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Les dérives propres aux organisations politiques sont-elles la source de tous les maux ?

vendredi 20 octobre 2017, par Robert Paris

Karl Marx et Friedrich Engels dans « Adresse du Comité Central à la Ligue des communistes » (1850) :

« Les ouvriers contribueront eux-mêmes à leur victoire définitive bien plus par le fait qu’ils prendront conscience de leurs intérêts de classe, se poseront dès que possible en parti indépendant et ne se laisseront pas un instant détourner - par les phrases hypocrites des petits bourgeois démocratiques - de l’organisation autonome du parti du prolétariat. Leur cri de guerre doit être : La révolution en permanence ! »

Engels, extrait de Quelques mots sur l’histoire des communistes, 1885. A propos de l’autodissolution de la Ligue des Communistes en 1852, Engels évoque la non-nécessité d’une organisation officielle du prolétariat allemand et international :

« Avec le procès de Cologne se termine cette première période du mouvement ouvrier communiste allemand. Immédiatement après la condamnation, nous procédâmes à la dissolution de notre Ligue, et quelques mois plus tard, la fédération séparatiste Willich-Schapper mourait de sa belle mort.
Entre l’époque d’alors et celle d’aujourd’hui, une génération a passé. En ce temps-là, l’Allemagne était un pays d’artisanat et d’industrie à domicile fondée sur le travail manuel ; aujourd’hui, c’est un grand pays industriel, encore en état de continuelle transformation...
...Aujourd’hui, le prolétariat allemand n’a plus besoin d’organisation officielle ni publique ni secrète ; la liaison simple et naturelle de compagnons appartenant à la même classe sociale et professant les mêmes idées suffit, sans statuts, ni comités directeurs, ni résolutions ou autres formes tangibles, à ébranler tout l’empire allemand. Bismarck est l’arbitre en Europe, de l’autre côté de nos frontières ; mais à l’intérieur des frontières grandit, plus menaçante chaque jour, la personnalité athlétique du prolétariat allemand, le géant que Marx prévoyait dès 1844, qui se trouve déjà à l’étroit dans le cadre de l’empire fait à la mesure du philistin bourgeois, et qui, dans un avenir prochain, lorsque sa stature puissante et ses larges épaules se seront encore développées, n’aura qu’à se lever de son siège pour faire sauter tout l’édifice de la constitution impériale. Bien plus. Le mouvement international du prolétariat américain et européen est à cette heure devenu tellement puissant que non seulement sa forme première et étroite - la Ligue secrète - mais encore sa seconde forme, infiniment plus vaste - l’Association publique internationale des travailleurs - lui est devenue une entrave, et que le simple sentiment de solidarité, fondé sur l’intelligence d’une même situation de classe, suffit à créer et à maintenir, parmi les travailleurs de tout pays et de toute langue, un seul et même grand parti du prolétariat. »

Signé : Ligue des communistes, 1852
Organisation internationale, 1885

Lettre de Engels à Edouard Bernstein, 28 février-1er mars 1883 :

« Nous n’appartenons guère plus au parti allemand qu’au français, à l’américain ou au russe, et nous ne nous considérons pas plus liés par le programme allemand que par le programme « Minimum ». En fait, nous tenons à notre position particulière de représentants du socialisme international. »

« Au printemps 1847, Moll alla trouver Marx à Bruxelles, puis vint me voir ensuite à Paris, afin de nous inviter une nouvelle fois au nom de ses camarades à entrer dans la Ligue. Ils étaient, nous disait-il, convaincus en général de l’exactitude de notre conception tout autant que de la nécessité de soustraire la Ligue aux anciens usages et procédés conspiratifs. Si nous voulions adhérer, l’occasion nous serait offerte de développer, à un congrès de la Ligue, notre communisme critique dans une proclamation qui serait ensuite publiée comme manifeste de la Ligue ; de la sorte, nous pourrions contribuer avec nos forces à substituer à l’organisation surannée de la Ligue une organisation nouvelle, conforme aux exigences de l’époque aussi bien qu’au but du communisme.

II ne faisait pas le moindre doute qu’il fallait une organisation au sein de la classe ouvrière allemande, ne fût-ce que pour la propagande. Cependant, dans la mesure où elle n’était pas purement locale, ce ne pouvait être qu’une association secrète, même si elle existait aussi hors d’Allemagne. Or, la Ligue constituait précisément une organisation de ce genre. Ce que nous avions critiqué jusqu’alors dans la Ligue, les représentants de la Ligue le considéraient eux aussi comme erroné et se disaient prêts à le sacrifier. Et l’on nous invitait à contribuer à cette réorganisation. Pouvions-nous refuser ? Évidemment non. Nous entrâmes donc dans la Ligue. À Bruxelles, Marx créa une commune avec nos sympathisants, tandis que je rendis visite aux trois communes de Paris... Or donc, la révolution de février éclata. Aussitôt le Conseil central de Londres délégua ses pouvoirs au cercle directeur de Bruxelles. Mais cette décision intervint à un moment où Bruxelles était soumis à un véritable état de siège et où les Allemands en particulier ne pouvaient plus se réunir nulle part. Quoi qu’il en soit, nous étions tous sur le point de nous rendre à Paris. Le nouveau Conseil central résolut donc de se dissoudre, afin de remettre tous ses pouvoirs à Marx, l’habilitant à constituer immédiatement à Paris un nouveau Conseil central. Les cinq camarades qui avaient pris cette résolution (3 mars 1848) venaient à peine de se séparer que la police envahit le logis de Marx pour l’arrêter et le mettre en demeure de partir le lendemain en France, où il avait précisément l’intention de se rendre... Comme il était facilement prévisible, la Ligue s’avéra comme un levier pratiquement dérisoire face aux masses populaires jetées dans le tourbillon révolutionnaire. Les trois quarts des membres de la Ligue avaient changé de domicile du fait de leur retour en Allemagne, et la plupart des communes auxquelles ils avaient adhéré jusqu’alors se trouvèrent automatiquement dissoutes, de sorte qu’ils perdirent toute liaison avec la Ligue... À Berlin, enfin, Stephan Born, ancien membre très actif de la Ligue à Bruxelles et à Paris, fonda une Association fraternelle ouvrière qui prit une grande extension et subsista jusqu’en 1850. Hélas, Born, encore jeune et plein de talent, fut trop pressé de devenir une sommité politique et fraternisa avec le tiers et le quart simplement pour rassembler beaucoup de monde. Il n’était pas homme à mettre de l’unité dans les tendances opposées, ni de la clarté dans le chaos. Ainsi, dans les publications officielles de cette association, s’entremêlent en un fouillis inextricable des idées exposées dans le Manifeste communiste, des réminiscences et revendications datant des vieilles corporations, des bribes des constructions de Louis Blanc et de Proudhon, des idées protectionnistes, etc. ; bref, il voulait être de tous les mouvements et n’était que la mouche du coche. On lança des grèves, des coopératives ouvrières, des associations de production, en oubliant qu’il s’agissait, avant tout, de commencer par conquérir, grâce à des victoires politiques, un terrain sur lequel tout cela pouvait être réalisé à long terme. Or, lorsque les victoires de la réaction firent comprendre aux dirigeants de cette Association fraternelle des ouvriers qu’il fallait intervenir directement dans la lutte révolutionnaire, ils furent naturellement lâchés par la masse confuse qu’ils avaient rassemblée autour d’eux. Born participa à l’insurrection de Dresde en mai 1849, et parvint à en sortir sain et sauf. Mais l’Association fraternelle ouvrière était restée à l’écart du grand mouvement politique du prolétariat, comme une organisation particulière, qui n’existait guère que sur le papier. Son rôle fut si effacé que la réaction ne jugea nécessaire de la combattre qu’en 1850, et de liquider ce qui en restait quelques années plus tard seulement. Born Buttermilch de son vrai nom ne devint pas un grand homme politique, mais un petit professeur suisse qui, au lieu de traduire Marx dans le langage des artisans, traduisit le tendre Renan en son propre allemand à l’eau de rose... Le sort de cette organisation était directement lié aux perspectives d’une reprise révolutionnaire. Or, celles-ci devenaient de plus en plus incertaines, voire contraires au cours de l’année 1850. La crise industrielle de 1847 qui avait préparé la révolution de 1848 était surmontée, et il s’ouvrait une nouvelle période de prospérité industrielle sans pareille jusqu’ici. Quiconque avait des yeux pour voir, et s’en servait, s’apercevait clairement que la tempête révolutionnaire de 1848 s’apaisait progressivement. Dans la revue de mai à octobre 1850, Marx et moi nous écrivions : « Du fait de la prospérité générale, au cours de laquelle les forces productives de la société bourgeoise se développent avec toute la luxuriance possible au sein des rapports bourgeois, il ne peut être question d’une véritable révolution. Celle-ci n’est possible qu’aux périodes de conflit ouvert entre ces deux facteurs : les forces productives modernes et les formes de production bourgeoises. Les différentes querelles auxquelles se livrent actuellement les représentants des diverses factions du parti de l’ordre sur le continent, et dans lesquelles elles se discréditent les unes les autres, bien loin de fournir de nouvelles occasions de révolution, ne sont au contraire possibles que parce que la base des rapports sociaux est en ce moment bien assurée et ce que la réaction ignore solidement bourgeoise. Les multiples tentatives entreprises par la réaction pour endiguer l’essor social de la bourgeoisie viendront s’échouer contre cette base, et ce tout aussi sûrement que toute l’indignation morale et les proclamations enthousiastes de la démocratie. » ... Le procès de Cologne clôt cette première période du mouvement ouvrier communiste allemand. À peine les condamnations étaient-elles prononcées que nous décidâmes de dissoudre notre Ligue ; quelques mois plus tard, la Ligue séparatiste de Willich-Schapper sombra dans le repos éternel. »

Lettre de Karl Marx à F.Bolte (23 novembre 1871) :

« Le mouvement politique de la classe ouvrière a naturellement pour objectif la conquête, pour elle, du pouvoir politique. Il va sans dire que, pour y parvenir, il faut une organisation préalable, suffisamment développée, de la classe ouvrière, organisation qui surgit des luttes économiques mêmes des ouvriers. En outre, tout mouvement dans lequel la classe ouvrière s’oppose, en tant que classe, aux classes dominantes, et s’efforce d’exercer sur celles-ci une pression du dehors, est un mouvement politique. (…) Là où le prolétariat n’est pas encore suffisamment organisé pour tenter une campagne contre le pouvoir politique de la classe dominante, il a besoin d’être éduqué à cette fin par une agitation incessante contre l’attitude politique hostile des classes dominantes. Sans quoi le prolétariat reste un jouet entre les mains de cette classe. »

Trotsky écrit dans « Leçons d’Octobre » :

« Tout parti, même le plus révolutionnaire, élabore inévitablement son conservatisme d’organisation : sinon, il manquerait de la stabilité nécessaire. Mais, en l’occurrence, tout est affaire de degré. Dans un parti révolutionnaire, la dose nécessaire de conservatisme doit se combiner avec l’entier affranchissement de la routine, la souplesse d’orientation, l’audace agissante. C’est aux tournants historiques que ces qualités se vérifient le mieux. Lénine, nous l’avons vu plus haut, disait que souvent les partis, même les plus révolutionnaire, lorsqu’il survenait un changement brusque de situation et, partant, de tâches, continuaient à suivre leur ligne antérieure et, par là même, devenaient ou menaçaient de devenir un frein au développement révolutionnaire. »

Les dérives propres aux organisations politiques sont-elles la source de tous les maux ?

On constate en effet que chez les révolutionnaires et dans l’extrême gauche certains pensent que le parti est le remède miracle, le but ultime, et d’autres pensent que c’est le démon par excellence, le pire de tous les maux, la base même de toutes les dérives… Les uns et les autres s’appuient pour affirmer cela sur les défaites liées au stalinisme et sur une victoire prolétarienne, celle des prolétaires russes !

On en arrive aux deux extrêmes : les uns estimant que l’on peut se passer du parti révolutionnaire du prolétariat sous prétexte de la nécessité des comités ouvriers révolutionnaires ou soviets et les autres que l’on peut se passer des conseils ouvriers sous prétexte que le parti révolutionnaire pourrait faire jouer le même rôle aux syndicats s’il en prend la direction ! Deux positions diamétralement opposées mais tout aussi fausses l’une que l’autre. Pourquoi faudrait-il ne lutter que pour l’organisation autonome des masses ou que pour l’organisation politique révolutionnaire du prolétariat alors que les deux sont indispensables ?!!!

Samuel, lecteur du site M et R, nous écrit ainsi :

« Les dérives des partis et organisations politiques sont tout à fait particulières : elles découlent des buts même de ceux-ci, la lutte pour le pouvoir, visant finalement au pouvoir absolu, et menant aux dictatures internes aux organisations et aux dictatures politiques et sociales. »

De la discussion avec Samuel, il est résulté le dialogue suivant que nous portons à connaissance de nos lecteurs :

Samuel :

 je pense à ce jugement de la philosophe Simone Weil sur les partis : pour apprécier les partis politiques selon le critère de la vérité, de la justice, du bien public, il convient de commencer par en discerner les caractères essentiels.

On peut en énumérer trois :

Un parti politique est une machine à fabriquer de la passion collective.

Un parti politique est une organisation construite de manière à exercer une pression collective sur la pensée de chacun des êtres humains qui en sont membres.

La première fin, et, en dernière analyse, l’unique fin de tout parti politique est sa propre croissance, et cela sans aucune limite.

Par ce triple caractère, tout parti est totalitaire en germe et en aspiration.

S’il ne l’est pas en fait, c’est seulement parce que ceux qui l’entourent ne le sont pas moins que lui.

Ces trois caractères sont des vérités de fait évidentes à quiconque s’est approché de la vie des partis.

Robert :
 il y a du vrai, mais c’est vrai de toute organisation sociale humaine et pas spécifiquement des partis politiques, et surtout pas particulièrement des partis politiques révolutionnaires du prolétariat, ou se prétendant tels.

Du coup, que faire ?

Samuel :

 Je suis totalement incapable de répondre à ça. En plus j’avoue que je ne suis pas habité par la nécessité de l’action pour réparer le monde, même si ça ne m’est pas indifférent. Mais ça fait vraiment plaisir que tu reposes la question... inlassablement.

Tu dis : “toute organisation humaine”, mais ce n’est pas sûr. Un syndicat peut l’être, mais pas forcément. Une mutuelle ouvrière peut peut-être échapper à ça. Juste pour dire que c’est tout de même très caractéristique des partis, même si ça existe aussi ailleurs.

Robert :

 même dans le travail, on trouve tout à fait ce genre de défauts, de manifestations de tendances à des luttes pour le pouvoir, et de dérives qui y sont liées.

Pas forcément mais couramment

Ce n’est pas une raison pour cesser de vivre, pour cesser de prétendre s’organiser pour changer le monde.

Certes, on n’est pas obligés de souhaiter changer le monde ni de doter le prolétariat d’un parti révolutionnaire. Si on ne le souhaite pas, on ne le fait pas.

Mais quoiqu’on se donne comme but, le problème des organisations se pose et il ne se pose pas que pour les organisations politiques.

Tu cites les syndicales, les associatives, les mutuelles, etc.

Eh bien, j’y ai vu autant de dérives qu’ailleurs…

Samuel :

 Oui, tu as raison, les dérives sont partout. L’idée que je voulais exprimer, et que je crois comprendre chez S. Weil, c’est que, pour les partis politiques, le problème est au cœur du réacteur, car il est lié directement à leur raison d’être.

Robert :

 justement, là je ne crois pas.
Ils n’ont pas tant que cela une raison d’être particulière.
La question du pouvoir, la question des ambitions personnelles ou collectives, les dérives des égo surdimensionnés, les manies personnelles, les gourous, les dictateurs, on en trouve partout.
Ton expérience personnelle t’en a certainement fait voir dans toutes de nombreuses circonstances, comme la mienne et pas seulement avec les organisations politiques.

Il y a à la fois un phénomène psychologique et un phénomène organisationnel général.

Je trouve même que la ressemblance est frappante entre ce que j’ai vu professionnellement, syndicalement, associativement et politiquement.

Samuel (qui est éditeur) :

 Tu as peut-être raison. Je me disais que le but d’une entreprise d’édition c’était de produire des livres, mais effectivement, ça peut être pollué par les folies du directeur. Alors que le but d’un parti c’est de produire la prise du pouvoir. Dans le premier cas, le pouvoir est un produit dérivé, dans le second c’est l’objectif.

Robert :

 le but de devenir directeur (de publication comme de n’importe quoi), cela peut être un but réel, ou un but fantasmagorique, fou, détraqué, de dictateur, de chef, petit ou grand, de dingue, de psychopathe.

Bien sûr, cela peut aussi être d’éditer des ouvrages, de construire des maisons, de faire du fric, de faire ce que la société attend de toi, de faire ce que papa et maman t’ont dit de faire ou de changer la société.

Samuel :

 Je pense tout de même que la question du pouvoir est centrale dans les partis, alors qu’elle ne l’est que par rebond dans les autres organisations. Les ressemblances n’empêchent pas les spécificités.

Dans le même texte Simon Weil cite une phrase :
Les luttes des factions sous la Terreur furent gouvernées par la pensée si bien formulée
par Tomski : « Un parti au pouvoir et tous les autres en prison. »

Robert :

 la question du pouvoir est centrale dans chaque activité dans le système actuel, dans le gouvernement, dans les administrations, dans l’armée, dans la police et j’en passe, chez les bandits et chez les responsables des hôpitaux et j’en oublie encore…

Parler de "question du pouvoir", c’est laisser entendre que le pouvoir dépasse les classes sociales.

Au contraire, nous sommes dans une société de classe et la question du pouvoir est sans cesse soumise aux intérêts de classe et non l’inverse.

Un exemple de camarades qui ont estimé que l’organisation était le mal absolu :

« Sur mandat de l’assemblée générale du 1er octobre 1923, Kurt Fehrmann, Willy Mende, Gustav Hermann, Walter Nestrog, Kurt Scmiedel, Karl Klein. Ce texte a paru dans le n°17 de la revue Die Aktion, à l’époque organe de l’AAU-E (Union générale ouvrière-unitaire), fédération de groupuscule nés de l’échec du mouvement révolutionnaire en Allemagne. Le journal qui s’auto-dissout, Révolution, est celui de la tendance dite "de Heidenau".
Traduction : Denis Authier. Texte signalé à René Lourau par Michel et Denis Authier. »

A tous les lecteurs de Révolution

« Camarades !

« Au terme de longs débats dans les organisations d’entreprise de la section de Heidenau, sur le problème de base : "dissolution de l’organisation", les camarades de Heidenau se sont finalement persuadés que toutes les organisations se sont survécues, que le front uni de tous les créateurs ne peut, ne doit même être réalisé que dans les entreprises ou dans les campagnes. Il faut pour cela que les organisations de toute tendance se dissolvent, parce qu’elles introduisent le virus de la scission, et par là, la désunion dans le mouvement ouvrier, avec leurs programmes, leurs chefs et leurs marques de fabrique ; pour l’intérêt du progrès, de la marche en avant, elles constituent un frein.
Les camarades de Heidenau, tirant la conséquence de ce qui vient d’être esquissé, commencent par détruire leur propre organisation.
La destruction ou dissolution de l’organisation signifie l’anéantissement du nom derrière lequel de nombreux unionistes de circonstance s’étaient cachés tant bien que mal pour ne pas apparaître dans les usines comme des non-organisés. Les camarades qui, pour leurs intérêts égoîstes, restaient collés au fourreau de l’organisation, sans jamais mettre leurs forces à sa disposition, et constituaient ainsi un poids, un frein pour les militants qui vont de l’avant, ont été par là même privés de leur mère ; l’histoire les oblige à se décider : s’ils veulent être révolutionnaires, s’ils sont capables de se débarrasser du vieux monde bourgeois, ils peuvent et ils doivent démontrer dès maintenant qu’ils savent marcher, qu’ils peuvent se séparer de la mère qui jusqu’ici les protégeait, pour engager le combat contre le vieux monde en marchant sur leurs propres jambes, avec les quelques hommes animés des mêmes sentiments.
Mais la dissolution de l’organisation n’a pas rendu inacifs, n’a pas fait disparaître ces camarades qui depuis toujours ont mis toutes leurs forces à la disposition de la révolution ; bien au contraire, les camarades qui toujours et sans cesse, ont mis tout leur sentiment, toutes leurs forces au service de l’humanité, continueront de brandir, même sans organisation, le drapeau de la révolution, et, en vue des prochains développements, mettront à sa disposition tout leur être et toute leur personne.
Ils sont autonomes et sont à eux-mêmes leurs propres chefs. Ils n’ont pas d’organisation, car ils sont à eux-même leur propre organisation. Ils n’ont pas besoin de programme, car ils ont leur cerveau. Révolution cesse donc de paraître, en tant qu’organe de l’A.A.U.-E. Elle pourra sortir encore, mais sans le sigle A.A.U.-E.
Pour que Révolution continue de paraître, il faut également qu’il y ait du bon matériel et que le besoin s’en fasse sentir. Révolution ne doit donc pas être composée pour quelques camarades, mais doit avoir tirage de masse, être un organe de lutte réellement instructif et croncret, diffusé dans les entreprises et financé par les dons bénévoles des camarades.
Par ailleurs, Révolution sera rédigée, composée et diffusée bénévolement, par ceux qui sont d’accord sur la justesse de cette manière de faire.
Nous détruisons aujourd’hui tout notre fichier d’adresses. Ceux qui veulent recevoir le journal dans sa nouvelle forme et sont intéressés à sa diffusion, doivent nous envoyer leur adresse. Tous les articles qui seront envoyés de tous les coins d’Allemagne par les camarades et qui correspondent à l’intérêt du mouvement (fortschritt) seront publiés dans Révolution. »

Groupe Révolution, 1923

POUR CONCLURE :

« Avant tout, qu’est ce qui caractérise un parti prolétarien ? Personne n’est obligé de militer dans un parti révolutionnaire, mais, s’il le fait, il prend son parti au sérieux. Quand on ose appeler le peuple à un changement révolutionnaire de société, on porte une énorme responsabilité qu’il faut prendre très au sérieux. Et qu’est-ce que notre théorie, sinon, simplement l’outil de notre action ? Cet outil, c’est la théorie, marxiste, parce que, jusqu’à présent, nous n’en avons pas trouvé de meilleur. Un ouvrier ne se livre à aucune fantaisie avec ses outils : si ce sont les meilleurs outils qu’il puisse avoir, il en prend grand soin ; il ne les abandonne pas et n’exige pas des outils fantaisistes, qui n’existent pas. »
Trotsky dans "Réponse à des questions concernant les Etats Unis" (1940)

« Ce qui caractérise toute révolution, c’est que la conscience des masses évolue vite : des couches sociales toujours nouvelles acquièrent de l’expérience, passent au crible leurs opinions de la veille, les rejettent pour en adopter d’autres, écartent les vieux chefs et en prennent de nouveaux, vont de l’avant, et ainsi de suite.
Les organisations démocratiques qui reposent sur le lourd appareil du suffrage universel doivent forcément, aux époques révolutionnaires, retarder sur l’évolution progressive de la conscience politique des masses. Il en va tout différemment des soviets. Ils s’appuient directement sur des groupements organiques, comme l’usine, l’atelier, la commune, le régiment, etc.
(…) Le délégué du Conseil municipal ou du zemstvo s’appuie sur la masse inorganique des électeurs qui, pour un an, lui donne pleins pouvoirs et puis se désagrège. Les électeurs du soviet, au contraire, restent toujours unis entre eux par les conditions mêmes de leur travail et de leur existence, et ils ont toujours l’œil sur leur délégué ; à chaque instant, ils peuvent l’admonester, lui demander des comptes, le révoquer ou le remplacer par une autre. »

Léon Trotsky
Dans « L’avènement du bolchevisme »

Donc la conclusion révolutionnaire, celle de Trotsky, c’est qu’il faut le parti et qu’il faut le soviet, même si les deux sont apparemment contradictoires !

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