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Léon Trotsky et le maoïsme à ses débuts (1930-1932)

lundi 9 mai 2011, par Robert Paris

août 1930
Léon Trotsky

Manifeste aux communistes chinois et du monde entier !
Sur les perspectives et les tâches de la révolution chinoise

Dans ces derniers mois, on observe dans quelques provinces du sud de la Chine un mouvement paysan large, au point de vue de l’étendue. Non seulement. la presse prolétarienne mondiale, mais aussi la presse ennemie, est remplie d’échos de cette lutte. La révolution chinoise trahie, détruite, exsangue, montre qu’elle est vivante. Espérons que le temps n’est plus loin où elle lèvera de nouveau sa tête prolétarienne. Pour s’y préparer il faut mettre à temps le problème de la révolution chinoise à l’ordre du jour de la classe ouvrière mondiale.

Nous, l’Opposition communiste internationale de gauche (bolchéviks-léninistes) considérons comme notre devoir d’élever actuellement la voix pour attirer l’attention de tous les communistes, de tous les ouvriers révolutionnaires d’avant-garde, sur les tâchés de la libération du grand pays asiatique de l’Orient et, en même temps, pour prévenir la fausse politique de la fraction dirigeante de l’Internationale Communiste, qui menace manifestement de miner la future révolution chinoise comme elle a déjà mené à la ruine la révolution de 1925-1927.

Les symptômes de la régénération de !a révolution chinoise à la campagne sont le signe de sa force intérieure et de ses possibilités grandioses, mais la tâche consiste à transformer ces possibilités en une réalité. La première condition du succès est la compréhension de ce qui se passe, c’est-à-dire la détermination marxiste des forces en mouvement et une appréciation juste de l’étape que la lutte a atteint actuellement. Sous ces deux rapports, la direction de l’Internationale Communiste se trouve sur une voie fausse.
Le gouvernement soviétique existe-t-il ?

La presse stalinienne est remplie d’informations sur le "gouvernement soviétique" établi soi-disant sur de vastes provinces de la Chine, sous la protection de l’Armée rouge. Les ouvriers des différents pays saluent cette nouvelle avec enthousiasme. Comment en serait-il autrement ? L’établissement d’un gouvernement soviétique dans une partie considérable de la Chine, et la création d’une armée rouge chinoise, auraient signifié un succès gigantesque de la révolution mondiale. Mais nous devons dire ouvertement et clairement : cela n’existe pas encore.

Les nouvelles qui nous parviennent des immenses étendues de la Chine, malgré leur pauvreté, nous permettent, grâce à une compréhension marxiste des forces intérieures du processus qui se développe, de rejeter en toute sûreté l’appréciation stalinienne des événements qui se déroulent comme une appréciation fausse et très dangereuse pour le développement ultérieur de la révolution.

L’histoire de la Chine est pendant de longs siècles une histoire de révoltes terribles de la paysannerie pauvre et affamée. Pas moins de cinq fois, pendant les deux mille dernières années, la paysannerie chinoise a réussi à réaliser un morcellement complet de la propriété foncière. Chaque fois le processus de sa concentration a recommencé depuis le début, jusqu’au moment où la croissance de la population a mené à de nouvelles explosions partielles ou générales. Ce mouvement cyclique était l’expression de la stagnation économique et des conditions sociales qui n’offraient aucune issue.

Seulement l’intégration de la Chine à l’économie mondiale a ouvert de nouvelles possibilités au peuple chinois. Le capitalisme a fait irruption en Chine de l’extérieur. La bourgeoisie chinoise retardataire est devenue l’intermédiaire entre le capital étranger et les masses de son pays, impitoyablement exploitées. Les impérialistes étrangers et les bourgeois chinois combinent les méthodes de l’exploitation capitaliste avec les méthodes de contrainte du servage et l’esclavage de l’usure. L’idée principale des staliniens était de faire de la bourgeoisie la dirigeante de la révolution nationale contre le féodalisme et l’impérialisme. La stratégie politique qui en découlait a perdu la révolution. Le prolétariat chinois a payé cher pour apprendre cette vérité que la bourgeoisie ne peut pas, ne veut pas, et ne pourra jamais lutter contre le soi-disant "féodalisme", car ce dernier entre comme la partie la plus importante dans le système de sa propre exploitation, ni contre l’impérialisme dont elle est l’agent et sous la protection militaire duquel elle se trouve.

Dès qu’il fut évident que le prolétariat chinois, malgré toutes les influences contraires de l’Internationale Communiste, cherchait une voie révolutionnaire indépendante, la bourgeoisie, avec l’aide des impérialistes étrangers, a écrasé les ouvriers, en commençant à Shanghaï. Dès qu’il fut clair que l’amitié avec Moscou n’était pas capable de paralyser la révolte paysanne, la bourgeoisie a écrasé le mouvement paysan. Les mois du printemps et de l’été de 1927 furent ceux des plus grands crimes de la bourgeoisie chinoise.

La fraction stalinienne, effrayée par les conséquences de ses fautes, a essayé à la fin de 1927 de rattraper d’un seul coup tout ce qu’elle avait manqué pendant plusieurs années. Ainsi fut organisée la révolte de Canton. Les dirigeants partaient de ce point de vue que la révolution allait. croissant comme auparavant. En réalité, l’élan révolutionnaire se changeait déjà en déclin. L’héroïsme de l’avant-garde ouvrière de Canton ne pouvait détourner le malheur causé par l’aventurisme des dirigeants. La révolte de Canton fut noyée dans le sang. La deuxième révolution chinoise fut définitivement écrasée.

Nous, représentants de l’opposition de gauche internationale, bolchéviks-léninistes, fûmes depuis le début les adversaires de l’entrée du parti communiste dans le Kuomintang, au nom d’une politique prolétarienne indépendante. Depuis le début de la montée révolutionnaire nous avons exigé que les ouvriers prennent sur eux la direction du soulèvement paysan, pour mener à son achèvement la révolution agraire. Tout cela fut repoussé.

Nos partisans ont été traqués, exclus de l’Internationale Communiste, et en U.R.S.S., ils ont été emprisonnés et exilés. Au nom de quoi ? Au nom de l’alliance avec Tchang Kaï-Chek.
L’écrasement de la révolution chinoise

Après les coups d’Etat contre-révolutionnaires de Shanghaï et de Wuhan, nous, communistes de gauche, avons averti avec persévérance que la deuxième révolution chinoise était terminée, qu’une période de triomphe temporaire de la contre-révolution s’ouvrait, que les tentatives de soulèvement des ouvriers avancés, étant donné l’écrasement et l’exténuation des masses, signifieront inévitablement l’extermination criminelle ultérieure des forces révolutionnaires. Nous avons exigé le passage à la défensive, le renforcement des organisations illégales du parti, la participation à la lutte économique du prolétariat et la mobilisation des masses sous les mots d’ordre de démocratie : l’indépendance de la Chine et le droit à disposer d’eux-mêmes des peuples qui la composent, l’Assemblée nationale, la confiscation des terres, la journée de travail de 8 heures. Une telle politique devait donner à l’avant-garde communiste la possibilité de se relever graduellement des défaites subies, de reprendre les liaisons avec les syndicats et avec les masses inorganisées de la ville et de la campagne pour rencontrer plus tard, bien armée, le nouvel élan des masses.

La fraction stalinienne a déclaré que notre politique était liquidatrice, et elle-même, comme cela s’est passé plus d’une fois dans l’histoire, a sauté de l’opportunisme à l’aventurisme. En février 1928, lorsque la révolution chinoise se trouvait en déclin complet, le 9° plenum du Comité Exécutif de l’I.C. a proclamé en Chine le soulèvement armé. Le résultat de cette folie fut l’écrasement ultérieur des ouvriers, l’extermination des meilleurs révolutionnaires, la désagrégation du parti, la démoralisation semée dans les rangs des ouvriers.

Le déclin de la révolution et l’affaiblissement temporaire de la lutte des militaristes entre eux, ont créé la possibilité d’une certaine animation économique dans le pays. Des grèves ouvrières éclataient de nouveau, mais elles se développèrent sans le parti qui, sans comprendre les circonstances, fut complètement incapable de tracer aux masses de nouvelles perspectives et de les lier par des mots d’ordre démocratiques de la période transitoire. Le résultat des erreurs aventuristes et opportunistes est que le parti chinois ne compte aujourd’hui que quelques milliers d’ouvriers. Les syndicats rouges, d’après les données du parti lui-même, comptent à peu près 60.000 ouvriers, tandis que pendant les mois de la montée révolutionnaire, on y comptait à peu près 3 millions.

La contre-révolution eut pour les ouvriers des conséquences infiniment plus directes et plus cruelles que pour les paysans. En Chine, les ouvriers ne sont pas nombreux et sont concentrés dans les centres industriels. Quant aux paysans, ils sont protégés, jusqu’à un certain point, par leur multitude et leur dissémination sur d’immenses étendues. Les années révolutionnaires ont éduqué, à la campagne, beaucoup de dirigeants locaux, que la contre-révolution n’a pas réussi à exterminer tous. Un nombre important d’ouvriers révolutionnaires se sont sauvés du militarisme en se dirigeant vers la campagne, et pendant la dernière décennie, beaucoup d’armes ont été cachées dans toutes les régions. Pendant les conflits avec les pouvoirs locaux ou avec les détachements militaires, les armes apparaissent, de nouveau et des détachements de partisans rouges se créent. Des troubles fréquents ont lieu dans les armées de la contre-révolution bourgeoise ; parfois il y a des révoltes ouvertes. Les soldats passent, avec leurs armes, du côté des paysans, parfois par groupes et détachements entiers.
Les soulèvements paysans

C’est pourquoi il est tout à fait naturel qu’après l’écrasement de la révolution, les vagues du mouvement paysan aient continué à rouler dans les différentes provinces du pays. Et aujourd’hui elles ont déferlé avec une violence particulière. A main armée, les paysans chassent et exterminent les propriétaires fonciers locaux (dans la mesure où ils se trouvent effectivement dans leur rayon), et surtout la gentry et les du-jun, les représentants de la classe dirigeante, les bureaucrates propriétaires, les usuriers et les koulaks.

Lorsque les staliniens parlent du gouvernement soviétique créé par les paysans sur une étendue importante de la Chine, ils démontrent non seulement leur légèreté d’esprit, mais ils obscurcissent et dénaturent le problème fondamental de la révolution chinoise. La paysannerie, même la plus révolutionnaire, est incapable de créer un gouvernement indépendant. Elle ne peut que soutenir le gouvernement d’une autre classe établie dans les villes. La paysannerie, dans tous les mouvements décisifs, suit la bourgeoisie ou le prolétariat. Ce qu’on appelle le "parti paysan" peut simplement masquer temporairement ce fait, mais il ne le supprime pas. Les soviets sont des organes du pouvoir de la classe ouvrière opposés à la bourgeoisie. Cela signifie que la paysannerie est incapable de créer par ses propres forces un système soviétique. Il en est de même pour l’armée. Les paysans ont créé plus d’une fois en Chine, en Russie et dans d’autres pays, des détachements de partisans qui se battaient avec une vaillance et une ténacité admirables. Mais c’étaient des partisans attachés à une province déterminée et incapables de réaliser des opérations stratégiques centralisées de grande envergure. Seule l’hégémonie du prolétariat dans les centres politiques et industriels décisifs du pays crée les conditions indispensables, aussi bien pour l’établissement de l’armée rouge que pour l’établissement du système soviétique dans les campagnes. Pour celui qui ne comprend pas cela, la révolution reste un livre fermé.

Le prolétariat chinois commence seulement à sortir de la paralysie contre-révolutionnaire. Le mouvement paysan se déploie actuellement dans. une grande mesure indépendamment du mouvement ouvrier, selon ses propres lois et son rythme spécial. Cependant tout le problème de la révolution chinoise consiste dans la combinaison politique et la liaison organique du soulèvement prolétarien et du soulèvement paysan. Celui qui parle de la victoire de la révolution soviétique en Chine, fût-ce dans quelques provinces du sud, tandis que le nord industriel est passif, ignore les problèmes à la fois doubles et simples de la révolution chinoise, c’est-à-dire le problème de la collaboration des ouvriers et des paysans, et celui de la direction ouvrière dans cette collaboration.

La large crue du soulèvement paysan peut incontestablement donner une impulsion à l’animation de la lutte politique dans les centres industriels. Nous comptons fermement là-dessus. Mais cela ne signifie aucunement que le réveil révolutionnaire du prolétariat amène directement une conquête, du pouvoir, où même simplement à une lutte pour le pouvoir. Le réveil du prolétariat peut dans ces derniers temps, revêtir le caractère de luttes partielles économiques et politiques, défensives et offensives. Combien de temps sera nécessaire au prolétariat, et tout d’abord à son avant-garde, pour devenir apte à prendre la direction de la nation révolutionnaire ? En tout cas pas des semaines, ni des mois. Le commandement des dirigeants bureaucratiques ne peut pas remplacer la croissance propre de la classe et de son parti.

Les communistes chinois ont besoin actuellement d’une politique à longue portée. Leur tâche ne consiste pas à jeter leurs forces dans les foyers dispersés du soulèvement paysan, puisque leur parti, peu nombreux et faible, ne pourra pas de toute façon l’embrasser. Le devoir des communistes consiste à concentrer leurs forces dans les usines et ateliers, dans les quartiers ouvriers, à expliquer aux ouvrier le sens de ce qui se passe à la campagne, à ranimer ceux qui sont découragés et abattus, à les grouper pour la lutte pour les revendications économiques, pour les mots d’ordre de démocratie et de révolution agraire. C’est seulement dans cette voie, c’est-à-dire à travers le réveil et le rassemblement des ouvriers, que le parti pourra devenir le guide du soulèvement paysan, c’est-à-dire de la révolution nationale dans son ensemble. Pour maintenir les illusions dé l’aventurisme et masquer la faiblesse de l’avant-garde prolétarienne, les staliniens disent : il ne s’agit donc actuellement que de la dictature prolétarienne. Sur ce point fondamental l’aventurisme s’appuie complètement sur les arguments de l’opportunisme. Trouvant insuffisante l’expérience avec le Kuomintang, les staliniens préparent, pour la future révolution, un nouveau moyen d’endormir et d’illusionner le prolétariat sous le mot de " dictature démocratique ".
Le mot d’ordre des Soviets

Lorsque les ouvriers chinois avancés mettent en avant le mot d’ordre des soviets, ils disent par cela même : nous voulons faire de même que les ouvriers de la Russie. Hier encore, les staliniens leur répondaient à cela : "Impossible, vous avez le Kuomintang, et il fera tout ce qu’il faut ". Aujourd’hui les mêmes chefs répondent d’une façon plus évasive : "Il faudra créer des soviets, non pas pour réaliser la dictature prolétarienne, mais pour réaliser la dictature démocratique". Par cela on dit au prolétariat que la dictature ne sera pas entre ses mains. Cela veut dire qu’il y a quelque autre force inconnue aujourd’hui, capable de réaliser en Chine une dictature révolutionnaire. Ainsi la formule de la dictature démocratique ouvre toutes grandes les portes à de nouvelles duperies des ouvriers et des paysans par la démocratie bourgeoise.

Pour déblayer la route à la "dictature démocratique", les staliniens représentent la contre-révolution chinoise comme étant féodale-militariste et impérialiste. Pour cela ils excluent de la contre-révolution la bourgeoisie chinoise, c’est-à-dire qu’ils l’idéalisent comme auparavant. Mais en fait, les militaristes expriment les intérêts de la bourgeoisie chinoise, inséparables des intérêts et des rapports sociaux du servage. La bourgeoisie chinoise est dans une opposition trop hostile au peuple, trop liée aux impérialistes étrangers et craint trop la révolution pour désirer ou tendre à gouverner en son propre nom, par des méthodes parlementaires. Le régime militariste-fasciste de la Chine est l’expression du caractère anti-national et anti-révolutionnaire de la bourgeoisie chinoise. La contre-révolution chinoise n’est pas la contre-révolution des féodaux contre la société bourgeoise : elle est la contre-révolution de tous les propriétaires bourgeois contre les ouvriers et les paysans.

Le soulèvement prolétarien en Chine ne peut et ne pourrait se produire d’une façon rectiligne contre la bourgeoisie. Le soulèvement paysan en Chine est, dans une mesure incommensurablement plus grande qu’il ne l’était en Russie, un soulèvement contre la bourgeoisie. La classe indépendante du propriétaire foncier en Chine n’existe pas du tout. Les propriétaires des terres sont des bourgeois. La gentry et les du-jun, contre lesquels le soulèvement paysan est directement dirigé, représentent les anneaux inférieurs de l’exploitation bourgeoise et impérialiste. Tandis que la Révolution d’Octobre en U.R.S.S., dans sa première étape, opposait toute la paysannerie, comme classe, à la classe des propriétaires fonciers (et seulement après plusieurs mois elle commença a porter la guerre civile dans la paysannerie), en Chine chaque, soulèvement paysan, dans ses premiers pas, est une guerre civile de la paysannerie pauvre contre les koulaks, c’est-à-dire contre la bourgeoisie rurale.

La paysannerie moyenne en Chine est inexistante. La paysannerie pauvre constitue jusqu’à 80% de la paysannerie. C’est elle - et ce n’est qu’elle - qui joue un rôle révolutionnaire. Il ne s’agit pas de l’alliance des ouvriers avec toute la paysannerie, mais avec la paysannerie pauvre. Ils ont un ennemi commun : la bourgeoisie. Le prolétariat seul peut mener à un régime qui ne peut être que la dictature du prolétariat. Ce n’est que ce régime qui peut établir le système soviétique et créer l’armée rouge, qui est l’expression militaire de la dictature du prolétariat, soutenue par la paysannerie pauvre.

Les staliniens disent que la dictature démocratique comme étape prochaine de la révolution se développera ultérieurement dans les voies de la dictature du prolétariat. Tel est actuellement l’enseignement de l’I.C., non seulement pour la Chine, mais pour tous les pays de, l’Orient. Elle rompt complètement avec l’enseignement de Marx sur l’Etat et avec les conclusions de Lenine sur le rôle de l’Etat dans la révolution. La dictature démocratique, à la différence de la dictature prolétarienne, signifie la dictature bourgeoise démocratique. Le passage de la dictature bourgeoise à la dictature prolétarienne ne peut cependant s’accomplir par la voie d’une "transcroissance" pacifique. La dictature du prolétariat ne peut se substituer à la dictature démocratique aussi bien que fasciste, que par la voie d’un soulèvement armé.

La "transcroissance" pacifique de la révolution démocratique en révolution socialiste est seulement possible sous la dictature de la même classe, et plus précisément du prolétariat. Le passage des actions démocratiques aux actions socialistes s’est effectué dans l’Union Soviétique sous le régime de la dictature du prolétariat. En Chine, le passage à l’étape socialiste s’effectuera encore, plus vite puisque les tâches démocratiques les plus élémentaires ont, en Chine, un caractère encore plus anti-capitaliste et plus anti-bourgeois qu’en Russie.

Il parait que les staliniens ont encore besoin d’une faillite payée du sang des ouvriers pour se décider à dire enfin : "... la révolution est passée au stade le plus élevé dont le mot d’ordre est la dictature du prolétariat ".
Vers la troisième révolution chinoise

Aujourd’hui personne ne peut encore dire dans quelle mesure les reflets de la seconde révolution chinoise se combineront avec l’aube de la troisième révolution chinoise. Personne ne peut prédire si les foyers des soulèvements paysans se maintiendront sans discontinuer pendant toute la période prolongée dont l’avant-garde prolétarienne aurait besoin pour se renforcer, pour engager dans la bataille la classe ouvrière et accorder sa lutte pour le pouvoir avec les offensives paysannes généralisées contre ses ennemis les plus immédiats.

Ce qui caractérise le mouvement actuel des campagnes, c’est la tendance des paysans à lui donner une forme soviétique - ou tout au moins un nom soviétique - et à assimiler les détachements de partisans à l’armée rouge. Cela témoigne de l’énergie avec laquelle les paysans recherchent la forme politique qui pourrait les aider à se libérer de leur division et de leur impuissance. Sur cette base les communistes pourront construire efficacement.

Mais il faut d’abord comprendre clairement que dans la conscience des paysans chinois, les mots d’ordre obscurs de Soviets ne signifient nullement encore la dictature du prolétariat. La paysannerie ne peut pas, en général, se prononcer a priori pour la dictature du prolétariat. Elle ne peut y être amenée qu’à travers l’expérience de la lutte qui démontrera et prouvera au paysan que ses tâches démocratiques ne pourront être résolues que par la dictature prolétarienne.

Telle est la cause principale pour laquelle le parti communiste chinois ne peut pas conduire le prolétariat dans la lutte pour le pouvoir sans partir des mots d’ordre démocratiques.

Le mouvement paysan, bien que recouvert du nom de Soviet, reste isolé, local et provisoire. On ne peut élever ce mouvement au niveau national, qu’en liant la lutte contre le joug des impôts et le fardeau du militarisme avec les idées de l’indépendance de la Chine et de la souveraineté populaire.

L’expression démocratique de cette, liaison est une assemblée aux multiples pouvoirs. Sous ce mot d’ordre, l’avant-garde communiste pourra rassembler autour d’elle de larges masses ouvrières, les petites gens opprimés des villes et les centaines de millions de paysans pauvres, pour le soulèvement contre les oppresseurs du dedans et du dehors.

On ne pourra commencer la création de soviets ouvriers que pendant un réveil effectif de la révolution dans les villes. Quand cela arrivera, nous ne le savons pas actuellement, nous ne pouvons que nous y préparer. Et se préparer veut dire rassembler les forces. Aujourd’hui nous ne pouvons le faire que sous le mot d’ordre d’une démocratie conséquente, hardie et révolutionnaire. En même temps nous devons expliquer aux éléments avancés de la classe ouvrière que l’Assemblée nationale n’est qu’une étape sur la voie révolutionnaire. Nous sommes sur la voie de la dictature prolétarienne sous la forme soviétique.

Nous ne fermons plus les yeux sur le fait que cette dictature posera devant le peuple chinois les problèmes économiques et internationaux les plus difficiles. Le prolétariat chinois constitue une partie plus minime de la population en Chine que le prolétariat russe n’en constituait à la veille d’Octobre. Le capitalisme chinois est encore plus arriéré que le capitalisme russe. Mais les difficultés seront vaincues non par des illusions et une politique d’aventures, non par l’espoir en Tchang Kaï-chek ou en la " "dictature démocratique" ; les difficultés seront vaincues par la clairvoyance et la volonté révolutionnaire.

Le prolétariat chinois marche au pouvoir, non pour rétablir la muraille de Chine et construire sous la protection le socialisme national. En conquérant le pouvoir, le prolétariat chinois conquerra l’une des positions les plus importantes pour la révolution internationale. On ne peut pas considérer le sort de la Chine ni celui de l’U.R.S.S. en dehors du mouvement révolutionnaire du prolétariat mondial. Telle est la source des espoirs les plus vastes et la justification de la plus grande hardiesse.

La cause de la révolution mondiale est la cause même de la révolution chinoise. La cause de la révolution chinoise est la cause du prolétariat mondial.

Léon Trotsky

Faits et Documents

26 août 1930

La révolution chinoise de 1925-1927 demeure le plus grand événement de l’histoire moderne après la révolution de 1917 en Russie. Sur les problèmes de la révolution chinoise, les courants fondamentaux du communisme sont entrée en conflit. Le dirigeant officiel actuel de l’I.C, Staline, a révélé sa véritable stature dans les événements de la révolution chinoise. Les documents fondamentaux de la révolution chinoise sont dispersés, éparpillés, oubliés. Quelques-uns sont soigneusement dissimulés.

Dans ces pages, nous voulons reproduire les étapes fondamentales de la révolution chinoise à la lumière des articles et discours de Staline et de ses plus proches collaborateurs, ainsi que des décisions de l’I.C. dictées par Staline. Nous présentons dans ce but des textes authentiques de nos archives, particulièrement des extraits de discours de Khitarov, un jeune stalinien, au 15° congrès du P.C.U.S., qui a été dissimulé au parti par Staline.

Les lecteurs se convaincront de l’énorme importance du témoignage de Khitarov, un jeune fonctionnaire-carriériste stalinien, participant des événements chinois et actuellement un des dirigeants de l’Internationale Communiste.

Pour rendre plus compréhensibles faits et citations, nous jugeons utile de rappeler à nos lecteurs le déroulement des événements les plus importants de la révolution chinoise.

* 20 mars 1926 : premier coup d’Etat de Tchang Kaï-Chek à Canton.
* automne 1926 : le 7° plenum du C.E.I.C. avec la participation du délégué Tchang Kaï-Chek du Kuomintang.
* 12 avril 1927 : coup d’Etat de Tchang Kaï-Chek à Shanghaï.
* Fin mai 1927 : coup contre-révolutionnaire du Kuomintang de gauche à Wuhan.
* Fin mai 1927 : le 8° plenum du C.E.I.C. proclame le devoir des communistes de rester avec le Kuomintang "de gauche".
* août 1927 : la P.C. chinois proclame un cours vers l’insurrection.
* décembre 1927 : l’insurrection de Canton.
* février 1928 : le 9° plenum du C.E.I.C. proclame en Chine le cours vers l’insurrection armée et les soviets.
* juillet 1928 - Le 6e congrès de l’I.C. renonce au mot d’ordre de l’insurrection armée comme mot d’ordre pratique.

1. Le Bloc des quatre classes

La politique chinoise de Staline reposait sur un bloc de quatre classes. Voici comment l’organe berlinois des mencheviks appréciait cette politique :

"Le 10 avril, Martynov, dans la Pravda très nettement (...) et de façon tout à fait "menchevique", montrait (...) la justesse de la position officielle qui insiste sur la nécessité de conserver le "bloc des quatre classes", de ne pas se hâter de liquider le gouvernement de coalition où les ouvriers sont assis à côté de la grande bourgeoisie, pas pour lui imposer prématurément des "tâches socialistes"".

A quoi ressemblait la politique de coalition avec la bourgeoisie. Citons un extrait de l’organe officiel du Comité Exécutif de l’I.C. :

"Le 5 janvier 1927, le gouvernement de Canton a rendu publique une nouvelle loi sur les grèves dans laquelle les ouvriers se voient interdire de porter des armes dans les manifestations, d’arrêter des marchands et industriels, de confisquer leurs biens, et qui établit l’arbitrage obligatoire pour une série de conflits. La loi contient un certain nombre de paragraphes protégeant les intérêts des ouvriers (...) Mais au milieu de ces paragraphes, il en est d’autres qui limitent la liberté de grève plus qu’il n’est exigé par les intérêts de la défense dans le cours d’une guerre révolutionnaire" (Die Kommunistische Internationale, l° mars 1927, n°9, p.408).

Dans la corde placée autour des ouvriers par la bourgeoisie, les fils (paragraphes) favorables aux ouvriers sont dessinés. L’insuffisance du nœud est qu’il est serré plus que nécessaire "pour les intérêts de défense" (de la bourgeoisie chinoise). C’est écrit dans l’organe central de l’I.C. Qui écrit ? Martynov. Quand écrit-il ? Le 25 février, six semaines avant le bain de sang de Shanghaï.
2. Les Perspectives de la révolution selon Staline

Comment Staline évaluait-il les perspectives de la révolution conduite par son allié Tchang Kaï-Chek ? Voici les parties les moins scandaleuses de la déclaration de Staline (les plus scandaleuses n’ont jamais été rendues publiques) :

"Les armées révolutionnaires en Chine, sont Ie facteur le plus important pour la lutte des ouvriers et paysans chinois pour leur libération. Car l’avance des cantonais signifie un coup contre l’impérialisme, un coup contre ses agents en Chine, la liberté de réunion, de presse, d’organisation pour tous les éléments révolutionnaires en Chine en général et pour les travailleurs en particulier" (Les questions de la révolution chinoise, p.46)

L’armée de Tchang Kaï-Chek est l’armée des ouvriers et des paysans. Elle apporte la liberté à toute la population, "aux ouvriers en particulier". Que faut-il pour la victoire de la révolution ? Très peu :

"La jeunesse étudiante, la jeunesse ouvrière, la jeunesse paysanne - c’est une force qui peut faire avancer la révolution avec des bottes de sept lieues, si elle reste subordonnée à l’influence idéologique et politique du Kuomintang" (ibid., p. 55)

De cette façon, la tâche de l’I.C. ne consistait pas à libérer les ouvriers et les paysans de l’influence de la bourgeoisie, mais au contraire, les subordonner à son influence. Ce fut écrit dans les jours où Tchang Kaï-Chek, armé par Staline, marchait à la tête des ouvriers et paysans subordonnés, "avec des bottes de sept lieues"... vers le coup de Shanghaï.
3. Staline et Tchang Kaï-Chek

Après le coup de Canton, machiné par Tchang Kaï-Chek en mars 1926 et que notre presse passa sous silence, quand les communistes furent réduits à de misérables appendices du Kuomintang et signèrent même un engagement de ne pas critiquer le sun-ya-tsénisme, Tchang Kaï-Chek - détail remarquable en vérité ! - insista pour que le Kuomintang soit accepté dans l’I.C. : se préparant au rôle de bourreau, il voulait avoir la couverture du communisme mondial et.... l’obtint. Le Kuomintang dirigé par Tchang Kaï-Chek et Hu Hanmin fut accepté dans I’I.C. (comme parti "sympathisant"). Tout en étant engagé dans la préparation d’un coup contre-révolutionnaire décisif en avril 1927, Tchang Kaï-Chek, en même temps prit soin d’échanger des portraits avec Staline. Le renforcement de ces liens d’amitiés fut préparé par le voyage de Boubnov, membre du Comité Central et un des agents de Staline, et sa visite à Tchang Kaï-Chek. Un autre "détail" : le voyage de Boubnov à Canton coïncida avec la coup d’Etat de mars de Tchang Kaï-Chek. Alors Boubnov ? Il fit se soumettre et se tenir tranquilles les communistes chinois.

Après le coup de Shanghaï, les bureaux de l’I.C., sur ordre de Staline, essayèrent de nier que l’exécuteur Tchang Kaï-Chek était encore membre de l’I.C. Ils avaient oublié le vote du Bureau Politique où tous, contre le vote d’un seul (Trotsky), approuvèrent l’admission du Kuomintang dans l’I.C. avec voix consultative.

Ils avaient oublié qu’au plenum du C.E.I.C. qui condamna l’Opposition de gauche, "le camarade Shao Litzu", délégué du Kuomintang, participa. Il dit entre autres :

"Le camarade Tchang Kaï-Chek, dans son discours aux membres du Kuomintang, a déclaré que la révolution chinoise serait inconcevable si elle ne réglait pas correctement la question agraire, c’est-à-dire la question paysanne. Ce que le Kuomintang veut, c’est que ne soit pas créée après la révolution nationaliste en Chine, une révolution bourgeoise comme ce fut le cas en Occident, comme on le voit maintenant dans tous les pays sauf l’U.R.S.S. (...) Nous sommes tous convaincus que, sous la direction du parti communiste et de l’I.C., le Kuomintang remplira sa tâche historique" (Procès-verbal de l’Exécutif élargi de l’I.C., éd. allemande, 30 novembre 1926, pp. 303-304)

Voilà ce qu’il en était au 7° plenum à l’automne 1926. Après que le membre de l’I.C., "le camarade Tchang Kaï-Chek", qui avait promis de résoudre toutes les tâches sous la direction de l’I.C., n’en ait résolu qu’une, précisément l’écrasement sanglant de la révolution, le 8° plenum déclara en mai 1927 dans la résolution sur la question chinoise :

"Le C.E.I.C. affirme que les événements justifient pleinement le pronostic du 7° plenum".

Justifient, et jusqu’au bout ! Si c’est de l’humour, il n’est en tout cas pas arbitraire. N’oublions pas cependant que cet humour est profondément coloré de sang de Shanghaï.
4. La Stratégie de Lenine et celle de Staline

Quelles étaient les tâches fixées par Lenine à l’I.C. en ce qui concerne les pays arriérés ?

"La nécessité de lutter résolument contre la tendance à parer des couleurs du communisme les courants de libération démocratique bourgeois des pays arriérés" ("Ebauche des thèses sur la question nationale et coloniale", Œuvres, 31, p.151)

C’est précisément en faisant cela que le Kuomintang, qui avait promis de ne pas établir un régime bourgeois en Chine, fut admis dans l’I.C. Lenine, on le comprend, reconnaissait la nécessité d’une alliance temporaire avec le mouvement démocratique-bourgeois, mais il comprenait par là, bien entendu, non une alliance avec les partis bourgeois, dupant et trahissant la démocratie révolutionnaire petite-bourgeoise (les paysans et les petites gens des villes), mais une alliance avec les organisations et groupes des masses elles-mêmes - contre la bourgeoisie nationale. Sous quelle forme Lenine envisageait-il l’alliance avec la démocratie bourgeoise des colonies ? A cela aussi il répondait dans les thèses écrites pour le 2° congrès :

"L’Internationale Communiste doit conclure une alliance temporaire avec les démocrates bourgeois des colonies et pays arriérés, mais pas fusionner avec eux, et maintenir fermement l’indépendance du mouvement prolétarien, même sous sa forme la plus embryonnaire" (ibidem, p. 151).

Il semble qu’en exécutant la décision du 2° congrès, le parti communiste fut engagé à rejoindre le Kuomintang et le Kuomintang admis dans l’I.C. Tout ce qui est résumé plus haut est baptisé léninisme.
5. Le Gouvernement de Tchang Kaï-Chek comme vivante réfutation de l’Etat

Comment les dirigeants du P.C.U.S. ont-ils apprécié le gouvernement de Tchang Kaï-Chek un an après le premier coup de Canton (20 mars 1926) peut être vu clairement d’après les discours publics des membres du Bureau Politique du parti. Voici ce que dit Kalinine en mars 1927 à l’usine Gosznak de Moscou :

"Toutes les classes de la Chine, à commencer par le prolétariat, haïssent les militaires comme les fantoches du capital étranger ; toutes les classes de Chine considèrent le gouvernement de Canton comme le gouvernement national de toute la Chine". (Izvestia, 6 mars 1927).

Un autre membre du Bureau Politique, Roudzoutak, prit la parole quelques jours plus tard à un rassemblement des travailleurs des autobus. Le compte rendu de la Pravda assure :

"Passant ensuite à la situation en Chine, le camarade Roudzoutak a souligné que le gouvernement révolutionnaire avait derrière lui toutes les classes de Chine" (Pravda, 9 mars 1927)

Vorochilov a parlé plus d’une fois dans le même sens.

C’est réellement en vain que Lenine avait déblayé la théorie marxiste de l’Etat de la vermine petite-bourgeoise. Les épigones ont réussi en très peu de temps à la recouvrir de deux fois plus de débris. Le 5 avril encore, Staline parlait à la Salle des Colonnes pour défendre le fait que les communistes restaient à l’intérieur du parti de Tchang Kaï-Chek et, pire encore, niait le danger de trahison de la part de son allié. "Borodine est sur ses gardes". Le coup eut lieu exactement une semaine plus tard.
6. Comment eu lieu le coup de Shanghaï

Sous cet angle, nous avons le témoignage particulièrement précieux d’un témoin et participant, le stalinien Khitarov, qui arriva de Chine à la veille du 15° congrès et y apparut avec ses informations. Les points les plus importants de son récit semblent avoir été supprimés par Staline du compte-rendu, avec le consentement de l’intéressé : on ne peut pas rendre publique la vérité si elle démontre de façon aussi écrasante toutes les accusations de l’Opposition contre Staline. Donnons la parole à Khitarov (16° session du 15° congrès du P.C.U.S., 11 décembre 1927) :

"La première blessure sanglante a été infligée à la révolution chinoise à Shanghaï par l’exécution des ouvriers de Shanghaï les 11-12 avril.
J’aimerais parler avec plus de détails de ce coup parce que je sais que l’on n’en sait pas grand chose dans notre parti. A Shanghaï, il a existé pendant vingt-et-un jours ce qu’on appelait le Gouvernement du peuple dans lequel les communistes étaient en majorité. On peut donc dire que pendant vingt-et-un jours, Shanghaï a eu un gouvernement communiste. Ce gouvernement communiste révéla cependant une inactivité totale en dépit du fait qu’on s’attendait tous les jours au coup de Tchang Kaï-Chek.
En premier lieu, le gouvernement communiste n’a pas commencé avant longtemps son travail avec l’excuse que d’un côté, la fraction bourgeoise du gouvernement ne voulait pas travailler et le sabotait, et ensuite parce que le gouvernement du Wuhan n’approuvait pas la composition du gouvernement de Shanghaï. De l’activité de ce gouvernement, on connaît trois décrets et l’un d’eux, en passant, parle de préparer une réception triomphale pour Tchang Kaï-Chek dont on attendait l’arrivée à Shanghaï.
A Shanghaï, à ce moment-là, les relations entre l’armée et les ouvriers se tendirent. On sait par exemple que l’armée attira délibérément les ouvriers au massacre. Pendant plusieurs jours, l’armée s’arrêta aux portes de Shanghaï et ne voulut pas entrer dans la ville parce qu’elle savait que les ouvriers y combattaient les gens du Chantung et qu’elle voulait saigner les ouvriers dans cette lutte. Elle entrerait plus tard. Ensuite, l’armée entra à Shanghaï. Mais il y avait parmi ces troupes une division qui sympathisait avec les ouvriers - la première division de l’armée de Canton. Son chef Xue Yue, était en disgrâce auprès de Tchang Kaï-Chek qui connaissait ses sympathies pour le mouvement de masses, puisqu’il sortait lui-même de ses rangs. Il fût d’abord commandant de compagnie puis de division.
Xue Yue vint voir les camarades à Shanghaï et leur dit qu’il y avait un coup militaire en préparation, que Tchang Kaï-Chek l’avait convoqué au Quartier Général, qu’il l’avait reçu avec une froideur inhabituelle et que lui, Xue Yue n’y retournerait pas, craignant un piège. Tchang Kaï-Chek proposa à Xue Yue de quitter la ville avec sa division et d’aller au front ; et lui, Xue Yue proposa au Comité Central de lui donner son accord pour ne pas obéir à l’ordre de Tchang Kaï-Chek. Il était prêt à rester à Shanghaï et à combattre aux côtés des ouvriers de Shanghaï contre le coup militaire en préparation. A tout cela, nos dirigeants responsables du parti communiste chinois, y compris Tchen Du-Siu, répondirent qu’ils étaient informés de la préparation de ce coup, mais qu’ils ne voulaient pas un conflit prématuré avec Tchang Kaï-Chek. La l° division fut envoyée hors de la ville et celle-ci occupée par la le division de Paï Chungxi ; deux jours plus tard, les ouvriers de Shanghaï étaient massacrés".

Pourquoi ce récit réellement bouleversant a-t-il été retiré du compte rendu (p. 32) ? Parce qu’il ne s’agissait pas du tout du P.C. chinois, mais du Bureau Politique du P.C.U.S. Le 2 mai 1927, Staline parlait au plenum du C.E.I.C. :

"L’Opposition est mécontente parce que les ouvriers de Shanghaï ne sont pas encore entrés dans une bataille décisive contre les impérialistes et leurs mercenaires. Mais ils ne comprennent pas que la révolution en Chine ne peut pas se développer sur un rythme rapide. Ils ne comprennent pas qu’on ne peut prendre une décision d’engager une lutte décisive dans des conditions défavorables. L’Opposition ne comprend pas que de ne pas éviter une lutte décisive dans des conditions défavorables, (quand on peut l’éviter), signifie faciliter le travail des ennemis de la révolution"...

Cette partie du discours de Staline est intitulée "Les Erreurs de l’Opposition". Dans la tragédie de Shanghaï, Staline a trouvé des erreurs... de l’Opposition. En réalité, l’Opposition ne connaissait pas encore à cette époque les circonstances concrètes de la situation à Shanghaï, c’est-à-dire qu’elle ne savait pas à quel point la situation était bien plus favorable aux ouvriers fin mars-début avril, en dépit de toutes les fautes et de tous les crimes de la direction de l’I.C. Même à travers l’histoire délibérément cachée de Khitarov, il est clair qu’on aurait pu sauver la situation même à ce moment-là. Les ouvriers de Shanghaï sont au pouvoir. Ils sont partiellement armés. Il y a la possibilité de les armer beaucoup plus. L’armée de Tchang Kaï-Chek n’est pas sûre. Dans certaines unités, même le commandement est du côté des ouvriers. Mais tout et tous sont paralysés au sommet. Il ne faut pas préparer une lutte décisive contre Tchang Kaï-Chek, mais sa réception triomphale. Parce que Staline a donné de Moscou ses instructions catégoriques : non seulement ne pas résister à l’allié Tchang Kaï-Chek, mais au contraire montrer votre loyauté à son égard. Comment ? Couchez-vous et faites le mort.

Au plenum du C.E.I.C. de mai, Staline a défendu encore sur le terrain technique, tactique, cette terrible reddition de positions sans combat, qui a conduit à l’écrasement du prolétariat dans la révolution. Une demi-année plus tard, au 15° congrès du P.C.U.S., Staline gardait déjà le silence. Les délégués du congrès ont prolongé le temps de parole de Khitarov pour lui permettre de finir son récit, qui les prenait, même eux. Mais Staline a trouvé une façon très simple de s’en sortir en supprimant du compte-rendu le récit de Khitarov. Nous publions ici pour la première fois ce récit historique.

Notons en outre une circonstance intéressante : tout en embrouillant le cours des événements autant que possible et en dissimulant le seul véritable coupable, Khitarov désigne comme unique responsable Chen Du-Siu que les staliniens avaient jusque là défendu par tous les moyens contre l’Opposition parce qu’il n’avait fait qu’exécuter leurs instructions. Mais à cette époque, il était déjà devenu clair que le camarade Tchen Du-Siu n’accepterait pas de jouer le rôle de bouc émissaire silencieux, qu’il voulait ouvertement analyser les raisons de cette catastrophe. Tous les chiens de l’I.C. ont été lâchés sur lui, non pour des erreurs fatales à la révolution, mais parce qu’il refusait de duper les ouvriers et de servir de couverture à Staline.
7. Les organisateurs de "I’infusion de sang ouvrier et paysan"

L’organe dirigeant de I’I.C. écrivait le 18 mars 1927, environ trois semaines avant le coup de Shanghaï :

"La direction du Kuomintang souffre à présent d’un manque de sang ouvrier et paysan révolutionnaire. Le parti communiste chinois doit aider à lui en infuser et alors la situation changera radicalement" .

Quel jeu de mot prophétique ! Le Kuomintang a besoin de "sang ouvrier et paysan". L’aide a été pleinement assurée : en avril-mai, Tchang Kaï-Chek et Wang Jing-Weï ont reçu une "infusion" suffisante de sang ouvrier et paysan !

En ce qui concerne le chapitre Tchang Kaï-Chek de la politique de Staline, le 8° plenum (mai 1927) déclarait :

"Le C.E.I.C. considère que la tactique du bloc avec la bourgeoisie nationale dans la période de déclin actuel de la révolution était tout à fait correcte. L’Expédition du Nord à elle seule justifie historiquement cette tactique" ...

Et comment !

Voilà Staline tout entier. L’Expédition du Nord qui soit dit en passant s’est révélée être une expédition contre le prolétariat, sert de justification à son amitié avec Tchang Kaï-Chek. Le C.E.I.C. a fait tout ce qu’il pouvait pour qu’on ne puisse tirer les leçons du bain de sang des ouvriers chinois.
8. Staline répète son expérience avec le Kuomintang "de gauche"

Plus loin, le point remarquable suivant du discours de Khitarov a été également été coupé :

"Après le coup de Shanghaï, il est devenu clair pour tous qu’une nouvelle époque commence dans la révolution chinoise ; la bourgeoisie recule et abandonne la révolution. Cela a été reconnu et aussitôt dit. Mais on a perdu de vue une chose, c’est que, pendant que la bourgeoisie abandonnait la révolution, le gouvernement de Wuhan ne pensait même pas à abandonner la bourgeoisie. Malheureusement la majorité de nos camarades ne l’a pas compris : ils avaient des illusions sur le gouvernement de Wuhan. Ils considéraient le gouvernement de Wuhan presque comme une image, un prototype de la dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie (omission p. 33). Après le coup de Wuhan, il est devenu clair que la bourgeoisie battait en retraite"...

Ce serait ridicule si ce n’était pas si tragique. Après que Tchang Kaï-Chek ait tué la révolution en affrontant les ouvriers désarmés par Staline, les pénétrants "stratèges" ont fini par "comprendre" que la bourgeoisie "battait en retraite". Mais, ayant reconnu que son ami Tchang Kaï-Chek battait en retraite, Staline a ordonné aux communistes chinois de se subordonner au même gouvernement de Wuhan qui selon les informations de Khitarov au 15° congrès "ne pensait même pas à abandonner la bourgeoisie". Malheureusement, "nos camarades ne l’ont pas compris". Quels camarades ? Borodine, qui était pendu aux télégrammes de Staline ? Khitarov ne donne aucun nom. La révolution chinoise lui est chère, mais lui est plus cher encore. Ecoutons pourtant Staline :

"Le coup de Tchang Kaï-Chek signifie qu’il va y avoir maintenant deux camps, deux gouvernements, deux armées, deux centres dans le Sud : un centre révolutionnaire à Wuhan et un centre contre-révolutionnaire à Nankin".

L’endroit où est situé le centre de la révolution est-il clair ? A Wuhan !

"Cela signifie que le Kuomintang révolutionnaire, à Wuhan, menant une lutte décisive contre le militarisme et l’impérialisme, va en réalité se transformer en un organe de la dictature démocratique révolutionnaire de prolétariat et de la paysannerie".

Nous voyons enfin maintenant à quoi ressemble la dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie.

"Il en découle que la politique d’étroite collaboration des gauches et des communistes à l’intérieur du Kuomintang acquiert une force particulière et une signification particulière à l’étape présente que, sans une telle collaboration, la victoire de la révolution est impossible" (Questions de la révolution chinoise, pp.125 à 127)

Sans la collaboration des bandits contre-révolutionnaires du Kuomintang "de gauche", la "victoire de la révolution est impossible" ! C’est ainsi que Staline, pas après pas, à Canton, Shanghaï, Hankou, a assuré la victoire de la révolution.
9. Contre l’Opposition, pour le Kuomintang !

Comment l’I.C. a-t-elle considéré le Kuomintang de gauche ? Le 8° plenum du C.E.I.C. a donné une réponse claire à cette question dans sa lutte contre l’Opposition :

"Le C.E.I.C. rejette avec la plus grande détermination la revendication de quitter le Kuomintang (...) Le Kuomintang en Chine est précisément la forme spécifique d’organisation dans laquelle le prolétariat collabore directement avec la petite bourgeoisie et la paysannerie".

De cette manière, le C.E.I.C. a très correctement vu dans le Kuomintang la réalisation stalinienne de l’idée des partis "biclassistes ouvriers et paysans".

Rafès, qui n’est pas un inconnu, puisqu’il fut d’abord ministre de Petlioura et ensuite appliqua en Chine les instructions de Staline, écrivait en mai 1927 dans l’organe théorique du P.C.U.S. :

"Nos oppositionnels russes, on le sait, considèrent aussi comme nécessaire que les communistes quittent le Kuomintang. Une défense consistante de ce point de vue conduirait les adhérents de cette politique à quitter le Kuomintang pour la fameuse formule proclamée par le camarade Trotsky en 1917 : "Pas de tsar, mais un gouvernement ouvrier !", qui, pour la Chine, aurait pu changer de forme : "Pas de militaristes, mais un gouvernement ouvrier !". Nous n’avons pas de raison d’écouter des défenseurs aussi consistants de l’idée de quitter le Kuomintang" (Proletarskaïa Revolutsia, p.54)

Le mot d’ordre de Staline-Rafès était "Sans les ouvriers, mais avec Tchang Kaï-Chek !","Sans les paysans, mais avec Wang Jing-Weï !", "Contre l’Opposition, mais avec le Kuomintang !".
10. Staline désarme de nouveau les ouvriers et paysans chinois

Quelle fut la politique de la direction pendant la période du gouvernement de Wuhan de la révolution ? Ecoutons le stalinien Khitarov sur cette question. Voilà ce qu’on peut lire dans le compte rendu du 15° congrès :

"Quelle était la politique du C.C. du parti communiste à cette époque, pendant toute cette période ? Cette politique était menée sous le mot d’ordre de retraite ( ... )

Sous le mot d’ordre de retraite - dans la période révolutionnaire, au moment des plus grandes tensions des luttes révolutionnaires - le parti communiste continue son travail et rend une position après l’autre sans combat. A ce type de redditions appartiennent l’accord pour subordonner tous les syndicats, toutes les unions paysannes et autres organisations révolutionnaires au Kuomintang, le rejet de l’action indépendante sans la permission du C.C. du Kuomintang, la décision de désarmer volontairement les piquets ouvriers à Hankou, la dissolution des organisations de pionniers à Wuhan, l’écrasement de fait de toutes les unions paysannes sur le territoire du gouvernement national, etc. "

Il est dépeint ici tout à fait franchement la politique du parti communiste chinois dont la direction aide en réalité la bourgeoisie "nationale" à écraser le soulèvement populaire et anéantir les meilleurs combattants du prolétariat et de la paysannerie.

Mais cette franchise est ici une traîtrise : la citation ci-dessus a été imprimée dans le compte rendu après une omission signalée ici par (...). Voici ce que dit ce passage dissimulé par Staline :

"En même temps, quelques camarades responsables, chinois et non-chinois, inventèrent le prétendue théorie de la retraite. Ils déclarèrent : la réaction progresse contre nous de tous côtés. Il nous faut donc tout de suite battre en retraite en bon ordre pour préserver les possibilités d’un travail légal et, si nous battons en retraite, nous y arriverons, mais, si nous nous défendons ou essayons d’avancer, nous perdrons tout"

C’est précisément en ces jours (fin mai 1927) où la contre-révolution de Wuhan commençait à écraser les ouvriers et paysans devant le Kuomintang de gauche, que Staline déclare au plenum du C.E.I.C., le 24 mai 1927 :

"La révolution agraire est la base et le contenu de la révolution démocratique-bourgeoise en Chine. Le Kuomintang à Hankou et le gouvernement de Hankou sont le centre du mouvement révolutionnaire bourgeois-démocratique" (Compte-rendu, éd. allemande, p.71 )

A une question écrite d’un ouvrier demandant pourquoi il n’y avait pas eu de soviets formés à Wuhan, Staline répondait :

"Il est clair que quiconque appelle maintenant à la création immédiate de soviets de députés dans ce district, essaie de sauter (!) par-dessus la phase Kuomintang de la révolution chinoise et risque de mettre celle-ci dans une position très difficile".

Précisément : dans une position "très difficile" ! Le 13 mai 1927, dans une conversation avec des étudiants, Staline déclarait :

"Faudrait-il en général créer en Chine des soviets de députés ouvriers et paysans ? Il faudra les créer après le renforcement de gouvernement révolutionnaire de Wuhan, après le développement de la révolution agraire, dans la transformation de la révolution agraire, la révolution démocratique bourgeoise en révolution du prolétariat".

De cette manière, Staline ne jugeait pas possible de renforcer la position des ouvriers et des paysans à travers des soviets, tant que les positions du gouvernement de Wuhan, de la bourgeoisie contre-révolutionnaire n’étaient pas renforcées.

Faisant référence aux fameuses thèses de Staline justifiant sa politique de Wuhan, l’organe des mencheviks russes écrivait à cette époque :

"On trouve vraiment peu à dire contre l’essence de la ligne tracée ici. Autant que possible, rester dans le Kuomintang, se cramponner le plus longtemps possible à son aile gauche et au gouvernement de Wuhan, "éviter une lutte décisive dans des conditions défavorables" ; ne pas lancer le mot d’ordre de "Tout le pouvoir aux soviets !" pour ne pas "donner de nouvelles armes aux ennemis du peuple chinois pour leur lutte contre la révolution, pour créer de nouvelles légendes qu’il ne s’agit pas en Chine d’une révolution nationale, mais de la transplantation artificielle de la soviétisation par Moscou" - qu’est-ce qui pourrait en réalité être plus sensé ?" (Sotsialistitcheski Vestnik, n° 9 (151), p.1 ).

Pour sa part, le 8° plenum du C.E.I.C. qui siégeait à la fin de mai 1927, c’est-à-dire à un moment où l’écrasement des organisations des ouvriers et des paysans à Wuhan avait déjà commencé, adopta la décision suivante :

"Le C.E.I.C. appelle avec insistance l’attention du parti communiste chinois sur la nécessité de prendre toutes les mesures possibles pour le renforcement et le développement de toutes les organisations de masse des ouvriers et des paysans (...) dans toutes ces organisations, il faut faire une agitation pour entrer dans le Kuomintang, le transformer en une puissante organisation de la démocratie petite-bourgeoise révolutionnaire et de la classe ouvrière"

"Entrer dans le Kuomintang" signifie aller volontairement au massacre, La sanglante leçon de Shanghaï est passée sans laisser de trace. Les communistes, comme auparavant, ont été transformés en pâtres des troupeaux pour le parti des bourreaux bourgeois (le Kuomintang) en fournisseurs de "sang ouvrier et paysan" pour Wang Jing-Weï et compagnie.
11. L’expérience stalinienne du ministérialisme

Malgré l’expérience de la Kerenskyade russe et la protestation de l’Opposition de gauche, Staline a terminé sa politique Kuomintang par une expérience de ministérialisme : deux communistes sont entrés dans le gouvernement bourgeois en qualité de ministres du travail et de l’agriculture - postes classiques des otages ! - sous les instructions directes de l’I.C. pour paralyser la lutte de classes, avec l’objectif de préserver le front unique. Ces directives ont été constamment données par télégramme de Moscou depuis août 1927.

Ecoutons comment Khitarov a dépeint le "ministérialisme" communiste pratiqué avant l’audition des délégués au 15° congrès du P.C.U.S. :

"Vous savez qu’il y avait deux ministres communistes dans le gouvernement", dit Khitarov. Le reste de ce passage est rayé du procès-verbal :

"Ensuite, ils (les ministres communistes) ont cessé de venir à leurs ministères, d’y apparaître en personne et se sont faits remplacer par une centaine de fonctionnaires. Sous leur activité, il n’a pas été promulgué une seule loi favorable aux ouvriers et aux paysans. Cette activité répréhensible a pris fin de façon plus répréhensible encore, honteuse. Les ministres ont dit que l’un d’eux était malade et que l’autre voulait aller à l’étranger, etc. et ils ont demandé à être remplacés. Ils n’ont pas démissionné avec une déclaration politique dans laquelle ils auraient déclaré : vous êtes des contre-révolutionnaires, vous êtes des traîtres, nous ne marchons plus avec vous. Non, ils ont déclaré que l’un d’eux était malade. En outre, Tan Pingshan a écrit qu’il ne pouvait faire face à l’ampleur du mouvement paysan. Qui donc le peut ? C’est clair, les militaires et personne d’autre. C’était une légalisation ouverte de la suppression rigoureuse du mouvement paysan menée par le gouvernement de Wuhan".

C’est à quoi ressemblait la participation des communistes à la "dictature démocratique" des ouvriers et des paysans. En décembre 1927, quand les discours et articles de Staline étaient encore frais dans les esprits de tous, le récit de Khitarov ne pouvait pas être reproduit, même si ce dernier - jeune, mais précoce à la recherche de son propre bien-être -, n’a pas dit un mot sur les dirigeants de Moscou du ministérialisme chinois et a même fait référence à Borodine seulement comme "un certain camarade non-chinois".

Tan Pingshan s’est plaint - et Khitarov a hypocritement ragé - qu’il ne pouvait venir à bout du mouvement paysan. Mais Khitarov ne pouvait pas ne pas savoir que c’était exactement la tâche que Staline avait assignée à Tan Pingshan. Tan Pingshan vint à Moscou à la fin de 1926 chercher des instructions et rendit compte au plenum du C.E.I.C. de la façon dont il était venu à bout des "trotskystes", c’est-à-dire des communistes qui voulaient quitter le Kuomintang pour organiser les ouvriers et les paysans. Staline envoyait à Tan Pingshan des instructions télégraphiques pour réprimer le mouvement paysan pour ne pas heurter Tchang Kaï-Chek et l’Etat-major militaire bourgeois. En même temps, Staline accusait l’Opposition de... sous-estimer la paysannerie.

Le 8° plenum a même adopté une spéciale "résolution sur les interventions des camarades Trotsky et Vuyovic à la session plénière du C.E.I.C.". Elle dit :

"Le camarade Trotsky (...) a demandé à la session plénière l’établissement de la dualité de pouvoirs sous la forme de soviets et l’adoption immédiate d’une ligne pour le renversement du gouvernement du Kuomintang de gauche. Cette revendication apparemment (!) ultra-gauche (!!) mais en réalité opportuniste (!!!) n’est rien qu’une répétition de la vieille position trotskyste consistant à sauter par-dessus la phase petite-bourgeoise, paysanne, de la Révolution" .

On voit ici dans toute sa nudité l’essence de la lutte contre le trotskysme : la défense de la bourgeoisie contre la révolution des ouvriers et des paysans.
12. Dirigeants et masses

Toutes les organisations de la classe ouvrière ont été utilisées par les "dirigeants" pour freiner, réprimer, paralyser la lutte des masses révolutionnaires. Voici ce que racontait Khitarov :

"Le congrès des syndicats fut reporté jour après jour et quand il fut finalement réuni, aucune tentative ne fut faite pour l’utiliser afin d’organiser la résistance. Au contraire, le dernier jour du congrès, il fut décidé d’organiser une manifestation avant la construction du gouvernement national avec l’objectif d’exprimer leurs sentiments de loyauté au gouvernement. Lozovsky : Je leur ai fait peur avec mon discours"

Lozovsky n’avait pas honte à ce moment de se mettre en avant. "Faisant peur" aux mêmes syndicalistes chinois qu’il avait induits en confusion, avec des phrases courageuses, Lozovsky réussit sur place en Chine, à ne rien voir, ne rien comprendre, ne rien prévoir. Retour de Chine, ce dirigeant écrivit : "Le prolétariat est devenu la force dominante pour l’émancipation nationale de la Chine" (Workers’ China, p.6).

Voilà ce qu’on disait d’un prolétariat dont la tête était en train d’être écrasée dans les menottes de fer de Tchang Kaï-Chek. C’est ainsi que le secrétaire général de l’Internationale Syndicale Rouge trompait les ouvriers du monde entier. Et après l’écrasement des ouvriers chinois (avec l’aide de toutes sortes de "secrétaires généraux"), Lozovsky tourne en ridicule les syndicalistes chinois. Ces "couards" ont été "effrayés" par les intrépides discours du très intrépide Lozovsky. Dans ce petit épisode on trouve l’art des actuels "dirigeants", tout leur mécanisme, toute leur morale !

La puissance du mouvement révolutionnaire des masses populaires était réellement incomparable. Nous avons vu qu’en dépit de trois années d’erreurs, la situation aurait pu être sauvée à Shanghaï si l’on y avait reçu Tchang Kaï-Chek non comme un libérateur, mais comme un ennemi mortel. Mieux, même après le coup de Shanghaï, les communistes auraient pu se renforcer dans les provinces. Mais ils avaient l’ordre de se soumettre au Kuomintang de "gauche". Khitarov donne une description d’un des épisodes les plus éclairants de la deuxième contre-révolution effectuée par le Kuomintang de gauche :

"Le coup s’est produit à Wuhan le 21-22 mai. Il s’est produit dans des circonstances simplement incroyables. A Shanghaï, l’armée consistait en 1700 soldats et les paysans formaient la majorité des détachements armés, rassemblés autour de Changsha eu nombre de 20 000 environ. En dépit de cela, le commandement militaire réussit à s’emparer du pouvoir en tirant sur tous les paysans actifs, en dispersant toutes les organisations révolutionnaires, et en établissant sa dictature seulement du fait de la politique couarde, irrésolue, conciliatrice, des dirigeants de Changsha et Wuhan. Quand les paysans apprirent le coup de Changsha, ils commencèrent à se préparer pour se réunir autour de Changsha pour marcher sur elle. La marche fut fixée au 21. Les paysans commencèrent à déverser en sa direction leurs détachements toujours plus nombreux. Il était clair qu’ils allaient prendre la ville sans difficulté. Mais à ce moment arriva une lettre du Comité Central du parti communiste chinois dans laquelle Tchen Du-Siu écrivait qu’ils devraient éviter un conflit ouvert et transférer la question à Wuhan. Sur la base de cette lettre, le comité de district envoya aux détachements paysans un ordre de reculer et de ne plus avancer ; mais il n’atteignit pas deux détachements. Ils marchèrent sur Wuhan et furent anéantis par les soldats" (Compte-rendu, p.34)

C’est approximativement ainsi que les choses se sont passées dans les autres provinces. Sous la direction de Borodine - "Borodine est sur ses gardes" - les communistes chinois ont exécuté très scrupuleusement les instructions de Staline de ne pas rompre avec le Kuomintang dirigeant choisi de la révolution démocratique. La capitulation de Changsha a eu lieu le 31 mai, soit quelques jours après le 8° plenum du C.E.I.C. et en totale conformité avec ses décisions. Les dirigeants ont en réalité tout fait pour détruire la cause des masses ! Dans le même discours, Khitarov déclare :

"J’estime de mon devoir de déclarer qu’en dépit du fait que le P.C. chinois a pendant longtemps commis des erreurs opportunistes inouïes (...) nous ne devons cependant pas blâmer pour elles les masses du parti (...) J’ai la conviction profonde, car j’ai vu beaucoup de sections de l’I.C. qu’il n’existe pas d’autre section aussi dévouée à la cause du communisme, aussi courageuse dans son combat pour notre cause que les communistes chinois. Il n’existe pas de communistes aussi courageux que les camarades communistes" (ibid., p.36)

Incontestablement, les ouvriers et paysans révolutionnaires chinois ont révélé un exceptionnel esprit de sacrifice dans la lutte. Ils ont été écrasés en même temps que la révolution par la direction opportuniste. Pas celui qui siégeait à Canton, Shanghaï et Wuhan, par celui qui commandait à Moscou. Tel sera le verdict de l’histoire !
13. Le soulèvement de Canton

Le 7 août 1927, la conférence extraordinaire du P.C. chinois a condamné, conformément aux instructions antérieures de Moscou, la politique opportuniste de sa direction, c’est-à-dire tout le passé, et décidé de préparer une insurrection armée. Les émissaires de Staline avaient pour tâche de préparer une insurrection armée à Canton programmée au moment du 15° congrès du P.C.U.S., afin de dissimuler l’extermination physique de l’Opposition russe sous le triomphe politique de Staline en Chine.

Sur la vague déclinante, alors que la dépression prévalait encore dans les masses urbaines, le soulèvement "soviétique" de Canton a été hâtivement organisé, héroïque par la conduite des ouvriers, criminel par l’aventurisme de la direction. La nouvelle d’un nouvel écrasement à Canton arriva exactement au moment du 15° congrès. De cette façon, Staline écrasa les bolcheviks-léninistes exactement au moment où son allié d’hier, Tchang Kaï-Chek, écrasait les communistes chinois.

Il fallait dresser un nouveau bilan, c’est-à-dire rejeter une fois de plus la responsabilité sur les exécutants. Le 7 février 1928, la Pravda écrivait : "Les armées provinciales ont combattu toutes ensemble contre Canton la rouge et c’est la plus grande et la plus ancienne faiblesse du P.C.C., un travail politique tout à fait insuffisant pour "la décomposition des armées réactionnaires" .

"La plus ancienne faiblesse" !. Est-ce que cela veut dire que le P.C. avait pour tâche de décomposer les armées du Kuomintang ? Depuis quand ?

Le 25 février 1927, un mois et demi avant l’écrasement de Shanghaï, l’organe central de l’I.C. écrivait :

"Le P C chinois et les ouvriers chinois conscients ne doivent en aucune circonstance suivre une tactique qui désorganiserait les armées révolutionnaires, précisément parce que l’influence de la bourgeoisie y est dans une certaine mesure forte" (Die Kommunistische Internationale, 25 février 1927, p.19).

Et voici ce que Staline dit - et répéta à chaque occasion - au plenum du C.E.I.C. le 24 mai 1927 :

"Ce n’est pas le peuple désarmé qui se dresse contre les armées d’Ancien Régime en Chine, mais un peuple armé sous la forme de l’Armée révolutionnaire. En Chine, une révolution armée combat la contre-révolution armée" .

A l’été et à l’automne de 1927, les armées du Kuomintang étaient décrites comme un peule en armes. Mais quand ces armées ont écrasé l’insurrection de Canton, la Pravda déclara que la "plus ancienne (!) faiblesse" des communistes chinois était leur incapacité à décomposer les "armées réactionnaires", celles-là même qui étaient proclamées "peuple révolutionnaire" la veille seulement de Canton !

Honteux saltimbanques ! A-t-on jamais vu chose semblable parmi les vrais révolutionnaires ?
14. La période du putschisme

Le 9° plenum du C.E.I.C. s’est réuni en février 1928, moins de deux mois après l’insurrection de Canton. Comment a-t-il estimé là situation ? Voilà les termes exacts de la résolution :

"Le C.E.I.C. fait un devoir à toutes les sections de combattre les calomnies des social-démocrates et des trotskystes qui affirment que la révolution chinoise a été liquidée".

Quel subterfuge de trahison, et en même temps misérable ! La social-démocratie considère en réalité que la victoire de Tchang Kaï-Chek est la victoire de la révolution nationale, le confus Urbahns s’est aussi laissé entraîner sur cette position. L’Opposition de gauche considère que la victoire de Tchang Kaï-Chek est la défaite de la révolution nationale. L’Opposition n’a jamais dit et n’aurait jamais pu dire que la révolution chinoise était liquidée en général. Ce qui a été liquidés embrouillé, trompé, et écrasé, ce n’est que la deuxième révolution chinoise (1925-1927). Cela seul suffirait comme réalisation pour ces messieurs de la direction ! Nous avons maintenu, à partir de l’automne de 1927, qu’une période de recul était devant nous en Chine, la retraite du prolétariat, le triomphe de la contre-révolution. Quelle était la position de Staline ? Le 7 février 1928, la Pravda écrivait :

"Le parti communiste chinois avance vers une insurrection armée. Toute la situation en Chine parle en faveur du fait que c’est là le cours juste (...) L’expérience prouve que le parti communiste chinois doit concentrer tous ses efforts sur la tâche de la préparation quotidienne et générale soigneuse de l’insurrection armée".

Le 9° plenum du C.E.I.C., avec des réserves bureaucratiques ambiguës sur le putschisme, a approuvé cette ligne aventuriste. L’objet de ces réserves est connu : faire des trous pour que le "dirigeant" puisse y ramper dans le cas d’une nouvelle retraite. La résolution criminellement légère du 9° plenum signifiait pour la Chine de nouvelles aventures, de nouvelles escarmouches, la rupture avec les masses, la perte de positions, la destruction des meilleurs éléments révolutionnaires au feu de l’aventurisme, la démoralisation des résidus du parti. Toute la période entre la conférence du parti chinois, le 7 août 1927, et le 6° congrès de I’I.C., le 8 juillet 1928, est profondément imprégnée de la théorie et de la pratique du putschisme. C’est ainsi que la direction stalinienne a porté les derniers coups à la révolution et au parti communiste chinois. Ce n’est qu’au 6° congres que la direction de l’I.C. a reconnu que :

"L’insurrection de Canton était objectivement une "bataille d’arrière-garde" d’une révolution en recul" (Pravda, 27 juillet 1928).

"Objectivement" ? Et subjectivement ? C’est-à-dire dans la conscience de ses initiateurs, les dirigeants ? Tel est le caractère masqué de la reconnaissance du caractère aventuriste de l’insurrection de Canton. Quoiqu’il en soit, un an après l’Opposition, et, ce qui est plus important, après une série de défaites cruelles, l’I.C. a reconnu que la seconde révolution chinoise s’était terminée avec la période de Wuhan et qu’on ne pouvait pas la ressusciter par l’aventurisme. Au 6° congrès, le délégué chinois Chan Fuyun rendait compte :

"La défaite de l’insurrection de Canton a porté un coup encore plus dur au prolétariat chinois. La première étape de la révolution s’est de cette façon terminée avec une série de défaites. Dans les centres industriels, on ressent une dépression dans le mouvement ouvrier" ( Pravda, 17 juillet 1928).

Les faits... ce sont des choses obstinées. Il a fallu que cela soit reconnu aussi au 6° congrès. Le mot d’ordre d’insurrection armée a été éliminée. Tout ce qui restait, c’était le nom "deuxième révolution chinoise" (1925-1927), "première étape", de ce qui est séparée de la future seconde étape par une période indéfinie. C’était une tentative terminologique pour sauver au moins une partie du prestige.
15. Après le 6° congrès

Le délégué du P.C. chinois, Siu, a déclaré au 16° congrès du P.C.U.S. :

"Seuls les renégats trotskystes et les Chen Du-Siuistes chinois disent que la bourgeoisie nationale a une perspective de développement (?) indépendant (?) et de stabilisation (?)."

Laissons de côté cette attaque. Ces malheureux ne seraient jamais à l’hôtel Lux [1] s’ils n’attaquaient pas l’Opposition. C’est leur seule ressource. Tan Pingshan a tonné exactement de la même manière contre les "trotskystes" au 7° plenum du C.E.I.C. avant de passer à l’ennemi. Ce qui est curieux dans sa crue absence de vergogne, c’est la tentative de nous attribuer à nous, oppositionnels de gauche, l’"idéalisation de la bourgeoisie nationale" chinoise et son "développement indépendant". Les agents de Staline, comme leurs dirigeants, fulminent parce que la période après le 6° congrès a révélé une fois de plus leur totale incapacité à comprendre que les circonstances ont changé et la direction de leurs futurs développements.

Après la défaite de Canton, à une époque où le C.E. de l’I.C. en février 1928, était orienté vers une insurrection armée, nous déclarions en opposition à cela :

"La situation va maintenant changer exactement dans le sens opposé. Les masses ouvrières vont temporairement se retirer de la politique, le parti va s’affaiblir ce qui n’exclut pas la poursuite de soulèvements paysans. L’affaiblissement de la guerre des généraux comme celui des grèves et soulèvements du prolétariat conduira inévitablement entre temps à un établissement de processus élémentaires de vie économique dans la campagne et par conséquent à une certaine reprise commerciale et industrielle, bien que faible. La seconde ressuscitera les luttes grévistes des ouvriers et permettra au parti communiste, à la condition d’avoir une ligne juste, de rétablir le, contact et l’influence pour pouvoir ultérieurement, sur un plan plus élevé, articuler l’insurrection ouvrière avec la guerre paysanne. C’est en quoi consiste notre prétendu liquidationnisme".

Mais, en-dehors de ces attaques, qu’a dit Siu de la Chine des deux dernières années ? D’abord il a affirmé ce fait :

"En Chine, l’industrie et le commerce ont marqué une certaine renaissance en 1928".

Et plus loin :

"En 1928, 400 000 ouvriers ont fait grève, en 1929, il y a déjà eu 550 000 grévistes. Dans la première moitié de 1930, le mouvement ouvrier s’est encore renforcé dans son rythme de développement".

On comprend que nous devons être très prudents avec les chiffres de l’I.C., y compris ceux de Siu. Mais indépendamment d’une possible exagération des chiffres, l’exposé de Siu soutient totalement notre pronostic de la fin de 1927 et du début de 1928.

Malheureusement, la direction du C.E.I.C. et le parti communiste chinois ont pris leur point de départ du pronostic directement opposé. Le mot d’ordre de l’insurrection armée n’a été abandonné qu’au 6° congrès, c’est-à-dire au milieu de 1928. Mais, outre cette décision purement négative, le parti n’a reçu aucune orientation nouvelle. La possibilité d’une renaissance économique n’a pas été prise en considération par lui. Peut-on un seul instant douter que, si la direction de l’I.C. ne s’était pas occupée à de stupides accusations de liquidationnisme contre l’Opposition et avait compris à temps la situation, comme nous l’avons fait, le parti communiste chinois serait incontestablement plus fort, surtout dans le mouvement syndical ? Souvenons-nous que, pendant la plus forte montée de la deuxième révolution, dans la première moitié de 1927, il y avait 2 800 000 ouvriers organisés dans les syndicats sous l’influence du parti communiste. Actuellement, il y en a, selon Siu, autour de 60 000, et ce dans la Chine entière !

Et ces misérables "dirigeants", qui ont réussi à s’engager dans une impasse sans espoir, qui ont fait des dommages terrifiants, parlent des "renégats trotskystes" et pensent que par cette calomnie, ils peuvent réparer le dommage. C’est l’école de Staline ! Ce sont ses fruits !
16. Les Soviets et le caractère de classe de la révolution

Quel est, selon Staline, le rôle des soviets dans la révolution chinoise ? Quelle place leur a-t-il assigné dans l’alternance des étapes ? A quelle domination de classe sont-ils liés ?

Pendant l’Expédition du Nord, comme pendant la période de Wuhan, nous avons entendu Staline dire que les soviets peuvent être créés seulement après la réalisation de la révolution démocratique bourgeoise, seulement sur le seuil de la révolution prolétarienne. C’est précisément pour cela que le Bureau Politique, suivant aveuglément Staline, a obstinément rejeté le mot d’ordre des soviets avancé par l’Opposition :

"Le mot d’ordre des soviets ne signifie rien qu’un saut direct par-dessus l’étape de la révolution démocratique bourgeoise et l’organisation du pouvoir du prolétariat" ("Réponse du Bureau Politique" à l’Opposition et à ses thèses, avril 1927)

Le 24 mai, après le coup d’Etat de Shanghaï et pendant le coup de Wuhan, Staline prouvait de la façon suivante l’incompatibilité des soviets et la révolution démocratique bourgeoise :

"Mais les ouvriers ne s’y arrêteront pas s’ils ont des soviets de députés ouvriers. Ils diront aux communistes - et ils auront raison : si nous sommes les soviets et si les soviets sont les organes du pouvoir, alors ne pouvons-nous pas écraser un peu la bourgeoisie et les exproprier "un peu" ? Les communistes ne seraient que des outres gonflées de vent s’ils ne prennent pas le chemin de l’expropriation de la bourgeoisie avec l’existence des soviets de députés ouvriers et paysans. Est-il possible de prendre et devons-nous prendre cette route maintenant, dans la phase actuelle de la révolution ? Non, nous ne devrions pas."

Et qu’adviendra-t-il au Kuomintang quand (???-ND) sera passé à la révolution prolétarienne ? Staline avait tout prévu. Dans son discours aux étudiants du 13 mai 1927, que nous avons cité plus haut, Staline répondait :

"Je pense que, dans la période de la création des soviets de députés ouvriers et paysans et la préparation de l’Octobre chinois, le parti communiste chinois devra substituer au bloc actuel à l’intérieur du Kuomintang le bloc à l’extérieur du Kuomintang."

Nos grands stratèges avaient tout prévu - décidément tout prévu, sauf la lutte de classes. Même dans la question du passage la révolution prolétarienne, Staline a fourni au P.C. chinois un allié, avec le même Kuomintang. Pour réaliser la révolution socialiste, les communistes se sont vus permettre de quitter les rangs du Kuomintang, mais nullement de rompre le bloc avec lui. Comme on le sait, l’alliance avec la bourgeoisie était la meilleure condition pour la préparation de "l’Octobre chinois". Et on appelait tout cela le léninisme..

Quoi qu’il en sot, en 1925-1927, Staline posa la question des soviets de façon très catégorique, liant leur formation avec l’expropriation socialiste immédiate de la bourgeoisie. Il est vrai qu’il avait besoin de ce "radicalisme" à l’époque non pour défendre l’expropriation de la bourgeoisie, mais au contraire la défense de la bourgeoisie contre l’expropriation. Mais la façon de poser la question en principe était claire en tout cas : les soviets ne peuvent être exclusivement que les organes de la révolution socialiste. Telle était la position du Bureau Politique du P.C.U.S., telle était la position du C.E.I.C. Mais, à la fin de 1927, une insurrection a été menée à Canton à laquelle on a donné un caractère soviétique. Les communistes avaient le pouvoir. Ils ont décrété des mesures de caractère purement socialiste (nationalisation de la terre, des banques, des logements, des entreprises industrielles, etc.) Il semblerait que nous soyons confrontés à une révolution prolétarienne. Mais non. A la fin de février 1928, le 9° plenum du C.E.I.C. a dressé le bilan de l’insurrection de Canton. Et quel en fut le résultat ?

"L’année en cours dans la révolution chinoise est une période de révolution démocratique-bourgeoise, qui n’a pas été réalisée (...) La tendance à sauter par-dessus l’étape démocratique-bourgeoise de la révolution avec l’appréciation simultanée de la révolution comme une révolution "permanente" est une erreur semblable à celle de Trotsky en 1905"

Mais, dix mois auparavant (avril 1927), le Bureau Politique a déclaré que le mot d’ordre même de soviets (pas le trotskysme, le mot d’ordre des soviets !) signifie sauter par-dessus l’étape démocratique bourgeoise. Mais maintenant, après un épuisement total de toutes les variantes du Kuomintang, quand il fallut sanctionner le mot d’ordre des soviets, on nous a dit que seuls des trotskystes peuvent lier ce mot d’ordre avec la dictature prolétarienne. C’est ainsi que fut révélé que Staline en 1925-27 était un... trotskyste, malgré tout le reste.

Il est vrai que le programme de l’I.C. a opéré aussi un tournant décisif sur cette question. Parmi les plus importantes tâches des pays coloniaux, le programme mentionnait : "L’établissement d’une dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie basée sur les soviets". Réellement miraculeux ! Ce qui était incompatible hier avec la révolution démocratique fut aujourd’hui proclamé comme son fondement. On chercherait vainement une explication de ce complet saut périlleux. Tout fût fait de façon très administrative.

Dans quel cas Staline avait-il tort ? Quand il déclarait que les soviets étaient incompatibles avec la révolution démocratique ou quand il déclarait que les soviets devaient être la base de la révolution démocratique ? Dans les deux cas cependant, Staline ne comprend pas la signification de la dictature prolétarienne, leurs rapports mutuels, et le rôle que peuvent jouer les soviets en liaison avec eux.

Il se manifesta cependant sous son meilleur jour, même en quelques mots, au 16° congrès du P.C.U.S.
17. La question chinoise au 16e congrès du P.C.U.S.

Dans son rapport de dix heures, Staline, aussi envie qu’il en ait eu, ne pouvait complètement ignorer la question de la révolution chinoise. Il y consacra exactement cinq phrases. Et quelles phrases ! En vérité, "multum in parvo" comme disaient les Romains. Désirant éviter tous les angles aigus, s’abstenir des généralisations risquées et encore plus de pronostics concrets, Staline, en quelques phrases, a réussi à faire toutes les erreurs qu’il lui restait à faire.

"Il serait ridicule de penser que le comportement des impérialistes ne sera pas impuni. Les ouvriers et paysans chinois ont déjà répondu par la création de soviets et une Armée rouge. On dit qu’un gouvernement soviétique a déjà été créé là. Je pense que si c’est vrai, il n’y a là rien de surprenant. Il n’est pas douteux que seuls les soviets peuvent sauver la Chine du démembrement total et de la paupérisation" (Pravda, 29 juin 1930)

"Il serait ridicule de penser". Voilà la base des conclusions ultérieures. Si le comportement des impérialistes doit inévitablement provoquer une réponse sous la forme des soviets et d’une Armée rouge, alors comment se fait-il que l’impérialisme existe encore en ce monde ?

"On dit qu’un gouvernement soviétique y a déjà été créé". Que veut dire "on dit" ? Qui le dit ? Et, plus important, qu’est-ce que le parti communiste a à dire ? Il fait partie de l’I.C. et son représentant a parlé au congrès. Cela signifie-t-il que le "gouvernement soviétique" a été créé en Chine sans le P.C. et sans son consentement ? Alors qui dirige le gouvernement ? Quels sont ses membres ? Quel parti a le pouvoir ? Non seulement Staline ne répond pas, mais il ne pose même pas la question.

"Je pense que si (!) c’ est vrai (!), il n’y a là rien de surprenant" Il n’y a rien de surprenant dans le fait qu’en Chine il a été créé un gouvernement soviétique sans le parti communiste et sans qu’il le sache, et sur la physionomie duquel le plus grand dirigeant de la révolution chinoise ne peut nous donner aucune information. Qu’est-ce d’autre au monde qui peut nous surprendre ?

"Il n’est pas douteux que seuls les soviets peuvent sauver la Chine du démembrement et de la paupérisation". Quels soviets ? Jusqu’à présent, nous avons vu toutes sortes de soviets : les soviets de Tseretelli , ceux d’Otto Bauer et de Scheidemann, d’un côté, les soviets bolcheviks de l’autre. Les soviets de Tseretelli ne pouvaient sauver la Russie du démembrement et de la paupérisation. Au contraire, toute leur politique allait vers la transformation de la Russie en une colonie de l’Entente. Seuls les bolcheviks ont transformé les soviets en une arme pour la libération des masses laborieuses. Quelle sorte de soviets sont les chinois ? Si le parti communiste chinois ne peut rien en dire, cela veut dire qu’il ne les dirige pas. Qui, alors ? Sauf les communistes, seuls des éléments de hasard, intermédiaires, gens d’un "Tiers parti", en un mot, des fragments du Kuomintang de second ou troisième rang, peuvent venir à la tête des soviets et créer un "gouvernement soviétique".

Hier encore, Staline pensait qu’il serait ridicule de penser à la création de soviets en Chine avant la réalisation de la révolution démocratique. Maintenant, il semble penser - si ses cinq phrases ont un sens - que, dans la révolution démocratique, les soviets peuvent sauver le pays même sans l’aide des communistes.

Parler d’un gouvernement soviétique sans parler de la dictature du prolétariat signifier tromper les ouvriers et aider la bourgeoisie , tromper les paysans. Mais parler de la dictature du prolétariat sans parler du rôle dirigeant du parti communiste signifie une fois de plus transformer la dictature du prolétariat en piège pour le prolétariat. Le parti communiste chinois cependant est maintenant extrêmement faible. Le nombre de ses membres ouvriers est limité à quelques centaines. Il y a aussi 50 000 ouvriers dans les syndicats rouges environ. Dans ces conditions, parler de la dictature du prolétariat comme une tâche immédiate, est de toute évidence impensable.

D’un autre côté, un large mouvement paysan est en train de se développer en Chine du Sud dans lequel prennent part des bandes de partisans. L’influence de la Révolution d’Octobre, en dépit des années de direction des épigones, est encore si grande en Chine que les paysans appellent leur mouvement "soviétique" et leurs bandes de partisans "armées rouges". Cela montre une fois de plus les profondeurs du philistinisme de Staline dans la période où, s’élevant contre les soviets, il disait qu’il ne fallait pas effrayer les masses du peuple chinois par une "soviétisation artificielle". Seul Tchang Kaï-Chek aurait pu en être effrayé, mais pas les ouvriers, pas les paysans pour qui, après 1917, les soviets sont devenus le symbole de l’émancipation. Les paysans chinois, on le comprend, ne mettent pas peu d’illusions dans le mot d’ordre des soviets. Ils sont pardonnables en cela. Mais est-ce pardonnable chez les suivistes dirigeants qui se bornent à une généralisation couarde et ambiguë des illusions de la paysannerie chinoise, sans expliquer au prolétariat la signification réelle des événements ?

"Il n’y a rien là de surprenant" dit Staline. Si les paysans chinois, sans la participation des centres industriels et sans la direction du parti communiste, ont créé un gouvernement soviétique. Mais nous disons que l’apparition d’un gouvernement soviétique dans ces circonstances est absolument impossible. Non seulement les bolcheviks, mais même le gouvernement Tseretelli ou demi-gouvernement des soviets ne pourraient apparaître que sur la base des villes. Penser que la paysannerie est capable de créer son gouvernement soviétique indépendamment signifie croire aux miracles. Ce serait le même miracle de créer une Armée rouge paysanne. Les partisans paysans ont joué un grand rôle révolutionnaire dans la révolution russe, mais sous l’existence de centres de dictature du prolétariat et d’une Armée rouge centralisée.

Avec la faiblesse du mouvement ouvrier actuellement, et avec la plus grande faiblesse encore du parti communiste, il est difficile de parler d’une dictature du prolétariat comme la tâche du jour en Chine. C’est pourquoi Staline, nageant à la suite du soulèvement paysan, est obligé, en dépit de ses déclarations antérieures, de lier les soviets paysans, l’armée rouge paysanne avec la dictature démocratique bourgeoise. La direction de la dictature, qui est une tâche trop lourde pour le parti communiste, est remise à quelque autre parti politique, à quelque révolutionnaire. Puisque Staline a empêché les ouvriers et paysans chinois de mener la lutte pour la dictature du prolétariat, alors quelqu’un doit maintenant aider Staline en se chargeant du gouvernement soviétique comme l’organe de la dictature démocratique bourgeoise. Comme motivation de cette perspective nouvelle, on nous présente cinq arguments et en cinq phrases. Les voilà :
"Il serait ridicule de penser" ;
"On dit" ;
"S’il est vrai" ;
"Il n’y a là rien de surprenant" ;
"Il n’est pas douteux".

Voilà l’argumentation administrative dans, toute sa splendeur et sa puissance ! Nous mettons en garde : c’est le prolétariat chinois qui devra de nouveau payer pour cette honteuse mixture.
18. Le caractère des "erreurs" de Staline

Il y a erreurs et erreurs. Dans les différentes sphères de la pensée humaine, il peut y avoir des erreurs très importantes qui découlent d’un examen insuffisamment attentif de l’objet, de données factuelles insuffisantes, d’une trop grande complexité des facteurs à considérer, etc. Parmi celles-ci, nous pouvons considérer les erreurs des météorologues dans la prédiction du temps, qui sont typiques, de toute une série d’erreurs dans le domaine de la politique. Cependant les erreurs d’un météorologue instruit, à l’esprit vif sont souvent plus utiles à la science que la conjecture d’un empirique, même s’il est par hasard confirmé par les faits. Mais que dire d’un géographe savant, du dirigeant d’une expédition polaire qui partirait de l’idée que la terre repose sur trois baleines ? Les erreurs de Staline sont presque toutes de cette catégorie. Ne s’élevant jamais au marxisme en tant que méthode, utilisant l’une après l’autre une formule "marxiste" de façon rituelle, Staline dans ses actions pratiques prend pour point de départ les préjugés empiriques les plus noirs. Mais telle est la dialectique du processus. Ces préjugés deviennent la principale force de Staline dans la période du déclin révolutionnaire. Ce sont eux qui lui ont permis de jouer le rôle qu’elle ne voulait pas jouer subjectivement.

La bureaucratie lourde, séparée de la classe révolutionnaire qui a pris le pouvoir s’est emparée de l’empirisme de Staline pour son caractère mercenaire, pour son total cynisme en matière de principes, pour faire de lui son dirigeant et pour créer la légende de Staline qui est la légende dorée de la bureaucratie elle-même. C’est l’explication de comment et pourquoi la personne forte mais tout à fait médiocre qui occupé des rôles de troisième et de quatrième ordre dans la montée de la révolution s’est révélée appelée à jouer le rôle dirigeant dans les années de son reflux, dans les années de stabilisation de la bourgeoisie mondiale, la régénération de la social-démocratie, l’affaiblissement de l’I.C. et la dégénérescence conservatrice des plus larges cercles de la bureaucratie soviétique.

Les Français disent d’un homme : ses défauts sont ses qualités. De Staline on peut dire : ses défauts se révèlent à son avantage. Toute la lutte de classe mélangée dans sa limitation théorique, son adaptabilité politique, son aveuglement politique, en un mot ses défauts de révolutionnaire prolétarien, pour faire de lui un homme d’Etat dans la période de l’émancipation d’Octobre, du marxisme, du bolchevisme.

La révolution chinoise a été un examen du rôle nouveau de Staline - par la méthode inverse. Ayant pris le pouvoir en U.R.S.S. avec l’aide des couches qui ont rompu avec la révolution internationale et avec l’aide indirecte mais très réelle des classes hostiles. Staline est devenu automatiquement le dirigeant de l’I.C. et par cela, le seul dirigeant de la révolution chinoise. Le héros passif du mécanisme d’appareil de derrière la scène devait montrer sa méthode et sa qualité dans les événements d’un grand flot révolutionnaire. C’est là que réside le tragique paradoxe du rôle de Staline en Chine.

Ayant subordonné les ouvriers chinois à la bourgeoisie, freiné le mouvement agraire, soutenu les généraux réactionnaires, désarmé les ouvriers, empêché l’apparition des soviets et liquidé ceux qui sont apparus, Staline a joué jusqu’au bout le rôle historique que Tseretelli avait seulement essayé de jouer en Russie. La différence est que Tseretelli agit sur une arène ouverte, avec contre lui les bolcheviks et qu’il a eu immédiatement et sur place à porter la responsabilité de la tentative de livrer à la bourgeoisie une classe ouvrière ligotée et dupée. Staline cependant, a agi surtout en Chine dans les coulisses, défendu par un appareil puissant et drapé dans le drapeau du bolchevisme. Tseretelli s’appuyait sur les répressions du pouvoir contre les bolcheviks faites par la bourgeoisie. Staline cependant a lui-même appliqué la répression au bolcheviks-léninistes (Opposition). La répression de la bourgeoisie a été ébranlée par la vague montante. La répression de Staline l’a été par le reflux de la vague. C’est pourquoi il était possible pour Staline de mener l’expérience d’une politique purement menchevique jusqu’au bout dans la révolution chinoise, en réalité, la catastrophe la plus tragique.

Mais qu’en est-il du paroxysme de gauche actuel de la politique stalinienne ? Voir dans cet épisode - et le zigzag à gauche avec toute sa signification va néanmoins passer à l’histoire comme un épisode - une contradiction par rapport à ce qui a été dit, ne peut être fait que par des gens à courte vue qui ne comprennent rien à la dialectique de la conscience humaine en liaison avec la dialectique du processus historique. Le déclin de la révolution comme sa montée ne se fait pas en droite ligne. Le dirigeant empirique de la baisse de la révolution - "Vous pensez que vous bougez, en réalité on vous fait bouger" (Goethe) - ne pouvait pas à un certain moment ne pas s’effrayer devant cet abîme de trahison sociale au bord duquel il a été pressé en 1925-27 par ses propres qualités, utilisé par des forces semi-hostiles et hostiles au prolétariat. Et comme la dégénérescence de l’appareil n’est pas un processus uniforme, comme les tendances révolutionnaires dans les masses sont fortes, alors, pour le tournant vers la gauche s’éloignant du bord de l’abîme thermidorien, il y a eu assez de points d’appui et de réserves à portée de la main. Le tournant a pris le caractère de sautes paniques, précisément parce que cet empirique n’avait rien prévu avant d’être arrivé au bord du précipice. L’idéologie du saut à gauche était préparée par l’Opposition de gauche - il ne restait plus qu’à utiliser son travail, par pièces et morceaux, comme il convient à un empiriste. Mais le paroxysme aigu du gauchisme ne change pas le processus de base de l’évolution de la bureaucratie, ni la nature de Staline lui-même.

L’absence chez Staline de préparation théorique, d’un horizon large, d’une imagination créatrice - ces traits sans lesquels il ne peut y avoir de travail indépendant sur une large échelle - expliquent pleinement pourquoi Lenine, qui estimait Staline comme un assistant pratique, a néanmoins recommandé que le parti l’écarte du poste de Secrétaire Général quand il devint clair que ce poste pouvait revêtir une signification indépendante. Lenine n’a jamais vu en Staline un dirigeant politique.

Laissé à lui-même, Staline a toujours invariablement pris des positions opportunistes sur toutes les questions importantes. Si Staline n’a pas eu de conflits théoriques ou politiques importants avec Lenine, comme Boukharine, Kamenev, Zinoviev et même Rykov, c’est parce que Staline n’a jamais tenu à des idées principielles et, dans tous les cas de sérieux désaccords, s’est simplement tenu tranquille en se mettant sur la touche et a attendu. Et pourtant, Lenine a eu souvent des conflits pratiques, organisationnels, moraux avec Staline, parfois très aigus, précisément à cause de ces défauts de Staline que Lenine, avec tant de prudence dans la forme mais impitoyablement sur le fond a caractérisés dans son "testament".

A tout ce qui a été dit nous devons ajouter le fait que Lenine travaillait la main dans la main avec un groupe de collaborateurs, dont chacun apportait dans le travail connaissances, initiative personnelle, talent distinct. Staline est entouré, surtout après la liquidation de la droite, de médiocrités accomplies, dénuées de tout horizon international et incapables de produire une opinion indépendante sur une seule question du mouvement ouvrier mondial.

Entre-temps, la signification de l’appareil a considérablement grandi depuis "l’époque de Lenine". La direction de Staline dans la révolution chinoise est précisément le fruit d’une combinaison de ces situations théoriques, politiques et nationales, avec la grande puissance de l’appareil. Staline s’est montré incapable d’apprendre. Ses cinq phrases sur la Chine au 16° congrès sont profondément pénétrées de ce même organique opportunisme qui a gouverné la politique de Staline aux premières étapes de la lutte du peuple chinois. La fossoyeur de la deuxième révolution chinoise est en train, sous nos yeux, de se préparer à étrangler dès son début la troisième révolution chinoise.

Notes

[1] L’hôtel Lux de Moscou était l’hôtel où étaient logés les dignitaires étrangers de l’I.C.


Document : Léon Trotsky LA GUERRE DES PAYSANS EN CHINE ET LE PROLÉTARIAT (Letttre aux Bolcheviks-léninistes chinois) 22 septembre 1932

« Après une longue interruption, nous avons enfin reçu votre lettre du 15 juin. Il est superflu de vous dire combien nous nous félicitons de la résurrection de l’Opposition de Gauche chinoise, après la désorganisation apportée dans ses rangs par les persécutions policières. Pour autant que l’on puisse juger d’ici avec nos informations tout à fait insuffisantes, la position exprimée dans votre lettre concorde avec la nôtre. L’attitude intransigeante envers les opinions démocratiques vulgaires des staliniens sur le mouvement paysan, ne peut évidemment rien avoir de commun avec une attitude passive et inattentionnée envers le mouvement paysan lui-même. Le manifeste de l’Opposition de Gauche internationale publié il y a deux ans (Sur les perspectives et les tâches de la révolution chinoise), appréciant le mouvement paysan des provinces du sud de la Chine, disait : "La révolution chinoise trahie, détruite, exsangue, montre qu’elle est vivante. Espérons que le temps n’est plus loin où elle lèvera de nouveau sa tête prolétarienne." Et plus loin : "La large crue du soulèvement paysan peut incontestablement donner une impulsion à l’animation de la lutte politique dans les centres industriels. Nous comptons fermement là-dessus." Votre lettre montre que, sous l’influence de la crise et de l’intervention japonaise, la lutte des ouvriers des villes renaît sur le fond de la guerre paysanne. Dans notre manifeste nous écrivions sur ce fait, avec toute la prudence nécessaire : " Personne ne peut prédire d’avance si les foyers des soulèvements paysans se maintiendront sans interruption pendant toute la période prolongée dont l’avant-garde prolétarienne aurait besoin pour se renforcer, pour engager dans la bataille la classe ouvrière, et accorder sa lutte pour le pouvoir avec les offensives paysannes généralisées contre ses ennemis les plus immédiats. " Actuellement, il semble que l’on puisse exprimer avec quelque certitude l’espoir qu’avec une juste politique on réussisse à lier le mouvement ouvrier, et d’une façon générale, le mouvement des villes, avec la guerre paysanne. Cela serait le commencement de la troisième révolution chinoise. Mais pour l’instant, ce n’est là qu’un espoir, et non une certitude. Le principal travail reste à accomplir dans l’avenir. Dans cette lettre je ne voudrais poser qu’un seul problème, en tout cas celui qui me semble avoir de beaucoup la plus grande importance et être le plus brûlant. Je vous rappelle encore une fois que les informations dont je dispose sont absolument insuffisantes, occasionnelles et fragmentaires. C’est avec plaisir que j’accueillerais toute information complémentaire et toute rectification. Le mouvement paysan a créé son armée, a conquis un grand territoire, et l’a couvert de ses institutions. Au cas de nouveaux succès, – et nous souhaitons évidemment ces succès – le mouvement se heurtera aux centres citadins et industriels, et par là-même, se trouvera face à face avec la classe ouvrière. Comment se passera cette rencontre ? Sera-t-elle assurée d’un caractère pacifique et amical ? Cette question peut sembler à première vue superflue. A la tête du mouvement paysan se trouvent des communistes ou des sympathisants ; n’est-il donc pas évident que les ouvriers et les paysans doivent, lorsqu’ils se rencontreront, s’unifier sous le drapeau du communisme ? Malheureusement, le problème n’est pas si simple. Je m’appuierai sur l’expérience de la Russie. Durant les années de la guerre civile, la paysannerie, dans différentes régions, créait ses propres troupes de partisans, et parfois même, naissaient des armées entières. Quelques-uns de ces corps d’armée se considéraient comme bolcheviks et étaient souvent dirigés par des ouvriers. D’autres restaient sans parti et avaient à leur tête le plus souvent d’anciens sous-officiers paysans. Il y avait aussi l’armée " anarchiste " sous le commandement de Makhno. Tant que les armées de partisans agissaient sur le revers de l’armée blanche, elles servaient la cause de la révolution. Certaines d’entre elles se remarquaient par un héroïsme et une ténacité particulière. Mais, dans les villes, ces armées entraient souvent en conflit avec les ouvriers et avec les organisations locales du parti. Les conflits naissaient aussi lors de la rencontre des partisans et de l’armée rouge régulière, et dans certains cas, cela prenait un caractère aigu et morbide. La rude expérience de la guerre civile nous a démontré la nécessité dé désarmer les corps d’armée des paysans dès que l’armée rouge assumait le pouvoir dans une région débarrassée des gardes blancs. Les meilleurs éléments, les plus conscients et les plus disciplinés, s’intégraient dans les rangs de l’armée rouge. Mais la plus grande partie des partisans tentait de conserver une existence indépendante, et entrait souvent en lutte armée directe avec le pouvoir soviétique. Il en fut ainsi avec l’armée " anarchiste ", indirectement koulak par son esprit, de Makhno, mais pas seulement avec elle. De nombreux corps paysans, luttant fermement contre la restauration des propriétaires fonciers, se transformaient après la victoire en une arme de la contre-révolution. Les conflits armés entre les paysans et les ouvriers, quelle qu’en soit l’origine dans les cas particuliers, que ce soit la provocation consciente des gardes blancs, le manque de tact des communistes, ou le concours malheureux dés circonstances, avaient à leur base la même cause sociale : la situation de classe et l’éducation différenciée des ouvriers et des paysans. L’ouvrier aborde les problèmes sous l’angle socialiste ; le paysan sous l’angle petit-bourgeois. L’ouvrier tente de socialiser la propriété qu’il a reprise à ses exploiteurs ; le paysan, tente, lui, de la partager. L’ouvrier veut faire servir les châteaux et les parcs dans l’intérêt général ; le paysan, pour peu qu’il ne puisse les partager, est enclin à brûler les châteaux et à déboiser les parcs. L’ouvrier fait effort pour résoudre les problèmes à l’échelle étatique, et selon un plan ; mais le paysan aborde tous les problèmes à l’échelle locale, et se conduit d’une façon hostile envers le plan du centre, etc... Il est évident que le paysan peut lui aussi s’élever jusqu’à un point de vue socialiste. Sous le régime prolétarien, une masse de plus en plus grande de paysans se rééduque dans l’esprit socialiste. Mais cela exige du temps, – des années, et même des décades. Si l’on n’envisage que la première étape de la révolution, alors les contradictions entre le socialisme prolétarien et l’individualisme paysan prennent souvent un caractère aigu. Mais ce sont des communistes qui se trouvent à la tête des armées rouges chinoises. Cela n’exclut-il pas les conflits entre les corps paysans et les organisations ouvrières ? Non cela ne les exclut pas. Le fait que des communistes se trouve individuellement à la tête des armées paysannes ne change en rien le caractère social de ces dernières, même si la direction communiste a une bonne trempe prolétarienne. Mais comment la situation se présente-t-elle en Chine ? Parmi les dirigeants communistes des corps de partisans rouges, il y a, sans aucun doute, pas mal d’intellectuels ou de semi-intellectuels déclassés qui ne sont pas passés par la sérieuse école de la lutte prolétarienne. Durant deux ou trois ans, ils vivent la vie des commandants et des commissaires de partisans. Ils commandent, ils conquièrent des territoires, etc... Ils s’imprègnent de l’esprit du milieu environnant. La plus grande partie des communistes du rang dans les corps de partisans rouges se compose de toute évidence de paysans qui, très honnêtement et sincèrement, se prennent pour des communistes, mais qui sont des révolutionnaires "paupérisés" ou des petits propriétaires révolutionnaires. Celui qui, en politique, juge selon les étiquettes et les dénominations, et non selon les faits sociaux, est perdu. Surtout lorsqu’il s’agit d’une politique qui se fait l’arme à la main. Le véritable parti communiste est l’organisation de l’avant-garde prolétarienne. En outre, la classe ouvrière de Chine se trouve depuis quatre ans dans une situation dispersée et asservie, et c’est seulement maintenant qu’apparaissent les symptômes d’une renaissance. Lorsque le Parti communiste, fermement appuyé sur le prolétariat des villes, essaye de commander l’armée paysanne par une direction ouvrière, c’est une chose. C’est tout autre chose lorsque quelques milliers, ou même quelques dizaines de milliers de révolutionnaires qui dirigent la guerre paysanne, sont ou se déclarent communistes, sans avoir aucun appui sérieux dans le prolétariat. Or, telle est avant tout la situation en Chine. Cela accroît dans une grande mesure le danger des conflits possibles entre les ouvriers et les paysans armés. Dans tous les cas, les provocateurs bourgeois ne manqueront pas. En Russie, à l’époque de la guerre civile, le prolétariat était au pouvoir dans la plus grande partie du pays. La direction de la lutte appartenait à un parti fermement trempé, et malgré cela, les corps de paysans, qui étaient incomparablement plus faibles que l’armée rouge, entraient souvent en conflit avec elle lorsque celle-ci avançait victorieusement sur le territoire des partisans paysans. En Chine, la situation absolument désavantageuse des ouvriers est visible. Dans les principaux centres de la Chine, le pouvoir appartient aux militaristes bourgeois. Dans d’autres districts, aux dirigeants des paysans armés. Le prolétariat, lui, n’a de pouvoir nulle part. Les syndicats sont faibles, et l’influence du parti parmi les ouvriers infime. Les corps des partisans paysans qui ont la pleine conscience de la victoire acquise sont couverts par l’I.C. Ils se nomment " l’armée rouge ", c’est-à-dire qu’ils s’identifient ainsi avec le pouvoir soviétique armé. On voit que les éléments dirigeants de la paysannerie révolutionnaire de Chine s’attribuent par avance une valeur politique et morale qui, en réalité, appartient aux ouvriers chinois. Ne peut-il pas en résulter que toutes ces valeurs se retourneront à un moment donné contre les ouvriers ? Il est évident que les paysans pauvres qui constituent la majorité en Chine, pour peu qu’ils réfléchissent politiquement, et ceux-là sont une infime minorité, désirent sincèrement et ardemment l’union et l’amitié avec les ouvriers. Mais la paysannerie, même armée, est incapable de mener une politique indépendante. Occupant dans les circonstances actuelles une situation indéterminée et instable, la paysannerie peut au moment décisif, aller soit vers le prolétariat, soit vers la bourgeoisie. La paysannerie ne trouve pas facilement la voie vers le prolétariat, et elle ne la trouve qu’après une série d’erreurs et de défaites. Le pont entre la paysannerie et la bourgeoisie est constitué par la moyenne bourgeoisie citadine, principalement par les intellectuels qui interviennent sous le drapeau du socialisme, et même du communisme. Les cercles dirigeants de l’armée rouge chinoise ont, sans aucun doute, réussi à se créer une psychologie de commandement. En l’absence d’un fort parti révolutionnaire et d’organisations de masses prolétariennes, il ne peut y avoir en fait de contrôle sur les cercles dirigeants. Les commandants et les commissaires apparaissent comme les maîtres incontestés de la situation et, en entrant dans les villes, ils seront avant tout enclins à regarder les ouvriers de haut en bas. Les revendications des ouvriers leur sembleront souvent inopportunes et mal venues. Il ne faut pas oublier aussi des " futilités ", comme celle-ci : dans les villes, l’Etat-major et toute l’organisation de l’armée ne s’installent pas dans les taudis prolétariens, mais au contraire, dans les meilleurs édifices de la ville, dans les maisons, et les appartements des bourgeois. C’est une raison qui peut pousser le sommet de l’armée paysanne à se considérer comme une partie de la classe " cultivée et instruite ", et non comme le prolétariat. Ainsi, en Chine, des causes et des motifs d’une conflagration entre l’armée paysanne par son contenu et petite-bourgeoise par sa direction – et les ouvriers, existent. Et même toute la situation augmente considérablement les possibilités et même l’inévitabilité de tels conflits. Par là même, les chances du prolétariat se présentent dès le début moins favorablement qu’en Russie. Du point de vue théorique et politique, le danger s’accroît d’autant plus que la bureaucratie stalinienne recouvre cette situation pleine de contradictions, par le mot d’ordre de la " dictature démocratique des ouvriers et des paysans ". Peut-on trouver un piège plus agréable extérieurement, plus perfide en son essence ? Les épigones réfléchissent non pas avec une compréhension sociale, mais avec des phrases toutes faites : le formalisme est le trait fondamental de la bureaucratie. Les populistes (narodniki) russes reprochaient parfois aux marxistes russes leur ignorance de la paysannerie, leur aveuglement sur le travail à faire à la campagne, etc... A quoi les marxistes répondaient : " Nous soulevons et organisons les ouvriers du rang, et grâce à eux, nous soulèverons la paysannerie. Telle est la seule voie du parti prolétarien. " Dans les années 1925-1927 de la révolution, les staliniens ont soumis directement et sans recours les intérêts des paysans à ceux de la bourgeoisie nationale. Dans les années de la contre-révolution, ils sont passés du prolétariat à la paysannerie, et ainsi, ont pris sur eux le rôle qu’assumaient chez nous les socialistes-révolutionnaires au temps où ils étaient un parti révolutionnaire. Si, durant ces dernières années, le Parti communiste chinois avait concentré son effort dans les villes, dans les centres industriels, dans les chemins de fer, s’il avait soutenu les syndicats, fréquenté les clubs de culture et les cercles, si, sans se séparer des ouvriers, il leur avait appris ce qui se passait au village, – la situation du prolétariat dans le rapport général des forces serait aujourd’hui beaucoup plus favorable. En fait, le parti s’est séparé de sa propre classe. Justement pour cela, il peut porter en fin de compte un préjudice à la paysannerie, car, si le prolétariat est et reste dans l’avenir à l’écart, sans organisation et sans direction, alors la guerre paysanne, même en plein succès, s’enlisera. Dans la vieille Chine, chaque victoire de la révolution paysanne se terminait par la création d’une nouvelle dynastie, avec, en outre, de nouveaux grands propriétaires. Le mouvement aboutissait à un cercle vicieux. Dans la situation actuelle, la guerre paysanne, par elle-même sans une direction immédiate de l’avant-garde prolétarienne, ne peut que donner le pouvoir à une nouvelle clique de la bourgeoisie, à un quelconque Kuomintang de " gauche ", à un "troisième parti ", qui en pratique se différencieront très peu du Kuomintang de Tchang-Kai-Chek. Et cela signifierait une nouvelle défaite des ouvriers due à l’arme de la " dictature démocratique ". Quelles conclusions peut-on tirer de là ? La première conclusion est qu’il faut fermement et ouvertement regarder les faits en face. Le mouvement paysan est un grand facteur révolutionnaire dans la mesure où il est dirigé contre les gros propriétaires fonciers, les militaristes, les geôliers et les usuriers. Mais dans le mouvement paysan lui-même, il y a une très forte tendance réactionnaire et de propriétaires. Et à un certain stade la paysannerie peut se retourner contre les ouvriers, en ayant en outre les armes à la main. Celui qui oublie la double origine de la paysannerie n’est pas un marxiste. Il faut apprendre aux ouvriers du rang à différencier par des connaissances et des recherches " communistes " les processus sociaux réels. Il faut suivre avec soin les opérations de l’armée rouge ", éclairer systématiquement aux yeux des ouvriers la marche, la signification et les perspectives de la guerre paysanne, et lier les revendications actuelles et les problèmes du prolétariat avec le mot d’ordre de la libération de la paysannerie. Sur la base de vos propres investigations, de rapports et autres documents, il faut étudier avec ténacité la vie intérieure des armées paysannes et des corps d’armées dans les régions occupées par elle, dévoiler sur des faits concrets les tendances de classe contradictoires, et montrer clairement aux ouvriers quelles sont les tendances que nous soutenons, et quelles sont celles que nous combattons. Il faut veiller avec attention à la coordination entre l’armée rouge et les ouvriers des petites localités sans perdre de vue même les plus petites discordances entre eux. Dans le cadre des conflits de villes et de rayons isolés, même très aigus, ces discordances peuvent sembler des épisodes locaux, mais, dans un développement ultérieur des événements, les conflits de classe peuvent s’étendre à l’échelle nationale, et mener la révolution à la catastrophe, c’est-à-dire jusqu’à une nouvelle destruction des ouvriers par les paysans armés trompés par la bourgeoisie. L’histoire de la révolution est pleine d’exemples semblables. Dans la mesure où les ouvriers comprendront plus clairement la dialectique vivante des relations de classe entre le prolétariat, la paysannerie et la bourgeoisie, plus ils rechercheront sans hésitations des liaisons avec les couches paysannes les plus proches, et plus ils se dresseront ardemment contre les provocateurs contre-révolutionnaires, tant dans le cadre des armées paysannes elles-mêmes, que dans les villes. Il faut créer des unions syndicales, des cellules du parti, éduquer des ouvriers du rang, unifier l’avant-garde prolétarienne et l’entraîner dans la lutte. Il faut s’adresser à tous les membres du parti officiel par des appels, et des demandes d’éclaircissements. Il est vraisemblable que les ouvriers communistes liés à la fraction stalinienne ne nous comprendront pas immédiatement. Les bureaucrates hurleront sur notre " sous-estimation " de la paysannerie, et même, s’il vous plaît, sur notre " hostilité " envers la paysannerie (Tchernov accusait toujours Lénine d’hostilité envers la paysannerie). Il est évident que de tels cris n’émouvront pas les bolcheviks-léninistes. Lorsqu’avant avril 1927 nous donnions les avertissements nécessaires contre le coup d’Etat inévitable de Tchang-Kaï-Chek, les staliniens nous accusaient d’hostilité envers la révolution nationale chinoise. Les événements ont démontré qui a eu raison. Les événements apporteront de nouveau leur vérification. L’opposition de gauche peut apparaître trop faible pour impulser dans l’étape présente une direction aux événements dans l’intérêt du prolétariat. Mais elle est suffisamment forte dès maintenant pour montrer aux ouvriers la voie juste et, s’appuyant sur le développement ultérieur de la lutte de classes, pour démontrer aux yeux des ouvriers sa justesse et sa perspicacité politique. Ce n’est qu’ainsi que le parti révolutionnaire peut conquérir la confiance, croître, se fortifier, et se mettre à la tête des masses populaires. Prinkipo, 22 septembre 1932.

P. S . Pour donner le plus de clarté possible à ma pensée, je noterai la variante théorique suivante, qui est fort plausible. Supposons que l’Opposition de Gauche développe dans le plus prochain avenir un travail énorme et plein de succès au sein du prolétariat industriel et acquière en son sein une influence capitale. Le parti communiste officiel continue, pendant ce temps, à limiter toutes ses forces à "l’armée rouge" et aux rayons paysans. Arrive le moment où les troupes paysannes entrent dans les centres industriels et se heurtent aux ouvriers. Il n’est pas difficile de prévoir qu’ils opposeront hostilement l’armée paysanne aux " contre-révolutionnaires trotskystes ". En d’autres termes, ils se mettront à surexciter les paysans armés contre les ouvriers du rang. C’est ainsi qu’ont agi les S. R. russes et les mencheviks en 1917 ; ayant perdu les ouvriers, ils luttèrent de toutes leurs forces pour conserver leur appui unitaire, et envoyèrent les casernes contre les usines, le paysan armé contre l’ouvrier bolchevik. Kerenski, Tseretelli, Dan, baptisaient les bolcheviks si ce n’est du nom de " contre-révolutionnaire ", tout au moins " d’agents involontaires " ou " d’aides inconscients " de la contre-révolution. Les staliniens s’embarrassent moins que quiconque de la terminologie politique. Mais les tendances sont identiques : une orientation hostile des paysans et en général des éléments petits-bourgeois contre les détachements du rang de la classe ouvrière. Le centrisme bureaucratique, en tant que centrisme ne peut avoir une base de classe indépendante. Mais dans sa lutte contre les bolcheviks-léninistes, il est contraint de rechercher un appui à droite, c’est-à-dire dans la paysannerie et la petite-bourgeoisie, les opposant au prolétariat. La lutte des deux fractions communistes, les staliniens et les bolcheviks-léninistes renferme ainsi en son sein, des tendances à se transformer en une lutte de classe. Le développement révolutionnaire en Chine peut développer ces tendances jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la guerre civile entre les dirigeants de l’armée paysanne et l’avant-garde prolétarienne sous la direction des léninistes. Si un tel conflit, par la faute des staliniens, survenait, cela signifierait que l’Opposition de Gauche et la fraction stalinienne cesseraient d’être des fractions communistes mais seraient devenues des partis politiques hostiles l’un à l’autre, ayant une base de classe différente. Une telle perspective est-elle inévitable ? Non, je ne le pense aucunement. Dans la fraction stalinienne (P.C. chinois officiel), il y a non seulement des paysans, c’est-à-dire des petits-bourgeois mais aussi des tendances prolétariennes. Il est de toute première importance pour l’Opposition de Gauche de rechercher un rapprochement avec l’aile prolétarienne des staliniens, de lui développer les appréciations marxistes sur les " armées rouges " et en général sur la relation entre le prolétariat et la paysannerie. Gardant son indépendance politique, l’avant-garde prolétarienne doit être inévitablement prête à réaliser l’unité d’action avec la démocratie révolutionnaire. Si nous ne sommes pas d’accord pour identifier les corps armés des paysans avec l’armée rouge, comme la force armée du prolétariat, si nous ne sommes pas enclins à fermer les yeux sur le fait que l’on couvre le drapeau communiste par le mouvement paysan d’un contenu petit-bourgeois, par contre, nous nous rendons parfaitement compte de la signification, de l’importance énorme du caractère démocratique-révolutionnaire des guerres de paysans, nous apprenons aux ouvriers à comprendre cette signification et nous sommes prêts à faire tout ce qui est en notre pouvoir, pour aboutir avec les organisations paysannes à un accord militaire nécessaire. Notre tâche consiste, en conséquence, non seulement à empêcher tout commandement militaire et politique sur le prolétariat de la part de la démocratie petite-bourgeoise, s’appuyant sur les paysans armés, mais aussi à préparer et assurer la direction prolétarienne sur le mouvement paysan et, en particulier sur son "armée rouge". Plus nette sera pour les bolcheviks-léninistes la compréhension de la situation politique et des tâches qui en découlent ; plus sera couvert de succès l’élargissement de leur base dans le prolétariat ; plus sera tenace la manière dont ils pratiqueront la politique du front unique envers le parti officiel et le mouvement paysan dirigé par lui, d’autant mieux ils réussiront à préserver la révolution du heurt plein de danger entre la paysannerie et le prolétariat ; non seulement ils assureront l’unité d’action nécessaire entre deux classes révolutionnaires, mais aussi ils transformeront leur front unique en un pas historique vers la dictature du prolétariat. » Léon Trotsky Prinkipo, 26 septembre 1932.

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