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L’athéisme et l’anticléricalisme dans la Révolution française

samedi 20 juillet 2019, par Robert Paris

L’athéisme et l’anticléricalisme dans la Révolution française

Que pensaient les masses populaires en 1789, avant les grands événements révolutionnaires, de l’Eglise de France, ce sont les « cahiers de doléance » qui nous le disent. C’est la royauté qui avait ordonné que cent bouches s’ouvrent, eh bien voyons ce qu’elles disaient.

Lettre de convocation des Etats Généraux à Versailles
« De par le roi

« Nous avons besoin du concours de tous nos fidèles sujets pour Nous aider à surmonter toutes les difficultés où Nous Nous trouvons, relativement à l’état de nos finances, et pour établir, suivant nos vœux, un ordre constant et invariable dans toutes les parties du gouvernement qui intéressent le bonheur de nos sujets et la prospérité de notre royaume. Ces grands motifs nous ont déterminé à convoquer l’assemblée des Etats de toutes les provinces de notre obéissance, tant pour Nous conseiller et Nous assister dans toutes les choses qui seront mises sous ses yeux, que pour nous faire connaître les souhaits et les doléances de nos peuples (...) »

Le Roi de France

Fait à Versailles le 24 janvier 1789

Cahier de doléance des cordonniers de Laval :

« Les archevêques et les évêques sont sortis de leur ancienne façon de vivre, modeste et frugale. La somptuosité de leur palais, de leurs tables et de leurs équipages, exige une réforme. On pourrait y parvenir en retranchant leurs revenus. Les chanoines, établis pour chanter les louanges du Seigneur, dédaignant de les chanter eux-mêmes, paient les ecclésiastiques d’un ordre inférieur pour les chanter à leur place. Les moines (du moins en grande partie) ont obtenu, les uns leur sécularisation, et les autres la dispense de suivre leur règle primitive. Ils vivent dans le faste, l’oisiveté et la mollesse. Leurs riches abbés étalent des équipages brillants et commodes. Les uns et les autres insultent par leur luxe à la misère du peuple, oubliant que c’est ce peuple qui les rente au préjudice de ses besoins les plus pressants, à la sueur de son front ; et que ce qu’ils emploient à vivre si mondainement est un véritable vol qu’ils font aux indigents. »

Cahier de doléances de Saint Quintin et Cayra :

« Le clergé, indépendamment de ses propriétés, perçoit le dixième des fruits de nos terres…Lorsque nos ancêtres firent de gré ou de force ce magnifique présent à leurs prêtres, c’était pour fournir à leur subsistance et distribuer le superflu aux pauvres ; mais, hélas !, que leurs volontés sont mal exécutées ! notre curé est sourd aux gémissements des nécessiteux dont cette paroisse fourmille. Cinq moines consomment 24.000 livres de rentes dont nos biens font partie. Superbement logés, les mets les plus recherchés abondent sur leur table ; les dames, la noblesse des environs y sont admises ; mais les pauvres qui se présentent à leur porte sont chassés ignominieusement comme des êtres vils et méprisables qu’ils ne reconnaissent plus pour leurs frères. Usez, Sire, de grâce, de toute votre puissance pour détruire ces moines inutiles qui ont fait vœu de pauvreté et qui regorgent de richesses ; ce sont des sangsues dévorantes, des plantes parasites ; et c’est chez eux que Votre Majesté trouvera un des moyens de restauration pour ses finances. Que nos prêtres ne se mêlent plus des d’affaires temporelles ; qu’ils soient sans cesse occupés à attirer sur nous les bénédictions célestes ; qu’ils s’abstiennent de vouloir dominer aux assemblées nationales, qu’ils se bornent à vivre des charités des fidèles, c’est leur institution : alors, on pourra leur pardonner de qualifier de don gratuit ce dont ils feront présent à l’Etat. »

Cahier de doléances de La-Neuville-sur-Oudeuil :

« Il est une infinité de religieux et religieuses… qui jouissent de gros revenus… n’y ayant pas de paroisse où ils n’aient une possession, se trouvent exempts de tous subsides (impôts), souvent enflés du titre de Seigneur, regardant ce pauvre cultivateur et leurs vassaux comme très obligés de les appeler seigneurs, vont à la chasse dans leurs grains prêts à récolter… sortent de leurs couvents… se promènent dans leurs seigneuries en carrosse pour, ce semble, affronter la misère des malheureux qui se sacrifient pour payer le cens… donnent les repas les plus splendides auxquels sont admis toutes personnes représentant même le sexe, sans considérer que souvent le coût de ce repas suffirait pour la nourriture des pauvres d’un village pendant plus d’une semaine… »

Cahier de doléances des habitants de la paroisse de Cormes :

« En tout état de cause, nous désirons et nous demandons que les ecclésiastiques et les nobles soient privés à l’avenir du privilège si onéreux au tiers état, de faire valoir leurs dîmes et leurs domaines sans contribution d’impôts. Nous recommandons à nos députés de remontrer cet abus et d’en solliciter la suppression avec les forces de la vérité dont il est susceptible. Mêmes observations et mêmes demandes sur les concessions abusives en faveur des maîtres de poste, qui étendent toujours leurs privilèges hors les limites de la justice et de la loi. Pour les dédommager de leurs privilèges dont nous demandons la suppression, on pourrait leur accorder une légère augmentation par cheval ou autrement. »

Cahier de doléances de Combérouger :

« Les religieux de la Grand’Selve ont asujetti cette communauté qui a été dans tous les temps dans la détresse, eux qui ont cent livres de revenu, à payer annuellement à leur sacristie deux livres de cire pour le luminaire de leur église à chaque lettre de purification, et aux consuls d’assister le même jour en chaperon à leur grand’messe et à leur procession et aller à l’offrande. Cette rente en cire ainsi que l’hommage des consuls sont les plus mal imaginés et les plus injustes, car enfin quel est l’homme qui ne sera pas indigné et révolté de voir des religieux rentés avec profusion, décimateurs de ce lieu et par conséquent tenus de fournir aux luminaires de cette église qui est la plus misérable de ce diocèse, et qui exigent au contraire qu’on leur fasse des rentes pour illuminer la leur qui est opulente, tandis qu’ils laissent pendant toute l’année le Saint Sacrement de notre Eglise sans lampe e sans aucune espèce de lumière… »

Cahier de doléances des artisans de Pont-L’abbé :

« Nous ne paierons plus aux seigneurs de rachats ni lods ni ventes, mais nous les paierons aux hôpitaux à l’avenir, pour l’entretien, pour la nourriture des mineurs, orphelins, infirmes, vieillards, incapables de gagner leur vie dans l’étendue du fief. (...) Que toutes les abbayes soient supprimées au profit de Sa Majesté pour payer la dette nationale. »

« Que toutes les abbayes soient supprimées au profit de Sa Majesté pour payer la dette nationale. »

Cahier de doléances de la communauté d’Uchau – sénéchaussée de Nîmes :

« D’ordonner que, conformément aux anciennes lois de l’Eglise et à l’administration primitive des revenus affectés aux ecclésiastiques, les décimateurs soient obligés de laisser annuellement, dans l’ étendue de leurs bénéfices, une portion déterminée de leur dîme, pour être appliquée à la subsistance des pauvres. »

Cahier de doléances de Le Burgaud (Haute Garonne) :

« Nous disons que le premier Ordre du Royaume offre au premier coup d’œil des richesses extraordinaires presque toujours employées à des dépenses d’ostentation, qui peuvent tout à la fois suffire à l’acquit des dettes de l’Etat et à leur honnête entretien. Pour poursuivre ce but, il faut réduire tout le Haut-Clergé au tiers de leur revenu (...) et tout le bas clergé ou séculier à 1500 livres de pension (...) »

Cahier de doléances de Bellegarde :

« C’est surtout la suppression absolue et irrévocable de la dîme que la communauté de Bellegarde voudrait donner à ses réclamations cette force et cette énergie qui rendent plus persuasives la raison et la vérité. Le poids de cette accablante charge lui est d’autant plus insupportable qu’elle connaît l’absurdité des moyens par lesquels elle fut établie, les conditions qui la firent accepter, l’usage auquel sont produit va servir, et le découragement qu’elle jette dans l’âme du cultivateur. L’horreur universelle qu’elle inspire est si juste qu’on la voit, dans toutes les communautés de campagne, excéder les impositions royales et ôter au citoyen fidèle une partie des moyens d’acquitter cette dette sacrée. »

Cahiers de doléance de Pont-Croix :

« Que les revenus immenses des moines, arrachés pour la plupart à la superstition dans des siècles d’ignorance, soient annexées aux fonds de l’Etat et employés à l’extinction de ses dettes, et que les membre des communautés abolies soient plus utilement employés au service des paroisses des campagnes, où l’on se plaint de la disette de prêtres… Que les rétributions énormes attachés aux abbayes, évêchés, archevêchés et autres bénéfices ecclésiastiques soient réduites à une pension honnête en faveur des sujets qui en jouissent, et que le surplus soit joint aux revenus de l’Etat. »

Et ce ne sont là que quelques exemples… Ils montrent que la révolution avait une dimension d’hostilité aux privilèges des religieux du haut clergé autant qu’à ceux des nobles et que ce n’était pas là de l’idéologie mais le résultat de l’oppression, du vol, de l’exploitation exagérée, violente, scandaleuse, donc c’était bel et bien de la haine contre la classe exploiteuse, dont le haut clergé faisait partie…

On remarquera que le clergé, pour sa part, se plaint dans les cahiers de doléances de la montée d’une opinion publique athée…

Cahier de doléances du clergé de la sénéchaussée d’Auch :

« Les rois de France, Sire, comptèrent parmi leurs titres les plus glorieux, le titre de Roi très-chrétien, de fils aîné de l’Eglise ; et la gloire du nom français tira toujours son principal lustre de l’attachement inviolable de la nation à la religion catholique, et du zèle qu’elle témoigna dans tous les temps pour la défense de son culte, la pureté de sa morale et l’intégrité de ses dogmes. Un esprit de philosophie et d’impiété a répandu depuis quelques années dans tout le royaume un esprit de système qui altère tous les principes religieux et politiques, qui a porté les atteintes les plus mortelles à la foi et aux mœurs, et relâché les liens les plus sacrés de la société. Effet funeste de ce nombre prodigieux d’ouvrages scandaleux, fruits malheureux de l’amour de l’indépendance, enfantés par le libertinage et la crédulité, où l’on attaque avec une égale audace la foi, la pudeur, la raison, le trône et l’autel. Livres impies et corrupteurs qui, circulant de toute part, ont semé le poison dans tous les Etats et ont ôté au peuple français une partie de son énergie ; le vœu le plus cher au clergé est donc le rétablissement de la foi et des moeurs ; il charge en conséquence son député de supplier Sa Majesté de remettre en vigueur les lois si sagement établies par la piété des rois ses prédécesseurs contre tout ce qui peut porter atteinte à la bonne foi et aux bonne mœurs, et de donner une nouvelle forme à celles qui peuvent les faire fleurir ; de proscrire sous les peines les plus graves l’impression, vente et distribution de tous ouvrages qui pourraient en altérer la pureté. D’interdire à tous, autre qu’aux évêques, chargés du dépôt sacré de la foi, la connaissance de toutes les matières qui peuvent avoir trait à la sainteté de nos dogmes et à la pureté de la morale, comme les seuls juges en ce qui concerne la foi et les règles des mœurs. »

Mais le clergé ne se préoccupait pas seulement des progrès de l’opinion athée dans le public… Il défendait clairement ses privilèges et notamment la dîme.

Cahier de doléances du Clergé du bailliage d’Orléans :

« Que la loi catholique et romaine, qui depuis Clovis a toujours été la foi du royaume très chrétien, y soit la seule permise et autorisée, sans mélange d’aucun autre culte public ; qu’il soit pris des précautions contre l’abus que les protestants commencent à faire de l’édit qui leur rend l’état civil (...) Que les ecclésiastiques soient maintenus dans la jouissance de toutes les dîmes dont ils sont en possession, de quelque nature qu’elles puissent être (...) »

La révolution commençait donc à peine à pointer son nez que le peuple s’exprimait déjà clairement contre les privilèges de la noblesse et du clergé et avait cessé de respecter des privilégiés se cachant derrière la religion pour profiter du petit peuple.

Dès que la révolution allait parcourir le pays, les nobles et le clergé, affolés, allaient faire mine reculer, de renoncer à leur privilèges…C’est la nuit du quatre août, sous la pression de la « grande peur », de la vague de révolution populaire, que les privilégiés décidaient de proclamer qu’ils renonçaient d’eux-mêmes à leur privilèges !

Marquis de La Ferrière, Lettre au Chevalier de Rabreuil (7 août 1789) :

« Monsieur, la séance du mardi au soir, 4 août, est la séance la plus mémorable qui se soit tenue jamais dans aucune nation. (...) Monsieur le Vicomte de Noailles fit une motion, et demanda que les droits de banalité, rentes nobles foncières, droits de minage, exclusifs de chasse, de fuie, colombier, cens, redevances, dîmes, rachats, tous droits qui pèsent sur le peuple, et sont la source des déprédations des justices subalternes, des vexations des officiers, puissent être rachetés à un taux fixé par l’Assemblée nationale. Le comte Mathieu de Montmorency appuyé fortement cette motion. Plusieurs membres de la Haute Noblesse se joignirent à lui. Les ducs d’Aiguillon, du Châtelet proposèrent que, dès le moment, la Noblesse et le Clergé prononçassent le sacrifice de leurs privilèges pécuniaires. Le président Saint-Fargeau ajouté qu’ils consentissent à faire rétrograder le sacrifice, pour les six derniers mois de 1789. Les circonstances malheureuses où se trouve la Noblesse, l’insurrection générale élevée de toutes parts contre elle, les provinces de Franche-Comté, de Dauphiné, de Bourgogne, d’Alsace, de Normandie, de Limousin, agitées des plus violentes convulsions, et en partie ravagées, plus de cent cinquante châteaux incendiés, les titres seigneuriaux recherchés avec une espèce de fureur, et brûlés, l’impossibilité de s’opposer au torrent de la Révolution, les malheurs qu’entraînerait une résistance même inutile, la ruine du plus beau royaume de l’Europe en proie à l’anarchie, à la dévastation (...) tout nous prescrivait la conduite que nous devions tenir, il n’y eut qu’un mouvement général. Le Clergé, la Noblesse se levèrent et adoptèrent toutes les motions proposées. (...) Il eût été inutile, dangereux même pour vous, de s’opposer au sens général de nation. C’eût été vous désigner, vous et vos possessions, pour victimes de la fureur de la multitude ; c’eût été vous exposer à voir incendier vos maisons.. (...) Les connaissances plus détaillées que nous avons de l’état malheureux de la noblesse ne nous ont pas permis de balancer un instant. »

Dans la « Grande Révolution » de 1789, la bourgeoisie révolutionnaire a été amenée par bien des raisons (politiques et sociales aussi bien qu’idéologiques) à combattre l’Eglise catholique, à l’affaiblir, à la discréditer et même à tenter parfois de la démolir. Toutes ces raisons provenaient du fait que la haute hiérarchie catholique était complètement engagée dans le camp de la féodalité contre la bourgeoisie et que la lutte en question était un combat à mort.

L’Eglise offrait non seulement une idéologie passéiste et de fatalisme utile à l’ordre établi mais aussi un appareil d’organisation et d’encadrement en faveur de la noblesse (dont ses grands dignitaires faisaient partie) et de la royauté, considérée comme « de droit divin » et l’Eglise, en contrepartie monopolisait nombre de richesses qu’elle retirait au commerce, à l’artisanat et à l’industrie. Ce n’est pas un hasard si la bourgeoisie avait ressenti le besoin d’une religion opposée au catholicisme : le protestantisme. Dès que la révolution a éclaté, l’Eglise, à son sommet, a entièrement pris le parti de la réaction, le parti de l’étranger, car la féodalité d’Europe s’est armée contre la révolution, et aussi le parti du roi, y compris quand celui-ci a tenté de fuir pour rejoindre l’armée des princes. L’Eglise est donc passée à l’ennemi et la bourgeoisie révolutionnaire n’a pu que la traiter en ennemie, lui enlevant ses biens, ses droits, ses revenus, son autorité, sa mainmise sur ses prêtres, son indépendance, etc. Tout religieux qui refusait de se soumettre à ces décisions était traité comme un noble pris les armes à la main et c’était normal : l’Eglise était véritablement une arme de guerre de la réaction de la noblesse et une menace mortelle pour la révolution bourgeoise.

Mais, plus encore que la bourgeoisie révolutionnaire, c’est le petit peuple qui a considéré l’Eglise comme un des ennemis à abattre à tout prix. Le peuple et le bas clergé, misérables, reprochent au haut clergé ses immenses revenus, prélevés sur la dîme, son luxe, son mépris, sa totale inutilité sociale. On a même du mal aujourd’hui à percevoir cette haine violente des religieux qui a mené à la formation en France d’un mouvement de déchristianisation populaire, radical et massif, sur lequel les dirigeants bourgeois révolutionnaires ont momentanément surfé avant de l’arrêter net, le même Robespierre se disant partisan des déchristianiseurs et se chargeant de leur couper les ailes.

C’est le 2 novembre 1789 que les biens du clergé catholique sont déjà nationalisés. On comparera à chaque fois à la situation actuelle : l’Eglise possède à nouveau des biens immenses en France et elle est le premier propriétaire immobilier, par exemple, à Paris.

Le 13 février1790, les ordres religieux sont supprimés. Tout maintien d’un ordre religieux est déclaré comme atteinte à la sûreté de l’Etat. Aujourd’hui, tous sont réapparus et ne sont nullement interdits. Les cloitres sont fermés et les religieuses sont libérées. Des établissements de religieuses existent toujours en France et la règle y est sévère. Par exemple, l’ordre de la Visitation continue à cloitrer des femmes. On peut citer également de nombreuses congrégations comme celle de l’Oratoire, celle de Jésus, celle de Saint Maur et celle du Saint Esprit, etc…

Le 27 novembre 1790, l’assemblée exige de tous les prêtres un serment de fidélité à la constitution laïque. Ils n’ont absolument pas besoin d’y prêter serment aujourd’hui et peuvent proférer des discours politiques pour un retour réactionnaire en France, comme c’est le cas des plus intégristes mais aussi des autres qui se remettent à prétendre intervenir politiquement publiquement en politique, notamment contre le droit à l’avortement, le droit à la PMA ou le mariage des homosexuels, entre autres… Faire de la politique publiquement, de plus en plus de prêtres et de plus hauts chefs religieux ne se l’interdisent plus.

Il convient de remarquer que la version de la laïcité défendue par la Révolution est un combat contre la religion, même si celle-ci reste en France un droit. C’est un combat contre son influence idéologique, organisationnelle, sociale et politique. Ce n’est nullement le cas aujourd’hui. L’Etat ne se sert nullement de ses moyens culturels, politiques, sociaux et économiques pour diminuer ou combattre l’influence des religions. Il ne cherche nullement à propager par la culture une idéologie de la science ni même de l’humanisme. Dans ses ouvrages d’Histoire, il donne même la part belle aux religions qui ont droit à de longues pages sur les Juifs, les Chrétiens et les Musulmans, comme si c’étaient d’ailleurs les seules religions du monde… La France de la Révolution française se gardait de défendre la religion et développait plutôt un culte de la Raison, se revendiquant des philosophes des Lumières.

Le compromis bâtard auquel elle s’arrêta tout d’abord, la constitution civile du clergé (12 juillet 1790), resta très en deçà de ce programme. Les constituants accordèrent au catholicisme la situation d’un culte privilégié, dont les desservants étaient salariés et nommés par l’Etat, liés à lui par un serment. (…) Mais la cléricaille ne leur su aucun grè de leur timidité. Le Vatican engagea le fer contre la constitution civile du clergé. Il incita les prêtres à refuser de prêter serment, organisant contre la révolution le sabotage des prêtres réfractaires. La bourgeoisie révolutionnaire se trouva donc obligée de dépasser la constitution civile du clergé. Mais le fit avec prudence (…) Les moins timorés étaient les bourgeois qui acquirent des biens nationaux : le spectre d’une revanche de l’ancienne Eglise, avec pour corollaire la restitution des domaines confisqués au clergé, hantait leurs nuits.

N’osant supprimer le budget des cultes, on s’était bornés à le grignoter. Parallèlement, l’on s’engagea tout doucement dans la voie de la séparation de l’Eglise et de l’Etat ; avant de cesser ses travaux, le 20 septembre 1792, l’Assemblée législative décida que la tenue de l’état-civil incomberait non plus à l’Eglise mais à l’Etat. Enfin, des mesures furent prises qui constituèrent un premier pas vers la suppression des manifestations extérieures du culte catholique

En 1791, Condorcet déclarait déjà dans son « Mémoire sur l’instruction publique » que la Constitution « ne permet point d’admettre un enseignement qui, repoussant des enfants d’une partie des citoyens donnerait à des dogmes particuliers un avantage contraire à la liberté des opinions. » Du coup, il n’autorise pas l’enseignement monopolisé par les religieux tout en admettant la liberté des cultes en France. On remarquera que les religions, y compris la catholique, sont traités de « dogmes particuliers ».

La Commune de Paris, sous l’impulsion de son procureur-syndic Chaumette, est la première à prendre, après le 10 août 1792, des mesures anticléricales : interdiction du port du costume ecclésiastique en dehors des fonctions sacerdotales (12 août), interdiction des processions et manifestations religieuses sur la place publique (16 août), réquisition des bronzes d’église pour l’armée (17 août). Toutefois, les arrêtés de la Commune ne sont pas toujours reconnus par la Convention, ni même suivis dans toutes les sections.

C’est la guerre civile menée par la noblesse française alliée aux régimes féodaux d’Europe contre la révolution qui pousse à la radicalisation l’affrontement de la révolution avec le clergé.

Le 6 novembre 1793, la Convention accorde qu’une commune est en droit de renoncer au culte catholique.

Le 23 novembre 1793, sur la recommandation de Chaumette, la Commune ordonne la fermeture de toutes les églises de la capitale.

Le mouvement de déchristianisation, vu par Kropotkine

Raconté par Jean Jaurès

Le récit de Michelet

La suite

Puis

Le mouvement populaire déchristianisateur et la Révolution française

Robespierre a su conserver la direction de la vague révolutionnaire, surfer sur la vague de déchristianisation avant de la détruire, surfer sur les comités populaires avant de les réprimer…

En 1793, Robespierre se retourne contre le mouvement populaire des bras nus qui l’a appuyé et notamment contre le mouvement anticlérical. Robespierre déclare contre les déchristianiseurs :

« Non, la Convention n’a point fait cette démarche téméraire ; la Convention ne le fera jamais. Son intention est de maintenir la liberté des culte qu’elle a proclamée, et de réprimer en même temps tous ceux qui en abuseraient pour troubler l’ordre public ; elle ne permettra pas qu’on persécute les ministres paisibles du culte, et elle les punira avec sévérité toutes les fois qu’ils oseront se prévaloir de leurs fonctions pour tromper les citoyens et pour armer les préjugés ou le royalisme contre la République… L’athéisme est aristocratique ; l’idée d’un grand être qui veille sur l’innocence opprimée, et qui punit le crime triomphant est toute populaire. Le peuple, les malheureux m’applaudissent : si je trouvais des censeurs ce serait parmi les riches et les coupables. »

Daniel Guérin écrit : « Robespierre, en donnant, le 20 novembre 1793, un coup de frein à la déchristianisation, en insultant et en persécutant les "ultra-révolutionnaires", fit faire demi-tour à la Révolution, l’engagea sur une pente fatale où lui-même laissa sa tête, qui conduisit à la dictature militaire de Bonaparte et aux ordonnances de Charles X. »

Car, à partir de cette date, la Révolution va progressivement se retourner contre le mouvement populaire. L’émergence dans les départements des armées de l’intérieur, qui étaient issues de la sans-culotterie, est mal vue par le gouvernement révolutionnaire. Celui-ci dissout ces armées à l’hiver 1793-1794.

De même, le mouvement de déchristianisation de l’an II est l’expression du mouvement populaire. Mais il est désavoué par le gouvernement révolutionnaire qui domestique, entre l’hiver 1793 et le printemps 1794, le mouvement sans-culotte. Le soutien de ce dernier aux Montagnards n’est donc plus une certitude, d’autant plus que les « Enragés » ont été éliminés en septembre 1793 et les Hébertistes en mars 1794.

Le divorce entre le mouvement populaire et le gouvernement révolutionnaire vient d’une incompatibilité de leur conception respective de l’exercice du pouvoir. Les sans-culottes aspirent en effet à la démocratie directe, pouvoir peser sur les décisions (c’est ce qui s’est passé, on l’a vu, en 1793). Au contraire, le gouvernement révolutionnaire a décrété que la « Convention est le centre unique de l’impulsion révolutionnaire », ce qui est inconciliable avec la pratique de la démocratie directe. Saint-Just a prononcé ces mots pour exprimer ce divorce : « La Révolution est glacée ».

Dès le début de la révolution, la peur des masses populaires incita la bourgeoisie à ménager l’Eglise. Ce ne fut qu’à très petits pas qu’elle s’achemina vers la solution démocratique bourgeoise du problème des rapports entre l’église et l’Etat, à savoir la séparation des deux puissances rivales ; plus de budget des cultes ; plus de culte dominant et privilégié ; plus de manifestations publiques d’un seul culte ; la religion « affaire privée ».

La séparation de l’Eglise et de l’Etat est exigée par l’assemblée le 21 février 1795 : « La République ne salarie aucun culte. » Nous allons voir par la suite que la République française s’ingénie de mille manières pour subventionner l’église catholique, même si elle ne salarie pas directement les prêtres.

C’est à Napoléon qu’est revenue la tâche réactionnaire de revenir en arrière sur la séparation complète de l’Eglise et de l’Etat instaurée par la Révolution. Le 14 juillet 1801, il signe même le Concordat par lequel le catholicisme est reconnu « religion de la majorité des Français » et les deniers publics recommencent à financer le culte et par lequel le chef de l’Etat, Napoléon, est sacralisé. On revient à l’alliance du trône et de l’autel, du sabre et du goupillon. L’Etat n’est plus du tout laïque. En 1806, un « catéchisme impérial » est instauré. Même si rabbins et pasteurs protestants sont aussi partiellement financés, le catholicisme est partiellement redevenu religion dominante en France et religion d’Etat.

Ce retour en arrière sera total avec la Restauration de la monarchie en 1814 qui scelle le triomphe des féodalités d’Europe contre la France révolutionnaire. Dans le domaine de la religion, il en va de même. Les congrégations retrouvent l’autorisation d’enseigner et le catholicisme retrouve sa place de première religion reconnue. En 1848 et 1850, la loi Falloux restaure le contrôle clérical sur l’école. C’est contre cette loi que Victor Hugo prononce la fameuse phrase « Je veux l’Etat chez lui et l’Eglise chez elle ». Et ce disant, il n’est effectivement pas du tout anticlérical.

Le second empire de Napoléon III poursuit la nouvelle politique cléricale de la bourgeoisie réactionnaire alliée aux anciens nobles et à l’aristocratie financière et terrienne. On est trop proche des révolutions et l’ordre a besoin de l’ordre moral, l’Etat n’est pas encore assez assuré pour se passer de sa béquille religieuse.

C’est la révolution prolétarienne de 1871, la Commune de Paris, qui va achever le combat de la Révolution de 1789. Là encore, il est clair que l’Eglise est engagée dans le combat aux côtés de la bourgeoisie versaillaise et contre la révolution parisienne. De son côté, la révolution dénonce les crimes des prêtres, ferme les couvents, occupe les églises pour y tenir les réunions de ses comités populaires de quartier.

Au « Cinquième Dialogue » de la Philosophie dans le boudoir, au chapitre intitulé « Sade conseille aux prêtres, tous malfaisants, tous hypocrites, tous menteurs, tous fripons, tous infâmes, de se reconvertir en, devinez quoi, en guerriers. Tant qu’à faire le mal ! Car les prêtres font le mal. Et les prophètes devant lesquels ils s’agenouillent, encore pire, voir plus haut » :

« Anéantissez donc à jamais tout ce qui peut détruire un jour votre ouvrage. Songez que, le fruit de vos travaux n’étant réservés qu’à vos neveux, il est de votre devoir, de votre probité, de ne leur laisser aucun de ces germes dangereux qui pourraient les replonger dans le chaos dont nous avons tant de peine à sortir. Déjà nos préjugés se dissipent, déjà le peuple abjure les absurdités catholiques ; il a déjà supprimé les temples, il a culbuté les idoles, il est convenu que le mariage n’est plus qu’un acte civil ; les confessionnaux brisés servent aux foyers publics ; les prétendus fidèles, désertant le banquet apostolique, laissent les dieux de farine aux souris. Français, ne vous arrêtez point : l’Europe entière, une main déjà sur le bandeau qui fascine ses yeux, attend de vous l’effort qui doit l’arracher de son front. Hâtez-vous : ne laissez pas à Rome la sainte, s’agitant en tous sens pour réprimer votre énergie, le temps de se conserver peut-être encore quelques prosélytes. Frappez sans ménagement sa tête altière et frémissante, et qu’avant deux mois l’arbre de la liberté, ombrageant les débris de la chaire de Saint Pierre, couvre du poids de ses rameaux victorieux toutes ces méprisables idoles du christianisme effrontément élevées sur les cendres des Catons et des Brutus. Français, je vous le répète, l’Europe attend de vous d’être à la fois délivrée du sceptre et de l’encensoir. Songez qu’il vous est impossible de l’affranchir de la tyrannie royale sans lui faire briser en même temps les freins de la superstition religieuse : les liens de l’une sont trop intimement unis à l’autre pour qu’en laissant subsister un des deux vous ne retombiez pas bientôt sous l’empire de celui que vous aurez négligé de dissoudre. Ce n’est plus ni aux genoux d’un être imaginaire ni à ceux d’un vil imposteur qu’un républicain doit fléchir ; ses uniques dieux doivent être maintenant le courage et la liberté. Rome disparut dès que le christianisme s’y prêcha, et la France est perdue s’il s’y révère encore. Qu’on examine avec attention les dogmes absurdes, les mystères effrayants, les cérémonies monstrueuses, la morale impossible de cette dégoûtante religion, et l’on verra si elle peut convenir à une république. Croyez-vous de bonne foi que je me laisserais dominer par l’opinion d’un homme que je viendrais de voir aux pieds de l’imbécile prêtre de Jésus ? Non, non, certes ! Cet homme, toujours vil, tiendra toujours, par la bassesse de ses vues, aux atrocités de l’ancien régime ; dès lors qu’il put se soumettre aux stupidités d’une religion aussi plate que celle que nous avions la folie d’admettre, il ne peut plus ni me dicter des lois ni me transmettre des lumières ; je ne le vois plus que comme un esclave des préjugés et de la superstition. »

source

Daniel Guérin, « La révolution française et nous » :

« La Révolution française, dans sa dernière phase, nous présente une leçon dont on aurait tort de sous-estimer l’importance. « 93 » nous offre un spectacle presque unique en son genre et qui, vu avec cent cinquante ans de recul, n’a rien perdu de sa puissante originalité : la tentative de déchristianisation. Devant elle, nous restons, si je puis dire, les bras ballants. Nous avons peine à croire que les hommes du 18ème siècle aient pu enjamber ainsi des siècles et, suivant l’expression de l’un d’eux, oser « escalader le ciel ». Ils eurent eux-mêmes conscience du caractère unique, insolite, de leur entreprise. « Après des milliers de siècles, écrivaient-ils, les fastes de tous les peuples n’offrent encore que celle qui se réalise aujourd’hui. » (Le Comité de salut public aux sociétés populaires, 4-2-1793).

Replaçons-nous, par la pensée, dans la France d’avant la Révolution, faisons revivre ces temps où le catholicisme se confondit avec la société elle-même, où toute la vie personnelle et domestique reposait, comme l’observe Jaurès, sur base catholique, où le non-catholique était considéré comme un paria. Lucien Febvre a évoqué de façon saisissante ce passé dans son livre sur Rabelais, « Le problème de l’incroyance au 16ème siècle, la religion de Rabelais ». Entre l’époque où le catholicisme exerçait une telle emprise sur les hommes et celle où l’on fit des feux de joie de ces hochets, il n’y a qu’un espace de temps relativement court.

Quittons maintenant Paris, les villes de province, les campagnes d’où partit le mouvement de déchristianisation, où il prit toute son ampleur, et passons dans les régions les plus arriérées telles que la Vendée et la Bretagne, encore plongées dans les ténèbres du moyen-âge. Entre les paysans vendéens et bretons et ceux des contrées déjà gagnées par la lumière, il y a une distance de plusieurs siècles. Nous avons peine à concevoir que ces débris du passé et ces pionniers de l’avenir aient pu respirer ensemble. Et notre étonnement augmente encore si, de France, nous nous transportons dans l’Europe de 1793, si nous franchissons les Pyrénées, les Alpes, le Rhin.

En vérité, les déchristianisateurs de Nevers et de Paris durent apparaître aux « esclaves des rois » pour employer le langage des sans-culottes, comme des fous furieux. Cependant, il n’y a rien d’invraisemblable ni d’inexplicable dans cette criante contradiction. Elle illustre, au contraire, de façon saisissante la loi dite du développement combiné (…) Les déchristianisateurs n’étaient pas seulement en avance sur leur temps : ils l’étaient sur le nôtre. Quand nous comparons l’état actuel du problème religieux, la situation de l’Eglise dans la société d’aujourd’hui, la passivité, la timidité, pour ne pas dire davantage, dont font preuve nos contemporains à l’égard du cléricalisme tentaculaire, nous ne pouvons nous faire à l’idée que des hommes d’il y a cent cinquante ans aient pu porter à la religion catholique un coup aussi rude. (…) Tandis que la double cognée du progrès économique et du développement du savoir attaque l’arbre séculaire de la superstition, d’autres forces retiennent provisoirement une partie de la société sous l’emprise des hommes noirs, ces anachronismes vivants. L’une de ces forces prend son origine dans le revirement de la classe dominante vis-à-vis de l’Eglise.

A la fin du 18ème siècle, la bourgeoisie était tiraillée entre deux tendances contradictoires : d’une part, son affranchissement définitif en tant que classe exigeait qu’elle combattît sans ménagements l’Eglise, alliée au féodalisme et à l’absolutisme, tandis que, par ailleurs, sa cupidité lui faisait convoiter les riches biens temporels du clergé ; d’autre part, la crainte du mouvement autonome des masses l’incitait à ne pas se priver de l’appui de Dieu. La religion n’était-elle pas le fondement le plus solide de la morale bourgeoise ? N’était-elle pas plus capable que toute autre discipline de maintenir le peuple dans l’obéissance ? (…) Aujourd’hui, au contraire, la bourgeoisie devenue classe dominante (…) n’a plus besoin de combattre l’Eglise. (…) Un autre facteur explique la survivance de la religion : c’est la situation chaotique dans laquelle se débat l’humanité d’aujourd’hui, bouleversée, déchirée par l’agonie du système capitaliste, par les crises périodiques de surproduction et de chômage, par les guerres planétaires s’allumant à intervalles de plus en plus rapprochés.

L’individu se sentant écrasé par des forces qui le dépassent, dont il ne comprend pas bien le mécanisme et contre lesquelles il imagine être impuissant, se laisse envahir par la peur, comme ses lointains ancêtres en présence des phénomènes de la nature (…) Beaucoup de militants révolutionnaires ignorent le phénomène religieux. (…) On affecte d’ignorer la religion. On s’abrite derrière le cliché que le la religion est « affaire privée ». On construit une cloison étanche entre elle et les autres problèmes. (…) L’avant-garde révolutionnaire a été amenée à négliger la question religieuse par réaction contre l’anticléricalisme bourgeois.

La bourgeoisie libérale (…) a mené cette lutte contre la religion de façon puérile, désuète, inefficace du fait qu’elle s’est gardée, et pour cause, de toucher aux racines matérielles de la religion, c’est-à-dire à l’oppression capitaliste. D’une façon qui a été même dangereuse pour le prolétariat, car, en l’amusant avec cette guérilla contre la « calotte », elle a essayé de le détourner de la lutte de classes. Elle lui a donné à « bouffer du curé » pour l’empêcher de s’en prendre au patron. (…) Les militants (…) n’ont retenu de la pensée socialiste que la polémique contre l’anticléricalisme bourgeois (…)

La tentative de déchristianisation de l’an II mérite d’être mieux connue et nous aurions intérêt à nous en inspirer davantage dans notre lutte contre l’Eglise. Les pleutres, les défaitistes qui s’exagèrent l’emprise de l’Eglise (…) qui renvoient aux calendes grecques la libération des âmes, (…) devraient méditer sur l’étonnante facilité, la fulgurante rapidité avec laquelle la majorité de la population française d’alors, non seulement dans les villes mais aussi dans les campagnes, rompit avec ses traditions ancestrales, brisa les hochets de la « superstition », chassa les prêtres. (…) Cependant, l’expérience de l’an II nous enseigne, en même temps, la fragilité d’une entreprise de déchristianisation qui ne s’attaque pas, simultanément, à l’ordre bourgeois, aux racines matérielles de la religion. »

« Bourgeois et bras nus », Daniel Guérin :

« La question religieuse joua dans la révolution française un rôle à peine moins important que les problèmes politiques fondamentaux qui viennent d’être évoqués (lutte contre l’Ancien régime, contre les puissances européennes, luttes de classes entre bourgeoisie et bras-nus).

Tout d’abord, elle était partie intégrante de l’assaut que les masses populaires donnèrent à l’Ancien Régime abhorré. L’hostilité des sans-culottes à l’égard de l’Eglise était une des formes de leur instinct de classe. Tandis que, dans le calme de leur cabinet, les philosophes du 18ème siècle s’étaient rangés contre la religion au nom de principes abstraits, ceux de la « base » avaient vu dans l’Eglise un des principaux obstacles à l’émancipation humaine. Le scandale que qu’offraient les mœurs des hommes noirs, leur corruption et leur vénalité en même temps que leur complicité avec l’aristocratie et l’absolutisme, avaient plus fait pour ouvrir leurs yeux que les méditations des philosophes. (…) Au début du 18ème siècle, un modeste curé d’origine plébéienne, Jean Meslier, avait poussé le premier cri de révolte contre l’Eglise. (…) De modestes travailleurs, copistes, colporteurs, artisans, typographes déchiffrèrent passionnément ces manuscrits et lièrent la lutte anti-religieuse à celle pour l’émancipation sociale. Longtemps avant 1789, ils avaient ouvert la voie à la déchristianisation. Quant à la bourgeoisie du 18ème siècle, elle était tiraillée entre deux impulsions contradictoires. D’une part, elle poursuivait l’Eglise d’une haine tenace, parce qu’elle était l’un des plus fermes soutiens du vieux monde absolutiste à survivances féodales, un des plus sérieux obstacles à sa pleine émancipation, et aussi parce qu’elle convoitait les riches biens temporels du clergé. Mais, d’autre part, elle considérait, à juste titre, la religion comme une force de conservation sociale. Elle lui savait gré de maintenir le peuple dans l’obéissance, de lui apprendre à révérer la propriété bourgeoise, de le faire renoncer à une amélioration de son sort terrestre en lui promettant le bonheur dans l’au-delà. Elle redoutait qu’un peuple ayant cessé d’être encadré par les prêtres, ayant rejeté les principes moraux inculqués par l’Eglise, livré à ses seuls instincts, ne mît en danger sa propre domination de classe. (…) Dès le début de la révolution, la peur des masses populaires incita la bourgeoisie à ménager l’Eglise. Ce ne fut qu’à très petits pas qu’elle s’achemina vers la solution démocratique bourgeoise du problème des rapports entre l’église et l’Etat, à savoir la séparation des deux puissances rivales ; plus de budget des cultes ; plus de culte dominant et privilégié ; plus de manifestations publiques d’un seul culte ; la religion « affaire privée ».

Le compromis bâtard auquel elle s’arrêta tout d’abord, la constitution civile du clergé (12 juillet 1790), resta très en deçà de ce programme. Les constituants accordèrent au catholicisme la situation d’un culte privilégié, dont les desservants étaient salariés et nommés par l’Etat, liés à lui par un serment. (…) Mais la cléricaille ne leur su aucun grè de leur timidité. Le Vatican engagea le fer contre la constitution civile du clergé. Il incita les prêtres à refuser de prêter serment, organisant contre la révolution le sabotage des prêtres réfractaires. La bourgeoisie révolutionnaire se trouva donc obligée de dépasser la constitution civile du clergé. Mais le fit avec prudence (…) Les moins timorés étaient les bourgeois qui acquirent des biens nationaux : le spectre d’une revanche de l’ancienne Eglise, avec pour corollaire la restitution des domaines confisqués au clergé, hantait leurs nuits.
N’osant supprimer le budget des cultes, on s’était bornés à le grignoter. Parallèlement, l’on s’engagea tout doucement dans la voie de la séparation de l’Eglise et de l’Etat ; avant de cesser ses travaux, le 20 septembre 1792, l’Assemblée législative décida que la tenue de l’état-civil incomberait non plus à l’Eglise mais à l’Etat. Enfin, des mesures furent prises qui constituèrent un premier pas vers la suppression des manifestations extérieures du culte catholique (…)
Les girondins préféraient arrêter la révolution plutôt que d’acheter le concours des bras-nus Or, en révolution, s’arrêter, c’est reculer. Fatigués de la révolution, les girondins, par une pente insensible, glissèrent dans les bras des royalistes. Du fait qu’ils tournaient le dos à la révolution, ils ne pouvaient plus considérer comme définitive l’expropriation des biens du clergé et des émigrés.

(...) En un mot les girondins préféraient arrêter la révolution plutôt que d’acheter le concours des bras-nus Or, en révolution, s’arrêter, c’est reculer. Fatigués de la révolution, les girondins, par une pente insensible, glissèrent dans les bras des royalistes. Du fait qu’ils tournaient le dos à la révolution, ils ne pouvaient plus considérer comme définitive l’expropriation des biens du clergé et des émigrés. Ils répugnaient donc à retirer leurs capitaux du commerce pour les investir en biens nationaux (...) Parallèlement à leur glissement vers la contre-révolution à l’intérieur, les girondins louchèrent vers une transaction à l’extérieur. Ils avaient voulu cette guerre mais ils l’avaient voulue rapide et offensive. Le résultat : une guerre défensive, la France envahie et coupée du monde entier, une guerre révolutionnaire, animée par l’énergie de la plèbe. D’où leur volte-face. (...) Dumouriez s’était fait battre à plate couture et avait dû évacuer précipitamment la Belgique. De nouveau, la France fut menacée par l’invasion. A Paris, on revit l’atmosphère de septembre 1792. Les faubourgs se levèrent, exigèrent des mesures de terreur et de salut public.

(...) Une fraction importante de la bourgeoisie de 1793 en arriva, pour servir ses intérêts particuliers, à trahir les intérêts généraux de la révolution bourgeoise. L’autre fraction, celle dont les intérêts étaient liés à la continuation de la guerre et de la révolution, se résigna à la rupture. Entre les deux scissions, celle avec la Gironde ou celle avec les bras-nus, elle dut choisir (…) La Montagne ne pouvait se dispenser de faire appel au peuple, mais dans une mesure rigoureusement circonscrite : le peuple devait se borner à exercer une pression sur l’Assemblée (…) à inspirer à la Convention le courage de se donner le coup de bistouri. (…) Pour organiser la pression populaire, on ne rechigna pas à utiliser les organes extra-légaux qui avaient déclenché les mouvements du 10 août 1792 et du 10 mars 1793. Le moyen était risqué mais il n’y en avait pas d’autre. (…) Le 5 mai, la section du Contrat social invita les 48 sections à désigner les délégués pour former un « Comité central révolutionnaire ». La réunion se tint le 12 et regroupa 80 membres. (…) Les Jacobins n’agissaient qu’en sous-main ; ils laissaient l’initiative du mouvement à des comités sans sanction officielle (…) La Commune officielle, où dominaient les Jacobins (…) s’appliquait à camoufler l’activité clandestine du Comité central révolutionnaire. (…) Mais le jeu n’était pas sans risques. L’avant-garde populaire n’allait-elle pas, dans un élan irrésistible, dépasser les limites fixées ? Au dernier moment, à la veille même de la crise, Robespierre comprit que les organes réguliers et légaux devaient rentrer en scène, sous peine d’être débordés. (...) Cependant Robespierre et les chefs montagnards n’avaient pas perdu tout contrôle sur les événements ; ils avaient encore plus d’un tour dans leur sac : après s’être joués des girondins, ils se jouèrent des enragés. (...)

La scission entre bourgeois et bras-nus avait été évitée. par des concessions appropriées, la bourgeoisie montagnarde avait réussi à capter l’énergie des bras-nus, à la faire servir à la défense de la révolution menacée.

Qu’advint-il des enragés qui, un moment, avaient été à la tête de l’avant-garde populaire ? La Montagne, en mettant à execution une partie de leur programme, leur avait enlevé l’audience des sans-culottes. (...) Depuis quelques temps déjà, les chefs jacobins s’appliquaient à saper l’audience des enragés. Mais ils ne se risquèrent à leur fermer tout à fait la bouche qu’en septembre. (...)

Les enragés avaient mené campagne contre la vie chère et l’agiotage, avec un réel succès. ils avaient réussi à entraîner dans leur sillage non seulement un certain nombre de sections mais aussi le club des Cordeliers, et bien qu’avec réticences, la Commune, et jusqu’aux jacobins eux-mêmes. (...) Avant d’éliminer Jacques Roux par des moyens policiers, il fallait lui enlever ses points d’appui dans les masses, le perdre aux yeux des sans-culottes, le déloger des diverses assemblées qu’il avait réussi, plus ou moins, à entraîner dans sa campagne. A commencer par la Société des jacobins. Le 26, Robespierre y déclara la guerre au chef des enragés. Pour le perdre, il n’hésita pas à présenter Jacques Roux comme un "agent de l’étranger".

(...) Le 1er juillet, le Conseil général de la Commune, "considérant que le citoyen Jacques Roux a été chassé des sociétés populaires pour ses opinions anticiviques", désapprouva à l’unanimité sa conduite. (...) Dans "L’ami du peuple", Marat le traita d’"intriguant cupide (...)"
Cependant la section des Gravilliers n’abandonnait pas Jacques Roux. Elle fit, les 22 et 25 août, deux démarches en sa faveur à la commune. (...) La société des jacobins décida finalement de le déférer au comité révolutionnaire de sa section. Entré libre dans la salle des jacobins, Jacques Roux en sortit prisonnier. (...) Le 28 novembre, le comité révolutionnaire de la section des Gravilliers d’incarcérer neuf partisans de Jacques Roux. (...) Le 10 février, le chef des enragés, décidé d’échapper au tribunal révolutionnaire ; se suicida. (...)

Ce fut au début de septembre 1793 que les hébertistes après avoir contribué à la liquidation des enragés, prirent leur succession à la tête des masses. Ils se servirent de l’effervescence des faubourgs pour arracher un certain nombre d’avantages politiques auxquels ils étaient directement intéressés. mais, en même temps, ils s’appliquèrent à canaliser, à dériver le mouvement populaire, à détourner des revendications d’ordre purement économique qui avaient prévalu en juillet-août et qui risquaient de conduire à un conflit social.

Le 4 septembre, une foule composée presque exclusivement d’ouvriers avait envahi l’hôtel de ville et son porte-parole, Tiger, avait réclamé du pain. Lorsque Chaumette revint de la Convention, ne rapportant qu’une promesse, la colère des bras-nus éclata. (...)

La pression populaire persistait, malgré tous les calmants que lui administraient les plébéiens hébertistes et la bourgeoisie révolutionnaire dut finalement tenir l’engagement qu’elle avait dû prendre, celui d’entrer dans la voie de la taxation. Et ce fut, le 29 septembre, le vote de la loi du maximum suivi de toute une série de mesures de contrainte visant à faire réapparaître les marchandises sur les marchés et dans les boutiques.

Ces moyens radicaux rendirent pour un temps la question des subsistances moins aigüe. C’est alors que les hébertistes estimèrent le moment favorable pour dériver le mouvement des masses vers un terrain moins brûlant que le terrain économique, vers des formes de lutte n’opposant pas directement les bras-nus aux bourgeois. Ils ouvrirent la campagne dite de déchristianisation, à travers laquelle ils comptaient mobiliser les masses, les mettre, avec le minimum de risque au service de leurs ambitions politiques.

La reprise de la lutte contre l’Eglise bénéficiait, dans une certaine mesure des sympathies de la bourgeoisie révolutionnaire. En effet, sur le plan religieux, la révolution bourgeoise était loin d’être achevée. Au surplus, après avoir tenté de diviser le clergé, elle avait vu se reformer contre elle le front de tous les prêtres : le sabotage des prêtres constitutionnels avait succédé à celui des prêtres réfractaires. En conséquence, chaque coup porté à la prétraille, non seulement consolidait ses conquêtes, confirmait la confiscation des biens ecclésiastiques, lui permettait de faire de nouvelles économies sur le dos des prêtres, mais aussi et surtout assurait sa sécurité contre le sabotage clérical.

La campagne déclenchée par les hébertistes correspondait bien davantage au sentiment profond des bras-nus. (...) leur intinct de classe élémentaire leur faisait sentir que la pratique de la religion était un instrument d’oppression de l’homme par l’homme. Croire que la campagne de déchristianisation n’a été l’ouvre que de quelques démagogues serait donc faire erreur. (...)

Les hébertistes soufflèrent sur ce feu pour détourner les bras-nus de la lutte contre les possédants, de la lutte pour le pain. En lançant les masses à l’assaut du ciel, ils visèrent à leur faire oublier le plus possible les préoccupations terrestres, les questions matérielles telles que vie chère, subsistances. Une fois le mouvement ainsi dérivé, ils comptaient en conserver la maîtrise et le faire servir à leurs fins propres. Les dates parlent d’elles-mêmes. Le 4 septembre, les ouvriers parisiens envahissaient l’hôtel de ville, réclamaient le maximum. Le 5, Chaumette et Hébert réussissaient, non sans peine, à canaliser le mouvement. Le 29, le maximum était voté. C’est entre ces deux dates que s’ouvre la campagne de déchristianisation.

Elle ne débuta pas à Paris même. les hébertistes jugèrent plus prudent de tâter d’abord le terrain en province. (...) Chaumette quitta donc Paris pour Nevers (...) Les hébertistes avaient trouvé dans le représentant en mission Joseph Fouché l’homme qu’il leur fallait. (...) Chaumette fut l’inspirateur et le guide de Fouché. Avant son arrivée dans la Nièvre, le second y avait plutôt fait figure de modéré ; il n’avait pas pris de mesure particulière contre la religion et contre les prêtres ; sous l’influence du premier, il réunit le 26 septembre à Moulins la société populaire dans l’église paroissiale Notre-dame et prétendit qu’il avait mission de "substituer aux cultes superstitieux et hypocrites auxquels le peuple tient encore malheureusement celui de la république et de la morale naturelle".

Le 10 octobre, il prit un arrêté en conséquence : "Tous les cultes des diverses religions ne pourront être exercés que dans leurs temples respectifs (...) La République ne reconnaissant point de culte dominant ou privilégié, toutes les enseignes religieuses qui se trouvent sur les routes, sur les places, et généralement dans tous les lieux publics, seront anéanties (...) Dans chaque municipalité, tous les citoyens morts, de quelque secte qu’ils soient, seront conduits au lieu désigné pour la sépulture (...) lieu où s’élèvera une statue représentant le sommeil. Tous les autres signes seront détruits." (...)

Les hébertistes parisiens n’avaient plus qu’à s’autoriser du précédent nivernais. (...) Le 1er novembre, les déchristianisateurs firent admettre à la Convention une députation de citoyens nivernais qui demanda la suppression des ministres du culte catholique.

La campagne de déchristianisation avait accueilli l’adhésion non seulement du Conseil général de la Commune, mais des sections, des sans culottes eux-mêmes. Le 6 novembre, un organisme de coordination (...) le Comité central des sociétés populaires, vint donner lecture aux jacobins d’un projet de pétition à présenter à la Convention et tendant à supprimer la rémunération des prêtres. Le 8, ce fut le tour de la Commune d’entendre lecture de la pétition. Elle fut fort applaudie. (...) Les sans-culottes des sections emboitaient le pas et la Convention semblait acquiescer

Tard dans la soirée du 6, après la séance du club des jacobins, une délégation du comité central des sociétés populaires se rendit chez l’évêque de Paris, Gobel. Le vieillard dormait. on le réveilla. On lui fit comprendre que l’heure était venue de se démettre de ses fonctions ecclésiastiques. (...) Le 13, l’Assemblée décréta que toutes les autorités constituées étaient autorisées à recevoir des ecclésiastiques et ministres de tout culte la déclaration qu’ils abdiquaient leur qualité.
(...)

Les déchristianisateurs se crurent maîtres de la situation. le succès du mouvement qu’ils avaient déclenché dépassait leur attente. (...) Les sans-culottes se passionnèrent pour la déchristianisation. (...) Les servitudes de l’Ancien Régime s’étaient toutes écroulées sous la hache de la révolution ; une seule n’avait pas encore été complètement abattue : l’Eglise. Pour achever la révolution il fallait que les complices du seigneur et du riche fussent chassés.

Cependant le préjugé religieux, héritage des siècles, était terriblement lourd à soulever, plus lourd que l’Ancien Régime lui-même, et, sans une aide extérieure, le peuple n’eut pas osé accomplir le geste libérateur. Ce geste, les déchristianisateurs l’avaient accompli pour lui. (...) Les sans-culottes eurent le sentiment qu’on venait de les décharger d’un grand poids. Ce fut une explosion de joie, un cri de délivrance. "Un torrent" maugréèrent ensemble Danton et Robespierre.

Les bras-nus donnèrent libre cours à leur fantaisie, à leur verve. C’est à qui fêterait avec le plus d’éclat, avec le plus d’humour, la libération du genre humain. (...) Des représentations extraordinaires furent jouées (...) Une troupe d’hommes revêtus d’habits sacerdotaux, portant bannières et croix, s’en dépouillèrent soudain et l’on vit sauter en l’air étoles, mitres, chasubles et dalmatiques aux cris de "Vive la liberté" et au son de la Carmagnole. Sur les airs révolutionnaires, l’imagination au pouvoir inventa de nouveaux refrains :

Abbés, chanoines gros et gras, Curés, vicaires et prélats, Cordeliers fiers comme gendarmes Capucins, Récollets et Carmes, Que tout disparaisse devant le peuple sans-culotte !

La vague de fond populaire entraîna les déchristianisateurs au-delà de leurs intentions. On ne pouvait, en effet, s’arrêter en chemin. La logique populaire se refusait aux demi-mesures : si les prêtres étaient des charlatans, comme on venait d’aider le peuple à en prendre conscience, pourquoi bannir seulement les manifestations extérieures du culte ? Pourquoi priver seulement les hommes noirs de leur salaire et les laisser exercer librement leur fonction nocive ? On avait mis le doigt dans l’engrenage. (...)

Bientôt, on s’attaqua aux églises elles-mêmes. (...) La décision d’abolir le culte ne vint pas d’en haut, mais d’en bas, des sections, des sans-culottes eux-mêmes. L’une après l’autre, les sections de Paris fermèrent les églises ou les désaffectèrent. Le Conseil général de la Commune n’eut plus qu’à entériner cette unanimité. Le 23 novembre, après le réquisitoire de Chaumette, il arrêta que toutes les églises ou temples de toutes religions et de tous cultes qui ont existé à Paris seraient sur le champ fermées, et que quiconque demanderait l’ouverture soit d’un temple soit d’une église serait arrêté comme suspect. (...) En de nombreuses régions, la rupture entre les paysans et leurs prêtres fut tout à fait sérieuse et profonde. (...) Il y eut certes des régions où la déchristianisation suscita d’assez fortes résistances, régions arriérées, depuis toujours réfractaires à la révolution, et qui virent dans la suppression du culte catholique une occasion nouvelle de témoigner leur hostilité au régime. La Bretagne se plaça en tête des récalcitrants. (...) Ce qui frappe, par contre, c’est l’aisance avec laquelle les masses, aussi bien urbaines que rurales, acceptèrent la suppression du culte catholique. (...) Toutefois, la religion fut-elle vraiment extirpée de la conscience paysanne ? L’affirmer serait sous-estimer les mobiles d’ordre économique et social qui poussent l’homme misérable à chercher un refuge, une consolation, dans l’idée de dieu. La révolution n’améliora pas la condition humaine au point de permettre à l’homme de se passer de dieu.

(...) Il n’était possible de mener jusqu’au bout l’œuvre de déchristianisation entreprise, d’extirper définitivement le christianisme du cœur de l’homme que si l’on parvenait à modifier les causes profondes qui font éprouver à l’homme le besoin de dieu. Si on n’allait pas jusque là l’ouvre accomplie ne pouvait être que superficielle et elle risquait d’être éphémère (...) Le bonheur sur terre dont un Saint-Just ne fit que rêver eût pu seul détourner les hommes de la recherche du bonheur céleste. Mais la révolution bourgeoise était incapable de rendre le peuple heureux sur terre. Elle remplaça les vieilles formes d’assujettissement par de nouvelles. Si, temporairement et pour obtenir leur concours dans la lutte contre l’ennemi intérieur et extérieur, elle fit quelques concessions aux bras-nus, celles-ci n’améliorèrent que très faiblement, et pendant une très brève période, leurs conditions d’existence. »

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