vendredi 5 août 2016, par
Spinoza sur Descartes à De Vries : « Ne l’enviez pas, il est insupportable. »
« On ne trouve à peu près aucune science, les Mathématiques mises à part, où cette Méthode ait été suivie ; on en suit une autre presque diamétralement opposée… On a jugé en effet presque universellement que cette méthode est particulière aux Mathématiques et que toutes les autres disciplines y sont opposées et la rejettent. » Spinoza dans « Sur les principes de la philosophie de Descartes »
Voltaire écrit dans sa "Lettre sur Descartes et Newton" : "Chez nos cartésiens tout se fait par une impulsion qu’on ne comprend guère ; chez M. Newton c’est par une attraction dont on ne connaît pas mieux la cause. A Paris vous vous figurez la terre faite comme un melon ; à Londres elle est aplatie, des deux côtés. La lumière, pour un cartésien, existe dans l’air ; pour un newtonien, elle vient du soleil en six minutes et demie. Votre chimie fait toutes ses opérations avec des acides, des alkalis, et de la matière subtile ; l’attraction domine jusque dans la chimie anglaise.... Ce fameux Newton, ce destructeur du système cartésien mourut au mois de mars de l’an 1727.... L’essence même des choses a totalement changé. Vous ne vous accordez ni sur la définition de l’âme, ni sur celle de la matière. Descartes assure que l’âme est la même chose que la pensée, et Locke lui prouve assez bien le contraire. Descartes assure encore que l’étendue seule fait la matière ; Newton y ajoute la solidité... La géométrie était un guide que Descartes lui-même avait en quelque façon formé, et qui l’aurait conduit sûrement dans sa physique ; cependant il abandonna à la fin ce guide, et se livra à l’esprit de système. Alors sa philosophie ne fut plus qu’un roman ingénieux, et tout au plus vraisemblable pour les philosophes ignorants du même temps. Il se trompa sur la nature de l’âme, sur les lois du mouvement, sur la nature de la lumière. Il admit des idées innées, il inventa de nouveaux éléments, il créa un monde, il fit l’homme à sa mode ; et on dit avec raison que l’homme de Descartes n’est en effet que celui de Descartes, fort éloigné de l’homme véritable. Il poussa ses erreurs métaphysiques jusqu’à prétendre que deux et deux ne font quatre que parce que Dieu l’a voulu ainsi ; mais ce n’est point trop dire qu’il était estimable même dans ses égarements. Il se trompa, mais ce fut au moins avec méthode et de conséquence en conséquence. S’il inventa de nouvelles chimères en physique, du moins il en détruisit d’anciennes : il apprit aux hommes de son temps à raisonner et à se servir contre lui-même de ses armes. S’il n’a pas payé en bonne monnaie, c’est beaucoup d’avoir décrié la fausse. "
Selon Descartes, nous possédons, dès la naissance, des "idées innées", sortes d’intuitions fondées sur l’évidence, et qui nous font admettre sans démonstration aussi bien le "cogito" ("Dubito ergo sum ; Cogito ergo sum" : "je doute donc je suis ; je pense donc je suis") que des évidences mathématiques (par deux points ne peut passer qu’une seule droite). Dans "Micromegas", Voltaire ridiculise cette théorie en représentant l’âme "dans le ventre de sa mère", puis "obligée d’aller à l’école" pour apprendre de nouveau ce que, selon Descartes, elle savait déjà à la naissance. L’effet comique naît du mélange de l’abstrait et du concret (l’âme qui va à l’école) ; la critique philosophique souligne la contradiction entre la théorie métaphysique des idées innées et l’expérience commune qui veut que le savoir provienne d’un apprentissage. Voltaire, en philosophe des Lumières, rejette les spéculations abstraites et incertaines qui lui semblent superflues pour l’objectif d’utilité sociale qu’il assigne à la philosophie. Dans le même passage, Voltaire s’en prend aussi au "dualisme" cartésien, c’est-à-dire à la nette séparation qu’établit Descartes entre l’esprit et la matière : selon l’auteur de Micromégas, les philosophes cartésiens seraient incapables, en fait, de définir la nature respective de ces deux substances.