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En 1984, le gouvernement de gauche (PS-PCF) s’appuyait sur la direction de la CGT pour permettre au patron de licencier les ouvriers de Talbot (Poissy)

dimanche 6 mars 2022, par Robert Paris

Quand la maitrise, les jaunes, les syndicats fascistes et les petites frappes de la direction attaquaient violemment une grève enfermée et bloquée par les syndicats

Films de la grève

D’autres films

Photos de la grève

Les CRS du gouvernement de gauche (avec quatre ministres communistes staliniens) cassent la grève :

La grève de l’usine Talbot de Poissy en 1984, trahie par la gauche et les syndicats

Le gouvernement « socialiste » de Mauroy et son ministre du travail « communiste » Ralite cautionnent les licenciements massifs programmés par le patron de Talbot Poissy. La CGT locale, dirigée par le PCF, sert de courroie de transmission de cette politique.

Le premier ministre Mauroy, en janvier 1983, avait déjà qualifié la grève des ouvriers de l’usine Talbot (aujourd’hui PSA) de Poissy, en banlieue parisienne, de « grève des ayatollahs ».

Pierre Mauroy, Premier ministre, et Gaston Deferre, expliquent ainsi les grèves par la présence d’intégristes parmi les ouvriers ; Jean Auroux, ministre du Travail, multiplie les propos à ce sujet :

« S’il est prouvé que des influences extérieures d’inspiration religieuse ou politique ont pesé sur le comportement des immigrés en grève […] alors le gouvernement prendra ses responsabilités et en premier lieu le ministère du travail. Nous ne tolérerons pas que ces attitudes compromettent la réussite des entreprises en agissant contre l’intérêt national »17.

« Il y a, à l’évidence une donnée religieuse et intégriste dans les conflits que nous avons rencontrés, ce qui leur donne une tournure qui n’est pas exclusivement syndicale ».

« Lorsque des ouvriers prêtent serment sur le Coran dans un mouvement syndical, il y a des données qui sont extra-syndicales […] Un certain nombre de gens sont intéressés à la déstabilisation politique ou sociale de notre pays parce que nous représentons trop de choses en matière de liberté et de pluralisme »

Nora Trehel, secrétaire de la CGT Talbot,explique aux OS que sortir de l’usine pour manifester c’est encourager le racisme ;la défaite sera favorisée d’autant qu’aucune de ces forces toujours utilisées comme paravents et tampons, par les salariés immigrés ou pas ne sont disposées à jouer le jeu, la CFDT pas plus que la CGT.

En juillet 1983 une première mobilisation contre les projets de licenciements a lieu, la direction annonce son projet de licencier 2905 personnes auquelles s’ajoutent 1250 départs en préretraite FNE, cela à la veille des vacances, le dossier est à l’étude disent patronat et gouvernement.Prada de la direction de Talbot reçoit les syndicats en septembre, et à la veille des élections à la Sécurité Sociale, le 12 octobre la Direction Départementale de l’Emploi annonce un refus des licenciements pour défaut de plan social d’accompagnement, ce qui fait semblant de laisser la porte ouverte à des améliorations que réclament les syndicats, et à une transformation factice de ce refus administratif momentané en victoire par la CGT. En fait, la CGT et le PCF (au gouvernement) savent très bien qu’il n’y a eu aucun recul).

Le dossier est soumis à nouveau à l’administration le 21 novembre avec quelques retouches sociales, la CFDT demande un entretien à la DDE et à la sortie publie un communiqué dénonçant l’acceptation, prévue pour la fin du mois, des licenciements, c’est le 2 décembre pendant une période de chômage technique, alors que les seuls jours où Poissy sera le plein sont les 9 et 10 décembre.

Dès le 7 décembre, les délégués CGT de chaine décident de lancer la grève sans avoir l’accord de la fédération bureaucratique et déclenchent la grève, bloquant tout le site de Poissy en immobilisant dans l’atelier R3 tous les engins de manutention, pas de sortie hors de l’usine, pas de piquet de grève. La direction fait monter les enchères, lock-out, vente des parts Talbot à une filiale PSA, la menace de dépôt de bilan plane.

La CGT, le gouvernement et PSA s’accordent sur le chiffre de 1905 licenciements pour « sauver les 15000 emplois » restants et le site où des investissements auront lieu, l’Etat s’engageant à financer le redémarrage.

La CGT fait de la pédagogie, explique l’accord, sans s’engager. Elle est désavouée par les syndicalistes CGT de base qui commencent à envisager de former un comité de grève (une liste de volontaire circule déjà)et par les grévistes. La CGT est discréditée au point que Nora Trehel, désavouée par ses militants, cesse momentanément de se présenter à l’usine. Le rédacteur de l’Humanité est pris à partie dans l’atelier par les ouvriers grévistes et les délégués CGT lui sauvent la peau en le faisant sortir de l’usine.

La CGT ira jusqu’à proposer un referendum où militants CSL (le syndicat patronal fasciste de choc) et maitrise seraient invités à voter "démocratiquement" sur la poursuite ou non du mouvement en opposition totale avec les méthodes de prise de décisions habituelles (par exemple le vote par acclamation dans des AG de lutte).

Des militants du groupe d’extrême gauche Lutte ouvrière (un militant de Chausson, Granier de Renault et deux extérieurs, Fanny et Ropa) sont partis dans l’usine discuter avec les grévistes et, tombant sur des délégués CGT déboussolés et sans direction, leur ont proposé de constituer avec les grévistes un comité de grève. L’idée a fait son chemin, la liste s’est constituée. La direction de Lutte ouvrière, Hardy seul en l’occurrence, a décrété qu’il fallait arrêter tout cela : « pas d’intervention par des militants extérieurs à l’usine, il y aura bien d’autres grèves que Talbot, au moins des dizaines, ce n’est pas grave si elle échoue ». Cela allait s’avérer faux : Talbot allait doucher toute la fraction OS et immigrée de la classe ouvrière en France.

En fait, ce n’est pas Hardy qui a arrêté la tentative, ne parvenant pas à convaincre ses militants de se retirer de l’usine de Poissy.

Ce qui l’a fait, c’est à la fois le retour de Nora Trehel reprenant la direction d’une partie de l’appareil CGT et démoralisant l’autre partie, et la mise en avant de la CFDT.

Désormais, par défaut de la CGT, c’est la CFDT (8% aux élections de 1982) qui gère le conflit contre le gouvernement de gauche et PSA, alors que la CGT fait tout pour préserver le gouvernement à participation communiste, refusant par exemple de renvoyer les lettres de licenciement à Matignon. La CFDT met en avant la réduction du temps de travail pour sauver les emplois mais se garde de faire en sorte que les travailleurs de Talbot sortent de l’usine et s’adressent aux autres salariés de l’Automobile, pendant que la CGT déclare ne pas occuper l’usine mais surveiller l’outil de travail pour le protéger contre… les ouvriers occupants.

L’encadrement et les syndicats patronaux se mobilisent pour casser la grève en intervenant violemment contre les ouvriers qui occupent.

La CFDT demande à l’Etat de les protéger et la police intervient… contre les grévistes bien entendu !

Les CRS virent les grévistes le 30 décembre, mais la grève reprend le
3 janvier, la CGT se discréditant définitivement par ses tentatives de faire passer les licenciements.

Nora Trehel est huée, sifflée, la prétendue pasionaria de Talbot, symbole des « luttes pour la dignité » du début des années 1980, est disqualifiée.

La CSL, FO et la maîtrise (de toutes les usines et pas seulement de Poissy) face à une CFDT peu décidée et à des grévistes isolés, ont beau jeu de chercher l’affrontement pour démontrer le caractère minoritaire de la grève.

Pourtant, les grévistes sont prêts à faire le coup de poing contre les briseurs de grève et à utiliser tous les moyens matériels que donne l’usine pour frapper et même à casser l’usine s’il le faut, à en appeler à toute la classe ouvrière. Mais la CFDT ne l’entend pas ainsi.

Elle affirme qu’on est trop peu nombreux avec des milliers au meeting du matin et le plus souvent 2 000 pour l’occupation l’après-midi, la CFDT évacue l’atelier B3 occupé pour la nuit. Le lendemain 4 janvier, des non grévistes encerclent le B3, attaquent Richter, un militant CFDT très en vue dans le conflit, des bagarres ont lieu autour des Fenwicks devenus enjeux stratégiques pour le contrôle du site. Le 4 janvier, la CFDT propose un chômage technique au lieu des licenciements, « le temps nécessaire à la recherche de solutions » ! La direction refuse, les pouvoirs publics n’interviennent pas. Le 5 janvier c’est l’attaque du PFN avec des militants venus de Rennes, de la CSL, de FO, contre les grévistes encerclés dans le B3. La journée se conclue par 50 blessés, l’intervention des flics,à la demande de la CFDT « pour éviter des morts », alors que des armes ont été saisies sur les assaillants.

A la surprise générale, la CFDT dépassée par une lutte de classes,fait évacuer les 2 000 grévistes qui occupaient encore le site.

Le 8 janvier, la fédération CFDT de la métallurgie déclare la grève
suspendue sans que la section de Poissy ait pu débattre de la question.

La lutte est enterrée, la production redémarre progressivement,dès le 7 janvier, chicanes, laisser passer, CRS, bref militarisation du travail.

Le changement total dans les équipes, des postes, brouille les cartes pour empêcher la circulation des infos, les discussions sur la situation et l’action, cassant le travail des délégués de chaine restants dans l’usine.

Commentaire

Avec la grève chez Talbot (Poissy) de 1984 suite à l’annonce de la direction le 12 juillet de son intention de supprimer près de 8 000 emplois sur l’ensemble du groupe Peugeot-Talbot, on a connu une grève longue et dure qui avait un impact direct sur tout le secteur ouvrier de l’Automobile et dans laquelle l’ensemble des militants de l’Automobile se sentaient concernés. L’organisation Lutte ouvrière à laquelle j’appartenais était contre l’intervention et j’ignorais même que, en désaccord avec la direction de LO, plusieurs militants avaient décidé d’y intervenir en entrant dans l’entreprise et en tentant de proposer aux travailleurs et aux militants combatifs de constituer un comité de grève...

Y compris en ce qui concernait les autres usines de l’Automobile, LO ne voulait pas se poser le problème : comment on peut intervenir en tant que classe en ne laissant pas une lutte isolée.

Abandonnée par la CGT et le PCF, les plus radicaux des militants syndicalistes n’ayant pas osé prendre la tête d’un comité de grève, la grève Talbot a été à un échec et cela a été un échec pour toute la classe ouvrière, pas seulement pour Talbot, pas seulement pour l’Automobile.

En 1984, c’est surtout la grève de chez Talbot qui aura des conséquences sur la suite des événements et le moral des ouvriers, et les propos du ministre « socialiste » Mauroy disant ce ne sont pas les ayatollahs qui viendront faire la loi en France, les grévistes se frittaient avec les nervis du patron, et avec les CRS, montrant où se situait le gouvernement socialiste et montrant aussi où et comment les syndicats se situaient par leur prise de positions. Les travailleurs immigrés se sentaient isolés et cela divisait la classe ouvrière, alors que tout le camp militant prenait conscience qu’à travers cette attaque à Talbot, c’était le début de l’offensive patronale dans la métallurgie. Il aurait fallu pour soutenir les ouvriers de chez Talbot appelé l’ensemble des travailleurs de l’automobile Renault, Citroën-Peugeot, les équipementiers, les succursales, soit des millions de salariés concernés. C’est ce qui passera ensuite et la classe ouvrière va le payer cher d’avoir fait une confiance aveugle à la gauche et aux syndicats. La droite s’est occupée de régler son compte à la sidérurgie, la gauche à le faire pour la métallurgie

Après la défaite cuisante de Talbot, les grèves des travailleurs de production qui s’étaient développées après 1968 ont considérablement reculé. Cependant, des occasions où les travailleurs débordaient les appareils syndicaux, on en a connues d’autres.

La grève de l’usine Talbot de Poissy en 1984

En annonçant le 12 juillet son intention de supprimer près de 8 000 emplois sur l’ensemble du groupe Peugeot-Talbot, et déposant auprès des autorités un dossier, la direction PSA mettait le gouvernement au pied du mur.

Le gouvernement feint la surprise... et se donne deux mois pour examiner le dossier, avec la nomination d’un expert pour évaluer la situation du groupe Peugeot.

Le 11 octobre, la direction du travail des Yvelines, chargée du dossier Peugeot-Talbot, accepte le principe de 4 510 départs en pré-retraite (dont plus de 1 200 à Poissy, le reste à Sochaux). Mais elle refuse les 2 905 licenciements demandés chez Talbot, car « le plan social d’accompagnement est insuffisant » . Ainsi il apparaît dès lors pour l’administration que les licenciements sont inéluctables, il ne manque que la « sauce » autour. Peugeot est prié de revoir son dossier dans ce sens.

Mais pour les travailleurs de Talbot, c’est l’attente et l’inquiétude. Début décembre, la direction de PSA qui s’impatiente elle aussi et qui négocie avec Bérégovoy, annonce de nouvelles journées de chômage technique : entre le 12 et le 23 décembre, l’usine ne tournera qu’avec la moitié des effectifs (l’équipe du matin, l’autre restera à la maison avec 50 % du salaire) ; du 23 décembre au 2 janvier, l’usine sera fermée pour cause de congés (5e semaine).

II faut donc réagir tant que l’effectif est au complet.

Le mercredi 7 décembre au soir, à 20h 30, à l’appel séparé de la CGT et de la CFDT, l’usine Talbot est en grève pour 24 heures reconductibles.
La grève

La grève sera totale, elle concernera toute la production (13 000 personnes) et rencontrera, disent les syndicats, la sympathie des employés et même des cadres.

C’est cette réaction massive, déterminée des travailleurs qui va déranger les manoeuvres en cours. Visiblement après le rapport de l’expert, le gouvernement avait accepté le principe des licenciements. Restait à mettre au point, avec Peugeot, une formule de plan social qui ait un peu de tenue. C’était la tâche de Bérégovoy. Mais devant le mécontentement des ouvriers et leur décision, le gouvernement embarrassé, tente de gagner du temps et de retarder sa réponse. Ces tergiversations alimentent les illusions.

er décembre : « Monsieur Calvet, directeur de PSA, ne peut continuer en toute tranquillité la politique qu’il pratiquait lorsqu’il était chef de cabinet de Valéry Giscard d’Estaing et de narguer les décisions gouvernementales : refus des licenciements. Ce qui lui est demandé, ce n’est pas de faire en douceur ce qui lui a été refusé de faire brutalement, mais d’avancer d’autres solutions, garantissant l’emploi et le maintien de la marque Talbot » .

Ainsi, le PCF comme la CGT, prêtent au gouvernement la ferme volonté de « refuser les licenciements ». Tactique, ou ignorance ? C’est le moment où Georges Marchais, à propos de SKF, s’en prend au ministre Laurent Fabius, et affirme la volonté des communistes de défendre l’emploi.

L’Humanité du 10 décembre précise même : « Du côté des pouvoirs publics, aucune décision officielle, ni officieuse n’a été prise, contrairement à ce qu’a pu déclarer après une rencontre avec la direction départementale du travail, le syndicat CFDT de l’usine, selon lequel le problème était tranché dans le sens de l’acceptation des licenciements. C’est faux. Rien n’est joué » .

Quant à Poperen, il explique dans une interview au Matin : « Elle (la direction) prétend que supprimer trois mille emplois à Poissy c’est permettre d’en gagner douze mille. Tout le monde sait qu’il s’agit d’un mensonge et que l’objectif est de parvenir rapidement à un effectif maximal de 8 000 salariés à Poissy » . Ce « mensonge » deviendra pourtant l’argument officiel du gouvernement, après la conclusion de l’accord avec Peugeot, il sera même repris par Nora Tréhel début janvier pour expliquer aux travailleurs qu’il n’y a rien de mieux à espérer.

En fait durant cette première phase de la grève, alors que la CFDT dénonce l’intention des autorités de laisser faire les licenciements, la CGT prétend elle, que rien n’est fait, et laisse entendre que le gouvernement peut refuser.

Le lundi 12, la grève est reconduite par plusieurs milliers d’ouvriers et pas seulement de l’équipe du matin. La CGT a appelé, malgré la consigne de la direction, l’équipe du soir - officiellement en chômage technique - à venir aussi à l’usine. Talbot s’installe dans la grève.

Après une entrevue avec Bérégovoy et Ralite, le secrétaire de la Fédération de la métallurgie CGT, André Sainjon, déclare : « la direction de PSA semble persister dans sa volonté de licencier. Pour la CGT, il n’est pas question d’accepter de licenciements chez Talbot. Il est possible, par la négociation, d’envisager des solutions telles que la réduction du temps de travail, l’avancée de l’âge de la retraite pour les travailleurs sur chaîne, le développement de la formation, le recyclage » .

En fait, au gouvernement, on s’active pour trouver une solution mais Peugeot ne veut rien entendre. Il n’a que faire de l’embarras du gouvernement socialiste. Il a fait ce que Bérégovoy et Ralite lui avaient demandé, un peu de « social », il n’ira pas outre : au gouvernement de prendre ses responsabilités. Sinon...

Sinon, le jeudi 15 décembre, au cours d’un CE extraordinaire, le directeur de Peugeot automobile annonce que vu la situation dans l’usine, les salaires ne seront plus payés à compter du 19 décembre (y compris pour l’équipe de nuit jusque là indemnisée à 50 %), qu’elle suspend son plan d’investissement pour la modernisation de l’usine de Poissy et déclare : « la présence du personnel sur le lieu du travail est devenue sans objet ».

C’est un coup de force et un chantage. Le gouvernement accuse le coup. Mauroy en voyage dans la Somme a beau dire « le gouvernement n’a pas à se presser, n’a pas à dire « mais oui, mais oui » aux patrons. Les travailleurs ont leurs amis au gouvernement, qu’ils le sachent » , le week-end va être consacré à régler l’affaire Talbot. Un accord est signé le samedi 17 entre le gouvernement et la direction Peugeot. Le nombre de licenciements est ramené de 2 905 à 1 905. 1 300 licenciés iraient en FPA, une centaine serait formée par Peugeot à la réparation automobile, les autres seraient « reclassés » à l’extérieur de Peugeot, une prime de 20 000 francs à tout employeur embauchant des Talbot ! Personne n’irait pointer au chômage.

C’est un accord « exemplaire » estime le gouvernement. C’est un « effort pour une solution humaine » estime Ralite qui juge ces « acquis intéressants ».

Le ministre communiste Jack Ralite, passé de ministre de la Santé au poste annexe de l’Emploi, après avoir déclaré qu’il n’accepterait aucun licenciement, qualifie d’« acquis intéressant » l’accord qui entérinait ces licenciements.

Les travailleurs refusent l’accord et vont en décider autrement.

Le lundi 19 décembre, alors que l’usine est théoriquement fermée (la direction de Peugeot a fait savoir la veille que l’établissement de Poissy était en chômage technique jusqu’au 23, date des congés d’hivers) qu’il n’y a ni car, ni train Talbot, des centaines de travailleurs se rendent à l’usine, les lettres de licenciement sont parties, mais personne ne le sait encore. Et très vite le clivage se fait. La CGT, en la personne de Nora Tréhel, explique longuement le contenu de l’accord gouvernemental : « c’est un acquis de notre lutte. Ce sont des points positifs que nous avons arrachés à PSA : Talbot vivra !... On annonce 1 905 départs de l’entreprise. Nous le déplorons. Ce n’est pas nous qui avons négocié cela » .

La CGT déplore, mais ne condamne pas. La CFDT, elle, dit carrément « non à aucun licenciement » . C’est elle qui est applaudie.

A partir de cette date du 19 décembre, la CGT va remplir son rôle de syndicat « responsable », sans donner l’ordre de reprise. (Officiellement, elle dit qu’il faut continuer la lutte pour obtenir de négocier cas par cas sur les 1 905 licenciements). Mais sans parler ouvertement de grève. La CGT demande aux travailleurs de « venir surveiller l’outil de travail pendant le chômage » ! Elle dénonce ouvertement l’orientation de la CFDT, les éléments extérieurs à l’usine, les médias et l’intransigeance de PSA. Elle demande une fois de plus l’intervention des pouvoirs publics pour la mise sur pied d’une réunion tripartite auprès du préfet des Yvelines.

Et les travailleurs, eux ? Impossible de savoir ce que ressent l’immense majorité des salariés de Talbot qui ne sont pas venus à l’usine. Mais ceux qui sont présents (peut-être 1 000 ou 1 500) discutent beaucoup. La plupart dénoncent la pseudo formation qu’on leur propose, ils n’y croient pas, ils ne croient surtout pas qu’après, ils trouveront de l’emploi ; certains parlent ouvertement du « retour au pays », mais avec leurs droits. Tous sont d’accord pour continuer la lutte, il n’y a pas d’autre solution.

Le mardi, les premières lettres de licenciement sont arrivées à domicile Les grévistes les font circuler. Au fil de la journée des licenciés arrivent à l’usine. L’idée de la « prime au retour » gagne du terrain parmi les émigrés. Quelques délégués des chaînes, « dissidents » de la CGT, algériens et marocains, tiennent une sorte de conférence de presse : « les immigrés de Talbot veulent retourner dans leur pays avec des conditions décentes. Ces conditions, nous les avons chiffrées ». Les directions syndicales sont prises de court. La CGT parle de « manipulation ». La CFDT ne repousse pas la revendication mais elle ne la reprend pas car elle fixe son activité sur le refus de tout licenciement.

La CGT au fil des jours va s’efforcer de reprendre ses troupes en main. Elle intègre en partie la revendication de l’aide au retour, elle refuse les licenciements « arbitraires » (!), elle multiplie les démarches pour l’obtention de nouvelles négociations.
Aucune riposte d’ensemble à talbot, une minorité bien déterminée occupe l’usine

Durant toute la semaine, dans l’usine occupée, se retrouvent quelques centaines de travailleurs, licenciés ou non., (pour beaucoup militants syndicalistes ou délégués de chaîne), les autres travailleurs de Talbot sont restés chez eux, au chômage technique et, à partir du 23, officiellement en congés payés. Dans la journée, certains viennent aux nouvelles.

Mais les Talbot sont seuls. Durant ces interminables journées (les « occupants » passent le réveillon dans l’usine), le conflit, qui pourtant intéresse tous les travailleurs de l’automobile, qui passionne les militants, qui est l’objet de discussions dans les foyers d’immigrés, le conflit reste circonscrit à Talbot et, plus précisément, à quelques centaines de travailleurs et militants syndicalistes. Les syndicats CGT et CFDT sur le plan départemental organisent bien quelques manifestations de sympathie, des collectes, des messages de solidarité. Mais de riposte unitaire et massive des travailleurs de l’automobile, il n’en sera jamais question. Cela aurait pourtant été la seule réponse capable de faire reculer le gouvernement et les patrons de l’automobile.

Mais les confédérations ne font rien. Elles laissent les militants locaux aux prises avec les problèmes, les discussions, les débats, les décisions à prendre. Au sommet, la CGT multiplie des démarches auprès du gouvernement, pour de « nouvelles négociations ». La CFDT critique « l’immobilisme et le secret » de la politique gouvernementale. Mais jamais, à aucun moment, il n’est question d’engager la classe ouvrière de l’automobile dans une épreuve de force décisive pour empêcher les patrons de licencier et de faire payer la crise aux travailleurs.

Manifestement, ce n’est ni dans la perspective, ni dans la stratégie des centrales. Elles ne sont pas là pour cela, leur rôle conservateur joue dans l’autre sens, et pas seulement parce que la gauche est au gouvernement. Sous Giscard, les sidérurgistes de Longwy se sont battus seuls pendant de longues semaines. Mais, parce que la gauche est au gouvernement, la CGT s’est trouvée même sur le plan local en porte-à-faux, dans un conflit où elle aurait pu, autrement, sur le plan local, conduire de façon déterminée. Cette fois, entre les travailleurs en lutte et le gouvernement, la CGT, très ouvertement, a choisi le gouvernement. Et cela s’est vu et continue à provoquer des remous dans ses rangs.

Alors à Talbot, ce n’était plus qu’une question de jours. Après plusieurs provocations, la direction obtint du Tribunal un arrêté d’expulsion. Les CRS rentrent dans l’usine et font évacuer les occupants. Peugeot, pressé d’en finir, commence à regrouper sa maîtrise, à faire donner la CSL locale et parisienne. L’ouverture de l’usine est repoussée au 3 janvier.
Le dénouement

Quand, le 3 janvier, les travailleurs de Talbot se présentent enfin, la CFDT regroupée au B3 appelle à la poursuite de la grève. La CGT sans parler de reprise, appelle à la raison « on fera ce que les ouvriers décideront » . Tout le monde comprend que la CGT « lâche ». Les grévistes ne sont pas très nombreux (1 000 ou 1 500), mais comme le B3, l’atelier d’assemblage est occupé par eux, toute l’usine ou presque est paralysée, les travailleurs sont dans l’expectative.

Manifestement, les 16 000 travailleurs de Talbot ne sont plus unanimes pour la grève. Ils ne savent pas trop, la plupart ont endossé leur bleu, prêts à reprendre le travail, prêts aussi sans doute à entendre les consignes syndicales. Mais la division entre CGT et CFDT est manifeste. Une tentative de grévistes pour dépasser cette division en s’inscrivant pour un comité de grève fait long feu. Les premiers heurts avec la maîtrise et la CSL se produisent très vite. Ils sont violents. Et le jeudi 5 janvier, dès l’embauche, les commandos CSL venus de toute la région parisienne (Citroën et concessionnaires Talbot ou Citroën) ont pris position autour du B3.

L’immense majorité des travailleurs de Talbot ne sont pas dans le coup. La bagarre est circonscrite entre les 1 000 grévistes du B3, la CFDT et la CGT et, à l’extérieur, les commandos CSL. Après quelques échanges très durs, la CFDT demande l’intervention des forces de l’ordre. Ce n’est qu’en fin d’après-midi que les grévistes assiégés pourront quitter l’usine. La direction annonce la fermeture de l’usine, pour réfection.

Pour les Talbot, c’est fini. La reprise du travail se fera progressivement à partir du 11 janvier sur convocations individuelles.


Les conflits Talbot, du printemps syndical au tournant de la rigueur (1982-1984)

Auteurs

Nicolas Hatzfeld

Jean-Louis Loubet

Alors que l’usine automobile de Poissy n’avait pas connu de grève durant presque trente ans, un puissant conflit éclate en 1982. Cette grève, violente et brutale, obéit pourtant à des logiques différentes de celles qui prévalaient jusque lors. Amenant à la dislocation du syndicat maison, elle signe bien l’émergence d’une logique de crise qui amène l’ensemble des acteurs – direction, salariés et syndicats – à prendre en compte les nouvelles donnes que suscitent tant l’évolution économique de l’industrie française que l’arrivée de la gauche au pouvoir.

En juin 1982, un conflit d’une exceptionnelle intensité s’ouvre dans l’usine automobile Talbot de Poissy. L’événement est considérable puisque la dernière grève dans ce lieu date de vingt-huit ans. Il s’inscrit dans le vaste mouvement qui affecte les ouvriers spécialisés de toutes les entreprises automobiles. Chez Talbot, comme chez Citroën, ce mouvement survient après l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand. Il apporte ce que certains nomment le « printemps de la dignité.

En dix-huit mois de turbulences et de violences, les enjeux du conflit Talbot se déplacent vers les questions de survie industrielle et de défense de l’emploi. Ils touchent l’usine, puis la puissante maison-mère PSA, mais atteignent aussi les instances du syndicalisme, les partis au pouvoir et les administrations, au moment même où la politique de la gauche marque un tournant majeur.

◦ Juin 1982, l’explosion sociale à Poissy et ses répercussions nationales

Mercredi 2 juin 1982, 18 heures.

Dans l’atelier B3 de l’usine de Poissy, une agitation exceptionnelle affecte les lignes d’assemblage. Un tract syndical, distribué sur les chaînes, présente un éventail de revendications portant sur l’organisation du travail, la formation professionnelle, les salaires, les congés, et enfin les libertés individuelles et syndicales. Après la pause, un cortège se forme, une banderole CGT se déploie. La maîtrise s’emploie à empêcher l’arrêt des chaînes. En vain. À chaque passage, les grévistes sont plus nombreux. Soudain, ils subissent un assaut du service d’ordre du syndicat tout puissant, la CSL. Les grévistes font front. Pour la première fois dans l’histoire de l’usine, la CSL est repoussée hors du bâtiment. Le lendemain, dès les premières heures, les mêmes phénomènes se reproduisent avec l’équipe de jour. Mieux armées, les bagarres se font plus violentes. Non seulement les grévistes restent maîtres du terrain, mais les chaînes s’arrêtent. L’atelier entier bascule dans la grève. Dans les autres bâtiments, le travail reste dominant.

De part et d’autre, personne ne mesure réellement le poids d’événements totalement invraisemblables vingt-quatre heures plus tôt. C’est au cours de l’après-midi qu’a lieu l’épreuve de force décisive. Dans la cour, juché sur une estrade, le directeur du personnel harangue quelques centaines d’opposants à la grève, pour la plupart des militants CSL, des cadres et des agents de maîtrise : il faut montrer sa force, reconquérir le B3 et rétablir la liberté du travail. Dans le B3 justement, les grévistes se préparent à l’assaut. L’affrontement dépasse en violence les heurts précédents, mobilisant extincteurs, grenades lacrymogènes, matraques, jets de pièces métalliques et lance-boulons à pression d’air. Les premiers entrés tentent de refluer, empêchés par ceux qui, derrière, poussent pour entrer. Des combats se déroulent sur les chaînes. Le sang coule. Le directeur du personnel est parmi les blessés, plus d’une quarantaine selon les uns, près d’une centaine selon les autres. Si pour la troisième fois, les grévistes restent maîtres du terrain, cette fois l’intensité de l’affrontement ébranle les esprits.

Face au bâtiment en grève, d’autres ateliers accueillent les non-grévistes pour un travail évidemment ralenti. Dès lors, et pendant quatre semaines, l’usine devient un terrain de manœuvres, sous l’œil des forces de police qui veillent à empêcher le retour des violences. Deux camps se toisent : les grévistes cherchent à entraîner de nouveaux secteurs dans leur mouvement tandis que les non-grévistes s’activent pour relancer une production. Le conflit s’installe dans la durée : meetings et défilés s’organisent dans chaque camp pour entretenir la mobilisation des troupes. Le noyau dur dépasse mille salariés auquel s’ajoutent 5 415 grévistes partiels contre 10 046 non grévistes.

Le conflit fait aussitôt la « une » des médias, le nom de Talbot s’associant aux images d’affrontements. Plus discrètement, il implique les responsables de l’entreprise, de l’administration et des organisations syndicales. Des contacts sont pris entre la direction de PSA et les ministères, voire l’Élysée ; ils se poursuivront tout au long de la grève. Dans l’immédiat, Gaston Deferre, ministre de l’Intérieur, recommande l’évacuation de l’usine par les grévistes. Mais les forces de police n’interviennent qu’avec une très grande réserve. À la demande de la direction de Poissy, elles font évacuer le B3 le mercredi 9, mais laissent l’occupation reprendre dès le lendemain. Les négociations piétinent : alors que la direction de Poissy demande une ré-explication des revendications, les syndicats souhaitent des propositions écrites de sa part. À l’extérieur, chaque protagoniste tente de peser sur l’opinion. Les grévistes organisent des collectes de solidarité, sur les marchés et aux portes des usines de la région. La forte réputation anti-syndicale de Poissy suscite des soutiens dans plusieurs entreprises du pays. Le plus remarqué est l’arrivée d’un car d’ouvriers de Citroën, le 18, apportant le fruit d’une collecte effectuée dans l’usine d’Aulnay. Les non-grévistes, un temps désorientés, engagent leurs propres actions, visant surtout la ville de Poissy dirigée par le maire communiste Joseph Tréhel, ancien dirigeant de la CGT de Simca-Chrysler, époux de sa responsable actuelle Nora Tréhel. Le 28 juin, ils entament l’occupation du hall d’entrée de la mairie, coordonnée par la direction de l’usine, « jusqu’à ce que la liberté du travail soit enfin respectée dans l’ensemble des usines de Poissy ». Deux jours plus tard, ils assemblent, sur la place de la mairie, une voiture qu’ils offrent au centre hospitalier de la ville.

La grève aborde sa troisième semaine lorsque le ministre du Travail désigne le 23 juin un médiateur, le professeur de droit Jean-Jacques Dupeyroux. Il vient d’officier dans les mêmes conditions chez Citroën ! Après avoir reçu tous les partenaires, celui-ci remet ses recommandations le 1er juillet pour tenter de mettre fin au conflit : elles sont proches de celles présentées chez Citroën, portant sur les droits et les libertés, la dignité des travailleurs, le droit syndical, la création de lieux de culte, les conditions de travail et enfin les modalités de reprise du travail. Pour les rémunérations, le blocage des prix et des salaires imposé par le gouvernement reporte au 1er novembre 1982 l’attribution d’une prime générale et d’une augmentation des taux. La médiation prévoit également la création de commissions, sur les salaires, les libertés, les carrières et la formation des OS. La CGT prend clairement position pour l’acceptation des recommandations. Elle organise le 2 juillet un vote sur la reprise du travail : 3 688 pour, 262 contre et 13 nuls.

L’annonce des résultats déclenche une explosion de joie chez les grévistes qui prolongent ce moment tard dans la soirée, ouvrant enfin le B3 à l’encadrement. Le 3 juillet, Jean Boillot, gérant de Talbot, accepte les recommandations du médiateur. Avant la reprise du travail, Henri Krasucki, secrétaire général de la CGT, est l’invité d’un grand meeting tenu en plein air devant l’usine.

La grève de mai-juin 1982 met en échec l’organisation syndicale et sociale dite « système Simca », née dans les années 1960 ; celle-ci déléguait une partie du maintien de l’ordre intérieur et l’administration des œuvres sociales à la CSL. Ce syndicat corporatiste accueillait tous les types de salariés, de l’OS à l’ingénieur. Dirigé par des hommes liés aux partis de droite et d’extrême droite, auxquels il fournissait des colleurs d’affiche, voire, parfois, des candidats aux élections locales, il prétendait à l’exclusivité et combattait avec énergie la CGT. Liée à un ensemble d’avantages sociaux aussi généreux qu’inégalitaire, l’imbrication des genres avait fait ses preuves dans les années prospères, et convaincu d’autres entreprises : Citroën avait ainsi adopté ce modèle dans les années 1960. Supplantant les syndicats autonomes de l’immédiat après-guerre, la CFT – devenue CSL – constituait une tradition de la droite sociale française, toujours cantonnée à un rôle mineur par le pouvoir politique, mais souvent vivifiée aux périodes de crise. Elle s’était implantée chez Peugeot après 1968, sans devenir dominante, et était apparue fortuitement dans certaines usines Renault.

Cette formule corporatiste connaît pourtant des difficultés à la fin des années 1970. Elle suppose un budget considérable dédié aux avantages sociaux, aux faveurs individuelles et à l’entretien d’un réseau syndical dense – plusieurs centaines de personnes à Poissy. Trop opaque pour la direction de Peugeot, ce système déplaît parce qu’il est jugé encombrant. Depuis 1979, les élections professionnelles sont entachées d’irrégularités qui entraînent des condamnations de justice à Poissy. Le « système Simca » suscite une attention de plus en plus appuyée du ministère du Travail et affecte la réputation – exécrable – de l’entreprise auprès des pouvoirs publics.

Après 1981, la situation devient intenable chez Talbot et Citroën : la persistance des fiefs CSL contrecarre la politique du ministre du Travail, Jean Auroux, qui souhaite accorder des droits nouveaux aux travailleurs, donnant son nom aux lois votées dans la seconde moitié de 1982. La préparation des élections professionnelles de 1982 s’effectue chez Citroën dans une tension croissante, entre direction, pouvoirs publics et ouvriers : la CFDT alerte les ministères sur les agressions que subissent certains militants dont son nouveau délégué à Aulnay, Mohamed el-Harrari. Signe des temps, elle est reçue par un conseiller du Premier ministre. Le 22 avril, des milliers d’ouvriers d’Aulnay se mettent en grève, plaçant des piquets aux portes de l’usine… que les fidèles de la direction occupent ! Les revendications portent sur les cadences, la réforme des classifications et la formation, soit ce que réclament les grévistes de Billancourt, de Flins ou de Sochaux : « l’évolution de la condition des OS ». Elles portent aussi sur les salaires et la possibilité pour les immigrés de joindre la cinquième semaine aux congés d’été. On trouve enfin la dimension spécifique d’une lutte pour les libertés au travail et la reconnaissance des droits syndicaux. Durant un mois, les manœuvres de terrain et les bagarres confortent le blocage des négociations, jusqu’à la nomination, le 21 mai, du médiateur Dupeyroux. Sa recommandation, rédigée le 26, est acceptée le 27 par les partenaires sociaux. Elle porte, exactement comme celle qui concernera Poissy, sur les « problèmes relatifs aux libertés et, de façon plus générale, au respect de la dignité de chacun » comme sur « les problèmes plus classiques relatifs aux salaires et aux conditions de travail ».

Dans les deux conflits, le système corporatiste vole en éclats, même si bon nombre de salariés n’ont pas fait grève, et si la CSL garde de l’influence. Les élections de juin aux usines Citroën de la région parisienne voient la CGT bondir de 9 à 57 %, la CFDT atteindre 6 %, tandis que la CSL tombe de 82 % à 33 %. À Poissy, la victoire de la CGT, suivie à distance respectable par la CFDT, se traduit par une syndicalisation massive et spectaculaire : celle-ci annonce 3 327 adhérents le 2 juillet ! Ce chiffre clôt définitivement l’époque de la survie clandestine des années 1960, quand la CGT ne comptait que 16 adhérents. À la fin du conflit, des salariés font la queue pour obtenir leur carte. Pourtant, chez Citroën comme chez Talbot, la reprise ne fait pas l’économie de tensions et de contestations. C’est à Poissy que l’effervescence est la plus vive, à propos de variations de cadence, de mutations, de salaires, ou encore du comportement d’un agent de maîtrise. La revendication de dignité est intense, et l’ensemble de la discipline d’usine est remise en cause par une solidarité ouvrière rapide à réagir, exubérante et redoutable d’efficacité. Si dans cette période l’influence de la CGT et de la CFDT se renforce en termes d’adhérents comme dans les élections professionnelles, les formes classiques de représentation ne suffisent pas à faire face au bouleversement des ateliers. Ces deux organisations instaurent un réseau de « délégués de chaîne », issus des actifs de l’occupation, proposés par les ouvriers et habilités par les syndicats. Ces délégués de chaîne drainent les frictions d’atelier, et tentent de s’imposer à une maîtrise qui peine à résister. Fin 1982, L’Expansion note qu’il y a trois forces en présence à Poissy : la direction qui veut réaliser ses plans de production ; la CSL qui cherche à garder une influence alors que ses délégués sont systématiquement chahutés et la CGT qui entend conforter un pouvoir issu du conflit. Au-delà de ces vagues immédiates, et des reflux ultérieurs, Citroën et Talbot amorcent une harmonisation progressive mais irréversible des relations sociales avec celles qui gouvernent PSA et, au-delà, la France du travail des années 1980.

◦ 1983, sauver l’emploi, la marque ou l’usine

En occupant le devant de la scène, les conflits de 1982 ont fait oublier les difficultés industrielles qui fragilisent toute la branche automobile. La crise des années 1970 a conduit Peugeot à reprendre Citroën en 1974 et Chrysler-France en 1978. Le nouveau groupe constitué, véritable General Motors à la française, comptait sur la poursuite de la croissance pour moderniser et harmoniser le nouvel ensemble industriel. Or le retournement de conjoncture est brutal, PSA perdant de l’argent dès 1980, Renault l’année suivante. Cette mutation prend donc PSA à contre-pied, sa part de marché tombant en Europe de 17,2 % à 12 % entre 1979 et 1982. La gravité de cette crise est mal évaluée. Tout en évoquant l’existence de difficultés structurelles, les syndicats hésitent à parler de crise avant 1981. L’idée de nationaliser PSA occupe quelques débats militants à la CGT et à la CFDT. Quant aux directions d’entreprise, trompées par la reprise des lendemains du premier choc pétrolier, elles imaginent un schéma à l’identique, attendant en vain un redémarrage des marchés. La victoire de la gauche perturbe un peu plus le jeu : la semaine de 39 heures payées 40 et la cinquième semaine de congés payés ont un coût que chaque entreprise chiffre à sa façon. Elle correspond à une brève reprise du marché que conforte l’illusion de la relance de 1982. Mais les pertes s’accumulent pour ces deux constructeurs qui tardent à réformer leur appareil industriel et abaisser leurs coûts. Quand les commandes s’effondrent fin 1982, la crise s’impose aux dirigeants. Avec l’arrivée de Jacques Calvet, PSA révise ses repères de productivité, s’engageant dans une réduction drastique des charges et des effectifs afin de retrouver l’équilibre financier. Plus gravement endetté, Renault réagit plus tardivement. L’entreprise, une fois encore, joue son rôle de symbole industriel et social pour une gauche fraîchement élue dont Pierre Dreyfus, ancien PDG de la Régie, est devenu le ministre de l’Industrie. La CGT a suspendu son combat pour Billancourt puisqu’il n’est plus question de fermer ce bastion historique. Il faudra la nomination de Georges Besse en janvier 1985 pour que la Régie mesure son état de santé et change de cap. Entre-temps, la gauche opère son revirement stratégique dans les derniers jours de mars 1983. Le 21, le franc est dévalué pour la troisième fois. Le 23, François Mitterrand annonce la nouvelle politique économique du gouvernement Mauroy ; le 25, Jacques Delors présente son plan, avec en point d’orgue le grand tournant de la rigueur.

Chez PSA, très marqué par la crise, Poissy apparaît comme la branche la plus malade. Associée à la marque Talbot, cette usine produit des voitures démodées, des Simca rebaptisées Talbot qui laissent bien des clients perplexes. Lors de la récession de 1980-1981, la dégradation est telle que Poissy multiplie les jours chômés : 31 jours en 1980, et 8 à 10 jours mensuels au printemps 1981. Fin 1980, Talbot a perdu plus du quart de ses effectifs de 1979, en utilisant tous les moyens : départs à l’amiable, licenciements économiques, aide au retour pour les travailleurs immigrés volontaires. Mais les ventes de Talbot continuent de s’effondrer. La production de Poissy tombe de moitié entre 1979 et 1981. Deux plans successifs établis avec le Fonds national pour l’emploi (FNE) éloignent des salariés âgés de 56, puis de 55 ans. Lorsque les commandes semblent reprendre début 1982, l’inquiétude du personnel reste entière. Les salariés de Talbot s’interrogent : Peugeot se comporte-t-il en partenaire ou en concurrent prêt à éliminer Talbot ? Dans cette logique, l’emploi, l’usine et la marque sont totalement liés. Exprimé par la CGT, ce raisonnement rencontre un écho croissant dans les ateliers. La grève du printemps 1982 suspend la controverse, sans apaiser les soupçons. Au début 1983, la conjoncture se dégrade à nouveau. Le déclin de l’image de Talbot entraîne un effondrement total des commandes. Les samedis obligatoires sont remplacés par des jours chômés, 25 au premier semestre 1983. De quoi s’inquiéter quant à l’avenir du site, du travail et de l’emploi. Du côté syndical, le chômage redevient la préoccupation majeure. À juste titre : après avoir hésité, la direction de PSA décide une nouvelle vague de suppression d’emplois, dans une usine largement traumatisée.

◦ Juillet-novembre 1983, plan social et crispation

Le 12 juillet 1983, la direction annonce 4 140 départs soit un quart des emplois de Poissy, décomposés en 1 235 mises en préretraite par convention FNE et 2 905 licenciements. Ce plan suscite une très vive émotion dans l’usine, même si les rumeurs annonçaient le pire. Les syndicats réagissent diversement. La CSL se dit prête à étudier les propositions de départ volontaire et à l’amiable. La CFDT, très minoritaire, refuse tout licenciement. Enfin, la CGT adopte un cap plus pragmatique, tentant de réduire la marge de manœuvre des dirigeants en multipliant les journées de grève, toutes largement suivies. Les pouvoirs publics, en alerte, instaurent une commission interministérielle pour « mettre à jour la véritable situation dans laquelle se trouve PSA ». Pourtant les stratégies diffèrent : si PSA veut réduire ses effectifs, le gouvernement essaie d’enrayer la progression du chômage. Rien n’est plus néfaste pour les partis de gauche qu’avaliser des suppressions d’emploi. Malgré les relations très froides entre l’entreprise et le gouvernement, des contacts sont rapidement pris entre Jacques Calvet et Pierre Bérégovoy, ministre des Affaires sociales.

Le 12 septembre, la direction dépose une demande de licenciements qui s’inscrit dans un plan plus large de la marque Peugeot. La réponse vient le 11 octobre : le gouvernement refuse les modalités sociales du plan, mais accepte le principe des sureffectifs. L’entreprise doit réduire le nombre des licenciements, et prendre « des engagements précis sur le devenir industriel du site de Poissy ». Le 21 novembre, lors de la réunion du CCE de Talbot, la direction renouvelle son plan de licenciements en apportant de nouvelles conditions de départ : création d’un bureau d’orientation pour les licenciés, actions particulières de formation à des technologies nouvelles pour 200 personnes, aide au retour des immigrés volontaires. Pour l’avenir du site, elle annonce le lancement d’un nouveau véhicule à Poissy. Entre temps, les contacts se multiplient, mais dans une cacophonie extrême entre syndicats, instances de l’entreprise, ministères, autorités départementales et élus. Les rumeurs alimentent la tension dans l’attente de la seconde réponse gouvernementale qui tarde encore à se profiler. Beaucoup de salariés s’alarment de voir leur fabrication – des voitures Talbot – remplacée par des Peugeot. On soupçonne à nouveau PSA de vouloir liquider les emplois. On s’inquiète de voir l’avenir de Poissy se négocier loin de l’usine, entre la direction de PSA et le gouvernement dont les objectifs changent. Le dossier Talbot constitue l’épreuve de vérité, le test du nouveau réalisme économique du gouvernement.

Intransigeante sur les licenciements, la CFDT déclenche le 7 décembre 1983 une grève avec occupation, reconductible quotidiennement. La semaine suivante, une réunion interministérielle repousse encore la décision. La direction de PSA perd alors patience, quatre mois après le dépôt du premier dossier : elle met en balance la survie de Poissy, et annonce la suspension des rémunérations. Tandis que les syndicats sont atterrés, les contacts se poursuivent au plus haut niveau. Le 17 décembre, le Premier ministre Pierre Mauroy reçoit Jacques Calvet et Jean-Paul Parayre, puis les dirigeants de la CGT et de la CFDT, avant d’annoncer les décisions du gouvernement. Celui-ci autorise 1 905 licenciements, dont une liste est déjà dressée. Les conditions de départ sont améliorées grâce à l’octroi d’une prime de 20 000 francs à tout employeur procédant à une réembauche, d’une aide à la création d’entreprise, ainsi que d’une réduction de 20 000 francs sur l’achat d’un véhicule utilitaire servant d’outil de travail. Enfin, des dispositifs de formation ou de reclassement sont mis en place : 1 300 stages de formation rémunérés et 500 reclassements dans d’autres entreprises, PSA prenant en charge la formation d’une centaine de salariés aux métiers de la réparation automobile. Par ailleurs, le plan de départs en préretraite est signé. Pour l’avenir du site de Poissy, PSA s’engage dans des investissements de modernisation atteignant 1,2 milliard de francs. L’usine continuera à produire des Talbot et des Peugeot. La reprise de l’usine est même fixée au 2 janvier 1984.

Prompte à réagir, la CFDT appelle à continuer la grève, à poursuivre l’occupation de l’usine pour faire annuler les licenciements. FO approuve au contraire les décisions tandis que la CSL esquive, indiquant qu’elle subit les événements. Très attendue, l’appréciation de la CGT est aussi complexe que malaisée. André Sainjon, secrétaire national de la fédération des métaux, souligne les 1 000 emplois gagnés et le fait qu’aucun licencié de Talbot n’ira pointer à l’ANPE, autant d’éléments que le syndicat de Poissy juge aussi comme « une première ouverture constructive ». Par ailleurs, la CGT appelle aussi à l’ouverture de négociations dans l’entreprise sur les reclassements : elle espère transformer les licenciements en départs, et obtenir qu’aucun des 1 905 salariés placés sur la liste ne devienne chômeur. Enfin, la CGT souligne qu’elle n’est pas partie prenante dans les décisions prises : « Aucune négociation n’a eu lieu. Nous avons simplement été informés de l’accord intervenu entre PSA et le gouvernement ». Auprès du millier d’ouvriers qui constituent la base militante depuis juin 1982, l’accord passe mal. Il conduit un responsable CGT à s’exclamer : « Non, aux licenciements, nous sommes 17 000 et nous resterons 17 000 ». « Une exaspération qu’on affirme “comprendre” à la fédération CGT de la métallurgie », note un journaliste. Critiquant à la fois l’aventurisme de la CFDT et l’intransigeance de la direction, revendiquant le droit d’informer sans décider à la place des travailleurs, Nora Tréhel peine à faire partager ses nuances.

Le 27 décembre, la direction annonce un changement juridique qui lui permet, en cas de nécessité, de déposer le bilan de Talbot sans affecter les comptes de PSA, sans engager sa responsabilité. Le 1er janvier, le conflit semble s’achever. Mais le 3 janvier 1984, jour de la réouverture présumée, quelques centaines de grévistes irréductibles – conduits par la CFDT – s’opposent par la force à la reprise du travail. Pour la première fois depuis des mois, les non-grévistes ripostent. Au cœur de cette tension qui explose, deux angoisses se heurtent, comme deux façons de se trouver dos au mur. D’un côté, des ouvriers qui, se sachant sur la liste des exclus, refusent la brutalité du licenciement. De l’autre, des salariés qui, après des mois d’attente, ne croient plus pouvoir préserver tout à la fois la marque, le site et les emplois, et veulent sauver à tout prix ce qui peut l’être encore. Du 3 au 5 janvier, l’usine est le théâtre d’affrontements d’une violence sombre et sèche : bagarres, courses-poursuites, jets de pièces métalliques, autant de faits qu’attestent rapports, témoignages et photographies. Ces affrontements occasionnent 11 blessés le 3 janvier, 43 le 4, 55 dont 18 hospitalisés le 5. L’escalade de la violence fait craindre le pire. En milieu de matinée, la direction puis la CFDT elle-même demandent l’intervention des forces de l’ordre ! Dans la matinée du 5, les CRS établissent un cordon sanitaire entre non grévistes et grévistes pour permettre à ces derniers de sortir en sécurité. Plusieurs ateliers étant dévastés, l’usine est à nouveau fermée pour être remise en état, le personnel étant renvoyé sans rémunération. Ce n’est que le 11 janvier que l’usine reprend le travail, cette fois définitivement.

◦ L’immigration posée en problème

Dans les derniers moments de cette occupation, la responsable CGT Eleonora – dite Nora – Tréhel, fille d’immigré italien, plaide pour la reprise du travail afin de sauver l’usine. Elle interpelle le dernier carré de grévistes en lançant : « Voulez-vous que la télévision puisse dire que les immigrés font fermer les usines françaises ? Voulez-vous donner des arguments aux fascistes et aux racistes de ce pays ? » Un Africain lui répond aussitôt : « Le racisme, il est partout ». D’un bout à l’autre des conflits de l’automobile des années 1982-1983 – et particulièrement dans les conflits Talbot – la représentation des immigrés dans l’espace public s’est considérablement modifiée.

Tout d’abord, les images de grève rendent visible l’importance des ouvriers immigrés dans les usines automobiles Citroën et Talbot, après celles de Flins et de Billancourt. De fait, la tendance à recruter des ouvriers d’origine étrangère, forte dans les usines de l’agglomération parisienne, a été reprise par la plupart des usines de province dans les années 1970. Pourtant, lors des grèves de Renault comme des conflits de Citroën, c’est essentiellement comme ouvriers, que ces grévistes sont présentés dans une grande partie de la presse : OS d’abord, parfois immigrés. L’émergence du Marocain Akka Ghazi en animateur de la grève d’Aulnay illustre l’ancrage du syndicalisme dans cette nouvelle génération ouvrière, et l’intégration de celle-ci dans la société française. André Sainjon (CGT) précise : « Je refuse, personnellement, le terme de “grève d’immigrés” car il reviendrait à réduire considérablement la portée de ce conflit. Il s’agit très exactement d’une lutte de travailleurs, une lutte de travailleurs OS […] pour élever à leur dimension réelle de responsabilités, de qualifications, le travail et l’homme au travail. » Les recommandations du médiateur ne disent rien, ou presque, qui soit spécifiquement destiné aux immigrés. Un mois plus tard, à Poissy, le même médiateur centre à nouveau sa recommandation sur « l’immense question de la condition des OS ». Il évoque aussi, discrètement mais à plusieurs reprises, l’éventualité de discriminations xénophobes ou la nécessité de combattre le racisme ; il aborde explicitement la mise à disposition de lieux de culte dans l’enceinte de l’usine. La spécificité immigrée de ces OS se dessine, mais dans la perspective d’une intégration et en second plan. C’est dans cette perspective que travaille ensuite la commission présidée par Gabriel Ducray : se penchant sur le problème du désenclavement de la condition d’OS, elle débouche sur la nécessité d’entreprendre l’alphabétisation des intéressés pour pouvoir leur proposer une carrière professionnelle : à Poissy, 88 % des OS immigrés n’ont pas suivi un cycle complet d’enseignement primaire tandis qu’à Aulnay, 66 % d’entre eux sont analphabètes. Et pour cause : cette qualité était un des critères déterminants pour les recrutements dans les villages du Sud marocain ou des plateaux d’Anatolie ; critères parfois déjoués par de jeunes citadins scolarisés qui y venaient s’user les mains dans le sable afin de les rendre plus calleuses, condition essentielle pour partir en France.

En janvier 1983, à l’occasion de grèves chez Renault, la perspective change au sein du gouvernement. Pierre Mauroy déclare : « Les principales difficultés qui demeurent sont posées par des travailleurs immigrés […] agités par des groupes religieux et politiques qui se déterminent en fonction de critères ayant peu à voir avec les réalités sociales françaises. » Au même moment, Gaston Defferre, ministre de l’Intérieur, parle « d’intégristes, de chiites ». Les phrases émeuvent[30] [30] Michel Noblecourt, « Une phrase de trop », Le Monde,... suite. François Autain, secrétaire d’État chargé des Immigrés, répond alors que dans les grèves, « le fait religieux n’est pas le plus marquant ». L’épisode traduit un glissement : le 29 octobre 1981, fidèle à ses positions des années 1970, la gauche avait abrogé la loi dite Bonnet-Stoleru, supprimé l’aide au retour et aidé au regroupement familial afin de permettre aux immigrés de s’intégrer dans la société française s’ils le désiraient. La récession de 1980-1984 amène les entreprises à parler de sureffectifs de masse en même temps que du besoin, aussi impératif que nouveau, d’une main-d’œuvre adaptable et de haut niveau. Le conflit de l’automne et de l’hiver 1983 sur les licenciements à Talbot accentue le déplacement des repères. En décembre, Jack Ralite, ministre délégué chargé de l’Emploi, annonce à l’Assemblée nationale que les immigrés de Talbot seront « aidés, s’ils en expriment le souhait, à retourner dans leur pays ». L’immigré a remplacé l’OS, le pays redevient celui des origines. Le débat est vif entre syndicalistes, et entre salariés. Pour les ouvriers immigrés eux-mêmes la question des attaches, du chez soi est longtemps restée floue et ouverte : derrière le retour souvent projeté, l’avenir français des enfants, jamais évoqué par les politiques, a irrésistiblement cheminé. La sommation de choisir attise la douleur du dilemme. Lorsque quelques délégués immigrés, dissidents de la CGT, annoncent qu’ils veulent marchander le prix de leur retour, la résistance d’une Nora Tréhel est prise en tenaille. La tonalité raciste des combats dans l’usine répond à sa façon à la transformation du problème.

Le 11 janvier 1984, l’improbable se produit : l’usine qui, depuis des années, s’avançait vers la catastrophe, sort de la spirale destructrice. Les anciens protagonistes recommencent à travailler ensemble. Poissy amorce son redressement industriel : le groupe PSA l’intègre progressivement et entreprend sa modernisation radicale tandis que les effectifs continuent de diminuer. Les relations sociales se banalisent ; après le contrecoup des licenciements, la CGT s’installe tandis que la CSL subit un déclin lent mais irréversible. L’histoire de ces années 1982-1984 est pourtant loin d’être banale. À travers deux temps forts d’affrontement, les conflits Talbot ont fait émerger, à vitesse accélérée, le rattrapage démocratique que la France industrielle avait parcouru en plusieurs décennies, y compris dans sa composante utopique[34] [34] Nicolas Hatzfeld, « “Faire tourner l’usine sans patron” ?... suite. Et, sans désemparer, rétabli le poids de l’emploi, recomposé les enjeux du travail. La valeur des épreuves tient aussi à leur envergure nationale, au-delà de l’importante dimension médiatique. Les systèmes Simca et Citroën s’effondrent lorsque l’État leur retire son soutien, soucieux de renforcer l’expression des salariés dans leur entreprise. Plus tard, les menaces sur l’usine de Poissy forcent la gauche à étendre à l’emploi son aggiornamento économique. Des ouvriers vieillissants jusqu’au premier ministre Pierre Mauroy, tous les protagonistes réorientent leurs positions et voient leur rôle se redéfinir. Sous la houlette de la gauche, les drames de Talbot concrétisent ainsi le passage de la France des derniers élans de l’expansion au redéploiement douloureux des années de rigueur.

Nicolas Hatzfeld et Jean-Louis Loubet « Les conflits Talbot, du printemps syndical au tournant de la rigueur (1982-1984) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire 4/2004 (no 84), p. 151-160.

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