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Pourquoi Hegel affirmait que ce qui tout ce qui existe peut cesser d’être réel et Goethe que « Tout ce qui existe mérite de périr » ?
mercredi 12 octobre 2016, par
« Si la mort sort de la vie, la vie en revanche sort de la mort. »
Friedrich Hegel
Pourquoi Hegel affirmait que ce qui tout ce qui existe peut cesser d’être réel et Goethe que « Tout ce qui existe mérite de périr » ?
G.W.F Hegel, dans sa préface à la « Phénoménologie de l’esprit » :
« Ce qui se meut, c’est la contradiction. (...) C’est uniquement parce que le concret se suicide qu’il est ce qui se meut. »
Ce suicider serait la base même de ce qui se meut, on pourrait se dire : voilà une drôle de philosophie pessimiste, mortifère, négative et tournée vers tout ce qui peut arriver de mauvais ou encore une philosophie médiévale brandissant sans cesse la menace de la mort pour faire reculer les vivants en leur faisant peur. Eh bien, pas du tout ! Certes, pour Hegel, la mort, quand elle est synonyme de la négation mais pas de la fin ni du mal, est aussi vie et affirmation car l’affirmation n’est rien d’autre que la négation de la négation et la vie n’est rien d’autre que la mort de la mort.
Hegel dans sa "Science de la logique" :
« Si les premières déterminations réflexives : l’identité, la différence et l’opposition, sont établies comme principes, alors on devrait à plus forte raison concevoir et établir comme principe... la contradiction, dont le principe doit être énoncé ainsi : toutes les choses sont contradictoires en soi. (...) C’est pourtant un des principaux préjugés de la logique traditionnelle et de la représentation ordinaire que la contradiction ne serait pas une détermination aussi essentielle et immanente que l’identité. Mais s’il était question de hiérarchie et s’il était possible de considérer ces deux déterminations comme isolées l’une de l’autre, c’est plutôt la contradiction qu’il faudrait tenir pour la détermination la plus profonde et la plus essentielle. Vis-à-vis d’elle l’identité n’est que la détermination du simple immédiat, de l’être mort, tandis que la contradiction est la racine de tout mouvement et de toute vitalité ; c’est seulement dans la mesure où elle renferme une contradiction qu’une chose est capable de mouvement, d’élan, d’activité. La contradiction est ordinairement ce qu’on écarte en premier lieu des choses, de l’être et du vrai en général ; on dit notamment qu’"il n’y arien de contradictoire". D’autre part, on relègue la contradiction dans la réflexion subjective, en disant que c’est elle qui la pose dans ses rapports et comparaisons.... Qu’il s’agisse de la réalité ou de la réflexion pensante, la contradiction est considérée comme un simple accident, pour ne pas dire comme une anomalie ou un paroxysme morbide et passager. (...) Mais c’est un fait d’expérience courante qu’il y a une foule de choses contradictoires, d’institutions contradictoires, etc, dont la contradiction n’existe pas seulement dans la réflexion extérieure, mais réside dans les choses mêmes. Elle ne doit pas non plus être considérée comme une simple anomalie qui apparaît ça ou là, mais elle est le négatif dans sa détermination essentielle, le principe de tout mouvement spontané, lequel n’est pas autre chose que la manifestation de la contradiction. Le mouvement sensible extérieur lui-même est son existence immédiate. Une chose se meut non seulement en tant qu’elle se trouve à un moment donné ici et au moment suivant ailleurs, mais aussi en tant qu’elle est et en même temps n’est pas dans la même place. »
« Le fonds de la chose n’est pas épuisé dans la fin, mais dans tout son accomplissement. Le "résultat" atteint n’est pas le tout concret ; il ne l’est qu’avec le processus dont il est le terme. La fin prise indépendamment du reste est l’universel mort, tout comme la tendance n’est qu’un simple effort, encore privé de réalisation ; et le résultat nu est le cadavre que la tendance a laissé derrière elle. (...) Saisir la chose, c’est l’exposer dans son développement. (...) Le phénomène est un processus d’avènement et de disparition, qui lui-même n’advient ni ne disparaît, mais est en soi et constitue l’actualité et le mouvement de la vérité vivante. »
La mort n’est pas une fin totale car elle mène à une autre vie. La fin d’une société, par exemple, est le début d’une autre société. Et c’est à cela que pensait certainement Hegel, lui qui avait vécu à une époque de révolutions bourgeoises en Europe, époque qui lui semblait être celle de la liberté et de la raison, celle où le sens de l’Histoire apparaît de manière grandiose. Et il était loin de regretter les violences révolutionnaires de son époque. Il lui apparaissait clairement que l’ancien monde devait mourir et il appelait de ses vœux à son renversement et à l’avènement de la nouvelle ère.
Hegel dans son « Cours d’histoire de la philosophie » :
« Il faut rendre justice à l’aspect négatif… On doit reconnaître la contradiction présente dans l’existence. Les vieilles institutions qui n’avaient plus de place dans le sentiment développé de la liberté consciente de soi et de l’humanité, qui avaient leur base et leur appui dans l’apathie… de la conscience, qui ne correspondaient plus à l’Esprit qui les avait établies, et qui pourtant malgré la nouvelle culture scientifique continuaient à passer pour sacrées et justes devant la raison, les philosophes français l’ont abattu… Cet aspect se comporta destructivement contre ce qui était détruit en soi… La révolution française a été rendue inévitable par le rigide entêtement des préjugés, de l’orgueil, la totale absence de pensée, l’avidité. Les philosophes n’ont eu que des pensées générales, une idée abstraite de ce qui devait être… »
Bien sûr, « mériter » de mourir a un petit air moral mais mériter ne signifie pas ici un jugement de valeur mais la remarque du philosophe selon laquelle, parmi les propriétés du vivant, l’une des plus importantes est la capacité à mourir. C’est la mort qui sélectionne les espèces, qui les modifie, qui les construit même, qui pilote le sens de leur histoire. C’est la mort qui sélectionne les cellules vivantes, qui les construit, qui pilote le sens de leur histoire. C’est la mort qui sélectionne les molécules du vivant, qui les construit, qui pilote le sens de leur histoire. Même si Hegel ne savait pas tout ce que nous savons aujourd’hui sur les mécanismes de l’apoptose ou suicide cellulaire, ce processus qui est attaché à la cellule vivante dès sa naissance, il pressentait philosophiquement l’importance de la négation dans l’affirmation, de l’inhibition dans l’action, de la contradiction, de la mort dans la vie. Il savait que la mort des feuilles est indispensable à la vie de l’arbre, que la mort d’un arbre est utile aux arbres voisins, que la vie de la forêt est faite de milliers de la mort et de la désintégration de feuilles, de branches, d’arbres, de même que des milliers d’autre vies animales s’en nourrissent. Il savait aussi que les sociétés qui perdurent alors qu’elles devraient céder la place, les morts-vivants empêchent les vivants de progresser et il connaissait justement, en Allemagne, une société qui lui semblait incarner ces morts-vivants.
Mériter n’a pas ici le sens d’une punition mais d’un attribut indispensable, inhérent à l’existence. La construction est inséparable d’un mécanisme d’autodestruction, la mort est indispensable à la vie et c’est ainsi qu’il la « mérite ».
Pour lui « mériter de mourir » signifiait mériter de sauter vers un monde nouveau, mériter de se révolutionner. Mériter de mourir n’avait, pour lui, aucun sens de condamnation morale de la vie, aucun sens de châtiment de celle-ci et de ses vices.
« La seule chose nécessaire pour obtenir la progression scientifique, et vers la compréhension de laquelle il faut essentiellement s’efforcer, - c’est la connaissance de cette proposition logique : le négatif est également positif, ce qui est contredit ne se résout pas en zéro, en néant abstrait, mais essentiellement en la négation de son contenu particulier (…) Elle est un concept nouveau, mais plus élevé, plus riche que le précédent, car elle s’est enrichie de sa négation, autrement dit de son opposé ; elle le contient donc, mais aussi plus que lui, elle est l’unité d’elle-même et de son opposé. »
Hegel, dans Science de la Logique
Hegel ne raisonnait pas ainsi sur un existant spécifique mais sur tous les existants : « tout ce qui existe » mérite de mourir. C’est une propriété générale qu’il entendait ainsi mettre en valeur. Toute société, toute forme de vie, tout ce qui est dynamique, tout y compris la matière, contient d’avance les propriétés de sa destruction, de sa disparition, de sa transformation radicale. C’est toute une philosophie qui est contenue dans cette simple phrase. Et cette philosophie n’est pas à la recherche d’une consolation devant la mort, d’une pensée qui nous permettrait de mieux supporter la mort, en faisant croire qu’elle n’est pas une fin. Non, elle vise à mieux comprendre le sens de la vie.
Engels dans « Ludwig Feuerbach » :
« Or, la réalité n’est aucunement, d’après Hegel, un attribut qui revient de droit en toutes circonstances et en tout temps à un état de choses social ou politique donné. Tout au contraire. La République romaine était réelle, mais l’Empire romain qui la supplanta ne l’était pas moins. La monarchie française de 1789 était devenue si irréelle, c’est-à-dire si dénuée de toute nécessité, si irrationnelle, qu’elle dut être nécessairement abolie par la grande Révolution dont Hegel parle toujours avec le plus grand enthousiasme. Ici la monarchie était par conséquent l’irréel et la Révolution le réel. Et ainsi, au cours du développement, tout ce qui précédemment était réel devient irréel, perd sa nécessité, son droit à l’existence, son caractère rationnel ; à la réalité mourante se substitue une réalité nouvelle et viable, d’une manière pacifique, si l’ancien état de choses est assez raisonnable pour mourir sans résistance, violente s’il se regimbe contre cette nécessité. Et ainsi la thèse de Hegel se tourne, par le jeu de la dialectique hégélienne elle-même, en son contraire : tout ce qui est réel dans le domaine de l’histoire humaine devient, avec le temps, irrationnel, est donc déjà par destination irrationnel, entaché d’avance d’irrationalité : et tout ce qui est rationnel dans la tête des hommes est destiné à devenir réel, aussi en contradiction que cela puisse être avec la réalité apparemment existante. La thèse de la rationalité de tout le réel se résout, selon toutes les règles de la dialectique hégélienne, en cette autre : Tout ce qui existe mérite de périr. »
Lénine dans ses "Cahiers philosophiques" :
« Dans la vie en mouvement, toute chose est aussi bien "en soi" que pour l’extérieur. Et toute chose passe d’un état à un autre. La dialectique est la théorie de la façon dont les contraires peuvent être et sont habituellement (la manière dont ils le deviennent) identiques - les conditions qui les rendent identiques en se changeant l’un dans l’autre - des raisons pour lesquelles l’esprit humain ne doit pas prendre ces contraires pour morts, figés, mais pour vivants, conditionnés, mobiles, se changeant l’un dans l’autre. Pénétrant et intelligent, Hegel analyse des concepts qui d’habitude semblent morts et montre qu’il y a du mouvement en eux. Le mouvement, et l’automouvement, c’est-à-dire le mouvement autonome (indépendant), spontané (intérieurement nécessaire), ce fond qui fait l’hégélianisme, il fallait le découvrir, le comprendre, le transmettre, le décortiquer, l’épurer et c’est ce que Marx et Engels ont fait. Hegel écrit que "La loi ne va pas au-delà du phénomène, mais au contraire elle lui est immédiatement présente ; le royaume des lois est l’image "calme" du monde existant ou apparent." »
Plékhanov dans « Essai sur le développement de la conception moniste de l’histoire » :
« L’homme est mortel, disons-nous, en considérant la mort comme quelque chose de complètement étranger à la nature de l’homme vivant, et qui tire sa source de circonstances extérieures. L’homme possède donc deux propriétés : d’abord celle de vivre, et ensuite, celle d’être sujet à la mort. Mais, si l’on y regarde de plus près, il s’avère que la vie elle-même porte en soi le germe de la mort, et que tout phénomène, en général, est contradictoire en ce sens qu’il développe à partir de soi-même les éléments qui, tôt ou tard, mettront un terme à son existence, le transformant en son contraire. Tout s’écoule, tout change ; il n’est point de force capable de retarder ce flux constant, d’arrêter ce mouvement perpétuel ; il n’est point de force capable de s’opposer à la dialectique des phénomènes. »
Olivier Bloch dans « Philosophies de la nature » :
« Il convient de rappeler que Hegel a pensé, et maintes fois répété, que la nature n’échappe pas à la dialectique pas plus que quoique ce soit d’autre. Tout est dialectique, et donc la nature aussi, de quelque manière que l’on délimite son domaine propre. Et ceci aux deux acceptions du mot dialectique. D’abord selon sa définition en quelque sorte étroitement technique : le moment de suppression ou de disparition des objets, des choses délimitées dans leur singularité. Toutes les caractéristiques de la réalité finie, toutes les déterminations cessent d’être, à un certain moment, et se renversent en leur contraire. Tout ce qui existe mérite de mourir, disait Goethe… Hegel emploie aussi le mot dialectique en un sens plus englobant, où il s’identifie parfois au spéculatif. Il s’agit alors du moment positif de la dialectique, la production d’autre chose par la négation de ce qui était, le mouvement qui lie les deux moments positif et négatif : le processus… »
Engels dans « Ludwig Feuerbach :
« Depuis les temps très reculés où les hommes, encore dans l’ignorance complète de leur propre conformation physique et incités par des apparitions en rêve [15], en arrivèrent à l’idée que leurs pensées et leurs sensations n’étaient pas une activité de leur propre corps, mais d’une âme particulière, habitant dans ce corps et le quittant au moment de la mort - depuis ce moment, il leur fallut se forger des idées sur les rapports de cette âme avec le monde extérieur. Si, au moment de la mort, elle se séparait du corps et continuait à vivre, il n’y avait aucune raison de lui attribuer encore une mort particulière ; et c’est ainsi que naquit l’idée de son immortalité qui, à cette étape du développement, n’apparaît pas du tout comme une consolation, mais au contraire, comme une fatalité contre laquelle on ne peut rien, et souvent même, chez les Grecs en particulier, comme un véritable malheur. Ce n’est pas le besoin de consolation religieuse, mais l’embarras où l’on se trouvait et qui provenait de l’ignorance générale : que faire, après la mort du corps, de cette âme dont on avait admis l’existence ? - qui mena à la fiction ennuyeuse de l’immortalité personnelle. C’est d’une façon tout à fait analogue, par la personnification des puissances naturelles, que naquirent les premiers dieux qui, au cours du développement ultérieur de la religion, prirent une forme de plus en plus extra-terrestre jusqu’à ce que, enfin, par un processus d’abstraction, je dirais presque, de distillation qui s’institue naturellement au cours du développement intellectuel, les nombreux dieux au pouvoir plus ou moins restreint et se restreignant mutuellement, donnèrent naissance, dans l’esprit des hommes, à l’idée du seul Dieu exclusif des religions monothéistes. »
La mort n’est plus une catastrophe, une fin sans suite, un mal irrémédiable, qui contredit tout le reste de l’existence.
Tout mécanisme dynamique possède en interne son mécanisme de destruction, affirme donc Hegel. Sans ce mécanisme, il cesserait même d’être dynamique. L’ordre est issu du désordre ; il a certes maitrisé le désordre mais il ne l’a pas fait disparaître. La construction sociale est le produit de la destruction sociale, qu’il dirige, qu’il pilote mais qui finit cependant par l’emporter en donnant un sens nouveau à l’Histoire. Telle est l’un des mécanismes fondamentaux de « la Raison dans l’Histoire » pour Hegel : c’est la destruction constructrice, la négation de la négation qui construit l’affirmation révolutionnaire.
Ce qui est vrai du social et du vivant est vrai aussi de la matière dite inerte : la matière s’autodétruit en vide mais le vide forme la matière.
Hegel a étudié la disparition des grands empires et détecté que la source de leur chute n’était pas les attaques extérieures des autres civilisations mais une source interne d’autodestruction. Une société disparaît parce qu’elle a atteint ses propres limites. Si des adversaires externes l’ont finalement battue, alors qu’auparavant elle leur paraissait bien plus puissante, c’est parce qu’elle a chuté du fait de sa propre dynamique et par son propre procesus d’autodestruction.
La mort est sans cesse présente au sein de la vie. C’est elle qui supprime les cellules vivantes égarées comme une cellule musculaire apparue par erreur au sein d’un tissu nerveux ou sanguin. C’est elle qui sculpte le corps humain en supprimant les cellules autour des doigts des fœtus. C’est elle qui supprime massivement les cellules comme lors des règles de la femme. La suppression ou l’inhibition du mécanisme de mort autoprogrammée, loin d’être un progrès, est synonyme de cancer cellulaire.
La vie des organismes et des êtres vivants est un changement permanent qui, loin de s’opposer à la mort, signifie de multiples morts et qui les nécessite.
« L’économie de l’univers du vivant ne fait pas exception à l’économie de l’univers de la matière. (...) Tout accroissement du degré d’organisation et de complexité ne peut se faire que dans un contexte de diminution du degré d’organisation et de complexité. (...) Vieillissement et la mort prématurée des cellules mères donnant naissance à des cellules jeunes et fécondes, autodestruction d’une partie des cellules au profit de la collectivité (...) de la reconstruction permanente de soi comme modalité de pérennité.(...) le pouvoir de se reconstruire est lié au pouvoir de s’autodétruire. »
Le spécialiste de l’apoptose (suicide cellulaire) Jean-Claude Ameisen dans « La sculpture du vivant » ou « La mort créatrice »
« L’autre condition nécessaire à la possibilité même d’une évolution, c’est la mort. Non pas la mort venue du dehors comme conséquence de quelque accident. Mais la mort imposée du dedans, comme une nécessité prescrite, dès l’œuf, par le programme génétique même. » rapporte le biologiste François Jacob dans « La logique du vivant ». La mort est inséparable et indispensable à la vie. Le biologiste Henri Atlan le souligne dans « Entre le cristal et la fumée » : « L’organisation des systèmes vivants n’est pas une organisation statique (...) mais un processus de désorganisation permanente suivi de réorganisation. (...) La mort du système fait partie de la vie, on seulement sous la forme d’une potentialité dialectique, mais comme une partie intrinsèque de son fonctionnement et de son évolution ; sans perturbation (...), sans désorganisation, pas de réorganisation adaptatrice au nouveau, sans processus de mort contrôlée, pas de processus de vie. »
Quant à l’évolution du vivant, elle est inséparable des suppressions massives d’espèces. 99,99% des espèces, des molécules et des structures produites par le vivant ont disparu au cours de l’histoire de la vie qui est une véritable histoire des destructions de structures.
« On ne peut échapper à l’idée incroyable que c’est en se désintégrant que le cosmos s’organise. » confirme le philosophe Edgar Morin dans « La nature de la nature ». La destruction n’est pas seulement celle des individus, des espèces (extinctions massives ou sélection darwinienne) ou même des cellules (apoptose). C’est également l’élimination permanente des molécules et macromolécules. Il ne s’agit pas d’une destruction d’une petite fraction des molécules mais sans cesse de l’essentiel des molécules produites.
« Tout système vivant est un système ouvert qui échange continuellement matière et énergie avec son environnement. Il est le siège d’entrées et de sorties, d’une construction et d’une destruction permanentes de ses composants. (...) Il ne connaît pas, tant qu’il existe, d’équilibre chimique et thermodynamique. On peut même dire que la vie tire son énergie du déséquilibre créé par le métabolisme. (...) Le déséquilibre est créateur (...) Il est tentant pour Ilya Prigogine de suggérer que l’origine de la vie est rattachée à des instabilités successives. » explique la biologiste Marie Christine Maurel dans « L’énigme de l’émergence ».
C’est parce que la structure naît avec la contradiction en son sein qu’elle est dynamique c’est-à-dire se transforme sans cesse, et c’est aussi pour cela qu’elle est durable. Elle vit parce qu’elle a d’emblée la capacité de mourir.
Au sein du vivant, le mécanisme ne peut pas séparer la vie de la mort comme chaque propriété de son contraire dialectique, la conscience de l’inconscience, la mémorisation de l’effacement de la mémoire, le sommeil de l’éveil, chaque couleur de son contraire, la sensation de faim de celle de satiété, la sensation de douleur de son inhibition, la sensation de peur de celle qui rassure, la sensation de froid de celle de chaud, la structuration d’un réseau neuronal de sa déstructuration, l’attraction de la répulsion comme l’amour de la haine.
L’apoptose ou suicide cellulaire
Rétroaction de la vie et de la mort
La vie ou la destruction constructrice
Les civilisations elles-mêmes naissent et périssent
La matière « inerte » a un mécanisme fondamental dans lequel elle aussi disparaît et apparaît…
La vie, présentée comme diamétralement opposée à la mort, apparaît comme un mystère aussi impénétrable que la mort. Pour une logique non dialectique, la vie et la mort sont indéfinissables et incompréhensibles. Les religions se servent de ce mystère fabriqué par l’esprit humain pour régner sur celui-ci.
Bien sûr, les religions se sont tout particulièrement fixées sur la question de la mort et en ont fait un sujet à part, opposé diamétralement à la vie. Le seul point commun qu’elles ont prétendu trouver est dieu, celui qui a donné et qui a repris… Le reste ne devrait pas être recherché puisque c’est le mystère divin !
Cependant, au cours de l’Histoire, les philosophies qui ont refusé d’opposer la mort et la vie sont nombreuses.
L’afghan Sayd Bahodine Majrouh :
« Dans le sol immobile de la mort, les sages tissent la trame du ciel mobile de la vie. »
La sud-africaine Mongane Wally Serote :
« Ma mort inséparable de moi comme le regard de l’œil. »
L’Arménien Yéghiché Tcharentz :
« Tu quitteras la vie afin que d’autres vivent. »
Le brésilien Murilo Mendes :
« J’ai toujours sur moi une mort portable. »
L’Espagnol Juan Ramon Jiménez :
« La mort pour nous est une mère ancienne, notre première mère, qui nous aime à travers les autres, de siècle en siècle, jamais ne nous oublie. »
L’Anglais John Donne :
« La mort de tout homme m’amoindrit parce que je fais partie de l’humanité, c’est pourquoi ne demande jamais pour qui sonne le glas, il sonne pour toi. »
L’Anglais William Shakespeare :
« Un feu dévore un autre feu. »
« Etre ou ne pas être voilà la question. »