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Comment un conflit local devient une guerre régionale puis mondiale dans un contexte de situation critique du capitalisme international et de luttes de classes exacerbées

jeudi 5 mai 2022, par Robert Paris

La guerre a commencé en 1912-1913...

Bien des gens croient que 1914 a été une surprise mais la guerre balkanique de 1912 a été une anticipation de la guerre mondiale

Et il y avait eu aussi la guerre italo-turque

Jack London dans "Le talon de fer" :

« ...Je dois raconter les troubles de l’hiver de 1912….

Cette menace belliqueuse était suspendue comme un sombre nuage, et toute la
scène était disposée pour une catastrophe mondiale ;
car le monde entier était le théâtre de crises, de troubles travaillistes, de
rivalités d’intérêts ; partout périssaient les classes moyennes,
partout défilaient des armées de chômeurs,
partout grondaient des rumeurs de révolution sociale.

L’oligarchie voulait la guerre avec l’Allemagne pour une douzaine de raisons.
Elle avait beaucoup à gagner à la jonglerie d’événements que susciterait
une mêlée pareille, au rebattage des cartes internationales et à la
conclusion de nouveaux traités et alliances.
En outre, la période d’hostilités devait consommer une masse d’excédents
nationaux, réduire les armées de chômeurs qui menaçaient tous les pays,
et donner à l’oligarchie le temps de respirer, de mûrir ses plans et de les
réaliser. »

En 1912 et 1913, deux guerres affectent la région : la première est tournée contre l’Empire ottoman qui perd tous ses territoires en Europe à l’exception de la Thrace orientale ; la seconde est un conflit entre la Bulgarie et les autres pays balkaniques. Elle se traduit par une importante extension du territoire et du nationalisme de la Serbie, un mécontentement de la Bulgarie, dépossédée d’une partie de son territoire et par la création, sous la pression autrichienne, d’une Albanie indépendante qui empêche la Serbie d’avoir une façade maritime.

L’alliance franco-russe est renforcée en 1912 et prévoit une alliance défensive entre les deux pays. La France bénéficie ainsi d’un allié de poids, notamment sur le plan démographique et stratégique, avec la possibilité d’un deuxième front à l’est de l’Allemagne, ou d’un front en Inde en cas de guerre avec le Royaume-Uni, tandis que l’empire tsariste peut moderniser l’économie et l’armée du pays grâce aux capitaux français.

A la croissance des années 1909-1912 succède une récession qui touche surtout les pays débiteurs ou fournisseurs de matières premières.

La crise s’est manifestée en Allemagne au début de 1913 dans le bâtiment et s’est étendue en mars à la sidérurgie qui, en quatre ans, avait augmenté sa production de près de 60%. Aussitôt la Reichbank a décidé de relevé son taux d’escompte de 5 à 6% et le chômage est apparu. La Grande-Bretagne à son tour a été touchée, avec un léger décalage, à travers la baisse des prix de la fonte et les difficultés de l’industrie cotonnière. Les US ont été atteints au printemps, la France au mois d’aout.

La crise se généralise.

Si les effets de cette crise sont assez limités dans les pays industriels, elle a de graves répercussions dans les pays fournisseurs de matières premières ou importateurs de capitaux. Ainsi, l’Argentine est fortement touchée par la hausse du taux d’escompte de la banque d’Angleterre, qui a conduit la plupart des créanciers britanniques à rapatrier leurs capitaux à court terme et les banques argentines à placer les leurs à Londres...

extrait d’un article des Echos de 1913.

Il y a aussi les luttes de classes à partir de 1912 :

en 1912 :

En janvier, première grève générale au Portugal ; en Allemagne, la social-démocratie devient le premier parti au parlement, le Reichstag, la bourgeoisie est affolée et ne parvient pas à former un cabinet majoritaire ; les Bantous d’Afrique du sud créent leur propre parti ; révolte en Tunisie contre les colons français appelée « boycott des tramways » ; les Sénousis du Sahara se défendent contre le colonisateur italien en Libye ; gouvernement révolutionnaire de Sun Yat-Sen en Chine ; apparition du syndicalisme ouvrier en Indonésie ;
En avril, insurrection de Fès contre la colonisation française au Maroc
En mai, grève générale et émeutes à Budapest (Hongrie) organisées par les sociaux-démocrates. La répression par la police fait six morts, 182 blessés et 300 arrestations.

En juillet, soulèvement au Nicaragua contre un pouvoir conservateur soutenu par les USA.
En décembre, les travailleurs anglais imposent le salaire minimum garanti pour les mineurs et en Roumanie, ils imposent une loi d’assurance ouvrière.

Et aussi la révolution chinoise débutée en 1911-1912 :

En 1905, des notables décident de construire avec leur propres fonds des voies de chemin de fer en Chine ; or en mai 1911 les autorités impériales sous l’impulsion du ministre Sheng Xuanhuai décrètent la nationalisation des voies de chemin de fer, les puissances étrangères voyant d’un mauvais œil l’influence du milieu des notables nationalistes. Les indemnités proposés aux notables chinois leur paraissent insuffisantes : ils créent des comités de défense notamment au Sichuan. Une ligue pour la protection des chemins de fer est créée, mais ses manifestations entrainent l’arrestation de ses dirigeants, suivie de manifestations pour réclamer la libération de ces derniers. La répression des manifestations cause plusieurs victimes, radicalisant la contestation. Les sympathies révolutionnaires gagnent la nouvelle armée du Hubei, un tiers environ de ses 15 000 hommes soutenant les républicains. En mai 1911, la nomination d’un nouveau gouvernement, dirigé par le prince Yikuang et composé d’une forte majorité de mandchous, est perçu comme une provocation.

Dans une caserne de Wuchang — un quartier de Wuhan —, le 10 octobre, des militaires de l’armée du Hubei s’insurgent et déclenchent un soulèvement armé. Le gouvernement impérial tarde à réagir et, dès le lendemain, la ville est contrôlée par les insurgés. Ils proclament la sécession de la province sous l’égide d’un gouvernement républicain, dirigé par le général Li Yuanhong, qui appelle à l’insurrection les autres provinces.

Plusieurs provinces chinoises proclament leur indépendance dans les semaines qui suivent : le 22 octobre, une troupe de révolutionnaires comptant des soldats de l’armée du Hubei marche sur Changsha et prend la ville, tuant le gouverneur du régime Qing. Le même jour, des membres du Tongmenghui lancent une insurrection à Xi’an et achèvent de prendre le contrôle de la ville le 23. Toujours le 23, le Tongmengui, mené notamment par Lin Sen, emmène un soulèvement des troupes du Jiangxi : un gouvernement militaire est proclamé à Jiujiang. Le 29, une insurrection armée, comptant Yan Xishan parmi ses leaders, éclate à Taiyuan : le gouverneur du Shanxi est tué et la province déclare à son tour son indépendance. Le 30, après la prise de Kunming, Cai E devient le chef du gouvernement militaire du Yunan. Le 31, Nanchang est prise à son tour par le Tongmenghui.

La cour impériale réagit en nommant le 14 octobre le général Yuan Shikai à la tête du gouvernement. L’armée de Beiyang est envoyée pour affronter les insurgés. Elle prend Hankou -un quartier de Wuhan. Mais dès le 2 novembre, Yuan Shikai, ne croyant plus à l’avenir de la dynastie Qing, déconsidérée depuis la guerre des Boxers et sans appui de l’étranger, entame des négociations secrètes avec les révolutionnaires. Le 9 novembre, Huang Xing prend contact avec Yuan et lui propose la tête de l’État.
Le drapeau à cinq couleurs.

Le 3 novembre, l’insurrection éclate à Shanghai, le gouvernement militaire étant proclamé dans la ville cinq jours plus tard. Le 4, la révolte gagne le Guizhou. Le 5, le gouverneur du Jiangsu, Cheng De, est amené par les insurgés à déclarer l’indépendance de la province. Le 6, c’est le tour du Guangxi et le 9, celui du Fujian, où le vice-roi Song Shou se suicide. Toujours le 9, l’indépendance du Guangdong est déclarée, Hu Hanmin prenant la tête du gouvernement de la province. À la fin novembre, le Sichuan tombe à son tour. Le même jour, Li Yuanhong télégraphie à tous les gouverneurs insurgés pour leur proposer de tenir une conférence à Wuchang et de fonder un nouveau gouvernement central. La conférence débute le 30 novembre, les délégués s’accordant finalement pour établir un gouvernement provisoire. Le 2 décembre, les révolutionnaires prennent Nankin. Entretemps, la Mongolie extérieure profite de la situation pour déclarer son indépendance le 1er décembre, établissant le khanat de Mongolie autonome : le Tibet expulsera à son tour les autorités chinoises en 1912, pour proclamer sa souveraineté l’année suivante.

Le 3 décembre, les troupes de Yuan Shikai s’accordent sur un cessez-le-feu avec les révolutionnaires et entame des négociations de paix.

Le 11, les délégués de dix-sept provinces, venus de Shanghai et Hankou, se réunissent dans la ville et parlementent à nouveau, s’accordant sur l’élection d’un président provisoire. Un nouveau drapeau national est choisi : certains réclament le choix du drapeau bleu à soleil blanc, emblème du Tongmenghui, mais le choix se porte finalement sur le drapeau à cinq couleurs, symbole de l’union de toutes les ethnies chinoises, qui contrebalance la tonalité jusque-là anti-mandchous de l’insurrection contre la Dynastie Qing. Un compromis est adopté, le drapeau au ciel bleu à soleil blanc devenant l’enseigne de vaisseau de la République. L’élection du président est repoussée, les insurgés apprenant que Yuan Shikai est prêt à les soutenir et décidant d’attendre sa décision.

Le 25 décembre, Sun Yat-sen, jusque-là en exil, arrive à Shanghai : en raison de son prestige, les révolutionnaires lui proposent d’assumer la présidence. L’élection a lieu le 29 décembre à Nankin, en présence de 45 délégués représentant 17 provinces. Recevant les suffrages de 16 provinces sur 17, Sun Yat-sen est élu président.

A partir du 14 avril 1913, la Belgique fut secouée par une grève de masse qui mobilisa jusqu’à 400 000 travailleurs. L’appel à la grève avait été lancé par le Parti socialiste belge, en opposition au "vote plural" qui donnait aux propriétaires fonciers, aux gens instruits et aux riches un plus grand nombre de voix qu’aux gens ordinaires.

Cette grève faisait suite à la victoire électorale des éléments catholiques conservateurs l’année précédente. L’opposition socialiste avait d’abord décidé en juin 1912 d’organiser une grève générale à un moment donné à venir. Mais c’est seulement lorsqu’il devint évident que le roi n’allait pas intervenir pour modifier les lois électorales, et sous la pression croissante des masses, que l’appel à la grève fut lancé.

La Belgique avait une classe ouvrière industrielle hautement concentrée avec une histoire de grèves massives, remontant à 1893. Au moins la moitié de la classe ouvrière industrielle du pays participa à la grève de 1913, paralysant les principales entreprises. Au bout d’un peu plus d’une semaine, cependant, le parti socialiste donnait comme consigne aux ouvriers de mettre fin à l’action de grève, suite à une promesse du premier ministre de créer une commission pour "étudier" la question du vote plural. La grève prit fin officiellement le 22 avril. Le vote plural resta en place tout au long de la Première Guerre mondiale.

La politique de conciliation des socialistes belges fut commentée par un certain nombre de personnalités marxistes sur la scène internationale, dans le cadre de la lutte qui s’intensifiait entre les tendances révolutionnaires et opportunistes dans le mouvement socialiste. Rosa Luxembourg, la représentante la plus déterminée de l’opposition révolutionnaire aux opportunistes et aux tendances conservatrices syndicalistes qui dominaient de plus en plus le mouvement socialiste allemand, fit référence à la grève belge dans un discours sur la "grève politique de masse."

Luxembourg dit que suite à la politique des sociaux-démocrates opportunistes qui s’orientaient vers le libéralisme, "la grève a été abandonnée dès la première concession illusoire faite, une concession qui représentait un gain quasiment nul... Nous voyons donc que la grève de masse, employée en conjonction avec la politique d’une grande coalition, n’aboutit à rien, si ce n’est à des revers." Elle appela la social-démocratie allemande à rejeter la politique opportuniste qui avait conduit à la trahison de la grève en Belgique.
Lénine écrivit que le résultat de la grève démontrait la nécessité d’une rupture avec les libéraux bourgeois, d’un combat pour la conscience socialiste et d’un parti de la classe ouvrière qui soit politiquement indépendant.

Aux USA, les grèves se développent en 1912…

11 janvier : grève dans les usines textile de l’American Wollen Company à Lawrence (Massachusetts). Les 25.000 travailleurs inorganisés de l’American Woolen Company (lainages), à Lawrence (Massachussets), cessèrent le travail pour protester contre des salaires de famine. Ils étaient, pour la plupart, des immigrants de fraîche date, appartenant à vingt-huit nationalités différentes. Les Italiens prédominaient. L’IWW organise des défilés et des rassemblements qui réunissent 50 000 personnes. Après des affrontements avec la police qui font un mort (Anna LoPizzo, 28 janvier), la loi martiale est décrétée. Un des dirigeants des IWW, Joseph Ettor, prit la direction de la grève. Il la mena de main de maître. La petite ville fut mise en état de siège et Ettor arrêté. Haywood vint le remplacer. Un cortège de 10 à 15 mille grévistes lui fit un accueil triomphal. Il procéda à des innovations hardies. Secondé par une militante de valeur, Elisabeth Gurley Flynn, il organisa la solidarité à l’européenne, dirigeant les enfants des grévistes vers les foyers d’amis et de sympathisants dans d’autres villes. Il fit participer les femmes à la lutte et elles se battirent comme des lions. Il installa autour des usines des piquets intinterrompus, composés de milliers de travailleurs. Il sut attirer l’attention de l’opinion publique en faveur des grévistes. Il s’assura des concours dans la presse. Un comité d’enquête fut constitué à Washington et une délégation de seize enfants, garçons et filles, âgés de moins de seize ans, se rendit dans la capitale fédérale pour décrirer les terribles conditions d’existence à Lawrence. Un de ces enfants traita de menteur Samuel Gompers, venu témoigner contre la grève. Les employeurs finirent par céder. A l’annonce de leur victoire, les travailleurs (fait très rare aux Etats-Unis) chantèrent l’Internationale, en toutes langues. L’effet de cet événement fut immense et dépassa le cadre de Lawrence. 25.000 ouvriers obtinrent, par contrecoup, une augmentation de salaire.

En avril 1913, des grèves ont lieu dans le Colorado.

Grève des mines du charbon du Colorado. Les grévistes de Colorado Fuel & Iron Corporation, propriétés de la famille Rockefeller, sont expulsés des logements qu’ils occupent dans les villes possédées par la compagnie minière. Soutenus par la United Mine Workers Union, ils établissent des campements de tentes dans les collines voisines et maintiennent les piquets de grève. Les hommes de l’agence Baldwin-Felt detective effectuent des raids armés sur leurs campements et des grévistes sont assassinés. Le gouverneur du Colorado fait appel à la garde nationale, qui introduit des briseurs de grève de nuit et réprime les manifestations, aboutissant au massacre de Ludlow le 20 avril 1914.

Puis en 1914…

Grève des mines du charbon du Colorado. 20 avril : la grève des mines de charbon du Colorado, commencé en septembre 1913, culmine avec le massacre de Ludlow : le campement de grévistes de Ludlow est attaqué au fusil-mitrailleur par la garde nationale. Treize personnes sont abattues dans leur fuite. Les cadavres carbonisés de onze enfants et de deux femmes sont retrouvés dans une fosse le lendemain. La nouvelle provoque une grande agitation dans tout le pays et les mineurs prennent les armes. Les troupes fédérales sont prêtes à intervenir quand la grève s’essouffle. Malgré la mort de 66 personnes, aucun milicien ou surveillant des mines ne sera inculpé pour meurtre. Les grévistes de Colorado Fuel & Iron Corporation, propriétés de la famille Rockefeller, sont expulsés des logements qu’ils occupent dans les villes possédées par la compagnie minière. Soutenus par la United Mine Workers Union, ils établissent des campements de tentes dans les collines voisines et maintiennent les piquets de grève. Les hommes de l’agence Baldwin-Felt detective effectuent des raids armés sur leurs campements et des grévistes sont assassinés. Le gouverneur du Colorado fait appel à la garde nationale, qui introduit des briseurs de grève de nuit et réprime les manifestations, aboutissant au massacre de Ludlow le 20 avril 1914. Le massacre de Ludlow fait référence à une action de représailles de la Colorado National Guard durant laquelle 26 grévistes trouvèrent la mort, à Ludlow dans le Colorado le 20 avril 1914. Ce massacre fait suite à un long affrontement entre les grévistes, au nombre de 1 200, et les soldats de la garde nationale et les hommes de l’agence Baldwin-Felt Detective au service de la Colorado Fuel & Iron Company. Le campement des mineurs et de leurs familles est attaqué à la mitrailleuse par deux compagnies de la garde nationale, les grévistes répondent à coup de fusil. Les affrontements durent toute la journée, à la tombée de la nuit les gardes nationaux mettent le feu au camp, treize mineurs sont tués. Le lendemain on découvre dans les restes du camp, les cadavres calcinés de onze enfants et deux femmes dans une fosse, les mineurs avaient creusés des fosses sous leurs tentes pour échapper aux tirs

L’Afrique du sud entre en lutte au même moment...

En 1913, une grève générale des mineurs blancs (rejoints par des travailleurs africains) connaît le succès, forçant les Randlords1 à s’asseoir à la table de négociations, après que des manifestations de rue à Johannesburg ont conduit à de violents affrontements et à la mort de 30 ouvriers. Une deuxième grève en 1914 est interdite par la loi martiale. En 1913, les mineurs africains suivent la grève des mineurs blancs, mais la leur est réprimée par l’armée.

Face à la réduction massive des salaires et à la dégradation de leurs conditions de travail, les mineurs entrèrent massivement en lutte. En effet, courant 1913, une grève fut lancée par les ouvriers d’une mine contre les heures supplémentaires que l’entreprise voulait leur imposer. Et il n’en fallut pas plus pour généraliser le mouvement à tous les secteurs avec des manifestations de masse, lesquelles furent néanmoins brisées violemment par les forces de l’ordre. Au final on compta (officiellement) une vingtaine de morts et une centaine de blessés.

Doris Lessing rapporte la montée révolutionnaire en Afrique du sud en 1913 dans « Les enfants de la violence » :

« Le comité de grève transféra son quartier général de Benoni à Johannesburg. Pendant ce temps, le gouvernement armait la bourgeoisie terrifiée en groupes de milice spéciale. Des troupes continuaient à arriver, armées jusqu’aux dents… Des pièces d’artillerie étaient installées dans les espaces dégagés… Les dragons commençèrent à tirer dans la foule… C’était en juillet 1913. S’il n’y avait pas eu la guerre l’année suivante, on les aurait battus, on aurait eu le socialisme en Afrique du sud. »

Le 19 juin 1913, pour faire face à la montée ouvrière, apparaissaient les premières lois d’apartheid en Afrique du Sud. Ségrégation à l’égard des Noirs : le Natives Land Act (en) no 27 fixe la part des terres réservé à chaque communauté en Union sud-africaine6. Les Noirs se voient attribuer 8 % des terres cultivables, alors qu’ils forment plus de 67 % de la population. Il leur est interdit de posséder et d’acheter des terres hors des réserves. Plus d’un million d’entre eux sont expulsés des terres qu’ils cultivaient. Dépossédés de leurs terres, les Noirs vont travailler dans les mines et les plantations européennes.

Au début de 1914 éclata une série de grèves aussi bien chez les mineurs de charbon que chez les cheminots contre la dégradation des conditions de travail. Mais ce mouvement de lutte se situa dans un contexte particulier, celui des terribles préparatifs de la première boucherie impérialiste généralisée. Dans ce mouvement, on put remarquer la présence de la fraction afrikaner, mais à l’écart de la fraction anglaise. Bien entendu toutes deux bien encadrées par leurs syndicats respectifs dont chacun défendait ses propres "clients ethniques".

Dès lors le gouvernement s’empressa d’instaurer la loi martiale sur laquelle il s’appuya pour briser physiquement la grève et ses initiateurs et en emprisonnant ou en déportant un grand nombre de grévistes dont on ignore encore le nombre exact des victimes. Par ailleurs, nous tenons à souligner ici le rôle particulier des syndicats dans ce mouvement de lutte. En effet, ce fut dans ce même contexte de répression des luttes que les dirigeants syndicaux et du Parti Travailliste votèrent les "crédits de guerre" en soutenant l’entrée en guerre de l’Union Sud-Africaine contre l’Allemagne.

Si la classe ouvrière fut muselée globalement durant la guerre 1914/18, en revanche quelques éléments prolétariens purent tenter de s’y opposer en préconisant l’internationalisme contre le capitalisme.

Rosa Luxemburg écrit en 1913 :

« La grève générale belge ne mérite pas seulement, en tant que manifestation remarquable des efforts et des résultats de la masse prolétarienne en lutte, la sympathie et l’admiration de la social-démocratie internationale, elle est aussi éminemment propre à devenir pour cette dernière un objet de sérieux examen critique et, par suite, une source d’enseignements. La grève d’avril, qui a duré dix jours, n’est pas seulement un épisode, un nouveau chapitre dans la longue série des luttes du prolétariat belge pour la conquête de l’égalité et de l’universalité du droit de vote, luttes qui durent depuis le commencement de la dernière décennie du XIX° siècle et qui, selon toute apparence, sont encore très éloignées de leur fin. Si donc nous ne voulons pas, à la manière officielle, applaudir toujours et à toute occasion tout ce que fait et ne fait pas le Parti social-démocrate, il nous faut, en face de ce nouvel assaut remarquable du Parti Ouvrier Belge, dans ses luttes pour le droit électoral, nous poser la question suivante : Cette grève générale signifie-t-elle un pas en avant sur la ligne générale de combat ? Signifie-t-elle en particulier une nouvelle forme de lutte, un nouveau changement tactique qui serait appelé à enrichir, à partir de maintenant, les méthodes de combat du prolétariat belge, et peut-être aussi du prolétariat international ?

Cette dernière question est d’autant plus justifiée que les chefs du Parti belge – quelle que soit leur position tactique – opposent, avec beaucoup de vigueur, la grève d’avril aux précédents grèves belges concernant le droit électoral, ainsi qu’aux grèves de masses qui se sont produites dans d’autres pays, et la louent comme une nouvelle arme dans l’arsenal du prolétariat en lutte. Dans la petite revue mensuelle de Herstal, La Lutte de Classe, de Brouckère écrivait en mars :

« C’est pour la troisième fois que nous ferons une grève pour l’égalité du droit de vote et, dans d’autres pays, on a déjà fait grève dans le même but. La grève du 19 avril n’en représente pas moins un événement nouveau aussi bien par sa durée probable que par l’esprit dans lequel elle a été préparée. Cette grève ne doit ressembler ni aux rafales de 1893 et 1902, ni aux courtes grèves politiques en Suède et en Autriche, pas plus qu’aux grèves révolutionnaires de Russie. Ce sera la première tentative pour guider une grève politique d’après les principes mêmes qui rendent si efficaces les mouvements syndicaux ou, si l’on veut, une tentative pour élargir l’action syndicale jusqu’à la conquête de l’égalité politique. »

Les chefs du Parti, au congrès du 24 avril qui a décidé la cessation de la grève générale, ont souligné également, à plusieurs reprises, son caractère particulier. Vandervelde, lui aussi, écrit dans son article du Vorwärts, le 28 avril :

« Contrairement aux précédents mouvements similaires en Belgique et ailleurs, il s’est agi, cette fois, non plus d’une grève improvisée et impétueuse, mais d’une grève longue, préparée patiemment et méthodiquement. »

Il s’agit donc avant tout de comparer l’efficacité de cette nouvelle tentative de caractère particulier aux tentatives précédentes du prolétariat belge. Si l’on considère uniquement le résultat immédiat et palpable, on ne pourra certes pas écarter la conclusion que la nouvelle expérience du Parti belge a infiniment moins rapporté que son premier assaut d’il y a vingt ans. En 1891, la première courte grève de masse, avec ses 125.000 ouvriers, a suffi pour imposer l’institution de la commission pour la réforme du droit de vote. En avril 1893, il a suffi d’une grève spontanée de 250.000 ouvriers pour que la Chambre se prononce, en une seule longue séance, sur la réforme du droit de vote qui croupissait depuis deux ans dans la commission. Cette fois, la grève de 400.000 ouvriers, après neuf moins de préparation, après des sacrifices et des efforts matériels exceptionnels de la part de la classe ouvrière, a été brisée au bout de huit jours, sans avoir obtenu autre chose que la promesse, sans engagement, qu’une commission sans mandat et sans droit à légiférer recherchera une « formule d’unité » concernant le droit électoral.

Nos camarades belges ne se font aucune illusion sur le caractère vague et confus du résultat ; ils comprennent que ce n’est pas là une brillante victoire et qu’en tout cas, elle ne répond pas du tout aux efforts, aux sacrifices et aux préparatifs formidables qui ont été faits. Aucun des chefs du Parti n’a essayé, au Congrès du 24 avril, de présenter la résolution du Parlement sur ladite commission comme une victoire politique notable. Au contraire, ils se sont tous efforcés de porter le centre de gravité du bilan de la lutte de ces dix jours non sur le résultat parlementaire, mais sur le cours de la grève générale elle-même et sur son importance morale. « Trois points de vue, a dit Vandervelde (d’après le compte rendu du Vorwärts), se sont fait jour dans l’appréciation de la grève générale. Le premier, le point de vue parlementaire, est le moins important. » Mais les deux autres sont : le résultat politique, qui consiste dans la conquête de l’opinion publique, et le point de vue social, qui réside dans le déploiement de forces du prolétariat et dans le caractère pacifique de la grève générale : « Maintenant – s’est écrié Vandervelde – nous connaissons le moyen que le prolétariat peut employer lorsque le pouvoir veut le priver de son droit. » Jules Destrée est allé jusqu’à traiter toute la question du résultat direct de la grève de « futilités parlementaires » :

« Pourquoi ne pas se hausser, au dessus des futilités parlementaires et des nuances des déclarations ministérielles, jusqu’au principal ? Considérons donc le principal, que tout le monde peut voir : l’enthousiasme magnifique, le courage, la discipline de notre mouvement. »

Or, l’attitude excellente de la masse ouvrière belge dans la dernière grève générale, fut loin d’être une surprise. L’enthousiasme, la cohésion, la ténacité de ce prolétariat, se sont affirmés si fréquemment dans les vingt dernières années, en particulier dans l’emploi de l’arme de la grève générale, que le déclenchement et le cours de la grève d’avril, loin d’être une nouvelle conquête, ne sont qu’une preuve de plus de cette ancienne combativité. Evidemment, l’importance de chaque grève de masse réside, en grande partie, dans son déclenchement même, dans l’action politique qui s’y exprime, dans la mesure où il s’agit de manifestations spontanées ou qui éclatent sur l’ordre du Parti, qui durent peu de temps et manifestent un esprit combatif. Lorsqu’au contraire, la grève a été préparée de longue main, de façon tout à fait méthodique et systématique, dans le but politique déterminé de mettre en mouvement la question du droit de vote immobilisé depuis vingt ans, il apparaît assez étrange de célébrer la grève, en quelque sorte, comme un but en soi et de traiter son objectif propre, le résultat parlementaire, comme une bagatelle.

Cette façon de déplacer l’appréciation de la situation s’explique aussi par l’état de gêne dans lequel s’est trouvé notre parti frère belge au bout d’une semaine et demie de grève générale. De toute la situation et de tous les discours du congrès de Bruxelles, il ressort clairement que la grève générale ne fut pas brisée au 24 avril parce qu’on s’imaginait avoir remporté une victoire notable. Au contraire, on s’empressa de saisir la première apparence de « concession » de la part du Parlement, pour désarmer la grève générale, parce qu’on avait, dans les milieux dirigeants, le sentiment net que la continuation de la grève générale amènerait à une situation sans issue et ne donnerait aucun résultat appréciable.

Faut-il en vouloir aux chefs du parti belge d’avoir saisi la première occasion pour arrêter la grève générale, alors que sa prolongation leur paraissait incertaine et sans chance de succès ? Ou faut-il leur faire grief de n’avoir pas cru à la force victorieuse de la grève méthodique, prolongée indéfiniment et « jusqu’à la victoire » ? C’est exactement le contraire qu’il faut dire : longtemps déjà avant le début de la grève d’avril, par la seule façon dont cette grève fut préparée, vu les épreuves et la tactique de la lutte pour le droit électoral en Belgique dans les dix dernières années, tout observateur attentif ne pouvait que douter fortement de l’efficacité de cette nouvelle expérience. Aujourd’hui, où la preuve par l’exemple a été faite et où nos camarades belges pensent avoir ajouter en tout cas, et pour longtemps, une nouvelle arme à leur arsenal, il est temps d’examiner cette arme elle-même. Il est nécessaire de se poser cette question : La grève d’avril, en raison de son organisation, ne portait-elle pas en elle-même les germes de sa stérilité, et l’expérience qui vient d’être tentée n’est-elle pas faite pour nous encourager à la révision de cette tactique plutôt qu’à l’imiter ? »

Leipziger Volkszeitung, 15 mai 1913

L’Irlande ouvrière et populaire s’enflamme en 1913…

En août 1913, 40 puis 300 ouvriers sont licenciés, accusés d’appartenir au syndicat. Le patronat, mené par Murphy, fait venir des ouvriers britanniques et irlandais originaires d’autres comtés, pour remplacer les licenciés. On les surnomment les Scabs. C’est le grand Lock Out.

La Grande Grève de Dublin éclate. D’abord au sein de la compagnie des tramways de Murphy puis dans les filatures à travers toute la ville. A l’appel de Jim Larkin, les Dublinois descendent dans la rue, soutenus par certains intellectuels irlandais nationalistes (WB Yeat, Bernard Shaw). Dublin est totalement paralysé.

La police dublinoise (britannique) charge les manifestants et des victimes tombent. Une milice est alors formée pour protéger les ouvriers. Ce sera l’Irish Citizen Army, qui prendra activement part à l’insurrection de 1916 pour l’indépendance de l’Irlande.

Le début de la Première guerre mondiale en 1914, l’hiver rigoureux et le manque cruel de nourriture dans la capitale mettront fin à cette première grève sociale irlandaise.

Le conflit marquera les esprits à un point tel que, depuis cette date, le patronat irlandais a toujours cherché la négociation plutôt que le conflit avec les ouvriers et les employés.

Tout avait commencé avec l’arrivée à Dublin de James « Big Jim » Larkin. « God sent Larkin in 1913, a labor man with a union tongue / He raised the workers and gave them courage ; he was their hero, the worker’s son », chanteront les Irlandais en sa mémoire. Il crée un syndicat de masse pour les ouvriers, l’Irish transport and general workers union (ITGWU). Face à lui, William Murphy, le très catholique et indépendantiste dirigeant du patronat dublinois, réagit radicalement : renvoi des ouvriers arborant le badge de l’ITGWU et obligation pour tous les travailleurs de signer un document par lequel ils s’engagent à ne jamais adhérer au syndicat. La grève éclate, d’abord dans les tramways dirigés par Murphy, puis sur les docks et gagne, par solidarité, rapidement les filatures… toute la ville. Jusqu’à la fin de l’année, Dublin est complètement paralysée.
Tous les grévistes ne partagent pas les idéaux révolutionnaires de Larkin ! C’est la défense des ouvriers licenciés et le refus de se soumettre au diktat de Murphy qui animent les premières revendications. Un meeting était interdit ? Les grévistes occupaient la rue et l’organisaient quand même, défiant le pouvoir, le patronat et les charges policières qui laissent derrières elles de nombreuses victimes.
C’est toute la société irlandaise qui se retrouve coupée en deux selon une ligne de fracture toute nouvelle : d’un côté pour les ouvriers en grève, de l’autre pour l’ordre et William Murphy. Indépendantistes ou unionistes, catholiques ou anglicans, irlandais ou anglo-irlandais, se retrouvent dans les deux camps, entre ceux prêts à mourir pour leur cause et ceux prêts à les affamer.
D’ailleurs, le pain devient très vite le nerf de la guerre. Des comités d’aide aux grévistes, souvent animés par les femmes issues des mouvements nationalistes et féministes, comme l’actrice Maud Gonne ou Constance – « la Comtesse Rouge » – Markievicz, organisent des soupes populaires « rouges » ou de « charité ». Des chargements de nourriture sont envoyés par les syndicats anglais. Et c’est là que l’Église catholique réveille son vieux démon : cette charité internationaliste ressemble trop à un complot pour convertir ses ouailles aux diaboliques athéisme et pire, protestantisme. Avec le projet des syndicalistes d’envoyer en Angleterre les enfants affamés de Dublin pour les sauver, la coupe est pleine ! Walsh, l’évêque de Dublin, dira : « Elles ne méritent plus le nom de mères catholiques si elles oublient leur devoir au point d’envoyer leurs enfants dans un pays étranger… » L’Église reçoit le soutien de quelques grands noms de la cause nationaliste comme Arthur Griffith, fondateur du Sinn Féin.

Finalement, c’est l’hiver 1913-1914 et ses rigueurs qui auront raison du mouvement. Vaincus par la faim, le découragement et la violence de la campagne anti-gréviste menée par les catholiques, les travailleurs retournent à leurs postes tandis que Larkin part pour les U.S.A. La relève sera assurée par son camarade James Connolly qui allie dans un même mouvement socialisme révolutionnaire et nationalisme irlandais, autour de l’Irish Citizen Army (ICA), créée et armée à l’origine pour défendre les grévistes de 1913. Aux côtés des nationalistes conservateurs, Connolly dirigera l’insurrection de Pâques 1916 à l’issue sanglante.

Les années qui précèdent la première guerre mondiale sont celles d’une montée gréviste et révolutionnaire en Russie.

Le 1er mai 1912, la grève fut ainsi portée par près de 400 000 ouvriers.

Pour la première fois, lors des élections parlementaires, sur les 9 députés de la « curie ouvrière », 6 étaient des bolcheviks.

Fin 1912 et en 1913, des luttes ouvrières radicales démarrent…

Il y a une remontée des mouvements de grève ; entre 725.000 et un million de prolétaires seront en grève en 1912, ce qui revient aux chiffres d’un million d’ouvriers en grève en 1906 et de 740.000 en 1907. En 1913 les chiffres seront compris entre 861.000 et 1.272.000, et lors des six premiers mois de 1914 les grévistes auront été 1,5 million.

Par exemple, à l’usine Grisov à Moscou en 1913, une grève a éclaté parce que “l’attitude de l’administration de l’usine est révoltante. Il s’agit ni plus ni moins que de la prostitution”. Les grévistes revendiquaient entre autres choses de la politesse envers les ouvrières, et l’interdiction des gros mots.

La journée internationale des femmes est introduite en Russie le 23 février 1913 et elle a du succès parmi les ouvrières (rappelons que ce sera la journée internationale des femmes qui démarrera la révolution de 1917).

En juin 1913, ce sont des mouvements de grèves en Russie (1,75 million de grévistes de juin à juillet 1914).

Les grèves se généralisaient, dans la première partie de 1914, il y avait 1,5 million de grévistes. A l’usine Oboukhov de Pétersbourg, la grève dura plus de deux mois ; celle de l’usine Lessner, près de trois mois. La répression était proportionnelle ; rien qu’en mars 1914, à Saint-Pétersbourg, 70 000 ouvriers furent renvoyés en un seul jour.

En juillet 1914, la situation se transforma en crise de grande ampleur, comme un écho de 1905. Toutes les usines étaient en ébullition ; meetings et manifestations se déroulaient partout. On en vint même à dresser des barricades, comme à Bakou et à Lodz. En plusieurs endroits, la police tira sur les ouvriers et pour écraser le mouvement, le gouvernement décréta des mesures d’ « exception » ; la capitale avait été transformée en camp retranché. La Pravda fut interdite.

C’est alors que la guerre impérialiste fut déclarée, le régime en profitant pour écraser les révoltes pour lancer une campagne de nationalisme.

Conflit élargi

Jean Jaurès

1912

Que la Bulgarie, la Serbie et la Grèce s’apprêtent à suivre l’exemple du Monténégro et à déclarer la guerre, personne n’en doute en Europe, quoique les hostilités n’aient pas encore été officiellement annoncées.

L’incendie va couvrir bientôt toute la région des Balkans. Mais ce que je vais dire et répéter dès le début de cette nouvelle période du drame, c’est que, si les démocrates sincères de l’Europe ne prennent pas tout de suite conscience du péril et si le prolétariat n’organise pas immédiatement une vigoureuse action internationale, le conflit ne tardera pas à s’élargir, à envelopper l’Europe entière.

Qu’on n’essaie pas de se rassurer et d’endormir les peuples en alléguant les engagements réciproques des grandes puissances. Comme le remarquaient hier les Débats, il y a eu, dans le drame qui se développe, une trop grande part de comédie, trop d’acteurs ont joué un rôle appris par cœur et qui ne concordait que médiocrement avec la vérité, pour qu’on puisse prendre au sérieux les assurances qu’échangent les pouvoirs européens. "Intégrité territoriale ; souveraineté du sultan". Vous souvenez-vous de ce refrain ? L’avons-nous assez entendu à propos d’un autre territoire que la Turquie, et d’un autre sultan que celui de Constantinople ?

Et puis, la guerre même en se développant pourra permettre à bien des puissances de dire : "J’avais promis ceci ; je m’étais interdit cela. Mais il y a des faits nouveaux. Les circonstances ne sont plus les mêmes." Ainsi par exemple la conscience de diplomates italiens pourra être libérée, par la suite des événements, du scrupule qui les empêche aujourd’hui de retenir officiellement les îles de la mer Égée. Et le Monténégro s’est montré, par sa déclaration de guerre à la Turquie, un beau-père de choix.

Voici dès maintenant par quels procédés le conflit pourra être élargi.

Si la guerre exaspère encore les divers éléments qui luttent déjà en Macédoine, s’il y a trop de bombes bulgares faisant sauter des Turcs et trop de couteaux turcs saignant des Bulgares, l’humanité la plus élémentaire fera un devoir à un gouvernement chrétien d’intervenir et d’étendre généreusement une nouvelle couche de cadavres sur les cadavres qu’il faudra venger. Au besoin, celui des belligérants qui sera trop pressé par l’adversaire trouvera quelque moyen ingénieux et atroce d’agrandir le conflit ;
Déjà l’Autriche déclare qu’elle est résolue à ne pas bouger jusqu’à ce qu’elle se meuve. Mais si les Serbes tentent d’occuper le Sandjak de Novi Bazar elle l’occupera. Notez que si elle l’occupe, la Russie criera que le pacte international est violé et qu’elle doit intervenir aussi. Les Serbes sont donc déjà munis officiellement d’un moyen sûr de mettre aux prises l’Autriche et la Russie, le jour où ils auront intérêt à se réfugier dans une guerre plus vaste ;
Il va de soi que l’Autriche et la Russie se surveilleront. Elles s’accuseront réciproquement de mauvais desseins. Et l’une et l’autre "prendront des précaution " qui seront interprétées de part et d’autre comme des provocations. Déjà les Autrichiens ont dénoncé des concentrations russes à la frontière polonaise, et demain, la Russie constatera que le gouvernement austro-hongrois demande des crédits énormes "pour développer son armement". Et ce sera l’éternel dialogue : Moi, je ne le menace pas ; donc, il me menace. Les deux adversaires, ou, si vous préférez, les deux rivaux lèveront également les bras ; mais chacun d’eux sera convaincu que son geste est défensif, que le geste de l’autre est offensif. Ainsi se préparent à volonté, selon une très vieille recette, les bas conflits. Et il arrive même que les rivaux soient dupes des cris qu’ils poussent, qu’ils s’épouvantent du péril qu’ils créent et que la guerre naît irrésistiblement de leur affolement réciproque et de leur commune stupidité.

Voilà donc sans parler des diplomates, de leurs roueries, de leurs vanités, de leurs rancunes, bien des forces qui travailleront à l’élargissement du conflit. Et qu’on retienne bien surtout qu’il dépend des belligérants eux-mêmes, au moment où ils sentiront sur eux l’ombre de la défaite, et quel que soit le vaincu, de créer une diversion formidable en agrandissant la guerre, en appelant. sur le théâtre ensanglanté de nouveaux acteurs.

Je sais bien que les mêmes députés français qui par leur politique marocaine ont préparé niaisement (je parle des meilleurs) la terrible crise présente, essaient de s’en dissimuler à eux-mêmes la gravité.

"Bah ! ce ne sera rien." Et comme un mot suffit aux cerveaux indolents pour se délivrer de toute pensée, le mot "localiser " les rassure : "On localisera le conflit."

Et nous, nous disons que le plus grand péril d’aujourd’hui et de demain est dans cette sécurité épaisse et dans cette inconscience. La guerre frappe en ce moment à toutes les portes de l’Europe, d’un coup brutal et retentissant à celle-ci, d’un coup amorti encore et assourdi à celle-là. Stupide vraiment qui n’entend pas ! Que les démocrates s’éveillent, que le prolétariat s’organise.

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