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Notre objectif est de construire le parti révolutionnaire, disent-ils...

samedi 23 juin 2018, par Robert Paris

La religion du parti n’est pas le sens politique du parti de classe du prolétariat

Tout au long de son existence, Marx a parlé au nom d’un « parti ouvrier », mais il n’entendait pas par ce terme une organisation particulière, un groupe qu’il aurait fondé ou soutenu, une internationale, une structure politique bien déterminée. Il parlait de parti prolétarien y compris quand lui-même ne faisait partie d’aucune organisation, c’est-à-dire pendant une grande partie de son existence. Il voulait dire par là que la classe exploitée devait s’affirmer comme une classe ayant une politique de classe, intervenant au sein des crises politiques comme économiques et sociales, de la société capitaliste, prenant publiquement position dans ces crises, donnant une réponse de classe du prolétariat à toutes les politiques des classes possédantes et de leurs Etats. Il se considérait lui-même comme une des expressions de ce caractère objectivement politique des potentialités du prolétariat révolutionnaire.

Quelle signification ce « parti ouvrier » exprimait pour Marx ? Tout d’abord, il affirmait que ce n’était pas les intérêts d’un groupe, d’une organisation, d’un parti. Le « parti communiste » ne défend pas des intérêts d’organisation, disait-il. Le premier point qui caractérisait ce parti est de défendre les intérêts globaux des prolétaires, par-delà leurs situations et luttes conjoncturelles, par-delà les frontières, par-delà les corporations, par-delà les objectifs immédiats de leurs luttes actuelles.

Il s’agissait d’exprimer par ce parti prolétarien non l’état de conscience immédiat des prolétaires mais des nécessités objectives plus profondes, fondées sur l’état de la domination des classes possédantes, sur leur fondement économique, social et politique, sur les rapports de forces mondiaux entre exploiteurs et exploités. Et fondées d’abord sur les contradictions internes de la classe possédante, sur les conflits entre bourgeoisies nationales, entre grande, moyenne et petite bourgeoisie, dans les relations avec les groupes intermédiaires, dans les relations internationales, dans la guerre et la paix.

Ensuite, en parlant au nom du parti prolétarien, il affirmait le sens de sa politique qui n’était celle d’un simple publiciste développant ses idées, mais celle de l’affirmation politique du prolétariat révolutionnaire. Marx parlait directement au nom du prolétariat communiste, même si celui-ci n’était rien d’autre qu’une potentialité. C’est pourquoi il ne parlait pas au nom d’un prolétariat national, de tel ou tel pays, puisque le prolétariat communiste ne l’est pas. Quand il écrivait le programme du prolétariat, il parlait de Manifeste du parti communiste, sans citer ni un parti particulier, ni un pays particulier.

La signification du programme du parti prolétarien n’est pas le programme revendicatif des travailleurs d’un pays donné à une époque donnée, ce qui contribue au fait que le Manifeste communiste ait si bien tenu devant l’effritement des années.

Ce que Marx appelle programme du prolétariat communiste, c’est d’abord et avant tout le sens historique du combat prolétarien, par rapport à toute l’histoire de l’humanité et de la lutte des classes, toute l’histoire des modes de production et des rapports de production. Pour Marx, contrairement à tous les réformistes de son époque comme d’aujourd’hui, l’essentiel de ce qui doit orienter la lutte prolétarienne est de préparer l’avenir et pas seulement de répondre à des besoins immédiats.

Marx ne choisit pas le prolétariat parce que ce serait la classe la plus exploitée, la plus opprimée, la plus pauvre ou la plus dépossédée. Non, il choisit le prolétariat parce que c’est la classe potentiellement révolutionnaire et dont la révolution est porteuse du changement historiquement indispensable : dépasser la propriété privée des moyens de production et ainsi en finir avec l’exploitation de l’homme par l’homme, en finir avec la division en classes sociales, et avec l’Etat de classe, au service de la seule classe dominante.

Ce que Marx appelle parti prolétarien, ce n’est ni un groupe de militants radicaux, ni un parti qui appelle spécialement à l’insurrection, ni une forme déterminée d’organisation – Marx va soutenir à diverses époques diverses sortes d’organisation – mais ce qui reste sans cesse le point de vue de Marx, c’est que le parti prolétarien communiste vise l’avenir et non l’immédiat, se fonde plus sur le rôle d’avenir que sur les limites de la situation et de la conscience immédiate.

Pas plus à son époque qu’aujourd’hui, le prolétariat n’était clairement conscient de son rôle révolutionnaire et de son rôle historique. Les prolétaires que Marx et Engels ont connus, en Europe, n’avaient pas davantage la connaissance de l’histoire des sociétés humaines, de la place du capitalisme dans cette histoire et de la place du prolétariat par rapport aux autres classes exploitées de l’Histoire. Ils ne connaissaient même, et pas plus aujourd’hui, l’histoire des luttes révolutionnaires du passé.

Et cependant, Marx affirmait que le prolétariat devait, par sa propre expérience, mesurer son rôle au cours des événements et le rôle de la politique communiste était justement de faire en sorte que ces expériences lui permettent de profiter du maximum d’expérience politique. Il ne fallait surtout pas, estimait Marx, que ces expériences en restent au seul trade-unionisme, à la seule lutte économique revendicative. Il fallait, au contraire, que le prolétariat se mesure aux autres classes sociales, à l’ancienne classe féodale et à la bourgeoisie. Il fallait que, au cours de toutes les crises politiques et sociales réelles qu’il allait vivre, que ce soient des crises des régimes politiques, des guerres, des conflits liés à la question nationale, des conflits religieux et autres, toutes sortes de crises et de conflits autres que la lutte syndicale, le prolétariat affirme ses propres perspectives de classe face à celles des autres classes.

Pour Marx, que le prolétariat soit une classe historique signifie qu’il n’est pas seulement un groupe sociologique, avec des buts, immédiats et limités, d’une série de corporations en lutte contre ses patrons particuliers, dans un pays particulier, pour une profession particulière, dans une situation particulière, face à un gouvernement particulier.

Et l’effort politique de Marx consiste à faire le plus possible en sorte que la conscience collective des prolétaires réels, au moment en question, intègre ce rôle historique. Cela signifie que le prolétariat communiste ne peut pas renoncer à l’avenir pour l’immédiat.

C’est ainsi que Marx a rompu avec Jones, le dernier dirigeant du mouvement ouvrier chartiste parce que celui-ci avait choisi comme tactique momentanée de s’allier à la bourgeoisie capitaliste. Il estimait que c’était faire reculer énormément la conscience du prolétariat dans un objectif limité et illusoire. Jones, lui-même, a reconnu son erreur et a abandonné cette politique mais le mal était fait, et la politique trade-unioniste anglaise allait théoriser l’abandon de la politique communiste de classe pour le pragmatisme et l’alliance avec les buts de la bourgeoisie au nom de progrès prétendus que permettait l’accord avec l’Etat anglais et les bourgeois anglais, et notamment le soutien du nationalisme, du colonialisme et de l’impérialisme.

Cela ne signifie pas que Marx s’en tienne à l’abstraction, d’un prolétariat abstrait, d’une lutte de classes abstraite, loin de la réelle situation sociale et politique, dans une posture complètement imaginaire. Pas du tout ! Tous ses écrits témoignent au
contraire de prises de position politiques qui suivent en détail la lutte des classes dans chaque pays. L’exemple de la France, au travers des « Luttes de classes en France », « La guerre civile en France », et « Le 18 Brumaire » en sont un exemple clair. Mais c’est à la lumière de l’histoire des modes de production et de l’histoire des sociétés de classe que Marx étudie le présent et c’est très différent de ce qu’en retirent politiciens et syndicalistes réformistes.

L’action prolétarienne se déroule, pour Marx, au sein de l’histoire mondiale, celle de la société humaine et pas seulement en suivant la conjoncture locale et momentanée, et cela donne un son bien différent. Loin de voir dans le capitalisme une société éternelle, Marx étudie l’histoire du présent au regard de la perspective de la fin du capitalisme et de l’avènement du socialisme. Il ne sait pas à quelle date cela se produira mais estime que la fin de la propriété privée des moyens de production ne peut qu’être la perspective de l’action prolétarienne. C’est la seule qui lui donne toute son ampleur, toute sa signification historique, qui donne aussi cette dimension à l’histoire des sociétés humaines, qui guide l’évolution historique des modes de production.

Bien des gens aujourd’hui disent que cela provient de l’époque que vivait Marx et pensent qu’aujourd’hui il n’est pas facile ou même pas possible d’affirmer ceci. Mais, en réalité pas plus à l’époque de Marx qu’aujourd’hui, ce point de vue historique de classe n’est celui d’une majorité de militants ou d’organisations, même si elles se disaient ou se disent révolutionnaires. Les activistes ont toujours été les plus nombreux. Les pragmatiques aussi. Les réformistes et les opportunistes ne datent pas de maintenant. La plupart des militants de l’époque de Marx se moquaient bien de ce qu’ils appelaient les prédictions de Marx. La plupart, comme Proudhon, se moquaient à l’époque de sa « prédiction » selon laquelle le capitalisme allait dominer le monde !!! C’est dire s’ils étaient éberlués qu’il affirme qu’ensuite le capitalisme cèderait la place… au prolétariat ! Le discours selon lequel « les gens n’en sont pas là » n’a rien de nouveau, y compris dans l’extrême gauche qui se dit pourtant révolutionnaire et même parfois communiste et marxiste ! Elle n’en affirme pas moins que le capitalisme s’en tirera toujours de ses crises et que le capitalisme ne peut pas atteindre ses limites… Elle ne voit dans le prolétariat qu’une classe condamnée à se battre à la remorque d’appareils réformistes de toutes sortes. Et pas une classe d’avenir capable de modeler un monde nouveau. Elle ne croit que ce qu’elle voit ! Elle ne voit pas du tout ce que voyaient Marx, Engels, Lénine, Rosa Luxemburg ou
Trotsky.

Manque de volonté ou incapacité ? C’est la même chose en fait. Les extrêmes gauches d’aujourd’hui ne sont pas plus révolutionnaires que celles d’hier et ne voient pas ce que représente « le parti politique prolétarien ». Ainsi, elles ne voient dans les luttes de classes que des moyens pour leur groupe de se renforcer et pas des moyens pour le prolétariat de développer son expérience propre de classe, sa conscience de classe et son organisation autonome de classe.

Certes, ces militants estiment qu’en construisant leur groupe sur cette base opportuniste, ils font avancer la construction du parti révolutionnaire du prolétariat, mais c’est contre le point de vue de Marx : « Les communistes n’ont pas d’intérêts d’organisation à défendre » !!!

Messages

  • Roger Dangeville dans « Le parti de classe » :

    « Voyons ce que Marx dit lui-même. Il est catégorique : « L’actuelle insurrection de Paris est le plus glorieux exploit de notre parti » (à Kugelmann, 12 avril 1871). Mais en quel sens la Commune fut-elle l’œuvre de ce parti ? Dans les Enseignements de la Commune de Paris, Trotsky ne craint pas d’affirmer que « le prolétariat parisien n’avait ni parti, ni chef » ? Les deux affirmations contradictoires en apparence, se complètent simplement. »

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