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Caïn (Klaus Mann), qu’as-tu fait de ton frère Abel (René Crevel) ?

lundi 13 décembre 2021, par Robert Paris

Caïn

Abel

Ecrits de René Crevel

« Le tournant » de Klaus Mann :

« L’heure est grave. Je me sens grave. Je veux écrire un livre grave, un livre honnête. Un roman peut-il être tout à fait grave, tout à fait honnête ? Peut-être. Mais ce n’est pas ce que je veux écrire, pas maintenant, pas en ce moment. Je suis fatigué de tous les clichés, de tous les trucs littéraires. Je suis fatigué de tous les masques, de tous les arts du déguisement. Est-ce de l’art lui-même que je suis fatigué ? Je ne veux plus mentir. Je ne veux plus jouer. Je veux me confesser. L’heure la plus grave ; c’est l’heure de la confession. »

Nous dirons plutôt qu’avec ce texte, ce sera l’heure de l’aveu…

Caïn (Klaus Mann), qu’as-tu fait de ton frère Abel (René Crevel) ?

ou

Le vrai antifascisme ne peut pas être stalinien

Klaus Mann est considéré par les commentateurs comme un grand écrivain (une grandeur un peu éclipsée par celle de son père Thomas Mann ou de son oncle Heinrich Mann) et un grand démocrate antifasciste, qui n’a pactisé que du bout des lèvres avec le stalinisme, mais seulement par antifascisme.

Erreur complète ! Klaus Mann était un agent de Staline au sein du milieu intellectuel occidental. Et un agent très actif ! En particulier dans son combat contre le trotskisme. Il a été jusqu’à justifier les procès de Moscou, affirmant que sans eux, la Russie n’aurait pas pu combattre Hitler !

Un des épisodes les plus significatifs est la fin de sa relation personnelle (homosexuelle) avec René Crevel (par le prétendu suicide de ce dernier).

Alors qu’il est le compagnon de René Crevel jusqu’à sa mort, Klaus Mann ne tarit pas de critiques vis-à-vis de René, lui reprochant d’avoir choisi le camp du trotskiste André Breton. Pour ne pas relier le décès de René Crevel avec la critique virulente de ce dernier contre le congrès des écrivains antifascistes qui vient de refuser la veille d’entendre les surréalistes au congrès des écrivains antifascistes, Klaus Mann développe la thèse que Breton a pourri la tête de Crevel, qu’il lui a fait assumer des thèses qu’il ne pouvait pas défendre, et assure, en plus, qu’il délirait par paranoïa contre sa mère. Des propos très acides contre un compagnon qui vient de vous quitter par le suicide !

Pourtant, il est de notoriété publique que Crevel était très impliqué dans le congrès des écrivains antifascistes à Paris en 1935 et qu’il a milité pour que les surréalistes y soient invités, qu’il est mort quelques heures après avoir appris qu’ils ne le seraient pas et affirmé qu’il mènerait un combat public pour dénoncer le stalinisme, cause de ce refus.

Cependant, un suicide sans lettre d’explication serait une drôle de manière de mener le combat contre le stalinisme…

Staline accordait une importance considérable à ce congrès des écrivains antifascistes, dont les partis communistes étaient les principaux organisateur et l’alliance des démocraties avec Moscou l’objectif affiché.

Un an avant, en 1934, la réception de Moscou, à laquelle Klaus Mann a été invité, en a pleinement fait la démonstration. En effet, il ne s’agissait pas seulement d’un congrès d’écrivains antifascistes au pays du stalinisme triomphant mais d’un congrès des écrivains soviétiques et Klaus Mann s’est estimé tout à fait à sa place alors que peu d’écrivains occidentaux étaient invités ! Et Staline l’a trouvé parfaitement à sa place dans ce congrès dont Klaus Mann lui-même souligne l’accueil de grand luxe !

Mieux encore, il faut lire les Notes sur la visite à Moscou de Klaus Mann ou ses commentaires beaucoup plus tard, notamment dans « Le tournant ». Nous les citons et ils le méritent car on peut difficilement courber autant l’échine devant la bureaucratie stalinienne !

Curieusement, Klaus Mann, qui parle de René Crevel plus que de tout autre dans son écrit autobiographique « Le tournant », ne dit rien sur l’affrontement mené par Crevel contre les staliniens à propos du congrès des écrivains antifascistes : pas un mot sur la participation refusée des surréalistes, sur le combat de Crevel sur ce point, sur leurs échanges à ce sujet et sur la rupture de Crevel avec les staliniens qui a suivi.

Pas un mot non plus sur les derniers jours et les dernières heures de Crevel. Pourtant, Klaus Mann pourrait être l’un des derniers à l’avoir vu, à lui avoir parlé. Et de quoi ? Il ne le dit pas !

Et pour cause. Il s’est construit un alibi avec des témoins. Il développe celui-ci dans « Le tournant ». Nous le citerons et nous verrons qu’il est passablement embrouillé et facile à démasquer.

Dans ce roman autobiographique (toujours « Le tournant », écrit peu avant sa propre mort), qui, disons-le une fois encore, tourne tout autour de la mort de René Crevel, il se contente d’expliquer que, si Crevel n’avait pas suivi le trotskiste André Breton, il ne serait pas mort… Sans nous dire en quel sens il entend cela ! Ce n’est pas le seul à balancer cette accusation puisque les staliniens, dès le lendemain de la mort de Crevel et dans le congrès des écrivains, ont diffusé la même thèse de la responsabilité prétendue de Breton. En somme, celui que Crevel défendait à corps et à cri jusqu’à la veille de sa mort est accusé par eux de cette mort ! Peu crédible bien sûr mais quel meilleur moyen de détourner les risques de l’accusation inverse !

Qu’est-ce qui peut bien nous faire croire que Klaus Mann serait un crypto-stalinien ou encore ce que l’on a appelé un « compagnon de route » du stalinisme ? Eh bien, tout d’abord, le caractère peu convaincant des arguments qu’il donne pour prouver qu’il ne l’est pas. Il dit en gros (nous donnons plus loin des citations en ce sens dans « Le tournant ») qu’il est plutôt bourgeois, plutôt anticommuniste et antimarxiste comme anti-anarchiste, pas révolutionnaire du tout en somme, et il affirme que, lorsqu’il a été accusé d’être un prostalinien caché, et il reconnait, dans ce texte, l’avoir été, il a protesté sans obtenir de rectificatif des auteurs de ce type d’accusation. Mais il se garde de dire sur quoi ces accusations étaient fondées et comme personne n’en dispose plus…

Bien sûr, cela ne peut suffire comme preuve à charge. On peut imaginer que, comme écrivain antifasciste, il souhaite seulement s’allier avec quiconque combat le nazisme et qu’il estime que Staline est naturellement un ennemi d’Hitler. Les ennemis de mes ennemis ne sont pas nécessairement mes amis, mais de simples alliés de circonstance, dit-il.

N’oublions pas que des écrivains pas du tout communistes, très bourgeois, pas révolutionnaires pour deux sous, ont pointé au guépéou, y avaient leur carte, ont agi à son service et ont reçu de l’argent de cette source. Et d’autres ont obtenu des contrats intéressants des firmes d’édition staliniennes pour avoir accepté d’être des « compagnons de route » du prétendu « communisme », en fait de sa caricature sanglante, le stalinisme.

N’oublions pas aussi que l’antifascisme de Klaus Mann ne suffit pas à expliquer tous les positionnements politiques de Klaus Mann. Car il y a toute la phase de l’alliance entre Moscou et Berlin, entre Staline et Hitler, phase, au minimum, dans laquelle un antifasciste aussi déterminé que le serait apparemment Klaus Mann devait être violemment hostile à Staline, transformé d’un coup de baguette magique d’anti-Hitler de base en pro-Hitler de fond !

Eh bien ? Quelle a pu être la position de Klaus Mann dans une telle situation ? Dénonce-t-il la volte-face de Staline ? Réprouve-t-il son soutien et sa participation à l’envahissement nazi de la Pologne ?

La réponse est NON !

Il accuse le camp des « démocraties » d’avoir contraint Staline à s’allier avec Hitler, tout en le regrettant bien sûr !

Il rend « les démocraties » responsables de ce revirement de Staline en affirmant qu’en est cause le refus des démocraties d’une alliance durable avec Staline contre Hitler. Il dit qu’il comprend la position de Staline et qu’elle se comprend politiquement et même psychologiquement.

A part les staliniens reconnus et les crypto-staliniens, aucun écrivain n’a pris une telle position à l’époque et nombre de staliniens de l’époque ont alors cessé de soutenir Staline, alors allié d’Hitler et lui ayant permis de lancer la guerre mondiale.

Pas Klaus Mann. Il regrette l’alliance mais n’y voit nullement une raison de retirer son soutien au projet d’alliance des démocraties et du stalinisme.

Si bien que, des années après, en 1949 dans « Le tournant », il affirme toujours qu’il a eu la position juste : Staline ne devrait pas être accusé du pacte germano-soviétique, et que ce sont les démocraties qui en sont responsables ! On lira dans la suite dans quels termes il dit cela et c’est édifiant…

Mais, nous dira-t-on peut-être, il milite avant et après le pacte germano-soviétique, pour une alliance militaire russo-américaine et pour une guerre contre Hitler. Oui, mais tous les militants staliniens font de même car ce sont les ordres de Moscou. Tous sont de très bons soutiens des impérialismes anglais et américain, même s’ils sont militants du parti communiste ou sont au guépéou.

Par contre, durant l’alliance entre stalinisme et nazisme, il cesse ce type d’activisme. Il prétendra plus tard que c’est parce qu’il était consterné par le pacte germano-soviétique, mais pas si consterné que cela puisqu’il le trouvait tout à fait logique et même juste.

Vous ne trouvez pas tout cela plus que bizarre de la part de quelqu’un qui affirme que l’anti-nazisme est le seul fil conducteur permanent de sa vie à partir des années trente ?!!

Tout comme est très bizarre de la part d’un écrivain qui serait un démocrate seulement allié à Staline par haine du nazisme d’avoir défendu en détails les positions de Staline sur l’alliance provisoire entre démocraties occidentales et Russie.

En affirmant aussi que Crevel aurait succombé, victime du trotskiste André Breton, Klaus Mann commet un aveu clair et net de stalinisme. Ce sont les staliniens qui ont diffusé, dès l’annonce de sa mort, ce bobard pour se couvrir.

Jusqu’à la veille du congrès des écrivains antifascistes, Crevel n’a cessé de défendre Breton avec becs et ongles et ce serait à cause de Breton qu’il serait mort ? Par contre, le stalinisme comptait largement sur le congrès des écrivains antifascistes pour lancer son front unique en direction des démocraties capitalistes et Crevel, co-organisateur du congrès, en dénonçant de la tribune du congrès l’arrestation de Victor Serge, comme il avait annoncé publiquement compter le faire aux côtés de Breton, lançait un pavé dans la mare des manœuvres staliniennes.

Certes, Crevel n’est pas un militant politique aussi engagé et conscient que Breton mais il commence à s’engager clairement en politique face au nazisme et au stalinisme. Ses prises de position sont claires, même s’il a gardé des amitiés personnelles nombreuses au parti communiste français devenu parti stalinien.

Ce sont ces anciennes amitiés staliniennes qui vont sans doute ouvrir la porte à ceux qui ont pu l’éliminer.

Bien sûr, on connait la thèse que ceux-ci ont diffusé, après avoir dit que c’est Breton qui était responsable de sa mort ainsi que les surréalistes : ils ont prétendu qu’il avait trop pris à cœur la défense de la participation de Breton au congrès et était sévèrement déçu de l’échec et que cela venait en même temps (le même jour) qu’une rechute de sa maladie pulmonaire. Quel hasard ! Et que les deux avaient mené à son suicide. La ficelle est assez grosse pour passer pour vraie. Sauf que Crevel, la veille, menait le combat et n’avait pas l’intention de s’en tenir là ni de se laisser évincer d’un congrès qu’il avait coorganisé et coprésidé et qu’il comptait faire du foin publiquement. Cela ne colle pas du tout avec le poète désespéré qui n’a plus rien à attendre de la vie !

Cynique, dépensier, toujours à court d’argent, viveur et noceur, à la recherche de drogues, d’alcool et d’amants, Klaus Mann était une proie facile pour les recruteurs du guépéou qui recherchaient des cautions « culturelles » et démocratiques bourgeoises parmi les intellectuels européens.

Pour être édifié sur la part prise par Klaus Mann dans l’élimination de Crevel qui gênait les plans de Staline pour cautionner sa politique de mainmise sur la gauche et de politique de front populaire, il faut surtout lire Klaus Mann lui-même dans « Le tournant », dont voici quelques extraits. Nos citations suivent l’ordre de succession de l’ouvrage.

Voyons en effet que Klaus Mann n’a rien d’un communiste, rien d’un révolutionnaire, rien d’un marxiste, rien d’un soviétique, rien d’un militant. S’il est officiellement l’un des rares invités au congrès des écrivains soviétiques de 1934 à Moscou, alors que tous les autres invités sont soit des communistes staliniens, soit des crypto staliniens, c’est qu’il est un plumitif petit-bourgeois appointé pour des tâches politico-culturelles par le guépéou. Cela prouve seulement qu’être non-communiste et même anticommuniste était plutôt une garantie qu’une gène dans « ce travail » de sape stalinienne des révolutionnaires trotskistes auprès des milieux intellectuels. Qu’un anticommuniste aussi affiché soit invité au congrès des écrivains soviétiques à Moscou est, paradoxalement, une preuve certaine de crypto-stalinisme.

Klaus Mann a vécu une révolution communiste de son vivant, celle de Munich en 1919 et on va voir qu’il ne la décrit pas avec sympathie. On ne peut lui reprocher de ne pas l’avoir comprise à l’époque, car il était très jeune. Mais ce que nous rapportons n’est pas écrit en 1919 mais en 1949 :

« Le fébrile intermède de la dictature communiste en Bavière fut une conséquence directe du meurtre d’Eisner. Dans mon souvenir cette éphémère « République des conseils » devient une farce désordonnée. Un tohu-bohu tapageur et voyant d’affiches criardes, de pierres qu’on jette, de gens qui se rassemblent, de tribunes improvisées, de drapeaux rouges et de camions découverts, pleins de crânes personnages avec des brassards rouges. La chose tout entière avait un arrière-goût de sauvage « rigolade » (pour employer une expression munichoise, qui semble ici particulièrement bien venue), quelque chose de pas sérieux, de carnavalesque. Certes, ce carnaval excessif n’allait pas tout à fait sans terreur ; tous les bourgeois respectables tombèrent dans un état de panique hystérique. On se racontait d’horribles histoires de banques pillées, de femmes violées et d’enfants maltraités… Nos voisins étaient encore tous, sans exception, en parfaite santé malgré la façon abominable dont ils avaient été traités par les spartakistes. »

Ce qu’écrit Klaus Mann sur René Crevel :

« Ce fut pendant ce beau, ce riche printemps, que je rencontrai le jeune poète français René Crevel… Son charme foudroyant – il était peut-être, en effet, l’homme le plus doté de charme que j’aie jamais connu – comportait un élément tragique et sauvage, une sorte d’emportement désespéré, qui venait du cœur même de son être et se communiquait à tous ses gestes, ses paroles et ses regards. Ses yeux étaient quelque chose d’indescriptible – de vastes étoiles emplies de lumière, élargies comme par une panique constante ou par un ravissement sans fin. De tels yeux ne se rencontrent plus guère à notre époque rétrécie… Il était amical et généreux, mais il pouvait aussi devenir agressif et même cruel. Son intégrité fanatique se révoltait contre tout ce qui était bas et vulgaire… J’étais parfois troublé et même horrifié par la rigueur de ses jugements, la véhémence de ses réactions… Comme ils sont présents à ma mémoire, les après-midi et les longues soirées que nous avons passées ensemble ! »

On a compris que Klaus est tombé amoureux de René et inversement. Ils étaient homosexuels tous les deux.

« Le roman dont il me lisait des passages en ce temps-là s’appelle « La mort difficile »… Ainsi, sa mort germait en lui, sa mort difficile. Elle grandissait au plus intime de son être organique et psychique, semblable à un fruit mortel qui veut mûrir, et quand il sera mûr et tendre, il s’ouvrira, pour submerger et anéantir, du flot de sa sève couleur pourpre, le cœur fragile qui l’a nourri. »

Il en vient vite à dénoncer l’influence d’André Breton, le chef de file du surréalisme en France et aussi le militant communiste passé au trotskisme.

« Etait-ce bon pour René, que d’accepter avec tant de zèle et de ferveur l’influence de Breton, de s’y soumettre si totalement ? Si on l’aimait – et je l’aimais – on ne pouvait que s’en inquiéter pour lui. Le surréalisme, en tant que doctrine esthétique et psychologique, et les surréalistes, en tant que confrérie de conjurés belliqueux (Note : on remarquera toute la haine pour les surréalistes, alors que Klaus Mann parvient à dire un mot gentil de quasiment tous les auteurs auxquels il fait allusion !), avaient assurément bien des choses à offrir : de l’esprit, une inspiration, les attraits d’un art encore nouveau, un jargon lyrique et pseudo-scientifique qui n’avait jusque-là jamais existé sous cette forme, avec des accents aussi provocants. Le marquis de Sade et l’Apocalypse, Marx et Rimbaud, Lénine et Freud, la paranoïa et le champ de foire, - qui jette dans la même marmite des ingrédients aussi incompatibles et les mélange pour en faire un cocktail aura bien certainement une mixture assez piquante à vous servir. L’effet du breuvage sera peut-être stimulant. Mais pourra-t-il apaiser la soif d’un garçon à la jeunesse inquiète, profondément troublée, et qui s’efforce avec ferveur, d’accomplir sa tâche ?

Mon ami René Crevel, à la recherche d’un chemin, s’en remettrait, pour le guider, à un esprit de farfadet, paradoxal, insolent et despotique. Ce jeune être aux dons merveilleux, perdu dans notre époque stupidement vulgaire, étrangère et hostile à la jeunesse et à l’esprit, se sentait si isolé, si désemparé et si tourmenté, qu’il lui fallait se raccrocher à n’importe quel programme, à n’importe quel dogme. »

Note : curieusement, quand Crevel était attaché au mouvement communiste, Klaus Mann n’en dit rien, ne dit pas que c’était n’importe quel programme, quand il militait pour les écrivains antifascistes, il ne critique pas Crevel, ne le dit pas isolé, etc…

C’est avec Breton et le mouvement surréaliste que Crevel avait adhéré au parti communiste. C’est avec lui et le mouvement surréaliste qu’il a choisi le trotskisme. Klaus Mann, en ne dénonçant que le mouvement surréaliste (et derrière lui le trotskisme comme on le verra plus loin) et pas le mouvement communiste devenu stalinien. C’est même en soutien au mouvement stalinien que Klaus Mann dénonce le parti pris pro-Breton (et pro-Trotsky).

Reprenons les citations :

« Mais n’était-ce pas un programme confus et nihiliste, une farce d’étudiants qui s’était figée en dogme ? Les iconoclastes surréalistes, sous l’amusant petit drapeau desquels il s’enrôla, avaient-ils une idée claire de leur direction et de leur but ? »

Note : n’oublions pas que celui qui écrit ne cesse de dire dans le même ouvrage qu’il n’a aucune idée claire de sa direction et de ses buts. Au nom de qui écrit-il ainsi, sinon des gens qui prétendent avoir « une idée claire de leur direction et de leur but » à savoir le courant stalinien !

Retour à Klaus Mann dans « Le tournant » :

« Ils se divertissaient à ridiculiser, comme des gamins, les normes de l’éthique et de l’esthétique des époques révolues. Au diable la morale chrétienne, celle du Siècle des Lumières, celle de la Révolution française ! Foin du culte ennuyeux de la beauté, célébré par l’Antiquité et la Renaissance ! A la poubelle, la Vénus de Milo ! A sa place, nous adorons à présent une nouvelle déesse, une Vénus à queue de poisson, avec des yeux remplis de poux, et un piano en guise de poitrine. Et c’est ainsi que l’on a jeté par-dessus bord, dans une grande envolée révolutionnaire, tous les clichés du passé, pour tomber finalement dans un nouveau cliché qui ne se distingue des premiers que par sa laideur… »

Ce n’est pas de la critique littéraire, cette fois, c’est de la haine pure. Comme Klaus Mann n’est pas accoutumé en matière de critique littéraire, ce qui est finalement sa spécialité plus encore que le roman et le théâtre, à agonir d’injures les gens qu’ils critique, on voit que c’est un traitement particulier réservé aux artistes qui ont voulu se ranger dans le camp du trotskisme.

Revenons à Klaus Mann :

« Pauvre René ! Espérait-il donc être guidé, réconforté, par des anarchistes qui se laissaient si facilement duper par une orthodoxie nouvelle, par des briseurs d’images qui recommençaient déjà à tomber à genoux devant de nouvelles idoles ? »

Note : Klaus Mann ne précisant pas de quelle nouvelle idole il s’agit, on comprend que c’est à l’idole des surréalistes que Klaus Mann en a et elle a un nom même s’il se garde de citer ce nom, à savoir Léon Trotsky !

Il revient maintenant à ce pauvre imbécile de René mené par le bout du nez par des crétins, tellement idiot et fou qu’il avait été choisi pour coprésider le congrès des écrivains antifascistes de Paris en 1935, juste au moment où Klaus Mann le décrit ainsi, mais qui avait eu la malencontreuse idée d’y défendre l’Opposition trotskiste de Russie et notamment Victor Serge alors emprisonné par le stalinisme triomphant en Russie. Klaus Mann va maintenant essayer de faire passer Crevel pour un suicidaire et expliquer ainsi son déraillement trotskiste.

« Mais peut-être était-ce, justement, ce culte de la névrose, cette glorification provocante de l’extravagance, qui attirait mon ami. En se réclamant d’une philosophie du non-sens et de la déraison, il pensait sans doute combattre la véritable folie, la folie qui nous entoure, et celle aussi dont il se croyait menacé lui-même dans son esprit et sa raison. »

« Car il avait peur. Peur des potentialités destructrices, catastrophiques, d’une société désorientée et privée de dieux, peur de son propre Moi, de l’identité fragile qu’il avait hérité de parents détestés. »

Klaus Mann reprend là des descriptions longues et peu intéressantes des relations familiales de Crevel pour nous expliquer que René n’était qu’un enfant perdu par ses relations familiales scabreuses et haïssant violemment et injustement les siens. Comment Klaus Mann avait-il pu aimer un tel crétin ? Aveuglement de l’amour ?

« Etait-ce lui qui était fou, ou étaient-ce les autres hommes, ses contemporains, était-ce notre monde, notre époque ? »

Il va appeler maintenant notre ami René Crevel par le surnom pour le moins moqueur « Vagualame », surtout de la part de quelqu’un qui avait dit partager avec René son « vague à l’âme » :

« -Rien que des idiots et des criminels, constatait le clairvoyant Vagualame, avec une gaieté méchante. »

Mais, au fait, après ses inimités surréalistes ou trotskistes, que dit Klaus Mann de ses amitiés staliniennes dans « Le tournant » ? Tout d’abord, il s’en défend et affirme que ce sont des accusations gratuites et mensongères dénuées de toute preuve. Voici ce qu’il dit de ceux qui l’ont accusé de crypto-stalinisme et qui étaient ses anciens amis :

« Je les aimais tous beaucoup, même ceux qui, plus tard, devaient m’attaquer par derrière avec une bassesse surprenante, Leopold Schwarzschild, par exemple : j’avais de l’affection pour lui, sa cocasse petite personne me plaisait, j’admirais son style. Comme il était brillant, en ces premières années d’exil, de combat ! Une juste haine – mais oui, il haïssait les nazis – donnait des ailes à sa prose, le rendait spirituel, imaginatif, éloquent. Chaque semaine, il faisait paraître dans sa revue « das Neue Tagebuch » de fulminantes accusations, des commentaires et des analyses politiques d’une subtilité extraordinaire. Le journal de Schwarzschild jouait sans aucun doute à cette époque un rôle d’importance vitale ; aucun autre organe de presse de l’Emigration allemande n’était pris aussi au sérieux au niveau international ; aucun autre ne fit autant pour éclairer le monde sur la vraie nature et les effroyables potentialités du national-socialisme. J’étais fier de faire partie des collaborateurs du Neues Tagebuch.

De 1933 à 1937 ou 38, j’ai dû y faire publier plusieurs douzaines d’articles et de notes. Et puis, tout à coup, en 1939, on put lire dans ce même Neues Tagebuch les choses les plus folles à mon sujet.

Schwarschild avait le front de parler de moi publiquement comme d’un « agent soviétique de longue date ». Je lui écrivis de New York : « Avez-vous perdu l’esprit ? Vous savez bien que c’est faux. Vous devez démentir ! » Il ne songeait pas à démentir. A quoi cela aurait mené ? Je n’étais pas le seul qu’il eut calomnié. Tout un numéro spécial de cet hebdomadaire tant apprécié plein de rectifications et de rétractations. C’eut été d’un effet des plus déplorables. Mieux valait s’en tenir au mensonge insolent…

Remarquons que Klaus Mann ne donne absolument pas un compte-rendu politique sérieux de la divergence avec Scwarzschild. Ce dernier ne dénonce pas seulement Klaus comme agent du Kremlin mais toute l’opération soi-disant antifasciste qui couvre le stalinisme. Il déclare que le stalinisme ne vaut pas plus cher que le fascisme. Cela n’a rien d’une simple erreur de nom, d’une accusation gratuite. C’est la dénonciation de toute la politique qui fait le fond de commerce de Klaus Mann et qui est aussi celle de Staline dans les années du « front antifasciste ».

Klaus Mann poursuit :

« Et ce ne fut pas seulement le cas de Schwarzschild… »

Note : mais Klaus Mann s’arrête là dans l’énumération de ses anciens amis qui ont dénoncé son passage au service du stalinisme. Et il arrête aussi son explication sur le prétendu revirement de Schwarzschild. Il ne donne aucune autre explication sur ces accusations, leur caractère fondé ou infondé. Juste sa prétendue lettre demandant une rétractation !

Par contre, Klaus Mann s’étend sur le fait qu’il n’est pas, philosophiquement parlant, un communiste plus que sur celui qu’il ne serait pas, politiquement parlant, un agent du Kremlin, ce qui n’est pas forcément contradictoire, les membres intellectuels cachés du guépéou, payés pour jouer un rôle d’influenceurs d’opinion comme Hemingway, n’ayant nul besoin d’être des communistes et pouvant parfaitement être des bourgeois réactionnaires contre-révolutionnaires.

« Je ne suis pas communiste. Je ne l’ai jamais été. Je ne suis pas non plus marxiste. Je crois que les marxistes commettent beaucoup d’erreurs dans un grand nombre de domaines, des erreurs d’ordre moral, philosophique, psychologique et politique. Mais je ne crois pas que le marxisme orthodoxe soit le danger de ce siècle… »

Note : dans « marxisme orthodoxe », Klaus Mann entend parler du stalinisme ! Il affirme que Moscou est moins dangereux que Berlin.

Reprenons « Le tournant » de Klaus Mann :

« Mais je ne crois pas que le marxisme orthodoxe soit le danger de ce siècle, c’est le fascisme qui inocula aux masses facilement exaltées le poison de la folie des grandeurs raciste et nationaliste. »

« La fin justifie-t-elle les moyens ? A cette question, le moraliste absolu répondra « non » et il devra refuser la dictature du prolétariat. Mais pas de façon aussi inconditionnelle que la dictature fasciste qui est mauvaise non seulement dans ses moyens mais aussi dans ses buts, dans son programme, bref dans son essence la plus profonde ! »

Concluez à la place de Klaus Mann : le stalinisme est mauvais dans ses moyens, mais bon ou assez bon dans ses buts, dans son programme, sans son essence la plus profonde !

Vous noterez que c’est « le moraliste absolu » qui a condamné Moscou et le Kremlin, sans les nommer, et pas Klaus Mann qui passe des pages à expliquer qu’il n’a jamais trouvé de morale à défendre !

L’amoraliste peut bien se faire embaucher par la grande entreprise du Kremlin, en pensant que son patron n’est pas parfait mais que c’est son patron et qu’il paie bien ! Et comme ce patron a besoin qu’il joue le rôle de couverture démocratique intellectuelle d’une alliance avec les démocraties occidentales, il doit nier être pro-communiste, cela fait partie de son contrat d’embauche et d’ailleurs il n’est effectivement non un communiste mais un plumitif d’un stalinisme anti-communiste viscéral.

Reprenons la lecture de Klaus Mann, écrivant non pas dans les années 1930 mais en 1949, à la fin de sa vie comme dans un testament qui lui servira d’explication personnelle et de justification pour la postérité :

« Le danger, c’est le fascisme – aujourd’hui comme au temps des premiers triomphes d’Hitler. »

Note : c’est plutôt étonnant comme déclaration ce « aujourd’hui comme au temps des premiers triomphes d’Hitler » car, en 1949, Hitler est battu depuis longtemps et Klaus Mann continue de prôner l’alliance entre Russie stalinienne et Occident « démocratique » !

Et là, il en vient à la raison de ces explications embarrassées :

« Je fais ces remarques ici pour rendre compréhensibles les motifs qui me poussèrent à accepter, en juillet 1934, une invitation à Moscou. Je fus convié à prendre part au Premier Congrès des Ecrivains soviétiques, quoique je ne fusse pas communiste, ou justement pour cette cause ; la ligne officielle (de Moscou) était alors en faveur du « front commun », et la présence d’éléments de la « bourgeoisie de gauche » (au nombre desquels on me comptait) devait donc sembler opportune aux organisateurs. »

Note : examinons ce début d’explication. Klaus Mann est donc approché par Moscou en tant qu’élément de la bourgeoisie de gauche pour commencer à cautionner son opération de rapprochement avec les impérialismes occidentaux. Cela est exact. Et Klaus se fait passer ici pour un adversaire résolu d’Hitler qui accepte le premier ce pacte. Au fait, si on comptait Klaus Mann au nombre des éléments de la bourgeoisie de gauche, il omet de citer quels étaient les autres éléments de ce type et quelles étaient leurs motivations, à part de se faire publier par des éditions cachées et financées par Moscou et de toucher ainsi de copieuses récompenses pour une coopération intellectuelle et politique ? C’est de l’antifascisme qui rapporte. Moscou était alors la seule capitale à financer des intellectuels antifascistes !

Klaus Mann se garde de nous donner les détails, lui qui le fait pourtant systématiquement sur des sujets moins importants. Qui l’a contacté, qui l’a invité, avec quelles garanties, en le finançant de quelle manière, etc, etc…

Il est certain que « le fils du prix Nobel de littérature Thomas Mann et neveu de Heinrich Mann pro-stalinien », cautionnant Staline, père de la Littérature pouvait être une belle affiche…

Klaus Mann emmenait dans ses valises une grande bourgeoise suissesse complètement apolitique, qui ne savait même pas de quoi il s’agissait, pour crédibiliser la naïveté de son opération politico-intellectuelle.

Mais voyons ce compte-rendu de visite de Klaus Mann à Moscou, en plein stalinisme triomphant qui est en train d’arrêter, de déporter, de torturer et d’assassiner des centaines de milliers d’anciens révolutionnaires bolcheviks, ouvriers comme intellectuels du parti ! »

« Ce fut une cérémonie étonnante, une manifestation de grand style, presque une fête populaire, que ce gala, ordonné avec faste, où se rencontrèrent les poètes et les critiques soviétiques. La mise en scène n’était pas la seule à faire impression ; elle n’aurait guère pu être aussi efficace sans la foi, la ferveur des orateurs et des auditeurs. De toute évidence, la littérature était dans ce pays une chose à laquelle ne s’intéressaient pas seulement quelques milliers d’initiés ; les masses prêtaient attention aux travaux et aux problèmes des écrivains. »

Et il poursuit ainsi cet éloge dithyrambique et comique par son copiage de la propagande stalinienne de l’époque :

« Les ouvriers, les paysans, les soldats et les marins, largement représentés à chaque séance, se montraient désireux de s’instruire et enthousiastes mais en même temps exigeants. Ils se mêlaient à la discussion, posaient des questions, formulaient des griefs. Pourquoi n’y avait-il pas encore de roman sur l’industrie métallurgique ? D’où venait qu’on n’écrivit plus de comédies qui fissent vraiment rire ? Une paysanne passait commande de ballades patriotiques pour ses enfants. Une jeune receveuse de tramway voulait trouver plus de choses à lire sur l’amour « tel qu’il est vraiment ». »

Klaus Mann omet de dire qu’au travers des déclarations d’ouvriers exigeants vis-à-vis des intellectuels et de travailleurs réclamant qu’on parle de l’industrie dans les romans, à ce Congrès il a participé au lancement par le stalinisme de l’obligation pour la littérature de se soumettre au « réalisme socialiste » qui représentait en fait la mise au pas de la littérature en Russie !!!

Et Klaus Mann poursuit :

« L’écrivain en Union soviétique (je veux dire l’écrivain officiellement reconnu, politiquement « irréprochable » !) est une « figure nationale » à un degré beaucoup plus élevé que son confrère de n’importe quel autre pays occidental. Il était vraiment touchant et encourageant d’être témoin de l’enthousiasme spontané avec lequel Maxime Gorki était salué et fêté par les masses. Pas un politicien, pas un général, pas un athlète ou un mime, personne, en dehors du Petit Père Staline lui-même, n’était aussi populaire que l’homme qui avait écrit « Les Bas-fonds » et « La mère ». »

On appréciera la note de Klaus Mann sur l’écrivain officiellement reconnu de la part d’un auteur qui a toujours proclamé être satisfait de n’être pas reconnu comme écrivain par un pouvoir quelconque.

« Fêté par les masses », nous dit d’autre part Klaus Mann, qui se contente de voir à Moscou ce qu’on veut bien lui faire voir et se permet d’émettre des jugements sur des bases aussi trafiquées !!!

Klaus Mann explique tout au long du même ouvrage qu’il déteste l’art d’Etat, qu’il est bien content, dans les pays démocratiques, de n’avoir jamais été un artiste d’Etat. Il explique également qu’il déteste suivre « les masses », s’occuper de ce que dictent « les masses » et le voilà, en Russie stalinienne, glorifier ce que dictent prétendument les masses, en réalité la bureaucratie ignare et parasite !!

D’autres remarques font penser qu’il écrit sous la dictée de la bureaucratie. Ainsi, il décrit « Boukharine, pédant mais extrêmement intelligent et dévoué » ou Karl Radek « cet intrigant à barbe rousse, ce jongleur intellectuel ». D’où tire-t-il un tel jugement rapide, de sa participation au congrès ? De conversations particulières avec ces grands personnages, il ne parle pas. Donc, c’est la thèse officielle, celle de Staline, qu’il décline tout simplement, sur les anciens révolutionnaires Boukharine et Radek, devenus otages du stalinisme !

On remarquera l’expression qu’il emploie sur Staline : « le Petit Père Staline » comme ce dernier a demandé lui-même qu’on l’appelle…

Klaus Mann cite de très nombreux écrivains présents qui étaient ouvertement dans la mouvance stalinienne. Il cite des cas d’écrivains considérés comme très proches ou seulement un peu proches mais aucun nom d’écrivain pas du tout lié au stalinisme ou au communisme, comme lui prétend l’être.

« Theodor Plievier, Gustav Regler, Andersen-Nexö représentaient le dogme marxiste-léniniste-stalinien sous sa forme la plus pure et la plus rigide. Ernst Toller, dont le discours révolutionnaire comportait un climat émotionnel et humanitaire décisif, inclinait à des déviations dont les orthodoxes de stricte observance fustigeaient le « sentimentalisme petit-bourgeois ». Johannes R. Becher, relativement tolérant, et Egon Erwin Kisch, homme du monde plein d’humour, servaient d’intermédiaires entre les orthodoxes et les « idéologiquement peu sûrs » au nombre desquels il fallait me compter aussi. »

Ces « idéologiquement peu sûrs », dont il ne cite aucun nom, étaient sans doute suffisamment politiquement et personnellement sûrs et bien attachés à l’appareil stalinien sans quoi on ne les aurait pas invités !!!

Klaus Mann donne son impression sur la société russe qu’il dit avoir été autorisé à un peu visiter :

« Je vis autant et aussi peu de choses de la vie en Russie soviétique que nos guides nous en laissèrent voir…

« Beaucoup de choses étaient propres à accroitre mon respect pour le régime soviétique… Ma visite à Moscou fut importante et instructive pour moi dans la mesure où elle représentait un contact avec une sphère étrangère mais non pas hostile. L’idée que le marxisme orthodoxe se faisait de la culture n’était pas la mienne (Note : cela ne lui était pas du tout demandé puisqu’il était chargé d’un autre rôle, le lien entre stalinisme et intellectuels bourgeois démocrates, le front unique), mais elle ne lui était pourtant pas aussi opposée que la barbarie fasciste…

« Je croyais qu’une collaboration était possible et souhaitable entre l’Est et l’Ouest, entre la démocratie et le socialisme… Je croyais qu’un front unique de tous les intellectuels progressistes et antifascistes était possible et souhaitable. »

Note : là, il ne fait que reprendre la thèse stalinienne de l’époque qui visait à cette entente Est-Ouest sous couvert de front unique contre le fascisme !

Klaus Mann en vient maintenant au suicide de « mon ami » René Crevel.

« Je suis dégoûté de tout »… Mon ami René Crevel écrivit ces mots terribles sur un morceau de papier avant d’ouvrir le robinet de gaz et d’avaler, pour plus de sûreté, une forte dose de phanodorm. Cela se passe pendant l’été de l’année 1935… Je m’en souviendrai toujours… Je pense à René. Je me souviens de lui. C’est en souvenir de lui que j’écris ces lignes. »

Donc « Le tournant » est bel et bien centré sur la mort de René Crevel, pour se justifier, peu avant sa propre mort par suicide, des choix faits par Klaus Mann…. pour le stalinisme et… contre Trotsky, Breton et… Crevel…

« René avait un cœur pur. Ses yeux étaient très beaux, larges, ouverts, d’une couleur étrange et indéfinissable. Il parlait très vite et sa bouche un peu trop grosse, maladroite, avait une douceur enfantine. Il croyait haïr ses parents, surtout sa respectable et correcte maman. Lui n’était pas correct. Il haïssait la bêtise et le mal. Il se plaignait de la bassesse quoiqu’il sût bien qu’elle est la plus forte – « quoi qu’on en dise ».

La puissance ne l’impressionnait pas. C’était un rebelle.

Le rebelle trouva un maître : André Breton, chef de file de la clique surréaliste. »

Notons l’expression « clique » pour décrire un courant artistique et rappelons que Klaus Mann nous a habitués à juger très peu sévèrement les courants artistiques et témoigne ici d’une véritable haine violente.

« Le surréalisme ne rendit pas heureux le rebelle orgueilleux ; la doctrine confuse du « Maître » ne pouvait le satisfaire pour longtemps. »

Tiens donc ! Klaus Mann sait que Crevel ne pourrait pas continuer à vivre s’il continuait à soutenir Breton…

Voyons donc pourquoi :

« Durant ses dernières années, mon ami fut à peu près aussi proche des communistes que des surréalistes (Note : Klaus Mann appelle toujours ainsi les staliniens et n’appelle jamais communistes les trotskistes ! Il ne fait ainsi que reprendre la terminologie des staliniens eux-mêmes.)

« Ou plutôt il se tenait entre ces deux camps qui se livraient l’un et l’autre un combat acharné. »

Note : ce n’est que le camp stalinien qui appuyait ce combat par des assassinats ciblés de militants et dirigeants de l’autre camp ! Dans un des camp, celui des staliniens, il y avait toute la force de frappe d’un Etat avec ses services spéciaux, ses services secrets, ses assassins patentés, ses écrivains achetés, ses maisons d’édition, et son argent en masse pour cette tâche considérée comme numéro un par le régime : éliminer les trotskistes.

« Quelques uns des partisans de Breton et des amis de René – surtout Louis Aragon et Paul Eluard – étaient déjà passés du côté des staliniens. René, loyal, hésitait encore. Quoiqu’il en soit, en 1935, il en était arrivé à mettre son nom et son énergie à la disposition d’organisations dirigées par les communistes. »

Klaus Mann parle ici de ce congrès des écrivains antifasciste qui était entièrement manipulé par les staliniens et que René Crevel avait cependant co-organisé parce qu’il estimait pouvoir y défendre ses idées. Erreur fatale : les staliniens ne l’acceptaient qu’à condition qu’il se soumette. Et il ne l’a pas fait, jusqu’à sa mort, il a annoncé qu’il défendrait publiquement la participation de Breton et des surréalistes au congrès, ce qui signifiait y défendre Trotsky et les révolutionnaires russes contre la bureaucratie stalinienne, et casser le mythe démocratique, progressiste et antifasciste d’une alliance entre démocratie et stalinisme. Il en est mort, il faut le dire clairement ! Staline ne pouvait pas laisser un jeune naïf casser sa machine de guerre qu’était le congrès des écrivains antifascistes et la retourner contre lui. Dès lors, René ne pouvait plus rester vivant pour les staliniens. Klaus Mann s’était trop engagé auprès de Staline en l’assurant que René finirait par être gagné au soutien « antifasciste » du stalinisme. Il ne lui restait plus qu’à en tirer les conséquences et à payer sa responsabilité d’un tel échec grave… Cela passait par la suppression physique de son meilleur ami.

« Le Congrès des Ecrivains « contre la guerre et le fascisme », qui tenait ses assises cet été-là à Paris, était une entreprise inspirée sans équivoque par le Parti, quoiqu’il y eût aussi des libéraux parmi les participants. »

Note : il faut faire ici plusieurs remarques. Klaus appelle le parti communiste français PCF « le Parti » avec un grand « P », ce que seuls les militants communistes font. D’autre part, remarquons que la dénomination du congrès que Klaus Mann a aidé René Crevel à organiser s’appelle notamment « contre la guerre ». Or, dans « Le tournant », Mann explique qu’il a soutenu l’alliance avec la Russie stalinienne pour aller vers une guerre contre le nazisme qui unirait Est et Ouest ! Une des deux assertions est nécessairement mensongère.

Voyons pourquoi le problème de la prise de position de René Crevel pour Breton et Trotsky devenait une question mortelle :

« René ne devait pas seulement y paraître en tant qu’orateur, il faisait aussi partie du comité organisateur avec André Malraux, André Gide et d’autres, que l’on considérait alors comme des piliers du communisme français. Il n’en allait pas de même d’André Breton qui était « contre » les écrivains qui manifestaient, sinon vraiment « pour » la guerre et le fascisme. »

On remarquera combien la phrase précédente est d’une confusion calculée : on ne comprend pas la signification de l’accusation contre Breton. Il serait contre les écrivains qui étaient pour. Mais contre quoi et pour quoi ? Sinon contre le stalinisme et les écrivains qui étaient pour, pour remettre en clair l’accusation de Breton par Klaus Mann !

Ce dernier va maintenant raconter à sa manière fallacieuse et mensongère comment les staliniens ont construit un prétexte pour exclure Breton du congrès des écrivains antifascistes et du même coup tous les surréalistes, les écrivains trotskistes étaient d’office exclus. L’un des organisateur, plumitif russe de la bureaucratie stalinienne, Ilya Ehrenbourg a organisé cette petite provocation : insultant directement et publiquement Breton, il s’est reçu une gifle de ce dernier. Dès lors, les staliniens étant les vrais décideurs du congrès excluaient Breton.

Voyons ce que ces faits deviennent sous la plume de Klaus Mann :

« Breton n’était pas non plus « tellement » pacifique qu’il évitât une bonne bagarre ! On en arriva à un affrontement dramatique entre le chef de file des surréalistes et un représentant du Kremlin, le camarade Ilya Ehrenbourg, et les deux parties en sortirent le nez en sang ; tout Paris ri de la farce. »

Mais qui avait organisé « la farce » de la bagarre et qui visait-elle ? Le résultat le disait : le prétexte de l’incident permettait d’exclure du congrès Breton et les surréalistes sans perdre la participation des écrivains démocrates modérés non révolutionnaires ou proches du parti communiste sans vraiment y adhérer.

C’est là que la position prise par René Crevel a gêné prodigieusement Klaus Mann et les staliniens :

« Mais René-Vagualame, le pur, le fou, le Parsifal militant, prit au sérieux la comédie. Il prenait tout au sérieux, la poésie et la révolution, le surréalisme et le stalinisme, Breton et Ehrenbourg. Il ne voulait trahir ni la Révolution ni la Poésie. »

Note : remarquons que Klaus Mann continue ici à faire comme si le stalinisme s’intitulait « la Révolution » ou encore « le communisme ». Notons aussi que Klaus Mann trouve ridicule de prendre au sérieux la poésie et la révolution. C’est un cynique. Il n’attache pas d’importance à soutenir ceci ou cela et ne dramatise pas de se mouiller dans un camp comme celui de Staline du moment qu’il y trouve son intérêt.

Une des preuves que Klaus Mann prend parti pour le stalinisme est son refus, dans « Le tournant » de parler de l’affaire Victor Serge, alors qu’elle est au centre de celle du conflit entre René Crevel et les staliniens du Congrès des Ecrivains antifascistes. C’est parce qu’il veut défendre le cas de Victor Serge et obtenir sa libération que Breton est exclus du congrès. Et c’est parce qu’il compte défendre Victor Serge au congrès que Crevel ne… peut pas y aller et est suicidé.

« Mon ami se suicida-t-il parce que André Breton et Ilia Ehrenbourg s’étaient battus ? Il se suicida parce qu’il était malade. Il se suicida parce qu’il avait peur de la démence. Il se suicida parce qu’il tenait le monde pour dément. Pourquoi se suicide-t-on ? Parce qu’on ne veut plus vivre la demi-heure qui vient, les cinq minutes qui viennent. Tout à coup, on est au point mort, au point de Mort. La limite est atteinte – pas un pas de plus ! Où est le robinet de gaz ? A nous, le phanodorm ! A-t-il un goût amer ? Qu’est-ce que ça fait ? La vie n’a pas eu particulièrement bon goût. « Je suis dégoûté de tout… »

« Comme si c’était hier, et je ne peux pas l’oublier. »

Mais le récit de Klaus Mann, comme on va le voir, a oublié plein de petits détails qui font la différence entre la vérité et le mensonge… Ces détails que l’on trouve dans son texte quand il ne ment pas et qui, dans une circonstance qu’il « ne peut pas oublier, lui échappent, ne lui reviennent plus, qu’il ne rapporte pas en tout cas…

Son récit vise à démontrer qu’il ne pouvait pas être là peu avant que René soit suicidé…

Pour expliquer qu’il n’était pas à Paris alors qu’il participait au congrès de Paris, il déclare :

« Je me rendis à Paris avec Leonhard Frank – je venais probablement de Zurich – pour prendre part au Congrès des Ecrivains antifascistes. »

On trouve dans cette déclaration, qui ressemble fâcheusement à un alibi de scène de crime, des manques qui sont soulignés par le reste de son écrit « Le tournant ». En effet, on y voit que Klaus Mann sait toujours en détails ce qu’ont été ses voyages à l’étranger, chez qui il allait et pour y faire quoi, qui il y a vu. Là, on ne trouve rien de tout cela : « je venais probablement de Zurich »

Je dirais plutôt : probablement pas ! Klaus Mann a juste un témoin qui l’aurait accompagné à Paris. Mais venant d’où, comment ils s’étaient rencontrés, par hasard ou par rendez-vous. Klaus Mann ne sait plus ? Ne le dit pas ?

Un seul témoin semble insuffisant ? Qu’à cela ne tienne, Klaus Mann en a un deuxième :

« La nuit était très chaude ; Landshoff, arrivé d’Amsterdam, nous attendait à la gare. »

Cela prouve seulement, si on se fie à Landshoff, qu’ils se sont retrouvés à la gare, à Paris. Pas qu’il était dans un train venant d’on ne sait où puisque Klaus Mann lui-même ne s’en souvient pas ! Il ne sait ni pourquoi ni comment il se serait retrouvé dans le même train que Frank.

Donner comme alibi : j’étais dans le train de Frank, est-ce que je revenais de Zurich, je ne me souviens pas que nous étions ensemble dans le trajet, ni de quoi nous parlions, ni pourquoi je revenais de Zurich, je ne me souviens pas si nous étions dans le même wagon ou pas, ou s’il m’a seulement vu à l’arrivée du train, et si j’étais à Zurich pourquoi je ne me rappelle pas si j’étais comme d’habitude reçu par lui, je ne me rappelle pas si nous y avons vu d’autres connaissances ou pas, etc, etc..

Cela peut sembler un détail infime sans importance. Klaus Mann peut très bien ne plus se rappeler s’il venait ou pas de Zurich ni pourquoi il y avait été. Mais les détails, dans un alibi, c’est déterminant. Et il est tout à fait improbable qu’il ne se souvienne plus pourquoi il a quitté Paris juste à la veille du Congrès des Ecrivains Antifascistes, événement déterminant pour Klaus Mann et son milieu et cela alors que son ami intime est l’un des responsables organisateurs du congrès et qu’il y a un conflit très important entre René Crevel et les staliniens responsables du congrès. Klaus Mann ne peut pas avoir quitté Paris dans de pareilles circonstances sans un motif impérieux. S’il ne s’en souvient plus et ne sait même plus s’il est parti pour Zurich ou ailleurs et comment il est arrivé dans le train pris par Frank, qui, lui, venait de Zurich, tout cela est cousu de fil blanc. Il accueilli été par Landshoff à la gare de Paris mais Mann, lui, n’avait pas quitté la capitale française ! Et il était resté proche de René Crevel jusqu’aux derniers instants. Et ce sont ceux-là qu’il ne raconte pas. Qui a ouvert le gaz après avoir administré de fortes doses de somnifères ?

Landshoff, ami intime de la famille Mann et leur éditeur à tous, n’a pas de raison de refuser un témoignage innocent à Klaus : il l’a vu à la gare et Mann lui a dit qu’il était dans le train, le même que Frank.

Comment peut-on oublier des détails sur l’événement que l’on affirme le plus marquant d’une vie dans un écrit qui est centré sur cet événement ? Klaus Mann, lui, y parvient ! Il n’affirme pas qu’il venait de Zurich mais, comme Frank venait du train de Zurich, il se contente de poser la question : est-ce que je venais de Zurich ? Il n’y répond pas…

Ces deux témoins sont bien choisis : ils ne sont pas staliniens. Seulement, il y a un pépin : quand Klaus Mann dit être arrivé à Paris, Crevel est déjà mort et Lanshoff le sait. Il faut donc un scénario pour ce qui va faire que Klaus Mann puisse prétendre ne l’avoir su qu’un jour plus tard encore.

« A ce moment, René était déjà mort. Landshoff savait que René était mort, mais il ne me le dit pas ; peut-être avais-je l’air un peu fatigué après le voyage et voulut-il m’épargner le choc jusqu’au matin. »

Note : une fois encore, cet alibi n’a rien de crédible. Lanshoff sait que René Crevel est l’ami intime, le compagnon et l’amant de Klaus Mann et Lanshoff est un proche intime de Mann. Il ne peut donc pas prendre sur lui de ne pas lui parler du décès supposément un suicide de son ami.

« Je descendis au Palace, sur les Champs-Elysées – pour faire plaisir à Leonhard Frank, qui aimait le luxe ; quant à moi, je préfère de beaucoup les petits hôtels de la Rive gauche qui me sont beaucoup plus familiers. Avant que nous prissions congé dans le hall, Landshoff me dit :

« Ne sort pas demain matin avant que je ne me sois manifesté. »

« Je dormis bien dans la chambre exigüe que l’on m’avait donnée… Le matin, tandis que je prenais mon petit déjeuner avec Leonhard Frank dans la petite pièce surchauffée, le téléphone sonna. C’était un des organisateurs du Congrès antifasciste, Johannes R. Becher. Nous nous entretînmes du programme des prochaines séances, du discours que je devais prononcer. Pour finir, Becher dit : « Cette histoire, avec ce pauvre René Crevel, horrible, n’est-ce pas ? C’est ainsi que je l’appris. »

Pas crédible du tout non plus, ce récit !

Pourquoi Landshoff aurait-il pris sur lui d’empêcher Klaus Mann d’aller sur place, voir les amis, voir les proches de René Crevel, s’informer sur les circonstances du décès. Lui dire de ne pas sortir de l’hôtel, d’attendre qu’on le contacte, tout cela n’a aucun sens à part celui de blanchir complètement Klaus Mann, qui, d’ailleurs maintenant recommence à se souvenir des détails des conversations avec Becher, alors que, dans le train, il ne se souvient même pas s’il a parlé ou non à Frank ou à quelqu’un d’autre !!

Le fait d’en rajouter tellement sur ses actes tout autour du décès de René Crevel ne ressemble pas du tout aux actes d’un innocent qui ne ressent aucunement la nécessité de se justifier.

Puis, il ne dit rien sur ce qu’il a fait. A qui il a parlé du décès. Ce qu’il en a pensé. Les relations ensuite avec les proches du mort. Rien. Ses propres réactions ensuite ? Rien.

Sa seule explication sur tout cela : « J’ai dû devenir assez pâle » !!!

Il ne dit pas qu’il est repassé dans l’appartement de René. Non. Ni qu’il a revu sa compagne. Non. Ni qu’il a parlé de cette mort aux amis qu’il va rencontrer au Congrès. Non, pas un mot là-dessus.

Pour un René qu’il dit avoir été son meilleur ami, le plus cher, pour lequel il a écrit ce livre, c’est peu, très peu.

Sur le plan politique, le lien entre le décès et les affrontements du congrès par rapport à la venue de Breton et des surréalistes, par rapport à la dénonciation du sort de Victor Serge dans les prisons de Staline, rien, pas un mot.

La suite s’enchaine :

« Le même jour, commencèrent les séances du Congrès… »

Il rappelle les orateurs Heinrich Mann, son oncle, André Gide, Huxley, Forster, André Malraux :

« Tous firent des discours contre la guerre et le fascisme. »

« Je fis un discours contre la guerre et le fascisme. »

Cela sonne de manière très désabusée pour quelqu’un qui estimait que ce Congrès était le principal événement de son combat contre le nazisme !

Par la suite, il a remplacé Crevel par Curtiss :

« Et maintenant, peu après le brusque départ de René, voilà qu’arrivait ce jeune Curtiss. Je reconnaissais ce regard, cette voix. C’étaient des retrouvailles.

« Bien sûr, la variation apporte des motifs qui lui sont propres. Curtiss n’était pas Crevel, il était moins comblé de dons et de malédictions, plus apte à vivre, plus sain. Lorsque je le rencontrai à Paris, René avait déjà beaucoup souffert, il se savait malade et peut-être voulait-il déjà mourir. Il était plus âgé que moi. Je l’admirai et il avait beaucoup à m’apprendre, entre autres choses le courage de désespérer. »

Quelques pages plus loin, Klaus Mann rapporte un voyage en train avec Ernst Toller qui est en train de rompre avec le stalinisme et en est tout démoralisé. Mann dit de lui qu’il avait l’air usé : « C’est terrible quand on ne peut pas dormir ». Et Klaus Mann nous informe qu’il est mort peu après… de suicide…

« Pourquoi ? Il n’y avait pas de lettre d’adieu pour nous expliquer ses raisons. Qui l’avait bien connu pouvait les comprendre, bien sûr, même en l’absence de tout message. »

Comprendre, oui, que d’appartenir à l’appareil du stalinisme mène au suicide.

Il décrit ainsi la vie de Toller, ainsi dirigeant des conseils révolutionnaires de Munich en 1919 et 1920 :

« Encore et toujours la gloire, la lutte, la pantomime révolutionnaire et pas de sommeil… »

Klaus Mann, lui, ne pratique pas la pantomime révolutionnaire, même quand il accepte les basses œuvres du stalinisme sous prétexte d’antifascisme ou simplement pour compléter les trous de son budget.

Puis il nous relate ses nouvelles amitiés homosexuelles avec un américain d’origine russe, Iouri (il ne donne pas son nom ni même une initiale). Sans doute qu’il ne fallait pas divulguer l’identité de son compagnon. Il ne dit pas ce qu’il faisait comme activité, ni son parcours, alors qu’il le fait systématiquement pour tous les personnages qu’il introduit. A chacun d’imaginer pourquoi ce russe est tellement discret et Klaus aussi silencieux.

« La petite maison de Santa Monica où je passais avec mon compagnon aux yeux obliques (Note : le fameux russe Iouri) cet été lourd de fatalité, était équipée d’une radio. Du matin jusqu’au milieu de la nuit, des voix émues ou dramatiques ou objectives et glacées nous tenaient au courant de l’évolution de la crise. La nouvelle du pacte de non-agression germano-soviétique fut la plus difficile à admettre. »

Note : on remarquera que l’entente Staline-Hitler est appelée pacte de non-agression par Klaus Mann alors qu’il écrit en 1949 et qu’il sait, depuis, que c’était d’abord un pacte d’agression commune contre la Pologne, agression fasciste et antisémite, encore une fois commune et concertée !

Et il poursuit cette thèse du caractère défensif de la politique de Staline qui lui paraît justifiée :

« Résultat inévitable de la politique occidentale qui, dans ses effets et sans doute aussi dans ses intentions, avait toujours été dirigée contre Moscou et toujours profasciste ? Conséquence logique de l’« apeasement » et de la « paix de Munich » ? Bien sûr. »

« J’ai eu dans les « German American Writers » bien des amis… mais avec la majorité, c’est à peine si j’arrive à m’entendre. Certains semblent considérer la guerre comme une sorte de complot impérialiste et capitaliste, opinion très largement répandue, précisément dans les milieux de la gauche radicale. »

Il dit cela mais communique sa lettre de rupture avec cette organisation pro-Russe qui ne dit rien de semblable et se contente de refuser désormais d’appartenir à une organisation ne rassemblant que des Allemands alors qu’on vit en territoire ennemi de l’Allemagne !

Dans toute cette période du pacte germano-soviétique, Klaus Mann n’a de pensée émue que… pour les pauvres staliniens, qui subissent une pression morale supplémentaire du fait de la position de Moscou.

« Particulièrement désespérée, la situation (intérieure et extérieure) des communistes français. Au malheur qu’ils partagent avec tout le monde, doit s’ajouter, en ce qui les concerne, un amer sentiment de remords. Car, si l’extrême droite est la première responsable de la débâcle, la part de responsabilité, de culpabilité de l’extrême gauche ne doit pourtant pas être négligée ni oubliée. Les « Rouges », comme une presse malveillante aime ici à les nommer, n’ont-ils pas fait cause commune avec les Laval et les Pétain en contribuant à saper la volonté de résistance de la nation ? »

Et il poursuit :

« Oui, l’attitude actuelle des affidés du Kremlin est difficile à comprendre, encore plus difficile à excuser. Mais n’oublions pas ce qui s’est passé chez les « démocrates » pour pousser l’Union soviétique et ses amis à prendre cette position désastreuse ! Que l’on pense à l’Espagne ! Que l’on pense à Munich ! Par Peur du communisme, on a laissé le fascisme croître et embellir et maintenant que l’on se voit attaqué par son propre protégé (le fascisme), on attend de l’aide des communistes ! Pourtant, il n’en reste pas moins, naturellement, qu’une victoire allemande serait, pour les communistes aussi, et surtout pour eux, la catastrophe. Après l’Angleterre, ce serait le tour de l’Union soviétique. »

Ce type de raisonnement écrit en 1949 prétend décrire les sentiments de Klaus Mann de l’époque du pacte Hitler-Staline, ici en 1941 ! Il n’est pas extrêmement intéressant sauf dans le fait qu’il tend toujours à blanchir un peu Moscou au moment même où ce prétendu anti-nazi viscéral devrait le plus être hostile à Staline, cet allié et admirateur d’Hitler…

Il écrit même que les écrivains qui regrettent de s’être, dans la période soi-disant antifasciste de Moscou, engagés à ses côtés ont tort de le regretter.

« Wystam – autrefois (il n’y a encore que trois ou quatre ans !) activiste politique beaucoup plus résolu que je ne l’aie jamais été – est maintenant d’avis que l’écrivain doit éviter tout contact avec le domaine de la politique… Mais c’est précisément cette indépendance, cette absence d’attaches sociales qui trouble ou fausse le jugement politique de l’artiste, car l’« artiste libre » n’a jamais vécu dans sa propre chair le problème du pouvoir politique, et ne l’a par conséquent sans doute jamais compris. »

« 29 juin 1941. L’agression d’Hitler contre l’Union soviétique est un événement d’une telle portée que j’ose à peine le commenter, même dans ces notes personnelles, et encore moins publiquement. Mais je veux cependant écrire aujourd’hui ceci : dans ma première réaction instinctive devant l’énormité de la nouvelle, ce qui l’emporte, c’est un sentiment de soulagement. Certes, on est horrifié, indigné, bouleversé – inquiet aussi… Mais pourtant, on respire. L’air est devenu plus pur. Le pacte entre Hitler et Staline, une des plus grandes perversités et un des plus grands paradoxes de l’histoire mondiale, appartient désormais au passé, avec Munich et d’autres souvenirs humiliants… »

En rappelant ici Munich, Klaus Mann redit que les « démocraties » ont-elles aussi des souvenirs humiliants… Il continue en fait le plaidoyer pro-alliance avec Moscou qui est son fil conducteur de toujours. Il prétend ainsi que Staline est naturellement anti-nazi et n’a été pro-Hitler ou allié d’Hitler que de manière accidentelle. Selon lui, la nature du régime stalinien ne doit en rien être comparée à celle du régime nazi. On se souvient que Trotsky avait comparé les deux régimes de « sœurs jumelles » avant qu’ils soient alliés…

« Est-il fou, cet Hitler ?... Il attaque à la fois la Russie et le monde capitaliste anglo-saxon !... Oui, il est fou ! Dieu merci ! Dans sa folie, il va réaliser ce que n’a pu réussir aucune diplomatie : l’alliance entre l’Est et l’Ouest, entre le bolchevisme et la démocratie, entre Moscou et Paris, Londres et Washington. Si cette grande coalition devait réellement se former et durer – non seulement pendant la guerre, mais aussi après – peut-être notre civilisation menacée serait-elle sauvée. »

Et les succès militaires de Staline contre Hitler stimulent le penchant pro-stalinien de Klaus Mann au point de l’amener à justifier ouvertement l’élimination physique et le discrédit systématiques des anciens révolutionnaires communistes lors des procès de Moscou.

« 14 janvier 1942. Devant l’héroïsme avec lequel l’Armée Rouge et le peuple russe luttent contre l’invasion nazie, il semble qu’il nous faille réviser à bien des égards notre jugement sur l’Union Soviétique. Certaines tendances, certains aspects de la politique du Kremlin, qui, jusque là, nous choquaient, commencent à présent à devenir compréhensibles. Que penser, par exemple, à la lumière des événements actuels, de ces procès de 1937, de sinistre réputation ? La liquidation sommaire et rigoureuse de l’opposition militaire et « trotskiste » avait été, à l’époque, ressentie dans les milieux libéraux comme un scandale insupportable. Mais sans les procès de 1937, il n’y aurait peut-être pas aujourd’hui, en 1942, de résistance russe…

« Le fait que la Russie soit maintenant notre alliée contre l’Allemagne nazie ne doit pas nous aveugler sur les défauts du régime soviétique. Mais si ce régime était vraiment aussi détestable et – ce qui est plus important – s’il était vraiment aussi détesté par les masses russes qu’une presse réactionnaire essaye de nous le faire croire depuis plus de vingt ans, comment alors expliquer l’héroïsme tenace avec lequel le peuple russe se défend à présent ? Que l’on n’aille tout de même pas dire que l’amour de la « Terre russe » est l’unique raison d’un pareil courage ! En 1917 aussi, l’ennemi foulait ce sol sacré – ce qui n’empêcha absolument pas les paysans, les ouvriers et les intellectuels de saboter la guerre, car on ne voulait plus de la domination des tsars, et l’on songeait à s’en débarrasser. Maintenant, on pourrait aussi secouer le joug de la dictature communiste si on en avait l’intention. Mais cela ne semble justement pas être le cas. On ne sabote pas : on lutte. Comment cela ne donnerait-il pas à réfléchir ? »

Klaus Mann ne cite les crimes du stalinisme que pour les blanchir et fait alors des raisonnements très politiques pour quelqu’un qui prétend n’avoir touché que de loin aux problèmes politiques et sociaux…

Et il poursuit :

« A cela, toutefois, on pourrait objecter que dans le Reich d’Hitler, il n’y a à peu près pas non plus de sabotage qui vaille d’être mentionné. Là aussi, la nation soutient « comme un seul homme »le dictateur, sans que nous le trouvions pour cela moins abominable. A quoi cependant, il faudra répondre que le tyran allemand n’a eu, jusqu’alors ? que des victoires à exhiber, et qu’encore maintenant, il est vainqueur, du moins il semble l’être. Mais attendons de voir ce que deviendra la popularité du Führer quand les Russes seront aux portes de Berlin et les Alliés en Rhénanie ! »

Tout cela nous éloigne de René Crevel et de notre sujet ? Ce n’est pas nous que cela éloigne encore du poète surréaliste mais Klaus Mann…

En effet, Klaus Mann écrit le 31 mars 1943 dans une lettre qu’il cite dans « Le tournant » qu’il continue à travailler à son « Anthology » de « Heart of Europe », censée montrer quels intellectuels ont été le cœur de l’Europe des écrivains antifascistes et il écrit :

« On n’y a oublié aucun des très grands noms, si ce n’est peut-être Sartre et Breton. Mais il ne peut tout simplement pas y avoir place pour tout. (C’est pourquoi, le cœur gros, je renonce aussi à René Crevel). »

Le poète surréaliste René Crevel finit ainsi… mis entre parenthèses par Klaus Mann qui… y a renoncé…

Quelques compléments à lire :

« La Suissesse Annemarie Schwarzenbach avait amené avec lui à Moscou : Je suis arrivée avec Klaus, pour un congrès d’écrivains – qui, en effet, n’est pas la partie la plus intéressante de notre séjour – comme nous ne comprenons pas le russe… Quand Klaus Mann lui a proposé – « Miro, c’est sur ton chemin ! » – de l’accompagner au congrès, le premier congrès des écrivains soviétiques depuis la révolution, elle a immédiatement accepté. On ne refuse pas ça au frère d’Erika, au fils de Thomas Mann, ce géant qui l’impressionne. Elle redoute ce père qui lui en veut d’être amoureuse d’Erika et de l’opium. Mais elle s’entend bien avec le doux Klaus qui aime les garçons et la morphine aussi. »

Quand on pense aux remarques de Klaus Mann sur un congrès dont il ne comprend pas les allocutions…

https://www.letemps.ch/culture/suissesse-annemarie-schwarzenbach-chez-maxime-gorki-moscou

Pourquoi Schwarschild dénonce Klaus Mann

https://books.google.fr/books?id=PyJnDwAAQBAJ&pg=PA195&lpg=PA195&dq=Bruno+Frank+et+le+stalinisme&source=bl&ots=SPGs4YoR0g&sig=ACfU3U27YyHw5tpH6i_BetFYXMYLwdnnJg&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwi-8d3iu9n0AhVETBoKHUafC7wQ6AF6BAgCEAM#v=onepage&q=Bruno%20Frank%20et%20le%20stalinisme&f=false

Rappelons tout d’abord que le premier congrès de l’Union des écrivains soviétiques s’était tenu à Kharkov en 1934. Il avait consacré la fusion des anciennes organisations des écrivains, l’interdiction des tendances, même purement littéraires, et le triomphe du « réalisme socialiste », c’est-à-dire de l’adhésion inconditionnelle à la réalité soviétique. Cette réalité devait être présentée sous ses aspects les plus séduisants, exaltée et embellie, « vernie », disaient les Soviétiques. Toute critique, même implicite, était considérée comme un acte d’opposition, toute opposition comme une « trahison » (Merleau-Ponty).

https://www.monde-diplomatique.fr/1967/07/FAY/27911

Qui était René Crevel ?

Klaus Mann, un ami proche écrit dans son livre Le Tournant : " Il se suicida parce qu’il avait peur de la démence, il se suicida parce qu’il tenait le monde pour dément
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ren%C3%A9_Crevel_(%C3%A9crivain)

Voici par exemple l’interprétation de la mort de Crevel par Maitron :

« René Crevel se donna la mort à la veille de l’ouverture du Congrès international des écrivains pour la défense de la culture de juin 1935… Membre du comité organisateur du Congrès international des écrivains pour la défense de la culture qui devait se réunir à Paris du 21 au 25 juin 1935, il se trouva au cœur des tractations sur la participation des surréalistes (ceux-ci avaient annoncé leur volonté d’aborder, notamment, le cas de l’écrivain Victor Serge). Après que la participation de Breton fut finalement acceptée, celui-ci s’était vu retirer la parole, à la suite d’un incident fortuit (la gifle à Ilya Ehrenbourg, membre de la délégation soviétique, qui avait décrié l’activité surréaliste). Crevel s’était dépensé sans compter pour que le droit d’expression fut reconnu à Breton. Épuisé par des démarches vaines auprès des organisateurs du Congrès placés devant la menace d’un retrait de la délégation soviétique, après l’échec d’une ultime réunion de conciliation le soir du 17 juin à la Closerie des Lilas où Ehrenbourg était resté intransigeant, Crevel qui, le même jour avait pris connaissance des mauvais résultats de ses analyses de santé, se donna la mort dans la nuit. A cause de cette mort tragique, il fut admis que le discours de Breton pouvait être lu au Congrès (il le fut par Éluard, le 24 juin au soir, à une fin de séance). Un hommage fut rendu à Crevel le 22 juin ; le discours qu’il avait préparé pour le congrès, intitulé « Individu et société » n’ayant pas été retrouvé, on lut son discours aux ouvriers de Boulogne (« Individu et société » parut dans le numéro de juillet de Commune). « En lui — écrivit André Breton dans ses Entretiens — nous perdions un de nos meilleurs amis de la première heure, ou presque, l’un de ceux dont les émotions et les réactions avaient été vraiment constitutives de notre état d’esprit commun, l’auteur d’ouvrages tels que L’Esprit contre la raison, Le Clavecin de Diderot, sans quoi il eût manqué une des ses plus belles volutes au surréalisme. Il est bien certain que le geste de désespoir de Crevel n’a pu être ainsi que "surdéterminé" et qu’il admettait d’autres causes latentes depuis longtemps ». »

https://maitron.fr/spip.php?article107446

Voici maintenant ce qu’écrit le journal Le Monde :

« LE 18 juin 1935, au petit matin, l’écrivain René Crevel se suicide par le gaz dans son appartement de la rue Nicolo, à Paris. Il va avoir trente-cinq ans. Près de son corps, un billet avec ces mots : « Prière de m’incinérer. Dégoût. » Ceux qui le connaissent savent qu’il est gravement malade. Mais quelques jours plus tard, Elise et Marcel Jouhandeau, qui sont des amis très proches, accusent : pour eux, les véritables responsables de sa mort sont les surréalistes, et plus précisément André Breton. « Rien ne ressemble à un crime comme un suicide », écrit Jouhandeau dans Le Figaro. Et il cite ces mots que lui aurait confiés Crevel : « Breton est mon Dieu. (…) Quand je ne croirai plus en rien, ni en moi, ni en personne, je croirai en Breton. (…) Que Breton me déçoive et je me tuerai. »

La réaction des Jouhandeau met le doigt sur la nature très particulière des liens qui se sont tissés entre les deux hommes, au fil des combats menés au nom du surréalisme. Breton est le pape du mouvement. Mais qui est Crevel ? Pour les fêtards qui fréquentent le Paris fou des années 20, il est l’un des leurs. Ce grand jeune homme blond au visage poupin, toujours tiré à quatre épingles, d’une gentillesse et d’une gaieté inaltérables, est un convive idéal dans les bals et les soirées mondaines. C’est bien lui ce dandy qui se décrit dans Les Pieds dans le plat (Pauvert, 1974, préface d’Ezra Pound) en train de préparer des cocktails « le front barré d’une mèche blonde, cravaté de rose mourant, vêtu de jersey de soie émeraude et chaussé de sandales de cuir mauve… ». Il fréquente les salons et les cafés à la mode et ne craint pas de s’encanailler dans les bals nègres et les caboulots de la rue de Lappe. Le soir, on le trouve au Boeuf sur le toit ou à La Coupole. Il est de toutes les premières, de tous les cocktails. Ce tourbillon s’accompagne d’une vie sentimentale agitée. Ses aventures sont nombreuses, avec les femmes et les hommes, avec une préférence toutefois pour ces derniers. René Crevel fait partie de ce milieu artiste et mondain qui, dans le sillage de Jean Cocteau, s’amuse en choquant le bourgeois. »

https://www.lemonde.fr/archives/article/2000/05/05/breton-et-rene-crevel-le-surrealiste-absolu_3684571_1819218.html

Sauf que Breton n’a pas déçu Crevel qui le défendait la veille encore de manière publique !!!

Et que Marcel Jouhandeau est stalinien qui deviendra fasciste !
http://marchoucreuse23.canalblog.com/archives/2019/09/23/37649952.html

Klaus Mann était l’un des douze écrivains allemands en exil qui ont participé au 1er Congrès des écrivains soviétiques de toute l’Union à Moscou du 7 août au 1er septembre 1934. Cet événement, auquel ont voyagé plus de 600 écrivains de toutes les républiques soviétiques et d’autres pays du monde, a donné à de nombreux intellectuels occidentaux "progressistes" l’espoir que l’Union soviétique serait un contrepoids positif aux "pays fascistes" - en particulier à l’Allemagne nationale-socialiste dans laquelle la vie intellectuelle a connu des restrictions accablantes. C’était bien sûr une grave erreur de jugement, car les dernières libertés de la vie artistique et littéraire de l’URSS ont disparu au cours du Congrès de Moscou : avec la création de l’Union des écrivains soviétiques, une période de subordination absolue au parti et les ouvriers culturels soviétiques ont commencé le nouvel idéal du réalisme socialiste. Néanmoins, malgré toutes les contradictions avec lesquelles la vie soviétique se présentait à lui, Klaus Mann croyait aussi pouvoir tirer de son voyage à Moscou un espoir pour l’avenir de l’Europe. Son récit de voyage reflète de manière exemplaire l’attitude de nombreux intellectuels de gauche envers le communisme pendant les années du Front populaire. Cependant, les "Notes à Moscou" ont jusqu’à présent reçu peu d’attention dans les recherches sur le complexe de sujets "Les intellectuels et l’Union soviétique" et ne sont pour la plupart traitées que dans la littérature biographique sur Klaus Mann….

Klaus Mann a trouvé tellement de choses positives sur la « nouvelle Russie » que cela a finalement dépassé son évaluation globale. L’affirmation selon laquelle il considère Moscou comme une « ville démocratique » parce qu’il existe un « intérêt réel, passionné et vital des masses pour les institutions et les événements de la vie publique » semble contradictoire - comme il décrit l’État ouvrier « et paysan » dans le même souffle que "dictature". Deux autres arguments en faveur de l’Union soviétique sont plus révélateurs quant à son attitude positive : d’une part, il est très impressionné par l’idée que la littérature n’est pas une « arabesque décorative en marge de la société », mais plutôt une « partie effective « de la vie publique ». En revanche, « l’aventure » de l’Union soviétique « l’excite » - le « bruit gigantesque de la construction », l’ « enthousiasme » et le « zèle », cette « « bonne volonté » « aux proportions gigantesques » 2 - à tel point que elle le menaçait malgré tout L’évolution de l’Europe donne de l’espoir et le sentiment heureux qu’« il y a un avenir »…

Mann traite de la place de la littérature dans la vie soviétique : il rapporte et se montre avec enthousiasme sur le prétendu « lien vital [...] entre l’écrivain et l’auditoire" complètement pris par l’idée que le "mot imprimé" en Union soviétique a une fonction pédagogique dans la formation de "l’homme nouveau". Malgré une certaine irritation face au « culte [s] » du « Patriarche [s] » Maxime Gorki, il est impressionné qu’un écrivain soit l’une des « figures les plus vénérées du pays » et que sa photo au congrès salle "est au format Énorme à côté de l’image de Staline" se bloque. Ces observations semblent fortement influencées par l’idéal de Klaus Mann selon lequel l’écrivain est le « mentor moral » de ses contemporains. Dans la tradition du "savant" allemand et dans le contexte d’un concept aristocratique du "spirituel", Klaus Mann, comme son oncle Heinrich Mann, croyait que la tâche de l’intellectuel était de travailler avec les dirigeants politiques pour avoir un effet éthique qui améliorerait l’exercice de la société. Il considérait clairement que cet idéal en Union soviétique était sur le point d’être réalisé. De ce point de vue, la dictature de Staline apparaît comme une antithèse positive à la barbarie de l’Allemagne nationale-socialiste, qui méprise « l’esprit ».

Traduction de :

https://www.1000dokumente.de/index.html?c=dokument_de&dokument=0092_kla&object=context&l=de

En juillet 1934, Klaus Mann se rendit à Moscou au Congrès des Ecrivains soviétiques. Voici comment Klaus Mann le rapporte dans son « Journal » :

https://books.google.fr/books?id=0Zmj3F5c0u0C&pg=PT148&lpg=PT148&dq=klaus+mann+Notes+prises+%C3%A0+Moscou&source=bl&ots=qfN-YTx4Nb&sig=ACfU3U1cSX-wu41uYhnYehFqCLvPtZa8xA&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjqxofs69H0AhUJ1xoKHSF3CJsQ6AF6BAgQEAM#v=onepage&q=moscou&f=false

Vous avez bien lu : un an avant le congrès des écrivains antifascistes, il est à Moscou au « Congrès des écrivains SOVIETIQUES » !!!

Le Congrès international des écrivains pour la défense de la Culture se déroule au Palais de la Mutualité entre le 21 et le 25 juin 1935. Il est organisé par l’Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires (AEAR), à laquelle Breton adhère début 1932 et dont il est exclu en juin 1933 pour avoir publié dans la revue Le Surréalisme au service de la révolution la lettre de Ferdinand Alquié parlant de « crétinisation » en URSS….
Les Soviétiques savent donc qu’avec Malraux et Gide aux commandes, le congrès (qui aurait pu aussi s’appeler « pour la défense de l’Union soviétique » !) ne connaîtra pas trop de débordements, et ils ont raison.
https://www.terresdecrivains.com/Le-congres-des-ecrivains-de-juin

Sans Breton et sans… Crevel !

« Ce Congrès, un des éléments du dispositif de propagande dont l’Internationale communiste joue à merveille selon des besoins et les intérêts de l’Union soviétique, va porter ses fruits. L’heure des fronts populaires a sonné : il faut unir toutes les forces à même de contribuer [sic] au danger représenté par l’Allemagne nazie. Tout le monde est ainsi ravi. »

Le siècle des intellectuels de Michel Winoc

https://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2005-05-0099-011

Le Congrès fut pour les surréalistes l’occasion d’une rupture avec le P.C.F. et le régime soviétique. Leur participation constitue déjà un cas. La lettre d’adhésion, signée par Breton, Eluard, Péret, Hugnet, déclare l’impossibilité d’être « pour la défense de la culture » tout court, celle-ci étant la culture dont s’est dotée la bourgeoisie. Puis Ehrenbourg, correspondant des Izvestia à Paris, demanda leur exclusion à la suite de l’histoire des gifles que lui avait assénées Breton en plein boulevard Montparnasse comme réponse à un texte injurieux à l’égard du mouvement. Le nom de Breton fut retiré du programme, et biffé sur les ébauches, où il figurait dans la première séance. Le suicide de Crevel amena enfin à un compromis : la lecture du discours de Breton faite par Eluard.

La rédaction manuscrite de ce discours s’ouvre sur un long passage, biffé et resté jusqu’à présent inédit, qui ne ménage pas les critiques aux organisateurs : « Se prononcer aujourd’hui ‘pour la défense de la culture’ nous fait l’effet d’un geste purement platonique. Nous ne cachons pas notre inquiétude au seul aspect de ces mots que prive de sens l’approbation beaucoup trop vaste, beaucoup trop générale qu’ils ne peuvent manquer de recueillir. Combien découvrirait-on en France d’écrivains, même réactionnaires, qui osent se déclarer contre la culture ? La proclamation, par des écrivains de tendances les plus contradictoires, de la nécessité de défendre la culture, ne pourrait avoir d’autre conséquence que de systématiser la confusion ». Puis Breton décida de se placer sur un plan strictement politique : il articule son discours à partir de la condamnation du pacte franco-soviétique, de la déclaration de Staline justifiant les efforts de la France pour assurer sa défense nationale, et du revirement communiste. Il ramène l’organisation du Congrès à cette opération politique, il proclame un « état d’alarme » et en appelle à Marx et Lénine pour stigmatiser la tentative, de la part des communistes français, d’une rénovation de l’idée de patrie qui aurait comme conséquence de dresser le prolétariat français contre le prolétariat allemand.

Deux mois après le Congrès, la rupture était sanctionnée par la publication de Du temps que les surréalistes avaient raison, où le jugement sur le Congrès est sans appel.

http://www.vox-poetica.org/entretiens/intTeroniKlein.html

Les staliniens ne se sont pas contentés de supprimer Crevel, ils ont fait parler Aragon en son nom sur un soi-disant document qu’ils auraient retrouvé de Crevel et qu’il aurait rédigé pour le lire au congrès !!!

https://fr.wikisource.org/wiki/Discours_aux_ouvriers_de_Boulogne

Le texte de Breton au congrès a prétendument été lu mais pas vraiment. Pas étonnant : il dénonçait le pacte germano-soviétique.

https://books.google.fr/books?id=btomDQAAQBAJ&pg=PT286&lpg=PT286&dq=crevel+au+congr%C3%A8s+des+%C3%A9crivains+antifascistes&source=bl&ots=1qglBij-U_&sig=ACfU3U0iLaICU44CURR87RaXkdd9iUVIDA&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwi4n4m_09H0AhURJBoKHZ6MACoQ6AF6BAgaEAM#v=onepage&q=crevel%20au%20congr%C3%A8s%20des%20%C3%A9crivains%20antifascistes&f=false

Klaus Mann participa, en 1934, à la préparation avec René Crevel du Congrès international pour la défense de la culture.

https://www.gallimardmontreal.com/catalogue/livre/tournant-le-histoire-d-une-vie-mann-klaus-9782742773589

Remarquons qu’il n’insiste pas sur ce point dans son ouvrage « Le tournant » qui décrit pourtant en détails ses activités avec les écrivains antifascistes….

Oui, c’est un trotskiste qui meurt avec René Crevel !

https://www.andrebreton.fr/work/56600100381330

Et on sait qui avait intérêt à l’élimination d’un trotskiste qui avait annoncé d’avance qu’il allait dénoncer le stalinisme au congrès des écrivains antifascistes !!!!

Ils ont tous dit : « il avait théorisé le suicide », « il était malade », « il était fou de Breton », et… il s’est suicidé.

Mais la vérité, c’est qu’il fait partie des militants trotskistes assassinés sur ordre de Staline et que Klaus Mann aurait pu nous dire comment dans « Le tournant »…

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