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André Breton sur "Lénine" de Léon Trotsky

samedi 5 mars 2022, par Robert Paris

André Breton sur "Lénine" de Léon Trotsky

15 octobre 1925

A certaines allusions qui ont été faites ici-même [1] et ailleurs, on a pu croire que d’un commun accord nous portions sur la révolution russe et sur l’esprit des hommes qui la dirigèrent un jugement assez peu favorable et que, si nous nous abstenions à leur égard de critiques plus vives, c’était moins par manque d’envie d’exercer sur eux notre sévérité, que pour ne pas rassurer définitivement l’opinion, heureuse de n’avoir à compter qu’avec une forme originale de libéralisme intellectuel, comme elle en a vu et toléré bien d’autres, d’abord parce que cela ne tire pas à conséquences, du moins à conséquences immédiates, ensuite parce que à la rigueur cela peut être envisagé, par rapport à la masse, comme pouvoir de décongestion. Il n’en est pas moins vrai que pour ma part je refuse absolument d’être tenu pour solidaire de tel ou tel de mes amis dans la mesure où il a cru pouvoir attaquer le communisme, par exemple, au nom de quelque principe que ce soit et même de celui, apparemment si légitime, de la non-acceptation du travail. Je pense en effet que le communisme, en existant comme système organisé, a seul permis au plus grand bouleversement social de s’accomplir dans les conditions de durée qui étaient les siennes. Bon ou médiocre, en soi défendable ou non au point de vue moral, comment oublier qu’il a été l’instrument grâce auquel ont pu être abattues les murailles de l’ancien édifice, qu’il s’est révélé comme le plus merveilleux agent de substitution d’un monde à un autre qui fût jamais ? Pour nous, révolutionnaires, il importe peu de savoir si le dernier monde est préférable à l’autre et, du reste, le moment n’est pas venu d’en juger. Tout au plus s’agirait-il de savoir si la révolution russe a pris fin, ce que je ne crois pas. Finie une révolution de cette ampleur, si vite finie ? Déjà les valeurs nouvelles seraient aussi sujettes à caution que les anciennes ? Allons donc, nous ne sommes pas assez sceptiques pour en rester à cette idée. S’il se trouve parmi nous des hommes qu’une pareille crainte laisse encore hésitants, il va sans dire que je m’oppose à ce qu’ils engagent avec eux, si peu que ce soit, l’esprit général dont nous nous réclamons, qui ne doit rester tendu vers rien tant que vers la réalité révolutionnaire, qui doit nous y faire parvenir par tous les moyens et à tout prix.

Libre, dans ces conditions, à Louis Aragon de faire savoir à Drieu La Rochelle, par lettre ouverte, qu’il n’a jamais crié : Vive Lénine ! mais qu’“ il le braillera demain puisqu’on lui interdit ce cri ” ; libre aussi à moi et à tout autre d’entre nous de trouver que ce ne serait pas une raison suffisante de se comporter ainsi, et que c’est faire la part trop belle à nos pires détracteurs, qui sont aussi ceux de Lénine, que de leur laisser supposer que nous n’agissons de la sorte que par défi. Vive Lénine ! au contraire, et seulement parce que Lénine ! On entend bien qu’il ne s’agit pas du cri qui se perd, mais de l’affirmation toujours assez haute de notre pensée.

Il serait fâcheux, en effet, que nous continuions en fait d’exemple humain à nous en rapporter à celui des Conventionnels français, et que nous ne puissions revivre avec exaltation que ces deux années, très belles d’ailleurs, après lesquelles tout recommence. Ce n’est pas dans un sentiment poétique, si intéressant soit-il, qu’il convient d’aborder une période même lointaine de révolution. Et j’ai peur que les boucles de Robespierre, le bain de Marat ne confèrent un prestige inutile à des idées qui, sans eux, ne nous apparaîtraient plus si clairement. Violence à part car c’est bien cette violence qui parle le plus éloquemment pour eux il est toute une part de leur caractère qui nous échappe ; aussi nous rattrapons-nous sur la légende. Mais si, comme je le crois, nous sommes avant tout à la recherche de moyens insurrectionnels, je me demande, en dehors de l’émotion qu’ils nous ont donnée une fois pour toutes, je me demande pratiquement ce que nous attendons.

Il n’en est pas de même des révolutionnaires russes, tels qu’enfin nous parvenons à les connaître un peu.

Voici donc ces hommes de qui nous avons tant entendu médire et qu’on nous représentait comme les ennemis de ce qui peut encore trouver grâce à nos yeux, comme les fauteurs de je ne sais quel encore plus grand désastre utilitaire que celui auquel nous assistons. Voici que dégagés de toute arrière-pensée politique, ils nous sont donnés en pleine humanité ; qu’ils s’adressent à nous, non plus en exécuteurs impassibles d’une volonté qui ne sera jamais dépassée, mais en hommes parvenus au faîte de leur destinée, et qui se comptent soudain, et qui nous parlent, et qui s’interrogent. Je renonce à décrire nos impressions.

Trotsky se souvient de Lénine. Et tant de claire raison passe par-dessus tant de troubles que c’est comme un splendide orage qui se reposerait. Lénine, Trotsky, la simple décharge de ces deux noms va encore une fois faire osciller des têtes et des têtes. Comprennent-elles ? Ne comprennent-elles pas ? Celles qui ne comprennent pas se meublent tout de même. Trotsky les meuble ironiquement de menus accessoires de bureau : la lampe de Lénine à l’ancienne Iskra, les papiers non signés qu’il rédigeait à la première personne et plus tard... enfin tout ce qui peut faire le compte aveugle de l’histoire. Et je jurerais que rien n’y manque, en perfection ni en grandeur. Ah ! certes, ce ne sont pas les autres hommes d’Etat, que par ailleurs se garde lâchement le peuple d’Europe, qui pourraient être vus sous ce jour !

Car la grande révélation de ce livre, et je ne saurais assez y insister, c’est que beaucoup des idées qui nous sont ici les plus chères et desquelles nous avons pris l’habitude de faire dépendre étroitement le sens moral particulier que nous pouvons avoir, ne conditionnent nullement notre attitude en ce qui regarde la signification essentielle que nous entendons nous donner. Sur le plan moral où nous avons résolu de nous placer, il semble bien qu’un Lénine soit absolument inattaquable. Et si l’on m’objecte que d’après ce livre, Lénine est un type et que les types ne sont pas des hommes, je demande quel est celui de nos raisonneurs barbares qui aura le front de soutenir qu’il y a quelque chose à reprendre dans les appréciations portées çà et là par Trotsky sur les autres et sur lui-même, et qui continuera à détester vraiment cet homme, et qui ne se laissera en rien toucher par son ton de voix qui est parfait.

Il faut lire les brillantes, les justes, les définitives, les magnifiques pages de réfutation consacrées aux Lénine de Gorki et de Wells. Il faut méditer longtemps sur le chapitre qui traite de ce recueil d’écrits d’enfants consacrés à la vie et à la mort de Lénine, en tout point dignes du commentaire, et sur lesquels l’auteur exerce une critique si fine et si désespérée : “ Lénine aimait à pêcher. Par une journée chaude il prenait sa ligne et s’asseyait sur le bord de l’eau, et il pensait tout le temps à la manière dont on pourrait améliorer la vie des ouvriers et des paysans. ”

Vive donc Lénine ! Je salue ici très bas Léon Trotsky, lui qui a pu, sans le secours de bien des illusions qui nous restent et sans peut-être comme nous croire à l’éternité, maintenir pour notre enthousiasme cet invulnérable mot d’ordre :

“ Et si le tocsin retentit en Occident et il retentira , nous pourrons être alors enfoncés jusqu’au cou dans nos calculs, dans nos bilans, dans la N.E.P., mais nous répondrons à l’appel sans hésitation et sans retard : nous sommes révolutionnaires de la tête aux pieds, nous l’avons été, nous le resterons jusqu’au bout. ”

Notes

[1]. La Révolution surréaliste, n° 5, 15 octobre 1925.

A partir de certaines allusions faites ici ou là, on pourrait penser que nous nous sommes appuyés, d’un commun accord, sur un jugement très défavorable sur la révolution russe et l’esprit des hommes qui l’ont dirigée, et ce, si l’on s’abstient de toute critique. vivant à leur sujet, c’était moins par désir d’exercer notre sévérité sur eux que par opinion publique définitivement peu rassurante, heureuse de n’avoir à s’en remettre qu’à une forme originale de libéralisme intellectuel à la hauteur de celles que j’avais déjà connues et tolérées d’une part, un lieu donc il n’y a pas de conséquences, du moins de conséquences immédiates, et d’autre part parce que, à proprement parler, ce fait pourrait être considéré, relativement aux masses, comme susceptible d’exercer un pouvoir de décongestion. Il n’en est pas moins vrai que, pour ma part,Je refuse absolument d’être considéré comme solidaire de tel ou tel de mes amis dans la mesure où ils pensaient pouvoir attaquer le communisme au nom, par exemple, d’un quelconque principe - même celui, en apparence si légitime, de ne pas accepter l’œuvre. Je pense en fait que seul le communisme, existant en tant que système organisé, a permis la plus grande transformation sociale d’avoir lieu dans les conditions de. durée qui lui était propre. Bon ou médiocre, défendable ou non d’un point de vue moral, comment oublier qu’il était l’instrument par lequel les murs de l’ancien bâtiment pouvaient être abattus et qui s’est avéré être le facteur le plus merveilleux pour remplacer un monde par un autre inconnu jusqu’alors ? Pour nous, révolutionnaires, peu importe que le monde antique soit préférable à l’autre, et en fait, le moment n’est pas encore venu pour nous de le juger.Il s’agira au mieux de savoir si la révolution russe est terminée, ce que je ne crois pas. Une révolution de cette ampleur terminée, terminée si vite ? Les nouveaux acteurs seront-ils déjà aussi sujets à caution que les anciens ? Allez, on n’est pas si sceptique qu’on se contente d’une telle idée. S’il y a parmi nous des hommes qu’une telle peur laisse encore hésiter, disons que je m’oppose à ce qu’ils s’approprient, en tout cas, l’esprit général que nous exigeons, esprit qui ne devrait s’appliquer qu’à la réalité révolutionnaire. , nous obligeant à l’atteindre par tous les moyens et à tout prix. Dans ces conditions, Louis Aragon est libre d’informer Drieu La Rochelle, par lettre ouverte, qui n’a jamais crié : Vivafini si vite ? Les nouveaux acteurs seront-ils déjà aussi sujets à caution que les anciens ? Allez, on n’est pas si sceptique qu’on se contente d’une telle idée. S’il y a parmi nous des hommes qu’une telle peur laisse encore hésiter, disons que je m’oppose à ce qu’ils s’approprient, en tout cas, l’esprit général que nous exigeons, esprit qui ne devrait s’appliquer qu’à la réalité révolutionnaire. , nous obligeant à l’atteindre par tous les moyens et à tout prix. Dans ces conditions, Louis Aragon est libre d’informer Drieu La Rochelle, par lettre ouverte, qui n’a jamais crié : Vivafini si vite ? Les nouveaux acteurs seront-ils déjà aussi sujets à caution que les anciens ? Allez, on n’est pas si sceptique qu’on se contente d’une telle idée. S’il y a parmi nous des hommes qu’une telle peur laisse encore hésiter, disons que je m’oppose à ce qu’ils s’approprient, en tout cas, l’esprit général que nous exigeons, esprit qui ne devrait s’appliquer qu’à la réalité révolutionnaire. , nous obligeant à l’atteindre par tous les moyens et à tout prix. Dans ces conditions, Louis Aragon est libre d’informer Drieu La Rochelle, par lettre ouverte, qui n’a jamais crié : Vivapeu, de l’esprit général que nous revendiquons, un esprit qui ne devrait s’appliquer qu’à la réalité révolutionnaire, nous obligeant à y parvenir par tous les moyens et à tout prix. Dans ces conditions, Louis Aragon est libre d’informer Drieu La Rochelle, par lettre ouverte, qui n’a jamais crié : Vivapeu, de l’esprit général que nous revendiquons, un esprit qui ne devrait s’appliquer qu’à la réalité révolutionnaire, nous obligeant à y parvenir par tous les moyens et à tout prix. Dans ces conditions, Louis Aragon est libre d’informer Drieu La Rochelle, par lettre ouverte, qui n’a jamais crié : VivaLénine ! mais qu’« il criera demain, puisqu’il lui est interdit de pleurer » ; Moi aussi, ou chacun d’entre nous, est libre de juger qu’il n’y avait pas de raison suffisante à un tel comportement et que ce sera pour donner de beaux arguments à nos pires détracteurs, qui sont aussi ceux de Lénine , pour leur faire supposer que nous n’avons agi que de manière de défi. Au contraire, vive Lénine ! mais seulement parce que c’est lenín ! Il est facile de comprendre que ce n’est pas un cri qui se perd, mais plutôt une affirmation très véhémente de nos pensées.

Il serait déplaisant, en effet, si, en termes d’exemple humain, on continuait à connoter celui des conventionnels français, et qu’on ne puisse vivre qu’avec exaltation ces deux années, d’ailleurs très belles, après lesquelles tout recommence . Ce n’est pas avec un sentiment poétique, si intéressant qu’il soit, qu’il convient d’aborder une période de révolution très lointaine. Et j’ai peur des cheveux de Robespierreet le bain de Marat confère un prestige inutile aux déias qui, sans elles, ne nous apparaîtraient plus si clairement. La violence mise à part - car c’est précisément cette violence qui a parlé avec le plus d’éloquence pour eux -, il y a toute une facette de leur caractère qui nous échappe ; c’est pourquoi nous l’avons remplacé par la légende. Mais si nous cherchons, comme je le crois, avant tout des moyens insurrectionnels, je me demande, et au-delà de l’émotion qu’ils nous ont indéniablement fait ressentir, je demande, concrètement, pourquoi nous attendons. Il n’en va pas de même des révolutionnaires russes, car nous avons fini par les connaître un peu. Voilà donc les hommes dont nous avons entendu tant de mal et qui nous ont été présentés comme les ennemis de ce qui peut encore nous signifier quelque chose, comme les responsables de quel plus grand désastre pratique que celui dont nous avons été témoins. Puis,libérés de toute réserve politique, ils se présentent à nous dans toute leur humanité ; ils s’adressent à nous, non plus comme des bourreaux impassibles d’une volonté qui ne sera jamais dépassée, mais comme des hommes arrivés au sommet de leur destinée, et qui soudain s’analysent, nous parlent, s’interrogent. Je refuse de décrire nos impressions.

Trotsky rappelle Lénine . Et à tant de troubles, une raison si claire se superpose que c’est comme si une magnifique tempête s’était calmée. Lénine , Trotsky , le simple impact de ces noms va encore une fois secouer bien des têtes. comprendras-tu ? Ne comprendras-tu pas ? Ceux qui ne comprennent pas apprécieront-ils encore quelque chose ? Trotsky leur fournit ironiquement de petits accessoires d’armoire : la lampe de Lénine dans la vieille Iskra, les papiers non signés que j’ai écrits à la première personne et après... bref, tout ce qui permet d’équilibrer aveuglément l’histoire. Je jurerais que rien ne manque de perfection et de grandeur. Ah ! Il est évident que ce ne sont pas les autres hommes d’Etat, contre lesquels les peuples d’Europe se défendent lâchement, qui pourraient être vus sous cet angle !

Car la grande révélation de ce livre, et ce n’est pas trop insister, est le fait que nombre des idées qui nous sont les plus chères et dont nous nous sommes habitués à faire le sens moral particulier que nous pouvons avoir dépendent étroitement , n’influence en rien notre attitude à l’égard du sens essentiel que nous avons décidé d’adopter. Sur le plan moral sur lequel nous avons décidé de nous placer, nous jugeons qu’un Lénine est absolument inattaquable. Et s’ils m’objectent que, selon ce livre, Lénine constitue un modèle et que les modèles ne sont pas des hommes, je demande lequel de nos penseurs barbares aura le courage de soutenir qu’il y a quelque chose ici et là à modifier dans le évaluations faites par Trotsky sur les autres et sur lui-même, et de continuer à vraiment détester cet homme sans être du tout impressionné par son ton de voix, qui est parfait.

Il faut lire les brillantes, les précises, les définitives, les magnifiques pages de réfutation consacrées au Lénine de Gorki et Wells. Il faut méditer longuement sur le chapitre consacré à ce recueil de textes d’enfants sur la vie et la mort de Lénine , à tous points de vue digne d’être commenté, et sur lequel l’auteur exerce une critique si fine et désespérée : " Lénine Il aimait pêcher, et par temps chaud, il prenait sa ligne et s’asseyait au bord de l’eau, pensant tout le temps à la façon dont il pourrait améliorer les conditions de vie des ouvriers et des paysans.

Vive Lénine ! Et ici je salue humblement Léon Trotsky , celui qui a su, sans recourir à bien des illusions qui nous restent et peut-être sans comment nous pouvons croire à l’éternité, de maintenir, pour notre enthousiasme, ce mot d’ordre invulnérable : « Et si nous entendons en Occident le glas - et il sera entendu - nous serons peut-être alors enterrés jusqu’au cou dans nos calculs, dans nos bilans, dans la NEP ., mais nous répondrons à l’appel sans hésiter et sans délai : nous sommes des révolutionnaires de la tête aux pieds, nous l’étions et nous le resterons jusqu’à la fin."

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