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L’historicité du conte

dimanche 12 février 2023, par Robert Paris, Tiekoura Levi Hamed

L’historicité du conte (oral puis écrit), une base des sociétés humaines

Le conte n’est pas spécialement destiné aux enfants, mais il peut servir aussi à bien d’autres personnes. Il semble intemporel et de toutes les époques mais on oublie que, pour cela, il a évolué pour s’adapter à la société qui l’emploie. Il semble une forme d’écrit mais, en fait, il est né dans des cultures orales et en a gardé bien des caractères. Les récits du « peuple des rêves » est un bon exemple de conte oral des chasseurs-cueilleurs. Il est religieux dans des sociétés religieuses. Il n’est devenu moraliste que das des sociétés qui pratique le moralisme, notamment celui des religions, mais aussi celui des classes dirigeantes. Les contes marquent durablement la société comme le donte d’Adam et Eve qui fonde l’idéologie d’une société patriarcale. Le conte de Caïn et Abel est basé sur l’opposition violente des éleveurs et des cultivateurs. C’est un des exemples fameux de récit mythique qui se fonde sur des luttes entre groupes sociaux ou entre classes sociales. En fait, les contes accompagnent les révlutions sociales et sot chargés de les étayer. Ainsi, la prise de la Bastille a connu moins de récits vraiment historiques qu’un conte collectif qui a parcouru le pays.

Lévi-Strauss, « La Structure des Mythes » :

« De tous les chapitres de l’ethnologie religieuse, c’est la mythologie qui
souffre surtout de cette situation. Sans doute peut-on citer les travaux
considérables de M. Dumézil et ceux de M. H. Grégoire. Mais ils
n’appartiennent pas en propre à l’ethnologie. Comme il y a cinquante ans,
celle-ci continue à se complaire dans le chaos. On rajeunit les vieilles
interprétations : rêveries de la conscience collective, divinisation de
personnages historiques, ou l’inverse. De quelque manière qu’on envisage
les mythes, ils semblent se réduire tous à un jeu gratuit, ou à une forme
grossière de spéculation philosophique.

Pour comprendre ce qu’est un mythe, n’avons-nous donc le choix qu’entre
la platitude et le sophisme ? Certains prétendent que chaque société exprime,
dans ses mythes, des sentiments fondamentaux tels que l’amour, la haine ou
la vengeance, qui sont communs à l’humanité toute entière. Pour d’autres,
les mythes constituent des tentatives d’explication de phénomènes
difficilement compréhensibles : astronomiques, météorologiques, etc. Mais
les sociétés ne sont pas imperméables aux interprétations positives, même
quand elles en adoptent de fausses ; pourquoi leur préféreraient-elles
soudain des façons de penser aussi obscures et compliquées ? par ailleurs,
les psychanalystes, ainsi que certains ethnologues, veulent substituer aux
interprétations cosmologiques et naturalistes, d’autres interprétations,
empruntées à la sociologie et à la psychologie. Mais alors, les choses
deviennent trop faciles. Qu’un système mythologique fasse une place
importante à un certain personnage, disons une grandmère malveillante, on
nous expliquera que, dans telle société les grand-mères ont une attitude
hostile envers leurs petits-enfants ; la mythologie sera tenue pour un reflet
de la structure sociale et des rapports sociaux. Et si l’observation contredit
l’hypothèse, on insinuera aussitôt que l’objet propre des mythes est d’offrir
une dérivation à des sentiments réels, mais refoulés. Quelle que soit la
situation réelle, une dialectique qui gagne à tous coups trouvera le moyen
d’atteindre à la signification.

Reconnaissons plutôt que l’étude des mythes nous amène à des
constatations contradictoires. Tout peut arriver dans un mythe ; il semble
que la succession des événements n’y soit subordonnée à aucune règle de
logique ou de continuité. Tout sujet peut avoir un quelconque prédicat ;
toute relation concevable est possible. Pourtant, ces mythes, en apparence
arbitraires, se reproduisent avec les mêmes caractères, et souvent les mêmes
détails, dans diverses régions du monde. D’où le problème : si le contenu du
mythe est entièrement contingent, comment comprendre que, d’un bout à
l’autre de la Terre, les mythes se ressemblent tellement ? C’est seulement à la
condition de prendre conscience de cette antinomie fondamentale, qui
relève de la nature du mythe, qu’on peut espérer la résoudre. En effet, cette
contradiction ressemble à celle qu’ont découverte les premiers philosophes
qui se sont intéressés au langage, et, pour que la linguistique pût se
constituer comme science, il fallut d’abord que cette hypothèque fût levée.
Les anciens philosophes raisonnaient sur le langage comme nous faisons
toujours sur la mythologie. Ils constataient que dans chaque langue, certains
groupes de sons correspondaient à des sens déterminés, et ils cherchaient
désespérément à comprendre quelle nécessité interne unissait ces sens et ces
sons. L’entreprise était vaine, puisque les mêmes sons se retrouvent dans
d’autres langues, mais liés à des sens différents. aussi la contradiction ne fut-
elle résolue que le jour où on s’aperçut que la fonction significative de la
langue n’est pas directement liée aux sons eux-mêmes, mais à la manière
dont les sons se trouvent combinés entre eux.

Beaucoup de théories récentes sur la mythologie procèdent d’une
confusion analogue. Selon Jung, des significations précises seraient liées à
certains thèmes mythologiques, qu’il appelle des archétypes. C’est raisonner
à la façon des philosophes du langage, qui ont été longtemps convaincus3
que les divers sons possédaient une affinité naturelle avec tel ou tel sens :
ainsi, les semi-voyelles « liquides » auraient la mission d’évoquer l’état
correspondant de la matière, les voyelles ouvertes seraient choisies de
préférence pour former les noms d’objets grands, gros, lourds ou sonores,
etc. Le principe saussurien du caractère arbitraire des signes linguistiques a
certainement besoin d’être revu et corrigé4 mais tous les linguistes seront
d’accord pour reconnaître que, d’un point de vue historique, il a marqué une
étape indispensable de la réflexion linguistique.

Il ne suffit pas d’inviter le mythologue à comparer la situation incertaine
qui est la sienne avec celle du linguiste à l’époque pré-scientifique. Car nous
risquerions fort, si nous nous en tenions là, de tomber d’une difficulté dans
une autre. Rapprocher le mythe du langage ne résout rien : le mythe fait
partie intégrante de la langue ; c’est par la parole qu’on le connaît, il relève
du discours.

Si nous voulons rendre compte des caractères spécifiques de la pensée
mythique, nous devrons donc établir que le mythe est simultanément dans le
langage, et au delà. Cette nouvelle difficulté n’est pas, elle non plus,
étrangère au linguiste : le langage n’englobe-t-il pas lui-même des niveaux
différents ? en distinguant entre la langue et la parole, Saussure a montré
que le langage offrait deux aspects complémentaires : l’un structural, l’autre
statistique ; la langue appartient au domaine d’un temps réversible, et la
parole, à celui d’un temps irréversible. S’il est déjà possible d’isoler ces deux
niveaux dans le langage, rien n’exclut que nous puissions en définir un
troisième.

On vient de distinguer la langue et la parole au moyen des systèmes
temporels auxquels elles se réfèrent l’une et l’autre. Or, le mythe se définit
aussi par un système temporel, qui combine les propriétés des deux autres.
Un mythe se rapporte toujours à des événements passés : « avant la création
du monde, » ou « pendant les premiers âges, » en tout cas, « il y a
longtemps. » Mais la valeur intrinsèque attribuée au mythe provient de ce
que ces événements, censés se dérouler à un moment du temps, forment
aussi une structure permanente. Celle-ci se rapporte simultanément au
passé, au présent et au futur. Une comparaison aidera à préciser cette
ambiguïté fondamentale. Rien ne ressemble plus à la pensée mythique que
l’idéologie politique. Dans nos sociétés contemporaines, peut-être celle-ci a-
t-elle seulement remplacé celle-là. Or, que fait l’historien quand il évoque la
Révolution française ? Il se réfère à une suite d’événements passés, dont les
conséquences lointaines se font sans doute encore sentir à travers toute une
série, non-réversible, d’événements intermédiaires. Mais, pour l’homme
politique et pour ceux qui l’écoutent, la Révolution française est une réalité
d’un autre ordre ; séquence d’événements passés, mais aussi schème doué
d’une efficacité permanente, permettant d’interpréter la structure sociale de
la France actuelle, les antagonismes qui s’y manifestent et d’entrevoir les
linéaments de l’évolution future. Ainsi s’exprime Michelet, penseur
politique en même temps qu’historien : « Ce jour-là, tout était possible...
L’avenir fut présent... c’est-à-dire, plus de temps, un éclair de l’éternité5. »
Cette double structure, à la fois historique et anhistorique, explique que le
mythe puisse simultanément relever du domaine de la parole (et être
analysé en tant que tel) et de celui de la langue (dans laquelle il est formulé)
tout en offrant, à un troisième niveau, le même caractère d’objet absolu. Ce
troisième niveau possède aussi une nature linguistique, mais il est pourtant
distinct des deux autres.

Qu’on me permette d’ouvrir ici une brève parenthèse, pour illustrer, par
une remarque, l’originalité qu’offre le mythe par rapport à tous les autres
faits linguistiques. On pourrait définir le mythe comme ce mode du discours
où la valeur de la formule traduttore, traditore tend pratiquement à zéro. A
cet égard, la place du mythe, sur l’échelle des modes d’expression
linguistique, est à l’opposé de la poésie, quoi qu’on ait pu dire pour les
rapprocher. La poésie est une forme de langage extrêmement difficile à
traduire dans une langue étrangère, et toute traduction entraîne de multiples
déformations. Au contraire, la valeur du mythe comme mythe persiste, en
dépit de la pire traduction. Quelle que soit notre ignorance de la langue et de
la culture de la population où on l’a recueilli, un mythe est perçu comme
mythe par tout lecteur, dans le monde entier. La substance du mythe ne se
trouve ni dans le style, ni dans le mode de narration, ni dans la syntaxe,
mais dans l’histoire qui y est racontée. Le mythe est langage ; mais un
langage qui travaille à un niveau très élevé, et où le sens parvient, si l’on
peut dire, à décoller du fondement linguistique sur lequel il a commencé par
rouler.

Résumons donc les conclusions provisoires auxquelles nous sommes
parvenu. Elles sont au nombre de trois : 1) Si les mythes ont un sens, celui-
ci ne peut tenir aux éléments isolés qui entrent dans leur composition, mais
à la manière dont ces éléments se trouvent combinés. 2) Le mythe relève de
l’ordre du langage, il en fait partie intégrante ; néanmoins, le langage, tel
qu’il est utilisé dans le mythe, manifeste des propriétés spécifiques. 3) Ces
propriétés ne peuvent être cherchées qu’au-dessus du niveau habituel de
l’expression linguistique ; autrement dit, elles sont de nature plus complexe
que celles qu’on rencontre dans une expression linguistique de type
quelconque.

Si l’on nous concède ces trois points, fût-ce comme hypothèses de travail,
deux conséquences fort importantes suivent : 1o comme tout être
linguistique, le mythe est formé d’unités constitutives ; 2o ces unités
constitutives impliquent la présence de celles qui interviennent
normalement dans la structure de la langue, à savoir les phonèmes, les
morphèmes et les sémantèmes. Mais elles sont, par rapport à ces derniers,
comme ils sont eux-mêmes par rapport aux morphèmes, et ceux-ci par
rapport aux phonèmes. Chaque forme diffère de celle qui précède par un
plus haut degré de complexité. Pour cette raison, nous appellerons les
éléments qui relèvent en propre du mythe (et qui sont les plus complexes de
tous) : grosses unités constitutives.

Comment procédera-t-on pour reconnaître et isoler ces grosses unités
constitutives ou mythèmes ? Nous savons qu’elles ne sont assimilables ni
aux phonèmes, ni aux morphèmes, ni aux sémantèmes, mais situent à un
niveau plus élevé : sinon le mythe serait indistinct de n’importe quelle forme
du discours. Il faudra donc les chercher au niveau de la phrase. au stade
préliminaire de la recherche, on procédera par approximations, par essais et
par erreurs, en se guidant sur les principes qui servent de base à l’analyse
structurale sous toutes ses formes : économie d’explication ; unité de
solution ; possibilité de restituer l’ensemble à partir d’un fragment, et de
prévoir les développements ultérieurs depuis les données actuelles.
Nous avons, jusqu’à présent, utilisé la technique suivante chaque mythe
est analysé indépendamment, en cherchant à traduire la succession des
événements au moyen des phrases les plus courtes possibles. Chaque phrase
est inscrite sur une fiche qui porte un numéro correspondant à sa place dans
le récit. On s’aperçoit alors que chaque carte consiste dans l’assignation d’un
prédicat à un sujet. Autrement dit, chaque grosse unité constitutive a la
nature d’une relation.

La définition qui précède n’est pas encore satisfaisante, et cela pour deux
raisons. En premier lieu, les linguistes structuralistes savent bien que toutes
les unités constitutives, à quelque niveau qu’on les isole, consistent en
relations. Quelle est donc la différence entre les grosses unités et les autres ?
En second lieu, la méthode qu’on vient d’exposer se situe toujours au sein
d’un temps non-réversible, puisque les cartes sont numérotées dans l’ordre
du récit. Le caractère spécifique que nous avons reconnu au temps mythique
 sa double nature, à la fois réversible et irréversible, synchronique et
diachronique - reste donc inexpliqué.

Ces remarques conduisent à une nouvelle hypothèse, qui nous met au
coeur du problème. Nous posons, en effet, que les véritables unités
constitutives du mythe ne sont pas les relations isolées, mais des paquets de
relations, et que c’est seulement sous forme de combinaisons de tels paquets
que les unités constitutives acquièrent une fonction signifiante. Des
relations qui proviennent du même paquet peuvent apparaître à intervalles
éloignés, quand on se place à un point de vue diachronique, mais, si nous
parvenons à les rétablir dans leur groupement « naturel, » nous réussissons
du même coup à organiser le mythe en fonction d’un système de référence
temporel d’un nouveau type et qui satisfait aux exigences de l’hypothèse de
départ. Ce système est en effet à deux dimensions : à la fois diachronique et
synchronique, et réunissant ainsi les propriétés caractéristiques de la « 
langue » et celles de la « parole. » Deux comparaisons aideront à
comprendre notre pensée. Imaginons des archéologues de l’avenir, tombés
d’une autre planète alors que toute vie humaine a déjà disparu de la surface
de la Terre, et fouillant l’emplacement d’une de nos bibliothèques. Ces
archéologues ignorent tout de notre écriture mais ils s’essayent à la
déchiffrer, ce qui suppose la découverte préalable que l’alphabet, tel que
nous l’imprimons, se lit de gauche à droite et de haut en bas. Pourtant, une
catégorie de volumes restera indéchiffrable de cette façon. Ce seront les
partitions d’orchestre, conservées au département de musicologie. Nos
savants s’acharneront sans doute à lire les portées l’une après l’autre,
commençant par le haut de la page et les prenant toutes en succession ; puis,
ils s’apercevront que certains groupes de notes se répètent à intervalles, de
façon identique ou partielle, et que certains contours mélodiques,
apparemment éloignés les uns des autres, offrent entre eux des analogies.
Peut-être se demanderont-ils alors, si ces contours, plutôt que d’être abordés
en ordre successif, ne doivent pas être traités comme les éléments d’un tout,
qu’il faut appréhender globalement. Ils auront alors découvert le principe de
ce que nous appelons harmonie : une partition d’orchestre n’a de sens que
lue diachroniquement selon un axe (page après page, de gauche à droite),
mais en même temps, synchroniquement selon l’autre axe, de haut en bas.
Autrement dit, toutes les notes placées sur la même ligne verticale forment
une grosse unité constitutive, un paquet de relations.
L’autre comparaison est moins différente qu’il ne semble. Supposons un
observateur ignorant tout de nos cartes à jouer, écoutant une diseuse de
bonne aventure pendant une période prolongée. Il voit et classe les clients,
devine leur âge approximatif, leur sexe, leur apparence, leur situation
sociale, etc., un peu comme l’ethnographe sait quelque chose des sociétés
dont il étudie les mythes. Notre observateur écoutera les consultations, les
enregistrera même sur un magnétophone pour pouvoir les étudier et les
comparer à loisir, comme nous faisons également avec nos informateurs
indigènes. Si l’observateur est suffisamment doué, et s’il recueille une
documentation assez abondante, il pourra, semble-t-il, reconstituer la
structure et la composition du jeu employé, c’est-à-dire le nombre de cartes -
32 ou 52 - réparties en quatre séries homologues formées des mêmes unités
constitutives (les cartes) avec un seul caractère différentiel, la couleur.
blah.

Il est temps d’illustrer plus directement la méthode. Prenons comme
exemple le mythe d’Œdipe, qui offre l’avantage d’être connu de tous, ce qui
dispense de le raconter. Sans doute cet exemple se prête mal à une
démonstration. Le mythe d’Œdipe nous est parvenu dans des rédactions
fragmentaires et tardives, qui sont toutes des transpositions littéraires, plus
inspirées par un souci esthétique ou moral que par la tradition religieuse ou
l’usage rituel, si tant est que de telles préoccupations aient jamais existé à
son sujet. Mais il ne s’agit pas pour nous d’interpréter le mythe d’Œdipe
d’une façon vraisemblable, et moins encore d’en offrir une explication
acceptable pour le spécialiste. Nous voulons simplement illustrer par ce
moyen - et sans en tirer aucune conclusion en ce qui le concerne - une
certaine technique, dont l’emploi n’est probablement pas légitime dans ce
cas particulier, en raison des incertitudes qui viennent d’être rappelées. La « 
démonstration » doit donc s’entendre, non pas au sens que le savant donne à
ce terme, mais tout au plus le camelot non pas obtenir un résultat, mais
expliquer, aussi rapidement que possible, le fonctionnement de la petite
machine qu’il essaye de vendre aux badauds.
Le mythe va être manipulé comme le serait une partition d’orchestre qu’un
amateur pervers aurait transcrite, portée après portée, sous forme d’une série
mélodique continue, et qu’on chercherait à restituer dans son arrangement
initial. Un peu comme si on nous présentait une suite de nombres entiers, du
type : 1, 2, 4, 7, 8, 2, 3, 4, 6, 8, 1, 4, 5, 7, 8, 1, 2, 5, 7, 3, 4, 5, 6, 8, en nous
assignant la tâche de regrouper tous les 1, tous les 2, tous les 3, etc., sous
forme de tableau
1 2 4 7 8
2 3 4 6 8
1 4 5 7 8
1 2 5 7
3 4 5 6 8
On procédera de même avec le mythe d’Œdipe en essayant
successivement diverses dispositions des mythèmes jusqu’à ce qu’on en
rencontre une qui satisfasse aux conditions énumérées p. 233. Supposons
arbitrairement qu’une telle disposition soit représentée par le tableau suivant
(étant entendu, encore une fois, qu’il ne s’agit pas de l’imposer, ni même de
le suggérer aux spécialistes de la mythologie classique qui voudraient
certainement le modifier, sinon même le rejeter) :

Cadmos cherche sa soeur
Europe, ravie par Zeus
Cadmos tue
le dragon
les Spartoï
s’exterminent
mutuellement
Labdacos (père de
Laios) = « boiteux »
(?)
Œdipe tue son père
Laios
Laios (père d’Œdipe)
= « gauche » (?)
Œdipe
immole le
Sphinx
Œdipe = « pied enflé
 » (?)
Œdipe épouse Jocaste, sa
mère
Etéocle tue son frère
Polynice
Antigone enterre Polynice,
son frère, violant
l’interdiction

Nous sommes ainsi devant quatre colonnes verticales, dont chacune
groupe plusieurs relations appartenant au même « paquet ». Si nous avions à
raconter le mythe, nous ne tiendrions pas compte de cette disposition en
colonnes, et nous lirions les lignes de gauche à droite et de haut en bas.
Mais, dès qu’il s’agit de comprendre le mythe, une moitié de l’ordre
diachronique (de haut en bas) perd sa valeur fonctionnelle et la « lecture »
se fait de gauche à droite, une colonne après l’autre, en traitant chaque
colonne comme un tout.

Toutes les relations groupées dans la même colonne présentent, par
hypothèse, un trait commun qu’il s’agit de dégager. Ainsi, tous les incidents
réunis dans la première colonne à gauche concernent des parents par le
sang, dont les rapports de proximité sont, pourrait-on dire, exagérés : ces
parents font l’objet d’un traitement plus intime que les règles sociales ne
l’autorisent. Admettons donc que le trait commun à la première colonne
consiste dans des rapports de parenté surestimés. Il apparaît aussitôt que la
deuxième colonne traduit la même relation, mais affectée du signe inverse :
rapports de parenté sous-estimés ou dévalués. La troisième colonne
concerne des monstres et leur destruction. Pour la quatrième, quelques
précisions sont requises. Le sens hypothétique des noms propres dans la
lignée paternelle d’Œdipe a été souvent remarqué. Mais les linguistes n’y
prêtent guère d’importance puisqu’en bonne règle, le sens d’un terme ne peut
être défini qu’en le replaçant dans tous les contextes où il est attesté. Or, les
noms propres sont, par définition, hors contexte. La difficulté pourrait
apparaître moins grande avec notre méthode, car le mythe y est réorganisé
de telle façon qu’il se constitue lui-même comme contexte. Ce n’est plus le
sens éventuel de chaque nom pris isolément qui offre une valeur
significative, mais le fait que les trois noms aient un caractère commun : à
savoir, de comporter des significations hypothétiques, et qui toutes
évoquent une difficulté à marcher droit.

Avant d’aller plus loin, interrogeons-nous sur la relation entre les deux
colonnes de droite. La troisième colonne se rapporte à des monstres : le
dragon d’abord, monstre chthonien qu’il faut détruire pour que les hommes
puissent naître de la Terre ; le Sphinx ensuite, qui s’efforce, par des énigmes
qui portent aussi sur la nature de l’homme, d’enlever l’existence à ses
victimes humaines. Le second terme reproduit donc le premier, lequel se
réfère à l’autochtonie de l’homme. Puisque les deux monstres sont, en
définitive, vaincus par des hommes, on peut dire que le trait commun de la
troisième colonne consiste dans la négation de l’autochtonie de l’homme6.
Ces hypothèses aident à comprendre le sens de la quatrième colonne. En
mythologie, il est fréquent que les hommes, nés de la Terre, soient
représentés, au moment de l’émergence, comme encore incapables de
marcher, ou marchant avec gaucherie. Ainsi, chez les Pueblo, les êtres
chthoniens, tels Shumaikoli, ou encore Muyingwû7, qui participe à
l’émergence, sont boiteux (« Pied-Ensanglanté », « Pied-Blessé », « Pied-
Mou », les appelle-t-on dans les textes). Même observation pour les
Koskimo de la mythologie kwakiutl : après que le monstre chthonien
Tsiakish les ait engloutis, ils remontent à la surface terrestre, « trébuchant
en avant ou de côté. » Le trait commun de la quatrième colonne pourrait
donc être la persistance de l’autochtonie humaine. il en résulterait que la
quatrième colonne entretient le même rapport avec la colonne 3 que la
colonne 1 avec la colonne 2. L’impossibilité de mettre en connexion des
groupes de relations est surmontée (ou plus exactement remplacée) par l’affirmation que deux relations contradictoires entre elles sont identiques,
dans la mesure où chacune est, comme l’autre, contradictoire avec soi. Cette
manière de formuler la structure de la pensée mythique n’a encore qu’une
valeur approchée. Elle suffit pour l’instant.

Que signifierait donc le mythe d’Œdipe ainsi interprété « à l’américaine ? »
Il exprimerait l’impossibilité où se trouve une société qui professe de croire
à l’autochtonie de l’homme (ainsi Pausanias, VIII, XXIX, 4 : le végétal est le
modèle de l’homme) de passer, de cette théorie, à la reconnaissance du fait
que chacun de nous est réellement né de l’union d’un homme et d’une
femme. La difficulté est insurmontable. Mais le mythe d’Œdipe offre une
sorte d’instrument logique qui permet de jeter un pont entre le problème
initial - naît-on d’un seul, ou bien de deux ? - et le problème dérivé qu’on
peut approximativement formuler : le même naît-il du même, ou de l’autre ?
Par ce moyen, une corrélation se dégage : la sur-évaluation de la parenté de
sang est, à la sous-évaluation de celle-ci, comme l’effort pour échapper à
l’autochtonie est à l’impossibilité d’y réussir. L’expérience peut démentir la
théorie, mais la vie sociale vérifie la cosmologie dans la mesure où l’une et
l’autre trahissent la même structure contradictoire. Donc, la cosmologie est
vraie. Ouvrons ici une parenthèse, pour introduire deux remarques.
Dans la tentative d’interprétation qui précède, on a pu négliger une
question qui a beaucoup préoccupé les spécialistes dans le passé : l’absence
de certains motifs dans les versions les plus anciennes (homériques) du
mythe d’Œdipe, tels le suicide de Jocaste et l’aveuglement volontaire
d’Œdipe. Mais ces motifs n’altèrent pas la structure du mythe, dans laquelle
ils peuvent d’ailleurs aisément prendre place, le premier comme un nouvel
exemple d’auto-destruction (colonne 3), et le second, comme un autre thème
d’infirmité (colonne 4). Ces accrétions contribuent seulement à expliciter le
mythe, puisque le passage du pied à la tête apparaît en corrélation
significative avec un autre passage : celui de l’autochtonie niée à la
destruction de soi.

La méthode nous débarrasse donc d’une difficulté qui a constitué jusqu’à
présent un des principaux obstacles au progrès des études mythologiques, à
savoir la recherche de la version authentique ou primitive. Nous proposons,
au contraire, de définir chaque mythe par l’ensemble de toutes ses versions.
Autrement dit : le mythe reste mythe aussi longtemps qu’il est perçu comme
tel. Ce principe est bien illustré par notre interprétation du mythe d’Œdipe
qui peut s’appuyer sur la formulation freudienne, et lui est certainement
applicable. Le problème posé par Freud en termes « oedipiens » n’est sans
doute plus celui de l’alternative entre autochtonie et reproduction bi-sexuée.
Mais il s’agit toujours de comprendre comment un peut naître de deux :
comment se fait-il que nous n’ayons pas un seul géniteur, mais une mère, et
un père en plus ? On n’hésitera donc pas à ranger Freud, après Sophocle, au
nombre de nos sources du mythe d’Œdipe. Leurs versions méritent le même
crédit que d’autres, plus anciennes et, en apparence, plus « authentiques ».
De ce qui précède résulte une conséquence importante. Puisqu’un mythe
se compose de l’ensemble de ses variantes, l’analyse structurale devra les
considérer toutes au même titre. Après avoir étudié les variantes connues de
la version thébaine, on envisagera donc aussi les autres : récits concernant la
lignée collatérale de Labdacos, qui comprend Agavé, Penthée et Jocaste
elle-même ; les variantes thébaines sur Lycos, où Amphion et Zetos jouent
le rôle de fondateurs de cité ; d’autres, plus éloignées, relatives à Dionysos
(cousin matrilatéral d’Œdipe), et les légendes athéniennes où le rôle dévolu
par Thèbes à Cadmos revient à Cecrops, etc. Pour chacune de ces variantes,
on établira un tableau où chaque élément sera disposé pour permettre la
comparaison avec l’élément correspondant des autres tableaux : la
destruction du serpent par Cecrops avec l’épisode parallèle de l’histoire de
Cadmos ; l’abandon de Dionysos et celui d’Œdipe ; « Pied-Enflé » et
Dionysos loxias, c ?est-à-dire marchant de travers ; la quête d’Europe et celle
d’Antiope ; la fondation de Thèbes, tantôt par les Spartoï, tantôt par les
dioscures Amphion et Zetos ; Zeus ravissant Europe, ou Antiope, et
l’épisode similaire où Semelé sert de victime ; l’Œdipe thébain et le Persée
argien, etc. on obtiendra ainsi plusieurs tableaux à deux dimensions, chacun
consacré à une variante, et qu’on juxtaposera comme autant de plans
parallèles pour aboutir à un ensemble tri-dimensionnel : lequel peut être « lu
 » de trois façons différentes : de gauche à droite, de haut en bas, d’avant en
arrière (ou inversement). Ces tableaux ne seront jamais exactement
identiques. Mais l’expérience prouve que les écarts différentiels, qu’on ne
manquera pas d’observer, offrent entre eux des corrélations significatives
qui permettent de soumettre leur ensemble à des opérations logiques, par
simplifications successives, et d’aboutir finalement à la Fig. 16 loi structurale
du mythe considéré.

On objectera, peut-être, qu’une telle entreprise ne saurait être poussée
jusqu’à son terme, puisque les seules versions dont on dispose sont celles
actuellement connues. Qu’arriverait-il, si une nouvelle version bouleversait
les résultats acquis ? La diffculté est réelle quand on dispose de versions très
peu nombreuses, mais elle devient rapidement théorique au fur et à mesure
que leur nombre s’accroît. L’expérience enseignera l’ordre de grandeur
approximatif du nombre de versions requises ; il ne saurait être très élevé. Si
nous connaissions le mobilier d’une chambre et sa distribution au moyen des
seules images renvoyées par deux miroirs fixés sur des murs opposés, deux
cas pourraient se produire. Avec des miroirs rigoureusement parallèles, le
nombre des images serait théoriquement infini. Si, par contre, un des
miroirs était placé en oblique par rapport à l’autre, ce nombre diminuerait
rapidement, en proportion de l’angle. Mais, même dans ce dernier cas,
quatre ou cinq images suffiraient, sinon pour nous procurer une information
totale, au moins pour nous assurer qu’aucun meuble important n’a pu rester
inaperçu.

A l’inverse, on n’insistera jamais assez sur l’absolue nécessité de n’omettre
aucune des variantes qui ont été recueillies. Si les commentaires de Freud
sur le complexe d’Œdipe font — comme nous croyons — partie intégrante du
mythe d’Œdipe, la question de savoir si la transcription par Cushing du
mythe d’origine des Zuni est assez fidèle pour être retenue, n’a plus de sens.
Il n’existe pas de version « vraie » dont toutes les autres seraient des copies
ou des échos déformés. Toutes les versions appartiennent au mythe.
Nous voici en position de comprendre pourquoi beaucoup d’études de
mythologie générale ont donné des résultats decourageants. D’abord, les
comparatistes ont voulu sélectionner des versions privilégiées, au lieu de les
envisager toutes. Ensuite, on a vu que l’analyse structurale d’une variante
d’un mythe, recueillie dans une tribu (parfois même un village), aboutit à un
schème à deux dimensions. Dès qu’on met en oeuvre plusieurs variantes du
même mythe, pour le même village ou la même tribu le schème devient tri-
dimensionnel, et si l’on veut étendre la comparaison, le nombre de
dimensions requises croît si rapidement qu’il n’est plus possible de les
appréhender par des procédés intuitifs. Les confusions et les banalités, à
quoi aboutit trop souvent la mythologie générale, tiennent donc à la
méconnaissance des systèmes de référence multi-dimensionnels
effectivement requis, auxquels on croit naïvement pouvoir substituer des
systèmes à 2 ou 3 dimensions. A vrai dire, il y a peu d’espoir que la
mythologie comparée puisse se développer sans faire appel à un
symbolisme d’inspiration mathématique, applicable à ces systèmes pluri-
dimensionnels trop complexes pour nos méthodes empiriques
traditionnelles.

Nous avons essayé, en 1952-19548, de vérifier la théorie sommairement
exposée dans les pages qui précèdent, par une analyse exhaustive de toutes
les versions connues des mythes zuni d’origine et d’émergence : Cushing,
1883 et 1896 ; Stevenson, 1904 ; Parsons, 1923 ; Bunzel, 1932 ; Benedict,
1934. Cette analyse a été complétée par une comparaison des résultats
obtenus avec les mythes similaires des autres groupes pueblo, tant
occidentaux qu’orientaux ; enfin, on a opéré un sondage préliminaire sur la
mythologie des Plaines. Chaque fois, les résultats ont validé les hypothèses.
Non seulement la mythologie nord-américaine est sortie de l’expérience
comme éclairée d’un jour nouveau, mais on est parvenu à entrevoir, et
parfois à définir, des opérations logiques d’un type trop souvent négligé ou
qui avaient été observées dans des domaines fort éloignés du nôtre. Il n’est
pas possible d’entrer ici dans les détails, et l’on se bornera à présenter
quelques résultats…. »

Source : http://www.ali-aix-salon.com/Claude%20Levi-Strauss%20%20La%20structure%20des%20mythes.pdf

Claude Lévi-Strauss :

« Père Noël supplicié » :
« Le Père Noël est vêtu d’écarlate : c’est un roi. Sa barbe blanche, ses fourrures et ses bottes, le traîneau dans lequel il voyage, évoquent l’hiver. On l’appelle « Père » et c’est un vieillard, donc il incarne la forme bienveillante de l’autorité des anciens. Tout cela est assez clair, mais dans quelle catégorie convient-il de le ranger, du point de vue de la typologie religieuse ? Ce n’est pas un être mythique, car il n’y a pas de mythe qui rende compte de son origine et de ses fonctions ; et ce n’est pas non plus un personnage de légende puisque aucun récit semi-historique ne lui est attaché. En fait, cet être surnaturel et immuable, éternellement fixé dans sa forme et défini par une fonction exclusive et un retour périodique, relève plutôt de la famille des divinités ; il reçoit d’ailleurs un culte de la part des enfants, à certaines époques de l’année, sous forme de lettres et de prières ; il récompense les bons et prive les méchants. C’est la divinité d’une classe d’âge de notre société (classe d’âge que la croyance au Père Noël suffit d’ailleurs à caractériser), et la seule différence entre le Père Noël et une divinité véritable est que les adultes ne croient pas en lui, bien qu’ils encouragent leurs enfants à y croire et qu’ils entretiennent cette croyance par un grand nombre de mystifications. Le Père Noël est donc, d’abord, l’expression d’un statut différentiel entre les petits enfants d’une part, les adolescents et les adultes de l’autre. À cet égard, il se rattache à un vaste ensemble de croyances et de pratiques que les ethnologues ont étudiées dans la plupart des sociétés, à savoir les rites de passage et d’initiation. Il y a peu de groupements humains, en effet, où, sous une forme ou sous une autre, les enfants (parfois aussi les femmes) ne soient exclus de la société des hommes par l’ignorance de certains mystères ou la croyance — soigneusement entretenue — en quelque illusion que les adultes se réservent de dévoiler au moment opportun, consacrant ainsi l’agrégation des jeunes générations à la leur. Parfois, ces rites ressemblent de façon surprenante à ceux que nous examinons en ce moment. Comment, par exemple, ne pas être frappé de l’analogie qui existe entre le Père Noël et les katchina des Indiens du Sud-Ouest des États- Unis ? Ces personnages costumés et masqués incarnent des dieux et des ancêtres ; ils reviennent périodiquement visiter leur village pour y danser, et pour punir ou récompenser les enfants, car on s’arrange pour que ceux-ci ne reconnaissent pas leurs parents ou familiers sous le déguisement traditionnel. Le Père Noël appartient certainement à la même famille, avec d’autres comparses maintenant rejetés à l’arrière-plan : Croquemitaine, Père Fouettard, etc. Il est extrêmement significatif que les mêmes tendances éducationnelles qui proscrivent aujourd’hui l’appel à ces katchina punitives aient abouti à exalter le personnage bienveillant du Père Noël, au lieu — comme le développement de l’esprit positif et rationaliste aurait pu le faire supposer — de l’englober dans la même condamnation. Il n’y a pas eu à cet égard de rationalisation des méthodes d’éducation, car le Père Noël n’est pas plus « rationnel » que le Père Fouettard (l’Église a raison sur ce point) : nous assistons plutôt à un déplacement mythique, et c’est celui-ci qu’il s’agit d’expliquer. »

« Il est difficile de dater les contes, ils viennent de la nuit des temps, sûrement depuis que l’homme est doué de parole.
Dans les écrits de Platon, on peut déjà lire que les vieilles femmes racontaient aux enfants des histoires symboliques. Déjà, à son époque, les contes de fées étaient mis en relation avec l’éducation des enfants.
A la fin de l’Antiquité, Apulée, philosophe et écrivain du IIe siècle après J.C, introduit dans son roman intitulé L’âne d’or, un conte Amour et Psyché.
Nous possédons des documents encore plus anciens sur les contes. Certains ont été découverts sur des stèles et des papyrus égyptiens. L’un des plus connus d’Egypte est le conte des deux frères.
Les romans de féerie apparaissent en Occident au XIIe siècle lors de la parution des Romans de la Table ronde. En Bretagne, les souvenirs de la mythologie celtique n’ont jamais été totalement oubliés. Des récits voient le jour et sont peuplés de fées, d’enchanteurs, de chevaliers aux pouvoirs surnaturels, de forêts et d’îles enchantées, de dragons, d’épées magiques. Ils ont été fermement condamnés par l’Église.
La tradition orale des contes de fées s’est transmise de bouche-à-oreille. Grâce aux progrès de l’imprimerie et de l’alphabétisation, les contes de fées deviennent un genre littéraire pour adultes. Dans les salons parisiens, des dames de la noblesse contaient par exemple, Cendrillon, le Chat Botté, la Belle au Bois Dormant.
De leur côté, les frères Perrault ont collecté les histoires du monde paysan et Charles Perrault en a fait une adaptation littéraire en 1697.
La France des Lumières, considérait l’irrationnel des traditions populaires comme des vestiges, des fragments éclatés d’une unité perdue. Au contraire, le philosophe allemand Johann Gottfried von Herder dénonçait la pensée unique sous-jacente aux philosophies de la lumière. Il souhaitait rétablir le rôle de l’imaginaire et de l’esprit populaire dans la vie de la société.
Les Romantiques, magnifiaient et transfiguraient le conte de fées, à travers la poésie, la littérature, la peinture, la musique. Ils ont également changé le regard sur l’enfance devenue l’âge de l’innocence, de la pureté, l’âge d’or.
Jacob et Wilhelm Grimm ont fondé la science moderne de l’étude des contes. Ils ont entrepris une démarche de reconstitution et de sauvegarde des traditions populaires et du folklore. Leur exemple a été suivi en Europe.
En France, les collecteurs et enquêteurs les plus célèbres ont été : Émile Souvestre, Paul Sébillot, Henri Pourrat.
En Russie, le recueil des contes d’Alexandre Affanassiev, réalisé de 1855 à 1863, est resté un modèle.
En Finlande, Anti Aarne a établi la notion de “conte-type”.
Lors de la première guerre mondiale, les fées, les lutins, les sorcières et les magiciens lassés de la folie de la vieille Europe ont traversé l’Atlantique et rejoint l’Amérique. Le nouveau monde a inventé sa propre mythologie en puisant ses sources dans les traditions européennes.
Le coup de génie d’un certain Walt Disney s’est caractérisé par l’importation de contes et légendes que l’Europe avait oubliés, ou auxquels elle ne croyait plus, pour leur redonner vie. Les fées ont alors élu domicile en Amérique.
Walt Disney, pionnier du cinéma, a puisé dans le matériau légendaire des contes de Perrault et de Grimm. Le public a pu admirer ces chefs-d’œuvre sur leurs petits écrans dans leurs foyers.
Walt Disney a fait également connaître en Amérique les chefs-d’œuvre de la littérature anglaise de la première moitié du XXe siècle. Ainsi, les étudiants américains de la génération hippie ont fait du Seigneur des Anneaux du professeur J.R.R. Tolkien – 1892-1992 – leur livre de chevet, lançant une “mode Tolkien” que le professeur aurait été bien en peine d’imaginer.
L’anglaise J.K. Rowling se doutait-elle que son premier roman : Harry Potter à l’école des sorciers aurait un tel succès international ? Et qu’il serait suivi de six autres romans et d’une pièce de théâtre ? L’univers de la magie et son exercice, les événements dramatiques, les créatures magiques et fantastiques, les plantes magiques, bref, tout un monde au cœur des contes traditionnels, ont constitué les ingrédients de l’incroyable succès de cette saga.
Le succès d’Harry Potter a coïncidé avec l’expansion d’Internet et du haut débit chez les jeunes, souligne Isabelle Smadja. Une formidable communauté s’est développée autour du roman, avec des sites, des forums… souvent extrêmement bien faits. Et si c’est Harry que nous avons choisi pour nous exprimer, c’est que l’histoire laisse volontairement place à énormément d’interrogations, d’interprétations et de débats, à la fois résolus et renouvelés à chaque tome. Ainsi se développe entre le roman, l’auteur et les lecteurs, une véritable interactivité. Interactivité encouragée par J.K. Rowling elle-même, qui distille des pistes de réflexion sur son propre site internet régulièrement mis à jour, et accorde des interviews aux jeunes créateurs de sites de fans. Chacun a sa propre idée sur l’évolution du roman, et les personnages qu’il souhaite sauver à tout prix de la mort.
Le conte et l’épreuve de la réalité
Le conte répète-t-il un scénario-type reflétant l’imaginaire de l’humanité en quête d’elle-même ?
Est-il un simple amusement ou révèle-t-il une aventure profonde ?
Pour Mircéa Eliade, historien des religions, le conte est un récit initiatique. En effet, il présente la structure d’une aventure infiniment grave, où le héros est soumis à des épreuves fortes : abandon de ses parents, ou mort prématurée de ceux-ci, rencontre avec des sorcières ou des monstres, travaux impossibles à accomplir, obstacles insurmontables.
La liste des épreuves est très longue. Toutefois, le héros triomphe toujours de ses épreuves. Nous assistons à de très encourageants dénouements : mariage avec la princesse, résurrection, victoires sur l’ennemi.
Le folkloriste hollandais Jan de Vries souligne, en effet, que le conte s’achève toujours par un happy end. Toutefois, son contenu porte sur une réalité très sérieuse : l’initiation. Jan de Vries définit l’initiation comme le passage, par le truchement d’une mort et d’une résurrection symboliques, de l’immaturité à l’âge spirituel de l’adulte.
Si le conte est un amusement ou une évasion, c’est pour la conscience banalisée de l’homme moderne. Mais dans la conscience profonde, les scénarios initiatiques conservent leur gravité et continuent à transmettre leurs messages, à opérer des mutations intérieures.
Finalement, sans s’en rendre compte, en croyant s’amuser ou s’évader, l’homme des sociétés modernes ne bénéficie-t-il pas encore de cette initiation imaginaire apportée par les contes ?
N’est-ce pas le rôle du conte de réactualiser, au niveau de l’imaginaire et de l’onirique, le sens des épreuves initiatiques ? Celles-ci, par le jeu de la vie et de la mort qu’elles impliquent et que chaque être traverse, ne sont-elles pas le révélateur de la nature humaine ?
Bruno Bettelheim compare les épreuves par quoi les héros du conte doivent passer à une initiation permettant d’évoluer :
Les contes […] signifient que si on veut affirmer sa personnalité, réaliser son intégrité et assurer son identité, il faut passer par une évolution difficile : il faut accepter des épreuves, affronter des dangers et gagner des batailles. Ce n’est que de cette façon que l’on peut maîtriser son destin et gagner son propre royaume. Ce qui arrive aux héros et aux héroïnes des contes de fées peut être comparé – et l’a été – aux rites d’initiation que le novice aborde avec toute sa naïveté et son manque de formation et qu’il quitte après avoir atteint un niveau supérieur qu’il ne pouvait imaginer au début de ce voyage sacré. Ayant obtenu sa récompense et son salut, le héros, ou l’héroïne, devient vraiment lui-même et digne d’être aimé.
La victoire sur les épreuves rencontrées ne suffit pas à achever le voyage. Les héros doivent encore retrouver leur chemin, et, dans l’élaboration du conte, la solidarité, l’appartenance à un groupe ne sont pas suffisants pour ce faire. Les jeunes trouvent la solution en utilisant un des auxiliaires du conte – la poupée, symbole de l’enfance. C’est en mettant en commun leur vécu de l’aventure que les héros parviendront à créer le mélange susceptible de les aider à trouver leur voie. C’est également en tenant compte de la parole de l’autre – ici, l’auxiliaire poupée – et en ayant confiance dans des expériences autres que la leur qu’ils réussissent leur quête.
Parce qu’ils garantissent que le royaume sera à lui, l’enfant est disposé à croire tout ce que les contes de fées lui apprennent par surcroît : que pour trouver son royaume, il faut quitter sa maison ; qu’il n’est pas immédiatement accessible ; qu’il faut prendre des risques et se soumettre à des épreuves, qu’on ne peut pas y arriver tout seul et qu’on a besoin d’auxiliaires.
Si le conte met en lumière notre condition humaine, ne révèle-t-il pas aussi la part d’ombre en chacun ?
Pour le sociologue Edgar Morin, il existe dans notre imaginaire un univers archaïque de doubles, de fantômes et leur aspect envoûtant vit en nous. Le vivant n’oscille-t-il pas entre le bien et le mal, l’obscur et le clair, le ciel et la terre, pour ne citer que quelques contraires. Le vivant est composé de contraires.
Pour Edgar Morin, les ombres sont inéluctables, mais, elles donnent sens à la vie. La communauté humaine partage la même condition : mêmes épreuves, douleurs similaires, impermanence.
Dans de nombreux contes, la part obscure de l’être humain est mise en scène. En effet, ils sont le théâtre de la cruauté, des excès affectifs de toutes sortes, de la douleur, de la mort. Par exemple, qui ne se souvient de la cruauté de la marâtre – dans le conte de Blanche-neige par exemple – dans les contes traditionnels ? La terrible marâtre, la cruelle sorcière nous exposent à la confrontation avec notre ombre : nos jalousies, nos méchancetés, nos lâchetés.
Et, d’autre part, quel enfant n’a jamais eu peur à l’arrivée du loup, représentant les forces maléfiques en soi ? Le loup et les sept chevreaux, Le petit chaperon rouge… et tant d’autres.
Cette confrontation avec soi-même est essentielle dans la démarche de la connaissance de soi. Le héros du conte dépasse ses ombres, se dépasse lui-même en entrant en relation avec son ombre, souvent par un travail jugé inabordable à première vue. Voilà Blanche-neige au service des nains. Simplet à la recherche des objets que son roi de père désire.
Le “bon” gagne l’amour de la princesse et le trésor et vit heureux pour toujours. Le “méchant” finit dans le malheur et la destruction. Pure fantaisie ? Ou bien pouvons-nous y lire l’indication de lois secrètes qui régissent l’univers distribuant à chacun ce qu’il lui faut pour vivre, évoluer ou mourir.
Rien ne résiste au héros empli d’amour pour sa quête. Cet amour pour sa quête, associé à une volonté sans faille, dilate le cœur et la conscience du héros qui n’est autre que nous-mêmes. »

Bibliographie
– L’enracinement, Simone Weil, Champs Classiques, Flammarion, 2014
– Vivre la magie des contes, J.P. Debailleul, Albin Michel, 1998
– L’arbre aux trésors, Henri Gougaud, Éditions du Seuil, 2014
– Aspects du mythe, Mircéa Eliade, Folio Essais, Gallimard 2002
– Initiation et sagesse des contes de fées, Dennis Boyes, Albin Michel, 1988
– Psychanalyse des contes de fées, Bruno Bettelheim, Pocket, 1999
– L’interprétation des contes de fées, Marie-Louise Von Franz, Albin Michel, 2007
– Mythes, rêves et mystères, Mircéa Eliade, Folio Essais, Gallimard, 2002
– Harry Potter, les raisons d’un succès, Isabelle Smadja, PUF, 2001
– Le grain magique, Taos Amrouche, La Découverte, 2007

Source : https://fondation-itsrs.org/contes-et-travail-social.html
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Les mythes, légendes et religions qui ont accompagné le renversement violent du matriarcat par le patriarcat

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article5326

L’origine du conte de Caïn et Abel

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article3701

L’écrit, comme arme d’oppression et de domination, comme arme de mensonge, pas comme moyen scientifique

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article4583

Les contes du « peuple du rêve »

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article5146

Le conte du père Noël

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article4264

Conte et histoire, Jean paul sermain

https://fr.wikipedia.org/wiki/Conte_%C3%A9tiologique

Contes et romans de l’ancienne Égypte
https://fr.wikisource.org/wiki/Contes_et_romans_de_l%E2%80%99ancienne_%C3%89gypte

Concernant l’histoire de la Grèce antique, sur les événemens antérieurs aux premières olympiades, nous ne savons que ce que les poètes et les mythographes nous ont transmis. C’est une suite de récits étranges, qui, pour le merveilleux, ne le cèdent en rien à nos contes de fées.

https://fr.wikisource.org/wiki/De_l%E2%80%99histoire_ancienne_de_la_Gr%C3%A8ce/01

Les fables de l’Inde ancienne

https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Pantcha-Tantra_ou_le_grand_recueil_des_fables_de_l%E2%80%99Inde_ancienne

Les contes de la Chine antique

https://fr.wikisource.org/wiki/Contes_chinois,_pr%C3%A9c%C3%A9d%C3%A9s_d%E2%80%99une_Esquisse_pittoresque_de_la_Chine

Le conte entre oralité et écriture : retour sur deux exemples

https://www.cairn.info/revue-de-la-bibliotheque-nationale-de-france-2014-3-page-31.htm

Le conte oral

https://fr.wikipedia.org/wiki/Conte_(oral)

Le conte d’Eros et Psyché dans la littérature orale

https://www.cairn.info/revue-topique-2001-2-page-155.htm

De la Mémoire orale au patrimoine écrit. Il était une fois le conte

https://www.fabula.org/actualites/de-la-memoire-orale-au-patrimoine-ecrit-il-etait-une-fois-le-conte_52148.php

La parole conteuse

https://archipel.uqam.ca/12495/1/M16011.pdf

Contes et mythes antiques
https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Dieux_antiques/Mythes_%C3%A9gyptiens_et_assyriens

Mythes antiques du Nord de l’Europe

https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Dieux_antiques/Mythes_norses

Les Contes populaires antiques en Italie

https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Contes_populaires_en_Italie/chap03

Les Contes de Pomigliano et la filiation des mythes populaires

https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Contes_de_Pomigliano_et_la_filiation_des_mythes_populaires

Contes et légendes de Basse-Bretagne

https://fr.wikisource.org/wiki/Contes_et_l%C3%A9gendes_de_Basse-Bretagne

Contes quechuas

https://www.canal-u.tv/chaines/alcm/ameriques/contes-quechuas-du-massif-de-l-ausangate-region-de-cusco-perou

Une étude fait remonter l’origine des contes de fées à la préhistoire

https://actualitte.com/article/35229/jeux-video/une-etude-fait-remonter-l-origine-des-contes-de-fees-a-la-prehistoire

Le conte de la Révolution française

https://journals.openedition.org/feeries/147

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