et les colons venus protéger le cortège officiel. Elles se transformèrent rapidement en émeutes. (…)
A Paris, à la suite de la pression des états généraux de la colonisation française, les parlementaires – dont ceux du PCF – votaient et faisaient approuver la constitution colonialiste de la quatrième république. L’assimilation était la règle : Madagascar était intégrée d’office, en tant que territoire d’outre-mer, dans la République française « une et indivisible » ; les Malgaches étaient désormais « citoyens français ». (…)
A la fin de l’année 1946, de grandes grèves dans les chemins de fer et les travaux publics paralysèrent les transports pendant près d’une semaine. Les dockers de Majunga et Tamatave arrêtèrent le travail, réclamant un salaire journalier de 65 francs ; on leu accorda 18 à 20 francs. Dès le 18 mai 1946, les planteurs de la côte pressentaient les événements : « (…) Rien ne permet de déterminer quand débutera la révolte, ni sous quelle forme, ni quelles seront les premières victimes. Mais elle doit logiquement éclater. » (cité par Bénazet dans « L’Afrique française en danger »). En janvier 1947, le président du Syndicat des planteurs, Ruheman écrit : « Le danger est grand et peut-être proche. En brousse, la transformation des esprits depuis moins d’un an est ahurissante. (…) Madagascar va devenir avant peu une autre Indochine. » (…) Depuis la mi-46, l’administration coloniale règne par la force et les prisons de Madagascar sont combles, les méthodes policières utilisées sans mesure. A plusieurs milliers de kilomètres de l’île, le bombardement de Haïphong, en décembre 1946, était le produit de la même réaction coloniale. L’objectif politique poursuivi dépassait le cadre du Vietnam. L’impérialisme français voulait donner un exemple de sa puissance retrouvée. Mais au bombardement de Haïphong répondit l’insurrection de Hanoï. (…) Dans la nuit du 29 au 30 mars 1947, réplique grandiose aux provocations coloniales et d’une ampleur insoupçonnable, une immense flambée de révolte et de colère embrasait toute la partie Est de l’île, affolant la poignée d’Européens imbus de leur supériorité, installés dans leur domination. A 80 kilomètres de Tananarive, le camp militaire de Moramanga, où étaient entraînée la « brigade française d’extrême-orient » était attaqué par deux mille hommes simplement armés de sagaies, qui tuaient une partie de la garnison, s’emparaient des armes, mettaient le feu à la poudrière. A la même heure, en différents points de l’île, des fermes de gros colons étaient détruites, les voies ferrées et les lignes électriques coupées dans trois districts, des bases aériennes assaillies. Plusieurs villages tombaient entièrement entre les mains des insurgés à l’armement toujours rudimentaire : sagaies, haches, coupe-coupes et les seuls fusils pris dans les postes occupés. L’insurrection s’en prenait à tout ce qui concernait la puissance militaire de la France et l’exploitation coloniale. Le 30, les insurgés étaient maîtres d’un sixième de l’île. Ils déployaient partout l’ancien drapeau blanc et rouge, en appelaient à la fraternité malgache.
L’insurrection revêt deux formes militaires : coups de main éclair réalisés par des éléments de la petite bourgeoisie urbaine et soulèvement paysan. Trois traits caractérisent le soulèvement : sa coordination (le déclenchement simultané des attaques la même nuit en est la preuve) ; son absence de commandement central ; enfin sa mauvaise organisation. Il ne réussit que dans de rares cas à s’emparer des armes ; il avorte en plusieurs endroits ; il ne parvient pas à s’étendre au-delà de la zone conquise dès le début. (…) Cependant, malgré les forces déployées, la révolte ne s’éteignait pas. Nouvelles attaques de garnisons les 7, 8 et 9 avril ; le 26, insurrection à Tananarive. Dans la nuit du 30 avril, les insurgés assaillent à nouveau le camp militaire de Maramanga et libèrent cent cinquante prisonniers. La réaction coloniale affirmait qu’il s’agissait d’ »un coup très dur porté à son prestige », se retournait contre la métropole et son représentant de Coppet, demandant des renforts et l’emploi de tous les moyens pour anéantir « ces bandits à abattre ». Les colons s’organisaient en groupes d’autodéfense et exécutaient des otages malgaches.
Début août, des renforts importants arrivaient dans l’île : Légion étrangère, Nord-Africains et tirailleurs sénégalais principalement. Suivit ce qui deviendra le scénario classique des campagnes coloniales de la quatrième république : quadrillage du territoire par les paras, ratissage, terreur sur les populations, exécutions sommaires. Les forces de répression fusillent, pillent, incendient les villages. (…)
La répression n’épargna pas le MDRM, qui en fut une des cibles privilégiées ; il faut expliquer pourquoi. Le jeu politique du Mouvement consistait à conquérir par les voies légales tracées par la Constitution les postes administratifs et parlementaires. Dans cette voie, il avait obtenu des succès – qui n’étaient pas de nature à changer son orientation : il possédait tous les parlementaires malgaches et dominait presque toutes les assemblées locales. Le MDRM n’avait cessé d’inviter les Malgaches à l’ordre et au travail. Le 3 juillet 1946, avant de rejoindre le Palais-Bourbon, les députés du Mouvement avaient adressé à la population de l’île un message radiodiffusé : « Chers compatriotes. Avant notre départ de Madagascar, notre chère patrie, nous tenons à vous adresser cet appel : restez calmes, évitez les troubles, parce que le désordre n’engendre jamais aucun bienfait. Rien ne s’accomplira sans la tranquillité et la paix. » En mars 1947, encore, le MDRM avait lancé des appels au calme ; le 30, dans une proclamation à la population, ses députés réprouvaient de la façon la plus formelle l’insurrection, ramenée à des « crimes », des « actes de barbarie et de violence ». Néanmoins, le même jour, Radio-Tananrive attribuait au MDRM la responsabilité du soulèvement. (…) Début avril 1947, 3.000 membres du MDRM étaient incarcérés, interrogés, torturés – dont les deux députés Ravoahangy et Rabénananjara (Raseta se trouvait à Paris lors de l’insurrection). (…)
Dans la métropole, les dirigeants du mouvement ouvrier ne manifestent visiblement aucune sympathie vis-à-vis des insurgés, mais prononcent au contraire une condamnation sans appel. L’une des plus sanglantes intervention militaire de l’impérialisme français commence sous un gouvernement à direction socialiste, auquel, jusqu’au 5 mai, participe largement le PCF. Ce dernier occupe, entre autres, le ministère de la Défense nationale (François Billoux). (…) Le Parti communiste, remarquait Le Monde du 18 avril, n’avait (….) Manifesté aucune opposition catégorique à l’envoi de renforts comme à la répression des émeutes. » (…)
Tandis que Madagascar n’arrivait plus à enterrer ses morts, le chef du groupe parlementaire PCF invoquait le « courant de liberté » que représentait l’impérialisme français, appelait à l’union sacrée pour défendre les droits de son pays à opprimer d’autres peuples : « Je le dis, et c’est là note sentiment profond : la France a des positions dans le monde, tous les Français et j’ajoute tous les peuples associés, nous avons intérêt que la France puisse maintenir ses positions. Mais nous serions bien aveugles si nous ne tenions pas compte de ce fait important, à savoir que les positions françaises dans le monde sont terriblement convoitées. » (débat au parlement le 9 mai 1947)
Dans « L’insurrection malgache de 1947 » de Jacques Tronchon :
Sur la cause de la révolte, cete ouvrage cite Marcel de Coppet, Haut-commissaire de la République française à Madagascar au moment des événements, organisateur de la répression violente et barbare et nullement suspect de sympathie pour le colonisé malgache révolté :
« Il faut avoir le courage de reconnaître qu’à Madagascar la juste mesure a été dépassée. (….) Toutes les réquisitions des travailleurs, pratiquées sur une grande échelle, souvent au détriment des cultures vivrières les plus indispensables aux autochtones, n’étaient pas justifiées par l’effort de guerre. Quant aux prestations, elles perdirent leur caractère d’impôt en nature, pour s’apparenter à nouveau à la corvée. » (3 mars 1949)
De Coppet explique en février 1947 dans sa Conférence des Hauts-commissaires :
« Quand survint l’armistice (signé par Pétain avec le vainqueur allemand), les Hova exploitèrent au mieux la défaite française : la France pouvait donc être battue ; bien mieux, elle pouvait même se résigner à la défaite ; elle manquait à la fois de force matérielle et de force d’âme. Plus n’était besoin de la craindre. En 1943, au lendemain de la campagne anglaise (victorieuse contre les Allemands) (…) Madagascar fut placée sous l’égide de la France combattante. La situation économique était alors sérieuse. On pensa pouvoir y remédier en « stimulant la production ». Pour ce faire, on doubla tout simplement la durée des prestations, on aggrava, de façon non moins illégale, les peines disciplinaires et on réquisitionna partout la main d’œuvre pour la mettre à la disposition, non seulement des services publics mais aussi des entreprises privées. Ce fut une très grave erreur. La production ne s’en accrut guère et, il faut avoir le courage de le dire, Madagascar regretta Vichy. C’est de ce moment, d’ailleurs, (en juin 1946) que date l’explosion généralisée d’un mécontentement qui devait aller en s’amplifiant. (…) La population urbaine d’enhardit. (…) Tout est prétexte au désordre des rues : l’arrivée d’un train, une foire, un marché, un enterrement. (…) Cette période d’agitation, au cours de laquelle des grèves sont déclenchées à Tamatave et Majunga, ne s’étend pas au-delà du 23 juin 1946, date de la dernière échauffourée à Tananarive ou ailleurs. Pour mettre un terme à toute cette agitation, j’ai simplement appliqué la loi mais je l’ai appliquée dans toute sa rigueur (…) Certes la température a baissé, mais le mal subsiste (…) »
Sur l’historique de l’insurrection, De Coppet écrit :
« L’éclatement de l’insurrection, dans la nuit du samedi 29 au dimanche 30 mars 1947, n’est pas une réelle surprise. Plusieurs événements survenus cette nuit-là sur différents points du territoire malgache, comprennent qu’ils marquent le début du soulèvement contre l’occupation française. A plus forte raison, les autorités coloniales, informées précisément de la date. Dès la fin novembre 1946, celles-ci se trouvent sur le qui-vive. A plusieurs reprises, des forces de l’ordre sont sévèrement molestées par la population. Le 29 novembre 1946, entre Ifanadiana et Androrangavola, le 31 janvier à Marolambo, l’incident tourne à l’émeute. (…) Quant aux leaders du MDRM, ils multiplient depuis longtemps les mises en garde officielles pour détourner les militants du parti de toute action violente. (…) Un télégramme (du Bureau politique du MDRM de Madagascar du 29 mars 1947) est approuvé à l’unanimité : « prière de diffuser et afficher. Ordre impératif est donné à toutes sections, à tous membres du MDRM de garder calme et sang-froid absolus devant manœuvres et provocations toutes natures destinées à susciter des troubles au sein de la population malgache et à saboter la politique pacifique du MDRM. Diffusez et accusez réception. » (…)
Le premier foyer de l’insurrection se déclare vers 22 heures dans le district de Manakara, plus précisément dans un triangle dont les points seraient Ambila, Sahasinaka et Ampasimanjeva. Le premier objectif des insurgés est de s’attaquer aux garnisons militaires, aux postes de gendarmerie, tant pour récupérer des armes que pour neutraliser la réaction de leurs adversaires. Certains commandos prennent d’assaut les concessions européennes et les bâtiments administratifs. (…) L’insurrection est désamorcée partout où l’occupant se trouve sur le pied de guerre. A Tananarive en particulier, le coup de main est décommandé au dernier moment, et la circulation de plusieurs convois militaires dans les rues de la ville au soir du 29 mars a pu provoquer en partie cette ultime défection. (…) Au matin du 30 mars, il est évident que les conjurés n’ont pas atteint leur but, celui d’ » un soulèvement de tous, partout et à la même heure. » Pourtant, cet échec initial n’empêche pas l’insurrection de s’étendre rapidement à partir de ses foyers des districts de Manakara et de Moramanga. Les troupes qui ont attaqué le camp de Tristani se replient le long de la voie ferrée du M.L.A, en dévastant les concessions des colons européens ou malgaches francophiles. La plupart sont massacrés. (…) Au bout de quelques jours, l’insurrection a gagné l’ensemble de la côte est, puisque Mananjary, Tamatave, Fénérive, Antalaha, Andapa, Sambava et Vohémar sont à leur tour plus ou moins menacées. (…) Dans toutes régions contrôlées par les insurgés, un gouvernement malagasy s’organise, sous l’autorité plus ou moins directe de Victorien Razafindrabe au nord, et de Michel Radaoroson (dit Rakotozaly) au sud. (…) Jusqu’en juillet 1947, l’insurrection ne cesse de s’étendre. Il s’agit de contrôler les secteurs les plus vastes possible, et de mobiliser les populations paysannes en vue de « l’attaque décisive » sur les grands centres. Des combats sont livrés jusque dans les banlieues de Tananarive, Fianarantsoa et Tamatave. L’occupant redoute très fortement que l’insurrection gagne l’ensemble des régions centrales et déferle ensuite sur les régions occidentales. (…)
Les leaders du MRDM se désolidarisent, dès qu’ils en ont eu connaissance, du mouvement de violence inauguré sur la côte est, fidèle en cela à leur appel au calme du 27 mars. (…) Ils sollicitent la possibilité de faire afficher dans tout Madagascar, ou au besoin de radiodiffuser, une « proclamation » désavouant l’insurrection de manière catégorique : « Nous réprouvons de la façon la plus formelle ces actes de barbarie et de violence et nous espérons que la justice fera jaillir toute la vérité et déterminera la responsabilité de ces crimes. » (…)
Depuis le 1er avril, la Justice a ouvert une vaste instruction judiciaire sous l’inculpation de complot contre la sûreté de l’Etat et ordonné l’arrestation des militants MDRM les plus influents. Aussitôt une répression policière implacable s’abat sur tout Madagascar : c’est à la vérité tous les militants du parti qui sont traqués quel que soit leur rang. Les inculpés sont entassés sans ménagement dans des prisons trop exiguës, quand ce n’est pas dans de véritables camps de concentration « aménagés » à la hâte. Dans de telles conditions, la situation des détenus est intolérable. Les sévices de toutes sortes et les tortures subies au cours des interrogatoires de l’instruction viennent ajouter à leurs souffrances physiques et morales. (…)
Contrairement aux prévisions initiales des autorités françaises, la répression militaire de l’insurrection malgache se révèle longue et coûteuse. Revenu de son optimisme du mois de juin, le général Pellet écrit dans un rapport en septembre 1947 : « Il serait prématuré d’émettre dès maintenant une opinion sur l’avenir de la rébellion. (…) Pourtant tous les moyens sont mis en œuvre pour en venir à bout. La tête des chefs insurgés est mise à prix. Des tribunaux d’exception se forment pour procéder à des exécutions exemplaires autour desquelles il est fait grand tapage. Des inculpés soumis à la torture puis corrompus sont envoyés auprès des insurgés comme agents de renseignement. » (…)
Dans les districts en état de siège, le sort des populations civiles peut devenir dramatique. (…) Le chef de district d’Ambatondrazaka fait procéder à des arrestations massives. Le 5 mai, avant l’aube, 16 otages sont transférés à la gare et enfermés dans trois wagons plombés, affectés d’ordinaire au transport des bestiaux. (…) Vers minuit, les militaires de garde reçoivent l’ordre de faire feu sur le train. (…) les 71 rescapés de cette tuerie sont transférés à la prison. (…) Ils en sont extirpés définitivement le jeudi 8 mai dans l’après-midi pour être conduits devant le peloton d’exécution. (…) C’est « l’affaire du train de Moramanga ».
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article731
Cameroun
La révolte des travailleurs de Douala (Cameroun) en septembre 1945 : écrasée dans le sang !
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article3711
Au Cameroun, c’est la classe ouvrière qui commencé la lutte en 1955, comme on l’a rappelé, à Douala, à Yaoundé et dans d’autres villes de moindre importance. C’est ce qui va amener les dirigeants nationalistes comme Ruben Nyobe, ancien syndicaliste, à se radicaliser. L’organisation de Ruben, l’UPC, n’est pourtant pas si radicale. Au début, elle se contente d’organiser des manifestations non violentes. La répression ne va pas lui donner le choix. Pour le pouvoir français, il n’est pas question d’accepter le moindre compromis, car l’UPC est « communiste ». En 1955, la répression de Roland Pré, gouverneur du Cameroun, fait 5000 morts. L’UPC n’a pas choisi tout de suite la lutte armée. Très clairement, Um Nyobé, tout stalinien qu’il était, ne proposait pas la révolution, ni la lutte radicale. Il ne s’en cachait pas, déclarant : « Nous offrons des garanties qui prouvent non seulement notre détermination d’œuvrer pour sortir le Cameroun de l’impasse, mais aussi de travailler de concert avec le gouvernement français (…) ». Ce qui montre le mieux les limites sociales et politiques des nationalistes de l’UPC, c’est leur volonté de laisser la classe ouvrière en dehors du combat. L’UPC mobilise trois régions : Bassa, Bamiléké et la Sanaaga. Les travailleurs de Douala qui ont pourtant maintes et maintes fois montré leur combativité sont laissés en dehors par l’UPC. Nyobé a tourné le dos à la classe ouvrière, d’où il vient. Désormais, il est un dirigeant de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie camerounaises. Il s’adresse à eux ainsi qu’aux chefs traditionnels.
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article91
Kenya
Au Kenya, l’affrontement, qui va être impitoyable entre le peuple kenyan et le colonialisme anglais (rompant la prétention de ce colonialisme d’avoir pris en compte pacifiquement le passage à l’indépendance, comme en Inde et au Ghana), sera le fait exclusif de la révolte d’un côté et des forces coloniales de l’autre. Des leaders petits bourgeois, comme Jomo Kenyatta, vont faire maintes fois des offres de services au colonialisme anglais en se présentant comme un autre N’Krumah, mais sans succès. Son parti, le Kenyan African Union, est pacifiste, c’est-à-dire contre la violence révolutionnaire des masses africaines – la violence du colonialisme, il n’y peut rien bien sûr -. Il réclame seulement l’élargissement de la participation des Africains à un conseil qui n’a aucun pouvoir. Le KAU a une influence réformiste sur les syndicats qu’il entraîne dans son réformisme et la classe ouvrière ne jouera qu’un petit rôle dans la lutte. C’est le colonialisme anglais qui radicalisme la situation en affirmant, contre l’évidence, que le mouvement populaire des campagnes, le Mau-Mau, serait manipulé par le KAU. Ce mouvement de révolte a éclaté en 1952, parmi le peuple Kikuyu exaspéré par les exactions des Blancs qui volent les terres, le Kenya étant considéré par les Anglais comme une colonie de peuplement comme l’Afrique du sud et les propriétaires Blancs, 1% de la population, possèdent 25% des terres. Elle se traduit par des attaques physiques individuelles de colons blancs dans leurs fermes. Le colonialisme anglais le présente comme une lutte de sauvages barbares, et décide, en juin 1953, de déclencher une guerre d’extermination contre l’ensemble du peuple kikuyu. C’est la chasse à l’homme contre des paysans quasi complètement désarmés. 50.000 soldats britanniques et rhodésiens réalisent l’une des plus sanglantes répressions coloniales. Hommes, femmes et enfants sont déchiquetés par les bombardements des villages. Le pays tout entier est ratissé par l’armée. Ceux qui résistent sont abattus.
Extraits de « Le mouvement ’’Mau-Mau’’ » de Robert Buijtenhuij :
« Le premier syndicat permanent du Kenya, le « Kenya Indian Labour Trade Union », fondé en avril 1935 par Makhan Singh, était une affaire entièrement indienne. Les syndicats africains brillaient à cette époque par leur absence (…). Ce n’est qu’en juillet 1939 que les dockers de Mombasa ont déclenché – plus ou moins spontanément – la première grève « noire ». Quels faits nouveaux nous frappent dans l’activité politique du Kenya après la seconde guerre mondiale ? Le fait, d’abord, que le réveil politique a commencé à toucher toutes les ethnies du Kenya sans exception (…) Il y a ensuite le fait que les Africains du Kenya ont trouvé dans les activités syndicales un nouveau champ de bataille. Après une nouvelle grève à Mombasa en 1947, grève générale cette fois à laquelle participaient 15 000 Africains et qui a eu un succès retentissant. Son organisateur, Chege Kibachia, a en effet fondé le premier syndicat africain, la « Africain Workers Federation ». Considérée avec méfiance par le gouvernement, cette organisationa été de courte durée ; elle s’est progressivement dissoute après l’arrestation de son président en août 1947. L’action de Chege Kibachia a cependant été à l’origine d’un mouvement syndical qui comptait en 1952, 27.588 membres en 13 syndicats ; à la même époque, il y aurait eu au Tanganika un seul syndicat avec 381 membres et en Ouganda trois organisations ouvrières avec 259 membres. Nous verrons que cette activité syndicale fait partie intégrante du cadre dans lequel il convient de situer la révolte mau-mau. L’événement qui cependant caractérise le mieux la nouvelle orientation de la vie politique (…) : le fondation du premier mouvement politique, la « Kenya African Union » dont l’origine remonte à 1944. (…) Jomo Kenyatta, revenu au Kenya en 1946, (…) devint président de cette nouvelle organisation en juin 1947. (…) C’était d’abord un mouvement de masse qui avait en 1952 au moins 100.000 membres et dont certains meetings attiraient des foules de 20.000 à 25.000 personnes. (…) Le KAU a posé dès le début le problème de l’Indépendance (…). Les colons, qui suivaient avec inquiétude l’évolution politique de la « Gold Coast », parlaient avec horreur du « Gold Coatism » pour désignet toute mesure favorable aux Africains. (…)
Le 25 novembre 1952, l’éviction de 2.500 squatters travaillant sur les fermes de Leshaw Ward pour des raisons de sécurité et par représailles à la suite de l’assassinat du commandant Meiklejohn et de son épouse, ces mesures inspirées par la peur et excécutées dans un climat de panique voisin de l’hystérie, ont été d’autant plus ressenties par l’ensemble des squatters que les évictions avaient été effectuées manu militari et que des méthodes particulièrement dures avaient été employées pour briser toute tentative de résistance ou de protestation. (…) Un exode soudain (…) a amné vers les réserves kikuyu une masse de squatters dont le nombre a été évalué de 100.000 à 200.000 personnes. (…)
Dans une première phase qui a duré de 1948 jusqu’en 1950, le mouvement a pris naissance parmi les masses déshéritées (…) Ce n’est que dans une deuxième phase qui a duré du début 1950 jusqu’à la déclaration de l’état d’urgence en octobre 1952, que des évolués et des leaders nationaux ont pris le pas sur les masses populaires anonymes. Puis, après la déclaration de l’état d’urgence et l’arrestation de la quasi-totalité des leaders nationaux kikuyus, les masses paysannes se sont retrouvées de nouveau seules pour s’engager dans la résistance armée. (…)
Cette armée paysanne sans armes, sans expérience militaire et sans cadres instruits, a malgré tout résisté durant près de quatre ans à l’armée moderne anglaise et, jusqu’en 1954, elle n’a pas seulement su garder ses positions, mais même les améliorer à certians égards. (…) Un facteur qui explique la durée de la résistance kikuyu est l’existence, à Nairobi et dans les réserves, d’un réseau de soutien, remarquablement bien organisé, qui a fonctionné pendant plusieurs années grâce à la complicité active ou passive de la grande majorité du peuple kikuyu. (…) Les structures territoriales de l’armée favorisaient les liaisons étroites entre les unités combattantes et les comités mau-mau dans les villages ou les communes d’origine des maquisards. (…) Ces comités mau-mau du réseau de soutien ont pu tenter sérieusement de se substituer au gouvernement colonial en créant une véritable « administration parallèle ». (…) Le réseau de soutien de Nairobi s’occupait surtout du ravitaillement des armées de la forêt en armes et en nouvelles recrues, et de la collecte des fonds nécessaires à la défense des membres du mouvement devant les cours de justice et à l’entretien des familles des membres du mouvement détenus ou disparus au combat. (…) Cependant, les leaders mau-mau de Nairobi n’ont jamais tenté d’exploiter leur contrôle sur la population africaine pour ouvrir un deuxième ou troisième front contre le gouvernement colonial. (…) L’exception (…) est une campagne de résistance passive lancée à Nairobi en 1953 et qui comprenait entre autres le boycottage des autobus municipaux européens et des boutiques de thé tenues par des Asiatiques ainsi que l’interdiction de fumer en public, de boire de la bière européenne et de porter des chapeaux. (…) Aucune grève générale et très peu de grèves partielles n’ont été mentionnées par les leaders du mouvement mau-mau (…)
Dans les réserves kikuyu, la politique (des Anglais) des « hameaux stratégiques » a été mise en œuvre pour empêcher le contact entre les combattants mau-mau et leurs supporters dans les campagnes. (…) A partir du début de 1954, le pays kikuyu commença à ressembler à un immense camp de concentration. Toute la population concentrée dans des villages nouveaux, devait d’ailleurs construire de ses propres mains, villages fortifiés et entourés de barricades et de barbelés, dont les habitants ne pouvaient sortir qu’une heure par jour (et encore sous escorte militaire) pour se ravitailler. (…) A partir de l’été 1954, l’armée mau-mau a été contrainte de se replier sur elle-même. La forêt devint alors sa seule dimension, son dernier sanctuaire dont elle ne sortait plus guère. (…)
Au fur et à mesure qu’approchait l’indépendance, les survivants (de l’armée mau-mau) se sont manifestés avec une audace croissante pour devenir, à la fin de 1963, un véritable problème pour les nouveaux responsables du pays. (…) A partir de l’été 1961, (…) la libération de Jomo Kenyatta était imminente et l’indépendance commençait à devenir une réalité relativement proche. La question des anciens combattants devenait brûante : quelle serait leur place dans le Kenya indépendant ? (…) le nouveau gouvernement de Jomo Kenyatta n’était pas prêt à leur accorder des faveurs (propriétés des anciens colons ou postes gouvernementaux). (…) En ce qui concerne les fermes, le gouvernement n’avait nullement l’intention d’exproprier les colons blancs. (…) Le Kenya de Jomo Kenyatta n’était ni radical ni socialiste (…) La révolte mau-mau était une révolution nationale et une révolte sociale en même temps, et en temps que révolte sociale elle réclamait les terres cultivées par les colons européens pour le peuple africain. Pour Jomo Kenyatta, par contre, la décolonisation signifiait avant tout l’indépendance politique et il entendait rester en bons termes avec les Anglais et les colons sur le plan économique. (…) Dès sa libération en 1961, Jomo Kenyatta a annoncé la couleur (…) « Nous n’avons pas l’intention de former un gouvernement de gangsters … Nous dissiperons les appréhensions des gens qui craignent qu’un Kenya indépendant ne se jette sur leurs propriétés pour les confisquer. » (cité par le Monde du 28 août 1961) (…) A l’égard de ceux qui croyaient pouvoir en toute impunité prêter serment d’allégeance à des organisations clandestines de résistance à la politique libérale officielle, Mr Kenyatta a déclaré (durant l’été 1963) : « Nous serons impitoyables à l’égard de ceux qui fabriquent des fusils dans la brousse. » l’indépendance elle-même n’a rien changé à cet état de choses. (…) En novembre 1963, un mois avant l’indépendance, un appel du gouvernement kenyatta aux derniers combattants leur enjoignait de se « rendre » avant la célébration officielle de l’indépendance. (…) Le premier à répondre à l’appel du gouvernement Kenyatta en vue d’une capitulation fut Mwariama, qui se présenta le 8 décembre 1963 à la résidence de Jomo Kenyatta à Gattundu. (…) Le maréchal Mwariama a été condamné en mars 1964 à cinq ans et trois mois de prison pour outrage à un agent de police en fonction et possession illégale d’armes. (…) Parmi les personnalités du nouveau régime, on ne compte à notre connaissance aucun ancien combattant de la forêt et peu d’anciens détenus (…). Sur le plan purement matériel aussi, très peu de choses ont été faites pour les anciens combattants. »
Si le pays obtient finalement son indépendance en 1963, cela ne signifiait pas effectivement une victoire pour les combattants comme le rapporte la romancière NGugi Wa thiongo dans « Pétales de sang » :
« C’était à la veille de l’indépendance. Alors, vous pouviez imaginer ce que cela représentait pour moi d’émotions, d’espoirs et de souvenirs. (…) Tout allait changer. Plus jamais, je ne verrai le Blanc se moquer de nos efforts. (…) Les usines, les plantations, tout allait être à nous. (…) Des mois et des semaines après, je chantais encore le chant de l’espérance. J’ai attendu la réforme agraire et la redistribution des terres. J’ai attendu un emploi. (…) J’ai entendu dire qu’on donnait des prêts pour permettre d’acheter les fermes des Européens. Je n’ai pas compris pourquoi il me faudrait acheter des terres déjà payées au prix du sang. (…) J’ai attendu. Je me suis dit : OK. Je me fais muet, je me fais sourd. Et j’ai regardé les choses évoluer. J’ai vu les événements. J’ai vu la tension monter entre les Noirs.
Afrique du nord
QUE SE PASSE-T-IL EN AFRIQUE DU NORD ?
Ces temps derniers, certains journaux se sont préoccupés de la situation en Afrique du Nord. Celle-ci est tellement tragique qu’il devenait désormais impossible à la presse "démocrate" de la passer plus longtemps sous silence.
Bien entendu, il ne s’agissait pas pour ces journaux de défendre les indigènes d’Algérie, du Maroc ou de Tunisie, mais de faire appel à la vigilance gouvernementale pour limiter les "abus" ; c’est à cette fin aussi que le C.N.R. décida d’envoyer en Afrique du Nord une "commission d’information".
Cette commission, quoique inoffensive, a été interdite par De Gaulle. Effectivement, à quoi servirait-elle ? Si dans la Métropole le C.N.R. sert de camouflage, d’ornement "démocratique" à la machine gouvernementale bonapartiste de De Gaulle, quel serait son rôle en Afrique du Nord ? Là-bas il ne s’agit nullement d’abus à "réformer", de faire patienter les masses. Un conflit mortel oppose les colons exploiteurs et oppresseurs et les 9/10 de la population indigène. Dans ces conditions, la commission d’enquête du C.N.R., si elle rassurerait "les esprits inquiets" de la Métropole, ne ferait au contraire qu’aggraver la situation politique en Afrique du Nord si elle était prise au sérieux par les indigènes. Car si les indigènes pensaient avoir l’appui de la "démocratie" cela ne pourrait que les inciter encore plus à l’action directe contre les colons.
C’est pourquoi seule la politique des colons est approuvée par le gouvernement : répression colonialiste sans phrases. Ici il n’y a pas de place pour les balivernes du C.N.R. dont l’inutilité devient de plus en plus visible dans la Métropole même, où ses "Comités" (sic) ne font que "suggérer" dans une situation qui appelle de plus en plus une solution radicale.
Cependant, le sort des classes laborieuses de l’Afrique du Nord ne sera pas laissé par les travailleurs de France à la merci du gouvernement de De Gaulle, c’est-à-dire des colons, exploiteurs féroces et fascistes. Les travailleurs savent que si les Nord-Africains sont écrasés par le gouvernement français pour sauver la domination des colons, ceux-ci se serviront de l’Afrique du Nord comme Franco s’est servi des Marocains du Rif : pour écraser les travailleurs de la Métropole et instaurer en France même un régime de terreur ouverte.
La situation en Afrique du Nord
Depuis quatre ans les masses indigènes d’Algérie, de Tunisie et du Maroc sont en proie à la famine et au typhus. L’Afrique du Nord n’a rien à se mettre sur le dos, rien à manger. Des millions d’hommes, de femmes et d’enfants sont en haillons, habillés de chiffons ou de sacs. Il ne s’agit plus pour eux de se vêtir, mais simplement de ne pas choquer la décence. Dans la plupart des familles indigènes, il n’y a qu’un misérable vêtement pour trois ou quatre personnes, vêtement que chacun met à tour de rôle pour sortir.
Quant au ravitaillement, il est inexistant. Les villes où il y a une majorité européenne connaissent les restrictions, mais sont tout de même assurées d’un minimum vital. Mais les campagnes sont littéralement affamées, les campagnes où vivent 95% des indigènes, c’est-à-dire les 9/10 de la population totale. La base de l’alimentation indigène est le couscous. Pour faire du couscous, il faut de la farine. Or, la ration mensuelle allouée à chaque indigène par le ravitaillement est de 3 kg d’orge ou 3 kg de blé, soit 2 kg 500 de farine pour l’orge et l kg 500 à 2 kg pour le blé. Cela représente une moyenne de 50 g. de pain par jour. Il faut ajouter qu’ils n’ont souvent rien d’autre pour compléter cette maigre pitance : peu de légumes, pas de viande. On peut penser que s’ils recevaient pour toute nourriture nos 350 g de pain quotidiens, ils croiraient nager dans l’abondance, tant leur misère est effroyable ! Avant la guerre, le minimum vital pour chaque individu était de 20 à 25 kg de farine par mois. La ration actuelle représente donc à peine les 10% du minimum. De plus, les distributions se font là-bas d’une façon très irrégulière, avec des retards de 2 à 3 mois.
Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner si à l’heure actuelle, comme on l’écrit là-bas, des millions d’êtres humains vivent comme des bêtes, se nourrissent d’herbes et de racines. Il ne faut pas s’étonner si le typhus, "maladie de carence" par excellence, fait rage en Afrique du Nord. Et cela depuis quatre ans ! On estime que dans la seule Algérie il y a eu plus de 30.000 victimes en 1940-1941. Et depuis le nombre des morts par le typhus n’a fait que s’accroître. Tout récemment il y a eu 33 morts en une seule nuit dans un petit village de quelques centaines d’habitants. Un village kabyle qui comprenait 1400 habitants n’en compte plus que 300, soit 1100 victimes. Et pourtant dans la masse, la Kabylie était une des régions les plus résistantes aux épidémies. Mais aujourd’hui le typhus, compagnon inévitable de la famine, n’est pas localisé, il est général.
Jusqu’en 1942 on pouvait penser que cela était le fruit de la politique de Vichy, qui faisait des prélèvements massifs sur l’économie nord-africaine. Mais depuis, ce pays aurait dû connaître les bienfaits de l’intervention américaine, une avalanche de cotonnades et de corned-beef. Or il n’en a rien été et la situation des masses indigènes, comme en France, s’est encore aggravée.
Qu’est-ce que cela veut dire ? Sans doute il serait très facile aux Américains, avec quelques bateaux, de ravitailler les populations nord-africaines. Et les nécessités de la guerre ne sont pas telles qu’elles rendent impossible l’organisation d’un trafic aussi réduit. Mais voilà !
L’impérialisme américain a des visées sur l’Afrique du Nord, et comme l’impérialisme français n’entend ni céder sa place ni composer, il fait crever l’indigène sans l’ombre d’un regret.
Le sort tragique des peuples nord-africains est donc un aspect de la lutte impérialiste. Mais il est d’abord l’aboutissement d’une exploitation impérialiste conduite d’une façon systématique et impitoyable.
En effet, est-ce que les ressources de l’Afrique du Nord ne devraient pas lui permettre de nourrir largement toute sa population ? Sans aucun doute il y a là-bas de tout pour tous. Autrefois, avant la conquête française, l’ensemble de la population nord-africaine était formée de petits et moyens paysans tirant de leurs terres des ressources suffisantes pour leur subsistance. Mais les colons français ont exproprié l’indigène sur une large échelle et réduit les 9/10 de la population à une condition prolétarienne. Elle a abouti à l’extrême paupérisation des masses indigènes et à l’énorme enrichissement des gros colons.
L’exemple le plus typique est celui de l’Algérie. En moins d’un siècle la propriété indigène y est passée de 16 millions d’ha à 7 millions. L’Etat colonial et les gros colons se sont donc approprié 9 millions d’ha. Trois mille gros colons y possèdent près de 2 millions d’ha, c’est-à-dire autant qu’un million et demi de propriétaires indigènes. Six gros vignerons y récoltent plus de 3 millions d’hectolitres de vin. Certaines entreprises capitalistes y possèdent plus de 50.000 ha de terre. Au contraire, 70% de la paysannerie indigène n’ont qu’une moyenne de 2 ha de mauvaises terres.
Ainsi, le résultat le plus évident de la colonisation française est la constitution d’une "féodalité" terrienne et économique vivant de l’exploitation intensive des masses indigènes préalablement expropriées et prolétarisées.
Aujourd’hui 99% des populations indigènes de l’Afrique du Nord sont formées d’ouvriers agricoles, de demi-fellahs et de travailleurs, qui n’ont d’autre ressource que leurs bras pour gagner le pain de leurs nombreuses familles. Il s’est donc constitué dans ce pays une abondante main-d’œuvre qui a longtemps permis aux capitalistes et aux trusts coloniaux de pratiquer une politique de bas salaires : de 3 à 10 frs par journée de 12 à 14 heures de travail.
Avec un salaire journalier de 10 frs, comment nourrir et habiller une famille de 5 personnes, alors que le quintal de blé coûtait 180 frs, le mètre d’étoffe 20 frs, une paire de chaussures 50 à 100 frs ? Aussi bien, la plupart des indigènes se nourrissaient-ils d’orge et de glands, sans manger toujours à leur faim. Ils allaient pieds-nus ou chaussés d’espadrilles et s’achetaient une gandoura par an, qu’ils portaient jusqu’à usure complète.
Donc en temps normal, l’indigène était sous-alimenté et misérablement vêtu. Il n’avait aucune réserve alimentaire ni vestimentaire. Qu’une mauvaise récolte survienne et la faim se transforme en famine et appelle le typhus. La guerre actuelle a eu ainsi pour effet d’aggraver et de généraliser jusqu’à la catastrophe un état de choses endémique, conséquence inéluctable de l’exploitation impérialiste.
Et pourtant il y a encore du blé dans les silos des gros colons et des grosses sociétés. Mais ils ne le livrent pas et l’administration locale qui leur est entièrement dévouée, les laisse faire. Ils préfèrent le vendre au marché noir. Mais ils préfèrent voir le fellah crever de faim, dans l’espoir de le pousser à la révolte, puis d’amener le gouvernement à pratiquer une bonne répression. Et à la faveur de cette répression ils espèrent faire avorter tout projet de réforme en faveur de l’indigène et surtout obtenir un retour à la politique des bas salaires, aux 5 ou 6 francs journaliers d’avant-guerre qui leur assuraient de si substantiels bénéfices.
Telle est la situation de l’Afrique du Nord. Exploitée à outrance par les colons et les capitalistes français maîtres de l’administration, elle ne peut renaître à la vie que par l’expulsion des intrus qui absorbent toute sa substance vitale. C’est ce que veulent les indigènes : c’est-à-dire l’indépendance de l’Afrique du Nord. Il y a là-bas une haine farouche et générale pour l’exploiteur français. Les mouvements nationalistes nord-africains ont pris une ampleur extraordinaire ; des troubles se produisent un peu partout et l’on parle même de l’existence d’un maquis.
Mais, nous répondra-t-on (et c’est un argument souvent invoqué par les chefs staliniens pour expliquer pourquoi ils ne soutiennent plus les Abd-el-Krim de l’Afrique du Nord), dans le monde capitaliste actuel l’Afrique du Nord ne peut pas être indépendante : si la France n’y était pas ce serait l’Amérique ou l’Angleterre qui prendrait sa place ! Argument d’exploiteurs, de capitalistes : "si ce n’est pas moi qui exploite mon ouvrier, ce sera un autre, qui sera peut-être pire". Mais cet argument ne vaut rien. L’indépendance de l’Afrique du Nord n’est pas un cadeau qui tomberait du ciel aux Nord-Africains. Cette indépendance doit être le résultat d’une lutte acharnée menée par les peuples indigènes et les travailleurs métropolitains contre les 200 familles. Victorieux dans cette lutte, l’appui du prolétariat mondial et des autres peuples coloniaux (qui forment l’énorme majorité de la population du globe) les rendra invincibles.
Le prolétariat de France sait qu’un peuple qui en opprime un autre n’est pas un peuple libre. Il rejette entièrement la responsabilité de l’exploitation des peuples de l’Afrique du Nord sur les 200 familles. Au moment où les impérialistes de France, d’Amérique et d’Angleterre commencent à se prendre aux cheveux pour le pillage de l’Afrique du Nord, il proclame hautement le droit de ces peuples à disposer d’eux-mêmes jusques et y compris la séparation de la France. Les travailleurs français savent maintenant qu’à notre époque on ne peut plus maintenir assujetti un peuple qui veut sa liberté et son indépendance.
Pour le droit de l’Afrique du Nord à disposer d’elle-même !
Pour une COMMISSION D’ENQUETE OUVRIERE IMPOSEE au gouvernement !
Pour l’échange économique avec l’Afrique du Nord par l’expropriation des colons monopoleurs et affameurs des indigènes et de la France !
Travailleurs, l’exploitation des colonies maintient vos propres chaînes ; le colonialisme est une pratique capitaliste ! Sur cette question aussi rompons délibérément et radicalement avec le passé. Ainsi seulement l’avenir nous appartiendra !
https://www.marxists.org/francais/barta/1945/01/ldc42_011845.htm
LES "BIENFAITS" DE LA COLONISATION...
(22 mars 1945)
Travailleurs français,
Malgré le silence de toute la presse, en Afrique du Nord l’exploitation est plus terrible que jamais. L’action "civilisatrice" continue à entretenir la famine, le typhus, la misère et la démoralisation. Les capitalistes français qui parlent beaucoup de pudeur et de moralité, ne vous disent pas que là-bas les femmes, faute de vêtements, en sont réduites à cacher leur sexe de leur main. Ils ne vous disent pas que 15 classes ont été mobilisées en Afrique du Nord, que 95% de l’effectif de certaines unités sont tombées pour le profit des capitalistes et que pendant ce temps leurs familles meurent de faim. Ils ne vous disent pas qu’en France même, le gouvernement a fait incorporer de force dans des régiments de génie tous les travailleurs nord-africains se trouvant à Cherbourg et en Bretagne et qu’employés au déminage beaucoup y ont laissé leur vie. Ils ne vous disent pas que les mêmes policiers que sous l’occupation nous arrêtaient et nous réquisitionnaient pour les entreprises allemandes, nous livrent aux Anglo-américains comme "collaborateurs" pour faciliter sous ce prétexte notre exploitation.
Officiellement seule la classe 43 a été appelée. Cependant à Paris, dans le 20ème notamment, les gendarmes vont cueillir à leur domicile les jeunes des classes 39-40-41 comme insoumis, sous prétexte que leur classe a été mobilisée en Afrique du Nord.
La bourgeoisie française ne nous donne aucune possibilité légale de nous défendre. Le soi-disant représentant nord-africain à l’Assemblée consultative, Ben Djelloul, n’est qu’un laquais du gouvernement et son unique préoccupation en ce moment si tragique pour nous c’est d’obtenir un nouveau siège à l’Assemblée consultative pour un autre larbin, Ahmed Bahloul.
Travailleurs français ! Nous avons participé à vos luttes quand le fascisme, à partir de 1934, s’est dressé contre vous. Contre le traitement qu’on nous inflige, nous comptons aujourd’hui sur votre solidarité à vous, qui êtes aussi des exploités. Vous ne pouvez pas ne pas protester contre le traitement infâme auquel nous soumettent les capitalistes français !
GROUPE DE TRAVAILLEURS NORD-AFRICAINS
Travailleurs !
Au moment où le gouvernement de Gaulle s’est démasqué comme le gouvernement des trusts affameurs, l’appel de nos camarades nord-africains ne doit pas rester vain. Car la haine terrible accumulée en Afrique du Nord serait alors utilisée par l’intermédiaire de certains chefs indigènes vendus, contre vous-mêmes, comme Franco a utilisé les Marocains du Rif contre les travailleurs espagnols.
Les travailleurs nord-africains se trouvant en France sont livrés à l’exploitation sans moyens de défense et les capitalistes en profitent pour saper nos propres conditions économiques.
Au moment où les dangers sont de nouveau très grands pour la classe ouvrière et que le fascisme relève la tête, l’union de tous les exploités est indispensable à notre vie et à notre liberté.
Travailleurs français et travailleurs coloniaux, unissons-nous contre les entreprises réactionnaires des capitalistes français !
22 Mars 1945 UNION COMMUNISTE (4ème Internationale)
https://www.marxists.org/francais/barta/1945/03/tract_032245.htm
Algérie
Les travailleurs de France et d’Algérie devant l’impérialisme
"Un peuple qui en opprime un autre ne peut pas être un peuple libre" (Marx)
La situation géographique de l’Algérie, ainsi que ses ressources économiques et militaires, lui confèrent, dans un prochain avenir, un rôle de tout premier ordre. Sa situation stratégique – permettant la jonction des possessions de l’Afrique avec la métropole – la chair à canon qu’elle peut fournir et ses matières premières en font une pièce maîtresse du système impérialiste français. Objet de conquête, elle sera utilisée comme moyen de rapine dans le prochain carnage, tout comme en 1914.
Thorez, et après lui Jouhaux, y ont entrepris récemment des voyages de propagande. Dans le but d’y poursuivre une agitation sociale contre l’impérialisme français ? Hélas ! Les coryphées du "Front populaire" y sont allés pour "resserrer l’union entre les peuples d’Algérie et la Métropole". Après Daladier, parlant officiellement et ouvertement au nom de l’impérialisme français, Thorez est parti faire œuvre de dupeur, parler "démocratie", "union contre le fascisme hitlérien", etc… Les compte-rendus de L’Humanité nous disent les nombreuses délégations dont il reçut la visite, les cadeaux qui lui ont été offerts ; il reçoit des fleurs en souriant ; des photos le montrent embrassant une indigène, en un mot, tout se déroule selon la technique que le "père des peuples" met en œuvre en U.R.S.S. Pas un mot sur les revendications des travailleurs et des paysans algériens. Il parle bien de la nécessité de s’unir "contre le fascisme hitlérien", mais passe sous silence la lutte par des méthodes de classe contre le fascisme EN ALGERIE. Devant son auditoire, il dénonce le P.S.F. et le P.P.F. algérien comme agents de l’étranger, mais bien sûr pas comme ceux du capitalisme français. La Métropole, voyez-vous, n’a que des représentants "honnêtes" comme M. Thorez. Les fascistes qui s’en revendiquent, ce sont des agents camouflés de Hitler. C’est ainsi qu’il réalise "l’union française" ! Du moment que le P.S.F. et le P.P.F. sont des agents de Hitler, et non pas mercenaires de la métropole, la lutte contre eux n’est plus la tâche des masses travailleuses luttant contre l’impérialisme français, mais une simple tâche de police. Thorez réclamera que celle-ci les emprisonne ; mais en attendant, ce sont ses propres meetings qui sont interdits.
L’Algérie est appelée à jouer un rôle important, non seulement dans la prochaine guerre, mais elle peut devenir, elle devient une place d’armes du fascisme français. Les Doriot, les de La Rocque ont profité de la politique du "Front populaire" à l’égard des masses travailleuses pour augmenter leur influence. De même que, sous la pression de Blum, les représentants du "Front populaire" espagnol ont refusé d’accorder satisfaction aux Marocains – auxquels Franco a accordé des droits démagogiquement, en paroles, pour pouvoir les utiliser contre les ouvriers espagnols – de même les représentants du "Front populaire" au pouvoir en France ont donné les gages exigés par l’impérialisme français. Ils ont permis un renforcement de la répression contre les luttes surgies en Algérie sous l’impulsion des grèves françaises. Lozeray ment quand il écrit, dans L’Humanité, que les salaires des ouvriers indigènes ont augmenté. Ils ont diminué par suite de la dévaluation. Le "Front populaire" a laissé les masses indigènes aussi dénuées de droits qu’avant 1936. Le droit d’adhésion aux organisations syndicales est tout bonnement théorique. Car celles-ci sont un moyen de défense des ouvriers algéro-européens qui, du point de vue économique et politique, représentent une couche de beaucoup supérieure à l’élément indigène. Ce dernier, composé de travailleurs non qualifiés, – manœuvres à tout faire, travailleurs agricoles, mineurs – manque d’esprit corporatif et est dans l’impossibilité de payer une cotisation qui dépasse complètement ses possibilités. Avant de pouvoir s’organiser dans une organisation commune avec les ouvriers algéro-européens, les travailleurs indigènes doivent préalablement conquérir l’égalité économique et politique, s’élever à leur niveau. Le moyen qui leur permettrait de l’atteindre, c’est une lutte autonome adaptée à leur situation. Le Front populaire n’a rien apporté aux masses travailleuses de l’Algérie, il a aggravé leur situation. Voilà la vérité !
Aux yeux des masses indigènes, Blum "représentait" les ouvriers français ; elles ont été habilement travaillées par le P.S.F. et le P.P.F. et dressées contre les ouvriers métropolitains, tenus "responsables" de cette politique. Aujourd’hui le danger est grand de voir l’impérialisme français s’en servir pour anéantir les conquêtes politiques et sociales des ouvriers français et instaurer le fascisme en France avec leur aide, comme Franco en Espagne avec celle des Marocains.
La résolution du B.P. du P.C.F. prise au retour de Thorez, donne un coup de chapeau à la nécessité (du point de vue de la sécurité française bien entendu) "de faire droit aux aspirations légitimes d’ordre économique, social, culturel, religieux et politique qu’exposent notamment les représentants des populations arabes et berbères musulmanes".
Et quelle est la mesure pratique envisagée ? La résolution rappelle "que le projet Blum-Violette... n’est toujours pas voté" ! La politique de collaboration de classe du Parti communiste français, sur le plan colonial, remplace l’agitation parmi les masses exploitées et la lutte autonome de ces masses par des méthodes de classe contre l’impérialisme, par des exhortations adressées à la métropole, c’est-à-dire aux capitalistes français. Le projet, en effet, n’a rien de dangereux pour la "sécurité française". S’il répond aux aspirations "qu’exposent notamment les représentants" (c’est-à-dire les exploitants indigènes, il ne donne aucune satisfaction aux millions d’ouvriers et paysans d’Algérie (approximativement 5.000.000). Donner des droits à une infime minorité de 20.000 privilégiés indigènes, comme le prévoit le projet, c’est, en réalité, augmenter l’inégalité et élargir la base sociale de l’impérialisme qui s’attacherait encore plus fortement cette mince couche et renforcerait par conséquent, sa domination : "L’équilibre social recherché par l’impérialisme consiste à déplacer certaines couches indigènes pour les lier à l’élément exploiteur d’une part, et d’autre part, à diviser l’ensemble des masses travailleuses en deux couches distinctes". C’est ce que Thorez explique à mots couverts à l’adresse des dirigeants français de ce pays, au meeting de Wagram, et il a l’impudence de donner l’exemple de l’U.R.S.S. !
Si la droite de la Chambre française s’oppose à l’adoption de ce projet, ce n’est pas parce qu’il représente une concession aux masses travailleuses, mais pour ne pas déplacer le poids respectif des exploiteurs indigènes par rapport aux exploiteurs algéro-européens.
Thorez écrit : "A l’heure actuelle, l’intérêt supérieur du mouvement ouvrier français et du mouvement ouvrier international – prolétaires allemands en premier lieu – c’est de faire échec partout au fascisme hitlérien, de lui refuser partout de nouveaux moyens de puissance et de domination. L’intérêt non moins évident des peuples des colonies françaises – considéré sous l’angle de leur émancipation nationale et sociale – c’est de rester unis à un peuple chez lequel subsistent encore heureusement les notions de liberté et d’égalité des races." Voilà par quel tour de passe-passe Thorez réconcilie l’intérêt social et national des peuples coloniaux et du prolétariat métropolitain avec l’intérêt de l’impérialisme français. Le traquenard, c’est sa soi-disant croisade anti-fasciste... commandée par Gamelin-Franco, qui instaurera la dictature de son état-major militaire.
L’intérêt social et national des peuples coloniaux est de s’émanciper de l’impérialisme. En tant que phénomène économique, celui-ci asservit les peuples arriérés, les surexploite et les maintient dans l’esclavage. Ses méthodes de domination – sociales, militaires, politiques – dépendent des conditions concrètes du pays exploité et non pas des formes politiques de la Métropole. Généralement, les exploiteurs s’appuient sur l’élément social le plus arriéré, comme c’est le cas pour l’Algérie. La domination de la "démocratique" Angleterre aux Indes ou sur les peuples arabes s’appuie sur les féodaux. L’épopée sanglante que représentent les conquêtes coloniales de l’Angleterre et de la France en premier lieu, sont les plus noires des temps modernes. Politiquement, les masses travailleuses n’ont aucun droit, à quelque impérialisme qu’elles appartiennent. Leur pire ennemi, c’est leur propre impérialisme, en l’occurrence l’impérialisme français.
Quant aux ouvriers français, leur intérêt le plus évident, le premier est celui-ci : ne pas fournir à leurs propres capitalistes – français – les moyens pour réprimer leurs luttes. L’impérialisme français tire précisément le plus clair de sa force de l’exploitation coloniale. Le soutien des luttes des opprimés de l’Empire français contre la Métropole par les ouvriers français c’est la condition même de leur victoire : "La victoire de la classe ouvrière dans les pays avancés et la libération des peuples opprimés de l’impérialisme sont impossibles sans la formation et la consolidation d’un front révolutionnaire commun". (Thèses de Lénine sur la question nationale et coloniale).
Si l’on examine de plus près le "raisonnement" de Thorez, on constate qu’en réalité il nie la possibilité et le droit des peuples opprimés de déterminer librement leur sort puisqu’il feint de [ligne manquante] …mination de l’impérialisme français ou domination de l’impérialisme hitlérien. Mais le prolétariat et l’avant-garde ne doivent pas oublier la leçon récente de l’Espagne – si chèrement payée – .
Pour empêcher les indigènes – et surtout ceux de l’Afrique du Nord – de devenir les instruments de la répression capitaliste contre eux, les ouvriers français doivent montrer aux peuples coloniaux leur véritable figure, c’est-à-dire celle d’opprimés luttant contre l’impérialisme et l’exploitation coloniale et non pas celle de soutien des exploiteurs. Le prolétariat français doit aider tout d’abord par tous les moyens à la création de partis révolutionnaires dans les colonies, ayant pour tâche la lutte de libération sociale et nationale. Ces partis doivent conserver leur autonomie vis-à-vis du parti révolutionnaire de la métropole, car ils luttent dans des conditions différentes – et aussi pour que la trahison des "chefs" métropolitains n’entraîne pas automatiquement la subordination de ces partis à l’impérialisme – mais ils doivent rester en liaison étroite avec celui-ci sur le plan de la lutte d’ensemble contre l’impérialisme.
Thorez présente toute lutte pour la libération sociale et nationale des colonies comme l’œuvre de Hitler. Il spécule sur les sentiments de haine que les ouvriers français éprouvent contre le bourreau des ouvriers allemands, pour les enchaîner au char de l’impérialisme français. Chez celui-ci "subsistent encore", paraît-il, des notions démocratiques, c’est-à-dire qu’il trouve avantageux de se servir encore de ses laquais "démocrates" – Blum, Thorez, Jouhaux – avant d’utiliser exclusivement Doriot ou de La Rocque. Antifasciste ? Non. Agent de l’impérialisme.
C’est l’impérialisme qui est le fait dominant de notre époque, c’est lui la principale force de stagnation et de misère, de fascisme et de guerre. En soutenant les luttes de coloniaux contre celui-ci, le prolétariat français aura le plus puissant allié à sa propre lutte en la personne des 60.000.000 d’esclaves de l’Empire français, dont Thorez est devenu un des principaux garde-chiourme. Les Etats-Unis socialistes du Monde sauveront la civilisation de la barbarie qui la menace et jetteront les bases d’une humanité meilleure.
https://www.marxists.org/francais/barta/1939/04/barta_vl1.htm
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article3657
Extraits de « La question coloniale et la politique du Parti communiste français (1944-47) »
de Grégoire Madjarian :
« Le 8 mai 1945, dans toute l’Algérie, devait être célébré l’armistice. Des cérémonies officielles avaient été prévues. Un mot d’ordre clandestin du PPA avait circulé : « Le jour de la victoire, manifestons pour exiger, après le sacrifice et la conduite héroïque des Algériens dans l’armée française, un peu de démocratie et de justice ! » Une fraction légaliste des Amis du Manifeste, croyant éviter ainsi l’intervention policière, envoya une délégation demander au gouverneur général l’autorisation de s’exprimer. Les délégués ne sortirent pas de la résidence générale : ils avaient été arrêtés et les autorités prévenues.
Le jour de l’armistice, eurent lieu dans plusieurs villes des manifestations d’ampleur et de forme diverses. A Bône et Didjelli, les manifestations se joignirent au cortège officiel et déployèrent leurs propres banderoles. Des défilés analogues furent organisés à Batna, Biskra, Kenchela, Blida, Berrouaghia et Bel-Abbès. A Saïda, la mairie fut incendiée. A Alger, les fidèles n’assistèrent pas à la cérémonie officielle de la Grande Mosquée. Les incidents les plus graves eurent lieu à Sétif et Guelma.
A Guelma, peu de musulmans avaient assisté aux cérémonies officielles : les comités des AML organisait sa propre manifestation avec des mots d’ordre tels que « Vive la démocratie ! », « A bas l’impérialisme ! », « Vive l’Algérie indépendante ! ». La police tira sur la foule.
A Sétif, un cortège de quinze mille personnes se dirigeait vers le monument aux morts afin d’y déposer une gerbe, arborant pour la première fois le drapeau algérien vert et blanc. Les manifestants brandissaient des pancartes et des banderoles : « Démocratie pour tous ! », « Libérez Messali ! », « Libérez nos leaders emprisonnés ! », « Vive la victoire alliée ! », « Vive l’Algérie indépendante ! », « A bas le colonialisme ! », « Pour une Constituante algérienne souveraine ! ». La police ouvrit le feu à la suite d’un ordre du sous-préfet de retirer pancartes et banderoles.
Ces manifestations furent le point de départ d’un soulèvement qui s’étendit à la Kabylie des Babords, se propagea dans une grande partie de la région du Constantinois. Des messagers allaient dans les campagnes, les villages les plus reculés, pour faire le récit des manifestations de Sétif et Guelma et de leur répression. Les responsables locaux des AML organisaient leurs militants et dirigeaient des attaques contre les bâtiments de l’autorité française : la mairie, la poste, la recette des contributions, la gendarmerie.
Les centres de Aïn-Abessa, Sillègue, le bordj Taktount Bouga (La Fayette), ainsi que Kerrata furent encerclés. Les centres de Béni Aziz (Chevreuil) assiégé aux cris de « Djihad ! Dkihad ! » fut entièrement incendié.
Des groupes armés venus des douars voisins assaillirent Guelma, le 9 mai, pour venger leurs morts, et le car de Bougie à Sétif fut attaqué. Le 10 mai, le village d’Aokas (commune morte d’oued Marsa), la gendarmerie de Tesara, le bordj et la poste de Fedj M’zala furent encerclés. Dans la région d’oued Marsa, les communications téléphoniques furent coupées, des gardes forestiers tués.
Dans la région des Babors, au nord de Sétif, l’émeute prit « l’allure d’une véritable dissidence » d’après le rapport du général de gendarmerie. Les troupes étaient « accueillies dans certains douars à coups de fusils et même d’armes automatiques ». Des rassemblements d’hommes armés étaient signalés à El Arrouche, Azzaba, oued Amizour, Smendou, Chelghoun-Laïd, El Milia, ouest-Zénati. Entre Tizi-Ouzou et Thénia, les fils téléphoniques furent coupés. Des dépôts d’armes clandestins furent signalés à Tébessa.
Des bruits circulaient à propos d’un soulèvement général, bruits qui n’étaient, nous le verrons plus loin, pas sans fondement. Plusieurs groupes armés de paysans s’attaquèrent aux villages et aux centres de colonisation. Fermes, colons, représentants de l’ordre colonial furent les cibles de la révolte.
A propos des événements de mai 1945 et afin de dégager leur signification, il est nécessaire de poser plusieurs questions distinctes : de quel ordre sont les facteurs qui ont déterminé le soulèvement du Constantinois, quelles sont les causes immédiates du déclenchement de l’insurrection, y a-t-il eu préparation d’une insurrection, y a-t-il eu volonté insurrectionnelle ?
A l’époque, à côté de la thèse d’un complot fasciste qui fut, nous le verrons plus loin, la principale thèse officielle et qui ne repose sur aucun fondement, vint s’adjoindre celle d’une révolte de la faim. Bien que la situation des musulmans, et en particulier celle des fellahs, fût dramatique, de nombreux éléments contredisent cette dernière thèse. Pendant les événements, « Le Monde » remarquait : « Au cours de ces journées sanglantes, ni les silos remplis de blé ni les entrepôts de denrées ne furent pillés. « En 1948, Bénazet écrivait : « Non seulement les manifestants des cortèges n’ont jamais poussé des clameurs ou arboré des pancartes contre le ravitaillement » mais les silos de la région « remplis de grains et laissés sans protection, ne souffrirent nulle atteinte. » (…)
Sur le déclenchement des événements, l’analyse de Mohamed Boudiaf et le témoignage qu’il a recueilli, attribuant un rôle déterminant aux provocations policières, semblent faire le point sur cette question : « L’effervescence populaire était à son comble, les autorités coloniales, décidées à reprendre la situation en mains, cherchaient l’occasion de frapper un grand coup (..) J’ai eu plus tard l’occasion d’en parler avec le responsable du parti (le PPA) de Sétif, Maïza, il n’avait aucune directive et ne savait quoi répondre aux militants qui vinrent lui en demander après le début des incidents dans la région. Ce sont les provocations qui ont mis le feu aux poudres. Le scénario fut le même un peu partout. Dès que les drapeaux étaient sortis, la police tirait sur le porteur. La foule réagissait. » (El Jarida – novembre-décembre 1974)
(…) Par contre, après le 8 mai, des responsables du Constantinois demandèrent aux dirigeants du PPA d’appeler à l’insurrection générale pour soulager les populations de la région qui supportaient, seules, le poids de la répression, mais celle-ci n’eut pas lieu, à cause notamment des tergiversations de la direction du PPA. (…) Il apparaît, comme l’écrit Mahfoud Kaddache dans « Il y a trente ans », que « les événements de Sétif et Guelma furent considérés comme le signal de la révolution, de la guerre libératrice. » Ainsi, les heurts et les fusillades qui se produisirent dans les deux villes en question – et ce dernier élément seul permet de comprendre l’embrasement du Constantinois – ne trouvèrent un écho que parce qu’il existait une volonté insurrectionnelle dans les masses.
Dirigée par le général Duval, la répression du soulèvement du Constantinois fut d’une sauvagerie indescriptible. (…) dans un message à l’ONU, Messali Hadj dira des événements du Constantinois qu’ils « ont coûté plus de quarante mille victimes au peuple algérien. » (…)
Comment ces massacres furent-ils justifiés par les autorités et acceptés par l’opinion de la métropole ? (…) la version officielle du gouvernement de l’Algérie, version qui fut également celle des trois partis politiques au pouvoir sous la tête gaulliste (MRP, SFIO et PCF) était la suivante : le soulèvement du Constantinois était un « complot fasciste » accompli par des « agents hitlériens ». L’armée n’était dépêchée que pour « poursuivre l’action patriotique de nettoyage ». (…)
Le 11 mai, « L’Humanité » relatait les événements du 8 en rapportant la déclaration du gouvernement général : « Des éléments troubles d’inspiration hitlérienne se sont livrés à Sétif à une agression armée contre la population qui fêtait la capitulation hitlérienne. La police, aidée de l’armée, maintient l’ordre. » En publiant sans réserves ces propos sous le titre : « A Sétif, attentat fasciste le jour de la victoire », le quotidien du PCF accréditait la version de l’administration coloniale. (…)
(Le 12 mai,) le Comité central du PCF, prenant une position sans nuances, recommandait explicitement une répression rapide et impitoyable. Il publiait immédiatement la révolution suivante : « Il faut tout de suite châtier impitoyablement et rapidement les organisateurs de la révolte et les hommes de main qui ont dirigé l’émeute. » (…)
Sur une distance de 150 kilomètres, de Sétif à la mer, la loi martiale fut proclamée. La troupe reçut l’ordre de tirer sans sommation. « sur le burnous ». Tout arabe ne portant pas le brassard réglementaire était abattu (témoignage de Charles-André Julien dans « L’Afrique du Nord »). Les légionnaires furent autorisés à massacrer toute la population arabe de Sétif et même ailleurs, où aucune manifestation n’avait eu lieu.
A Villard, pendant deux jours, une batterie de 75 bombarda les douars environnants. A Saint-Armand, les soldats eurent pour mission de raser tous les villages se trouvant à 15 kilomètres des centres de colonisation. Périgotville et Chevreuil furent entièrement détruits.
L’aviation bombardait et mitraillait à l’intérieur, tandis que les navires de guerre canonnaient des villages côtiers. D’après ce que reconnut le général Weiss, il y eut, en quinze jours, vingt actions aériennes contre la population. Les avions détruisirent 44 mechtas (groupe de maisons pouvant aller de 50 à 1000 habitants). La marine intervint devant Bougie et à Djijeli. Le croiseur Dugay-Trouin, venu de Bône, fut employé au bombardement des environs de Kerrata. Le douar Tararest fut rasé. Des douars entiers disparurent. (…)
A Guelma, la réaction viscérale de la population européenne, sous l’initiative du sous-préfet, mena à l’organisation d’une milice. Le comité de vigilance, qui recrutait et contrôlait la milice, comportait une forte majorité de combattants de la « France combattante », y compris deux responsables du Parti communiste algérien, ainsi que le secrétaire de l’Union locale de la CGT. Dans ce qui fut l’une des opérations de représailles les plus meurtrières de mai 1945, les miliciens massacrèrent entre 500 et 700 « musulmans ». (…)
Le mouvement syndical de la métropole, par l’intermédiaire de son principal représentant, la CGT, adopte des positions voisines du PCF (…) afin de « souligner l’action courageuse et magnifique des organisations syndicales d’Algérie pour empêcher que le mouvement ne s’étende à d’autres régions. »
Si la situation était révolutionnaire en Algérie à la fin de la deuxième guerre mondiale, en Algérie comme sur une bonne partie de la planète, l’inexistence de partis révolutionnaires était aussi très générale et détruisait l’essentiel des possibilités de la situation. La révolte a éclaté en 1945 en Algérie, alors que les travailleurs et les masses populaires ne disposent d’aucune organisation favorable à une révolution sociale renversant le colonialisme. Le plus important parti dans les masses populaires, algériennes comme pied-noires, est le Parti Communiste Algérien. Alors que le Parti Communiste Français, qui participe au gouvernement, soutient le colonialisme [1] et participe [2] à la répression de la révolte, le PCA déclare : « Frères musulmans, le peuple de France lutte contre tes ennemis : le fascisme et les trusts qui oppriment l’Algérie en même temps qu’ils trahissent la France (…) dans cette lutte, une France nouvelle se crée, qui n’aura rien de commun avec celle d’hier. (…) Ton intérêt propre est donc d’aider cette France nouvelle à se créer, à se forger, car c’est le chemin de salut pour toi. » (extrait de « Le PCA au service de la population d’Algérie », rapport de Amar Ouzegane à la conférence centrale du PCA à Alger le 23 septembre 1944). Il va dénoncer la lutte d’indépendance comme « fasciste ». Le PPA, parti nationaliste de Messali Hadj, qui avait des origines communistes (L’Etoile Nord-africaine), choisit tactiquement de jouer le jeu des élections dans le cadre colonial, comme l’avait fait l’Association du Manifeste et de la Liberté de Ferhat Abbas. Même sa frange paramilitaire, l’Organisation Spéciale, dirigée par Ben Bella et Aït Ahmed, plus portée sur l’action directe comme le montrera son évolution en FLN, affirme qu’il ne fallait pas faire la révolution sociale, pas de soulèvement en masse, en 1945. Le rapport de l’OS en 1947 sur l’analyse des événements de 1945 dans le Constantinois et dans toute l’Algérie, dont voici quelques extraits, est édifiant sur le caractère contre-révolutionnaire de la petite bourgeoisie nationaliste radicale :
Rapport de l’Organisation Spéciale (formation paramilitaire clandestine du PPA) pour le Comité Central élargi de décembre 1948 du Parti du peuple algérien PPA-MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques) et adopté par celui-ci :
« Nous nous proclamons un parti révolutionnaire. Le mot révolutionnaire est dans les propos de nos militants et de nos responsables. Notre vocabulaire est dominé par des formules à l’emporte-pièce, extrémistes, magiques telles que « le problème algérien est un problème de force », « nous sommes pour l’action, contre les discours » ; en attendant, nous ne cessons de discourir. (…) Aujourd’hui que l’électoralisme a fait faillite, le regard doit se porter résolument vers les véritables objectifs. Notre but est de mobiliser toutes les couches de la population algérienne, d’entraîner même les « mécontents », les « hésitants », même ceux qui sont contre les « inégalités choquantes ».
« Des idées fumeuses, voire saugrenues, bouchent notre conscience. En parlant de soulèvement, certains y voient une forme d’insurrection « généralisée », à l’exemple de celle de 1871, étendue à l’ensemble du territoire national. (…) Le but de ce rapport est de préciser la donnée principale de la révolution : la ou les formes de lutte que doit revêtir la lutte de libération. »
« Quelle forme prendra la lutte de libération ? La lutte de libération ne sera pas un soulèvement en masse. L’idée de soulèvement en masse est en effet courante. L’homme de la rue pense que le peuple algérien peut facilement détruire le colonialisme grâce à une supériorité numérique : dix contre un. Il suffira de généraliser à l’Algérie entière un soulèvement populaire. (…) En réalité, l’idée de « soulèvement en masse » se fonde sur des souvenirs historiques, au niveau de l’opinion populaire. Les paysans n’oublient pas la grande insurrection de 1871. De père en fils ils ont hérité le regret viscéral que cette insurrection fut circonscrite à la Kabylie, à quelques régions de l’Algérois et du Constantinois. Ils peuvent croire que cette insurrection aurait réussi si elle avait éclaté partout. Il faut préciser tout de suite que cette conception n’est pas partagée par les populations de Kherrata qui ont connu le massacre de mai 1945, ni par celles de Kabylie qui depuis cette date connaissent les répressions les plus dures. Les événements qui ont suivi « l’Ordre du 23 mai 1945 » indiquent à quelles aventures tragiques peuvent conduire des idées archaïques. (…) L’insurrection de 1871 a échoué, moins parce qu’elle était géographiquement limitée qu’en raison de son caractère spontané, improvisé et des conceptions militaires erronées de ses dirigeants. (…) Le soulèvement en masse est une forme de lutte anachronique. La notion de supériorité de la multitude, nous en avons fait l’expérience, a déjà bouché la conscience que devait avoir nos dirigeants des bouleversements engendrés par l’armement moderne dans l’art de se battre pour se libérer. Aux yeux des militants qui ont éprouvé directement les conséquences de « l’Ordre et du Contre-Ordre d’insurrection », l’histoire du « cheval blanc » et du drapeau vert » est plus qu’une anecdote humoristique. (Note : le PPA a donné un ordre d’insurrection, puis l’a décommandé, mais le contrordre serait arrivé trop tard en Kabylie et à Saïda). (…) L’expérience du soulèvement avorté du 23 mai 1945 est plus proche de nous que l’échec de la révolution de 1905, ou la débâcle des patriotes irlandais lors de l’insurrection de Pâques 1916 et du terrorisme qui l’a suivit. De plus, c’est notre propre expérience ; elle a profondément marqué les militants qui l’ont vécue et qui en ont tiré les leçons pour eux-mêmes et pour le parti. En été 1945, le district de la Grande Kabylie reçoit l’ordre d’abattre les candidats aux élections cantonales. Les responsables du district refusent d’exécuter cet ordre. (…) Nous pouvons tuer et prendre le maquis, si le parti a prévu la djihad comme étape suivante. (…) La forme de lutte individuelle conduit à nous mettre en position de moindre efficacité et de moindre résistance. (…) par contre, le terrorisme sous sa forme défensive ou d’appoint, c’est-à-dire le contre-terrorisme, peut jouer un rôle dans le cadre de la guerre populaire, comme en Indochine. (…) La guerre est un instrument de la politique. Les formes du combat libérateur doivent se mesurer à l’aune de la politique. (…) La lutte de libération sera une véritable guerre révolutionnaire. (…) La lutte de libération de l’humanité algérienne sera donc une guerre. Elle assumera les proportions d’un conflit avec la puissance coloniale avec tout son potentiel militaire, économique et diplomatique, donc politique. (…) Aussi la guerre révolutionnaire est la seule forme de lutte adéquate aux conditions qui prévalent dans notre pays. C’est la guerre populaire. Il importe de préciser que nous n’entendons pas par là les levées en masse. Par guerre populaire, nous entendons guerre des partisans menée par les avant-gardes militairement organisées et solidement encadrées. (…) Et d’abord posons-nous la question : quels sont les principes directeurs qu’il faut réunir pour assurer la victoire de cette guerre de libération ? Sur quels éléments doit se baser notre stratégie pour être victorieuse ? (…) Les principes directeurs de notre stratégie sont l’avantage du terrain, la guérilla comme forme de guerre principale, la défense stratégique et non l’offensive, la formation de bases stratégiques (…). Le principe directeur se rapportant à l’unité d’action avec le Maroc et la Tunisie se situe à la charnière des problèmes de stratégie intérieure et de stratégie extérieure. Nous préférons les situer à cette frontière. (…) Cependant, l’Algérie se condamnerait à perdre d’avantage, c’est-à-dire tous les autres atouts, si elle faisait une condition sine qua non d’un dispositif maghrébin préalable. (…)
« Les thèses assimilationnistes sont bel et bien enterrées. Même le Parti communiste algérien semble se soumettre devant le puissant courant qui porte nos masses vers la libération. Il court derrière le peuple dont il prétend être l’avant-garde. Il va jusqu’à sacrifier comme bouc émissaire, Amar Ouzegane, son secrétaire général (note : il est présenté comme responsable du soutien du PCA au massacre colonialiste français de Sétif et du Constantinois, décision du PCA et du PCF, qui résulte de la participation du PCF au gouvernement français et de l’alliance contre-révolutionnaire du stalinisme et de l’impérialisme à la fin de la guerre). (…) Cependant, depuis le truquage éhonté des élections d’avril dernier, au vu de la répression qui a précédé et suivi ces truquages, le peuple algérien dans son ensemble a découvert le caractère dérisoire et vain du réformisme, basé sur la légalité coloniale. (…) le patriotisme rural a triomphé dans l’opinion avec la dureté qui caractérise l’oppression subie par les masses rurales : « Ne nous appelez plus aux urnes, donnez nous des armes ». (…) Ici apparaissent les dangereuses faiblesses de l’Organisation Spéciale OS. Nous manquons d’armes et d’argent. (…) Le problème de l’armement doit être le souci majeur du parti. (…) Un appareil émetteur-récepteur nous a coûté 100.000 francs, l’équivalent du budget de fonctionnement mensuel alloué à l’organisation. Aucun sou n’a été consacré par le parti à l’achat d’armements. (…) Nous disposons aujourd’hui de trois organisations toutes structurées à l’échelle nationale. Il y a le MTLD, appareil légal et public. Il y a l’OS, organisation paramilitaire, ultra clandestine. Il y a le PPA, appareil semi clandestin ou prétendu tel. Ces trois structures correspondent au schéma décidé par le Congrès de 1947. (…) Dans des localités, les responsables de l’OS sont à la fois dirigeants des sections locales du MTLD, du PPA et conseillers municipaux. N’ayant pu être remplacés à leurs « fonctions » légales ou semi légales, ces responsables n’ont pas pu se conformer aux directives de l’état-major de l’OS qui leur « fait obligation de se faire oublier » des autorités … des polices et des masses. »
« Puisqu’on nous parle souvent de « plan de sécurité », il n’en existe pas d’autre que le maquis. Les militants sont aujourd’hui connus de toute façon. Ils ne peuvent pas échapper aux coups de filet par « la simple vigilance ». Ils doivent pouvoir continuer leurs activités au sein des masses en s’intégrant clandestinement à elles. »
« Perspectives
« Cette guerre de libération mettra aux prises, nous n’aurons de cesse de le rappeler, une puissance mondiale à une nation désarmée qui de surcroît a été soumise à une politique de dépersonnalisation et d’asservissement pendant plus d’un siècle. (…) La guerre populaire de libération nous donne des atouts. D’abord la force morale d’une cause juste (…) Les vertus guerrières de notre peuple, le mépris du danger, la force de caractère et d’esprit, la persévérance trouveront dans l’Islam bien exploité un élément de mobilisation et de soutien dans les vicissitudes, les revers, le deuil et les « hasards » de la guerre. Ensuite, l’Algérie c’est notre pays. Le peuple algérien connaît ses moindres recoins. Il fait corps avec le relief. La guerre de partisans, avec ses fonctions de commandos dans les villes, ses actions de sabotage généralisées, nous permettra de tirer le maximum de ces atouts, c’est-à-dire de durer et d’atteindre les objectifs de la défense stratégique. (….) Il s’agit de combler nos lacunes et de travailler en profondeur nos masses rurales. Le patriotisme révolutionnaire est dans les campagnes ; la paysannerie pauvre, la paysannerie des khammes, les petits paysans constitueront l’élément moteur de la guerre de libération. Leur tempérament, l’amour patriotique qui s’aiguise dans le nif (note : sentiment de l’honneur) et la « convoitise de la gloire « , leur dévouement fanatique, gage de fermeté et d’obstination, toutes qualités et force d’âme qui les ont rendu jadis et les rendront encore maîtres dans l’art de la guérilla. (…) la nature même chez nous de l’oppression coloniale de même que la répression sous toutes ses formes, économique, policière, terroriste, administrative, ont atteint des paliers exaspérants. D’où la véhémence du mécontentement général. Aujourd’hui, la conscience révolutionnaire consiste à exploiter l’impasse légaliste et les fiascos réformistes afin de familiariser les masses avec l’idée d’une véritable guerre et faire ainsi du recours à la violence non pas un geste de désespoir, de colère et de révolte, mais un geste révolutionnaire qui doit mener à la victoire. (…)
« Le mot d’ordre « La terre à ceux qui la libèrent » qui correspond aux aspirations de nos masses rurales aura un effet multiplicateur, c’est-à-dire durablement mobilisateur. Le slogan quémandeur « La terre à ceux qui la travaillent » est sans effet (…) Il importe de bétonner notre implantation rurale. Il faudra tirer avantage de l’influence des notabilités acquises au mouvement pour structurer les paysans.
« Nous voulons trois choses : des armes ! encore des armes ! toujours des armes !
La stratégie du harcèlement qui suppose des séries de petites attaques ne peut remplir son objet sans armes individuelles, pistolets mitrailleurs, fusils mitrailleurs, mitrailleuses légères, grenades offensives, grenades anti-chars. La stratégie de désorganisation de l’infrastructure coloniale, de dislocation économique et de destruction des voies de communication, suppose également les techniques d’explosifs les plus appropriées. Il est indispensable d’avoir dans chaque région des stocks de guerre. (…) Malgré les sacrifices des masses et la générosité des militants, le parti ne pourra au mieux que se procurer les ressources de subsistance à l’intérieur du pays. C’est à l’extérieur que nous devons nous approvisionner. (…) Une équipe doit être chargée de trouver les armes et les finances qu’exige la conjoncture. (…) Certains nous consentiraient un emprunt par solidarité sentimentale, anti-coloniale ou par communion de lutte contre l’impérialisme ; l’intérêt, le calcul n’y est peut-être pas totalement absent. Ils pourraient escompter des avantages politiques à plus ou moins long terme. »
« La proclamation de l’indépendance du Viet Minh, la guerre de libération qui se déroule au Tonkin, la résistance de l’Indonésie, les événements de Madagascar, le revirement anglo-saxon en faveur de l’indépendance libanaise et syrienne, autant de faits qui illustrent la puissance du phénomène anti-colonial. (…) Cette force « émancipatrice » est vitale du point de vue strictement militaire, par la dispersion de la puissance et des efforts du colonialisme et l’affaiblissement de son potentiel économique. (…)
« Nul doute que la résistance du Maghreb sensibilisera les musulmans au plus haut point. L’Islam est un facteur mobilisateur sur le plan moral et affectif. Il peut et doit apporter une contribution décisive dans la lutte de libération des peuples coloniaux. Aucun élément constitutif de cette force vitale ne doit être négligé, pour user et détruire la force vitale du colonialisme. »
« Depuis quelques mois, la guerre froide sévit. L’Algérie, le Maghreb, est dans la zone d’influence occidentale. Jamais les USA ne permettront qu’il passe du côté de l’Est. Gardons-nous d’apriorismes idéologiques et de slogans sentimentaux créés en dehors de l’espace et du temps. L’efficience révolutionnaire commande le séreux et la prudence dans le verbe. »
Rapport, rédigé en 1948 par Aït Ahmed et Ben Bella, dirigeants de l’OS, et adopté par Messali Hadj et le PPA, avant d’être appliqué comme stratégie par le FLN, issu de l’OS.
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article91
Moyen Orient
Iran
En Iran, dès 1944, ce sont les ouvriers qui ont donné le coup d’envoi de la lutte. Début 1944, c’est le soulèvement des ouvriers d’Ispahan qui donnent l ‘assaut aux réserves de grains des propriétaires, mouvement suivi de la grève générale dans toute la ville. Mais, c’est le 14 juillet 1946 que débute un grand mouvement des travailleurs d’Iran. La grève éclate dans le Khouzestan, fief de l’impérialisme britannique. Partie des travailleurs du pétrole sur des revendications économiques, elle concerne vite jusqu’à 60 000 travailleurs et dure quatre jours pendant lesquels ont lieu de combats de rue. Contre les travailleurs il y aura non seulement toutes les forces coloniales et bourgeoises, l’armée qui fait 46 morts, mais même le parti communiste Toudeh qui cherche à entreprendre une médiation pour arrêter la lutte. La centrale syndicale comme le Toudeh font tout pour que la grève ne s’étende pas et, en guise de remerciements, le Toudeh obtient trois postes de ministres en août. Ils seront renvoyés en octobre dès que la bourgeoisie aura repris des forces. Le pouvoir lance alors une attaque contre les travailleurs, licencie partout les syndicalistes, les arrête et les déporte par centaines. Le parti communiste Toudeh tout au long avait suivi la politique de Staline qui défendait ses propres relations et ses intérêts économiques face à la bourgeoisie iranienne.
Le Toudeh avait profité de l’occupation militaire russe pour constituer un gouvernement autonome en Azerbaïdjan et au Kurdistan mais en 1946 la politique d’alliance avec les impérialismes anglo-américain est plus importante pour Staline et il les abandonne en retirant ses troupes d’Iran en 1946. Les intérêts diplomatiques du Kremlin ne coïncident pas avec les intérêts nationaux des partis communistes et encore moins avec l’intérêt des peuples.
Des troubles politiques et sociaux ont agité l’Egypte, la Palestine, la Transjordanie, la Syrie, l’Irak et le Liban. Si l’impérialisme anglais et américain ont accepté de donner un Etat au peuple juif de Palestine c’est uniquement parce qu’ils se sentaient menacés par la révolte des peuples arabes à cette époque. Ces pays ont connu des journées populaires insurrectionnelles ont obtenu rapidement leur indépendance mais grâce à l’Etat d’Israël d’un côté et aux dirigeants nationalistes bourgeois de l’autre, ils sont parvenus à polariser la révolte des peuples et des classes ouvrières sur la lutte contre Israël.
Liban-Syrie
C’est dès 1943, que la « France libre » de De Gaulle obtient des engagement des Anglais en Syrie et au Liban. Ceux-ci sont reconnus parties de l’Empire français le 25 juillet 1941 : « l’Angleterre s’engage à respecter la position de la France en Syrie et au Liban. » (accord De Gaulle-Litteleton)
A l’été 1943, les élections donnent la victoire aux nationalistes arabes et le gouvernement libanais officialise la reconnaissance de la langue arabe comme seule langue nationale, du drapeau libanais et d’une nouvelle constitution. Le Délégué général français au Liban, Jean Heleu, suspend la Constitution et fait arrêter le président de la République libanaise, Bechara el Khoury et plusieurs ministres.
La situation devient immédiatement insurrectionnelle en Syrie-Liban et la France n’a nullement les forces pour s’imposer. Des émeutes éclatent à Tripoli, Saïda et Beyrouth, faisant des morts et des blessés. Le 21 novembre 1943, De Gaulle était contraint de rétablir le gouvernement libanais dans ses fonctions et de renoncer à sa tutelle. Dès qu’il le pourrait, De Gaulle, qui avait maintenu les troupes françaises sur place pour « maintenir l’ordre », allait renier cette parole et obtenir pour cela le soutien des partis socialiste et communiste français ! Le 6 octobre 1944, le ministre des affaires étrangères, Bidault, avec le soutien de la gauche et de la droite du gouvernement d’union nationale de De Gaulle, repoussait les revendications des gouvernements syriens et libanais d’un départ des troupes françaises. Le 6 mai 1945, un nouveau contingent de l’armée française composé de « Sénégalais » débarquait en Syrie. Le 8 mai, le jour de la reddition allemande, en pleine insurrection algérienne, avait lieu le coup de force de l’armée française en Syrie et au Liban. Le même jour, à Alep, Homs, Hama et Damas (Syrie), des insurgés s’attaquaient aux garnisons françaises (23.000 soldats). En pleine « négociations » avec les autorités syrienne et libanaise, les renforts militaires continuaient d’arriver, susciter de nouvelles révoltes. Les émeutes étaient durement réprimées. Le 26, les forces françaises canonnaient Homs et Hama, bombardaient Damas le 29, faisant 480 morts. Le PCF condamnait les émeutes syro-libanaises, les attribuant « à des doriotistes ». L’Humanité du 30 mai 1945 écrit : « Ces désordres ont été organisés par des agents doriotistes du PPF en Syrie qui ne cherchent qu’à nuire à l’entente des peuples de France, de Syrie et du Liban. » L’Humanité du 31 mai écrivait : « Des éléments doriotistes, agissant dans divers milieux et de divers côtés, ont joué un rôle particulièrement important dans ces regrettables événements. » Les troupes spéciales de la France en Syrie-Liban, recrutées sur place, s’avéraient très peu sures et commençaient à se mutiner et la poursuite de l’insurrection contraignaient la France à les rétrocéder aux gouvernements syrien et libanais. Finalement incapable de se maintenir dans ces deux ex-protectorats, la France signait un accord avec l’Angleterre fin décembre 1945 : le partage des colonies était décidé, la France ne se maintenant qu’au Liban. En protestation contre ce partage de brigands, la grève générale était déclenchée à Beyrouth et à Damas en janvier 1946. Devant l’explosion de la révolte populaire et ouvrière, France et Angleterre décidaient tous deux d’évacuer le Levant : le 30 juin pour l’Angleterre et le 31 août pour la France.
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article91
Après l’Afrique du Nord
LA SYRIE ET LE LIBAN
"Toute cette affaire sent le pétrole", s’est exclamé un journaliste bourgeois à propos de l’attitude de l’Angleterre dans les événements de Syrie.
Oui, cette affaire sent le pétrole, la concurrence mortelle entre les capitalistes pour les sources de matières premières et les marchés, cause de guerres et d’oppression des peuples.
L’affaire de Syrie est la même que toute la vaste tuerie qui depuis 1939 ensanglante le monde pour le repartage du globe entre forbans capitalistes.
"Antifasciste", "cause commune des alliés", autant de mensonges. La guerre capitaliste pour le repartage du monde ne se fait pas suivant une ligne de partage entre "alliés" et "ennemis" mais, par un regroupement continuel, entre TOUTES les puissances impérialistes suivant la loi de brigands "du plus fort". L’Angleterre, qui a dû céder le pas définitivement aux Etats-Unis et dans une certaine mesure se soumettre à leur contrôle, s’étend au détriment de la France, puissance affaiblie.
De Gaulle vient d’avouer qu’un conflit aigu existait entre occupants français et anglais en Syrie, même pendant la guerre contre l’Allemagne, et pour mieux souligner l’attitude de l’Angleterre, il rappelle que la guerre contre l’Allemagne n’était pas encore finie que déjà les canons anglais tiraient sur des alliés en Méditerranée (affaire de Grèce).
Mais pourquoi s’est-il donc tu jusqu’à maintenant ? C’est parce qu’il voulait tromper le peuple et essayer de lui faire croire qu’en prenant parti pour les alliés il prenait parti pour le "droit", et qu’en compagnie des alliés il retrouverait la possibilité d’une vie meilleure. C’est dans ce sens que, depuis le 18 juin 1940, De Gaulle n’a cessé de parler de la "grandeur" de la France.
Mais dès 1940 nous avons averti les travailleurs sur la véritable position de la bourgeoisie française, affaiblie par les conflits impérialistes sans merci : "le rôle réactionnaire et anti-national de la bourgeoisie, complètement dévoilé par la guerre, s’exprime actuellement (novembre 1940) sans équivoque dans l’action de ses deux sauveurs : Pétain et De Gaulle. Par l’un, elle se jette dans l’étreinte mortelle de Hitler, par l’autre elle lutte pour la revanche, pour un nouveau Versailles dicté par l’impérialisme anglais. Mais dans un cas comme dans l’autre, son rôle ne peut plus être que celui d’exécutant docile. Plus que jamais la domination de la bourgeoisie signifie pour la France bassesse et servilité".
La guerre a définitivement rejeté la France capitaliste au rôle d’une puissance de seconde zone. La "grandeur" dont parle De Gaulle n’est que de la poudre aux yeux. A l’aide de cette tromperie il sacrifie le plus clair de la force du pays à une politique de pillage des peuples plus faibles en faveur des capitalistes français Mais dans cette voie il rencontre des rivaux et des concurrents plus puissants, dont le but est également d’anéantir les plus faibles. Cette caverne de voleurs s’appelle "politique internationale". Dans cette voie, les capitalistes français ont provoqué la ruine du pays et le mènent à de nouvelles souffrances et humiliations.
Malgré leurs proclamations hypocrites sur une NOUVELLE politique d’entente avec les peuples coloniaux, les actes de la bourgeoisie française aboutissent infailliblement à la destruction, par le fer et par le feu, des indigènes, comme en Afrique et en Syrie. Au lieu de donner "un nouvel éclat à la France dans le monde", la bourgeoisie suscite contre elle une haine égale à celle que la bourgeoisie allemande a attiré sur le peuple allemand...
La continuation de la domination de la bourgeoisie française exclut toute collaboration pacifique de la France avec d’autres peuples, avant tout avec les peuples exploités et opprimés EN SON NOM. Car à l’heure où les peuples arabes, et de toutes les colonies en général, ont commencé la lutte pour secouer le joug impérialiste, la bourgeoisie française en est devenue la première "victime".
Cette collaboration absolument vitale au point de vue économique au peuple français n’est plus possible que si à la tête du pays arrive une classe nouvelle qui, par son passé politique, ses intérêts et son idéologie, soit la négation même du passé, des crimes, des intérêts et de la morale impérialistes de la bourgeoisie : LE PROLETARIAT FRANCAIS.
La prise du pouvoir par la classe ouvrière ferait s’écrouler non seulement tout le système de pourriture et d’oppression capitaliste érigé par la bourgeoisie en France, mais aussi porterait un coup mortel au pillage économique dans le monde entier, PAR LE SOUTIEN DU DROIT DE TOUS LES PEUPLES A DISPOSER D’EUX-MEMES (reconnaissance "sans condition" de leur indépendance).
C’est seulement ainsi que basée sur l’échange économique librement consenti, la collaboration entre le peuple français et les autres pays, avant tout les peuples coloniaux, prendrait un caractère pacifique et fraternel et permettrait un nouvel essor économique. Hors de cette collaboration socialiste, le peuple français marche sur les traces de l’Italie.
Seul le prolétariat peut donner à la France "un nouvel éclat dans le monde" en contribuant d’une façon résolue à l’établissement des Etats-Unis socialistes d’Europe et du Monde.
LA LUTTE DE CLASSES
https://www.marxists.org/francais/barta/1945/06/ldc48_061145.htm
Messages
1. Révolution politique et sociale dans les colonies à la fin de la deuxième guerre mondiale, 7 mai, 10:50
Le massacre de Mazargues à côté de Marseille (5 morts et une soixantaine de blessés) orchestré par les staliniens en 1948 dans un camp de travailleurs forcés Vietnamiens (ONS) pour contrer l’influence et l’organisation des Trotskystes à l’intérieure.