lundi 3 octobre 2016, par
Edito
« Radicalisation » et « déradicalisation » sont les termes employés désormais par Hollande-Valls en France comme par les autres gouvernements dans le monde, par les hommes politiques et les média, non seulement pour caractériser la série d’attentats terroristes et leurs auteurs mais aussi l’ensemble de la situation sociale, des manifestations, des grèves, des actions syndicales considérées comme radicales ou encore des associations, des organisations qui s’opposent à la politique du gouvernement. Par exemple, les salariés qui ont un peu secoué un DRH d’Air France sont accusés de « radicalisation » ! Comme si c’était comparable aux actes terroristes !!! Comme si, en plus, enlever sa chemise à un responsable de licenciements, sans le blesser, c’était plus grave que… d’enlever aux salariés leurs emplois !!! Car pour ce dernier crime – et on peut effectivement parler de crime car cela se termine par des ruptures familiales, par des expulsions mais aussi par des suicides – on ne peut pas compter sur la justice pour condamner les coupables…
Ceux qui sont désignés du doigt par cette expression de radicalisation, c’est non seulement toute une communauté d’origine musulmane, d’origine du Maghreb, d’Afrique ou d’Orient, mais aussi la jeunesse des banlieues, les chômeurs, les jeunes qui contestent la loi El Khomri ou les associations qui contestaient dans la rue les gouvernants réunis pour la conférence COP21 ! Tous mis dans le même sac avec de véritables tueurs par les gouvernants, par les média quand ce n’est pas par l’opinion publique dont une partie commence de croire que ce sont tous les musulmans qui « se radicalisent ». Et aussi dans le même sac les travailleurs, les syndicalistes, tous ceux qui contestent les lois anti-sociales !!!
Mais, dans la réalité, qu’est-ce qui se radicalise sinon le système de domination et d’exploitation capitaliste, ses patrons, ses sbires policiers et militaires, espions et contre-espions, son appareil d’Etat, ses gouvernants, et ceux que tout ceux-là défendent, c’est-à-dire les grands patrons, les grands banquiers, les grands capitalistes, les possesseurs des trusts, des institutions financières, des assurances, les possesseurs des capitaux et des entreprises, en somme la bourgeoisie capitaliste.
Juppé, par exemple, annonce avant d’être élu : « la suppression des 35 heures, le prolongement du temps de travail pour les fonctionnaires, l’assouplissement du licenciement économique pour les salariés en CDI, le report de l’âge de départ à la retraite à 65 ans et le redressement manu militari des comptes publics endettés… » et affirme d’avance qu’il ne tiendra, pour mettre cela en place, aucun compte de syndicats comme la CGT, ni, bien sûr, des protestations des travailleurs.
Pas radicalisé le patron de Smart qui a imposé, par chantage, le travail en 39 heures payées 37 ?!
Pas radicalisé l’Etat qui refuse d’augmenter les pensions de retraite, en affirmant que les prix n’augmentent pas, alors que de nombreux retraités tombent dans la misère ?!
Pas radicale la RATP qui menace de lourdes amendes et de peines de prison ferme des personnes qui auraient fraudé dans les transports ou d’autres qui les auraient aidé !
Qui est radicalisé à Air France sinon le patron ? Il se plaint pour une chemise et une bousculade sans grande violence mais lui casse les emplois, jette à la rue des salariés, détruit leur vie et leur famille ! Radicalisés les syndicats ? Ils n’appellent même pas les salariés à la grève pour défendre les salariés licenciés et passés en justice comme des bandits et des terroristes ! Radicalisés, les travailleurs, qui ont juste eu un petit coup de colère et n’appellent pas l’ensemble des travailleurs à manifester leur colère contre les attaques qu’ils subissent ?
Le patron d’Air France, lui, impose des reculs sociaux d’ampleur aux salariés, des sacrifices supplémentaires pour les agents du transport aérien mais aussi des risques supplémentaires pour les passagers. Il effectue un véritable chantage ouvert à l’emploi pour diminuer les salaires et augmenter les charges de travail ! Et il a bien entendu le soutien du gouvernement « de gauche ». Les gauches, ce sont les travailleurs qui les ramassent dans la figure et on les accuse de radicalisation, de violences, de débordements !!! Qui est radicalisé sinon le patronat qui supprime massivement des emplois ? Qui est radical sinon le patron d’Alstom qui annonce d’un seul coup, sans avoir prévenu personne, qu’un site va fermer et que les salariés perdent leur emploi ? Qui est radical sinon ce responsable d’un chantage à grande échelle sur les emplois ? Alors que ce patron vit sur les fonds publics et qu’il en exige encore sans garantir davantage la pérennité du site et les emplois ! Qui est radical sinon Pépy, le patron de la SNCF, qui se permet de casser les emplois de cheminots au risque de nouveaux accidents comme à Brétigny, ou comme dans le New Jersey ? Et Pépy organise la casse du service public, rentabilise à tous va sur le dos des cheminots et des usagers ! Qui est radical sinon le patron de la Société Générale qui affirmait que son trou de milliards était dû à un simple agent alors que la justice vient de déclarer que cet agent n’était pas responsable de plus d’un million ? Qui est radical sinon le patron de La Poste qui casse le service public postal pour favoriser la formation d’une banque sur le dos des agents et des usagers ? Et pour l’imposer, le patron se permet de révoquer un agent de la fonction publique, d’envoyer les forces de l’ordre armées contre une réunion syndicale comme s’il s’agissait de bandits ou de terroristes ! Qui est radical sinon le patron de Renault qui ne se contente pas d’avoir avalé Nissan, Dacia, Avtovaz et Mitsubishi et exige, avec chantage à l’emploi, que les salaires des travailleurs de Renault soient bloqués : augmentation générale des salaires égale zéro euro pour des années avec une charge de travail en augmentation permanente et des départs « volontaires » qui excédent largement les embauches ? Qui est radical sinon Ghosn qui fait licencier un salarié travaillant au Technocentre Renault de Guyancourt sous prétexte qu’il a envoyé un mail personnel à des syndicalistes, leur conseillant le film « Merci patron ! »… Qui est radical sinon les patrons des banques, qui sont sans cesse soutenues par l’argent public et qui s’attaquent massivement aux emplois ?
Qui est radical sinon un Etat qui, à tout propos et à tout bout de champ, se dit en guerre, sous prétexte de lutte contre le chômage, de concurrence économique, de lutte contre le terrorisme, de lutte contre des dictatures ou de lutte contre la Russie ou la Chine ? Qui est radical sinon un Etat qui envoie partout ses forces armées aux quatre coins du monde pour y bombarder les populations civiles ? Pas radicale la guerre que les puissances occidentales préparent en Syrie ? Les puissances occidentales se disent certes indignées de la radicalité des bombardements russes ou syriens sur Alep, indignation platonique, mais cela ne les empêche pas de préparer un bombardement qui sera bien plus horrible et couteux en vies humaines de civils car c’est toute la ville de Mossoul qu’il s’agit de reconquérir au sein d’une énorme population civile alors qu’Alep n’est que très partiellement occupée.
Et qui est radical sinon l’Etat qui a de moins en moins d’argent à consacrer à la santé, à l’éducation, aux transports, à la sécu, à tous les services publics et aux aides sociales ou aux retraites mais a des centaines de milliards à distribuer aux capitalistes sous tous les prétextes possibles comme les emplois pour le CICE qui n’en crée aucun !
Qui est radical ? Il suffit pour y répondre de lire, non les programmes syndicaux qui sont très modérés, mais le programme du MEDEF, le syndicat patronal. Il ne se contente pas de réclamer que soit appliquée la première version de la loi El Khomri. Il réclame carrément qu’on déchire direct le code du travail, qu’on supprime les 35 heures, qu’on autorise sans limite les heures sup et sans compensation financière, qu’on laisse les patrons fixer librement la charge de travail, licencier librement, ne payer aucune amende pour licenciement abusif, qu’on supprime les tribunaux prud’homaux, qu’on ne pénalise pas les patrons responsables d’accidents du travail, qu’on supprime les impôts des patrons, et qu’on casse les droits syndicaux et on en passe d’autres joyeusetés car le patronat ne peut quand même pas se contenter des cadeaux royaux d’Hollande-Valls-Sapin !!!
La radicalisation, on la trouve enfin dans les déclarations et dans les actes du gouvernement ! Aucun gouvernement n’a distribué autant de cadeaux fiscaux aux patrons ! Aucun gouvernement ne s’est permis carrément d’interdire les manifestations syndicales et celles des associations environnementales, en matraquant, gazant, et arrêtant les manifestants de manière aussi violente depuis de longues années, laissant un manifestant sur le carreau et d’autres gravement blessé, perdant même un œil et avec des vidéos montrant des policiers violentant des manifestants pacifiques au sol ! Si c’est pas du radicalisme, ça ! Et ce n’est pas contre des terroristes ni contre des radicaux partisans de Daesh que cela se produit !!!
Oui, l’Etat d’urgence, qui n’annule pas, pour protéger les populations, le feu d’artifice de Nice ni les manifestations religieuses catholiques, ni les marchés de Noël, prétend interdire les manifestations syndicales, associatives, écologistes (par exemple lors de la COP21) et la NuitDebout contre la loi El Khomri, ce n’est pas parce que l’Etat lutte contre le terrorisme mais parce qu’il est surtout mobilisé radicalement contre les travailleurs, les jeunes, les mouvements de contestation écologiques et tous ceux qui, sur le terrain social ou politique, combattent sa politique en faveur des trusts et des capitalistes.
La radicalisation, on ne la constate pas dans des manifestations nombreuses contre l’Etat d’urgence, contre la multiplication des guerres aux quatre coins du monde, contre la violence à l’égard des migrants, contre le racisme d’Etat à l’égard des Roms ou des sans papiers, contre le peuple ukrainien violemment frappé et qui subit un gouvernement fasciste soutenu par l’Europe, etc. Au contraire, on constate la modération des organisations réformistes qui critiquent tout cela le plus modérément qui soit, quand ils le font…
La prétendue mobilisation anti-terroriste, que l’on n’a constaté ni à Charlie, ni au Bataclan, ni à Nice, sert de prétexte à l’Etat d’urgence c’est-à-dire à la remise en cause radicale des libertés démocratiques qui sont visiblement dans la cible du pouvoir ! On constate cette radicalisation de l’Etat dans les violences policières comme dans les bombardements violents de l’armée dans de nombreux pays et les multiples interventions extérieures de l’armée. La radicalisation, on la constate dans le monde entier de la part des forces de l’ordre : celles qui aux USA assassinent toutes les semaines des noirs, celles qui, en Europe, matraquent les migrants, coupables seulement de vouloir sauver leurs vies et celles de leurs familles, frappées par les bombardements, dont ceux des pays européens, celles qui, en Espagne, interdisent carrément toutes les manifestations sociales et politiques antigouvernementales, celles qui, en Grèce, cassent les mobilisations sociales alors qu’elles laissent les fascistes assassiner aux coins des rues….
Pas radicaux, les Etats capitalistes quand ils affirment, comme les généraux américains, se préparer à une guerre nucléaire contre la Russie ou comme les gouvernants japonais qui sont prêts à des frappes contre la Corée du Nord et la Chine ? Pas radicaux ces gouvernants de la bourgeoisie mondiale qui préparent des fascismes et des génocides et même la guerre mondiale ?!!!
Eh oui, ce sont les classes dirigeantes, et pas leurs victimes, qui se radicalisent les premiers ou qui sont à l’origine de la radicalisation de l’ensemble de la situation mondiale, de sa situation économique et sociale d’abord, de sa situation guerrière et sécuritaire ensuite.
Car ce qui est « radical », c’est d’abord l’effondrement économique du capitalisme débuté en 2007 et jamais contredit depuis… C’est radical parce que c’est violent, profond, massif, général même, mondial et que la somme des pertes de la crise s’ajoutant aux aides étatiques et des banques centrales dépasse tout ce qui s’est vu dans l’histoire du capitalisme. C’est radical parce que ce sont les fondements mêmes du capitalisme qui sont mortellement atteints, c’est-à-dire le mécanisme d’accumulation de la plus-value par réinvestissement des profits privés dans la sphère de la production, celle qui permet d’augmenter la richesse totale de la société et de donner sa stabilité dynamique au capitalisme.
Si la vieille société bourgeoise se radicalise violemment, menant à des guerres et des fascismes, des violences de toutes sortes, terroristes comme prétendument contre-terroristes, c’est bien parce qu’elle a perdu son fondement stable. Il ne servirait à rien que les exploités et les opprimés soient les seuls à rester bien calmes et prônent la réforme du capitalisme et des politiques plus douces, car cela ne sera bien entendu pas possible. Une seule solution pour faire face à l’effondrement violent de la vieille société d’exploitation : le renversement des classes dirigeantes par la révolution sociale !