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Qu’est-ce que la révolution ?

dimanche 6 mars 2011, par Robert Paris, Tiekoura Levi Hamed

Même dans le calme d’une nuit d’été, nous sommes traversés par les échos électromagnétiques du big bang, du rayonnement thermique de l’Univers, des collisions de galaxies et d’étoiles, des explosions de supernovae, des éruptions solaires, des tremblements de terre, des explosions de noyaux radioactifs, des sauts quantiques à petite échelle et des multiples particules virtuelles qui s’échangent à grande vitesse au sein du vide quantique. Tous ces événements sont discontinus, et, à leur échelle, brutaux et même dramatiques. Ils sont le produit de changements qualitatifs, de transitions de phase et de sauts. Nous vivons au sein des révolutions de la matière comme au sein des révolutions sociales, politiques et économiques.

Nous appelons « révolution » tout état transitoire dans lequel l’ordre établi peut basculer qualitativement et brutalement. Mais, surtout, nous appellerons révolution une situation qui mène à l’émergence brutale d’une structure, qualitativement nouvelle, issue de l’agitation et des contradictions à l’échelon hiérarchique inférieur, encore appelée auto-organisation. Du coup, ce processus concerne aussi bien les différents domaines des sciences. La politique est particulièrement concernée par la question de l’auto-organisation des prolétaires. Rappelons l’expression qu’en donnait Karl Marx : « Le socialisme sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. » Pour se préparer à devenir un nouveau pouvoir, les exploités ont besoin de retrouver le sens de l’organisation collective et la confiance dans leurs propres forces.

"Dans une société prise de révolution, les classes sont en lutte. Il est pourtant tout à fait évident que les transformations qui se produisent entre le début et la fin d’une révolution, dans les bases économiques de la société et dans le substratum social des classes, ne suffisent pas du tout à expliquer la marche de la révolution même, laquelle, en un bref laps de temps, jette à bas des institutions séculaires, en crée de nouvelles et les renverse encore. La dynamique des événements révolutionnaires est directement déterminée par de rapides, intensives et passionnées conversions psychologiques des classes constituées avant la révolution.

C’est qu’en effet une société ne modifie pas ses institutions au fur et à mesure du besoin, comme un artisan renouvelle son outillage. Au contraire : pratiquement, la société considère les institutions qui la surplombent comme une chose à jamais établie. Durant des dizaines d’années, la critique d’opposition ne sert que de soupape au mécontentement des masses et elle est la condition de la stabilité du régime social : telle est, par exemple, en principe, la valeur acquise par la critique social-démocrate. Il faut des circonstances absolument exceptionnelles, indépendantes de la volonté des individus ou des partis, pour libérer les mécontents des gênes de l’esprit conservateur et amener les masses à l’insurrection.

Les rapides changements d’opinion et d’humeur des masses, en temps de révolution, proviennent, par conséquent, non de la souplesse et de la mobilité du psychique humain, mais bien de son profond conservatisme. Les idées et les rapports sociaux restant chroniquement en retard sur les nouvelles circonstances objectives, jusqu’au moment où celles-ci s’abattent en cataclysme, il en résulte, en temps de révolution, des soubresauts d’idées et de passions que des cerveaux de policiers se représentent tout simplement comme l’œuvre de " démagogues ".

Les masses se mettent en révolution non point avec un plan tout fait de transformation sociale, mais dans l’âpre sentiment de ne pouvoir tolérer plus longtemps l’ancien régime. C’est seulement le milieu dirigeant de leur classe qui possède un programme politique, lequel a pourtant besoin d’être vérifié par les événements et approuvé par les masses. Le processus politique essentiel d’une révolution est précisément en ceci que la classe prend conscience des problèmes posés par la crise sociale, et que les masses s’orientent activement d’après la méthode des approximations successives. Les diverses étapes du processus révolutionnaire, consolidées par la substitution à tels partis d’autres toujours plus extrémistes, traduisent la poussée constamment renforcée des masses vers la gauche, aussi longtemps que cet élan ne se brise pas contre des obstacles objectifs. Alors commence la réaction : désenchantement dans certains milieux de la classe révolutionnaire, multiplication des indifférents, et, par suite, consolidation des forces contre-révolutionnaires. Tel est du moins le schéma des anciennes révolutions.

C’est seulement par l’étude des processus politiques dans les masses que l’on peut comprendre le rôle des partis et des leaders que nous ne sommes pas le moins du monde enclin à ignorer. Ils constituent un élément non autonome, mais très important du processus. Sans organisation dirigeante, l’énergie des masses se volatiliserait comme de la vapeur non enfermée dans un cylindre à piston. Cependant le mouvement ne vient ni du cylindre ni du piston, mais de la vapeur.

Les difficultés que l’on rencontre dans l’étude des modifications de la conscience des masses en temps de révolution sont absolument évidentes. Les classes opprimées font de l’histoire dans les usines, dans les casernes, dans les campagnes, et, en ville, dans la rue. Mais elles n’ont guère l’habitude de noter par écrit ce qu’elles font. Les périodes où les passions sociales atteignent leur plus haute tension ne laissent en générai que peu de place à la contemplation et aux descriptions. Toutes les Muses, même la Muse plébéienne du journalisme, bien qu’elle ait les flancs solides, ont du mal à vivre en temps de révolution. Et pourtant la situation de l’historien n’est nullement désespérée. Les notes prises sont incomplètes, disparates, fortuites. Mais, à la lumière des événements, ces fragments permettent souvent de deviner la direction et le rythme du processus sous-jacent. Bien ou mal, c’est en appréciant les modifications de la conscience des masses qu’un parti révolutionnaire base sa tactique. La voie historique du bolchevisme témoigne que cette estimation, du moins en gros, était réalisable. Pourquoi donc ce qui est accessible à un politique révolutionnaire, dans les remous de la lutte, ne serait-il pas accessible à un historien rétrospectivement ?

Cependant, les processus qui se produisent dans la conscience des masses ne sont ni autonomes, ni indépendants. N’en déplaise aux idéalistes et aux éclectiques, la conscience est néanmoins déterminée par les conditions générales d’existence. Dans les circonstances historiques de formation de la Russie, avec son économie, ses classes, son pouvoir d’État, dans l’influence exercée sur elle par les puissances étrangères, devaient être incluses les prémisses de la Révolution de Février et de sa remplaçante - celle d’octobre. En la mesure où il semble particulièrement énigmatique qu’un pays arriéré ait le premier porté au pouvoir le prolétariat, il faut préalablement chercher le mot de l’énigme dans le caractère original dudit pays, c’est-à-dire dans ce qui le différencie des autres pays.

Les particularités historiques de la Russie et leur poids spécifique sont caractérisés dans les premiers chapitres de ce livre qui contiennent un exposé succinct du développement de la société russe et de ses forces internes. Nous voudrions espérer que l’inévitable schématisme de ces chapitres ne rebutera pas le lecteur. Dans la suite de l’oeuvre, il retrouvera les mêmes forces sociales en pleine action.

Cet ouvrage n’est nullement basé sur des souvenirs personnels. Cette circonstance que l’auteur a participé aux événements ne le dispensait point du devoir d’établir sa narration sur des documents rigoureusement contrôlés. L’auteur parle de soi dans la mesure où il y est forcé par la marche des événements, à la " troisième personne ". Et ce n’est pas là une simple forme littéraire : le ton subjectif, inévitable dans une autobiographie ou des mémoires, serait inadmissible dans une étude historique.

Cependant, du fait que l’auteur a participé à la lutte, il lui est naturellement plus facile de comprendre non seulement la psychologie des acteurs, individus et collectivités, mais aussi la corrélation interne des événements. Cet avantage peut donner des résultats positifs, à une condition toutefois : celle de ne point s’en rapporter aux témoignages de sa mémoire dans les petites comme dans les grandes choses, dans l’exposé des faits comme à l’égard des mobiles et des états d’opinion. L’auteur estime qu’autant qu’il dépendait de lui, il a tenu compte de cette condition.

Reste une question - celle de la position politique de l’auteur qui, en sa qualité d’historien, s’en tient au point de vue qui était le sien comme acteur dans les événements. Le lecteur n’est, bien entendu, pas obligé de partager les vues politiques de l’auteur, que ce dernier n’a aucun motif de dissimuler. Mais le lecteur est en droit d’exiger qu’un ouvrage d’histoire constitue non pas l’apologie d’une position politique, mais une représentation intimement fondée du processus réel de la révolution. Un ouvrage d’histoire ne répond pleinement à sa destination que si les événements se développent, de page en page, dans tout le naturel de leur nécessité.

Est-il pour cela indispensable qu’intervienne ce que l’on appelle " l’impartialité " de l’historien ? Personne n’a encore clairement expliqué en quoi cela doit consister. On a souvent cité certain aphorisme de Clemenceau, disant que la révolution doit être prise " en bloc " ; ce n’est tout au plus qu’une spirituelle dérobade : comment se déclarerait-on partisan d’un tout qui porte essentiellement en lui la division ? Le mot de Clemenceau lui a été dicté, partiellement, par une certaine honte pour des ancêtres trop résolus, partiellement aussi par le malaise du descendant devant leurs ombres.

Un des historiens réactionnaires, et, par conséquent, bien cotés, de la France contemporaine, M. Louis Madelin, qui a tellement calomnié, en homme de salon, la grande Révolution - c’est-à-dire la naissance de la nation française -, affirme qu’un historien doit monter sur le rempart de la cité menacée et, de là, considérer les assiégeants comme les assiégés. C’est seulement ainsi, selon lui, que l’on parviendrait à " la justice qui réconcilie ". Cependant, les ouvrages de M. Madelin prouvent que, s’il grimpe sur le rempart qui sépare les deux camps, c’est seulement en qualité d’éclaireur de la réaction. Par bonheur, il s’agit ici de camps d’autrefois : en temps de révolution, il est extrêmement dangereux de se tenir sur les remparts. D’ailleurs, au moment du péril, les pontifes d’une " justice qui réconcilie " restent d’ordinaire enfermés chez eux, attendant de voir de quel côté se décidera la victoire.

Le lecteur sérieux et doué de sens critique n’a pas besoin d’une impartialité fallacieuse qui lui tendrait la coupe de l’esprit conciliateur, saturée d’une bonne dose de poison, d’un dépôt de haine réactionnaire, mais il lui faut la bonne foi scientifique qui, pour exprimer ses sympathies, ses antipathies, franches et non masquées, cherche à s’appuyer sur une honnête étude des faits, sur la démonstration des rapports réels entre les faits, sur la manifestation de ce qu’il y a de rationnel dans le déroulement des faits. Là seulement est possible l’objectivité historique, et elle est alors tout à fait suffisante, car elle est vérifiée et certifiée autrement que par les bonnes intentions de l’historien - dont celui-ci donne, d’ailleurs, la garantie - mais par la révélation de la loi intime du processus historique.

Les sources de cet ouvrage consistent en nombreuses publications périodiques, journaux et revues, mémoires, procès-verbaux et autres documents, quelques-uns manuscrits, mais pour la plupart publiés par l’institut d’Histoire de la Révolution, à Moscou et à Léningrad. Nous avons jugé inutile de donner dans le texte des références, qui auraient, tout au plus, gêné le lecteur. Parmi les livres d’histoire qui ont le caractère d’études d’ensemble, nous avons notamment utilisé les deux tomes d’Essais sur l’Histoire de la Révolution d’octobre (Moscou-Léningrad, 1927). Ces essais rédigés par divers auteurs ne sont pas tous de même valeur, mais contiennent, en tout cas, une abondante documentation sur les faits.

Les dates données dans cet ouvrage sont toutes celles de l’ancien style, c’est-à-dire qu’elles retardent de treize jours sur le calendrier universel, actuellement adopté par les soviets. L’auteur était forcé de suivre le calendrier qui était en usage à l’époque de la Révolution. Il ne serait pas difficile, vraiment, de transposer les dates en style moderne. Mais cette opération, qui éliminerait certaines difficultés, en créerait d’autres plus graves. Le renversement de la monarchie s’est inscrit dans l’Histoire sous le nom de Révolution de Février. Cependant, d’après le calendrier occidental, l’événement eut lieu en mars. Certaine manifestation armée contre la politique impérialiste du Gouvernement provisoire a été marquée dans l’histoire comme " journées d’Avril ", alors que, d’après le calendrier occidental, elle eut lieu en mai. Ne nous arrêtant pas à d’autres événements et dates intermédiaires, notons encore que la Révolution d’Octobre s’est produite, pour l’Europe, en novembre. Comme on voit, le calendrier même a pris la couleur des événements et l’historien ne peut se débarrasser des éphémérides révolutionnaires par de simples opérations d’arithmétique. Veuille le lecteur se rappeler qu’avant de supprimer le calendrier byzantin, la Révolution dut abolir les institutions qui tenaient à le conserver."

Léon TROTSKY.

dans la préface à l’histoire de la révolution russe - février

Sommaire du site

Malcolm X :

"Et d’abord, qu’est-ce qu’une révolution ? Parfois je suis enclin à croire qu’un grand nombre des nôtres utilisent le mot « révolution » sans se soucier de précision, sans prendre comme il convient en considération la signification réelle du mot et ses caractéristiques historiques. Lorsqu’on étudie la nature historique des révolutions, le motif d’une révolution, l’objectif d’une révolution, le résultat d’une révolution, et les méthodes utilisées dans une révolution, il est possible de transformer les mots. (…) De toutes les études auxquelles nous nous consacrons, celle de l’histoire est la mieux à même de récompenser notre recherche. Et lorsque vous vous apercevez que vous avez des problèmes, vous n’avez tout simplement qu’à étudier la méthode historique utilisée dans le monde entier par d’autres qui ont des problèmes identiques aux nôtres. (...)
je vous rappelle ces révolutions, mes frères et mes sœurs, pour vous montrer qu’il n’existe pas de révolution pacifique. Il n’existe pas de révolution où on tende l’autre joue. Une révolution non-violente, ça n’existe pas."

SITE :

La conception matérialiste de la Révolution

"Marx a donné une nouvelle théorie de la Révolution. On peut même dire que le marxisme n’est autre chose qu’un Système de révolution, ou, si l’on veut, la Philosophie de la Révolution sociale. Voici les idées directrices de cette véritable dynamique sociale

1. Les forces productives de l’Humanité ne cessent pas de progresser.

2. Des modifications lentes, provoquées par les besoins de la production et de l’échange, conduisent aux nouveaux modes de production, aux véritables révolutions techniques.

3. Tout nouveau mode de production signifie non seulement une révolution économique mais aussi une révolution politique et sociale. « Dans la production sociale de leur vie - dit Marx - les hommes contractent certains rapports indépendants de leur volonté. Ces rapports de production correspondent à un certain degré de développement de leurs forces productives matérielles . . . Le mode de production de la vie matérielle détermine, d’une façon générale, le progrès social politique et intellectuel de la vie ». Autrement dit, toute révolution dans le mode de production doit être nécessairement suivie par une révolution politique et sociale. Toute l’Histoire moderne confirme cette thèse fondamentale du marxisme. La révolution industrielle du XIX° siècle a révolutionné tous les rapports politiques et sociaux du globe. Et ces effets ne sont pas encore épuisés.

4. Pour qu’il y ait révolution, il doit y avoir contradiction, antagonisme, incompatibilité entre les forces productives développées et les rapports entre les hommes et les classes de la société. Le régime dominant devient « un obstacle » au développement des forces productives. Il entrave ou paralyse la nouvelle production. Et il doit céder aux nouvelles forces productives. Il se condamne ainsi à la mort, avec ou sans phrases. Ainsi l’ancien régime féodal avec ses jurandes, ses corporations, avec l’absence de toute liberté de mouvement, était un obstacle aux nouvelles forces productives de la bourgeoisie. Et il doit disparaître. La société capitaliste devient, à son tour, un obstacle aux nouvelles forces productrices du prolétariat : elle est condamnée à disparaître à son tour.

Les formes politiques et sociales, l’Etat et ses institutions, les associations religieuses et professionnelles de toutes sortes, constituent la « suprastructure », l’étage supérieur de l’édifice social, tandis que l’organisation économique, les rapports entre les hommes qui produisent et dirigent la production en forment « la base », le fondement.

L’écroulement de la base, du fondement, entraîne évidemment celui de tout l’édifice. Ceci n’est pas une métaphore. Un pays avec un régime capitaliste développé, que ce soit la monarchique Angleterre ou l’Empire demi-absolutiste de l’Allemagne, ou la France républicaine, est obligé par sa structure économique de se débarrasser peu à peu des entraves à la liberté. La liberté de mouvement de l’esprit suit de près celle du mouvement des marchandises. Les barrières de la censure tombent avec celles de la douane et des corporations. Les chemins de fer, le télégraphe, le téléphone, en révolutionnant l’échange des produits capitalistes, modifient du tout au tout celui des idées. L’homme borné dans son isolement, le misonéiste des campagnes, cède la place à l’homme social des villes. Le campagnard lui-même change de nature. Il se mêle le plus souvent possible à la vie des grandes cités. D’ailleurs, le service militaire universalisé l’y oblige.

Il n’y a pas d’exceptions à cette loi. Les dernières années ou, plus exactement, les premières années du XX° siècle ont confirmé, d’une façon brillante et incontestable, cette interdépendance de la politique et de l’économie.

Les pays que l’on croyait généralement endormis à tout jamais, comme éternellement figés - la Russie, la Turquie, la Perse, la Chine, la Chine surtout - ont été bouleversés, à la grande stupéfaction du public, mal informé, par des révolutions que l’on croyait impossibles : « La baguette magique » de l’industrie moderne avec ses inventions « diaboliques » les avait éveillés à une nouvelle vie. Quelle que soit leur destinée prochaine, leur innocence patriarcale de la période précapitaliste est perdue, et rien ne la ressuscitera.

Avec le développement capitaliste, la révolution devient inévitable, fatale. Cela ne veut pas dire qu’une révolution peut se passer de l’action des hommes. Le capitalisme lui-même développe avec l’aide de l’action humaine. Il ne s’agit pas ici de cela. L’homme fait et défait tout dans l’histoire. Mais son action est déterminée. Il n’agit pas en l’air, mais sur le terrain solide des réalités économiques. Et il s’agit de comprendre que la société, une fois engagée dans l’engrenage capitaliste, ne saurait plus échapper, qu’elle le veuille ou non, à toutes les conséquences du nouveau régime. La conception matérialiste économique de l’histoire établit que la révolution sociale est inévitable."

Charles Rappoport

Extraits de "Ludwig Feuerbach" de Karl Marx :

"A un certain stade de l’évolution des forces productives, on voit surgir des forces de production et des moyens de commerce qui, dans les conditions existantes, ne font que causer des désastres. Autre conséquence : une classe fait son apparition d’où émane la conscience de la nécessité d’une révolution en profondeur, la conscience communiste (...) Pour produire massivement cette conscience communiste, aussi bien que pour faire triompher la cause elle-même, il faut une transformation qui touche la masse des hommes ; laquelle ne peut s’opérer que dans un mouvement pratique, dans une révolution. Par conséquent, la révolution est nécessaire non seulement parce qu’il n’est pas d’autre moyen pour renverser la classe dominante, mais encore parce que c’est seulement dans une révolution que la classe révolutionnaire réussira à se débarrasser de toute l’ancienne fange et à devenir ainsi capable de donner à la société de nouveaux fondements."

Hegel dans « Phénoménologie de l’esprit » :

« Il n’est, d’ailleurs, pas difficile de voir que notre temps est un temps de la naissance et du passage à une nouvelle période. (…) De même que, chez l’enfant, après une longue nutrition silencieuse, la première respiration interrompt un tel devenir graduel de la progression de simple accroissement, - c’est là un saut qualitatif -, (…) de même se désintègre fragment après fragment l’édifice du monde précédent, tandis que le vacillement de celui-ci n’est indiqué que par des symptômes isolés (…) l’insouciance, l’ennui qui viennent opérer des fissures dans ce qui subsiste, le pressentiment indéterminé de quelque chose d’inconnu, sont des signes avant-coureur que ce quelque chose d’autre est en préparation. Cet effritement, progressant peu à peu, qui n’altérait pas la physionomie du tout, est interrompu par l’explosion du jour qui, tel un éclair, installe d’un coup la configuration d’un monde nouveau. (…) La substance vivante est (…) la négativité simple en sa pureté, par la même scission en deux de ce qui est simple (…) le devenir lui-même (…) le sérieux, la douleur, la patience et le travail du négatif (…) et, d’une façon générale, l’auto-mouvement de la forme. »

« Une révolution est un phénomène purement naturel qui obéit davantage à des lois physiques qu’aux règles qui déterminent en temps ordinaire l’évolution de la société. Ou plutôt, ces règles prennent dans la révolution un caractère qui les rapproche beaucoup plus des lois de la physique, la force matérielle de la nécessité se manifeste avec plus de violence. »

Friedrich Engels

Extrait d’une lettre à Karl Marx du 13 février 1851

« L’histoire en général, et plus particulièrement l’histoire des révolutions, est toujours plus riche de contenu, plus variée, plus multiforme, plus vivante, « plus ingénieuse » que ne le pensent les meilleurs partis, les avant-gardes les plus conscientes des classes les plus avancées. Et cela se conçoit, puisque les meilleures avant-gardes expriment la conscience, la volonté, la passion, l’imagination de dizaines de milliers d’hommes, tandis que la révolution est … l’œuvre de la conscience, de la volonté, de la passion et de l’imagination de dizaines de millions d’hommes aiguillonnés par la plus âpre lutte des classes. » Lénine
dans « La maladie infantile du communisme »
"La loi fondamentale de la révolution (...), la voici : pour que la révolution ait lieu, il ne suffit pas que les masses exploitées et opprimées prennent conscience de l’impossibilité de vivre comme autrefois et réclament des changements. Pour que la révolution ait lieu, il faut que les exploiteurs ne puissent pas vivre et gouverner comme autrefois. C’est seulement lorsque ceux d’en bas ne veulent plus et que ceux d’en haut ne peuvent plus continuer de vivre à l’ancienne manière, c’est alors seulement que la révolution peut triompher. Cette vérité s’exprime autrement en ces termes : la révolution est impossible sans une crise nationale (affectant exploités et exploiteurs)."

Lénine, "La maladie infantile du communisme", 1920

« La théorie et l’histoire enseignent que la substitution d’un régime social à un autre suppose la forme la plus élevée de la lutte des classes, c’est-à-dire la révolution. Même l’esclavage n’a pu être aboli aux Etats-Unis sans une guerre civile. La force est l’accoucheuse de toute vieille société grosse d’une nouvelle. Personne n’a encore été capable de réfuter ce principe énoncé par Marx de la sociologie des sociétés de classe. Seule la révolution socialiste peut ouvrir la voie au socialisme. »
Léon Trotsky
dans « Le marxisme et notre époque »

« L’histoire de la révolution est pour nous, avant tout, le récit de l’irruption violente des masses dans le domaine où se règlent leurs propres destinées. »
Léon Trotsky
dans Préface à l’« Histoire de la révolution russe »

LA COMMUNE DE PARIS DE 1871

« C’est précisément parce que les états dynamiques sont suspendus dans l’état critique que tout arrive à travers des révolutions et non graduellement. (...) Les grands systèmes comportant un grand nombre de composants évoluent vers un état intermédiaire « critique », loin de l’équilibre, et pour lequel des perturbations mineures peuvent déclencher des événements de toutes tailles, appelés « avalanches ». La plupart des changements se produisent au cours de ces événements catastrophiques plutôt qu’en suivant un chemin graduel et régulier. »
Le physicien Per Bak dans « Quand la nature s’organise »

Des scientifiques eux-mêmes font appel à l’idée de situation révolutionnaire, explosive, à propos des transitions de phase faisant passer la réalité d’un état dans un autre, qualitativement différent. Parmi les témoins auxquels je fais appel pour la défense de la notion de « révolution » en sciences, je voudrai particulièrement signaler Werner Heisenberg, grand physicien bien connu (auteur des inégalités de la physique quantique limitant la précision de toute mesure sur des quantités couplées) et qui n’est certainement pas un adepte politique des révolutions. Au début de son ouvrage, « La partie et le tout, le monde de la physique atomique », il raconte la genèse de ses idées et tient à rappeler qu’il a commencé à réfléchir aux atomes alors que lycéen, il faisait partie des jeunes volontaires enrôlés comme troupe fasciste contre la révolution des soviets ouvriers de Bavière, à Munich. Et pourtant, il avertit : « Si nous voulons parler de révolutions dans la science, il est important de regarder ces révolutions de très près. » Et pourtant, celui qui écrit ainsi est tout le contraire d’un révolutionnaire. La réalité qui lui apparaît en physique, elle, est bel et bien révolutionnaire : « Certes, j’ignore si l’on peut faire un parallèle entre les révolutions de la science et celles de la société humaine. (...) Du point de vue de l’évolution historique – et ceci est vrai, me semble-t-il, au même titre pour les arts et les sciences – de longues périodes d’arrêt ou en tout cas d’évolution très lente. (...) Cependant, à un moment donné ce lent processus – au cours duquel, peu à peu, le contenu de la discipline considérée subit une mutation – en arrive tout d’un coup, et parfois de façon tout à fait inattendue, à produire des possibilités et des valeurs nouvelles. » On pourrait penser que ces considérations sur les changements brutaux ne concernent que les idées en sciences et non la matière et son fonctionnement. C’est tout le contraire. Heisenberg défend l’idée que la matière subit des sauts qualitatifs, des discontinuités : « Comme vous le savez, Planck a découvert que l’énergie d’un système atomique varie de façon discontinue, que lors de l’émission d’énergie par un tel système, il existe, pour ainsi dire, des positions d’arrêt, correspondant à des énergies déterminées, c’est ce que j’ai appelé plus tard les états stationnaires. » Il cite là un débat avec Albert Einstein qui lui dit : « Vous savez que j’ai essayé de suggérer l’idée que l’atome tombe, pour ainsi dire subitement, d’un état d’énergie stationnaire à un autre, en émettant la différence d’énergie sous forme d’un paquet d’énergie ou encore quantum de lumière. Ceci serait un exemple particulièrement frappant de cette discontinuité dont j’ai parlé tout à l’heure. » Il lui répond ainsi : « Peut-être faudrait-il imaginer la transition d’un état stationnaire à un autre à peu près comme le passage d’une image à une autre dans certains films. « Et Einstein répondait : « Si votre théorie est juste, vous devrez me dire un jour ce que fait l’atome lorsqu’il passe d’un état à un autre en émettant de la lumière. » Heisenberg reconnaît ne pas connaître la réponse : « Lorsque l’électron (d’un atome) saute – dans le cas d’émission de rayonnement – d’une orbite à l’autre, nous préférons ne rien dire au sujet de ce saut : est-ce un saut est-ce un saut en longueur, un saut en hauteur ou quoi d’autre ? » Et, pour souligner la difficulté du problème et, surtout, à la fois la nécessité et la difficulté d’admettre la discontinuité de la nature, il cite un autre grand physicien quantique Erwin Schrödinger qui déclare : « Si ces damnés sauts quantiques devaient subsister, je regretterais de m’être jamais occupé de théorie quantique. »

Au sein de la dynamique, le changement brutal – la crise révolutionnaire – n’est pas un accident, mais un élément fondamental, constructif et même constitutif du processus. La conservation globale des caractéristiques d’une structure se fait au moyen de sauts, qui marquent la suppression de l’ancienne structure et la naissance d’une nouvelle. Les exemples de tels phénomènes sont légion. Pour subsister, la particule doit brutalement émettre un ou plusieurs photons par un processus qui est assimilable à un choc et par lequel la particule saute d’un état à un autre. Par l’émission de certains bosons (particules d’interaction), ceux du mécanisme de Higgs, la particule cède sa propriété de masse à la particule virtuelle voisine. Le virtuel devient réel et inversement, par une procédure assimilable au même type de choc et qui fonde une nouvelle structure. C’est par ce mécanisme de changement brutal que les caractéristiques de l’ancienne particule sont conservées. La conservation structurelle a eu lieu aux dépens de la matérialité de la particule. Cette dernière a disparu ou, plus exactement, ce n’est plus le même grain qui en est porteur. C’est au prix de cette disparition et de cette apparition que la matière se conserve au plan structurelle (conservation de la masse, de la charge, de l’énergie, etc). Le dédoublement de la cellule vivante a les mêmes caractéristiques (saut, brutalité, imprédictibilité, phénomène probabiliste). Le maintien des propriétés de la cellule s’est, là aussi, faite aux dépens de la vie de l’ancienne cellule disparue. La destruction est à la base de la construction. Le vivant a besoin de faire disparaître, sans cesse, quantité de cellules et de molécules. Les cellules vivantes sont des phénomènes en permanence à la limite de la crise menant à la mort.

Toutes ces crises, dans des domaines aussi divers, ont en commun un même mode de fonctionnement, qu’il s’agisse de la matière et de la vie mais également de la conscience et de la société. Ces caractéristiques communes sont l’interaction d’échelle, la discontinuité à grande échelle de matière, d’espace et de temps liée à la cohésion rapide et inaccoutumée des éléments individuels à petite échelle, le rapport de la durée d’interaction et du temps caractéristique de la structure, la création d’une organisation nouvelle des interactions, capable de bâtir un nouvel ordre dit émergent, c’est-à-dire qui n’est pas présent dans les éléments présents pris individuellement. A cette description, que les amateurs de propositions formelles peuvent choisir comme définition de la révolution, chaque spécialiste d’un de ces domaines dira qu’il reconnaît parfaitement soit la supraconductivité, soit la cristallisation, soit la crise économique, soit la fusion nucléaire, etc…

La compréhension des mécanismes de la matière nous éclaire sur le mode de fonctionnement des sociétés humaines (et inversement). La crise économique capitaliste illustre ce type de dynamique. Dans une crise boursière, on retrouve l’importance de la rapidité et de la taille des chocs. Si une augmentation ou une diminution de valeurs boursières diverses en grand nombre a lieu de manière cohérente dans un temps court, c’est la catastrophe. En temps normal, il y a sans cesse de petites crises pour telle ou telle valeur boursière, mais pas de crise générale. C’est la coordination de mouvements, d’ordinaire indépendants et sans cohérence, qui provoque la crise. Le désordre des achats et des ventes est synonyme de conservation et le trop grand ordre (cohérence brutale des achats et des ventes), réalisé brutalement, provoque un choc important capable de détruire la structure économique. La société humaine connaît le même type de phénomène quand des centaines de milliers de travailleurs sont, en même temps, concernés par un mouvement social de grande ampleur. Quelques luttes sociales et politiques, jusque là disjointes, se rejoignant dans un court laps de temps en un même mouvement, provoquant un changement qualitatif. En France, en 1789, l’aspiration des paysans à la terre, la revendication de la bourgeoisie d’un Etat à son service et de l’unification nationale, celles de liberté de la petite bourgeoisie radicale des villes, souvent contradictoires, se sont combinées en un seul et même mouvement. En Russie, en 1917, la révolution ouvrière, la révolte contre la guerre, l’aspiration à la terre et la revendication nationale des peuples opprimés, ne se contentent pas de s’additionner : si elles ont lieu simultanément sur un temps court, elles provoquent une situation nouvelle d’une dimension supérieure d’un niveau d’échelle supplémentaire.

La sociologie, la politique et l’histoire emploient, pour ce type de phénomène, le terme de révolution. La biologie, la médecine, la psychiatrie, l’évolutionnisme et la paléontologie ont recours, comme l’économie, à la notion de « crise », de la crise cardiaque à la crise d’extinction du Permien, de la crise d’épilepsie à la crise d’expansion de biodiversité du Cambrien. La physico-chimie appelle ces changements brutaux des « transitions de phase », des « phénomènes critiques », des « émergences de structure », des « ruptures de symétrie », etc… Ces images ne se contentent pas de décrire un domaine ou un autre, mais un même mode d’existence d’un processus dynamique et s’étendent du coup à une large catégorie de phénomènes. Ce qui caractérise les discontinuités à grande échelle, c’est d’être portées par des quantités de discontinuités aléatoires, à petite échelle, s’agitant en tous sens. Lors de la crise, « rupture » est bien le terme descriptif exact, car ces discontinuités élémentaires deviennent brutalement cohérentes, produisant une discontinuité à grande échelle. La liaison chimique se rompt. Le noyau atomique fissionne. La foudre rompt la symétrie de l’air, structurant un espace dans lequel était absente une direction favorable pour la propagation électrique. La rupture de symétrie est une image très efficace pour l’établissement d’un nouvel ordre. L’ordre social se fissure menant non seulement au chaos mais aussi parfois à un pouvoir d’un type nouveau. La pente de neige se fend, déstabilisant des masses considérables de matière. La neige a changé de structure et un simple mouvement a suffi à provoquer une grande catastrophe. L’écorce terrestre se brise. La planète connaît des grands tremblements de terre. S’ils sont assez rares à grande échelle, il y a en permanence des myriades de secousses de petite échelle, de toutes sortes de tailles, sans périodicité fixe. Dans tous ces phénomènes divers, on constate de multiples agitations, apparemment aléatoires, qui se coordonnent dans un temps très court. Les photons devenus cohérents donnent le faisceau laser. La trop grande cohérence des vibrations dans la matière entraîne non seulement la rupture de la structure mais la formation d’une structure nouvelle à grande échelle.

Le rôle des révolutions, des scientifiques l’ont remarqué qui établissent parfois le parallèle avec ce qu’ils observent en sciences. C’est le cas du biochimiste Roger Lewin, dans « La complexité », où il interviewe des archéologues qui constatent que l’Etat est précédent d’une situation d’ « imminence de l’effondrement » dans des situations aussi diverses que la chute de l’empire romain ou celle de la civilisation Maya ou de Chaco Canyon. Il rajoute : « il s’agit de tournants dans l’histoire des sociétés, de changements rapides comme ceux observés dans les systèmes biologiques et physiques sous l’appellation de transitions de phase. »

Dans le concept de révolution, il n’y a pas seulement la discontinuité, le choc, la rétroaction du lent et du rapide et l’interaction d’échelle, une autre notion est tout aussi fondamentale en physique, en biologie qu’en histoire des sociétés, c’est celle d’irréversibilité. Quand une structure est apparue, ce tournant n’est jamais revenu en arrière. L’univers est resté marqué par ce changement. C’est le cas pour l’apparition des diverses sortes de matière, de particules d’interaction, de structures les associant, de structures à grande échelle, de vie ou de société. Un changement révolutionnaire signifie que la transformation a produit une marque indélébile. Ainsi, Léon Trotsky remarquait dans son ouvrage « La révolution russe » que la révolution de 1917 n’avait pas fait que produire des transformations en Russie et dans le monde. Elle avait transformé de façon irréversible les relations sociales, la perception que nous avions et même les mots pour les décrire. Il en va de même en sciences. L’irréversibilité est partout présente dans la matière. C’est un caractère fondamental du processus, aussi important que la non-linéarité, l’historicité, la hiérarchisation de structures, la discontinuité, le caractère qualitatif du saut ou l’émergence. L’irréversibilité n’est pas seulement un produit du niveau macroscopique de structure de la matière. Elle est également microscopique. Gilles Cohen-Tannoudji le rapporte dans « La Matière-Espace-Temps » : « L’irréversibilité reste au cœur des phénomènes physiques, même en théorie quantique relativiste. » C’est l’irréversibilité qui fait de la matière, de la vie et de la société des produits historiques.

En termes historiques, la révolution est elle aussi effacée des ouvrages. Qui se souvient des révolutions victorieuses de l’Antiquité : la révolution sociale (contre les riches et les religieux) qui renversa à Sumer la dynastie d’Ur-Nanshé vers – 2400 (avant J.-C), celle des régimes du Levant en -2300 avant JC, comme la révolution sociale contre les pharaons d’Egypte en -2260 avant JC qui supprima le règne des pharaons durablement produisant le premier "interrègne", le renversement des royaumes de Grèce vers -2000 avant JC, la révolution qui, en -1750 avant JC, renverse le régime de Mésopotamie du jeune roi Samsoullouna, celle contre l’Etat et la classe dirigeante de l’île de Crête (qui détruisit tous les bâtiments officiels et tous les édifices religieux du régime de Cnossos en 1425 avant J.-C), la révolution contre les corvées au royaume de Juda et qui engendra le royaume d’Israêl en -933 avant JC, la révolution contre la maison royale d’Israêl en -842 avant JC, le succès de la révolte contre le roi chinois Li-Wang en -841 avant JC, le soulèvement d’abord victorieux des peuples opprimés par le régime assyrien en -701 réprimé en -689, le renversement de l’empire maya vers -600, la révolte contre la noblesse et les dettes qui contraint les classes dirigeantes à faire appel à Solon, la révolte contre la dictature à Athènes en -510 qui amena la libération d’un grand nombre d’esclaves, la chute de la tyrannie à Agrigente en -470, la chute de la tyrannie à Syracuse en -466, la révolte victorieuse du peuple contre la noblesse de Corfou en -427 ou encore l’insurrection générale de forçats et de paysans sous la direction d’un paysan pauvre Tcheng Cheng qui mit fin à la dynastie impériale chinoise des Ts’in ? Qui se souvient que ces révolutions, même parfois défaites, ont marqué toute l’histoire ?

La bourgeoisie actuellement dominante craint tellement la révolution ouvrière qu’elle a même effacé la révolution bourgeoise de son livre d’Histoire !

extrait de "Staline" de Léon Trotsky :

"La révolution brise et démolit l’appareil du vieil Etat. C’est sa première tâche. Les masses prennent possession de l’arène politique. Elles décident, elles agissent, elles légifèrent à leur façon, qui n’a pas de précédent ; elles jugent, elles ordonnent. L’essence de la révolution c’est que la masse devient son propre organe exécutif. Mais quand les hommes qui l’ont animée quittent la scène, se replient vers leurs districts, se retirent dans leurs foyers, inquiets, désillusionnés, fatigués, l’arène tombe dans l’abandon, et sa désolation ne fait qu’augmenter à mesure que la nouvelle machine bureaucratique l’occupe. Naturellement, les nouveaux dirigeants, peu sûrs d’eux-mêmes et de la masse, sont pleins d’appréhension. C’est pourquoi, aux époques de réaction victorieuse, la machine militaro-policière joue un rôle beaucoup plus grand que sous l’ancien régime. Dans sa courbe, de la Révolution à Thermidor, la nature spécifique du Thermidor russe était déterminée par le rôle que le Parti y jouait. La Révolution française n’avait rien de ce genre à sa disposition. La dictature des Jacobins, en tant qu’elle était personnifiée par le Comité de salut public, ne dura qu’une année. Cette dictature avait un appui réel dans la Convention, qui était bien plus forte que les clubs et les sections révolutionnaires. Ici réside la contradiction classique entre le dynamisme de la révolution et son reflet parlementaire. Les éléments les plus actifs des classes participent à la lutte révolutionnaire qui oppose ouvertement les forces antagonistes. Les autres - les neutres, les passifs, les inconscients - semblent se mettre eux-mêmes hors du jeu. Au moment des élections, la participation s’élargit ; elle englobe une portion considérable de ceux qui ne sont que semi-passifs ou semi-indifférents. En temps de révolution, les représentants parlementaires sont infiniment plus modérés et pondérés que les groupes révolutionnaires qu’ils représentent. Afin de dominer la Convention, les Montagnards lui laissèrent, plutôt qu’aux éléments révolutionnaires du peuple, le gouvernement de la nation.

Malgré le caractère incomparablement plus profond de la Révolution d’Octobre, l’armée du Thermidor soviétique était recrutée essentiellement parmi les restes des anciens partis dirigeants et leurs représentants idéologiques. Les anciens grands propriétaires fonciers, les capitalistes, les avocats, leurs fils - c’est-à-dire ceux d’entre eux qui n’avaient pas fui à l’étranger - étaient incorporés dans la machine de l’Etat, et même une portion non négligeable dans le Parti, mais le plus grand nombre de ceux admis dans les appareils de l’Etat et du Parti étaient d’anciens membres des formations petites-bourgeoises - menchévistes et socialistes-révolutionnaires. Il faut ajouter à ceux-ci une énorme quantité de philistins purs et simples qui s’étaient mis à l’abri durant les époques tumultueuses de la Révolution et de la guerre civile, et qui, convaincus enfin de la stabilité du gouvernement soviétique, se vouaient avec une passion singulière à la noble tâche de s’assurer des emplois agréables et permanents, sinon au centre, au moins dans les provinces. Cette énorme racaille aux couleurs diverses était l’appui naturel du Thermidor.

Ses sentiments allaient du rose pâle à la pure blancheur. Les socialistes-révolutionnaires étaient, naturellement, prêts en tout temps, et de toutes les façons, à défendre les intérêts des paysans contre les menaces de ces bandits d’« industrialistes », tandis que les menchéviks, en gros, pensaient que plus de liberté et plus de terres devraient être données à la bourgeoisie paysanne, dont ils étaient devenus les porte-parole politiques. Les survivants de la grande bourgeoisie et des propriétaires fonciers, qui avaient trouvé leur voie vers des emplois gouvernementaux virent naturellement dans les paysans leur planche de salut. En tant que champions de leurs propres intérêts de classe, ils ne pouvaient s’attendre à des succès quelconques pour le temps présent et comprenaient parfaitement qu’ils avaient à passer par une période de défense de la paysannerie. Aucun de ces groupes ne pouvait ouvertement relever la tête. Ils avaient tous besoin de la coloration protectrice du Parti dirigeant et du bolchévisme traditionnel. La lutte contre la révolution permanente devint pour eux la lutte contre la consécration de l’anéantissement de leurs anciens privilèges. Il est naturel qu’ils aient accepté joyeusement pour être leurs dirigeants ceux des bolchéviks qui s’étaient dressés contre la révolution permanente.

L’économie avait pris un nouvel essor : un certain surplus apparut. Naturellement, il était concentré dans les villes et entièrement à la disposition des couches dirigeantes. Il ramena avec lui des théâtres, des restaurants et des cabarets. Des centaines de milliers d’hommes de diverses professions qui avaient passé les brûlantes années de la guerre civile dans une sorte de coma revivaient maintenant, s’étiraient et commençaient à prendre part à la restauration d’une vie normale. Ils étaient tous du côté des adversaires de la révolution permanente. Tous voulaient la paix, la croissance et le renforcement de la paysannerie, et aussi la prospérité accrue des établissements de plaisir dans les villes ; c’est cette permanence plutôt que celle de la révolution qu’ils recherchaient. Le professeur Oustryalov se demanda si la Nep (nouvelle économie politique) de 1921 était une « tactique » ou une « évolution ». Cette question troubla beaucoup Lénine. Le cours ultérieur des événements montra que la « tactique », grâce à une configuration spéciale des conditions historiques, devint source d’« évolution ». La retraite stratégique du parti révolutionnaire, fut utilisée comme point de départ de sa dégénérescence.

La contre-révolution s’installe quand l’écheveau des conquêtes sociales commence à se dévider ; il semble alors que le dévidage ne cessera plus. Cependant, quelque portion des conquêtes de la révolution est toujours préservée. Ainsi, en dépit de monstrueuses déformations bureaucratiques, la base de classe de l’U.R.S.S. reste prolétarienne. Mais n’oublions pas que ce processus de déroulement n’a pas encore été complété, et que l’avenir de l’Europe et du monde durant les prochaines décades n’a pas encore été décidé. Le Thermidor russe aurait certainement ouvert une nouvelle ère du règne de la bourgeoisie si ce règne n’était devenu caduc dans le monde entier. En tout cas, la lutte contre l’égalité et l’instauration de différenciations sociales très profondes n’ont pu jusqu’ici éliminer la conscience socialiste des masses, ni la nationalisation des moyens de production et de la terre, qui sont les conquêtes socialistes fondamentales de la Révolution. Bien qu’elle ait porté de graves atteintes à ces achèvements, la bureaucratie n’a pu s’aventurer encore à recourir à la restauration de l’appropriation privée des moyens de production. A la fin du dix-huitième siècle, la propriété privée des moyens de production était un facteur progressif de haute signification : elle avait encore l’Europe et le monde à conquérir. Mais aujourd’hui la propriété privée est le plus grand obstacle an développement normal des forces de production. Bien que par la nature de son nouveau mode de vie, de son conservatisme, de ses sympathies politiques, l’énorme majorité de la bureaucratie soit portée vers la petite bourgeoisie, ses racines économiques reposent grandement dans les nouvelles conditions de propriété. La croissance des relations bourgeoises menaçait non seulement la base socialiste de la propriété, mais aussi le fondement social de la bureaucratie ; elle pouvait avoir voulu répudier la perspective socialiste du développement en faveur de la petite bourgeoisie ; mais elle n’était disposée en aucun cas à répudier ses propres droits et privilèges en faveur de cette même petite bourgeoisie C’est cette contradiction qui conduisit au conflit extrêmement vif qui éclata entre la bureaucratie et le koulaks.

C’est en cela que le Thermidor soviétique diffère radicalement de son prototype français. La dictature jacobine avait été nécessaire pour déraciner la société féodale et défendre le nouvel ordre social contre les attaques de l’ennemi du dehors. Cela fait, la tâche du régime thermidorien consista à créer les conditions nécessaires du développement de cette nouvelle société qui était bourgeoise, c’est-à-dire basée sur la propriété privée et la liberté du commerce dégagée de la plupart de ses entraves antérieures. La restauration d’une liberté du commerce limitée par la Nep en 1921 fut une retraite devant les exigences bourgeoises. Mais en fait ce commerce libre était si restreint qu’il ne pouvait saper les fondations du régime (la nationalisation des moyens de production) et les rênes du gouvernement restaient entre les mains des Jacobins russes qui avaient dirigé la Révolution d’Octobre. Même l’extension ultérieure de cette liberté commerciale en 1925 n’altéra pas la base du régime, bien que la menace devînt alors plus grande. La lutte contre le trotskisme était menée au nom du paysan, derrière lequel se cachaient le nepman vorace et le bureaucrate avide. Aussitôt que le trotskisme eut été vaincu, la location des terres fut légalisée, et sur toute la ligne le glissement du pouvoir de la gauche vers la droite devint manifeste, malgré les revirements occasionnels vers la gauche, car ceux-ci étaient toujours suivis de retours encore plus prononcés à droite. Dans la mesure où la bureaucratie utilisa ses balancements vers la gauche pour acquérir une accélération du mouvement pour chaque saut suivant à droite, le zigzag se développait régulièrement aux dépens des masses travailleuses et dans l’intérêt d’une minorité privilégiée, son caractère thermidorien est indéniable.

Jean-Jacques Rousseau nous enseigna que la démocratie politique était incompatible avec une trop grande inégalité. Les Jacobins, représentants de la masse petite-bourgeoise, étaient imprégnés de cet enseignement. La législation de la dictature jacobine, spécialement les lois du maximum, reposait sur cette conception. La législation soviétique également, qui bannissait l’inégalité même de l’armée. Sous Staline, tout cela a changé, et, aujourd’hui, l’inégalité n’est pas seulement sociale, mais économique. Elle a été favorisée par la bureaucratie, avec cynisme et effronterie, au nom de la doctrine révolutionnaire du bolchévisme. Dans sa campagne contre les critiques trotskistes du régime de l’inégalité, dans son agitation en faveur des taux différents de salaires, la bureaucratie invoqua les ombres de Marx et de Lénine, et chercha une justification de ses privilèges sous le couvert du paysan « moyen » travaillant dur et de l’ouvrier qualifié. Elle prétendit que l’Opposition de gauche essayait de priver le travail qualifié du salaire supérieur auquel il avait pleinement droit. C’était la même sorte de camouflage démagogique que celle pratiquée par le capitaliste et le propriétaire foncier versant des larmes de crocodile au nom du mécanicien qualifié, du petit commerçant entreprenant et du fermier toujours martyr. C’était une manœuvre habile de la part de Staline et elle trouva naturellement un appui immédiat chez les fonctionnaires privilégiés, qui, pour la première fois, virent en lui leur chef élu. Avec un cynisme sans bornes, l’égalité fut dénoncée comme un préjugé petit-bourgeois ; l’opposition était stigmatisée comme ennemi principal du marxisme et grand pécheur contre les évangiles de Lénine. Vautrés dans des autos, techniquement propriété du prolétariat, dans leur voyage aux villes d’eaux, elles aussi propriété du prolétariat, les bureaucrates riaient follement en s’écriant : « Pourquoi nous sommes-nous battus ? » Cette phrase ironique fut très populaire à l’époque. La bureaucratie avait respecté Lénine, mais elle avait toujours trouvé sa main puritaine plutôt irritante. Une épigramme courante en 1926-1927 caractérisait son attitude à l’égard de l’Opposition unifiée : « On tolère Kaménev, mais on ne le respecte pas. On respecte Trotsky, mais on ne le tolère pas. On ne tolère ni ne respecte Zinoviev. » La bureaucratie cherchait un chef qui fût le premier parmi des égaux. La fermeté de caractère de Staline et son esprit borné lui inspiraient confiance. « Nous ne craignons pas Staline, disait lénoukidzé à Sérébriakov. Aussitôt qu’il voudra prend de grands airs, nous l’éliminerons. » Mais, en fin compte, c’est Staline qui les « élimina ».

Le Thermidor français, déclenché par des Jacobins de gauche, se retourna finalement en réaction contre tous les Jacobins. « Terroristes », « Montagnards », « Jacobins » devinrent des termes d’injure. Dans les provinces, les arbres de la liberté étaient abattus et la cocarde tricolore foulée aux pieds. De telles pratiques étaient inconcevables dans la République soviétique. Le parti totalitaire renfermait en lui tous les éléments indispensables de la réaction, qu’il mobilisait sous la bannière officielle de la Révolution d’Octobre. Le Parti ne tolérait aucune compétition, pas même dans la lutte contre ses ennemis. La lutte contre les trotskistes ne se transforma pas en lutte contre les bolchéviks parce que le Parti avait absorbé cette lutte dans sa totalité, lui avait fixé certaines limites et la menait au nom du bolchévisme.

Aux yeux des naïfs, la théorie et la pratique de la troisième période semblent réfuter la théorie de la période thermidorienne de la Révolution russe. En fait, elles ne font que la confirmer. La substance de Thermidor était, est et ne pouvait manquer d’être sociale en son caractère. Elle représentait la cristallisation d’une nouvelle couche privilégiée, la création d’un nouveau substratum pour la classe économiquement dominante. Deux prétendants ambitionnaient ce rôle : la petite bourgeoisie et la bureaucratie elle-même. Elles devaient lutter coude à coude dans la bataille pour briser la résistance de l’avant-garde prolétarienne. Quand cette tâche eut été accomplie, une lutte sauvage se déchaîna entre elles. La bureaucratie prit peur de son isolement, de son divorce d’avec le prolétariat. Seule elle était incapable d’écraser le koulak et pas davantage la petite bourgeoisie, qui avait crû et continuait de croître sur la base de la Nep, il lui fallait l’aide du prolétariat. De là ses efforts concertés pour présenter sa lutte contre la petite bourgeoisie pour les excédents et pour le pouvoir comme la lutte du prolétariat contre des tentatives de restauration capitaliste.

L’analogie avec le Thermidor français s’arrête ici. La nouvelle base sociale de l’Union soviétique devint dominante. Maintenir la nationalisation des moyens de production et de la terre, c’est une loi de vie ou de mort pour la bureaucratie, car c’est la source sociale de sa position dominante. Ce fut la raison de sa lutte contre le koulak. La bureaucratie ne pouvait la mener, et la mener jusqu’au bout, qu’avec l’appui du prolétariat. Qu’elle ait réussi à obtenir cet appui, rien ne le prouve mieux que l’avalanche de capitulations de représentants de la nouvelle opposition. La lutte contre le koulak, la lutte contre l’aile droite - c’étaient les mots d’ordre officiels de cette période - apparurent aux ouvriers et à beaucoup d’oppositionnels de gauche comme une renaissance de la dictature du prolétariat et de la révolution socialiste. Nous les avertîmes à l’époque : il ne s’agit pas seulement de ce qui est fait, mais aussi de qui le fait. Dans les conditions de la démocratie soviétique, c’est-à-dire du gouvernement des travailleurs, la lutte contre les koulaks n’aurait pu assumer une forme semblable à celle qu’elle prit alors : convulsive, paniquarde et bestiale, et elle aurait dû conduire à une élévation générale du niveau économique et culturel des masses sur la base de l’industrialisation. Mais la lutte de la bureaucratie contre le koulak n’était qu’un combat mené sur le dos des travailleurs ; et puisque aucun des combattants n’avait confiance dans les masses, puisque tous deux les craignaient, la lutte revêtit un caractère désordonné et meurtrier. Grâce à l’appui du prolétariat, elle se termina par une victoire pour la bureaucratie mais une victoire qui ne pouvait accroître le poids spécifique du prolétariat dans la vie politique du pays.

Pour comprendre le Thermidor russe, il est indispensable de se faire une idée exacte du rôle du Parti en tant que facteur politique. Il n’y avait rien qui ressemblât, même de loin, au Parti bolchéviste dans la Révolution française. Pendant la période thermidorienne, il y avait en France divers groupes sociaux sous diverses étiquettes politiques qui se dressèrent l’un contre l’autre au nom d’intérêts sociaux déterminés. Les Thermidoriens s’attaquèrent aux Jacobins en les qualifiant de terroristes. La jeunesse dorée soutint les thermidoriens sur la droite, les menaçant en même temps. En Russie, ces divers processus, conflits et unions étaient recouverts du nom du parti unique.

Extérieurement, ce même parti unique célébrait les étapes de son existence au commencement du gouvernement soviétique et vingt ans plus tard, recourant aux mêmes méthodes au nom des mêmes buts : la préservation de sa pureté politique et de son unité. En fait, le, rôle du Parti et le rôle des épurations avaient été radicalement modifiés. Dans les premiers temps du pouvoir soviétique, le vieux parti révolutionnaire se débarrassait de ses arrivistes ; parallèlement, les comités étaient composés d’ouvriers révolutionnaires. Les aventuriers, ou arrivistes, ou les simples canailles qui tentaient d’obtenir des postes gouvernementaux étaient jetés par-dessus bord. Mais les épurations des récentes années furent, au contraire, entièrement dirigées contre les vieux révolutionnaires. Les organisateurs de ces épurations étaient les pires bureaucrates et les fonctionnaires les plus médiocres du Parti. Les victimes des épurations étaient les hommes les plus loyaux, les plus dévoués aux traditions révolutionnaires, et, avant tout, la génération des aînés révolutionnaires, les éléments vraiment prolétariens. La signification sociale des épurations a changé essentiellement, mais ce changement est masqué par le fait que les épurations ont été opérées par le même Parti. En France, nous voyons, dans des circonstances correspondantes, le mouvement tardif des districts petits-bourgeois et ouvriers contre les sommets de la petite et de la moyenne bourgeoisie, représentés par les thermidoriens, et aidés par les bandes de la jeunesse dorée.

Aujourd’hui, ces bandes mêmes de la jeunesse dorée sont dans le Parti et dans la Jeunesse communiste. Elles constituent les détachements de combat, recrutés parmi les fils de la bourgeoisie, jeunes privilégiés résolus à défendre leur position privilégiée et celle de leur famille. Il suffira de souligner le fait que, à la tête de la Jeunesse communiste, pendant de nombreuses années, se trouvait Kossarev, connu de tous comme moralement dégénéré, et qui abusait de sa haute situation pour réaliser ses visées personnelles ; tout son appareil se composait d’hommes du même type. Telle était la jeunesse dorée du Thermidor russe. Son incorporation directe dans le Parti masquait sa fonction sociale comme détachement de combat des privilégiés contre les ouvriers et les opprimés. La jeunesse dorée soviétique criait : « A bas le trotskisme ! Vive le Comité central léniniste ! » exactement comme la jeunesse dorée du Thermidor français criait : « A bas les Jacobins ! Vive la Convention ! »

Les Jacobins se maintinrent surtout grâce à la pression de la rue sur la Convention. Les Thermidoriens, c’est-à-dire les Jacobins déserteurs, tentèrent d’employer la même méthode, mais pour des fins opposées. Ils commencèrent à organiser des fils bien habillés de la bourgeoisie, d’anciens sans-culottes. Ces membres de la jeunesse dorée, ou simplement les « jeunes », comme les appelait avec indulgence la presse conservatrice, devinrent un facteur si important de la politique nationale que, à mesure que les Jacobins étaient expulsés de leurs postes administratifs, ces « jeunes » prenaient leur place. Un processus identique se poursuit encore actuellement dans l’Union soviétique. En fait, il s’est considérablement développé sous Staline.

La bourgeoisie thermidorienne se caractérisait par une haine profonde des Montagnards, car ses propres dirigeants avaient été pris parmi les hommes qui avaient été à la tête des sans-culottes. La bourgeoisie, et avec elle les thermidoriens, redoutaient avant tout un nouveau soulèvement populaire. C’était précisément pendant cette période que se formait pleinement, dans la bourgeoisie française, la conscience de classe ; elle détestait les Jacobins et les demi-Jacobins d’une haine enragée - comme des traîtres à ses intérêts les plus sacrés, comme des déserteurs passés à l’ennemi, comme des renégats. La source de la haine de la bureaucratie soviétique pour les trotskistes a le même caractère social. Ici, nous voyons des membres de la même couche, du même groupe dirigeant, de la même bureaucratie privilégiée, qui renoncent à leurs postes pour lier leur destin à celui des sans-culottes, des déshérités, des prolétaires, des paysans pauvres. Toutefois, la différence réside en ce fait que la bourgeoisie française était déjà constituée avant la grande révolution, elle brisa sa coquille politique au sein de l’Assemblée constituante ; mais elle avait à passer par la période de la Convention et de la dictature jacobine afin de pouvoir cohabiter avec ses ennemis, tandis que, durant la période thermidorienne, elle restaura sa tradition historique. La caste dirigeante soviétique, elle, se composait entièrement de bureaucrates thermidoriens, recrutés non seulement dans les rangs bolchévistes, mais aussi dans les partis petits-bourgeois et bourgeois, et ces derniers avaient de vieux comptes à régler avec les « fanatiques » du bolchévisme.

Thermidor reposait sur un fondement social. C’était une question de pain, de viande, de logement et, si possible, de luxe. L’égalité jacobine bourgeoise, qui revêtit la forme de la réglementation du maximum, restreignait le développement de l’économie bourgeoise et l’extension du bien-être bourgeois. Sur ce point, les thermidoriens savaient parfaitement bien ce qu’ils voulaient ; dans la Déclaration des droits, ils exclurent le paragraphe essentiel, « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » A ceux qui demandèrent le rétablissement de cet important paragraphe jacobin, les thermidoriens répondirent qu’il était équivoque et par suite dangereux ; naturellement les hommes étaient égaux en droits, mais non dans leurs aptitudes et dans leurs biens. Thermidor était une protestation directe contre le caractère spartiate et contre l’effort vers l’égalité.

On trouve la même motivation sociale dans le Thermidor soviétique. La question primordiale était d’en finir avec les limitations spartiates de la première période de la Révolution. Mais il s’agissait aussi de consacrer les privilèges croissants de la bureaucratie. Il ne s’agissait nullement d’instaurer un régime économique libéral ; les concessions dans cette direction étaient temporaires et durèrent bien moins longtemps qu’on ne l’avait prévu. Un régime libéral sur la base de là propriété privée signifie la concentration de la richesse entre les mains de la bourgeoisie, spécialement de ses sommets. Les privilèges de la bureaucratie ont une origine différente. La bureaucratie s’attribue cette part du revenu national qu’elle peut s’assurer soit par l’exercice de sa force ou de son autorité, soit par une intervention directe dans les rapports économiques. En ce qui concerne le surplus de la production nationale, la bureaucratie et la petite bourgeoisie, d’alliées qu’elles étaient, devinrent très vite ennemies. Le contrôle du surplus ouvrit, pour la bureaucratie, la route du pouvoir."

Extraits de "Europe et Amérique" de Léon Trotsky :

Quels sont les postulats de la révolution sociale, dans quelles conditions peut-elle surgir, se développer et vaincre ? Ces postulats sont très nombreux. Mais on peut les rassembler en trois et même en deux groupes : les postulats objectifs et les postulats subjectifs : Les postulats objectifs reposent sur un niveau déterminé de développement des forces de production. (C’est là une chose élémentaire, mais il n’est pas inutile de revenir de temps en temps à " l’alpha-beta ", aux fondements du marxisme, afin d’arriver, à l’aide de l’ancienne méthode, aux nouvelles conclusions qu’impose la situation actuelle). Ainsi donc, le postulat capital de la révolution sociale est un niveau déterminé de développement des forces productives, un niveau où le socialisme et ensuite le communisme, comme mode de production et de répartition des biens, offrent des avantages matériels. Il est impossible d’édifier le communisme ou même le socialisme à la campagne, où règne encore la herse. Il faut un certain développement de la technique.

Or, ce niveau de développement est-il atteint dans l’ensemble du monde capitaliste ? Oui, incontestablement. Qu’est-ce qui le prouve ? C’est que les grandes entreprises capitalistes, les trusts, les syndicats, triomphent dans le monde entier des petites et moyennes entreprises. Ainsi donc, une organisation économique sociale qui s’appuierait uniquement sur la technique des grandes entreprises, qui serait construite sur le modèle dos trusts et des syndicats, mais sur les bases de la solidarité, qui serait étendue à une nation, à un Etat, puis au monde entier, offrirait des avantages matériels énormes. Ce postulat existe depuis longtemps.

Deuxième postulat objectif : il faut que la société soit dissociée de façon qu’il y ait une classe intéressée à la révolution socialiste et que cette classe sait assez nombreuse et assez influente au point de vue de la production pour faire elle-même cette révolution. Mais cela ne suffit pas. Il faut encore que cette classe – et là nous passons au postulat subjectif – comprenne la situation, qu’elle veuille consciemment le changement de l’ancien ordre de choses, qu’elle ait à sa tête un parti capable de la diriger au moment du coup de force et de lui assurer la victoire. Or cela présuppose un certain état de la classe bourgeoise dirigeante qui doit avoir perdu son influence sur les masses populaires, être ébranlée dans ses propres rangs, avoir perdu de son assurance. Cet état de la société représente précisément une situation révolutionnaire. Ce n’est que sur des bases sociales de production déterminées que peuvent surgir les prémisses psychologiques, politiques et organiques pour la réalisation de l’insurrection et sa victoire.

Le deuxième postulat : dissociation de classe, autrement dit rôle et importance du prolétariat dans la société, existe-t-il ? Oui, il existe déjà depuis des dizaines d’années. C’est ce que prouve, mieux que tout, le rôle du prolétariat russe, qui pourtant est de formation relativement récente. Qu’est-ce qui a manqué jusqu’à présent ? Le dernier postulat subjectif, la conscience par le prolétariat d’Europe de sa situation dans la société, une organisation et une éducation appropriées, un parti capable de diriger le prolétariat. Voilà ce qui a manqué. Maintes fois, nous marxistes, nous avons dit que, en dépit de toutes les théories idéalistes, la conscience de la société retarde sur son développement, et nous en avons une preuve éclatante dans le sort du prolétariat mondial. Les forces de production sont depuis longtemps mûres pour le socialisme. Le prolétariat, depuis longtemps, tout au moins dans les pays capitalistes les plus importants, joue un rôle économique décisif. C’est de lui que dépend tout le mécanisme de la production et, par suite, de la société. Ce qui fait défaut, c’est le dernier facteur subjectif : la conscience retarde sur la vie.

La guerre impérialiste a été le châtiment historique de ce retard sur la vie, mais, d’autre part, elle a donné au prolétariat une puissante impulsion. Elle a eu lieu parce que le prolétariat n’a pas été en état de la prévenir, car il n’était pas encore arrivé à se connaître dans la société, à comprendre son rôle, sa mission historique, à s’organiser, à s’assigner la tache de la prise du pouvoir et ’à s’en acquitter. En même temps, la guerre impérialiste, qui a été un châtiment non pas d’une faute mais d’un malheur du prolétariat, devait être et a été un puissant facteur révolutionnaire.

La guerre a montré la nécessité profonde, urgente, d’un changement du régime social. Bien avant la guerre, le passage à l’économie socialiste présentait des avantages sociaux considérables, autrement dit, les forces de production se seraient, sur les bases socialistes, développées beaucoup plus alors que sur les bases capitalistes. Mais, même sur les bases du capitalisme, les forces de production avant la guerre croissaient rapidement, non seulement en Amérique, mais aussi en Europe. C’est en cela que consistait la "justification" relative de l’existence du capitalisme lui-même. Depuis la guerre impérialiste, le tableau est tout autre : les forces de production, loin de croître, diminuent. Et il ne peut s’agir maintenant que de réparer les destructions, mais non de continuer à développer les forces de production. Ces dernières, encore plus qu’auparavant, sont à l’étroit dans le cadre de la propriété individuelle et dans le cadre des Etats créés par la paix de Versailles. Le fait que la progression de l’humanité est maintenant, inconciliable avec l’existence du capitalisme, a été prouvé incontestablement par les événements des dix dernières années. En ce sens, la guerre a été un facteur révolutionnaire. Mais, elle ne l’a pas été seulement dans ce sens. Détraquant impitoyablement toute l’organisation de la société, elle a tiré de l’ornière du conservatisme et de la tradition la conscience des masses laborieuses. Nous sommes entrés dans l’époque de la révolution.

La suite

Portfolio

Messages

  • Nous appelons « révolution » tout état transitoire dans lequel l’ordre établi peut basculer qualitativement et brutalement. Mais, surtout, nous appellerons révolution une situation qui mène à l’émergence brutale d’une structure, qualitativement nouvelle, issue de l’agitation et des contradictions à l’échelon hiérarchique inférieur, encore appelée auto-organisation. Du coup, ce processus concerne aussi bien les différents domaines des sciences. La politique est particulièrement concernée par la question de l’auto-organisation des prolétaires. Rappelons l’expression qu’en donnait Karl Marx : « Le socialisme sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. » Pour se préparer à devenir un nouveau pouvoir, les exploités ont besoin de retrouver le sens de l’organisation collective et la confiance dans leurs propres forces

  • Malcolm X :

    "Et d’abord, qu’est-ce qu’une révolution ? Parfois je suis enclin à croire qu’un grand nombre des nôtres utilisent le mot « révolution » sans se soucier de précision, sans prendre comme il convient en considération la signification réelle du mot et ses caractéristiques historiques. Lorsqu’on étudie la nature historique des révolutions, le motif d’une révolution, l’objectif d’une révolution, le résultat d’une révolution, et les méthodes utilisées dans une révolution, il est possible de transformer les mots. (…) De toutes les études auxquelles nous nous consacrons, celle de l’histoire est la mieux à même de récompenser notre recherche. Et lorsque vous vous apercevez que vous avez des problèmes, vous n’avez tout simplement qu’à étudier la méthode historique utilisée dans le monde entier par d’autres qui ont des problèmes identiques aux nôtres. (...) je vous rappelle ces révolutions, mes frères et mes sœurs, pour vous montrer qu’il n’existe pas de révolution pacifique. Il n’existe pas de révolution où on tende l’autre joue. Une révolution non-violente, ça n’existe pas."

  • Toute révolution, toute révolution véritable, se ramène à un changement dans la situation des classes. Aussi la meilleure façon d’éclairer les masses - et d’empêcher qu’on les trompe au nom de la révolution - est-elle d’analyser avec précision les changements dans la situation des classes.

    Lénine

    dans Changements dans la situation des classes (1917)

  • Nous appelons « révolution » tout état transitoire dans lequel l’ordre établi peut basculer qualitativement et brutalement. Mais, surtout, nous appellerons révolution une situation qui mène à l’émergence brutale d’une structure, qualitativement nouvelle, issue de l’agitation et des contradictions à l’échelon hiérarchique inférieur, encore appelée auto-organisation. Du coup, ce processus concerne aussi bien les différents domaines des sciences. La politique est particulièrement concernée par la question de l’auto-organisation des prolétaires. Rappelons l’expression qu’en donnait Karl Marx : « Le socialisme sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. » Pour se préparer à devenir un nouveau pouvoir, les exploités ont besoin de retrouver le sens de l’organisation collective et la confiance dans leurs propres forces.

    Sommaire du site

    Malcolm X :

    "Et d’abord, qu’est-ce qu’une révolution ? Parfois je suis enclin à croire qu’un grand nombre des nôtres utilisent le mot « révolution » sans se soucier de précision, sans prendre comme il convient en considération la signification réelle du mot et ses caractéristiques historiques. Lorsqu’on étudie la nature historique des révolutions, le motif d’une révolution, l’objectif d’une révolution, le résultat d’une révolution, et les méthodes utilisées dans une révolution, il est possible de transformer les mots. (…) De toutes les études auxquelles nous nous consacrons, celle de l’histoire est la mieux à même de récompenser notre recherche. Et lorsque vous vous apercevez que vous avez des problèmes, vous n’avez tout simplement qu’à étudier la méthode historique utilisée dans le monde entier par d’autres qui ont des problèmes identiques aux nôtres. (...) je vous rappelle ces révolutions, mes frères et mes sœurs, pour vous montrer qu’il n’existe pas de révolution pacifique. Il n’existe pas de révolution où on tende l’autre joue. Une révolution non-violente, ça n’existe pas."

  • Ci-joint :

    Une liste des révolutions

    Certainement encore bien incomplète ...

    voir notamment les révolutions de l’antiquité sur le site.

  • Ces derniers temps, dans de nombreux pays pauvres, la crise des classes dirigeantes et la décomposition de l’Etat ont eu pour conséquence l’apparition de guerres internes dans des zones où on trouve des ressources importantes : mines, pétrole ou gaz et où le partage de ces ressources est contesté par des groupes armés prétendant plus ou moins défendre les intérêts des populations de la zone. Ce type de guérilla n’est en fait pas vraiment nouveau même si actuellement il s’agit plutôt de petites guerres locales sans véritables buts politiques nationaux. On trouve ce type de guerres et bandes armées au Soudan, au Tchad, en Haïti ou en Côte d’Ivoire. Elles s’appuient sur un conteste politique et social injuste, déstabilisé mais n’offrent pas de véritable issue à la crise sociale et politique de la société. Il y a également un cas particulier : les guérilla se revendiquant d’un prétendu anti-occidentalisme ou même d’un anti-impérialisme prétendu au nom de l’Islam. Là encore, c’est la crise des perspectives des classes bourgeoises dans la région qui donne son succès (relatif) à l’entreprise et, plus encore, la politique de l’impérialisme US consistant à faire croire que l’ennemi le plus dangereux pour lui seraient ces « djihad ». Mais nulle part, ces guérillas, quelle que soient les attributs idéologiques dont elles se parent, n’ont « donné le pouvoir au peuple » comme elles le prétendent en général. Elles ont eu pu triompher comme en Somalie ou en Afghanistan mais c’est seulement pour aggraver la dictature sociale et politique. Et cela n’a rien de particulièrement étonnant car la dictature est la base du système en cours dans les armées de guérilla. L’Etat y est déjà en place sans aucun rôle de la population. Et cela se poursuit après la prise du pouvoir. L’idéologie n’est qu’une parure à la domination des classes dirigeantes. Les Talibans, élèves en religion armés, n’ont pas renversé les familles féodales et bourgeoises d’Afghanistan. Les guérillas du Soudan ou de Côte d’Ivoire n’ont fait qu’aggraver le sort des populations civiles. Elles offrent certes une alternative au pouvoir en place, mais c’est un simple changement d’équipe ou de style et pas un véritable changement social et politique permettant aux peuples d’accéder à plus de richesse ou plus de place dans le pouvoir politique et social. Les guérillas ne sont pas un phénomène récent. Elles ont marqué l’époque de la décolonisation, des mouvements nationalistes et staliniens d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique. Mais jamais les armées « de libération nationale » n’ont supprimé la dictature sociale des classes dirigeantes et encore moins « donné le pouvoir au peuple ». Le pouvoir, on ne le dira jamais assez, ne se donne pas : il se prend. Un peuple travailleur a besoin pour aller vers son propre pouvoir de s’organiser en communes, en conseils, en comités, appelez-les comme vous voulez. Et toutes les rébellions du monde se sont toujours refusé à laisser les travailleurs s’organiser de manière indépendante d’un Etat, d’une armée, indépendante des classes dirigeantes, des chefs militaires et religieux.

    Plus encore, les rébellions agissent à contrario des révolutions dont elles utilisent la menace sociale pour imposer leur dictature politique et militaire. La révolution, contrairement aux rébellions militaires, c’est d’abord et avant tout une explosion d’auto-organisation des masses opprimée allant jusqu’à la prise du pouvoir non par un groupe politique ou une armée mais par la prise du pouvoir des opprimés. Quand ce type de situation se présente, les classes dirigeantes préfèrent le pouvoir des bandes armées et la guerre interne que la révolution sociale. Ainsi, en Côte d’Ivoire, quand les révoltes populaires ont mis à bas deux régimes : celui de Bédié et celui de Gueye, ils ont laissé le pays se diviser en groupes armés hostiles car c’était moins dangereux que de voir les opprimés du pays s’unir contre les classes dirigeantes.

    En Algérie, la classe dirigeante liée au pouvoir militaire a préféré laisser se mettre en place une armée « islamiste » et s’engager une guerre civile plutôt que de laisser la situation d’octobre 1988 avec la révolte de la jeunesse et la grève générale de la classe ouvrière risquer de mener à des situations de révolution sociale.

  • « Les révolutions prolétariennes … raillent impitoyablement les hésitations, les faiblesses et les misères de leurs premières tentatives, paraissent n’abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces de la terre et se redresser à nouveau formidable en face d’elles, reculent constamment à nouveau devant l’immensité infinie de leurs propres buts, jusqu’à ce que soit créée enfin la situation qui rende impossible tout retour en arrière. »

    Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte.

    • Même dans le calme d’une nuit d’été, nous sommes traversés par les échos électromagnétiques du big bang, du rayonnement thermique de l’Univers, des collisions de galaxies et d’étoiles, des explosions de supernovae, des éruptions solaires, des tremblement sde terre, des explosions de noyaux radioactifs, des sauts quantiques à petite échelle et des multiples particules virtuelles qui s’échangent à grande vitesse au sein du vide quantique. Tous ces événements sont discontinus, et, à leur échelle, brutaux et même dramatiques. Ils sont le produit de changements qualitatifs, de transitions de phase et de sauts. Nous vivons au sein des révolutions de la matière comme au sein des révolutions sociales, politiques et économiques.

      Nous appelons « révolution » tout état transitoire dans lequel l’ordre établi peut basculer qualitativement et brutalement. Mais, surtout, nous appellerons révolution une situation qui mène à l’émergence brutale d’une structure, qualitativement nouvelle, issue de l’agitation et des contradictions à l’échelon hiérarchique inférieur, encore appelée auto-organisation. Du coup, ce processus concerne aussi bien les différents domaines des sciences. La politique est particulièrement concernée par la question de l’auto-organisation des prolétaires. Rappelons l’expression qu’en donnait Karl Marx : « Le socialisme sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. » Pour se préparer à devenir un nouveau pouvoir, les exploités ont besoin de retrouver le sens de l’organisation collective et la confiance dans leurs propres forces.

  • *« Ceux d’en bas ne veulent plus »

    *« Ceux d’en haut ne peuvent plus »

    *« Ceux du milieu basculent avec ceux d’en…bas… »

    *« L’existence d’une force de transformation révolutionnaire : conscience, organisation de secteurs les plus mobilisés, direction bref, un ou des partis révolutionnaires…pour renverser l’ordre établi ».

    Lénine

  • La révolution dans son ensemble est un brusque tournant histo­rique. A y regarder de plus près, nous y découvrons une série de tournants d’autant plus brusques et critiques que les événements révolutionnaires se déroulent à une cadence plus folle. Chacun de ces tournants est avant tout une épreuve très importante pour les diri­geants du parti. Schématiquement la tâche ou plus exactement les objectifs de ce dernier portent sur les éléments suivants : comprendre à temps la nécessité d’une nouvelle étape ; y préparer le parti ; prendre le tournant sans couper le parti de la masse qui se meut encore en vertu de l’inertie de la période précédente. A ce propos il faut se rappeler que la révolution distribue avec beaucoup de parcimonie aux dirigeants du parti la matière première essentielle : le temps. Lors d’un tournant trop brusque la direction centrale peut se trouver en opposition avec le parti lui-même, le parti peut se trouver en opposition avec la classe révolutionnaire ; mais, d’autre part, le parti et la classe qu’il dirige, qui suivent le courant d’hier, peuvent prendre du retard dans la solution d’une tâche urgente posée par la marche objective des événements, et chacune de ces perturbations de l’équilibre dynamique risque d’être mortelle pour la révolution. Léon Trotsky dans Comment la Révolution s’est armée ?

  • Trait rebelle sans ligne de conduite. Désordonnée, redoutable, elle ne fait pas de quartier. Personne ne peut se targuer de l’avoir déclenché, prévue ou encadrée. Elle était sans filiation, sans organisation, sans discours, sans idéologie. La plus belle des anarchies. Son coeur battant, un cri de ralliement : DEGAGE !

    Parti d’en bas, cet appel éclabousse tout le système et l’Etat oppresseur. Tout un programme de démolition. Un front du refus. Refus de négocier, de palabrer. Refus de tous vis-à-vis. Ils savent ce qu’ils ne veulent pas et ne sont pas pressés de revendiquer ou de proposer. Ils se plaisent dans leur proposition intransigeante et ne sont pas prêts de l’évacuer. Ils sont conscients de cette conscience instinctive, humaine, ancestrale, toujours infaillible qu’ils sont déjà de l’autre côté de la palissade. Qu’ils ont déniché le bon fusible. Qu’ils sont tombés - enfin - sur le bon filon, une mine : la révolution.

    La peur a changé de camp. Et ils veulent y jouir. Et ils comptent faire payer leurs années de braise à tous les gardiens du zoo. Ils veulent fêter leur victoire sur le zoo, l’Etat. Ils maintiennent le cap, n’ont pas peur du large, de la libération, et comprennent qu’à l’orée, il y a la terre des Hommes, sans barreaux, sans matons, sans humiliation.

    Elle se fout comme de l’an quarante de vos appréhensions et de vos manigances. Comment va la révolution ? Où va la révolution ? Que veut la révolution ? Que faire ?

    Ça va... on fait la java !

    "Une révolution se fait avec de la rage et des idées. De la rage, il y en a eu. Des idées, pas beaucoup. Personne ne savait transformer la rage", disent les cyniques qui veulent, en fait, que tout reste pareil.

    Ce qu’elle abhorre le plus, c’est cette volonté instinctive de l’ancien monde de la caser, de l’achever avec un "R" majuscule. De la sacraliser, de la "totémifier". Rien n’est tabou, tout est révolutionnaire.

    Elle se suffit à elle-même, telle une cellule qui s’engendre d’elle-même. Un gribouillage d’où sortira l’inouïe. On ne l’a pas vu venir. Pendant qu’on guettait l’horizon, elle farfouillait dans nos affaires. Péril en la demeure. Chaque fois que les Bouzidis, les Kasserinois ou les Keffois chargeaient, la face du monde changeait. Ils étaient les prédateurs du vieux monde. Ils sont la colère. Ils sont le fléau, l’apocalypse, non ? Ils faisaient de la poésie sur le chemin de Tunis. Des ouvriers, des chômeurs, des crèves de la faim qui veulent refaire le monde.

    Cette révolution inédite, actionnée par des enfants du siècle, avec des moyens du siècle, pour une utopie d’un autre siècle, casse avec tous les anachronismes, tous les archaïsmes, tous les paternalismes et tous les ismes (communisme, islamisme, nationalisme, capitalisme, libéralisme...). Elle fait face à tous les systèmes, toutes les formes d’aliénation, d’hégémonie et d’assimilation. Elle réinvente la liberté, une liberté au-delà de celle préconisée par les révolutions précédentes. Elle se veut plus proche de la révolution américaine qui donne à l’individu plus de liberté, d’égalité et de bonheur que celle des Français.

    Un mois auparavant, les mots qu’elle a libérés semblaient imprononçables, les idées qu’elle déchaîne inconcevables. "Cet instant où le contact s’établit, cette synapse libératrice, ce spasme au cours duquel la pensée se rue à travers le bon fusible : il n’y a pas de plaisir plus enivrant."

    Partout, où la révolution se meut, à Tala, Gafsa, Béja, Hay Ettadhamen, les révolutionnaires autrefois craintifs, lâches et inutiles, clament leur pouvoir légitime de façonner l’agora, d’imposer leur manière de voir, de choisir le terrain sur lequel les différentes approches de la chose publique vont se disputer et de fixer le temps et l’agenda des initiatives à venir.

    Ils ne veulent plus du pouvoir de nomination, ce pouvoir quasi-divin. Le peuple veut se le
    réapproprier. Gouverneurs, préfets, policiers (au fait tous ceux qui portent des armes), proviseurs, PDG et toutes autres responsabilités qui ont un lien de près ou de loin avec leur quotidien ; doivent sortir des urnes. Toute personne qui prétend présider à leurs destinées doit être élue. Le suffrage universel, voilà leur sésame. Plus jamais, un pouvoir fort et concentré entre les mains d’un seul ou d’une clique. Plus jamais un Etat central, une administration verticale. Plus jamais, l’hégémonie de Tunis-capitale. Plus jamais, le protectorat du littoral sur les régions de l’intérieur. Ils veulent avoir pour chaque wilaya, sa propre constitution, son propre parlement, son propre budget, ses propres médias, son autonomie. Ils tiennent à leur utopie et défendent à quiconque de s’y immiscer. "Haut,
    les coeurs ! Vas y mon gars ! T’arrête pas ! Plus haut que le ciel ! Allez, partons ! Wheeeee !", crie Simple, l’ingénu de Harlem, frère de lait de Bouazizi, l’ingénu de Sidi Bouzid.

    par Taoufik Ben Brik

  • L’impérialisme américain et européen tremblent devant cette formidable révolution qui, bientôt, va balayer tous les régimes despotiques arabes. L’impérialisme a peur de la démocratie. Il a tout fait pour maintenir au pouvoir les pires des dictatures. Il les a armées, financées et portées à bout de bras pour sauvegarder les intérêts d’une poignée de riches américains et européens. Les bourgeoisies occidentales, promptes d’habitude à s’enflammer pour soutenir les changements dans les pays de l’Europe de l’Est, se taisent lamentablement sur les révolutions arabes en cours. Car elles savent pertinemment que la libération des masses arabes opprimées est en contradiction objective avec leurs propres intérêts. L’impérialisme et la bourgeoisie qui le porte sont les amis des dictateurs, des tyrans et les ennemis de la démocratie et des peuples.

    Glorieux peuple d’Égypte, tu es un vrai magicien. Tu as réussi à transformer l’hiver en printemps. C’est le printemps de tous les peuples arabes. Leur hiver était long, triste et leur souffrance terrible, mais aujourd’hui, de Rabat à Beyrouth, de Tunis à Bagdad en passant par Alger et Damas leur joie est immense. Ta révolution est celle de toutes les masses arabes opprimées qui vont certainement suivre ton exemple et se retourner à leur tour contre leurs propres tyrans. La révolution arabe est en marche.

    Mohamed Belaali

  • Bonjour, j’ai beaucoup apprécié ce que vous avez partagé sur votre site. Dans tous les cas, je reviendrai au plus vite. Et si vous envisagez de visiter mon site Internet, n’hésitez pas. Bonne continuation !

  • « Lors d’une révolution, quand explose en une volcanique éruption la lente et incessante accumulation des siècles, les gerbes d’étincelles et autres trajectoires météoriques qui survolent la scène forment un chaos dénué de sens, et se prêtent à d’infinis caprices d’interprétations, à tous les romantismes, si l’observateur cesse de les prendre pour autre chose que ce qu’elles sont : les projections du sous-sol dont elles proviennent. »

    C.L.R. James, dans Les Jacobins noirs

  • « Qui n’a pas vu la révolution ne peut s’en imaginer la beauté majestueuse, triomphale. »

    De l’émigration à Pétrograd, 1924

    Nadjeda Kroupskaïa

  • « La révolution ne surgit pas de toute situation révolutionnaire, mais seulement dans le cas où, à tous les changements objectifs énumérés, vient s’ajouter un changement subjectif, à savoir : la capacité, en ce qui concerne la classe révolutionnaire, de mener des actions de masse assez vigoureuses pour briser complètement l’ancien gouvernement, qui ne tombera jamais, même à l’époque des crises, si on ne le fait choir. »

    Lénine

  • Seuls ceux qui ignorent les lois de la révolution, lois naturelles autant que sociales, n’y voient que des hasards et des absurdités.

  • Le mécanisme politique de la révolution consiste dans le passage du pouvoir d’une classe à une autre. L’insurrection violente en elle-même s’accomplit habituellement en un court délai. Mais aucune classe historiquement définie ne s’élève d’une situation subalterne à la domination subitement, en une nuit, quand bien même ce serait une nuit de révolution, Elle doit déjà, la veille, occuper une position extrêmement indépendante à l’égard de la classe officiellement dominante ; bien plus, elle doit concentrer en elle les espoirs des classes et couches intermédiaires mécontentes de ce qui existe, mais incapables d’un rôle indépendant. La préparation historique d’une insurrection conduit, en période prérévolutionnaire, à ceci que la classe destinée à réaliser le nouveau système social, sans être encore devenue maîtresse du pays, concentre effectivement dans ses mains une part importante du pouvoir de l’État, tandis que l’appareil officiel reste encore dans les mains des anciens possesseurs. C’est là le point de départ de la dualité de pouvoirs dans toute révolution.

    Mais ce n’est pas son unique aspect. Si une nouvelle classe portée au pouvoir par une révolution dont elle ne voulait point est, en réalité, une classe déjà vieille, historiquement attardée ; si elle a eu le temps de s’user avant d’être couronnée officiellement ; si, arrivant au pouvoir, elle tombe sur un antagoniste déjà suffisamment mûr et qui cherche à mettre la main sur le gouvernail de l’État - l’équilibre instable du double pouvoir est remplacé, dans la révolution politique, par un autre équilibre, parfois encore moins stable. La victoire sur " l’anarchie " du double pouvoir constitue, à chaque nouvelle étape, la tâche de la révolution, ou bien de… la contre-révolution.

    La dualité de pouvoirs non seulement ne suppose pas mais, généralement, exclut le partage de l’autorité à parties égales et, en somme, tout équilibre formel des autorités. C’est un fait non constitutionnel, mais révolutionnaire. Il prouve que la rupture de l’équilibre social a déjà démoli la superstructure de l’État. La dualité de pouvoirs se manifeste là où des classes ennemies s’appuient déjà sur des organisations d’État foncièrement incompatibles - l’une périmée, l’autre se formant - qui, à chaque pas, se repoussent entre elles dans le domaine de la direction du pays. La part de pouvoir obtenue dans ces conditions par chacune des classes en lutte est déterminée par le rapport des forces et par les phases de la bataille.

    Par sa nature même, une telle situation ne peut être stable. La société a besoin d’une concentration du pouvoir et, soit dans la classe dominante, soit, pour le cas présent, dans les deux classes qui se partagent la puissance, cherche irrésistiblement cette concentration. Le morcellement du pouvoir n’annonce pas autre chose que la guerre civile. Avant, pourtant, que les classes et les partis en rivalité se décident à cette guerre, surtout s’ils redoutent l’intervention d’une tierce force, ils peuvent se trouver contraints assez longtemps de patienter et même de sanctionner en quelque sorte le système du double pouvoir. Néanmoins, ce dernier explose inévitablement. La guerre civile donne au double pouvoir son expression la plus démonstrative, précisément territoriale : chacun des pouvoirs, ayant créé sa place d’armes retranchée, lutte pour la conquête du reste du territoire, lequel, assez souvent, subit la dualité de pouvoirs sous la forme d’invasions alternatives des deux puissances belligérantes tant que l’une d’elles ne s’est pas définitivement affermie.

    Léon Trotsky, La Révolution russe

  • Qu’est-ce que la révolution par rapport au déterminisme social et historique ?

  • Voici la réponse de Marx :

    "Lors même qu’une société est arrivée à découvrir la trace de la loi naturelle qui préside à son mouvement [...] elle ne peut ni dépasser d’un saut ni abolir par décret les phases de son développement naturel ; mais elle peut abréger la période de la gestation et adoucir les maux de son enfantement"

    (Karl Marx, Le Capital, I, préface, 1867).

  • « Une véritable révolution n’est possible que dans les périodes où ces deux facteurs - les forces productives modernes et les formes de production bourgeoises - entrent en conflit les unes avec les autres. »

    Les Luttes de classes en France (1850) de Karl Marx

  • Le concept de révolution sociale

    Il y a peu de conceptions sur lesquelles il y a eu tant de controverses que de révolution. Cela peut être attribué en partie au fait que rien n’est aussi contraire aux intérêts existants et aux préjugés que ce concept, et en partie au fait que peu de choses sont aussi ambiguës.

    En règle générale, les événements ne peuvent pas être définis aussi clairement que des choses. Ceci est particulièrement vrai des événements sociaux, qui sont extrêmement compliqués, et qui deviennent de plus en plus compliqués à mesure que la société progresse - les formes de coopération de l’humanité se diversifient. Parmi les événements les plus complexes, il y a la Révolution sociale, qui transforme complètement les formes habituelles d’activité associée chez les hommes.

    Il n’est pas étonnant que ce mot, que chacun utilise, mais chacun dans un sens différent, soit parfois utilisé par les mêmes personnes à des moments différents et dans des sens très différents. Certains comprennent par barricades de la Révolution, les incendies de châteaux, les guillotines, les massacres de septembre et une combinaison de toutes sortes de choses affreuses. D’autres voudraient prendre tout ce que le mot voulait dire et l’utiliser dans le sens de grandes, mais imperceptibles et pacifiques transformations de la société, comme par exemple celles qui ont eu lieu à la suite de la découverte de l’Amérique ou de l’invention de la machine à vapeur. Entre ces deux définitions, il existe de nombreux degrés de signification.

    Marx, dans son introduction à la Critique de l’économie politique, définit la révolution sociale comme une transformation plus ou moins rapide des fondements de la superstructure juridique et politique de la société résultant d’un changement de ses fondements économiques. Si nous restons proches de cette définition, nous éliminons immédiatement de l’idée de révolution sociale les « changements dans les fondements économiques », comme par exemple ceux qui découlaient de la machine à vapeur ou de la découverte de l’Amérique. Ces altérations sont les causes de la révolution, pas la révolution elle-même.

    Mais je ne souhaite pas me limiter trop strictement à cette définition de la révolution sociale. Il y a un sens encore plus étroit dans lequel nous pouvons l’utiliser. Dans ce cas, cela ne signifie pas non plus la transformation de la superstructure juridique et politique de la société, mais seulement une forme ou une méthode particulière de transformation.

    Tous les socialistes aspirent à la révolution sociale au sens large, et pourtant il y a des socialistes qui nient la révolution et qui ne pourraient transformer leur société que par la réforme. Ils opposent la révolution sociale à la réforme sociale. C’est ce contraste dont nous discutons aujourd’hui dans nos rangs. Je souhaite ici considérer la révolution sociale au sens étroit d’une méthode particulière de transformation sociale.

    Le contraste entre réforme et révolution ne consiste pas dans l’application de la force dans un cas et non dans l’autre. Toute mesure juridique et politique est une mesure de force qui est exécutée par la force de l’État. Aucune forme particulière d’application de la force, comme par exemple les combats de rue ou les exécutions, ne constitue l’essentiel de la révolution contrairement à la réforme. Celles-ci résultent de circonstances particulières, ne sont pas nécessairement liées aux révolutions et peuvent facilement accompagner les mouvements de réforme. La constitution des délégués du tiers état à l’Assemblée nationale de France, le 17 juin 1789, était un acte éminemment révolutionnaire sans recours apparent à la force. Cette même France avait au contraire, en 1774 et 1775, de grandes insurrections dans le seul et unique objectif de modifier le taux de la taxe sur le pain afin de mettre un terme à la hausse du prix du pain.

    La référence aux combats de rue et aux exécutions en tant que caractéristiques des révolutions est cependant un indice de la source à partir de laquelle nous pouvons obtenir d’importants enseignements sur l’essentiel de la révolution. La grande transformation qui a commencé mal en France en 1789 est devenue le type de révolution classique. C’est celui auquel on pense habituellement quand on parle de révolution. De là, nous pouvons mieux étudier l’essentiel de la révolution et le contraste entre celle-ci et la réforme. Cette révolution a été précédée par une série d’efforts de réforme, parmi lesquels les plus connus sont ceux de Turgot. Ces tentatives visaient souvent les mêmes choses que celles menées par la révolution. Qu’est-ce qui distingue les réformes de Turgot des mesures correspondantes de la révolution ? Entre les deux, se trouve la conquête du pouvoir politique par une nouvelle classe, et c’est là que réside la différence essentielle entre révolution et réforme. Les mesures qui visent à adapter la superstructure juridique et politique de la société, à des conditions économiques changeantes, sont des réformes si elles découlent de la classe qui est le dirigeant politique et économique de la société. Ce sont des réformes, qu’elles soient données librement ou obtenues par la pression de la classe de sujets, ou conquises par le pouvoir des circonstances. Au contraire, ces mesures sont le résultat de la révolution si elles proviennent de la classe opprimée économiquement et politiquement, qui a conquis le pouvoir politique et qui doit, dans son propre intérêt, transformer plus ou moins rapidement la superstructure politique et juridique et créer nouvelles formes de coopération sociale.

    La conquête du pouvoir gouvernemental par une classe jusque-là opprimée, autrement dit une révolution politique, est donc la caractéristique essentielle de la révolution sociale dans ce sens étroit, à la différence de la réforme sociale. Ceux qui répudient la révolution politique comme principal moyen de transformation sociale ou souhaitent limiter celle-ci aux mesures accordées par la classe dirigeante sont des réformateurs sociaux, même si leurs idées sociales peuvent contrarier les formes sociales existantes. Au contraire, quiconque est un révolutionnaire qui cherche à conquérir le pouvoir politique pour une classe jusque-là opprimée, ne perd pas ce caractère s’il prépare et hâte cette conquête par des réformes sociales arrachées aux classes dirigeantes. Ce n’est pas la poursuite des réformes sociales mais le confinement explicite de celles-ci qui distingue le réformateur social du socialiste révolutionnaire. D’autre part, une révolution politique ne peut devenir une révolution sociale que si elle procède d’une classe jusqu’alors socialement opprimée. Une telle classe est obligée d’achever son émancipation politique par son émancipation sociale car sa position sociale antérieure est en antagonisme irréconciliable avec sa domination politique. Une scission dans les rangs des classes dirigeantes, même si elle devait revêtir la forme violente de la guerre civile, n’est pas une révolution sociale. Dans les pages suivantes, nous ne discuterons que de la révolution sociale au sens défini ici.

    Une réforme sociale peut très bien être conforme aux intérêts de la classe dirigeante. Pour le moment, leur domination sociale reste intacte ou, dans certaines circonstances, peut même la renforcer. La révolution sociale, au contraire, est dès le départ incompatible avec les intérêts de la classe dirigeante, puisqu’elle signifie en toutes circonstances l’annihilation de son pouvoir. Il n’est pas étonnant que la classe dirigeante actuelle diffuse et stigmatise continuellement la révolution parce qu’elle croit que cela menace leur position. Ils opposent l’idée de révolution sociale à celle de réforme sociale, qu’ils louent jusqu’au ciel, très souvent même sans que cela ne devienne jamais un fait terrestre. Les arguments contre la révolution sont dérivés des formes de pensée dominantes actuelles. Aussi longtemps que le christianisme dominait l’esprit des hommes, l’idée de révolution était rejetée en tant que révolte du péché contre une autorité divinement constituée. Il était facile de trouver des preuves de cela dans le Nouveau Testament, depuis celui de l’Empire romain, à une époque où chaque révolte contre le pouvoir au pouvoir paraissait sans espoir et où toute vie politique indépendante avait cessé d’exister. Certes, les classes révolutionnaires ont répondu par des citations de l’Ancien Testament, dans lesquelles vivait encore une grande partie de l’esprit d’une démocratie pastorale primitive. Une fois que la pensée judiciaire a supplanté la théologie, une révolution a été définie comme une rupture violente avec l’ordre juridique existant. Personne, cependant, ne pouvait avoir droit à la destruction de droits, un droit de révolution était une absurdité et la révolution était dans tous les cas un crime. Mais les représentants de la classe aspirante se sont opposés au droit existant, descendu historiquement, pour lequel ils s’étaient battus, en le représentant comme une loi éternelle de la nature et de la raison et un droit inaliénable de l’humanité. La reconquête de ces derniers droits, qui ne pouvait manifestement être perdue que par une violation des droits, était elle-même impossible sans une violation des droits, même s’ils résultaient de la révolution.

    Karl Kautsky, "La révolution sociale"

  • Qu’est-ce que la révolution ?

    La révolution n’est qu’un éclair au milieu de la nuit mais la foudre qui a atteint les structures passées les a rendues caduques et ouvre la voie à un changement global parfois irréversible et qui marque l’histoire.

  • « Une véritable révolution n’est possible que dans les périodes où ces deux facteurs - les forces productives modernes et les formes de production bourgeoises - entrent en conflit les unes avec les autres. »

    Les Luttes de classes en France (1850) de Karl Marx

  • « La révolution n’apparaît, aux yeux d’un conservateur, comme une folie collective que parce qu’elle pousse aux dernières extrémités la démence « normale » des antagonismes sociaux.
    C’est ainsi que des gens refusent de se reconnaître dans une audacieuse caricature. Cependant, toute l’évolution moderne aggrave, tend, aiguise les antagonismes, les rend intolérables et, par conséquent, prépare une situation dans laquelle l’immense majorité « perd la tête ».
    Mais, en de pareils cas, c’est la folle majorité qui applique la camisole de force à la sage minorité. Et c’est ainsi que l’histoire peut avancer. Le chaos d’une révolution n’est pas du tout celui d’un tremblement de terre ou d’une inondation. Dans le désordre révolutionnaire commence immédiatement à se former un nouvel ordre ; les gens et les idées se répartissent naturellement sur de nouveaux axes. La révolution ne paraît être une absolue folie qu’à ceux qu’elle balaie et renverse. Pour nous, la révolution a été l’élément natal, quoique fort agité. »

    1905, Léon Trotsky

  • "CONDITIONS DE LA FUTURE REVOLUTION

    1. IL NE SUFFIT PAS QUE CEUX D’EN BAS NE VEUILLENT PLUS NI QUE CEUX D’EN HAUT NE PUISSENT PLUS, IL FAUT AUSSI QUE CEUX DU MILIEU NE SOIENT PLUS COMPLICES DE CEUX D’EN HAUT.

    2. L’ETAT BOURGEOIS DOIT ETRE RENVERSE PAR UNE ACTION PARALYSANTE DU PROLETARIAT, EN UNE DUREE NON DETERMINEE, A LA SUITE DE GREVES MASSIVES ASPHYXIANT COMPLETEMENT L’ECONOMIE BOURGEOISE ET PAR LA PRISE D’ARMES (LA NOTION D’INSURRECTION A DES ALLURES DE WESTERN INADEQUAT AU BOULEVERSEMENT, ENCORE VIOLENT, NECESSAIREMENT PLUS VASTE ET ETENDU DANS LE TEMPS QU’UNE SIMPLE PRISE DU PALAIS D’HIVER).

    3. LE DEMI-ETAT TEMPORAIRE , SIMPLE BUREAU DE STATISTIQUES, EST SOUS LE CONTROLE ARME DES CONSEILS OUVRIERS. DISSOLUTION DES CORPS ARMES MERCENAIRES DE L’ANCIEN REGIME. SYNDICATS ET PARTIS POLITIQUES BOURGEOIS SONT INTERDITS.

    4. MESURES ECONOMIQUES D’AIDE AUX PLUS DEFAVORISES RAPIDEMENT MISES EN PLACE ET REPARTITION SELON LES BESOINS VITAUX ET HUMAINS POUR EVITER TOUTE GUERRE CIVILE.

    5. SUPPRESSION DE TOUTES LES HIERARCHIES ET DES DIVERS SYSTEMES DE RECOMPENSE, QUI FAVORISENT LA COMPETITION MARCHANDE ET L’ARRIVISME.

    6. LA PETITE BOURGEOISIE N’OCCUPE PAS LA PLACE DIRIGEANTE DE LA REVOLUTION, LES PROLETAIRES DOIVENT VEILLER A RESTER MAJORITAIRES DANS LES ORGANES DE DECISION.

    7. AUCUN PARTI NE PEUT S’ARROGER DE DECIDER A LA PLACE DES ORGANISMES DE MASSE DU PROLETARIAT.

    8. LA REVOLUTION EST UN APPEL PERMANENT A LA RESPONSABILITE DU PROLETARIAT DE TOUS LES PAYS, IL N’Y A DONC NI GUERRE DEFENSIVE NI SOIT DISANT "GUERRE REVOLUTIONNAIRE" A MENER.

    9. LES DESACCORDS ENTRE FRACTIONS DU PROLETARIAT OU FACE AUX COUCHES MECONTENTES DES CLASSES MOYENNES NE PEUVENT EN AUCUN CAS SE REGLER PAR UNE VIOLENCE ETATIQUE OU MILITAIRE.

    10. LE BUT PERMANENT DE LA PERIODE DE TRANSITION EST DE MODIFIER RADICALEMENT LE MODE DE PRODUCTION ET DE DISTRIBUTION AFIN DE PARVENIR A L’EMANCIPATION DE L’HUMANITE, DITE PHASE DEUX DU COMMUNISME."

    JEAN-LOUIS ROCHE

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