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Jacques Prévert, poète et révolutionnaire

vendredi 18 juillet 2008, par Robert Paris

Refrain de « Vie de famille »

« Est-ce que c’est une vie
De vivre comme on vit
Pourquoi faire
Cette vie d’enfer
Pourquoi se laisser faire
Non ce n’est pas une vie
De vivre comme nous vivons
Et cette vie, cette vie d’enfer,
C’est nous qui la changerons. »

« Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France » publié dans le recueil Paroles en 1946.

Ceux qui pieusement
Ceux qui copieusement
Ceux qui tricolorent
Ceux qui inaugurent
Ceux qui croient
Ceux qui croient croire
Ceux qui croa-croa
Ceux qui ont des plumes
Ceux qui grignotent
Ceux qui andromaquent
Ceux qui dreadnoughtent
Ceux qui majusculent
Ceux qui chantent en mesure
Ceux qui brossent à reluire
Ceux qui ont du ventre
Ceux qui baissent les yeux
Ceux qui savent découper le poulet
Ceux qui sont chauves à l’intérieur de la tête
Ceux qui bénissent les meutes
Ceux qui font les honneurs du pied
Ceux qui debout les morts
Ceux qui baïonnette… ont
Ceux qui donnent des canons aux enfants
Ceux qui donnent des enfants aux canons
Ceux qui flottent et ne sombrent pas
Ceux qui ne prennent pas le Pirée pour un homme
Ceux que leurs ailes de géant empêchent de voler
Ceux qui plantent en rêve des tessons de bouteille sur la grande muraille de Chine
Ceux qui mettent un loup sur leur visage quand ils mangent du mouton
Ceux qui volent des œufs et n’osent pas les faire cuire
Ceux qui ont quatre mille huit cent dix mètres de Mont Blanc, trois cents de Tour Eiffel, vingt-cinq centimètres de poitrine et qui en sont fiers
Ceux qui mamellent de la France
Ceux qui courent, volent et nous vengent, tous ceux-là, et beaucoup d’autres entraient fièrement à l’Élysée en faisant craquer les graviers, tous ceux-là se bousculaient, se dépêchaient, car il y avait un grand dîner de têtes et chacun s’était fait celle qu’il voulait.

Jacques Prévert, le film

" Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là
Et tu marchais souriante
Epanouie ravie ruisselante
Sous la pluie
Rappelle-toi Barbara
Oh Barbara
Quelle connerie la guerre
Qu’es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de fer
De feu d’acier de sang
Et celui qui te serrait dans ses bras
Amoureusement
Est-il mort disparu ou bien encore vivant..."
( Extrait de "Barbara" )


Citroën


À la porte des maisons closes
C’est une petite lueur qui luit…
Mais sur Paris endormi, une grande lumière s’étale :
Une grande lumière grimpe sur la tour,
Une lumière toute crue.
C’est la lanterne du bordel capitaliste,
Avec le nom du tôlier qui brille dans la nuit.
Citroën ! Citroën !
C’est le nom d’un petit homme,
Un petit homme avec des chiffres dans la tête,
Un petit homme avec un sale regard derrière son lorgnon,
Un petit homme qui ne connaît qu’une seule chanson,
Toujours la même.
Bénéfices nets…
Millions… Millions…
Une chanson avec des chiffres qui tournent en rond,
500 voitures, 600 voitures par jour.
Trottinettes, caravanes, expéditions, auto-chenilles, camions…
Bénéfices nets…
Millions… Millions…Citron… Citron
Et le voilà qui se promène à Deauville,
Le voilà à Cannes qui sort du Casino
Le voilà à Nice qui fait le beau
Sur la promenade des Anglais avec un petit veston clair,
Beau temps aujourd’hui ! le voilà qui se promène qui prend l’air,
Il prend l’air des ouvriers, il leur prend l’air, le temps, la vie
Et quand il y en a un qui crache ses poumons dans l’atelier,
Ses poumons abîmés par le sable et les acides, il lui refuse
Une bouteille de lait. Qu’est-ce que ça peut bien lui foutre,
Une bouteille de lait ?
Il n’est pas laitier… Il est Citroën.
Il a son nom sur la tour, il a des colonels sous ses ordres.
Des colonels gratte-papier, garde-chiourme, espions.
Des journalistes mangent dans sa main.
Le préfet de police rampe sous son paillasson.
Citron ?… Citron ?… Millions… Millions…
Et si le chiffre d’affaires vient à baisser, pour que malgré tout
Les bénéfices ne diminuent pas, il suffit d’augmenter la cadence et de
Baisser les salaires des ouvriers
Baisser les salaires
Mais ceux qu’on a trop longtemps tondus en caniches,
Ceux-là gardent encore une mâchoire de loup
Pour mordre, pour se défendre, pour attaquer,
Pour faire la grève…
La grève…
Vive la grève !



GREVE GENERALE DE 1936


Extrait de « Paroles »

Chanson dans le sang

Il y a de grandes flaques de sang sur le monde

où s’en va-t-il tout ce sang répandu

Est-ce la terre qui le boit et qui se saoule

drôle de saoulographie alors

si sage... si monotone...

Non la terre ne se saoule pas

la terre ne tourne pas de travers

elle pousse régulièrement sa petite voiture ses quatre saisons

la pluie... la neige...

le grêle... le beau temps...

jamais elle n’est ivre

c’est à peine si elle se permet de temps en temps

un malheureux petit volcan

Elle tourne la terre

elle tourne avec ses arbres... ses jardins... ses maisons...

elle tourne avec ses grandes flaques de sang

et toutes les choses vivantes tournent avec elle et saignent...

Elle elle s’en fout

la terre

elle tourne et toutes les choses vivantes se mettent à hurler

elle s’en fout

elle tourne

elle n’arrête pas de tourner

et le sang n’arrête pas de couler...

Où s’en va-t-il tout ce sang répandu

le sang des meurtres... le sang des guerres...

le sang de la misère...

et le sang des hommes torturés dans les prisons...

le sang des enfants torturés tranquillement par leur papa et leur maman...

et le sang des hommes qui saignent de la tête

dans les cabanons...

et le sang du couvreur

quand le couvreur glisse et tombe du toit

Et le sang qui arrive et qui coule à grands flots

avec le nouveau-né... avec l’enfant nouveau...

la mère qui crie... l’enfant pleure...

le sang coule... la terre tourne

la terre n’arrête pas de tourner

le sang n’arrête pas de couler

Où s’en va-t-il tout ce sang répandu

le sang des matraqués... des humiliés...

des suicidés... des fusillés... des condamnés...

et le sang de ceux qui meurent comme ça... par accident.

Dans la rue passe un vivant

avec tout son sang dedans

soudain le voilà mort

et tout son sang est dehors

et les autres vivants font disparaître le sang

ils emportent le corps

mais il est têtu le sang

et là où était le mort

beaucoup plus tard tout noir

un peu de sang s’étale encore...

sang coagulé

rouille de la vie rouille des corps

sang caillé comme le lait

comme le lait quand il tourne

quand il tourne comme la terre

comme la terre qui tourne

avec son lait... avec ses vaches...

avec ses vivants... avec ses morts...

la terre qui tourne avec ses arbres... ses vivants... ses maisons...

la terre qui tourne avec les mariages...

les enterrements...

les coquillages...

les régiments...

la terre qui tourne et qui tourne et qui tourne

avec ses grands ruisseaux de sang.

Complainte du fusillé

Ils m’ont tiré au mauvais sort

par pitié

J’étais mauvaise cible

le ciel était si bleu

Ils ont levé les yeux

en invoquant leur dieu

Et celui qui s’est approché seul

sans se hâter

tout comme eux

un petit peu a tiré à côté

à côté du dernier ressort

à la grâce des morts

à la grâce de dieu.

Ils m’ont tiré au mauvais sort

par les pieds

et m’ont jeté dans la charrette des morts

des morts tirés des rangs

des rangs de leur vivant

numéroté

leur vivant hostile à la mort

Et je suis là près d’eux

vivant encore un peu

tuant le temps de mon mal

tuant le temps de mon mieux.

La guerre déclarée

j’ai pris mon courage

à deux mains

et je l’ai étranglé.

Commémoration de la Commune

TOUS

30 000 morts, 30 000.

FEMMMES

Des hommes, des femmes, des enfants.

TOUS

30 000 morts

TROIS HOMMES

Mais de tout ce sang répandu

Pas une goutte n’est perdue

Pas une seule goutte.

FEMMES

Il est debout le mur des fédérés.

Plus solide que le mur des casernes

Plus solide que le mur des prisons.

TOUS

Les casernes tomberont

Les prisons tomberont

Les églises tomberont

Mais le mur se dresse encore

Rouge du sang des 30 000 morts

Rouge.

UNE VOIX

Thiers ? Crevé !

UNE VOIX

Gallifet ? Crevé !

UNE VOIX

Les versaillais ? Crevés !

HOMMES

Leurs putains et leurs chiens aussi.

TOUS

Crevés de leur belle mort.

UNE VOIX

Leur mort de crapauds tricolores

TOUS

Mais le mur est rouge encore

Rouge du sang de trente mille morts

Rouge

FEMMES

Il leur survivra le mur des Fédérés

HOMMES

Les communards sont vivants aussi

TOUS

Et depuis quinze ans en Russie

Le drapeau rouge flotte

Et flottera bientôt ici.

Tous par la pensée

Avec les Communards d’hier

Par l’action

Avec les communistes d’aujourd’hui

Défendons l’union des soviets.

SOLO

A l’école on nous a raconté des histoires

TOUS

L’histoire de France

SOLO

Il était une fois un roi et une reine

SOLO

Ralliez vous à mon panache blanc

SOLO

Du haut de ces pyramides quarante siècles vous contemplent

SOLO

J’y suis, j’y reste

TOUS

Ah ! Les braves gens !

DEMI CHŒUR A

Notre histoire à nous

DEMI CHŒUR B

Ce sont les jacqueries, les communes

DEMI CHŒUR A

Nos paroles historiques

DEMI CHŒUR B

Les mots d’ordre du prolétariat

DEMI CHŒUR A

Nos batailles

DEMI CHŒUR B

Les grèves, les insurrections

DEMI CHŒUR A

Nos défaites

DEMI CHŒUR B

Les répressions

DEMI CHŒUR A

Notre histoire à nous

TOUS

Apprenons notre histoire, camarades

SOLO

Il était une fois une grande ville

TOUS

Paris !

SOLO

Dans cette ville, un peuple d’exploités !

TOUS

Le prolétariat parisien

SOLO

En mai 1871, première grande victoire du prolétariat

TOUS

La Commune de Paris

SOLO

Camarades, c’est vous qui écrivez notre histoire

DEMI CHŒUR A

Pour la Révolution

DEMI CHŒUR B

Pour le communisme

TOUS

Travaillons, en avant !

….

TOUS

Vive la Commune de Paris

Extrait de « L’avènement d’Hitler »

« Braves gens vous pouvez dormir sur vos deux oreilles

Dormez, braves gens, dormez

Mais

Krach… krach …krach

Les banques de New York baissent leur rideau de fer

Les braves gens sont debout, livides, au bas du lit

Qu’est-ce que vous dites, … je suis mal éveillé

La Bourse de New York va fermer

….

Ça va mal.

Le bourgeois pleure des larmes et grince des dents

Il devient de plus en plus méchant…

Il tuerait bien tout le monde pour garder sa maison

Mais il ne peut pas tuer lui-même

Alors il cherche un homme


Hitler… Hitler… Hitler

L’homme de paille pour foutre le feu

Le tueur

Le provocateur



Et maintenant les quartiers ouvriers

Sont peints couleur de sang

….

Là-bas, c’est Hitler

Et ici

Demain

Si l’ouvrier se laisse faire »

Dans « Pars à la guerre », « Attention : l’ennemi n’est pas en face. / Il est derrière toi - / Il parle la même langue que toi. »

Dans « Les pauvres cons du front », « Les hommes se réveillent dans le monde entier / Ils savent des choses ! / Ils disent des choses ! / Ils crient des choses ! / Il n’y a pas de paix pour les prolétaires. Contre eux c’est la guerre dans le monde entier. »

Printemps…été…1936

La faim ….

La fatigue…le travail…la misère…le chômage…
Le travail…la faim…le froid…la chaleur…la poussière
La poussière…la fatigue… la fatigue et l’ennui.

L’ennui et la fatigue…la fatigue et l’ennui
Voilà la vie des travailleurs

La voilà…la chaleur…la fatigue…la misère
L’ennui…le travail à la chaîne…la misère t l’ennui

Soudain le travail se réveille, casse sa chaîne…
Pose son outil…et tous les travailleurs se réveillent avec lui.

Et tous les cœurs se mettent à battre avec un grand bruit…

L’ennui s’enfuit…l’espoir s’amène…
Et voilà qu’il pousse un grand cri : la grève…
La grève…partout…partout la grève…
C’est une grève comme on n’en a pas vu souvent
Et le patronat grince des dents
Les ouvriers occupent les chantiers…les usines…

Les mineurs couchent dans leurs mines

Les garçons-épiciers campent chez Félix-Potin

Et ça dure des jours et des jours

Et ça dure des jours et des nuits…

Et les grévistes dorment…ils ont des rêves
Mais pour les gros c’est l’insomnie.

Pour le capital, c’est la mauvaise nuit…

La mauvaise nuit…
De sa fenêtre, le capital voit ses usines occupées
Par les hommes des taudis
Il voit des drapeaux rouges flotter
Et le tricolore aussi…

Mais les drapeaux tricolores, c’est pas ce qui lui fait peur.

C’est le rouge qu’il craint
Celui de la Commune…
Celui du Cuirassé Potemkine, celui d’octobre 1917
Celui qu’on agite dans toutes les rues… dans tous les pays
Et le capital se fait de la bille… il rage….

Tout se passe très bien…aucun incident
Le calme est impressionnant…
Il ne manque pas un boulon chez Renault
Pas une pompe à vélo chez Peugeot
Pas un bouton de guêtre chez Raoul
Pas un jambon chez Olida
Et l’on raconte même qu’aux Galeries Lafayette
Une vendeuse du rayon des layettes
A trouvé par terre une épingle de sûreté
Et qu’elle l’a rapporté au rayon mercerie !!!

L’ordre…
Le calme…
La correction…
Pas le moindre petit incident.
C’est inquiétant…

….

Mais il faut se méfier tout de même, camarades
Il tient le coup, le capital

On sait bien, grâce à vous
Il en a pris un bon coup
Mais tout de même, il tient le coup, camarades…

Méfiez-vous… méfiez-vous… méfiez-vous
Il est dur, rusé, sournois…le capital

Il vous passera la main dans le dos
Pour mieux vous passer la corde au cou
Méfiez-vous
Défendez-vous
Il est malin le capital, camarades
Il a plus d’un tour dans son sac

Méfiez-vous, camarades

Elle n’est pas tricolore, non plus
Elle est rouge la vie…


Défendez-vous contre la mort
Contre le monde des affameurs
Qui voudraient bien nous voir mourir
Au champ d’honneur
Pour la patrie….

Il ne faut pas rire avec ces gens-là (extraits)

Camarades,
Vous avez l’oubli trop facile
Et votre colère tombe vite.

Vous êtes vivants… vous aimez rire
Le bourgeois raconte qu’il aime rire
Alors vous riez avec lui.
Pourtant son rire n’est pas le même que le vôtre
Ce n’est pas un véritable rire
L’homme rit
Le bourgeois ricane.

Ecoute
En 1871, les communards sont tombés par milliers
Monsieur Thiers souriait
Les femmes du monde souriaient
Elles se payaient une pinte de bon sang

Pendant la fameuse glorieuse dernière avant-dernière grande guerre
Le président Poincaré rigolait dans les cimetières
Oh ! Pas aux éclats naturellement
Un petit rire discret
Un petit gloussement
Un rire d’homme du monde
Un joyeux rire d’outre-tombe

Depuis le mois de février
On a tué en France beaucoup d’ouvriers
Et le président Doumergue n’a pas cessé de sourire
C’est une habitude… un tic…
Deibler aussi quelques fois sourit…
Tardieu sourit…
Hitler aussi…

C’est le sourire du capital
le sourire de la bourgeoisie
C’est le rire de la « Vache qui rit »
Un rire aimable… un sourire impitoyable.

« Excusez-moi, je regrette. Dans le fond, je vous aime bien
Et si je donne l’ordre de vous abattre comme des chiens
C’est parce que c’est la coutume, je suis là pour ça
Je n’y suis pour rien…

C’est la coutume
Il y a trop de travailleurs dans le monde
Il faut les expédier dans l’autre
Trop de travailleurs, trop de café, trop de sardines
Trop de betteraves, trop de fraises des bois,
Trop d’instituteurs…


Et le sourire de la bourgeoisie s’est figé
La prochaine guerre va commencer.


Souriez, jeunes gens
Votre fosse est fraîchement creusée

L’union de tous contre les exploiteurs peut faire sourire.
Les exploiteurs ne souriront pas toujours.



Un drame à la cour (extraits)

LE BOUFFON
Charade :
Votre premier ministre est un imbécile

Rires du roi

Votre second ministre est un idiot

Approbations du roi

Votre troisième ministre est un crétin
Votre quatrième ministre est …

LE ROI l’interrompant

… une fripouille

Il rit

LE BOUFFON
La solution … Sire, vous êtes le roi des cons…

LE ROI se dressant

Quoi ? Le roi des … mais c’est une infamie
Traiter le sire ainsi…
(au bouffon) C’est une révolte

LE BOUFFON
Non, sire, c’est une Révolution

VOIX DANS LES COULISSES DE LA VILLE POPULAIRE
A Bas le tyran !
A bas le roi !
A mort le roi !

LE ROI
Tragique destin… mes sujets sont devenus de mauvais sujets

Travailleurs, attention

Travailleurs, attention
Votre vie est à vous
Ne vous la laissez pas prendre
Socialistes
Sans parti
Communistes
La main qui tient l’outil ressemble à la main
Qui tient l’outil
Travailleurs, attention
Demain nous saurons sur qui nous tirerons
Les machines à tuer, nous les prendrons
Nous avons su les fabriquer
Nous saurons bien les faire marcher
Et ceux qui crachent tricolore en l’air
Leur propre sang leur retombe sur le nez
Il y aura des morts
Mais la nouvelle vie pourra commencer
Alors les hommes pourront vivre
Alors les enfants pourront rigoler
Vous n’empêcherez pas la terre de tourner
Vous n’empêcherez pas le drapeau rouge de flotter ….



Extrait de "Le gâteau de Marina" :

En Espagne
Dans les Asturies
C’est la révolution
Les mineurs rouges se battent et meurent
Pour la terre
Pour le pain
Pour la liberté
Qu’est-ce que c’est que les Asturies
Des petites montagnes de rien du tout
Qu’est-ce que c’est que la terre
Qu’est-ce que c’est que la liberté
Qu’est-ce que c’est que le pain

Extrait de "la grasse matinée"

Il est terrible
le petit bruit de l’oeuf dur cassé sur un comptoir d’étain
il est terrible ce bruit
quand il remue dans la mémoire de l’homme qui a faim
elle est terrible aussi la tête de l’homme
la tête de l’homme qui a faim


QUELQUES CITATIONS

« Nul n’est insensé qui ignore la loi. »

« Malgré l’horreur journalière audiovisuelle ou imprimée, ils ne peuvent escamoter la beauté. »

« L’Histoire va vite mais les historiens traînent. »

« Les prisons trouvent toujours des gardiens. »

« Les vacances sont finies : Le spectre scolaire apparaît. »
"Le mot est plus fort que l’idée : c’est en ce sens que je suis matérialiste".

« Vous qui tirez parti de votre parti, vous nous prenez à partie, nous accusant de parti-pris, parce que nous ne prenons pas parti.
Nous n’en prenons pas notre parti. »

« Déjà se dessinent les premiers plans des grands travaux de réinstallinisation. »

« En Mongolie, les enfants appellent « européens » les enfants atteints d’arriération intellectuelle. »

« Quand les éboueurs font grève, les orduriers sont indignés. »

« L’étoffe des héros est un tissus de mensonge. »

« L’architecture d’aujourd’hui n’a pas de fleur à sa bétonnière. »

Extraits de « Choses et autres »

« Mourir pour la patrie ! C’est mourir pour Renault ! »


Extrait de "La chasse à l’enfant" :

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Au-dessus de l’île, on voit des oiseaux
Tout autour de l’île il y a de l’eau

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Qu’est-ce que c’est que ces hurlements

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

C’est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l’enfant

Il avait dit J’en ai assez de la maison de redressement
Et les gardiens à coup de clefs lui avaient brisé les dents
Et puis ils l’avaient laissé étendu sur le ciment

[…]

C’est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l’enfant

Pour chasser l’enfant, pas besoin de permis
Tous le braves gens s’y sont mis
Qu’est-ce qui nage dans la nuit
Quels sont ces éclairs ces bruits
C’est un enfant qui s’enfuit
On tire sur lui à coups de fusil

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Tous ces messieurs sur le rivage
Sont bredouilles et verts de rage

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Rejoindras-tu le continent rejoindras-tu le continent

Au-dessus de l’île on voit des oiseaux
Tout autour de l’île il y a de l’eau.

SUR LA RELIGION

"Il nous lisait toujours la même histoire, triste et banale d’un homme [Jésus] d’autrefois qui portait un bouc au menton, un agneau sur les épaules et qui mourut cloué sur deux planches de salut après avoir beaucoup pleuré sur lui-même dans un jardin, la nuit. C’était un fils de famille qui parlait toujours de son père - mon père par-ci, mon père par-là, le royaume de mon père - et il racontait des histoires aux malheureux qui l’écoutaient avec admiration, parce qu’il parlait bien et avait de l’instruction.
Il guérissait les hydropiques, et il leur marchait sur le ventre en disant qu’il marchait sur l’eau, et l’eau qu’il leur sortait du ventre, il la changeait en vin ; à ceux qui voulaient bien en boire, il disait que c’était son sang.
Assis sous un arbre, il parabolait : "heureux les pauvres d’esprit, ceux qui ne cherchent pas à comprendre, ils travailleront dur, ils recevront des coups de pied au cul et ils feront des heures supplémentaires qui leur seront comptées plus tard dans le royaume de mon père."
(Paroles - Souvenirs de famille ou l’ange garde-chiourme)

"Bref, le peuple se met à hurler "Barabbas, Barabbas, mort aux vaches, à bas la calotte" et, crucifié entre deux souteneurs dont un indicateur, il rend le dernier soupir, les femmes se vautrent sur le sol en hurlant leur douleur, un coq chante et le tonnerre fait son bruit habituel.
Confortablement installé sur son nuage amiral, Dieu le père, de la maison Dieu-père-fils-Saint-Esprit-&-Cie, pousse un immense soupir de satisfaction, aussitôt deux ou trois petits nuages subalternes éclatent avec obséquiosité et Dieu père s’écrie : "Que je sois loué, que ma sainte raison sociale soit bénie, mon fils bien-aimé a la croix, ma maison est lancée. "Aussitôt il passe les commandes et les grandes manufactures de scapulaires entrent en transes, on refuse du monde aux catacombes et, dans les familles qui méritent ce nom, il est de fort bon ton d’avoir au moins deux enfants dévorés par les lions."
(dans "Paroles" - Souvenirs de famille ou l’ange garde-chiourme)

"J’ai toujours été intact de Dieu et c’est en pure perte que ses émissaires, ses commissaires, ses prêtres, ses directeurs de conscience, ses ingénieurs des âmes, ses maîtres à penser se sont évertués à me sauver. […]
Et je m’en allais, là où ça me plaisait, là où il faisait beau même quand il pleuvait, et quand, de temps à autre ils revenaient avec leurs trousseaux de mots-clés, leurs cadenas d’idées, les explicateurs de l’inexplicable, les réfutateurs de l’irréfutable, les négateurs de l’indéniables, je souriais et répétais : « C’est pas vrai ! » et « C’est vrai que c’est pas vrai ! ».
Et comme ils me foutaient zéro pour leurs menteries millénaires, je leur donnais en mille mes vérités premières."

(dans "Choses et autres")

"Quand le diable fait la cuisine le bon dieu se met à table
et le pauvre monde nettoie les fourneaux."

"Les religions ne sont que les trusts des superstitions."
(dans "Spectacle")

"Bref, le peuple se met à hurler "Barabbas, Barabbas, mort aux vaches, à bas la calotte" et, crucifié entre deux souteneurs dont un indicateur, il rend le dernier soupir, les femmes se vautrent sur le sol en hurlant leur douleur, un coq chante et le tonnerre fait son bruit habituel.
Confortablement installé sur son nuage amiral, Dieu le père, de la maison Dieu-père-fils-Saint-Esprit-&-Cie, pousse un immense soupir de satisfaction, aussitôt deux ou trois petits nuages subalternes éclatent avec obséquiosité et Dieu père s’écrie : "Que je sois loué, que ma sainte raison sociale soit bénie, mon fils bien-aimé a la croix, ma maison est lancée. "Aussitôt il passe les commandes et les grandes manufactures de scapulaires entrent en transes, on refuse du monde aux catacombes et, dans les familles qui méritent ce nom, il est de fort bon ton d’avoir au moins deux enfants dévorés par les lions."

dans Paroles - Souvenirs de famille ou l’ange garde-chiourme

"J’ai toujours été intact de Dieu et c’est en pure perte que ses émissaires, ses commissaires, ses prêtres, ses directeurs de conscience, ses ingénieurs des âmes, ses maîtres à penser se sont évertués à me sauver. […]
Et je m’en allais, là où ça me plaisait, là où il faisait beau même quand il pleuvait, et quand, de temps à autre ils revenaient avec leurs trousseaux de mots-clés, leurs cadenas d’idées, les explicateurs de l’inexplicable, les réfutateurs de l’irréfutable, les négateurs de l’indéniables, je souriais et répétais : « C’est pas vrai ! » et « C’est vrai que c’est pas vrai ! ».
Et comme ils me foutaient zéro pour leurs menteries millénaires, je leur donnais en mille mes vérités premières."

dans Choses et autres

"Dans chaque église, il y a toujours quelque chose qui cloche. "

dans spectacle

Avec les jolies filles et avec les vieux cons
Avec la paille de la misère pourrissant dans l’acier des canons."

Extrait de "Paroles"

« L’enfant qui verse, histoire de rire, son encrier dans le bénitier, est plus drôle et plus vrai que Luther qui disait avoir jeté le sien au diable. »

« La théologie, c’est simple comme Dieu et dieux font trois. »

« La révolution est quelque fois un rêve, la religion toujours un cauchemar. »

« Dieu a besoin des hommes, mais les hommes n’ont pas besoin de lui. »

« La France est la fille aînée de l’église et Jésus-Christ le cadet de mes soucis. »

« Un seul Dieu tu abhorreras.
Ce lapsus déi est un exemple typique d’automasochisme divin. »

« Luther et Calvin
Calvin et Luther
Calvaire et lutins. »

« Il y a des gens qui s’amusent d’un rien, faites comme eux, amusez-vous de Dieu. »

« Satan est l’âme damnée de Dieu. »

« Le premier jour, Dieu n’a pas fermé l’œil de la nuit et de cette insomnie, la lune encore en rit. »

« Enfin, tant bien que mal nous vivons, Dieu merci !
Dieu : « Il n’y a pas de quoi. »

« Dictionnaire : maladie qui existe par elle-même et ne dépend d’aucune autre affection. Voir « Déisme ».

« C’est sans doute celui qui n’a jamais pêché qui lui a jeté la première pierre. »

« Rire de mourir et mourir de rire. »

Messages

  • Extrait de la « Confession pour vaincus » (1929) :

    Cette conclusion du texte de Panaït Istrati (1884-1935), Vers l’autre flamme, comme la Confession pour vaincus, ne peut manquer de toucher au plus profond de leur coeur tous ceux qui ont voulu prendre leur part du combat de l’humanité pour son émancipation, en ont connu les difficultés et les revers, mais qui savent que « ce n’est qu’ainsi que nous devenons libres ». (E.S.)

    "N’est combattant, à mes yeux, que celui qui subordonne ses intérêts individuels aux intérêts de l’humanité meilleure qui doit venir.

    Je crois en cette humanité. Elle existe aujourd’hui comme le soleil existe pendant la nuit. Plus d’une fois ma boue l’a touchée. Plus d’une fois, dans mes innombrables heures de détresse, sa main m’a relevé de terre.

    Tout ce que j’ai fait de bien et de beau c’est à elle que je le dois. Je n’ai pas fait que du bien et du beau : j’ai eu ma part de boue ; je l’ai encore ; je l’aurai toujours. Mais je suis malheureux quand cette boue me déborde, et heureux à mourir quand j’attrape un rayon de lumière de la belle humanité.

    C’est pourquoi je veux lui consacrer toutes mes forces, aider tous ceux qui combattent pour elle.

    Je ne crois plus à aucun « credo ». Je ne veux plus écouter ce que les hommes disent, mais seulement regarder ce qu’ils font : — Montrez-moi ce que vous pouvez retrancher de votre vie et je vous dirai à quel prix vous estimez la vie des autres.

    Nous n’échappons à l’avilissement qu’en soudant notre existence à tout ce qui vit. Ce n’est qu’ainsi que nous devenons libres : en sentant tout ce qui fait autour de nous le bien et le mal. Une flamme, après mille autres, vient de s’éteindre, sur une vaste terre riche d’espoirs. Ce n’est plus aujourd’hui sur cette terre-là que le souffle froid de l’égoïsme qui glace la vie.

    Mais c’est toujours la terre d’où jaillissent les plus belles flammes qui réchauffent l’humanité. Par cela elle est sacrée et pleine d’avenir.

    Aidons-lui à ouvrir ses entrailles généreuses à notre âme assoiffée de bien et de beau.

    Allons vers l’autre flamme." (tiré du site smolny)

  • Si l’on recherche la signification originelle de la poésie, aujourd’hui dissimulée sous les mille oripeaux de la société, on constate qu’elle est le véritable souffle de l’homme, la source de toute con-naissance et cette connaissance elle-même sous son aspect le plus immaculé. En elle se condense toute la vie spirituelle de l’humanité depuis qu’elle a commencé de prendre conscience de sa nature ; en elle palpitent maintenant ses plus hautes créations et, terre à jamais féconde, elle garde perpétuellement en réserve les cristaux incolores et les moissons de demain. Divinité tutélaire aux mille visages, on l’appelle ici amour, là liberté, ailleurs science. Elle demeure omnipotente, bouillonne dans le récit mythique de l’Esquimau, éclate dans la lettre d’amour, mitraille le peloton d’exécution qui fusille l’ouvrier exhalant un dernier soupir de révolution sociale, donc de liberté, étincelle dans la découverte du savant, défaille, exsangue, jusque dans les plus stupides productions se réclamant d’elle et son souvenir, éloge qui voudrait être funèbre, perce encore dans les paroles momifiées du prêtre, son assassin, qu’écoute le fidèle la cherchant, aveugle et sourd, dans le tombeau du dogme où elle n’est plus que fallacieuse poussière.

    Ses innombrables détracteurs, vrais et faux prêtres, plus hypocrites que les sacerdoces de toutes les églises, faux témoins de tous les temps, l’accusent d’être un moyen d’évasion, de fuite devant la réalité, comme si elle n’était pas la réalité elle-même, son essence et son exaltation. Mais, incapables de concevoir la réalité dans son ensemble et ses complexes relations, ils ne la veulent voir que sous son aspect le plus immédiat et le plus sordide. Ils n’aperçoivent que l’adultère sans jamais éprouver l’amour, l’avion de bombardement sans se souvenir d’Icare, le roman d’aventures sans comprendre l’aspiration poétique permanente, élémentaire et profonde qu’il a la vaine ambition de satisfaire. Ils méprisent le rêve au profit de leur réalité comme si le rêve n’était pas un de ses aspects et le plus bouleversant, exaltent l’action aux dépens de la méditation comme si la première sans la seconde n’était pas un sport aussi insignifiant que tout sport. Jadis, ils opposaient l’esprit à la matière, leur dieu à l’homme ; aujourd’hui ils défendent la matière contre l’esprit. En fait, c’est à l’intuition qu’ils en ont au profit de la raison sans se souvenir d’où jaillit cette raison.

    Les ennemis de la poésie ont eu de tout temps l’obsession de la soumettre à leurs fins immédiates, de l’écraser sous leur dieu ou, maintenant, de l’enchaîner au ban de la nouvelle divinité brune ou « rouge » - rouge-brun de sang séché – plus sanglante encore que l’ancienne. Pour eux, la vie et la culture se résument en utile et inutile, étant sous-entendu que l’utile prend la forme d’une pioche maniée à leur bénéfice. Pour eux, la poésie n’est que le luxe du riche, aristocrate ou banquier, et si elle veut se rendre « utile » à la masse, elle doit se résigner au sort des arts « appliqués », « décoratifs », « ménagers », etc. D’instinct, ils sentent cependant qu’elle est le point d’appui réclamé par Archimède, et craignent que, soulevé, le monde ne leur retombe sur la tête. De là, l’ambition de l’avilir, de lui retirer tout efficacité, toute valeur d’exaltation pour lui donner le rôle hypocritement consolant d’une sœur de charité.

    Mais le poète n’a pas à entretenir chez autrui une illusoire espérance humaine ou céleste, ni à désarmer les esprits en leur insufflant une confiance sans limite en un père ou un chef contre qui toute critique devient sacrilège. Tout au contraire, c’est à lui de prononcer les paroles toujours sacrilèges et les blasphèmes permanents. Le poète doit d’abord prendre conscience de sa nature et de sa place dans le monde. Inventeur pour qui la découverte n’est que le moyen d’atteindre une nouvelle découverte, il doit combattre sans relâche les dieux paralysants acharnés à maintenir l’homme dans sa servitude à l’égard des puissances sociales et de la divinité qui se complètent mutuellement. Il sera donc révolutionnaire, mais non de ceux qui s’opposent au tyran d’aujourd’hui, néfaste à leurs yeux parce qu’il dessert leurs intérêts, pour vanter l’excellence de l’oppresseur de demain dont ils se sont déjà constitués les serviteurs. Non, le poète lutte contre toute oppression : celle de l’homme par l’homme d’abord et l’oppression de sa pensée par les dogmes religieux, philosophiques ou sociaux. Il combat pour que l’homme atteigne une connaissance à jamais perfectible de lui-même et de l’univers. Il ne s’ensuit pas qu’il désire mettre la poésie au service d’une action politique, même révolutionnaire. Mais sa qualité de poète en fait un révolutionnaire qui doit combattre sur tous les terrains : celui de la poésie par les moyens propres à celle-ci et sur le terrain de l’action sociale sans jamais confondre les deux champs d’action sous peine de rétablir la confusion qu’il s’agit de dissiper et, par suite, de cesser d’être poète, c’est-à-dire révolutionnaire.

    Le déshonneur des poètes

    de Benjamin Péret

    • "Le poète actuel n’a pas d’autre ressource que d’être révolutionnaire ou de ne pas être poète, car il doit sans cesse se lancer dans l’inconnu ; le pas qu’il a fait la veille ne le dispense pas du lendemain puisque tout est à recommencer tous les jours et que ce qu’il a acquis à l’heure du sommeil est tombé en poussière à son réveil. Pour lui, il n’y a aucun placement de père de famille mais le risque de l’aventure indéfiniment renouvelé. C’est à ce prix seulement qu’il peut se dire poète et prétendre prendre une place légitime à l’extrème pointe du mouvement culturel, là ou il n’y a à recevoir ni louanges ni lauriers, mais à frapper de toutes ses forces pour abattre les barrières sans cesse renaissantes de l’habitude et de la routine."

      Benjamin Péret, « La Parole est à Péret », préface à l’Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique.

  • "Quand [le Diable] rencontre Dieu
    il est très embêté
    parce qu’il doit le saluer
    c’est réglementaire […]
    alors il se rend compte
    qu’il est légèrement ridicule
    et il s’en retourne chez lui en courant
    il allume un grand feu en pleurant […]
    et il se couche sur le brasier
    avec une grande flamme blanche
    comme oreiller
    et il ronronne tout doucement
    comme le feu
    comme les chats quand ils sont heureux
    et il rêve aux bons tours
    qu’il va jouer au bon Dieu."

    (Jacques Prévert / 1900-1977 / Paroles - Ecritures saintes)

  • "Un poète a écrit un jour, je cite, - il ne faut pas laisser les intellectuels jouer avec les allumettes -"

    "je le connais ?"

    "je serai étonné du contraire... même les enfants le connaissent, du moins en France"

    "il doit être de notre époque"

    "à quoi le vois-tu ?"

    "les allumettes, c’est récent"

    "pas du tout... le mot « allumette » date des environs de l’an 1200 pour désigner une petite bûche destinée à faire prendre le feu... et c’est au début du XIXe siècle que l’on verra pour la première fois une allumette produire une flamme en un seul temps, par réaction chimique ou par frottement"

    "sauf que dans ce vers, le poète fait référence aux intellectuels"

    "et alors... il y en a eu à toutes les époques, même les plus reculées..."

    "oui mais, jusqu’à une époque récente, les intellectuels étaient plutôt bien vus..."

    "que veux-tu dire ?"

    "je veux dire que ce vers incite à une certaine méfiance à leur égard, le poète dit - il ne faut pas... -, ça sonne comme un appel à la vigilance... il semble dire, attention, ils sont dangereux..."

    "perspicace analyse !"

    "et puis le poète dénonce leur inconscience"

    "qu’est-ce qui te fait dire ça ?"

    "il dit que les intellectuels, je cite, - jouent avec les allumettes... il semble vouloir signifier qu’ils ne sont pas conscients du danger..."

    "quel est ce danger ?"

    "le feu, bien sûr !"

    "n’exagère-t-il pas un petit peu ?"

    "attention... t’as dit que c’est un poète..."

    "et alors ?"

    "nous sommes dans la symbolique"

    "mais encore ?"

    "les allumettes pourraient être n’importe quelle autre chose susceptible d’être à l’origine du feu..."

    "comme quoi ?"

    "les armes"

    "oui mais pourquoi cette mise en garde spécifique vis-à-vis plus des intellectuels qui ne manipulent pas d’armes ?"

    "toujours la symbolique"

    "je ne comprends pas"

    "les idées peuvent parfaitement être des armes très redoutables... à mon avis, le poète lance-là un appel contre les idées source de conflits et de guerres... il ne se trompe pas en spécifiant les intellectuels puisque ce sont eux qui, de par leur activité professionnelle, manipulent exclusivement des idées... comme les scientifiques, les écrivains, les philosophes, les journalistes..."

    "je suis ébahi par ta perspicacité"

    "de plus, il doit être français"

    "comment t’as deviné ?"

    "t’as dit qu’il était connu des enfants en ajoutant, je cite, du moins en France..."

    "c’est juste... c’est un poète français..."

    "il a certainement vécu les horreurs d’une guerre"

    "c’est juste"

    "ça doit être un grand poète"

    "pourquoi ?"

    "parce qu’il a vu venir les intellectuels d’aujourd’hui, je veux dire ceux de nos jours... ceux qui rampent sur les marches du pouvoir... et jouent avec les allumettes... je ne vois qu’un poète capable d’une si grande prouesse..."

    "c’est-à-dire ?"

    "capable de porter une si profonde critique avec de si simples mots, si simples, qu’on peut se permettre de les apprendre aux enfants... "

    "c’est qui ?"

    "c’est Prévert !"

    "oui"

    "il a aussi écrit quelle connerie la guerre !... et là, pas besoin d’analyse... tout le monde peut comprendre, sauf peut-être des intellectuels"

    "... !?"

  • Il ne faut pas...

    ( Jacques Prévert, 1946 )

    Il ne faut pas laisser les intellectuels jouer avec les allumettes

    Parce que Messieurs quand on le laisse seul

    Le monde mental Messieurs

    N’est pas du tout brillant

    Et sitôt qu’il est seul

    Travaille arbitrairement

    S’érigeant pour soi-même

    Et soi-disant généreusement en l’honneur des travailleurs du bâtiment

    Un auto-monument

    Répétons-le Messssssieurs

    Quand on le laisse seul

    Le monde mental

    Ment

    Monumentalement.

  • Il faut essayer d’être heureux ne serait-ce que pour donner l’exemple. (Jacques Prévert)

  • La belle vie

    Dans les ménageries

    Il y a des animaux

    Qui passent toute leur vie

    Derriére des barreaux

    Et nous on est des frères

    De ces pauvres bestieaux

    On n’est pas à plaindre

    On est à blâmer

    On s’est laissé prendre

    Qu’est-ce qu’on avait fait

    Enfants des corridors

    Enfants des courant d’air

    Le monde nous a foutus dehors

    La vie nous a foutus en l’air

    Notre mère c’est la misère

    Et notre père le bistrot

    Élevés dans des tiroirs

    En guise de berceau

    On nous a laissés choir

    Tous nus dans le ruisseau

    Dès notre plus jeune âge

    Parqués dans les prisons

    Nous dormons dans des cages

    Et nous tournons en rond

    Sans voir le paysage

    Sans chanter de chansons

    On n’est pas à plaindre

    On est à blâmer

    On s’est laissé prendre

    Qu’est-ce qu’on avait fait

    Enfants des corridors

    Enfants des courants d’air

    Le monde nous a foutus dehors

    La vie nous a foutus en l’air.

    Jacques Prévert

  • – Vous l’avez vu dans les journaux

    – Vous l’avez sûrement vu, son portrait

    – Quel portrait ?

    – Mais le portrait du gâteau des noces de la Princesse Marina !

    Un gâteau de trois mètres de haut

    Depuis longtemps dans le monde on n’avait pas vu un gâteau comme ça…

    […]

    – En Espagne

    Dans les Asturies

    C’est la révolution

    Les mineurs rouges se battent et meurent

    Pour la terre

    Pour le pain

    Pour la liberté

    – Qu’est ce que c’est que les Asturies

    Des petites montagnes de rien du tout !

    Qu’est ce que c’est, la terre ?

    Qu’est ce que c’est, la liberté ?

    Qu’est ce que c’est, le pain ?

    PARLEZ-MOI PLUTÔT DU MAGNIFIQUE GÂTEAU DE NOCES

    DE LA PAUVRE PETITE PRINCESSE MARINA

    UN GÂTEAU DE TROIS MÈTRES DE HAUT !!!

    il paraît qu’en le voyant

    Les marcheurs de la faim eux-mêmes

    se sont arrêtés de marcher […]

    Pauvres, remerciez le roi et la petite Princesse

    et tous les grands banquiers de la ville

    qui vous ont permis de contempler une telle merveille…

  • La grasse matinée

    Il est terrible
    le petit bruit de l’oeuf dur cassé sur un comptoir d’étain
    il est terrible ce bruit
    quand il remue dans la mémoire de l’homme qui a faim
    elle est terrible aussi la tête de l’homme
    la tête de l’homme qui a faim
    quand il se regarde à six heures du matin
    dans la glace du grand magasin
    une tête couleur de poussière
    ce n’est pas sa tête pourtant qu’il regarde
    dans la vitrine de chez Potin
    il s’en fout de sa tête l’homme
    il n’y pense pas
    il songe
    il imagine une autre tête
    une tête de veau par exemple
    avec une sauce de vinaigre
    ou une tête de n’importe quoi qui se mange
    et il remue doucement la mâchoire
    doucement
    et il grince des dents doucement
    car le monde se paye sa tête
    et il ne peut rien contre ce monde
    et il compte sur ses doigts un deux trois
    un deux trois
    cela fait trois jours qu’il n’a pas mangé
    et il a beau se répéter depuis trois jours
    Ça ne peut pas durer
    ça dure
    trois jours
    trois nuits
    sans manger
    et derrière ce vitres
    ces pâtés ces bouteilles ces conserves
    poissons morts protégés par les boîtes
    boîtes protégées par les vitres
    vitres protégées par les flics
    flics protégés par la crainte
    que de barricades pour six malheureuses sardines..
    Un peu plus loin le bistrot
    café-crème et croissants chauds
    l’homme titube
    et dans l’intérieur de sa tête
    un brouillard de mots
    un brouillard de mots
    sardines à manger
    oeuf dur café-crème
    café arrosé rhum
    café-crème
    café-crème
    café-crime arrosé sang !...
    Un homme très estimé dans son quartier
    a été égorgé en plein jour
    l’assassin le vagabond lui a volé
    deux francs
    soit un café arrosé
    zéro franc soixante-dix
    deux tartines beurrées
    et vingt-cinq centimes pour le pourboire du garçon.

    Jacques Prévert

  • « Et les vitres redeviennent sable l’encre redevient eau les pupitres redeviennent arbres la craie redevient falaise le porte-plume redevient oiseau. »

    Jacques Prévert

  • « Êtranger vous-même,
    dit l’âne.

    Et il s’envole. »

    Jacques Prévert

  • Il dit non avec la tête

    mais il dit oui avec le coeur

    il dit oui à ce qu’il aime

    il dit non au professeur

    il est debout

    on le questionne

    et tous les problèmes sont posés

    soudain le fou rire le prend

    et il efface tout

    les chiffres et les mots

    les dates et les noms

    les phrases et les pièges

    et malgré les menaces du maître

    sous les huées des enfants prodiges

    avec des craies de toutes les couleurs

    sur le tableau noir du malheur

    il dessine le visage du bonheur

    Jacques Prévert

  • Je me permets d’envoyer ce message afin de suggérer un ouvrage que j’ai publié tout récemment, de façon indépendante, et qui pense à un rêve d’évolution.
    Ce livre que je propose lie la fiction à la poésie, mettant en scène un personnage français dont on parcourt l’histoire, de son passé vers son présent, en ne dévoilant pas son futur au delà du contexte dans lequel celui-ci baigne...

    Difficile de résumer sans trop en dire, c’est pourquoi je donne le lien ici qui permet d’avoir une description plus précise ! http://www.lulu.com/shop/quentin-grandin/po%C3%A8mes-r%C3%AAvolutionnaires-dun-naufrag%C3%A9-solitaire/paperback/product-23583334.html

    Ce livre est le premier tome de prochains livres liés au sein d’une même série, mettant ainsi en avant la poésie sans la rendre trop philosophique.
    Voilà, j’espère au moins avoir éveillé un minimum l’envie de le lire.
    Quoi qu’il en soit merci de m’avoir au moins lu jusqu’ici !

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