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Est-ce que la physique quantique favorise le courant agnosticiste (qui nie la possibilité pour la science d’atteindre ou d’approcher la vérité objective) ?
mercredi 11 novembre 2015, par
Il est à noter que l’interprétation de Copenhague (Bohr, Heisenberg, Born, Pauli...) n’est ni réaliste (comme Einstein), ni idéaliste (comme Wigner), mais simplement agnostique : elle affirme être incapable de rien dire concernant une éventuelle réalité sous-jacente ou la prééminence de l’esprit sur le monde matériel et elle rajoute affirmer qu’on ne pourra jamais rien dire dessus. La matière existe-t-elle vraiment, le temps existe-t-il vraiment, l’espace existe-t-il vraiment ? L’école de Copenhague de la physique quantique affirmait : nous n’en saurons jamais rien et le but de la science n’est pas d’y répondre ! Mais l’école de Copenhague n’est pas toute la physique quantique ni toute la physique ni toute la science ni encore toute la philosophie des sciences !!!
« Sur les dieux, je ne puis rien dire, ni qu’ils soient, ni qu’ils ne soient pas. Trop de choses empêchent de le savoir, d’abord l’obscurité de la question, ensuite la brièveté de la vie humaine. »
Protagoras / 485-410 avant JC
« Toute connaissance dégénère en probabilité. »
David Hume, Traité de la nature humaine (1740)
« Tout ce que nous concevons comme existant, vous pouvons aussi le concevoir comme non existant. Il n’y a donc pas d’être dont la non existence implique la contradiction. En conséquence, il n’y a pas d’être dont l’existence soi démontrable. »
David Hume, Dialogue sur la religion naturelle (1779)
Francis Bacon, tout l’opposé d’un agnostique :
« Rien n’a été refusé à la curiosité de l’homme et à son invention. »
« La science n’est rien d’autre que l’image de la vérité. Car la vérité d’être et la vérité de connaître sont une seule et même chose et ne diffèrent pas plus entre elles que le rayon direct et le rayon réfléchi. »
« On ne triomphe de la nature qu’en lui obéissant. »
« Sans la philosophie, la vie pour moi ne vaudrait pas même la peine d’être vécue. »
Lettre de Darwin
« Ce que peuvent être mes propres opinions est une question qui n’a d’importance pour personne excepté pour moi-même. Mais, puisque vous le demandez, je dirai que mon jugement fluctue souvent. ... Dans mes fluctuations les plus extrêmes, je n’ai jamais été un Athée dans le sens de celui qui nie l’existence d’un Dieu. Je pense que généralement (et de plus en plus à mesure que j’avance en âge), mais non pas toujours, la description la plus correcte de mon état d’esprit serait celle d’un Agnostique. » (1879)
James Brown : “Say it loud ! We’re agnostic and proud ! ”
« Chantons-le bien fort ! Agnostiques et fiers de l’être ! »
« En fait, qu’est-ce que c’est que l’agnosticisme, sinon un matérialisme honteux ? La conception de la nature qu’a l’agnostique est entièrement matérialiste. Le monde naturel tout entier est gouverné par des lois et n’admet pas l’intervention d’une action extérieure ; mais il ajoute par précaution : ’’Nous ne possédons pas le moyen d’affirmer ou d’infirmer l’existence d’un être suprême quelconque au-delà de l’univers connu. ’’ Herbert Spencer, Huxley, les philosophes et les savants du darwinisme, pour ne pas choquer la respectabilité de leurs compatriotes, se nommèrent agnostiques, voulant dire, par ce mot grec, qu’ils étaient privés de toute connaissance sur Dieu, la matière, les causes finales, la chose en soi, etc. Des farceurs le traduisirent en anglais : know-nothing, ne connaît rien ! Auguste Comte avait également débarrassé son positivisme de ces questions gênantes, pour ne pas déplaire à la bourgeoisie française, qui reniait la philosophie du XVIIIe siècle et qui, comme le chien de la Bible, retournait à son vomissement. »
Engels, introduction de Socialisme utopique et socialisme scientifique
« Le point décisif est ici d’avoir reconnu que toute tentative est vouée à l’échec, qui aurait pour but d’analyser à l’aide des méthodes et des concepts de la physique classique « l’individualité » des processus atomiques qui résulte de l’existence du quantum d’action, et cela parce qu’il est impossible de séparer nettement un comportement non perturbé des objets atomiques de leur interaction avec les instruments de mesure indispensables pour cette analyse. »
Niels Bohr dans « Physique atomique et connaissance humaine »
« Je suis, comme beaucoup, agnostique, c’est-à-dire conscient de mon incapacité à dire quoi que ce soit à propos de ce qu’il est convenu de désigner par le mot Dieu. »
Albert Jacquard
« Grattez l’agnostique, vous trouverez l’idéaliste. »
Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine
Est-ce que la physique quantique favorise le courant agnosticiste (qui nie la possibilité pour la science d’atteindre ou d’approcher la vérité objective) ?
La première question à laquelle les agnostiques veulent répondre par leur fameux : « Je ne sais pas » est celle de l’existence de dieu mais ils étendent ensuite cette réponse à l’existence du monde matériel, l’existence des autres consciences que la nôtre, en somme l’existence de l’univers tout entier. Ils affirment qu’on ne peut pas dire si l’électron existe ni si le temps existe ni même si l’espace existe. Ils prétendent ne connaître qu’une seule chose : leur propre existence (sensations, conscience, raisonnements). Ils affirment qu’ils ne sont ni athées ni religieux, ni matérialistes ni idéalistes, ni déterministes ni indéterministes. Ils se raccrochent au « principe d’incertitude » d’Heisenberg pour rester dans l’incetitude en affirmant que la nature ne répond pas à nos questions. Pour eux, le mystère du monde existe et restera éternellement car l’homme ne peut pas accéder à une connaissance objective du monde. Leur terme fétiche est « inconnaissable ».
Les agnostiques les plus connus sont Protagoras, Emmanuel Kant, David Hume, Thomas Henry Huxley, Blaise Cendrars, Charles Darwin, Émile Durkheim, Thomas Edison, Albert Einstein, Charlie Chaplin, Carl Sagan, Marie Curie, Claude Bernard, Émile Littré, Clarence Darrow.John Tyndall, Noam Chomsky, Colin Mac Gin, John Dewey, John Wilkins, David Berlinski, Paul Kurtz, Ron Rosebaum…
De la place de l’homme dans la Nature de T.H. Huxley
Life and letters of T. H. Huxley (in english)
Hume, book of T. H. Huxley (in english)
Sur le recul de la philosophie anglaise, du matérialisme de Bacon, Hobbes et Locke à l’agnosticisme, Engels écrivait dans « Socialisme scientifique et Socialisme utopique » :
« Le véritable ancêtre du matérialisme anglais et de toute science expérimentale moderne, c’est Bacon. La science basée sur l’expérience de la nature constitue à ses yeux la vraie science, et la physique sensible en est la partie la plus noble. Il se réfère souvent à Anaxagore et ses homoioméries, ainsi qu’à Démocrite et ses atomes. D’après sa doctrine, les sens sont infaillibles et la source de toutes les connaissances. La science est la science de l’expérience et consiste dans l’application d’une méthode rationnelle au donné sensible. Induction, analyse, comparaison, observation, expérimentation, telles sont les conditions principales d’une méthode rationnelle. Parmi les propriétés innées de la matière, le mouvement est la première et la plus éminente, non seulement en tant que mouvement mécanique et mathématique, mais plus encore comme instinct, esprit vital, force expansive, tourment de la matière-pour employer l’expression de Jacob Boehme. Les formes primitives de la matière sont des forces essentielles vivantes, individualisantes, inhérentes à elle, et ce sont elles qui produisent les différences spécifiques.
« Chez Bacon, son fondateur, le matérialisme recèle encore, de naïve façon, les germes d’un développement multiple. La matière sourit à l’homme total dans l’éclat de sa poétique sensualité ; par contre, la doctrine aphoristique, elle, fourmille encore d’inconséquences théologiques.
« Dans la suite de son évolution, le matérialisme devient étroit. C’est Hobbes qui systématise le matérialisme de Bacon. Le monde sensible perd son charme original et devient le sensible abstrait du géomètre. Le mouvement physique est sacrifié au mouvement mécanique ou mathématique ; la géométrie est proclamée science principale. Le matérialisme se fait misanthrope. Pour pouvoir battre sur son propre terrain l’esprit misanthrope et désincarné, le matérialisme est forcé de mortifier lui-même sa chair et de se faire ascète. Il se présente comme un être de raison, mais développe aussi bien la logique inexorable de l’entendement.
« Partant de Bacon, Hobbes procède à la démonstration suivante : si leurs sens fournissent aux hommes toutes leurs connaissances, il en résulte que l’intuition, l’idée, la représentation, etc., ne sont que les fantômes du monde corporel plus ou moins dépouillé de sa forme sensible. Tout ce que la science peut faire, c’est donner un nom à ces fantômes. Un seul et même nom peut être appliqué à plusieurs fantômes. Il peut même y avoir des noms de noms. Mais il serait contradictoire d’affirmer d’une part que toutes les idées ont leur origine dans le monde sensible et de soutenir d’autre part qu’un mot est plus qu’un mot et qu’en dehors des entités représentées, toujours singulières, il existe encore des entités universelles. Au contraire, une substance incorporelle est tout aussi contradictoire qu’un corps incorporel. Corps, être, substance, tout cela est une seule et même idée réelle. On ne peut séparer la pensée d’une matière qui pense. Elle est le sujet de tous les changements. Le mot infini n’a pas de sens, à moins de signifier la capacité de notre esprit d’additionner sans fin. C’est parce que la matérialité seule peut faire l’objet de la perception et du savoir que nous ne savons rien de l’existence de Dieu. Seule est certaine ma propre existence. Toute passion humaine est un mouvement mécanique, qui finit ou commence. Les objets des instincts, voilà le bien. L’homme est soumis aux mêmes lois que la nature. Pouvoir et liberté sont identiques.
« Hobbes avait systématisé Bacon, mais sans avoir fondé plus précisément son principe de base, aux termes duquel les connaissances et les idées ont leur origine dans le monde sensible. C’est Locke qui, dans son Essai sur l’entendement humain, a donné un fondement au principe de Bacon et de Hobbes.
« De même que Hobbes anéantissait les préjugés théistes du matérialisme baconien, de même Collins, Dodwell, Coward, Hartley, Priestley, etc., firent tomber la dernière barrière théologique qui entourait le sensualisme de Locke. Pour le matérialiste tout au moins, le déisme n’est qu’un moyen commode et paresseux de se débarrasser de la religion »
Voilà ce qu’écrivait Marx à propos de l’origine britannique du matérialisme moderne. Si les Anglais d’aujourd’hui n’apprécient pas particulièrement l’hommage ainsi rendu à leurs ancêtres, ce n’en est que plus triste ! Il n’en reste pas moins indéniable que Bacon, Hobbes et Locke sont les pères de cette brillante pléiade de matérialistes français qui, en dépit des victoires sur terre et sur mer remportées sur la France par les Anglais et les Allemands, firent du XVIIle siècle le siècle français par excellence, même avant son couronnement par la Révolution française, dont nous essayons encore, tant en Angleterre qu’en Allemagne, d’acclimater les résultats…
Voilà ce qu’écrivait Marx à propos de l’origine britannique du matérialisme moderne. Si les Anglais d’aujourd’hui n’apprécient pas particulièrement l’hommage ainsi rendu à leurs ancêtres, ce n’en est que plus triste ! Il n’en reste pas moins indéniable que Bacon, Hobbes et Locke sont les pères de cette brillante pléiade de matérialistes français qui, en dépit des victoires sur terre et sur mer remportées sur la France par les Anglais et les Allemands, firent du XVIIle siècle le siècle français par excellence, même avant son couronnement par la Révolution française, dont nous essayons encore, tant en Angleterre qu’en Allemagne, d’acclimater les résultats
Il n’y a pas à le nier : l’étranger cultivé qui, vers le milieu du siècle, élisait domicile en Angleterre, était frappé d’une chose, et c’était ce qu’il ne pouvait s’empêcher de tenir alors pour la stupidité et la bigoterie religieuse de la respectable classe moyenne anglaise. Quant à nous, nous étions à cette époque tous matérialistes ou tout au moins des libres penseurs très avancés ; il nous paraissait inconcevable que presque tous les gens cultivés pussent ajouter foi à toutes sortes d’impossibles miracles et que même des géologues, comme Buckland et Mantell, fassent violence aux objets de leur science pour qu’ils ne soient pas trop en contradiction avec les mythes de la Genèse : tandis que pour rencontrer des hommes osant se servir de leurs facultés intellectuelles en matière religieuse, il fallait aller parmi les gens incultes, le peuple des « crasseux », comme on les dénommait, parmi les travailleurs spécialement parmi les socialistes oweniens.
Mais, depuis. l’Angleterre s’est « civilisée ». L’exposition de 1851 sonna le glas de son exclusivisme insulaire : elle s’est graduellement internationalisée pour la nourriture, les moeurs et les idées ; à tel point que je me prends ;i souhaiter que certaines coutumes et habitudes anglaises fassent autant de chemin sur le continent, que d’autres coutumes continentales en ont fait ici. N’importe, l’introduction et les progrès de l’huile à salade, (que seule l’aristocratie connaissait avant 1851, se sont accompagnés d’une fâcheuse propagation du scepticisme continental en matière religieuse et le résultat en est que l agnosticisme, sans être encore tenu pour aussi « comme il faut » que l’Église d’Angleterre, est placé, en ce qui regarde la respectabilité, presque sur le même plan que le baptisme, mais incontestablement au-dessus de l’Armée du salut. Je ne puis m’empêcher de songer que, dans ces circonstances, ce sera une consolation pour beaucoup qui déplorent et maudissent sincèrement les progrès de l’incroyance d’apprendre que ces « lubies de fraîche date » ne sont pas d’origine étrangère et « fabriquées en Allemagne », ainsi que beaucoup d’autres objets d’usage courant, mais qu’elles sont incontestablement tout ce qu’il y a de plus Vieille Angleterre et que les Anglais d’il y a deux cents ans qui les mirent au monde allaient bien plus loin que n’osent le faire leurs descendants d’aujourd’hui.
En fait, qu’est-ce que l’agnosticisme, sinon un matérialisme « qui n’ose pas dire son nom » ? La conception de la nature qu a l’agnostique est de part en part matérialiste. Le monde naturel tout entier est gouverné par des lois et exclut absolument l’intervention d’une action extérieure. Mais, ajoute-t-il, nous n’avons aucun moyen d’affirmer ou de nier l’existence de quelque Être suprême au-delà de l’univers connu. Cette attitude pouvait encore se justifier à l’époque où Laplace répondait fièrement à Napoléon, qui lui demandait pourquoi, dans sa Mécanique céleste, il n’avait pas même mentionné le créateur : « Je n’avais pas besoin de cette hypothèse. » Mais aujourd’hui, dans la conception que nous avons d’un univers en évolution, il n’y a absolument plus de place pour un créateur ou un ordonnateur ; et parler d’un Être suprême exclu de tout l’univers existant, implique une contradiction dans les termes et me semble par surcroît une injure gratuite aux sentiments des croyants.
Notre agnostique admet aussi que toute notre connaissance est basée sur les informations fournies par les sens. Mais il s’empresse d’ajouter : « Comment savoir si nos sens nous fournissent des images exactes des objets perçus par leur intermédiaire ? » Et il se met en devoir de nous indiquer que, quand il parle d’objets ou de leurs qualités, il n’entend pas en réalité ces objets et ces qualités dont on ne peut rien savoir de certain, mais simplement les impressions qu’ils ont produites sur ses sens. Voilà certes une façon de voir sur laquelle il semble incontestablement difficile d’avoir prise par la simple argumentation. Mais avant l’argumentation était l’action. Im Anfang war die Tat. Et l’action humaine avait résolu la difficulté bien avant que la subtilité humaine l’eût inventée. La preuve du pudding, c’est qu’on le mange. Dès l’instant où nous employons ces objets à notre propre usage d’après les qualités que nous percevons en eux, nous soumettons à une épreuve infaillible l’exactitude ou l’inexactitude de nos perceptions sensorielles. Si ces perceptions étaient fausses, notre appréciation de l’usage qu’on peut faire de l’objet doit aussi être fausse et notre tentative doit échouer. Mais si nous réussissons à atteindre notre but, si nous constatons que l’objet correspond à la représentation que nous en avons, qu’il donne ce que nous attendions de son usage, c’est la preuve positive que, dans le cadre de ces limites, nos perceptions de l’objet et de ses qualités concordent avec la réalité en dehors de nous. Et si par contre nous échouons, nous ne sommes généralement pas longs à découvrir la cause de notre insuccès ; nous nous apercevons que la perception sur laquelle se fondait notre tentative, ou bien était par elle-même incomplète et superficielle, ou bien avait été rattachée aux résultats d’autres perceptions d’une façon qu’elles ne justifiaient pas, — ce que nous appelons une erreur de raisonnement. Tant que nous prenons soin d’éduquer et d’utiliser correctement nos sens et de contenir notre action dans les limites prescrites par nos perceptions correctement obtenues et correctement utilisées, nous nous apercevrons que le résultat de notre action démontre la conformité de nos perceptions avec la nature objective des objets perçus. Jusqu’ici il n’y a pas un seul exemple qui nous ait amenés à conclure que les perceptions de nos sens, scientifiquement contrôlées, aient engendré dans notre cerveau des représentations du monde extérieur, qui soient, par leur nature même, en désaccord avec la réalité ou qu’il y ait incompatibilité immanente entre le monde extérieur et les perceptions sensibles que nous en avons.
Mais voici que paraît l’agnostique néo-kantien qui déclare : Il se peut certes que nous percevions correctement les qualités d’une chose, mais par aucun processus des sens ou de la pensée, nous ne pouvons saisir la chose en soi. La « chose en soi » est au-delà de notre connaissance. Hegel, il y a longtemps, a déjà répondu : « Si vous connaissez toutes les qualités d’une chose, vous connaissez la chose elle-même ; il ne reste que le fait que ladite chose existe en dehors de vous, et dès que vos sens vous ont appris ce fait, vous avez saisi le dernier reste de la chose en soi, la célèbre chose en soi inconnaissable de Kant. A quoi on peut ajouter que, du temps de Kant, notre connaissance des objets naturels était si fragmentaire qu’il pouvait se croire en droit de supposer, au-delà du peu que nous connaissions de chacun d’eux, une mystérieuse « chose en soi ». Mais ces insaisissables choses ont été les unes après les autres saisies, analysées et, qui plus est, reproduites par les progrès gigantesques de la science ; or ce que nous pouvons produire, il nous est à coup sûr interdit de le considérer comme inconnaissable. Pour la chimie de la première moitié du siècle, les substances organiques étaient des objets mystérieux de ce genre ; aujourd’hui, nous apprenons à les reconstituer les unes après les autres à partir de leurs éléments chimiques et sans l’aide d’aucun processus organique. Les chimistes modernes déclarent que, dès que la constitution chimique de n’importe quel corps est connue, il peut être reconstitué à partir de ses éléments. Nous sommes encore loin de connaître exactement la constitution des substances organiques les plus élevées, les corps abluminoïdes ; mais il n’y a pas de raison que nous ne parvenions à cette connaissance, après des siècles s’il le faut, et qu’ainsi armés, nous ne puissions produire de l’albumine artificielle. Mais si nous y parvenons, nous aurons du même coup produit de la vie organique, car la vie, de ses formes les plus simples aux plus élevées, n’est que le mode d’existence normal des corps abluminoïdes.
Cependant, dès que notre agnostique a fait ces réserves de pure forme, il parle et agit comme le fieffé matérialiste qu’il est au fond. Il dira bien : « Pour autant que nous le sachions, la matière et le mouvement — l’énergie, comme on dit à présent — ne peuvent être ni créés ni détruits, mais nous n’avons aucune preuve qu’ils n’aient pas été créés à m moment quelconque. » Mais si vous essayez de retourner cette concession contre lui dans quelque cas particulier, il s’empresse de vous éconduire et de vous imposer silence. S’il admet la possibilité du spiritualisme in abstracto, il ne veut pas en entendre parler in concreto. Il vous dira : « Autant que nous le sachions et puissions le savoir, il n’existe pas de créateur et d’ordonnateur de l’univers ; en ce qui nous concerne, la matière et l’énergie ne peuvent être ni créées ni détruites ; pour nous, la pensée est une forme de l’énergie, une fonction du cerveau ; tout ce que nous savons, c’est que le monde matériel est gouverné par des lois immuables et ainsi de suite. » Donc, dans la mesure où il est un homme de science, où il sait quelque chose, il est matérialiste ; mais hors de sa science, dans les sphères où il ne sait rien, il traduit son ignorance en grec et l’appelle agnosticisme.
En tout cas, une chose paraît claire : même si j’étais un agnostique, il est évident que je ne pourrais qualifier la conception de l’histoire esquissée dans ce petit livre d’« agnosticisme historique ». Les gens pieux se moqueraient de moi, et les agnostiques s’indigneraient et me demanderaient si je veux les tourner en ridicule. J’espère donc que même la respectabilité britannique ne sera pas trop scandalisée si je me sers en anglais, ainsi que je le fais en plusieurs autres langues du mot « matérialisme historique » pour désigner une conception du cours de l’histoire qui recherche la cause première et la force motrice décisive de tous les événements historiques importants dans le développement économique de la société, dans la transformation des modes de production et d’échange, dans la division de la société en classes distinctes qui en résulte et dans les luttes de ces classes entre elles. »
Les physiciens quantiques et l’agnosticisme de Kant
Qu’est-ce que l’école de Copenhague
D’où vient l’agnosticisme de l’école de Copenhague ?
Fondamentalement, cette prise de position philosophique, qui prétend ne prendre aucune position philosophique, provient des difficultés d’interprétation des phénomènes par la physique quantique à ses débuts : impossibilité d’interpréter les phénomènes de manière classique (un objet qui se déplace en prenant toutes les positions successives et en ayant une trajectoire avec position et vitesse instantanée), impossibilité de trancher entre les images classiques opposées (onde ou corpuscule), impossibilité de dire ce qui se passe quand on capte la particule (disparition immédiate du paquet d’ondes), impossibilité de dire ce qui se passe dans un phénomène probabiliste (comment fait la nature pour savoir quelle voie choisir, par exemple comment le photon « sait » s’il est réfléchi ou réfracté, comment la particule « sait » qu’elle doit émettre à cet instant, comment la particule qui interagit avec une autre particule du même type « sait » qui est qui, etc, etc…).
« Bohr explique qu’il est impossible d’obtenir une séparation bien nette entre le comportement des objets atomiques et leur interaction avec les appareils de mesure qui définissent leurs conditions d’existence. Cela signifie que la vitesse d’une particule, par exemple, n’est pas une propriété de la particule, mais une propriété partagée entre la particule et l’instrument de mesure. De cela, Bohr déduit que l’on doit bien se garder de tout raisonnement sur la réalité objective non observée. » écrit Etienne Klein dans « Regards sur la matière ».
On peut lire dans « L’objet quantique » de Lochak, Diner et Fargue :
« La mécanique quantique formalise sous le nom d’observables les résultats possibles des expériences de mesure effectuées sur un objet quantique. Elle n’est pas une description de l’objet en soi, mais un calcul des observations possibles. Ceci ne signifie pas qu’en l’absence d’observation l’objet n’ait pas de propriétés, mais elles ne sont pas décrites par la mécanique quantique. La possibilité d’une telle description réaliste est l’enjeu d’un débat scientifique et philosophique qui dure depuis plus de soixante ans… Ainsi, parler des objets quantiques signifie non pas donner de ces objets une description visant à faire comprendre ce qu’ils sont, mais à décrire les phénomènes auxquels ils donnent naissance. »
Pour certains de ces auteurs, la physique quantique entraîne de manière indiscutable l’impossibilité de dire quoique ce soit de la réalité de la matière mais seulement de discuter des phénomènes observés, ce qu’ils estiment complètement différent. En effet, dans le phénomène observé, il y a une action humaine et une action d’un appareillage d’origine humaine dont le choix n’est pas indifférent et change les résultats, les images qu’ils donnent de la matière réelle. Certains auteurs ont fait le rapprochement avec l’impossibilité de connaître la « chose en soi », qui serait au-delà de la connaissance du phénomène (une interaction entre réalité observée et observateur), thèse reprenant apparemment celles du philosophe allemand Kant et qui serait à l’origine du positivisme philosophique qui a eu cours en particulier aux débuts de la physique quantique.
Rappelons que le positivisme en physique (représenté dans la physique quantique par l’école de Copenhague) a consisté à dire que l’on ne peut qu’étudier les phénomènes et en déduire des règles probabilistes, mais pas décrire ce qui se passe dans la réalité, laquelle est sujette à caution. L’expérience ne nous dirait rien, selon cette thèse, sur la réalité de la matière. Par exemple, si nous détectons un électron, cela ne veut pas dire qu’il y aurait un électron si on ne faisait pas ce qu’il faut pour le détecter !!!! C’est une remise en cause fondamentale de la possibilité de comprendre le monde….
Le physicien quantique Werner Heisenberg explique que c’est la séparation radicale entre l’« objet » et l’observateur à travers ses appareils de mesure qui est illusoire :
« En physique classique, la science partait de la croyance - ou devrait-on dire de l’illusion ? - que nous pouvons décrire le monde sans nous faire en rien intervenir nous-mêmes. [...] La théorique quantique ne comporte pas de caractéristiques vraiment subjectives, car elle n’introduit pas l’esprit du physicien comme faisant partie du phénomène atomique ; mais elle part de la division du monde entre « objet » et reste du monde, ainsi que du fait que nous utilisons pour notre description les concepts classiques. Cette division est arbitraire. »
Werner Heisenberg résume la position d’Albert Einstein qui s’opposait à l’interprétation de Copenhague ainsi :
« Cette interprétation [dit Einstein] ne nous décrit pas ce qui se passe, en fait, indépendamment des observations, ou pendant l’intervalle entre elles. Mais il faut bien qu’il se passe quelque chose, nous ne pouvons en douter ; [...] Le physicien doit postuler qu’il étudie un monde qu’il n’a pas fabriqué lui-même et qui est présent, essentiellement inchangé, si le scientifique est lui-même absent. »
Werner Heisenberg répond :
« L’on voit facilement que ce qu’exige cette critique, c’est encore une fois la vieille ontologie matérialiste. Mais quelle peut être la réponse du point de vue de l’interprétation de Copenhague ? [...] Demander que l’on « décrive ce qui se passe » dans le processus quantique entre deux observations successives est une contradiction in adjecto, puisque le mot « décrire » se réfère à l’emploi des concepts classiques, alors que ces concepts ne peuvent être appliqués dans l’intervalle séparant deux observations [...] L’ontologie du matérialisme reposait sur l’illusion que le genre d’existence, la « réaliste » directe du Monde qui nous entoure, pouvait s’extrapoler jusqu’à l’ordre de grandeur de l’atome. Or, cette extrapolation est impossible. »
Einstein critique ainsi cette attitude courante à l’époque chez les physiciens quantiques :
« A la source de ma conception, il y a une thèse que rejettent la plupart des physiciens actuels (école de Copenhague) et qui s’énonce ainsi : il y a quelque chose comme l’état "réel" du système, quelque chose qui existe objectivement, indépendamment de toute observation ou mesure, et que l’on peut décrire, en principe, avec des procédés d’expression de la physique. » (dans "Remarques préliminaires sur les concepts fondamentaux").
Niels Bohr à propos de son concept d’ « état stationnaire de l’électron » avec saut d’un état à un autre accompagné d’émission d’un photon lumineux :
« Je n’essaie nullement de donner ce qu’on appellerait ordinairement une explication ; rien n’a été dit du pourquoi et du comment la radiation est émise. »
Niels Bohr, « Les spectres et la nature de l’atome »
« Il n’y a pas pour le moment d’occasion de parler de causalité dans la nature, parce qu’il n’y a pas d’expérience qui indique sa présence. »
Niels Bohr dans « Théorie atomique et description de la nature »
« L’observation elle-même change de façon discontinue la fonction de probabilité ; elle choisit entre tous les phénomènes possibles celui qui a lieu en fait. Etant donné que, par l’observation, notre connaissance du système a changé de façon discontinue, sa représentation mathématique a également subi un changement discontinu, et nous parlons de saut « quantique »… Par conséquent, la transition du « possible » au « réel » a lieu pendant l’acte d’observer. Si nous voulons décrire ce qui se passe au cours d’un phénomène atomique, il faut que nous nous rendions compte que le terme « se passe » ne s’applique qu’à l’observation et non à l’état des choses entre deux observations ; il s’applique à l’acte physique d’observer et non à l’acte psychologique et nous pouvons dire que la transition du « possible » au « réel » se produit dès que l’interaction de l’objet avec la jauge de mesure (donc avec le reste du monde) est entrée en jeu. »
Werner Heisenberg dans « Physique et philosophie »
« L’Univers n’est pas seulement plus étrange que nous le pensons, il est aussi plus étrange que nous pouvons le penser. »
Werner Heisenberg
« Se peut-il que la nature soit aussi absurde… »
Heisenberg
« Tout ce que nous appelons réel est fait de choses qui ne peuvent pas être prises pour réelles. »
Niels Bohr
« La conception de la réalité objective des particules élémentaires s’est donc étrangement dissoute, non pas dans le brouillard d’une nouvelle conception de la réalité obscure et mal comprise, mais dans la clarté transparente d’une mathématique qui ne représente plus le comportement de la particule élémentaire mais la connaissance que nous en possédons. »
Heisenberg
« Il n’y a pas de monde quantique. Il y a seulement une description quantique abstraite. Il est erroné de penser que la tâche de la physique est de savoir ce qu’est la Nature. La physique s’occupe de ce que nous pouvons dire sur la Nature. »
Bohr
« Vous voyez, la description de la mécanique quantique se fait en termes de connaissance. Et la connaissance nécessite quelqu’un qui connaît ».
Peierls
« La doctrine selon laquelle le monde est fait d’objets dont l’existence est indépendante de la conscience humaine se trouve être en conflit avec la mécanique quantique et avec des faits établis expérimentalement. »
Mermin
La physique quantique mène-t-elle inexorablement à l’agnosticisme ?
Non, c’est seulement la première phase de la physique quantique qui n’a pas réussi à décrire la réalité et a théorisé cette incapacité.
Pour Bohr et les adeptes de ses conceptions, les lois ne dictent pas un comportement de la nature car elles n’indiquent rien sur ce qu’est la nature mais seulement sur ce qu’elle peut faire. Si elles sont probabilistes, cela ne signifie, pour Bohr et compagnie, qu’elles indiquent une probabilité de mouvement de quelque chose car on ne peut pas dire ce qu’est ce « quelque chose » ni même s’il existerait si on n’avait pas fait l’expérience…
Selon Bohr, l’expérience perturbe tellement la réalité qu’on ne sait rien de ce qui se passait avant de la mener et c’est l’expérience elle-même qui dicterait les résultats.
Si les lois conçues par l’école de Copenhague sont probabilistes, il ne s’agit pas d’une probabilité au sens de celle résultant en thermodynamique de l’agitation sous-jacente des molécules, il ne s’agit pas d’une probabilité provenant du grand nombre d’éléments de niveau inférieur de structure produisant les phénomènes quantiques de la matière et de la lumière.
La probabilité dont parle Copenhague est une « probabilité de présence » sans qu’on puisse dire vraiment de présence de quoi !!
Quel lien entre les propriétés de type onde et celles de type corpuscule de la particule ? La version Copenhague dit qu’on ne peut pas y répondre et même qu’on ne doit pas se poser la question. Elle dit que ce n’est pas un sujet pour la physique !
Ce qu’il reste de cela, c’est une probabilité de présence qui n’a d’existence que mathématique et non réelle et qui ne fonde aucune explication de « ce qui se passe quand »…
Tout est-il virtuel ? La matière n’existe-t-elle que pour une conscience humaine ?
Finalement, qu’est-ce que le vide et qu’est-ce que la matière, que sont leurs interactions ?
Pouvons-nous interpréter en termes réels une expérience comme celle des fentes de Young ?
Quels autres phénomènes quantiques nous posent des problèmes d’interprétation réelle ?
Pourquoi la physique quantique pose tant de problèmes philosophiques ?
Physique quantique et philosophie
Qu’est-ce que la physique quantique ?
A ses débuts, la physique quantique s’est aussi opposée au déterminisme