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Lutte Ouvrière et la défense des "intérêts des travailleurs" dans le mouvement contre la réforme des retraites : une "grossières erreur" ... dénoncée par L0 en 1985.

mercredi 26 février 2020, par Robert Paris

On sait que l’organisation Lutte Ouvrière, du côté de la propagande et de l’agitation, met en avant en permanence la défense des « intérêts des travailleurs ».

Nous avons expliqué dans des articles sur ce site que de slogan permet à LO de faire passer un slogan syndical pour un slogan révolutionnaire.

L’ambiguïté du terme « intérêts des travailleurs » est un fait évident qui était clairement souligné par LO en 1985 (avec surlignage par nous) :

S’il est des organisations qui semblent mériter le qualificatif d’ouvrières, ce sont bien les syndicats. Non seulement ils se donnent explicitement pour but la défense des intérêts des salariés et d’eux seuls, mais de plus ils ne regroupent que ceux-ci, et tirent ainsi une frontière entre les classes, non seulement par leur idéologie, mais par leur organisation elle-même.

Cela semble une telle évidence que, lorsqu’on parle des organisations ouvrières, c’est à elles que songent spontanément, non seulement l’immense majorité des travailleurs du rang, syndiqués ou non syndiqués, mais aussi sans doute la plupart des révolutionnaires marxistes.

Organisations ouvrières, certes, par leur origine, leurs adhérents, la place qu’elles occupent dans la conscience sociale. Mais les syndicats ne sont pas seulement cela, loin de là. Ils le sont sans doute même de moins en moins, depuis plus d’un siècle qu’ils existent dans les principaux pays capitalistes, car les liens qu’ils ont tissés avec la classe dominante et son État, et la politique qu’ils mènent sont en contradiction directe avec leur raison d’être affichée. Et avoir conscience de cela est absolument nécessaire pour des révolutionnaires s’ils veulent éviter aujourd’hui de grossières erreurs dans leur politique.

En quoi consiste la défense des intérêts des travailleurs dans un mouvement comme celui contre la réforme des retraites ,qui a pris une ampleur nationale avec la manifestation du 5 décembre ? En parallèle à la propagande et à l’agitation, de nouvelles tâches d’organisations se présentent. Or la principale, pour les révolutionnaires des pays impérialistes est quasiment toujours celle l’auto-organisation des travailleurs et une lutte politique ouverte contre les bureaucraties syndicales :

(...) nous pouvons être assurés que s’il y avait une nouvelle montée des luttes de la classe ouvrière, les bureaucraties syndicales, ces « instruments secondaires du capitalisme impérialiste » , rejoueraient une nouvelle fois le même rôle pour subordonner et discipliner les travailleurs.

Et c’est bien pour cela que la classe ouvrière, le jour où elle entrera en lutte, devra absolument, sous peine d’être condamnée à l’échec dès le départ, mettre sur pied d’autres organes de classe, réellement représentatifs des travailleurs en lutte pour conduire cette lutte et permettre qu’elle se développe.

De tels organes de combat seront nécessaires pour la révolution, bien sûr, mais ils sont même nécessaires pour les luttes partielles, limitées, qui n’en sont pas moins freinées et entravées elles aussi par les syndicats. C’est pour cela que des comités de grève, élus par les grévistes, contrôlés par eux, indépendants des appareils syndicaux, sont nécessaires dès aujourd’hui pour la moindre des grèves. Parce qu’ils sont la seule garantie que la grève pourra se dérouler sans obstacle supplémentaire venant de ceux qui soi-disant ont vocation pour la diriger. Parce qu’aussi ils sont à chaque fois l’exemple qu’une organisation de la classe ouvrière réellement indépendante est possible, quand les travailleurs ont la volonté de la mettre sur pied.

Combattre pour mettre sur pied une telle organisation est une tâche essentielle des révolutionnaires prolétariens. Car nous savons maintenant - presque un siècle d’histoire nous l’a appris - que la libération de la classe ouvrière de l’oppression et de l’exploitation capitalistes passera aussi, obligatoirement, par la lutte contre les bureaucraties syndicales qui se sont rangées depuis bien longtemps dans le camp de la bourgeoisie et de son État.

Les tâches sur le plan organisationnel étaient bien indiquées lors du CLT de 1985 cité ci-dessus.

Mais LO, comme ses analogues que sont le NPA et le POl gardenbt le silence sur l’intersyndicale. Une des seules allusions relayées médiatiquement est celle d’un Gilet jaune :

Le ton était donné dès le jeudi 26 décembre à Paris lors d’une manifestation de grévistes RATP et SNCF : "Il faut être avec les ’gilets jaunes’", lançait un organisateur au micro de la sono. Les "gilets jaunes" qui étaient d’ailleurs déjà présents ce jour-là. Jérôme Rodrigues, l’une des figures du mouvement, s’est également exprimé au micro. "Bravo à vous. Vous n’avez pas besoin de vos leaders, vous n’avez pas besoin de vos confédérations, vous êtes aujourd’hui "gilet jaunisé"", a lancé Jérôme Rodrigues aux manifestants présents contre la réforme des retraites.

"On ne porte pas la même chasuble mais on se bat pour le même objectif"
Jérôme Rodrigues

franceinfo

Dans ses derniers éditoriaux des 18 décembre, 25et 30 décembre LO n’évoque aucun problème politique qui se poserait dans le camp des travailleurs.

Le programme du parti ouvrier français (1882) et les retraites

Art. 8. Suppression de toute immixtion des employeurs dans l’administration des caisses ouvrières de secours mutuels, de prévoyance, etc., restituées à la gestion exclusive des ouvriers.

Dans la grande industrie surtout, qui multiplie les risques du travail, les employeurs ont toujours poussé les ouvriers à économiser sur leur maigre salaire pour faire face solidairement aux accidents, à la maladie, à la vieillesse. D’aucuns, comme les compagnies de chemins de fer et de mines, ont été jusqu’à rendre cette épargne obligatoire en instituant, au moyen de retenues quotidiennes ou mensuelles, des caisses à cet effet. Le pourquoi d’une pareille tactique a à peine besoin d’être indiqué : plus les salariés étaient mis, de gré ou de force, en mesure de se secourir mutuellement moins les salariants avaient à venir à leur secours.

Mais toutes ces caisses, bien qu’alimentées en totalité ou en majeure partie par les gros sous des travailleurs, ont toujours été, malgré des réclamations incessantes, confisquées par les patrons qui s’en sont réservé la gestion.
En attendant que, par la suppression du patronat, ils puissent disposer de la totalité des valeurs par eux créées, ils entendent – et ce n’est pas se montrer trop exigeants – disposer comme bon leur semble de la partie de ces valeurs qui leur est allouée en salaire. Si en vue de s’entraider dans les moments plus particulièrement critiques, ils s’imposent et imposent aux leurs des privations de tous les jours, ils veulent être seuls à administrer ce fonds de la prévoyance et de la solidarité ouvrière et en déterminer l’emploi. Et le Parti ouvrier qui ne saurait rester sourd à aucune revendication ouvrière, ne peut qu’approuver une pareille campagne et l’appuyer.

Il le fait d’autant plus volontiers que les diverses caisses dont il s’agit, représentent, additionnées, plusieurs millions, et que, du jour où ils auront été restitués à la gestion exclusive de leurs légitimes propriétaires, ces millions, qui ne servent actuellement qu’à enchaîner les ouvriers, pourront devenir entre leurs mains un puissant moyen d’émancipation.

Voilà des munitions toutes trouvées pour les grèves qui n’échouent le plus souvent que parce qu’il a fallu aller à la bataille avec des fusils vides.
Le prolétariat, dans tous les cas, a là les premiers éléments d’un budget de classe qu’il ne tiendra qu’à lui de transformer en budget de guerre sociale – et libératrice.

LO et la grève SNCF de l’hiver 1986

Les syndicats ont réussi à arrêter la grève

Au bout de trois semaines, la grève n’avait pas encore faibli. Le lundi 5 janvier, après le pont du Premier de l’An, de nombreux cheminots qui avaient été en congé pour quelques jours, rejoignaient de nouveau les grévistes, et partout les assemblées générales étaient plus nombreuses. Malgré l’attitude de la FGAAC, poussant ostensiblement à la reprise après les fêtes bien qu’elle n’osât pas prononcer le mot, le nombre des agents de conduite qui avaient abandonné était infime. De nouvelles négociations jeudi 8 janvier n’amenèrent que des miettes qui furent jugées telles par les grévistes, et le soir la grève tenait toujours aussi bon.

L’intox à la reprise battait son plein. Celle-ci était annoncée chaque jour. Pourtant chaque jour, c’était le même pourcentage de trains qui roulaient, pas plus. A partir du vendredi 9, il y eut la prétendue mobilisation des usagers, c’est-à-dire des patrons et des partis de droite. Mais tout cela n’impressionna guère les grévistes, au plus, cela accrut la colère de quelques-uns.
Ceux qui ont arrêté la grève, ce sont les syndicats : la CFDT et la CGT, puisque les autres soit n’avaient jamais été dans la grève, soit comme la FGAAC l’avait déjà abandonnée.

La manoeuvre pour arrêter une grève générale à la SNCF alors que les grévistes eux-mêmes ne sont nullement prêts à abandonner, n’est pas une nouveauté.

On l’a déjà vue se répéter en 1968, en 1971, en 1976, bref à chaque fois qu’une grève impliquant des dizaines de milliers de cheminots aux quatre coins du territoire est devenue pesante ou gênante pour les organisations syndicales. Cette manoeuvre consiste à pousser à la reprise les secteurs les plus faibles au lieu de les conforter en montrant que la grosse majorité tient ferme. Puis, en se servant de leur exemple, à souffler aux autres que le vent est à la reprise, et ainsi les décourager et les démoraliser.

Cette fois-ci, là encore, c’est la CFDT qui s’est avancée la première. Dès la fin des négociations jeudi 8 au soir, la Fédération faisait savoir que, bien sûr sans se prononcer pour la reprise, elle estimait que les grévistes ne pourraient de toute façon rien obtenir de plus. A part cela, elle les laissait libres de se prononcer pour ou contre la continuation de la grève. Un peu plus tard, c’est Edmond Maire lui-même qui en rajoutait en conseillant ouvertement « l’apaisement ».

Et sur le terrain, les responsables, dès vendredi, encourageaient plus ou moins discrètement les premiers secteurs où la grève était minoritaire à reprendre le travail immédiatement, sans attendre de connaître l’opinion de la majorité des autres secteurs. En fait, dans certains endroits ils encourageaient la minorité qui votait pour la reprise à reprendre le travail. C’est ainsi qu’une grève est émiettée, brisée, et qu’est créé le courant pour la reprise. Il est significatif d’ailleurs que les communiqués de la Fédération ne disaient pas que, le vendredi 9 au soir il y avait toujours 79 dépôts sur 94 qui avaient décidé de poursuivre le mouvement. Ils disaient que quinze dépôts avaient décidé d’arrêter la grève. C’est ainsi qu’on crée un climat.

La CGT, elle, a tenu plus longtemps. D’abord elle avait plus que la CFDT à se faire pardonner son opposition du début de la grève. Et puis, puisque la CFDT lui donnait l’occasion d’apparaître plus ferme, elle ne devait pas la rater. Elle a donc tenu deux jours de plus en se prononçant officiellement pour la continuation. Et puis Edmond Maire ayant abattu ouvertement son jeu, la CGT se déclara tout à la fois « aux côtés de ceux qui ont décidé de continuer la lutte et aux côtés de ceux qui ont décidé de reprendre ». Et voilà. Ce n’est pas encore aujourd’hui que les jésuites de la CFDT pourront donner des leçons à ceux de la CGT.

Bien entendu, comme toujours, l’attitude ambiguë de la CGT s’est traduite de deux manières sur le terrain. Certains militants y ont vu quand même un encouragement à continuer la grève, et ont poussé certains dépôts à tenir un jour ou deux encore dans certaines régions du Midi ou même à Paris Sud-Ouest, où. ils avaient, il est vrai beaucoup à faire pour se racheter. D’autres responsables y ont vu le feu vert pour pousser à la reprise aux côtés de la CFDT. Ainsi au dépôt du Charolais, gare de Lyon à Paris, après que l’assemblée générale eut voté la continuation de la grève, un délégué demandait, comme par hasard, aux minoritaires s’ils comptaient reprendre le travail tout de suite. Certains ayant finalement saisi la perche tendue, on organisait une nouvelle assemblée où les responsables syndicaux soulignaient la nécessité de reprendre tous ensemble. C’est avec ce petit jeu que CGT et CFDT ensemble sont parvenues à faire voter la reprise, malgré l’opposition d’un militant CGT.

C’était dans la nécessité de parer à toutes ces manoeuvres que les coordinations avaient trouvé leur première raison d’être. L’appel du dépôt de Sotteville à créer une coordination nationale des agents de conduite disait explicitement et justement que c’était « afin d’éviter la reprise dépôt par dépôt ». Malheureusement le représentant de Sotteville au bureau de la Coordination des agents de conduite lui-même (par ailleurs membre de la LCR) avait oublié au début janvier ce qu’il écrivait fin décembre. C’est lui-même qui a expliqué dans une interview au journal Le Matin comment il a appelé son dépôt, dont l’assemblée générale venait de voter la poursuite de la grève, à décider de reprendre le travail « pour ne pas briser l’unitë », restant ainsi jusqu’au bout fidèle à la politique de la CFDT.

La Coordination inter-catégories a été, elle, encore trop faible pour s’opposer à ces grandes manoeuvres. Elle a appelé à continuer la grève. Elle a publié par tracts les informations sur la liste des secteurs qui avaient décidé de continuer la grève. Mais elle ne représentait qu’une petite minorité, même si dans ces derniers jours, des cheminots de plusieurs régions qui n’avaient pas été en contact jusqu’ici, ont alors pris ce contact, à la recherche d’informations exactes que tous leur refusaient. La Coordination inter-catégories n’a pas pu s’opposer à ces manoeuvres, elle n’en a pas eu la force. C’est certes regrettable. Mais elle a eu le mérite d’être la seule organisation nationale a tenter de le faire, et elle a surtout eu le mérite d’exister et de montrer l’exemple de ce qu’il faut faire.

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