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Questions posées à Léon Trotsky

dimanche 11 mars 2018, par Robert Paris

Léon Trotsky

Nos divergences avec le groupe du Centralisme Démocratique

Cher Camarade Borodaï,

J’ai reçu votre lettre, expédiée de Tioumen le 12 octobre, presque un mois après. Je réponds très volontiers, immédiatement, par retour du courrier, étant donnée l’importance des questions que vous me posez. En prenant comme point de départ la position du Groupe DC auquel vous appartenez, vous me posez sept questions et exigez qu’il y soit donné des réponses « claires et concrètes », « pas nébuleuses ». C’est un désir tout à fait légitime. Seulement, notre façon d’être concret doit être dialectique, c’est‑à‑dire embrasser la dynamique vivante de l’évolution et ne doit pas y substituer des patrons tout faits, qui, à première vue, paraissent très « clairs », mais qui, en réalité, sont faux et manquent de contenu. Votre façon de me questionner procède en pure forme : si c’est oui, c’est oui, si c’est non, c’est non. Vos questions doivent d’abord être replacées sur un terrain marxiste pour y donner des réponses justes.
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Après avoir exposé le caractère de la composition sociale du Parti et de son Appareil, vous demandez : « Le Parti a‑t‑il dégénéré ? C’est la première question ». Vous exigez une réponse « claire » et « concrète », c’est‑à‑dire : oui, il a dégénéré. Pourtant, je ne puis pas répondre ainsi, car, actuellement, notre Parti, et socialement et idéologiquement, est extrêmement hétérogène, Il comprend des cellules anatomiques tout à fait dégénérées, d’autres, encore saines, mais imprécises, d’autres, jusqu’ici à peine atteintes par la dégénérescence, etc. Le régime de l’oppression de l’Appareil qui reflète la pression des autres classes sur le prolétariat, et la baisse de l’esprit d’activité du prolétariat lui‑même, rend très difficile le contrôle quotidien du degré de dégénérescence des diverses couches et cellules anatomiques du Parti et de son Appareil. Mais cette vérification peut être acquise et sera acquise par l’action, en particulier par notre intervention active dans la vie intérieure du Parti, en mobilisant infatigablement les éléments vivants et capables de vivre de celui‑ci. Naturellement, on ne petit parler d’une pareille intervention si l’on prend comme point de départ que l’ensemble du Parti est dégénéré, que le Parti est un cadavre. Si l’on a une pareille estimation de celui‑ci, il est absurde de s’adresser à lui et encore plus absurde de s’attendre à ce qu’il veuille, dans l’une ou l’autre de ses parties, c’est­à‑dire surtout dans son noyau prolétarien, entendre et comprendre. Or, conquérir ce noyau, c’est conquérir le Parti. Ce noyau ne se considère pas, et tout à fait à juste titre, ni comme mort ni comme dégénéré. C’est sur lui, sur son lendemain, que nous prenons notre alignement dans notre politique. Nous lui expliquerons patiemment nos tâches en nous basant sur l’expérience et sur les faits. Dans chaque cellule et dans chaque réunion ouvrière, nous qualifierons de mensonge la calomnie de l’Appareil disant que nous complotons et créons un second Parti ; nous affirmerons que ce sont les thermidoriens de l’Appareil qui, en se dissimulant derrière les centristes, établissent ce second Parti ; quant à nous, nous voulons épurer le Parti de Lénine des éléments oustrialovistes [1] et semi‑onstrialovistes ; nous voulons le faire d’accord avec le noyau prolétarien, qui, avec l’aide des éléments actifs du prolétariat tout entier, peut encore se rendre maître du Parti et sauver la Révolution de la mort par une réforme prolétarienne profonde dans tous les domaines.
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« Sommes‑nous en présence d’une dégénérescence de l’Appareil et du pouvoir des Soviets ? C’est la seconde question », demandez‑vous.

Tout ce qui a été dit plus haut se rapporte également à cette question. Sans doute, la dégénérescence de l’Appareil des Soviets devance considérablement le même processus dans celui du Parti. Néanmoins, c’est le Parti qui décide. A présent, cela équivaut à dire : l’Appareil du Parti. La question revient donc au même : le noyau prolétarien du Parti, aidé par la classe ouvrière, est‑il capable de triompher de l’autocratie de l’Appareil du Parti fusionnant avec celui de l’État ? Celui qui répond a priori qu’il en est incapable, parle par là même non seulement de la nécessité d’un nouveau Parti sur un nouveau terrain, mais aussi de la nécessité d’une seconde et nouvelle révolution prolétarienne. Il va de soi qu’on ne peut nullement affirmer qu’une pareille perspective soit écartée dans toutes les éventualités. Toutefois, il ne s’agit pas ici de divinations historiques, mais bien de ne pas céder à l’ennemi la Révolution d’Octobre et la dictature du prolétariat, et, au contraire, de faire renaître et de renforcer celles‑ci. Cette voie a‑t‑elle été tentée jusqu’au bout ? Nullement. An fond, le travail méthodique des bolcheviks‑léninistes pour mobiliser le noyau prolétarien du Parti dans la nouvelle étape historique ne fait que commencer.

La réponse aride, « oui, il est dégénéré », que vous désireriez voir faire à votre question concernant le pouvoir des Soviets ne contiendrait en soi aucune clarté, ne découvrirait aucune perspective. Il s’agit bien d’un processus contradictoire en cours de développement, qui doit encore trouver sa conclusion dans un sens ou dans l’autre, grâce à la lutte des forces vives. Notre participation à cette lutte aura une importance considérable pour en déterminer l’issue.
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« En considérant, dans son ensemble, la situation actuelle de notre pays et du Parti ‑ demandez‑vous - y a‑t‑il chez nous une dictature de la classe ouvrière qui ait l’hégémonie dans le Parti et dans le pays ? C’est la troisième question. »

Les deux réponses précédentes font voir nettement que vous posez cette question là aussi d’une façon inexacte, pas dialectique, mais scolastique. C’est justement Boukharine qui nous a présenté cette question des dizaines de fois, sous la forme de l’alternative scolastique suivante : Ou bien Thermidor règne chez nous et alors vous, Opposition, devez être des défaitistes et non pas des partisans de la défense ; ou bien, si vous êtes de véritables partisans de la défense, alors reconnaissez que tous les discours sur Thermidor ne sont que du bavardage. Ici, camarade, vous tombez entièrement dans le piège de la scolastique boukharinienne. Vous voulez, avec lui, avoir des faits sociaux « clairs », c’est‑à‑dire complètement achevés. Quant aux processus contradictoires en cours de développement, ils vous apparaissent « nébuleux ». Qu’avons‑nous en réalité ? Nous avons dans le pays un processus de dualité du pouvoir fortement avancé ? Le pouvoir est‑il passé aux mains de la bourgeoisie ? Évidemment, non. Le pouvoir est‑il échappé des mains du prolétariat ? A un certain degré, à un degré très considérable, mais qui est encore loin d’être décisif, oui. C’est ce qui explique la prédominance monstrueuse de l’appareil bureaucratique louvoyant entre les classes. Mais l’Appareil de l’État, par l’intermédiaire de l’Appareil du Parti, dépend de cette organisation, c’est‑à‑dire de son noyau prolétarien, à condition que celui‑ci soit actif et ait une orientation et une direction justes. C’est en cela que consiste notre tâche.

Un état de dualité de pouvoir est instable par son essence propre : il doit, tôt ou tard, aboutir dans un sens ou l’autre. Mais, dans la situation actuelle des choses, la bourgeoisie ne pourrait s’emparer du pouvoir qu’en suivant la voie de l’ébranlement contre‑révolutionnaire. Quant au prolétariat, il pourrait le reprendre tout entier renouveler la bureaucratie et se soumettre celle‑ci en marchant dans le chemin de la réforme du Parti et des Soviets. Ce sont là les traits caractéristiques fondamentaux de la situation.

Vos camarades d’idées de Kharkov, d’après ce que l’on me communique, se sont adressés aux ouvriers avec un appel basé sur l’idée fausse que la Révolution d’Octobre et la dictature du prolétariat sont déjà liquidées. Ce manifeste, dont le fond est mensonger, a causé le plus grand tort, à l’Opposition. Il faut condamner résolument et implacablement de pareilles interventions. C’est de la bravade d’aventurier, et non pas de l’esprit révolutionnaire de marxiste.
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En faisant une citation de ma « postface » traitant du triomphe en Juillet de la Droite contre le Centre [2], vous demandez : « Mettez‑vous ainsi entièrement entre guillemets « le cours de gauche » et « le déplacement », que vous aviez autrefois proposé d’appuyer de toutes les forces et par toutes les méthodes ? C’est la quatrième question. »

Il y a ici, chez vous, une contre‑vérité directe. Je n’ai jamais nulle part parlé de cours de gauche. J’ai parlé de « zigzag de gauche » en opposant cette conception à une ligne de conduite prolétarienne cohérente. Je n’ai jamais, nulle part, proposé de soutenir le semblant de cours de gauche des centristes. Mais j’ai proposé et promis de soutenir, par tous les moyens, tout pas que ferait effectivement le centrisme vers la gauche, si même ce pas n’avait qu’un caractère de demi‑mesure, sans cesser pour un seul instant de critiquer et de démasquer le centrisme en tant qu’obstacle fondamental dressé sur la voie du réveil de l’esprit d’activité du noyau prolétarien du Parti. Ma « postface » fut justement, un document divulguant la capitulation politique des centristes devant la droite lors du Plenum de Juillet. Mais je n’estimais pas, et je n’estime pas à présent, que l’histoire du développement du Parti, et en particulier celle de la lutte du centre contre la droite, se soient terminées à ce Plenum. Nous sommes actuellement témoins d’une nouvelle campagne centriste contre les droitiers. Nous devons devenir des participants autonomes de cette campagne. Nous voyons, évidemment, entièrement toute la fausseté, la duplicité, le caractère de demi-mesure perfide de l’Appareil dans la lutte stalinienne contre la droite. Mais, derrière cette lutte, se dissimulent des forces de classes profondes qui s’efforcent de se frayer une voie à travers le Parti et son Appareil. La force animatrice de l’aile droite, c’est le nouveau possédant en voie de développement, cherchant la liaison avec le capital mondial : nos droitiers piétinent et sont intimidés, parce qu’ils n’osent pas encore ouvertement enfourcher ce cheval de bataille. C’est le fonctionnaire du Parti, des syndicats et autres institutions, qui est le rempart des centristes : malgré tout, il dépend de la masse ouvrière, et il est obligé, semble‑t‑il, au cours des derniers temps, de compter de plus en plus avec celle‑ci : c’est de, là que viennent « l’autocritique » et « la lutte contre la droite ». C’est ainsi que, dans cette lutte, se réfracte et dévie, mais se manifeste aussi la lutte de classes ; par sa pression, elle peut transformer la bagarre des centristes et des droitiers dans l’Appareil en une étape très importante du réveil et de l’animation du Parti et de la classe ouvrière. Nous serions de pauvres imbéciles, si nous prenions la campagne actuelle contre les droitiers au sérieux. Mais nous serions aussi de piteux scolastiques et des « sages » de secte si nous ne savions pas comprendre que des centaines de milliers d’ouvriers, membres du Parti, y croient, sinon à 100, tout au moins à 50 ou à 25 %. Ils ne sont donc pas encore avec nous. N’oubliez pas cela, ne vous laissez pas leurrer par des vétilles de cénacle. Le centrisme tient, non seulement grâce à l’oppression de l’Appareil, mais aussi à cause de la confiance ou de la demi‑confiance d’une certaine partie des ouvriers, membres du Parti. Ces ouvriers, appuyant les centristes, iront bien plus volontiers combattre les droitiers qu’ils n’allaient lutter contre l’Opposition, où il fallait les traîner la corde au cou. Un oppositionnel sérieux et raisonnable dira, dans n’importe quelle cellule ouvrière, dans n’importe quelle assemblée ouvrière : « On vous invite à combattre les droitiers : c’est une chose magnifique. Il y a longtemps que nous vous y avons exhorté. Et, si vous pensez lutter sérieusement contre la droite, vous pouvez compter entièrement sur nous. Nous ne serons pas des briseurs de grève. Au contraire, nous serons aux premiers rangs. Seulement, mettons-­nous à lutter réellement. Il faut désigner tout haut les chefs de la droite, énumérer leurs œuvres de droite, etc, » En un mot, l’oppositionnel poussera, en bolchevik, le noyau prolétarien du Parti en avant, il ne lui tournera pas le dos sous prétexte que le Parti est dégénéré.
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« Est‑il possible de se faire encore des illusions sur les staliniens, quant à leur capacité de défendre les intérêts de la révolution et de la classe ouvrière ? C’est la cinquième question. »

Vous posez la cinquième question aussi inexactement que les quatre précédentes. Se faire des illusions au sujet des centristes, c’est rouler soi-même vers le centrisme. Mais ne pas voir les processus de masse qui poussent les centristes vers la gauche, c’est s’enfermer dans la coquille des sectaires. Comme s’il s’agissait de savoir si Staline et Molotov sont capables de revenir dans la voie de la politique prolétarienne ! En tout cas, par eux‑mêmes, ils en sont incapables. Ils l’ont entièrement démontré,, mais il ne s’agit pas de faire le devin au sujet du sort futur des divers membres de l’état‑major stalinien, cela ne nous intéresse nullement. Dans ce domaine, toutes les « surprises » sont possibles ; Ossinsky, ex‑chef du DC, est bien devenu un extrême‑droitier, par exemple... La question juste serait celle‑ci : les dizaines et les centaines de milliers d’ouvriers, membres du Parti et des Jeunesses Communistes, qui, à présent, soutiennent activement, demi-activement et passivement les staliniens, sont‑ils capables de se remettre dans l’alignement, de se relever, de se masser et « de défendre les intérêts de la révolution et de la classe ouvrière » ? A ceci, je réponds : Oui, ils en sont capables. Ils en seront capables demain ou après‑demain si nous savons les aborder d’une façon juste, si nous leur montrons que nous ne nous opposons pas à eux comme à des cadavres ; si, en bolcheviks, nous appuyons chaque pas, chaque demi‑pas qu’ils feront vers nous ; si, à côté de cela, non seulement nous ne, nous donnons pas d’« illusions » au sujet de la direction centriste, niais si nous divulguons implacablement ces illusions, grâce à l’expérience quotidienne de la lutte. Pour le moment, il faut le faire par l’expérience de la lutte contre la droite.
6

Après avoir déterminé le caractère du VI° Congrès, et signalé certains phénomènes ait sein du Parti, vous écrivez : « Tout cela, n’est‑ce pas Thermidor avec la guillotine sèche ? C’est la sixième question. »

Il a été répondu à cette question d’une façon suffisamment concrète plus haut. Une fois de plus, ne croyez pas que la scolastique boukharinienne, employée à rebours, est du marxisme.
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« Avez‑vous l’intention personnellement ‑ me demandez‑vous ‑ de continuer, à l’avenir, à décerner aux camarades faisant partie du Groupe des Quinze la superbe épithète de révolutionnaires honnêtes et à vous délimiter en même temps d’eux ? Ne serait‑il pas temps de terminer la petite querelle ? N’est‑il pas temps de songer à la consolidation des forces de la garde bolchevique ?... C’est la septième et dernière question. »

Malheureusement, cette question‑là, aussi, n’est pas posée par vous d’une façon tout à fait juste. Ce n’est pas moi qui me suis délimité du DC, mais bien ce groupement qui fit partie de l’ensemble de l’Opposition qui s’est délimité de celle‑ci. C’est sur ce terrain que s’est produite par la suite une scission dans le Groupe du DC lui‑même. Tel est le passé. Si l’on examine la toute dernière phase, quand il y eut, au sein de l’Opposition en exil, un échange d’opinions des plus sérieux, ayant pour résultat l’élaboration de toute une série de documents responsables recueillant l’adhésion de 99 % de l’Opposition, ici encore les décistes, sans, au fond, rien apporter à ce travail, se sont de nouveau délimités de nous en se montrant plus safarovistes que Safarov lui‑même. Après ceux‑ci, vous me demandez si j’ai l’intention, dans l’avenir, de continuer à me « délimiter » du DC. Non, vous n’abordez pas du tout cette question par le bon bout. Vous représentez les choses comme si, dans le passé, les Zinoviev, les Kamenev et les Piatakov avaient fait obstacle à l’union. Vous vous trompez en cela aussi. On pourrait conclure de vos paroles que nous, Opposition de 1923, nous étions pour l’union avec les zinoviévistes, et le Groupe du DC contre. Au contraire : dans cette question, nous fûmes beaucoup plus prudents, et nous insistâmes beaucoup plus au sujet des garanties. L’initiative de l’union appartenait au DC.

Les premières conférences avec les zinoviévistes se tinrent sous la présidence du camarade Sapronov. Je ne dis cela nullement comme un reproche, car le bloc fut un fait nécessaire et un nprogrès. Mais il ne faut pas défigurer le passé d’hier. Après que le bloc fut un fait nécessaire et un progrès. Mais il ne faut pas défigurer le passé d’hier. Après que le Groupe du DC se sépara de l’Opposition, Zinoviev fut toujours pour une nouvelle union avec lui : il souleva la question des dizaines de fois, quant à moi, j’intervenais dans le sens contraire. Quel était en cela mon raisonnement ? Je disais : nous avons besoin d’union, mais d’une union solide, sérieuse. Si, dès le premier heurt, le Groupe du DC s’est séparé de nous, il ne faut pas se hâter de faire de nouvelles fusions de cénacles, mais laisser à l’expérience vérifier la politique et, soit approfondir la scission, soit préparer des conditions d’une véritable union, sérieuse et non passagère. J’estimais que l’expérience de 1927‑1928 devait démontrer combien les soupçons et les insinuations venant de la part des dirigeants du DC contre l’Opposition de 1923 étaient absurdes. Je comptais surtout que les documents de principe que nous avions adressés au VI° Congrès faciliteraient le rapprochement de nos rangs. C’est bien ce qui s’est produit pour toute une série de camarades du DC. Mais les dirigeants reconnus de votre Groupe ont fait tout ce qu’ils ont pu.. non seulement pour approfondir et accentuer les divergences de vue, mais encore pour envenimer complètement les relations. Pour ma part, j’envisage avec assez de calme les écrits de V. Smirnov. Mais j’ai reçu, au cours des derniers temps, des dizaines de lettres de camarades indignés jusqu’au dernier point du caractère de ces écrits, qui semblent être spécialement calculés pour empêcher le rapprochement et conserver à tout prix sa propre chapelle et son rang de pasteur.

Mais, indépendamment de toute l’histoire précédente sur le point de savoir quels sont ceux qui se sont délimités, comment ils l’ont fait, qui veut honnêtement l’unité dans nos rangs et qui tend à garder sa paroisse, il reste encore à examiner entièrement la question des bases d’idées de cette union.

Le camarade Rafaïl [3] m’écrivait, le 28 septembre :

« Nos amis du « Groupe des Quinze » ont commencé à mener une campagne enragée en particulier contre vous ; il y a là‑dessus une entente touchante entre l’article de fond du « Bolchevik », n° 16, et Vladimir Mikhaïlovitch Smirnov et d’autres camarades du « Groupe des Quinze ». L’erreur fondamentale de ces camarades est d’accorder une trop grande valeur aux décisions de pure forme et aux combinaisons qui s’opèrent dans les couches supérieures, en particulier aux décisions du Plenum de Juillet, Les arbres leur cachent la forêt. Naturellement, lors d’une certaine phase du développement, ces décisions sont le reflet d’un certain rapport de forces : mais on ne peut, en aucun cas, considérer que ce soient elles qui déterminent l’issue de la lutte qui continue et continuera encore. Aucun des problèmes qui a provoqué la crise n’est résolu, les contradictions s’accentuent : jusqu’à l’article de fond officiel de la Pravda du 18 septembre qui est obligé de le reconnaître. L’Opposition vit et a la volonté de vivre ; elle a des cadres qui ont été trempés dans les combats, et quels cadres ! Faire, à un pareil moment, des conclusions analogues à celles que fait le Groupe des Quinze est faux, quant au fond, et extraordinairement nuisible. Ces conclusions créent un état d’esprit de démobilisation au lieu d’organiser la classe ouvrière et le noyau prolétarien du Parti. La position des Quinze ne peut être que passive, car si le prolétariat et son avant‑garde ont déjà cédé sans combattre toutes leurs positions et leurs conquêtes, alors sur qui et sur quoi peuvent compter ces camarades ? On n’organise pas les masses pour faire renaître « un cadavre » : quant à une nouvelle lutte, dans la situation de la classe ouvrière telle qu’ils se la représentent, les délais sont trop grands, et cela mènera inévitablement à la position de Chliapnikov. » Je pense que le camarade Rafaïl a parfaitement raison eu présentant ainsi les traits caractéristiques de cette situation.

Vous écrivez que le prolétariat n’aime pas un esprit de demi‑mesures nébuleuses et les dérobades diplomatiques. C’est juste. Voilà pourquoi il faut qu’en fin de compte vous soyez logiques. Si le Parti est un cadavre, il faut bâtir un nouveau Parti sur un nouvel emplacement, et le dire ouvertement à la classe ouvrière. Si Thermidor est achevé, et si la dictature du prolétariat est liquidée, il faut alors déployer ouvertement l’étendard de la seconde révolution prolétarienne. C’est ainsi que nous aurions agi, si la voie de la réforme dont nous sommes partisans, avait échoué. Malheureusement les dirigeants du DC sont complètement empêtrés dans l’esprit nébuleux des demi‑mesures et dans les dérobades diplomatiques. Ils critiquent notre voie de la réforme d’une manière très « gauche » : j’espère que nous avons montré par des actes que ce chemin n’était nullement celui de la légalité stalinienne ; mais ils ne proposent pas non plus aux masses ouvrières d’autres voies. Ils se bornent à ronchonner en sectaires contre nous, et comptent en attendant sur des mouvements spontanés. Si cette ligne de conduite venait à se renforcer, non seulement elle ferait périr tout votre Groupe, qui contient pas mal de bons et dévoués révolutionnaires, mais comme tout sectarisme et esprit d’aventure, elle rendrait le meilleur service aux tendances droites‑centristes, c’est‑à‑dire en fin de compte à la restauration bourgeoise. Voilà pourquoi cher camarade, avant de s’unir, et je suis de toute mon âme pour l’union, il faut se délimiter au point de vue idées en se basant sur une ligne de conduite nette et de principe. C’est une bonne vieille règle bolchevique.

Salutations communistes,

Léon Trotsky

Mai 1929

Notes

[1] Oustrialov : politicien libéral qui avait soutenu Lénine lors de la promulgation de la NEP, y voyant l’amorce de la restauration du capitalisme.

[2] « Le Plenum de juillet et le danger de droite. » Contre le courant, n° 15‑16‑17.

[3] Rafaïl : un des dirigeants du Groupe du DC, qui rompit avec celui‑ci en 1927 et vécut en exil.

Où va la révolution soviétique ?

22 avril 1929

Depuis la révolution d’Octobre, cette question n’a pas quitté les colonnes de la presse mondiale. A l’heure actuelle, elle est traitée en fonction de mon exil que les adversaires du bolchevisme considèrent comme un dénouement depuis longtemps attendu. Que cet exil ait une importance, non point personnelle, mais politique, ce n’est pas à moi de le nier. Cependant, cette fois encore, je ne conseillerai pas de se hâter de conclure au « commencement de la fin ».
Il serait vain de rappeler que les pronostics historiques se distinguent des pronostics astronomiques en ce qu’ils sont toujours relatifs. Il serait ridicule de faire une prédiction exacte lorsqu’il s’agit de la lutte de forces vives. Le problème de la prévision historique consiste à distinguer le possible de l’impossible, et à dégager, parmi les conceptions théoriques, quelles sont les plus vraisemblables.

Une réponse un tant soit peu fondée à cette question « Où va la révolution soviétique ? » ne pourrait se trouver que dans le résultat de l’analyse de toutes ses forces intérieures, ainsi que des circonstances mondiales parmi lesquelles elle se meut une telle étude exige un livre. A Alma-Ata, j’ai travaillé à ce livre, que j’espère achever à bref délai. Je ne puis ici qu’indiquer les grandes lignes qu’il faut suivre pour chercher une réponse.
Est-il vrai que la révolution russe soit proche de sa liquidation ? Ses ressources intérieures sont-elles épuisées ? Qui pourra lui succéder ? Une démocratie ? Une dictature ? Une restauration monarchique ?
Le cours d’un processus révolutionnaire est beaucoup plus complexe que celui d’un torrent de montagne. Mais, là comme ici, le changement d’orientation le plus paradoxal à première vue est absolument normal. Toutefois, il ne faut pas exiger une norme extérieure et schématique, il faut prendre une norme naturelle, déterminée par le volume d’eau du torrent, le relief de la contrée, le caractère des courants aériens, etc. En politique, cela signifie qu’après les ascensions les plus fortes de la révolution, il faut prévoir la possibilité et la probabilité de descentes abruptes, parfois prolongées et, au contraire, dans les périodes de la décadence la plus grande, comme par exemple au moment de la contre-révolution de Stolypine (1907-1910), distinguer les prémices d’une nouvelle ascension.
Deux périodes principales

Les trois révolutions qu’a traversées la Russie pendant le dernier quart de siècle constituent, en réalité, les étapes d’une seule et même révolution. Entre les deux premières, douze années se sont écoulées ; entre la deuxième et la troisième, il n’y a eu que neuf mois. Les onze années d’existence de la révolution soviétique se décomposent également en une série d’étapes parmi lesquelles deux principales, la maladie de Lénine et le commencement de la lutte contre le « trotskysme », peuvent être à peu près considérées comme la ligne de démarcation qui les sépare. Pendant la première période, les masses ont joué un rôle décisif. L’Histoire ne connaît pas d’autre exemple de révolution ayant mis en mouvement des masses semblables à celles qui furent soulevées par la révolution d’Octobre. Et aujourd’hui encore, il existe des esprits originaux qui considèrent la révolution d’Octobre comme une aventure ! En raisonnant ainsi, il ravalent jusqu’au néant ce qu’ils défendent : quelle serait donc la valeur d’une organisation sociaIe qu’une « aventure » pourrait renverser ? En réalité, la réussite de la révolution d’Octobre - le seul fait qu’elle ait tenu pendant les années les plus critiques contre des légions d’ennemis - fut assurée par l’activité et l’initiative des masses des villes et des campagnes. C’est sur cette seule base qu’a pu se développer l’improvisation de l’appareil gouvernemental et de l’Armée rouge. Telle est, en tout cas, la principale déduction de mon expérience en la matière.
La seconde période, qui a amené un changement radical de direction dans le gouvernement, est caractérisée par un abaissement incontestable de l’activité immédiate de la masse : la rivière rentre dans le lit. Au-dessus des masses s’élève de plus en plus l’appareil centralisé de la direction. L’Etat soviétique ainsi que l’armée se bureaucratisent. La distance grandit entre les milieux dirigeants et les masses. L’appareil acquiert de plus en plus un caractère de « fin en soi ». De plus en plus, le fonctionnaire est pénétré de la conviction que la révolution d’Octobre s’est accomplie précisément pour concentrer le pouvoir entre ses mains et lui garantir une situation privilégiée. Il n’y a pas lieu, je pense, d’expliquer que les contradictions positives que nous distinguons dans le développement de l’Etat soviétique ne sont pas des arguments en faveur d’une négation anarchiste, c’est-à-dire totale et stérile, de l’Etat en général.
Dans une lettre remarquable consacrée aux phénoménes de dégénérescence de l’appareil gouvernemental et du parti, mon vieil ami Rakovsky indique de façon très démonstrative comment, après la conquête du pouvoir, une bureaucratie indépendante se forma au sein de la classe ouvrière, et comment cette différenciation fut d’abord seulement fonctionnelle, puis devint sociale par la suite.
Naturellement, le processus intérieur de la bureaucratie se développa en liaison étroite avec un autre, plus profond, survenu dans le pays. Avec les principes de la NEP [nouvelle politique économique], on vit renaître une large Catégorie de petits-bourgeois des villes. Les professions libérales ressuscitèrent. Au village, ce fut l’ascension du paysan riche, du koulak. Précisément parce qu’il s’était haussé au-dessus des masses, le corps des fonctionnaires s’était, dans ses larges sphères, rapproché de ces couches bourgeoises et s’y était apparenté. De plus en plus, l’initiative et l’esprit critique de la masse turent regardés par la bureaucratie comme une entrave. La pression de l’appareil de l’Etat sur les masses s’accrut d’autant plus facilement que, ainsi qu’il a déjà été dit, la réaction psychologique des masses elles-mêmes s’exprimait par une diminution incontestable de leur activité politique. Pendant ces dernières années, il arriva souvent aux ouvriers d’entendre cette apostrophe des bureaucrates ou des nouveaux propriétaires « Vous n’êtes plus en 1918 ! » En d’autres termes, le rapport des forces se modifiait aux dépens du prolétariat.

A ces processus correspondirent des transformations intérieures dans le parti lui-même. Il ne faut pas oublier un instant que l’écrasante majorité de ce parti, qui compte actuellement plus d’un million d’adhérents, n’a qu’une conception confuse de ce qu’était celui-ci pendant la première période révolutionnaire, sans parler même de la période d’avant la révolution ! Il suffit de dire que de 75 à 80% des membres du parti y sont entrés après 1923. Le nombre de membres du parti inscrits avant la révolution est inférieur à 10 %. A partir de 1923, le parti fut fondu artificiellement en une masse à demi amorphe, destinée à jouer le rôle de matière malléable entre les mains des professionnels de l’appareil. Cette édulcoration de la substance révolutionnaire du parti est apparue comme une prémice inévitable des victoires de l’appareil sur le « trotskysme ». Il faut également remarquer que les manifestations de corruption et d’arbitraire ont augmenté du fait de la bureaucratisation du régime d’Etat et de celui du parti. Les adversaires des Soviets signalent ces manifestations avec malveillance. Ce serait contre nature qu’il en fût autrement. Mais lorsqu’ils tentent d’expliquer cea phénomènes par l’absence d’une démocratie parlementaire, il suffit, pour leur répondre, de leur montrer la longue série des « Panamas », en commençant au besoin par l’Affaire elle-même - et elle n’a pas été la première - dont le nom est devenu un symbole, et en finissant par celle, toute fraîche de La Gazette du Franc et par celle de l’ancien ministre Klotz. Si l’on veut nous prouver que la France constitue une exception, que, par exemple, les Etats-Unis ignorent la corruption politique, nous ferons tous nos efforts pour y croire... Mais revenons à notre sujet.
Les fonctionnaires qui se sont élevés au-dessus de la masse sont, en majorité, profondément conservateurs. Ils sont enclins à considérer que tout ce qui est indispensable à la félicité humaine a été réalisé. Ces éléments portent à l’Opposition une haine organique ; ils l’accusent de suggérer aux masses, par ses critiques, le doute à leur endroit, de détruire la stabilité du régime et de menacer les conquêtes d’Octobre en agitant le spectre de la « révolution permanente ». Cette couche conservatrice, qui constitue le meilleur soutien de Staline dans sa lutte contre l’Opposition, tend à s’avancer beaucoup plus que Staline lui-même ou que le noyau fondamental de sa fraction, vers la droite, au-devant des nouveaux possédants. D’où le conflit actuel de Staline avec la droite. D’où la perspective pour le parti d’une nouvelle « épuration », non seulement des « trotskystes » dont le nombre a grandi à la suite des expulsions et des exils, mais aussi des éléments les plus décomposés de la bureaucratie. La politique double de Staline se déploie en une succession de zigzags dont la conséquence est le renforcement du flanc droit et du flanc gauche, au détriment de la fraction du centre qui gouverne.
Thermidor

Bien que la lutte contre les droitiers soit toujours à l’ordre du jour, l’ennemi essentiel de Staline n’en reste pas moins la gauche, comme précédemment. A l’heure actuelle, la chose (claire depuis longtemps pour l’Opposition) est d’une évidence criante.
Dès les premières semaines de la campagne contre la droite, dans une lettre adressée d’Alma-Ata aux camarades partageant mon point de vue, le 10 novembre dernier, je disais que la tactique de Staline réside en ceci : au moment propice,

« lorsque la droite sera suffisamment éffrayée, tourner brusquement le feu contre l’aile gauche. [...] La campagne contre la droite n’est que l’élan pris pour une nouvelle attaque contre la gauche. Celui qui n’a pas compris cela, n’a rien compris. »

Ce pronostic s’est réalisé plus tôt et plus catégoriquement qu’on ne pouvait s’y attendre. Celui qui, pendant une révolution, glisse sans avoir rompu avec le vieux soutien social, est contraint de qualifier son glissement d’ascension, et de faire passer sa main droite pour sa main gauche. C’est précisément pour cette raison que les staliniens qualifient l’Opposition de « contre-révolutionnaire » et font des efforts désespé-rés pour mettre dans le même sac leurs adversaires de droite et ceux de gauche. C’est à ces fins que doit s’appliquer désormais le mot « émigration ». Il existe, en effet, à l’heure actuelle, deux émigrations, l’une débusquée par l’ascension des masses révolutionnaires, et une autre, qui devient l’indice du progrès des forces ennemies de la révolution. Lorsque I’Opposition, utilisant l’analogie existant avec la révolution classique de la fin du XVIIIe siècle, parle de Thermidor, elle signale le danger survenant d’une lutte des staliniens contre la gauche (étant donné les phénomènes et les tendances indiqués ci-dessus), lutte susceptible de devenir le point de départ d’un changement camouflé de la nature sociale du pouvoir soviétique.

La question de Thermidor, qui joue un rôle si important dans la lutte entre l’Opposition et la fraction gouvernante, exige cependant des explications complémentaires.

L’ancien président du Conseil français, M. Herriot, a déclaré récemment que le régime soviétique, s’étant ap-puyé pendant dix ans sur la violence, se condamne lui-même de ce propre fait. Lors de sa visite à Moscou en 1924, M. Herriot, pour autant que je l’aie compris alors, avait tenté de se faire une conception plus bienveillante - si-non plus précise - des Soviets. Mais cette période de dix ans révolue, il juge d’actualité de priver la révolution d’Octobre de son crédit. Je dois avouer que je ne comprends pas très bien la politique radicale. Les révolutions n’ont encore signé à personne des traites à échéances fixes. Il a fallu dix ans à la Révolution française non pour Instituer la démocratie, mais pour amener le pays au bonapartisme. Il n’en reste pas moins indiscutable que si les jacobins n’étaient venus à bout des girondins et n’avaient pas montré au monde l’exemple du châtiment radical infligé à la vieille société, l’humanité tout entière serait raccourcie d’une tête.
Pas davantage une révolution ne s’est produite sans comporter des conséquences pour toute l’humanité. Mais, en même temps, les révolutions n’ont pas conservé toutes les conquêtes qu’elles avaient faites, au cours de leur ascension la plus haute. Après qu’une classe, un parti, des individus ont fait la révolution, une autre classe, un autre parti, d’autres individus commencent à en profiter. Seul un sycophante invétéré pourra nier l’importance historique universelle de la Grande Révolution française, bien que la réaction qui lui succéda fut si violente qu’elle conduisit le pays à la restauration des Bourbons. Thermidor fut la pre-mière étape sur la voie de la réaction. Les nouveaux fonctionnaires, les nouveaux propriétaires voulaient se régaler en paix des fruits de la révolution. Les vieux jacobins irréductibles les gênaient. Les nouveaux propriétaires n’avaient pas encore eu l’audace de l’enrôler sous un drapeau à eux. Il leur fallait marcher sous l’égide des Jacobins eux-mêmes. Ils se trouvèrent des chefs provisoires, à visaqe de Jacobin de troisième ordre. En descendant le courant, ces derniers préparaient les voies à l’avènement de Bonaparte oui, avec ses baïonnettes et son code, renforça la nouvelle propriété.
Les éléments du processus thermidorien. qui, bien entendu, conserve intégralement son oriqinalité, se retrouvent au pays des Soviets. Ils sont apparus clairement pendant ces dernières années. Ceux qui détiennent actuellement le pouvoir ont joué dans les événements décisifs de la première période révolutionnaire un rôle de second plan, ou bien ils ont été des adversaires déclarés de la révolution et ne s’y sont ralliés qu’après la victoire. Ils servent maintenant - comme toujours et partout - de couverture à ces éléments et à ces groupes qui, tout en étant les ennemis du socialisme, sont trop faibles pour accomplir un coup d’Etat contre-révolutionnaire et, pour cette raison même, tendent au glissement paisible sur les rails de la société bourgeoise, à « une descente, tous freins serrés », selon l’expression d’un de leurs idéologues.
Toutefois, ce serait commettre une énorme faute que de considérer tous ces processus comme déjà réalisés. Pour le bonheur des uns, pour le malheur des autres, l’échéance est encore lointaine. L’analogie historique est une méthode séduisante et, par conséquent, dangereuse.
Il serait trop superficiel de penser qu’il y a une loi cyclique particulière des révolutions, qui les oblige, en partant des Bourbons, à revenir aux Bourbons, après avoir franchi l’étape du bonapartisme. La marche particulière de chaque révolution se détermine par une combinaison particulière des forces nationales avec toute la situation internationale.
Il n’en reste pas moins vrai que certains traits sont communs à toutes les révolutions, ce qui permet d’avoir recours aux analogies, et les exige même impérativement Si l’on veut s’appuyer sur les leçons du passé et ne pas recommencer éternellement l’Histoire par le commencement.
On pourrait expliquer par la sociologie pourquoi les tendances de Thermidor, du bonapartisme et de la Restauration existent en puissance dans toute révolution victorieuse digne de ce nom. Toute la question réside dans la force de ces tendances, dans leurs combinaisons, dans les conditions de leur développement. Quand nous parlons de la menace du bonapartisme, nous ne la croyons aucunement déterminée par une loi historique quelconque. Le sort futur de la révolution sera fixé par la marche même de la lutte des forces vives de la société. Un flux et un reflux se produiront encore, dont la durée dépendra, dans une mesure immense, des événements européens et mondiaux.
A une époque comme la nôtre, seul un groupement qui ne perçoit pas les raisons objectives de sa défaite et qui éprouve la sensation d’être un fétu de paille porté par un torrent peut se trouver anéanti à jamais.
Si tant est qu’un fétu de paille éprouve des sensations...

Constantinople, le 22 avril 1929.

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