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Points de vue et débats des gilets jaunes

mercredi 13 novembre 2019, par Robert Paris

Des gilets jaunes de Boulogne sur mer :

Gilets Jaunes : l’appel aux urnes ?

"Mais les pauv’s électeurs sont pas des bét’s coumm’s d’aut’es

Quand l’temps est à l’orage et l’vent à la révolte…

I’s votent !…"

in" Les électeurs" de Gaston Couté

Des électeurs…

Comme il est souligné, Macron n’est effectivement au pouvoir qu’avec l’aval de moins d’un cinquième des inscrits. Certain-e-s ne s’étant résigné-e-s à l’élire que par défaut ou par défiance vis-à-vis de la candidate d’extrême droite Le Pen.

On peut même encore réduire le chiffre – nous n’entrerons pas dans les détails comptables – au regard du fait qu’il y a nombre d’électeurs de droit qui ne s’inscrivent même pas sur les listes électorales ; nous en sommes, considérant justement que le jeu du scrutin n’est qu’un instrument pour déléguer la prise en charge de nos conditions de vie, de notre avenir… dont les règles sont édictées par et pour la bourgeoisie. La politique nous est confisquée par des « professionnel-le-s » au service du capitalisme dans le cadre d’une économie de marché.

S’ajoute la ségrégation, naturalisée, du droit à élire – ne parlons même pas d’être éligible – ; sont ainsi exclus du droit de vote des étrangers qui habitent, travaillent ou le voudraient, cotisent, consomment… en France ; une grande partie des détenus non déchus de leurs droits civiques pour qui tout est organisé pour qu’ils/elles ne puissent matériellement voter (1) ; la population de moins de 18 ans, laquelle peut au passage être incarcérée dès l’âge de treize ans ; et les exclus « de fait » que sont les personnes placées sous tutelle, dont le droit est soumis à la décision d’un juge ou les personnes handicapées mentales aptes au discernement mais empêchées faute d’accès à l’information ; la plupart des SDF ; etc. (2)

Alors, que signifie un suffrage direct si l’électorat potentiel n’est pas défini ? Et puisque le RIC sera adressé aux instances dirigeantes, ce ne peut être qu’en acceptant les principes définitifs et modalités d’icelles.

…et de la citoyenneté…

« Le système de la représentation sans contrôle citoyen est un coup d’état permanent contre le peuple et notre devoir est d’y mettre un terme, pour nous et pour les générations futures » peut-on lire. Entièrement d’accord. Sauf qu’on ne sait pas, dans le texte du moins, ce qui est à entendre par « citoyen », au regard de ce que nous énonçons ci-dessus, et sur la nature du contrôle qui, par définition, ne peut se faire qu’après-coup voire… trop tard !

Par « « l’appel » que nous lançons, nous souhaitons que se manifeste la volonté du peuple pleine et entière par la voie du référendum, à notre initiative, même si cela va à l’encontre de leurs règles. »

La « volonté pleine et entière » du « peuple ». Par quel mode de délibération, et avec quelle(s) composante(s) ? Pour notre part, si nous sommes bien en peine de donner une définition du peuple – à différencier de la classe ouvrière et du prolétariat –, nous avons une perception de la verticalité sociale justement dénoncée. Nous nous référons cependant à une dimension politique – que le texte évoque aussi – à un rapport de force qui ne peut s’inscrire que dans la lutte des classes et non dans une joute électorale, eussions-nous le choix des armes. Par ailleurs, être à l’origine d’un scrutin organisé, de fait, par les institutions nous semble bien faiblard pour se positionner « à l’encontre de leurs règles » !

Comment échapper aux modalités électorales de la République, laquelle n’a de cesse d’affirmer que la démocratie a un coût et donc un prix ! En effet, un référendum, comme n’importe quel scrutin, demande campagne et le fameux nerf de la guerre : l’argent. On en revient à un processus forcément censitaire. Et l’on sait que les cordons de la bourse sont tenus par les dominants d’aujourd’hui, lesquels ne manqueront pas de faire valoir leur opinion, avec ou sans pression.

… naîtrait la justice du RIC ?

Qu’il y ait dans le RIC une intention de rattrapage des choix politiques spoliés par la minorité qui en fait profession, soit.

« Comment avons nous pu imaginer que, par la voie électorale, nous étions en capacité de changer ces institutions. […] Force est de reconnaître que nous avions abandonné notre puissance politique. » Mais encore ? S’agit-il de s’affranchir des institutions pour organiser un référendum , ou d’y inscrire la légalité de celui-ci ? (3)

Nous ne nous étendrons pas sur les craintes quant au contenu des thèmes référendaires inquiétants – Exemples pressentis : rétablissement de la peine de mort, remise en cause des acquis des LGBT ( Lesbienne, gay, bisexuel/le, transgenre et assimilés ), Étrangers dehors, etc. – sans en minorer toutefois le risque (4). Ces enjeux sociétaux découlent des positions politiques sous influence de l’un ou l’autre parti ou club satellite qui s’appuie sur l’opportunité du mouvement des Gilets Jaunes.

De même, il est certain, smart monde oblige, que les incontournables GAFAM (5) seront mis à contribution tant pour la campagne que pour le vote en ligne : infox, manip, contrôle, fichage, captation de données personnelles, censure et autres capacités de nuisance et d’influence seront inévitables et, tout le prouve aujourd’hui, déterminants.

Par ailleurs, jouent également le périmètre social et géographique concernés par la question posée. Ainsi lors du référendum sur la construction de l’aéroport de Notre Dame des Landes, c’est l’ensemble de la Loire Atlantique qui a été défini comme tel. Résultat : 55,17 % pour le « oui ». À mesure que l’on s’éloignait de la ZAD le nombre de « oui »amplifiait.

Pourtant, c’est la lutte collective et soutenue dans la durée qui finira par aboutir à l’abandon du projet.

Et puisque se pose implicitement la question de l’enjeu proprement politique : « pour Bakounine, il existe bien une autonomie du politique, mais on peut aussi la désigner comme séparation des instances de décision et d’organisation par rapport au reste de la société [ … ( cf la notion de classe politique ) ] et aussi comme fonction de la domination du capital sur le travail, fonction qui en vient à acquérir une autonomie relative en jouant un rôle déterminant dans le maintien de cette domination. » Plus loin, il évoque le risque « que la classe ouvrière se constitue en parti politique, parce que cela conduirait à remettre entre les mains de spécialistes de la politique la défense de ses intérêts. Dans leur cas, le refus de la médiation politique s’incarne dans la pratique de l’action directe. » (6) Et on le sait : des listes Gilets Jaunes sont déjà dans les starting-blocks pour les élections européennes.

Soyons direct

De l’action directe ! C’est précisément le mode opératoire des Gilets Jaunes depuis le début ! Et aujourd’hui il faudrait se satisfaire de l’illusion d’édicter des principes de fonctionnement démocratique alors que dans la pratique concrète, fondamentale, les instruments de la domination demeurent ?

La propriété des moyens de production, la loi du marché mondialisé, la mise en concurrence entre les boîtes, les technologies, les pays – et même maintenant les régions et les villes –, les humains au sein de leur communauté, les prolétaires au sein et de leur lieu de travail, de leur classe sont les ressorts des démocraties comme des dictatures ; lesquelles s’accommodent très bien les unes des autres dès lors qu’elles ont des liens ou des rapports de dépendance économiques.

Que vaudra un référendum même gagné ! contre les ventes d’armes, l’exploitation de gosses dans les mines de terre rares ( indispensables à la production des smartphones… ), pour le soutien aux « natifs » de l’une ou l’autre « terre » aspirant à être libres ? La même chose qu’une pétition dans le monde d’aujourd’hui.

Et intrinsèquement se pose la question du « porteur » de l’initiative du RIC. Au-delà du fait que le référendum soit une composante mise en avant des partis se réclamant évidemment du « peuple », il est indubitable qu’émergeront, qu’émergent déjà les plumes, les façonneurs, mais aussi les initiateurs des fameuses questions à soumettre au verdict populaire. « tiens ! Toi qui écris bien, tu pourrais la rédiger ? ». Et une élite rédactionnelle influente se dégagera de la masse qui déléguera ses espoirs. Des porte-paroles finiront par se l’approprier, fusse sur une base a minima, la plupart des jusqu’ici sans voix se trouvant de fait dans l’incapacité de s’exprimer au-delà de l’oralité qu’elle s’était octroyé dans la rue. Parallèlement le RIC est déjà un élément de programme des partis autoproclamés « populaires », soit prétendant fonder une VIème République (FI), soit dans le sillage d’un guide implacable (RN). Dans les deux cas, le salut promis au « peuple » est tout de même – en toute abnégation, qui en douterait ? – soumis à un certain culte de la personnalité, concession due à tout leader providentiel. Même Macron serait prêt à lâcher sur une possibilité référendaire locale et ciblée. Victoire ! Que demande le peuple ?..

La solution est ailleurs

Vous l’aurez compris, nous ne croyons pas à la simultanéité uniforme des aspirations ; encore moins à leur mise en œuvre par la voie des urnes. En revanche, l’antagonisme de classe est une réalité Et, même si quelques superpositions paraissent, il ne s’agit pas d’un strict schéma citoyen/politicien, pauvre/riche, France/Europe ou de quelque histoire de « patrie en danger », mais bien d’un conflit entre prolétariat et bourgeoisie, travail contre capital.

L’origine du mouvement des Gilets Jaunes est la taxe sur les carburants. Au cours des blocages et des défilés, et au fur et à mesure du dédain et surtout de la répression inouïe des forces en arme de l’État, les discussions ont évolué du ras-le-bol au « il faut que ça change ». Et l’on débouche sur le RIC. Un scrutin ! Or voter est un acte individuel et au sein d’un… isoloir. Sauf à pratiquer à main levée, (6) comme pour voter la grève en Assemblée générale, ou… sa limitation à l’Assemblée nationale ! le vote référendaire, à l’instar d’une élection pour un siège devient un acte individuel secret au détriment d’un engagement collectif.

Il n’est que temps de construire une résistance offensive sur des bases inhérentes à l’opposition naturelle des intérêts de la rue et des palais. Le RIC est un aveu de faiblesse. Le RIC, c’est dire « s’il-vous-plaît ». C’est le déni du rapport de force dans l’opposition radicale des intérêts respectifs du prolétariat et de la bourgeoisie. C’est reconnaître la règle édictée par cette dernière.

Cela signifie une chose : les Gilets Jaunes aspirent à reprendre leur vie en main, collectivement et de fait en voie de re-politisation. Ont-ils jamais d’ailleurs été hors du champ politique ? Bloquer l’économie, s’approprier la rue, brûler le Fouquet’s, casser les concessionnaires de bagnoles de luxe, déglinguer du Mac Do… c’est apolitique ? Qu’y-a-t-il d’autre sur les Champs Élysées que la morgue d’un capitalisme triomphant, sûr de lui, dominateur, y-compris dans l’exploitation travailleurs et des travailleuses qui gagnent leur croûte derrière les façades et qui se battent ? (7)

Pas de paix sociale sans l’abolition des classes

Il est de nombreux exemples qui témoignent d’une tentative d’auto-organisation de la population depuis l’imposition des conditions de vie par la révolution industrielle et ses corollaire, l’affirmation des élites industrielles et financières et l’exploitation planifiée du prolétariat.

Parmi ceux-là, on compte évidemment la Commune de Paris de 1871, la révolution de 1917 en Russie et la redistribution amorcée par les ouvriers et paysans espagnols dès Juillet 1936. Il y en eu bien d’autres, mais nous nous en tiendrons là. Constat historique : c’est au sein d’une guerre civile que se sont développées ces expériences. C’est donc parallèlement à la lutte armée qu’étaient réalisées, forcément partiellement, les mesures sociales et politiques solidaires, égalitaires et parfois libertaires.

Concernant la Commune, elle fut le résultat de la résistance au siège de Paris par les Prussiens puis et surtout contre le gouvernement, réinstallé à Versailles dans le but d’enrayer la menace du « socialisme parisien », qui sans l’aide des Allemands aurait été plus difficile à enrayer. Pour la guerre en Espagne, les relais de Staline ne pouvaient laisser subsister une enclave échappant encore à l’emprise des impérialismes rivaux.

Hors, si la guerre civile, en terme de risque ou de menace, a été évoquée tant dans les rangs des Gilets Jaunes que dans les palais de la République ou agités par quelques commentateurs échauffés, il ne s’agit en fait que d’un argument de dissuasion inadapté. D’une part, nous n’en sommes pas là pour le moment, même si l’hypothèse n’est jamais à exclure mais surtout, qui saurait définir, en la circonstance, les camps qui s’opposeraient même de façon asymétrique ? Le mouvement des Gilets Jaunes participe à sa mesure à la redéfinition d’un horizon émancipateur mais il n’est qu’une étape sur un chemin qui s’avère d’ores et déjà long et parsemé d’embûches.

Le RIC un rattrapage démocratique et citoyenniste

Par ailleurs, quoi qu’on en disent les amateurs de rapprochements historiques, les enjeux sont-ils véritablement comparables à ceux de la Révolution française, référence récurrente chez les Gilets Jaunes ? Et faut-il pour autant considérer que le changement de régime se fera par les armes ? Une rupture révolutionnaire ne peut s’envisager sans conflictualité, armée cela va s’en dire. Le rattrapage démocratique auquel souscrivent nombre de Gilets Jaunes relève d’un autre registre, celui d’une conception citoyenniste. Enfin, les exactions auxquelles se livre la police de l’État Français depuis le début du mouvement : mort, mutilations, blessures, intimidations, humiliations, menaces de viols, attouchements, etc … tous ces faits relèvent de vieilles pratiques du maintien de l’ordre en temps de guerre, mais elle sont malheureusement courantes, ici, en temps de paix à l’égard de certaines fractions de la population. Depuis la lutte contre la « Loi travail » de la socialiste El Khomri, la partie jusque là épargnée de la population commence le comprendre.

Il y a militarisation des pratiques policières, c’est indéniable, mais nous sommes loin de l’élimination des communards par l’armée française à coups de canons de marine …

Socialisme ou barbarie

C’est la lutte sociale, en conscience de nos intérêts communs et non sur des aspirations affinitaires que la question des inégalités, des iniquités, de la réappropriation de nos vies trouvera son sens et une réponse. Prétendre régler des rapports dominants / dominés, exploiteurs / exploités, par scrutin, à la majorité des voix, selon les règles d’un nouveau paragraphe à une énième constitution de la République bourgeoise est illusoire pour les tenants sincères du RIC et malhonnête de la part d’aucuns qui voient déjà plus loin dans un jeu politique auquel ils ou elles ne font que s’adapter. Ou qui adaptent leur stratégie à un contexte porteur d’un risque insurrectionnel qui leur serait incontrôlable, donc effectivement libre de construire l’émancipation réelle du… « Peuple ».

Boulogne-sur-mer, le 08/05/19

1) en 2017, seules 2% des personnes incarcérées ont participé aux élections présidentielles …

source : https://oip.org/decrypter/thematiques/droit-de-vote/

2) Si cet etc. était daté d’avant le 21 avril 1944, les femmes seraient du nombre.

3) À l’instar des indépendantistes catalans en 2O17, dont l »organisation émanait… d’« élus du peuple » ?

4) cf La question des minarets en Confédération helvétique ( lancée d’ailleurs par Seize personnalités politiques suisses, dont quatorze membres de l’Union démocratique du centre ) ou celle des migrants en Hongrie à l’initiative du gouvernement autoritaire.

5) GAFAM est l’acronyme des géants du Web — Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft — qui sont les cinq grandes firmes américaines (fondées entre le dernier quart du XX e siècle et le début du XXI e siècle) qui dominent le marché du numérique, parfois également nommées les Big Five, ou encore « The Five »

6) resistance71.wordpress.com/tag/michel-bakounine-la-societe-contre-letat/

7) Rappelons les grèves au Mac Do en 2017,à la FNAC de 2016, chez Marks & Spencer en 2015, en 2014 au palace Royal Monceau juste à côté, au Virvin Mégastore en 2013 et 2012, au Quick en 2012 également…

Des gilets jaunes de Montceau :

Délégués à Montceau, nous avons pu apprécier les nombreux échanges en plénière lors de cette ADA3, qui fut un grand moment de démocratie, permis justement par la possibilité des délégués de donner leur point de vue devant l’ensemble de l’assemblée.

Nous avons regretté que pour cette ADA4, il ne soit pas prévu de discussion sur le capitalisme et que les organisateurs aient souhaité interdire les plénières, pourtant choses systématiques dans toutes les formes de combat sociaux jusqu’ici. Nous ne devons pas avoir peur de la démocratie, mais au contraire de sa restriction. Aussi, nous livrons ces quelques réflexions par écrit. Nous estimons qu’il n’y a pas lieu nécessairement de trancher afin de respecter les sensibilités de chacun, mais que les GJ sont légitimes à en discuter librement.
Le capitalisme, source d’inégalités, de baisse des salaires et du pouvoir d’achat

Inutile d’y revenir longuement ici, mais tout le monde s’accorde, même les plus optimistes, à constater qu’à un pôle de la planète, des montagnes de capitaux s’accumulent, alors qu’à l’autre, la misère et le chaos s’installent : avec l’augmentation des prix et l’extension des temps partiels pour diminuer le taux de chômeurs, on se retrouve avec des salaires qui ne suffisent même plus à payer les loyers et les charges ; des inégalités géographiques, provoquées par la désertification des zones industrialisées et des zones rurales, au profit des zones urbaines qui concentrent ce qu’il reste de services publics ; des inégalités dans les droits, puisque la dégradation des services publics entraîne mécaniquement pour la population des restrictions à la fois quantitatives et qualitatives dans l’accès à l’éducation, la santé, la justice, les transports, l’énergie : obligation de faire des kilomètres pour aller à l’hôpital, à l’école… Si on veut être correctement soigné ou défendu, il faut maintenant avoir les moyens. On en revient à ce constat : pour les uns, minoritaires, il faut « baisser le coût du travail », autrement dit le salaire (direct ou différé via les cotisations) ; pour la majorité au contraire, il faut défendre le pouvoir d’achat, les droits conquis de haute lutte. En un mot : c’est la lutte de classe, dont la « réforme » des retraites sera un point central de la grève à partir du 5 décembre.

Une question a traversé tout le mouvement : doit on décroitre ?

En effet, dans un grand nombre de ronds-points, qui restent le lieu où tout est parti et où tout se fait pour les Gilets Jaunes, de nombreuses discussions ont tourné autour de la nécessité, au final, de consommer moins. Cette orientation, motivée par des arguments souvent de politique écologiste, voudrait nous convaincre qu’il faudrait renoncer aux hausses de pouvoir d’achat, et au contraire, apprendre à vivre avec moins car nous « surconsommons ». Certains vont jusqu’à proposer que l’on arrête d’extraire pétrole, charbon, nous passer du nucléaire, des vaccins, de la construction de logement etc. Bref, la décroissance. D’autres prônent le retour à l’utilisation de jardins individuels ou partagés pour s’extraire de la consommation en grandes surfaces. Mais tout le monde ne peux pas acheter une ferme autogérée : comment feront ceux qui n’ont pas de terrain, dans les villes par exemple ? Et ceux qui sont malades ou handicapés ou trop âgés ? Devront-ils compter uniquement sur la solidarité pour se nourrir ? Que devient dans ce cas l’autonomie des personnes ? La nature humaine est-elle si bonne que nous puissions lui faire entièrement confiance ? Et si l’on bannit l’utilisation du pétrole, de la chimie et de l’ensemble des technologies, sommes-nous prêts à renoncer aux IRM, aux scanners, aux soins, aux médicaments, lorsque nous sommes malades ? Aux prothèses, lorsque nous serons vieux ou accidentés ? Aux téléphones, aux ordinateurs, à internet, qui nous permettent de communiquer, de travailler, mais aussi de nous soigner et de nous cultiver ? Autant le dire, vivre avec moins, c’est tout à fait ce que met en place Macron, quand il entend liquider les retraites, quand il impose les taxes sur le carburant, baisse les salaires, précarise l’emploi public etc. Ce discours n’est pas neutre sociologiquement : il est essentiellement urbain, et vient des classes plutôt aisées soucieuses de leur cadre de vie. Quand on vient de ces milieux, dire qu’il faut consommer moins est un peu plus facile que quand on vit dans les quartiers populaires. La décroissance n’est qu’une variante romantique du capitalisme, ne faisant que le déguiser d’une apparence moins féroce. Car on ne pourra enrayer la dynamique de destruction de ce système qu’en s’attaquant à sa première cause, l’injustice sociale. Soyons clairs : nous ne voulons plus des inégalités, nous ne voulons plus de la misère, mais nous n’attaquerons pas le capitalisme pour retourner au Moyen-Age et vivre sans accès aux soins, à la civilisation et aux produits de bonne qualité. Au contraire. Bien entendu, si certains veulent « vivre autrement » de manière marginale, ils doivent pouvoir le faire. Mais les peuples ont le droit d’avoir accès aux hôpitaux, aux moyens de transports, à la culture, aux ordinateurs, d’envoyer leurs enfants dans des écoles publiques de qualité. Ceci, dans une économie débarrassée de l’exploitation, des inégalités, et de la vision à court terme des dirigeants, sans plan pour l’avenir. On ne va pas nourrir 7 milliards d’être humains avec des fermes autogérées et des lopins de terre. Voilà pourquoi nous devons réfléchir sérieusement à ré-axer la société sur des bases débarrassées du capitalisme, même « vert » (comme cela a été clairement dénoncé à Montceau par la déléguée de Pau), même « moral », ou même avec des expériences de petites communautés marginales. Toute illusion sur le capitalisme « décroissant » ou « autogéré » nous mène à l’impasse.

Faut il interdire les discussions de fond chez les Gilets Jaunes ?

Depuis le début, les Gilets Jaunes se sont réappropriés la politique, au sens noble du terme : chercher à être acteur de la cité, et en premier lieu, en comprendre les rouages. Comprendre les mécanismes de la société dans laquelle nous vivons, c’est se donner la possibilité de s’attaquer à la racine des problèmes (donc, étymologiquement, radicalement). Comprendre pourquoi des milliardaires brassent autant de dollars d’un côté quand un continent comme l’Afrique, pourtant si riche se meurt, ou pourquoi des SDF crèvent lentement dans les rues de nos capitales, est fondamental pour que nous puissions être pleinement conscient de la racine de nos problèmes. Aussi, vouloir rabaisser à tout prix la discussion à un niveau faible, voir la canaliser pour ne parler que des sujets dans le vent ne correspond à ce qui se passe concrètement depuis un an sur nos ronds-points.

Les gilets jaunes n’ont pas besoin de porte-parole, de leader, de rendez vous avec les politicards professionnels ou d’interviews médiocres sur les plateaux télés. Ils ont besoin de pouvoir discuter librement, sans entrave, et de tout. C’est sur les ronds-points et dans les assemblées locales que tout est né, c’est là qu’il faut être. Les Gilets Jaunes ont besoin de convergence avec tous ceux qui veulent en finir avec la politique actuelle. Surtout, ils ont besoin de victoires face à Macron, de déborder encore et encore tous les cadres établis, et de construire du neuf. Cette œuvre ne sera jamais celle d’une petite minorité agissante, mais d’une mobilisation du plus grand nombre. De la Révolution de 1789 jusqu’à Hong Kong, on gagne unis sur les objectifs.

La question du 5 décembre est maintenant dans toutes les têtes, même si elle n’est pas encore dans les conférences de presse de ceux qui cherchent autre chose. Cette date, convoquée par les syndicats de la RATP, fait maintenant tache d’huile. Ceux qui passeront à côté rateront le train, comme d’autres ont raté le train des Gilets Jaunes et cherchent maintenant à lui courir après.

Soyons au rendez vous, et poursuivons nos réflexions sans entrave. Tranquillement, nous en viendrons tous à remettre en cause les bases mêmes d’une société qui marche décidément la tête à l’envers.

Voilà un point de vue, il en existe d’autres, de la confrontation et de la libre discussion l’intelligence fera le tri entre ce qui doit être retenu et ce qui doit être mis de côté.

Qu’en dites vous ?

Alban, groupe « convergence 34 »

Sabine, groupe « rond-point des Près d’Arènes » et « convergence34 »

Délégués à l’ADA3 de Montceau Les Mines

Point de vue de Jean Dugenêt :

Dès les premiers mois de sa prise de fonction Emmanuel Macron et son gouvernement ont pris toutes une série de mesure pour enrichir les plus riches au détriment des plus pauvres :

Suppression de l’ISF.

Suppression dès 2019 de l’« exit tax » un impôt destiné à juguler « l’évasion fiscale » des chefs d’entreprise.

Baisse de l’impôt sur les sociétés.

Baisse des cotisations salariales (le salaire indirect des travailleurs).

Augmentation de la CSG.

Baisse des APL.

Suppression des contrats aidés.

Et, comme si cela ne suffisait pas, il ajoute quelques autres mesures impopulaires comme les onze vaccins obligatoires et la limitation de vitesse à 80 km/h.

Ajoutons la réforme de la SNCF et dans l’enseignement les réformes PacourSup et la sélection à l’entrée des universités, la suppression des postes de prof, la réforme des filières et du Bac, qui sera en grande partie en contrôle continu, la hausse du coût des études pour les étudiants étrangers.

Il n’y va pas de main morte. L’exaspération est à son comble, sa cote de popularité s’effondre mais rien ne semble pouvoir l’arrêter. L’ensemble de ces mesures se fait pourtant cruellement sentir dans les couches les plus pauvres de la population mais aussi dans les couches moyennes.

Il faudrait être bien inconscient ou complètement sourd dans ces conditions pour ne pas entendre la colère gronder.

Le 15 novembre 2018, nous avions envoyé le manuscrit de notre livre « De François Mitterrand à Jean-Luc Mélenchon » à la mise en page pour impression. Nous écrivions (p 182) :

« Alors qu’adviendra‑t‑il demain ? Quel sera le résultat des mouvements de protestation qui s’annoncent dans peu de temps ? Faudra‑t‑il attendre 2022 pour voir arriver un nouveau président ? Une crise financière va‑t‑elle balayer l’euro puis l’Union Européenne ? Quelle étincelle pourrait mettre le feu aux poudres ? Nous ne le savons pas. Ne vous fiez pas au calme apparent. L’orage peut éclater. Nous entendons déjà la colère qui gronde. Souvenez‑vous que deux mois avant la grève générale de mai 1968 le journal « Le Monde » titrait « Quand la France s’ennuie ».

Deux jours plus tard, l’étincelle mettait le feu aux poudres. Ce fut l’augmentation des taxes sur les carburants (TICPE : Taxe Intérieure de Consommation sur les Produits Energétiques) qui déclencha le mouvement des gilets-jaunes. L’idée est lancée sur les réseaux sociaux de protester en arborant le gilet-jaune que tout automobiliste doit avoir dans son véhicule. Des appels à bloquer les routes sont lancés pour le 17 novembre avec un appel à manifester.

Ce sera l’acte 1 du mouvement. Des groupes de gilets jaunes s’organisent sur des ronds-points qui deviennent des lieux de rassemblement, de réunion et de convivialité. C’est aussi là que se font les blocages qui sont le plus souvent filtrants. Les automobilistes sont le plus souvent invités à manifester leur solidarité en plaçant leur gilet-jaune sur leur pare-brise. Le mouvement est d’emblée très populaire. Il répond à l’exaspération de la population en réaction à la politique de Macron. Les gilets-jaunes ont d’ailleurs le constant désir d’entretenir cette popularité.

Un premier leader apparaît. C’est Priscilla Ludovsky qui est à l’initiative d’une pétition pour la baisse des prix du carburant lancée dès mai 2018. Son texte a dépassé le million de signatures. Elle anticipe dans ce texte sur tous les arguments qui pourraient être avancés en faveur de l’augmentation. Elle énumère des pistes dans lesquelles elle s’attache à ne pas opposer écologie et pouvoir d’achat. Elle propose une suppression progressive des véhicules diesel par les constructeurs tout en demandant des offres de reprises adaptées et la participation des entreprises dans cette transition. Dès le deuxième acte prévu pour le 24 novembre 2018, elle apparaît sur LCI et BFM-TV. Les journalistes essaient de lui faire avaliser la décision prise par le pouvoir de cantonner la manifestation au Champ de Mars. Elle ne se laisse pas piéger et répond avec beaucoup de calme :

« Non elle n’aura pas lieu à cet endroit-là. Je ne sais pas d’où vient cette information mais ce n’est absolument pas le cas et un communiqué sera fait demain pour signifier le programme de la manifestation ». Le journaliste veut en savoir plus. Elle ajoute « Alors ce sera certainement autour de l’Elysée (…) C’est symbolique. Ça représente l’Etat (…) ».

Le journaliste semble s’inquiéter :

« Vous avez conscience, puisque l’Etat et la place Beauvau vous prévient depuis plusieurs jours, que place de la Concorde ou autour de l’Elysée vous n’aurez aucune autorisation ».

Elle ne se départit pas de son calme et affichant toujours son petit sourire elle répond « Oui… » et elle continue à argumenter. Dès lors, il est clair que le mouvement des gilets jaunes sort du conformisme auquel nous ont habitué les syndicats. Il n’est plus question de respecter l’ordre bourgeois mais au contraire de le braver puisqu’il s’agit d’exprimer un ras-le-bol de cette politique ultra-réactionnaire.

Ce n’est déjà plus un simple mouvement revendicatif comme ceux qui ont eu lieu entre 1995 et 2010. C’est un mouvement insurrectionnel qui porte en lui dès le départ comme mot d’ordre « Macron démission » et « Macron destitution ». Il s’agit d’exprimer une révolte contre ceux qui ont méprisé le peuple avec l’ensemble des mesures que nous venons de rappeler. Les gilets-jaunes n’attendent plus qu’une chose de Macron : qu’il s’en aille ! Nous disons que c’est un mouvement insurrectionnel puisqu’il se distingue, dans cette façon de poser d’emblée la question du pouvoir, des mouvements revendicatifs. Cependant nous ne nous laissons pas aller, comme d’autres l’ont fait, à parler d’insurrection. Nous en sommes loin. Quoiqu’en matière de lutte des classes de grandes distances sont parfois parcourues en peu de temps. Cependant, une insurrection est un changement de pouvoir. C’est le point ultime d’une révolution. Le moment où, après une situation de double pouvoir, le pouvoir révolutionnaire chasse l’ancien pouvoir. Or, nous n’avons nullement actuellement cette situation de double pouvoir et nous ne la voyons même pas s’esquisser. A l’instar de Trotsky nous disons que la grève générale est « la première étape de la révolution » tandis qu’il faut considérer l’insurrection comme la dernière étape.

Ce mouvement inattendu effraie le pouvoir mais il prend aussi au dépourvu les leaders habituels du mouvement ouvrier et toute la classe politique jusqu’aux organisations dîtes « d’extrême gauche ». Castaner, le ministre de l’intérieur, qualifie les gilets jaunes de « mobilisation de l’ultra-droite » ayant répondu à « l’appel de Marine Lepen ». Tous ceux qui dérangent le pouvoir seraient « d’extrême-droite ». Où faut-il donc situer les milliardaires qui veulent toujours davantage de richesses ? Ils avaient fait le coup pour les militants de l’UPR qualifiés de « complotistes d’extrême-droite » maintenant ce sont les gilets jaunes. Castaner, et les milliardaires pour lesquels il travaille, pensent ainsi décrédibiliser les gilets-jaunes. Il ferait mieux de les écouter :

« Oui, c’est avec vos milliards qu’il faut payer la transition écologique et tout le reste... Tremblez et ne croyez pas que c’est avec vos insultes que vous allez nous écraser. Il faudra bien les sortir vos milliards. Vous nous les avez volés ne serait-ce qu’en nous faisant payer des impôts alors que vous n’en payez pas. Ah ! ce n’est pas du vol ! C’est de l’optimisation fiscale ! Eh bien maintenant il est temps de décréter l’optimisation fiscale pour les pauvres et faire payer les riches ! ».

« Qu’ils viennent me chercher ! » a dit Macron et les manifestants répondent « Fais gaffe Macron : on arrive ! » Et chacun y va avec des petites phrases qui expriment si bien leur état d’esprit : « Qui sème la misère récolte la colère », « Qui sème le mépris récolte la furie » « Gilets jaunes, Colère noire », « Attends Manu, j’traverse la rue », « Macron démission. C’est la Révolution »…

Un ami un peu poète à ses heures perdues, s’est rendu sur les ronds-points. Il nous fait part de ses impressions :

« Les amis(es) surtout ne souriez pas... Il y a dans le mouvement "gilets jaunes" l’esprit d’une crue... y compris poétique.

Aujourd’hui en province (Ardèche) et pour quelques jours, après avoir passé plusieurs barrages filtrants en tant qu’automobiliste pressé je suis allé sur différents carrefours de filtrage des "gilets-jaunes", il se passe quelque chose de très important et de très beau, une poétique du ras-le-bol avec beaucoup de lucidité et de générosité.

Sans doute comme partout, vous y croiserez peut-être (mais minoritairement) des caricatures populistes voire même nationalistes mais il y a tant d’autres choses... Elles rappellent ce qu’on pouvait espérer sans plus y croire mais qui soudain surgit dans cette beauté de la joie de se retrouver et de reconstruire ensemble une cohésion sociale, une fraternité, dans des termes de luttes de classe empreints de la seule radicalité d’une authentique justice sociale criée par le peuple des "effacés", le tout, selon une éthique libertaire. Ne parlons plus du peuple "invisible" mais des invisibilisés qui se relèvent et surgissent dans leur « redevenir peuple ».

SVP Ne manquez pas d’aller humblement sans obligation aucune de porter un gilet, aller voir et écouter...c’est trop important et si fragile à la fois.... Car devant cette crue de ras-le-bol et d’espoir mêlés, le pouvoir ne laissera sans doute pas faire très longtemps...

Je témoigne de ces moments passés en France profonde depuis quelques heures. Ne souriez pas par dédain, ne prenez pas le risque de vous fondre dans la cohorte des "bien-pensants" dogmatiques et serviles. Saisissez la chance de retrouver un peu d’espoir de fraternité, solidarité qui remontent des profondeurs humaines après avoir traversé les miasmes et toutes les séquelles, traumatismes de décennies de soumission à tous ces cortèges de manifestations encadrées et nassées.

Aux poètes, aux artistes et à toutes celles, ceux repliés dans leur "Privacy in progress", derrière leur "burn out" plongez plumes, pinceaux et concepts dans l’encrier d’un instant de l’histoire qui nous ranime, nous redonne l’intelligence du vivant avant le meilleur ou peut-être le tragique. »

Mais cet avis n’est pas partagé par tout le monde. Evidemment ce mouvement inquiète les puissants mais il en dérange beaucoup d’autres et les critiques sont faciles car il est toujours possible de trouver ici ou là comme vient de le dire notre ami « des caricatures populistes voire même nationalistes » car cela est inévitable dès lors qu’une mobilisation populaire brasse une grande variété de mécontents. Cela a été observé de longue date notamment par Lénine qui écrivait en 1916 dans un texte intitulé « Bilan sur le droit des nations à disposer d’elles-mêmes » :

« Quiconque attend une révolution sociale “pure” ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une véritable révolution. (…) La révolution socialiste en Europe ne peut pas être autre chose que l’explosion de la lutte de masse des opprimés et mécontents de toute espèce. Des éléments de la petite bourgeoisie et des ouvriers arriérés y participeront inévitablement - sans cette participation, la lutte de masse n’est pas possible, aucune révolution n’est possible - et, tout aussi inévitablement, ils apporteront au mouvement leurs préjugés, leurs fantaisies réactionnaires, leurs faiblesses et leurs erreurs. Mais, objectivement, ils s’attaqueront au capital, et l’avant-garde consciente de la révolution, le prolétariat avancé, qui exprimera cette vérité objective d’une lutte de masse disparate, discordante, bigarrée, à première vue sans unité, pourra l’unir et l’orienter, conquérir le pouvoir, s’emparer des banques, exproprier les trusts haïs de tous (bien que pour des raisons différentes !) et réaliser d’autres mesures dictatoriales dont l’ensemble aura pour résultat le renversement de la bourgeoisie et la victoire du socialisme, laquelle ne "s’épurera" pas d’emblée, tant s’en faut, des scories petites-bourgeoises. »

Le mouvement des gilets-jaunes inévitablement, lui aussi brasse « des éléments de la petite bourgeoisie et des ouvriers arriérés » qui parfois viennent avec « leurs préjugés, leurs fantaisies réactionnaires, leurs faiblesses et leurs erreurs. » et le rôle de l’avant-garde consciente n’est pas plus aujourd’hui qu’hier de les repousser. Il est d’exprimer qu’objectivement ils s’attaquent tous au capital et il revient à l’avant-garde d’unifier cette « lutte de masse disparate, discordante, bigarrée, à première vue sans unité » pour l’orienter vers la conquête du pouvoir.

Osons être plus précis que ne l’est Lénine dans cette citation à propos des préjugés et des fantaisies réactionnaires qui ont pu se manifester dans de telles manifestations. Nous savons par exemple qu’il y avait beaucoup de préjugés antisémites à cette époque en Russie et il est fort possible, qu’ici comme ailleurs, les juifs aient été désignés par moment comme les boucs émissaires de quelques désastres. Nous savons aussi que les femmes avaient souvent à souffrir de violences conjugales dans une société où les châtiments corporels étaient encore fréquents dans l’armée et aussi dans les exploitations agricoles. Les préjugés machistes se sont probablement exprimés y compris le 8 mars 1917 à Saint-Pétersbourg quand les femmes ont lancé le premier assaut de la révolution en manifestant. Elles réclamaient du pain et le retour de leurs maris partis sur le front. De nos jours, il est certain que des préjugés anti-migrants ont pu s’exprimer. Ils ne sont pas seulement le fait de la propagande du FN-RN mais ils relèvent aussi de la responsabilité de ceux qui ont créé les camps de rétention ou qui ont exprimé tant de réticences à « accueillir toute la misère du monde » et passons sur toutes les autres couardises.

Mais ces quelques manifestations anecdotiques ou périphériques ont été amplifiées par les nombreux adversaires du mouvement. La fameuse affaire du camion-citerne où s’étaient cachés 6 migrants a connu ainsi une énorme publicité et tous les articles y sont allés d’un « ils livrent » ou « ils dénoncent » pour accuser les gilets jaunes mais, apparemment, nous sommes les seuls à avoir informé que les migrants étaient en situation de grand danger dans la citerne et qu’ils demandaient à être secourus. Ils manifestaient de leur mieux leur présence en tapant dans la citerne. Que fallait-il faire ? Fallait-il envisager, au vu et au su de tous, une solution illégale ? Nous pourrons en discuter en envisageant toutes les possibilités et en introduisant des nuances quand chacun aura rétabli cette vérité et quand ceux qui critiquent nous aurons expliqué ce qu’ils font pour venir en aide à tous les nombreux migrants qui se trouvent dans des situations analogues. (Voir sur Agora Vox notre article : « Dans l’affaire du camion-citerne, les gilets-jaunes ont-ils dénoncé des migrants ou leur ont-ils porté secours ? ») Nous serions curieux de savoir quelle position sur les « centres de rétention », défendent ceux qui critiquent ainsi les gilets jaunes.

Dans le même style de ragots malveillants et de calomnies contre les gilets jaunes nous avons mille fois entendu dire que des gilets jaunes auraient arraché des voiles de musulmanes sans que ne soient jamais précisé ni le lieu ni la date de l’agression pas plus que l’identité des protagonistes.

Malgré toute la haine déployée contre le mouvement, il n’a cessé de monter en puissance sur la période de fin novembre et début décembre et il a placé le pays au seuil d’une crise révolutionnaire. Tous les éléments d’une telle crise étaient réunis : la division au sommet de l’Etat, l’exaspération et la mobilisation des masses, le soutien écrasant de la population y compris de la petite-bourgeoisie.

L’extraordinaire endurance du mouvement – malgré les manœuvres, les calomnies, la répression policière et judiciaire – marque le réveil politique des couches les plus profondes de la société, qui en général ne participaient pas aux journées d’action syndicales. La présence massive des femmes, dans ce mouvement, est le signe sûr de sa profondeur. Il marque une rupture irréversible dans le cours de la vie sociale et politique. La succession ininterrompue de samedis jaunes, pendant plus de onze mois, est un fait sans précédent qui déstabilise le régime. Mais celui-ci ne reculera pas face à des manifestations hebdomadaires. Il ne peut pas reculer. Il doit appliquer les directives européennes, les GOPE avec notamment la réforme des retraites.

Pourtant, en novembre 2018, le mouvement des Gilets jaunes a ébranlé le pouvoir, l’obligeant à renoncer à l’augmentation de l’écotaxe prévue pour janvier 2019, puis à faire quelques autres concessions mineures (CSG sur les petites retraites et « prime d’activité »). C’est peu, en termes de concessions réelles, mais c’est bien plus que le résultat – absolument nul – des dizaines de journées d’action syndicale organisées depuis 2010. Surtout, la panique a régné au sommet de l’Etat, en décembre. Il faut comparer cette ambiance à la célèbre fanfaronnade de Sarkozy : « désormais, quand il y a une grève en France, personne ne s’en aperçoit. »

Cependant, le pouvoir semble avoir, pour un temps, repris la main au prix d’une énorme vague de répression qui n’a été possible, une fois de plus que parce que les directions du mouvement ouvrier et tout particulièrement les directions des centrales syndicales l’ont bien voulu. Encore une fois, elles ont trahi l’aspiration des masses populaires à l’unité. Car, encore une fois, la convergence des luttes débouchant sur la grève générale était possible. Elle était souhaitée pas les millions de travailleurs.

La trahison des directions s’est clairement exprimée le 6 décembre 2018, au plus fort de la première phase du mouvement. Le matin même 151 lycéens de Mantes-La-Jolie avaient été contraints par les forces de répression de se tenir à genou mains sur la tête ou mains entravées. Ces images, rappelant les plus sombres moments de notre histoire, ont fait le tour du monde et ont jeté la consternation. Quelle réponse les organisations syndicales allaient elles donner à cette ignominie qui venait s’ajouter à la brutale répression des gilets jaunes ? Voici le communiqué commun des organisations syndicales.

"Les organisations syndicales CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, UNSA, et FSU se sont retrouvées ce jeudi 6 Décembre pour échanger sur l’actualité sociale.

Elles rappellent que, depuis des mois, face aux inégalités sociales et territoriales, elles ont réclamé des politiques publiques permettant de la justice sociale. Elles rappellent aussi que, depuis des mois, elles ont appelé le gouvernement à les écouter à travers un véritable dialogue social.

Aujourd’hui, dans un climat très dégradé, la mobilisation des gilets jaunes a permis l’expression d’une colère légitime. Le gouvernement, avec beaucoup de retard, a enfin ouvert les portes du dialogue.

Nos organisations s’y engageront, chacune avec ses propres revendications et propositions, en commun chaque fois que cela sera possible. Les sujets du pouvoir d’achat, des salaires, du logement, des transports, de la présence et de l’accessibilité des services publics, de la fiscalité doivent trouver enfin des débouchés concrets, créant les conditions sociales d’une transition écologique efficace parce que juste.

Le dialogue et l’écoute doivent retrouver leur place dans notre pays. C’est pourquoi nos organisations dénoncent toutes formes de violence dans l’expression des revendications.

La CFDT, la CGT, FO, la CFE-CGC, la CFTC, l’UNSA, la FSU appellent le gouvernement à garantir enfin de réelles négociations. Cela suppose qu’elles soient larges, ouvertes et transparentes, au niveau national comme dans les territoires."

Ainsi, les syndicats dénoncent la « violence » des manifestations des gilets jaunes comme des lycéens mais pas de la police.. Ils disent : « nos organisations dénoncent toutes formes de violence dans l’expression des revendications. »

La faute de cette irruption des gilets jaunes et des lycéens viendrait du fait que le gouvernement n’a pas suffisamment « écoutés à travers un véritable dialogue social » les dirigeants des syndicats. Or, le « dialogue social » c’est justement l’outil de l’Union Européenne pour tenir en main les syndicats et bloquer leurs actions revendicatives en obligeant les dirigeants à accepter un contrat qui les lie au gouvernement.

Car tous les principaux syndicats (CGT, FO, CFDT, CFCT, UNSA) font partie d’un consortium appelé CES : Confédération Européenne des Syndicats. Cette confédération soutient l’Euro, la loi travail, la loi Macron… et elle est financée par la Commission Européenne. Il semblerait que la CES toucherait 70% de son budget de l’Union Européenne même si ces informations résident dans une opacité totale. La France est le pays d’Europe qui a le plus grand nombre de permanents syndicaux au regard du nombre de syndiqués. C’est dire que l’essentiel de leur salaire ne vient pas des cotisations. Comment peut-on espérer que les dirigeants syndicaux prennent l’initiative d’engager un combat contre ceux qui les paient ? En fait leurs patrons exigent qu’ils se lient les mains dans le « dialogue social » avec les entreprises. C’est bien dans cette logique que les syndicats n’ont rien trouvé d’autre à sortir comme communiqué commun, au moment où, de toute part, les travailleurs attendaient un appel à la mobilisation contre Macron pour appuyer le mouvement des gilets jaunes. Leur seule réponse est un appel à la négociation, au dialogue social. Les syndiqués, les travailleurs doivent exiger au contraire qu’ils rompent avec le « dialogue social ». Ce communiqué a provoqué l’indignation des militants de la CGT qui, sur le terrain, s’efforçaient d’intervenir dans le mouvement des gilets jaunes.

Cette attitude des directions syndicales a jeté la consternation non seulement chez les gilets jaunes mais aussi chez tous ceux qui les soutenaient et ils étaient alors très nombreux : peut-être plus de 80% de la population. La CGT à elle seule pouvait faire basculer la situation. Un appel à une grève générale ne serait-ce que de 24 heures aurait pu être le point de départ d’une mobilisation qui n’aurait pas pu s’arrêter sans arracher une victoire décisive.

L’attitude des gilets jaunes à l’égard des syndicats évolue elle aussi au fil des événements. C’est essentiellement la convergence des luttes qui est cherchée par tous. C’est encore et toujours aux cris de « Tous ensemble » que les gilets jaunes manifestent. Le 14 décembre plusieurs initiatives sont allées dans ce sens, alors que les jeunes lycéens se joignaient au mouvement avec leurs propres revendications, plusieurs instances syndicales appelaient à la grève. Vous pouvez lire à ce sujet plusieurs articles sur le web notamment ceux-ci :

Sur le site web cgt-tefp.fr (CGT travail, emploi, formation professionnelle) « Toutes et tous en grève le 14 décembre 2018, c’est le moment de revendiquer, de passer à l’action et de faire converger les luttes ! »
Sur le site d’Initiative communiste « Info luttes -Appel de la CGT pour le 14 décembre »
Sur le site de La Nouvelle République un article titre « A Romorantin, la CGT appelle à la convergence des luttes »
Sur le site de l’Huffington Post : « La CGT appelle à une grande journée d’action le 14 décembre 2018 ».

La nécessaire convergence des luttes pour aller vers la grève générale était alors l’objectif de tous les militants à la recherche d’une issue victorieuse mais une fois de plus les directions syndicales ont fait obstacle à la mobilisation.

Cependant, déjouant les pronostics des réactionnaires et malgré la répression, les gilets jaunes ne désarment pas et continuent à bénéficier d’un puissant soutien populaire voire même d’un soutien international puisque ce qui se passe en France est très suivi à l’étranger et n’est pas sans incidences au plan international. Ce ne sont plus seulement les partis ouvrier-bourgeois qui sont ébranlés par ce mouvement mais aussi, et peut être davantage, les centrales syndicales. Lors de l’acte 9 du mouvement des gilets jaunes, le samedi 12 janvier 2019, on a pu voir dans les cortèges de nombreux gilets rouges ou oranges. Personne ne s’y trompe : il s’agit de militants qui veulent montrer leur appartenance à la CGT ou plus simplement au mouvement ouvrier et qui regrettent que les centrales syndicales ne s’engagent pas dans ce mouvement. Si les drapeaux rouges restent très rares, ils ont cependant fait aussi leur apparition et le drapeau de l’UE est unanimement traité comme il convient (voir sur YouTube les vidéos « acte 8 : les gilets jaunes brulent le drapeau de l’UE » et « Gilets jaunes acte 9 : Drapeau de l’UE paillasson ».)

Cet énorme décalage entre la combativité des gilets jaunes et la volonté des directions syndicales de bloquer le mouvement si elles ne sont pas en mesure de le canaliser vers une impasse est sans doute ce qui caractérise essentiellement la période actuelle. Beaucoup de militants syndicaux le comprennent. Mais cette contradiction ne peut pas être levée sur la base d’un simple appel à la grève générale comme celui qui a été lancé plus tard.

Voici l’appel lancé à Montreuil le 17 janvier 2019 pour la journée du 5 février :

« La CGT appelle à tenir des assemblées générales, sur tous les lieux de travail et dans tous les secteurs professionnels, pour réussir la grève et les manifestations le mardi 5 février 2019 et débattre des suites à construire dans la durée ».

C’est ce que les gilets jaunes attendaient. Des appels à la grève et à la manifestation sont lancés par un ensemble disparate d’associations : Attac et la fondation Copernic, le collectif La Vérité pour Adama, Générations, le groupe parlementaire de La France insoumise, le NPA, le Parti de gauche, Solidaires ou la CGT Paris, et s’y associaient des éléments de Force ouvrière, de la FSU ou des lycéens de la FIDL et de l’UNL.

François Boulo, l’un des leaders des gilets jaunes lance alors, sur les réseaux sociaux, un appel à la grève générale reconductible. Nous avons critiqué cette initiative dans notre précédent article intitulé « Que faire ? ». Il nous semble irréaliste de chercher à s’imposer à la tête du mouvement ouvrier en lieu et place des directions traditionnelles. Ce n’est pas ainsi qu’une direction révolutionnaire peut émerger. Il ne faut pas prendre ses désirs pour des réalités. Il s’agit typiquement d’une dérive « gauchiste » qui montre une impatience face à la difficulté des tâches à accomplir pour faire émerger une avant-garde.

La mobilisation a été relativement importante. Il y a sans doute eu près de 300 000 manifestants dans toute la France. C’est le chiffre avancé par la CGT. Les principaux représentants des gilets jaunes voulaient en faire le point de départ d’une grève générale illimitée mais ce n’était pas du tout la perspective de la CGT qui n’a d’ailleurs pas lancé partout le même appel qu’à Montreuil. Cet appel à la grève a été relayé par des structures et des militants syndicaux. Mais il n’a pas été suivi d’effet. La passivité des directions confédérales a été un obstacle trop fort. Dans les entreprises, les travailleurs ne se lancent pas à la légère dans un mouvement de cette nature surtout s’ils constatent que les directions confédérales s’y opposent. Par exemple, les différentes catégories de travailleurs qui, ces dernières années, se sont engagées dans la grève reconductible (dockers, salariés des raffineries, cheminots…) ont en mémoire l’échec de leurs mouvements, qui ne s’était pas étendu à d’autres secteurs du salariat. Ils ne sont pas disposés à repartir dans un mouvement dur s’ils n’ont pas de garantie qu’il s’étendra à d’autres catégories de travailleurs. C’est donc encore une fois ici la responsabilité des directions syndicales d’avoir bloqué la grève.

Depuis le mouvement s’est un peu structuré avec les assemblées des assemblées et aussi l’émergence de quelques leaders reconnus par tous. Les figures les plus connues sont : François Boulo, Éric Drouet, Priscillia Ludosky, Maxime Nicolle, et Jérôme Rodrigues. Ils invitent parfois dans des assemblées des intellectuels comme Juan Branco, Etienne Chouard ou Philippe Pascot qui apportent un éclairage que les gilets jaunes jugent pertinent. Ces gilets jaunes laissent le gouvernement et les milliardaires dans l’embarras parce qu’ils ne jouent pas au même jeu que les dirigeants syndicaux qui courent toujours après la concertation sociale. Un mouvement de protestation est à peine entamé qu’ils se précipitent chez les patrons pour se proposer comme interlocuteurs prêts à négocier. A l’opposé les leaders des gilets jaunes se méfient de tout contact avec l’ennemi de classe et évitent tout ce qui pourrait apparaître comme des compromissions. Cela affole et désempare leurs adversaires. Nous ne doutons pas que les leaders des gilets jaunes subissent d’énormes pressions. Il est certain que le gouvernement fait tout pour les corrompre et il est possible que dans certains cas il y arrive. Mais, nous l’avons vu avec Ingrid Levavasseur, quand il y parvient le leader en question se trouve immédiatement grillé auprès des gilets jaunes. Son autorité de représentant s’effondre. Certes, dans tout ce que disent ces leaders, bien des choses sont critiquables mais il ne faut pas leur reprocher de ne pas être capables de se sauter par-dessus la tête. Il est impossible qu’il en soit autrement pour ses jeunes militants inexpérimentés, qui ne connaissent souvent rien de l’héritage du mouvement ouvrier et qui se sont soudainement trouvés propulsés à la tête de ce mouvement. Le cran dont ils font preuve pour ne pas trahir impose le respect. Ce sont des militants de cette trempe qui seront les révolutionnaires de demain. Il faudra leur donner les outils d’analyse des marxistes et les organiser dans un parti qui reste à construire pour faire la révolution. Les grossières insultes lancées contre eux condamnent ceux qui les profèrent notamment quand il est question du passé politique de l’un ou de l’autre. Nous n’avons pas l’intention de faire des enquêtes sur leur passé. Nous n’avons aucune raison de chercher chez eux des zones d’ombres. Peu nous importe de savoir pour qui ils ont voté à telle ou telle occasion. Les représentants des gilets jaunes avec leurs forces et leurs faiblesses sont remarquables par leur détermination et leur défiance radicale à l’égard du régime. Ils ne se soumettent pas aux limites de la légalité comme les bureaucrates des syndicats alors que, bien évidemment, le gouvernement veut toujours imposer des limites plus contraignantes.

L’émergence de ces leaders est une première forme de structuration sans doute d’ailleurs d’autant plus forte qu’ils ne prétendent jamais être des représentants puisqu’ils n’ont pas été élus. C’est par leur participation au mouvement dans les réseaux sociaux et dans les rassemblements qu’ils sont reconnus comme des leaders et confirmés dans ce rôle par leur fidélité aux principes qui ressortent des assemblées et notamment des assemblées des assemblées

La solution qui est apparue la meilleure, parce que la plus démocratique, pour structurer le mouvement est en effet celle des assemblées des assemblées. Des assemblées locales élisent des délégations pour l’assemblée nationale. Il y en a eu trois :

A Commercy les 26 et 27 janvier 2019 avec 75 délégations.
A St-Nazaire du 5, 6 et 7 avril 2019 avec 200 délégations et 800 délégués.
A Monceaux Les Mines les 28, 29 et 30 juin 2019 avec environ 800 participants.

Une quatrième assemblée des assemblées est prévue au début du mois de novembre à Montpellier.

Au cours de ces journées, les gilets jaunes ont toujours affirmé leur volonté de rester indépendants à l’égard des partis politiques. Il faudrait cependant être bien naïf pour penser que les options de divers partis ne se sont pas affirmées au cours des débats que ce soit en toute clarté ou que ce soit de manière opaque voire insidieuse.

Nous avons la certitude qu’il y a eu des tentatives de récupération de la part d’au moins un parti politique. Dans une vidéo de YouTube intitulée « Priscilla Ludovski fatiguée par les approches de la France Insoumise » on peut entendre Priscilla Ludovski (PL) interviewée par Aude Lancelin (AL)

« - (PL). (…) des tentatives de récupération fatigantes. Ils sont là depuis le début du mouvement. Les politiques, ils sont très, très, très tenaces.

(AL) Par exemple ?
(PL) Eh bien… Au départ, dès le début de ma médiatisation, en tous cas, octobre, novembre (2018), j’ai été beaucoup approchée par les plus grands partis dont un qui est très actif et qui tente encore jusqu’à la semaine dernière. Mais c’est hallucinant ! Ils viennent me voir en manifestation. Je ne sais quel est… Si, on sait quel est leur but. Mais, je veux dire. Quand c’est rejeté et que c’est déjà dit et redit, c’est assez fatigant de voir qu’il ne lâche pas l’affaire.
(AL) Vous pensez à qui ?
(PL) A la France Insoumise par exemple. Ils sont assez, assez, assez tenaces. Oui ! Mais bon… »

Sur la même vidéo, on voit Eric Drouet (ED) interviewé par un journaliste (J1) lors d’une émission « Les grandes gueules »

« (ED) Il y a eu Jean-Luc Mélenchon. Il y a eu du Front National. Il y a eu de tout.

(J1) On est venu vous voir en disant : « Eric, Rejoins-nous ? »
(ED) Ah ! Oui. Eh bien, c’est arrivé plusieurs fois. Oui.
(J1) Et vous dîtes quoi à chaque fois ?
(ED) Toujours « Non ». C’est un mouvement qui est apartisan donc on est là pour faire avancer les choses d’un autre côté. On n’est pas là pour mettre une politique plus qu’une autre en avant ».

Interrogé le lendemain sur France Inter par un autre journaliste (J2), Alexis Corbière (AC) de la FI s’exprime sur cette question.

« - (J2) Eric Drouet l’a dit hier : il a eu des propositions politiques nombreuses.

- (AC) Eric Drouet a bien raison de dire que lui il veut garder les gilets jaunes dans sa pluralité et qu’il n’est pas là pour se faire débaucher par des forces politiques. Nous n’avons jamais proposé ça. »

Que croire ? Qui croire ? Passons sur cette question pour essayer de nous centrer sur l’essentiel. Dès la première assemblée, il est apparu que tous les discours sur les positions racistes ou anti-migrants des gilets jaunes n’était qu’un vaste tissu de calomnies. Tous ces discours avaient été tellement rabâchés que bien des gilets jaunes avaient fini par penser, qu’ailleurs que chez eux, il devait bien y avoir effectivement des gilets jaunes racistes et anti-migrants. Bien des délégués de Commercy se préparaient à monter au créneau pour expliquer, qu’en ce qui les concerne, ils étaient mandatés pour expliquer que, chez eux, les gilets jaunes rejetaient toute position allant dans ce sens. Ils furent parfois bien surpris de constater que leurs interventions étaient saluées par des applaudissements et qu’ils n’avaient nullement à essuyer des critiques ni même à devoir s’expliquer. Il fallut bien admettre l’évidence : aucune délégation ne manifestait des positions de ce genre.

Au fil des trois assemblées des assemblées de nombreux sujets ont été discutés. Nous reviendrons sur quelques-uns comme le RIC, le Frexit, les élections européennes… Pour donner l’essentiel de ce qui est ressorti de leurs débats, nous reproduisons ci-dessous le communiqué de la deuxième assemblée des assemblées.

Les gilets-jaunes s’inscrivent dans le mouvement ouvrier tant par leur composition sociale que par leurs objectifs. Les rassemblements des ronds-points et les manifestations regroupent assurément les couches les plus exploitées et les plus opprimées de la population avec l’appui d’intellectuels. Les objectifs des gilets jaunes sont clairement ceux du mouvement ouvrier puisqu’ils affirment qu’il « faudra sortir du capitalisme ». Ils le font d’ailleurs tout en exprimant leur méfiance à l’égard des directions traditionnelles du mouvement ouvrier quand ils affirment leur « indépendance vis-à-vis des partis politiques, des organisations syndicales ». Ils se méfient d’ailleurs de tous les professionnels du syndicalisme et de la politique accusés de fort bien vivre de leurs fonctions et de se préoccuper plus du maintien de leurs avantages que de la défense de leurs concitoyens, voire même de celle de leurs adhérents. Toutes les autres revendications des gilets jaunes sont aussi celles du mouvement ouvrier notamment quand ils affirment :

"Nous revendiquons l’augmentation générale des salaires, des retraites et des minima sociaux ; ainsi que des services publics pour toutes et tous. Nos solidarités en lutte vont tout particulièrement aux neuf millions de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté."

Point de vue de Richard Greeman

Le Problème de la Convergence

Beaucoup de Gilets Jaunes se méfient des syndicats et ont peur de cette fameuse « convergence » – tout en reconnaissant que seule l’unité de tous les mouvements sociaux pourrait renverser le rapport de force entre le gouvernement des 1% les plus riches et les 99% qui ont marre de son arrogance. Car ils savent que c’est seulement à côté des travailleurs syndiqués en grève que nous pouvons arriver à bloquer le pays et faire céder la Macronie.

Néanmoins, nous avons peur d’être manipulé.es, chapeauté.s, traihi.es, et vendues par les chefs syndicaux. Beaucoup de syndicalistes aussi. Et nous n’avons pas tort !

Les Gilets Jaunes de ma génération (ainsi que des syndicalistes de base), se souviennent que, dans le passé, la direction syndicale, depuis longtemps rouage du système capitaliste, est intervenu dans les grèves généralisées pour les liquider prétexte de “représenter” les travailleur.euses. Ce fut le cas en 1995 et avant cela en 1968, 1945, 1936 quand la base des syndicats, qui avait réussi à bloquer le pays par leurs grèves sauvages avec occupations et Assemblées générales partout, a été bernée par leurs chefs et tondue comme des moutons.[1]

Cette manipulation, est-ce fatale ? Cette histoire est-elle vouée à se répéter ? Non ! parce que nous serons là pour la dénoncer, nous les Gilets Jaunes qui depuis bientôt un an avons seul.es tenu ouverte la porte de la lutte sociale. Seul.es, depuis l’implosion de la Gauche politique en 2016 ; seul.es après l’échec des dirigeants syndicaux avec leurs grèves perlés et mobilisations honteuses d’un jour face au rouleau-compresseur néolibérale de Macron au printemps 2018 ; seul.es nous avons fait face aux violences policières déchaînées contre nous dans le silence des chefs syndicaux, des intellectuels, des médias… Violences d’État retournées aujourd’hui contre toute contestation, des écolos aux pompiers, en passant par les élèves, les étudiant.es et les syndicalistes !

Si une grande mobilisation sociale est en préparation pour le 5 décembre, c’est en grande partie grâce à nous, à la ténacité surprenante de notre organisation horizontale, et à notre méfiance des partis politiques, syndicats et autres organes soi-disant représentatives de la société capitaliste. Nous avons éveillé une nouvelle conscience politique chez les Français.es, justement, parce qu’il nous manquaient des chefs et porte-parole pour nous rouler dans la farine. Par conséquence, nous avons vu clair !

Voilà notre force : celle des gens qui avons fermé nos télés et sommes sorti.es de chez nous pour dire “On est là.” La preuve l’influence de notre « mauvaise exemple » ? En 2019 les appels aux grèves illimités du 5 décembre, viennent, pas des directions mais de la base de syndicats, qui n’ont pas attendu leur aval pour lancer les mouvements qui croissent tous les jours.

Or, quand les mouvements déclenchés le 5 décembre prendront feu, quand la grève reconductible se généralisera et bloquera le pays comme nous avons imaginé depuis un an, à cette heure où les bonzes syndicaux s’interposeront inévitablement pour “négocier” la contre-révolution avec Macron, ils n’auront pas le jeu si facile que dans le passé. La base se méfie déjà d’eux et les travailleur/euses font à leur tête. De plus, nous autres Gilets Jaunes serons là en scandant “On est là ! On est là ! Et nous, Nous ne rentrerons pas !” Et à cette heure-là, beaucoup de grévistes porteront fièrement leurs Gilets Jaunes et ne se laisseront pas faire.

Gardons donc notre méfiance justifiée et marchons vers la convergence avec confiance en nous et dans la révolution dans la conscience politique des Français.es que nous avons provoquée pendant 12 mois de luttes spontanées. Notre « mauvaise exemple » d’autonomie Gilet Jaune, notre façon de nous organiser, notre ténacité représentent une véritable menace pour le gouvernement ainsi que pour les bureaucrates des partis et syndicats ses complices. Nous proposons une réelle voie alternative, et c’est eux qui ont peur de nous. Ne pas se décourager, donc. On surmontera ces obstacles. L’histoire n’est pas toujours voué à se répéter. Les gens d’en bas de 2019 ont appris des choses depuis 1936, 1945, 1968, et 1995.

Dans cette perspective, si l’ADA4 des Gilets Jaunes, qui se réunit le 1e novembre 2019 en pleine crise sociale, se met à la hauteur du moment que nous vivons, elle pourrait être un évènement historique en appelant à la convergence de notre grand mouvement spontané aux autres mouvements sociaux le 5 décembre et après. De toute façon, rien ne pourra empêcher les Gilets Jaunes qui sont sorti.es de chez eux en novembre 2018 de descendre dans la rue et sur les ronds-points avec nous en décembre 2019 – ainsi que les millions de Français.es qui les avaient soutenu.es

[1] Je me souviens toujours comment au mois de juin 1968 la CGT a liquidé la grève générale en racontant aux grévistes qui occupaient tel ou tel usine que tels ou tels autres usine avaient accepté les Accords de Grenelle et évacué leur lieu de travail afin de les vider. C’était pas vrai ! De telles escroqueries ne sont plus possible en 2019.

Ce qui a été présenté comme LE communiqué de l’ADA4 de Montpellier, l’assemblée des assemblée n’était qu’un point de vue particulier qui a été, discrètement imposé à toute vitesse à l’assemblée et pas du tout l’émanation de l’ensemble de ses travaux et discussions et d’ailleurs jamais discuté en plénière à Montpellier mais dans une réunion à part... :

« Communiqué » de l’assemblée des assemblées réunie à Montpellier :

"L’Ada réunie à Montpellier ce jour estime, après une année de mobilisation acharnée, que la situation est à un tournant. L’heure est à la convergence avec le monde du travail et son maillage de milliers de syndicalistes qui comme nous, n’acceptent pas. Il faut un rassemblement du peuple français dans toutes ses composantes : paysans, retraités, jeunes, artistes, personnes en situation de handicap, petits artisans, ouvriers, chômeurs, précaires, travailleurs du public comme du privé."

"Nous avons cette occasion à saisir, à partir du 5 décembre, date à laquelle des centaines de milliers de travailleurs seront en grève et en assemblées générales pour la reconduire jusqu’à la satisfaction de nos revendications. L’ADA de Montpellier appelle les Gilets Jaunes à être au cœur de ce mouvement, avec leurs propres revendications et aspirations, sur leurs lieux de travail ou sur leurs ronds-points, avec leurs Gilets bien visibles !"

"La défaite du gouvernement sur sa réforme des retraites ouvrirait la voie à d’autres victoires pour notre camp. Tous dans la rue à partir du 5 décembre, en grève ou sur le rond-point ou en action de blocage ! Tous ensemble, tous unis et cette fois, en même temps !"

Nous émettons toutes réserves sur la validité de ce texte qui prétend placer les gilets jaunes derrière les directions syndicales...

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