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« Pour qui sonne le glas », un roman d’Hemingway sur la guerre contre la révolution d’Espagne, mais pas sur celle-ci !

samedi 27 janvier 2018, par Robert Paris

« Pour qui sonne le glas », un roman d’Hemingway sur la guerre contre la révolution d’Espagne, mais pas sur celle-ci !

Il est fréquent de présenter ce roman d’Hemingway comme s’il y avait pris parti pour la révolution espagnole, ce qui est complètement faux. Le seul passage du roman, qui prétend décrire la révolution dans un village d’Espagne soi-disant racontée par un de ses leaders, la décrit comme une horreur ultra-violente, menée par des ivrognes, des hâbleurs et des tueurs, avec des crimes gratuits, sans but, sans direction, sans objectif, complètement anarchique, même pas anarchiste (les anarchistes n’y apparaissent même pas !).

Les seuls pseudo-révolutionnaires qui sont mis en avant dans « Pour qui sonne le glas » sont « les Russes », présentés comme des spécialistes militaires, « les seuls qui ont le sens de la discipline » dit Hemingway, les révolutionnaires espagnols n’ayant « aucun sens de la guerre », « aucun sens de l’armée », « aucun sens de la discipline », répète mille fois Hemingway, cet ancien combattant, et cet écrivain qui a toujours rêvé décrire la guerre comme Tolstoï dans « La guerre et la paix ».

Hemingway n’a pas vu la révolution en Espagne : il n’a vu qu’une guerre. Le seul affrontement politique qu’il ait vu, c’est celui contre les trotskistes et, sur ce plan, il se contente de présenter le point de vue contre-révolutionnaire le plus policier possible des staliniens : celui qui présente les poumistes comme des trotskistes et comme des agents d’Hitler qu’il faut simplement éliminer physiquement.

Quels étaient les buts sociaux de la révolution ? Hemingway n’en sait rien, n’en dit pas un mot. Tout se passe comme s’il n’y avait jamais eu que le « camp républicain » face au « camp fasciste ». Pas de classes possédantes, pas de prolétariat, pas de lutte des classes, pour Hemingway qui rappelle sans cesse qu’il n’est pas marxiste, pas révolutionnaire, pas communiste, seulement un observateur de la guerre et de ceux qui ont de vraies capacités guerrières, selon lui.

Dans ces conditions, son point de vue vient en soutien de la thése stalinienne selon laquelle la seule perspective serait la république bourgeoise, seule capable d’unir le peuple espagnol contre Franco et les révolutionnaires qui mettraient en avant l’avancée de la révolution ne feraient que nuire à la guerre contre les troupes fascistes. Quant à l’organisation autonome des conseils ouvriers et paysans ou soldats, elle est désignée du doigt comme l’ennemi essentiel de la lutte qui ne serait qu’une manière anarchique de détruire toute organisation efficace de la lutte.

La guerre, d’abord la guerre, toujours la guerre, voilà le leitmotiv d’Hemingway, qui n’a aucun mal du coup à suivre le point de vue stalinien.

Il faut dire qu’en Espagne, il est financé par les staliniens qui lui ont payé et organisé son voyage pour témoigner de leur action. C’est pour cela que, quand l’ami américain avec lequel il collabore dans ce voyage, l’écrivain Dos Passos, lui affirme que les staliniens organisent un système policier qui assassine les révolutionnaires, son propre secrétaire ayant été assassiné par les staliniens sous l’accusation d’anarchisme, Hemingway va jusqu’à accuser Dos Passos d’être payé par l’impérialisme et le fascisme, alors que, lui, est arrosé copieusement par l’argent de Moscou !!! Il agresse physiquement l’écrivain Eastman, devenu trotskyste !!! Et cependant, Hemingway, compagnon de route des staliniens, affirmera toujours qu’il n’est pas favorable au communisme, ni au prolétariat, ni à la révolution, qu’il est simplement « un républicain » ! Il n’est un soutien ferme et solide que contre les véritables révolutionnaires communistes !!!

Relisons ainsi un extrait de son « Pour qui sonne la glas » dans lequel l’auteur diffuse la thèse stalinienne selon laquelle les plus révolutionnaires sont en fait dans le même sac que les généraux et amiraux traîtres de l’armée républicaine vendus aux fascistes :

« Il combattait à présent dans cette guerre, parce qu’elle avait commencé dans un pays qu’il aimait, et parce qu’il croyait à la République et que si elle était détruite la vie serait impossible pour tous ces gens qui croyaient en elle. Il était sous commandement communiste pour la durée des opérations. Ici, en Espagne, c’étaient les communistes qui fournissaient la meilleure discipline, la plus raisonnable et la plus saine pour la poursuite de la guerre. Il acceptait leur commandement pour la durée des opérations parce que, dans la conduite de la guerre, ils étaient le seul parti dont la conduite de la guerre, ils étaient le seul parti dont le programme et la discipline lui inspirassent du respect. Et quelles étaient ses opinions politiques ? Il n’en avait pas pour l’instant… Nous avons horreur de la duplicité et de la perfidie de ces hyènes de naufrageurs boukharinistes, et des rebuts d’humanité comme Zinoviev, Kamenev, Rykov et leurs bourreaux. Nous haïssons ces odieux personnages ! Mais je crois tout de même pouvoir dire que l’assassinat politique est une pratique très usitée… Il est certain que nous exécutons et supprimons ces odieux personnages, ces rebuts d’humanité, ces chiens de généraux traîtres et cette chose révoltante que sont les amiraux traîtres à leur parole. Ceux-là, on les supprime. On ne les assassine pas. Vous voyez la différence ?... ça va mieux maintenant que ça n’a été. On se débarrasse des pires. Mais la pourriture est partout. Nous constituons en ce moment une très grande armée. Certains éléments, ceux de Modesto, d’El Campesino, de Lister et de Duràn, sont sûrs. Ils sont mieux que sûrs, ils sont magnifiques. Vous verrez ça. Et puis nous avons toujours les brigades, bien que leur rôle se transforme. Mais une armée composée d’éléments bons et d’éléments mauvais ne peut pas gagner une guerre. Il faut que tous soient parvenus à un certain niveau de développement politique ; il faut que tous sachent pourquoi ils se battent et l’importance de leur combat. Il faut que tous croient à leur combat et que tous acceptent la discipline. Nous créons une très grande armée par la conscription, sans avoir le temps d’y implanter la discipline qu’il faut à une armée de ce genre pour bien se conduire au feu. Nous appelons ça une armée populaire, mais elle n’aura pas les bases d’une vraie armée populaire et elle n’aura pas la discipline de fer qu’il faut. Vous verrez. La méthode est très dangereuse… A Madrid, on se sent bien, er pur, et on n’imagine pas qu’on pourrait ne pas gagner. A Valence, c’est autre chose. Les lâches qui ont fui Madrid continuent à gouverner là-bas. Ils sont installés comme poissons dans l’eau, dans l’incurie, la bureaucratie. Ils n’ont que mépris pour ceux de Madrid. Leur obsession maintenant, c’est l’affaiblissement du commissariat à la guerre. Et Barcelone. Il faut voir Barcelone…. C’est toujours un opéra-comique. Au commencement, c’était le paradis des toqués et des révolutionnaires romantiques. Maintenant, c’est le paradis des petits soldats. Des soldats qui aiment se parader en uniforme, à bluffer, à porter des foulards noirs et rouges. Qui aiment tout, dans la guerre, sauf se battre. Valence, c’est à vomir et Barcelone, à se tordre… Et le putsch du P.O.U.M ? Le P.O.U.M. n’a jamais sérieux. C’était une hérésie de toqués et de cerveaux brûlés ; au fond, ce n’était qu’un enfantillage. Il y avait là de braves gens mal dirigés. Il y avait une cervelle d’assez bonne qualité et un peu d’argent fasciste. Pas beaucoup. Pauvre P.O.U.M. Des gens très bêtes, dans l’ensemble. Et les morts dans le putsch ? Il y a en a beaucoup moins que ceux qu’on a fusillés après et qu’on en fusille encore. Le P.O.U.M. porte bien son nom. Ce n’est pas sérieux. On aurait dû l’appeler G.A.L.E. ou R.O.U.G.E.O.L.E. Mais non. La rougeole est bien plus dangereuse. Elle peut affecter la vue et l’ouïe. Mais vous savez qu’ils avaient organisé un complot pour me tuer, moi, pour tuer Walter, pour tuer Modesto et pour tuer Prieto ? Vous voyez comme ils confondaient tout. Nous ne sommes pas tous du même bord. Pauvre P.O.U.M. Ils n’ont jamais tué personne. Ni au front ni ailleurs. A Barcelone, oui, quelques-uns… J’ai câblé un article sur la corruption de cette fameuse organisation d’assassins trotskistes et sur leurs abjectes machinations fascistes, mais, entre nous, le P.O.U.M., ça n’est pas très sérieux. Nin était leur seul homme. Nous l’avions pris, mais il s’est échappé. Et maintenant, où est-il ? A Paris. Nous disons qu’il est à Paris. C’était un type très sympathique, mais il avait des aberrations en matière politique. Mais il avait des contacts avec les fascistes, n’est-ce pas ? Qui n’en a pas ? Qui sait ? »

Sur les militants révolutionnaires, ou du moins de ceux qu’il présente comme tels, il écrit :

« Pablo et Prieto avaient une foi à peu près égale dans la victoire finale. Ils avaient tous une politique de voleurs de chevaux. Lui croyait à la République comme à une forme de gouvernement, mais la République devrait se débarrasser de cette bande de voleurs de chevaux qui l’avaient menée dans l’impasse où elle se trouvait quand la rébellion a commencé. Y avait-il jamais et un peuple dont les dirigeants eussent été à ce point ses ennemis ? »

Quant à la description que fait Hemingway de la révolution, elle est à dégueuler :

« Celui qui n’a pas vu le jour de la révolution dans une petite ville où tout le monde se connaît et s’est toujours connu, il n’a rien vu… »

Et, là, Hemingway raconte (comme s’il l’avait vu, ce qui n’est pas le cas) un massacre de sang froid d’hommes désarmés qui ne seraient rien d’autre que des gros propriétaires pro-fascistes impuissants et arrêtés par les paysans révolutionnaires d’un village et qui sont assassinés (c’est ainsi qu’Hemingway le présente pour dire que la guerre serait beaucoup plus propre que la révolution !) à coups de fléaux de paysans à battre le blé jusqu’à ce que mort s’en suive, avant de les balancer du haut de la falaise !

Et c’est des pages et des pages d’horreurs « révolutionnaires »…

Et d’expliquer que l’aile la plus radicale de ces paysans révolutionnaires n’étaient rien d’autre que des ivrognes et des bandits, des assassins et des voleurs…

C’est soi-disant la plus révolutionnaire des combattants espagnols qui, dans le roman, rapporte ces horreurs tout en les dénonçant et en les regrettant… Et en prétendant ensuite que les plus radicaux de la terreur « révolutionnaire » seraient devenus les lâches depuis la guerre contre les franquistes… Le même bobard que propageaient les staliniens contre les anarchistes et les poumistes…

Quand Hemingway écrit, il connaît déjà la fin de l’histoire : les fascistes ont pris Madrid. Son roman prétend que la défaite est causée par l’anarchisme des travailleurs espagnols et la prétendue trahison trotskiste et pas par la direction républicaine, et notamment stalinienne et russe.

Son amour du camp républicain espagnol ne justifie donc pas son parti pris. Le choix de la guerre contre celui de la révolution sociale a montré son inefficacité. Le seul camp qui continue à souhaiter que ce soit diffusé ce mensonge sanglant est celui de la bureaucratie de Moscou et c’est celui qui continue à financer Hemingway. Désolé pour ceux qui s’imaginaient que « Pour qui sonne le glas » était le type même du roman engagé. Hemingway était un écrivain qui a toujours déclaré ne pas vouloir s’engager, ne pas être communiste, ne pas être révolutionnaire et refuser tout choix de classe. Il l’a toujours formellement déclaré. C’est donc encore une fois un mythe qui est diffusé concernant les compagnons de route du stalinisme. Il est à remarquer que, contrairement à nombre des compagnons de route des staliniens, celui-ci n’a même pas été gagné à l’époque de la révolution ni dans les années qui ont suivi mais plus de dix ans après la révolution, quand la bureaucratie stalinienne n’était rien d’autre que l’aile la plus sanglante de la contre-révolution et avait déjà cassé la révolution allemande, avait assassiné toute la direction révolutionnaire russe et même toute la génération de militants bolcheviks qui avait fait la révolution… La bureaucratie russe était, au moment où Hemingway idéalise les staliniens, la pire ennemie de la révolution et des travailleurs communistes du monde entier !

On ne peut même pas dire qu’Hemingway, étant étranger, n’ait pas eu connaissance des analyses et critiques des trotskistes et des poumistes. Au contraire, il a même pu discuter avec des auteurs américains qui voulaient le déniaiser, lui rapporter les assassinats de révolutionnaires dans les prisons staliniennes de la République espagnole. Il a envoyé promener toutes ces explications et a pris systématiquement parti pour le stalinisme.

On ne sait pas si c’est l’argent de Moscou qui l’a emporté ou si c’est son point de vue purement militaire, d’amoureux de la guerre et des soldats, et pas du tout révolutionnaire…

Quelques remarques supplémentaires :

Hemingway et Dos Passos s’étaient rencontré en mars 1937, peu après que leur ami commun Jose « Pepe » Robles, professeur et agent de liaison à la solde des autorités soviétiques, fut accusé de trahison et fusillé. Si Dos Passos se démena pour protester contre cet assassinat, Hemingway vendit son âme à Staline et fut bien récompensé par sa promotion par l’orchestre de propagande stalinienne qui culmina par l’attribution d’un prix Nobel de littérature.

En 1937, le film « Terre d’Espagne », de Joris Ivens, reçoit un commentaire lu par Hemingway, ce qui permet à ce dernier de justifier de bons cachets de Moscou…. Ce film ne montre d’ailleurs pas grand-chose de la guerre d’Espagne et moins encore de la révolution espagnole ! Voici le commentaire du film par Libération : « Si certaines images restent fortes et émouvantes, celles des combats autour de Madrid, la majorité d’entre elles sont parasitées par l’emphase de la bande-son. Plutôt que de se contenter de quelques explications, le commentaire off, écrit et dit par Hemingway lui-même, opte pour un lyrisme de pacotille. « Voici les vrais visages des hommes qui vont au combat ! », s’exclame l’écrivain, tandis qu’on voit des visages tendus et fatigués qui se suffisent à eux-mêmes. En élève appliqué de l’école soviétique, Ivens abuse des effets de montage parallèle (les paysans aux champs, les soldats au front) et des contre-jours glorieux. Pour ne rien arranger, le moindre des faits et gestes de ce « peuple si brave » est ponctué par des sonneries de trompettes qui donnent des airs d’espagnolade à ce film militant. Tout est tellement surchargé que ces images finissent par paraître fausses et quasi hollywoodiennes. Un comble. » Le commentaire emphatique était écrit et dit par Hemingway !!! Joris Ivens était financé par Moscou depuis 1930…

Remarquons aussi le commentaire de wikipedia :

« Ernest Hemingway : Pour qui sonne le glas. Un classique plutôt réussi. Même si l’auteur ne laisse qu’entrevoir les problèmes politiques de l’époque. »

Et il rajoute :

« Ce livre est une ode au peuple espagnol tel qu’a pu le voir Hemingway. »

Ce qui est arrivé au « héros russe », modèle que choisit Hemingway dans le livre

Ernest Hemingway :

« Chaque être humain qui aime la liberté doit plus de remerciements à l’Armée Rouge qu’il ne puisse payer durant toute une vie ! »

Remerciements pour la liberté ou pour l’argent ?

En fait, quand Hemingway écrit « Pour qui sonne le glas », il vient d’être embauché par le NKVD : lire ici
Il est l’agent de Moscou sous le surnom d’Argo !!!

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