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Textes de la révolution d’octobre 1917
lundi 13 décembre 2010, par
Sur la révolution en Europe, lire sur le site :
Les puissances impérialistes pendant la vague révolutionnaire
en Europe
Révolutions prolétariennes
La révolution russe de 1905
Le dernier poilu ou la dernière boucherie guerrière ?
La classe ouvrière dans la révolution irlandaise
La révolution russe de 1917 et la vague révolutionnaire en
Europe
La révolution russe vue par Rosa Luxemburg
La révolution allemande de 1918-19
La révolution hongroise de 1919
La révolution italienne de 1919
La lutte des classes dans la révolution chinoise
La révolution chinoise de 1925-1927
La révolution prolétarienne en Espagne en 1931
La révolution espagnole de 1936
La politique des anarchistes dans la révolution espagnole
Textes de la révolution d’octobre 1917
La révolution russe vue par le général contre-révolutionnaire Dénikine
La révolution russe de 1905, vue par Léon Trotsky
La révolution russe de 1917, vue par Léon Trotsky
Défense de la révolution d’octobre par Léon Trotsky
Léon Trotsky
De la révolution bourgeoise à la révolution prolétarienne
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"Le prolétariat a besoin du pouvoir d’Etat, d’une organisation centralisée de la force, d’une organisation de la violence, aussi bien pour réprimer la résistance des exploiteurs que pour diriger la grande masse de la population - paysannerie, petite bourgeoisie, semi-prolétaires - dans la "mise en place" de l’économie socialiste."
Lénine, "L’Etat et la révolution" (1917)
"J’ai eu l’occasion de le répéter souvent : en comparaison des pays avancés, il était plus facile aux Russes de commencer la grande Révolution prolétarienne, mais il leur sera plus difficile de la continuer et de la mener jusqu’à la victoire définitive, dans le sens de l’organisation intégrale de la société socialiste.
Il nous a été plus facile de commencer, d’abord parce que le retard politique peu ordinaire — pour l’Europe du XXe siècle — de la monarchie tsariste provoqua un assaut révolutionnaire des masses, d’une rigueur inaccoutumée. En second lieu, le retard de la Russie unissait d’une façon originale la révolution prolétarienne contre la bourgeoisie, à la révolution paysanne contre les grands propriétaires fonciers... En troisième lieu, la révolution de 1905 a fait énormément pour l’éducation politique de la masse des ouvriers et des paysans ; tant pour initier leur avant-garde au "dernier mot" du socialisme d’Occident, que dans le sens de l’action révolutionnaire des masses.
Sans cette "répétition générale" de 1905, les révolutions de 1917, bourgeoise en février, prolétarienne en octobre, n’eussent pas été possibles. En quatrième lieu, la situation géographique de la Russie lui a permis plus longtemps qu’aux autres pays de tenir, en dépit de la supériorité extérieure des pays capitalistes avancés. (...)"
Lénine, La IIIe Internationale et sa place dans l’histoire, 15 avril 1919.
" Pour quiconque réfléchissait aux prémisses économiques d’une révolution socialiste en Europe, il était évident qu’il est bien plus difficile de commencer la révolution en Europe et bien plus facile de la commencer chez nous, mais qu’ici il sera plus difficile de la continuer..."
Extrait du Rapport sur la guerre et la paix au VIIe Congrès du Parti, mars 1918.
"La loi fondamentale de la révolution (...), la voici : pour que la révolution ait lieu, il ne suffit pas que les masses exploitées et opprimées prennent conscience de l’impossibilité de vivre comme autrefois et réclament des changements. Pour que la révolution ait lieu, il faut que les exploiteurs ne puissent pas vivre et gouverner comme autrefois. C’est seulement lorsque ceux d’en bas ne veulent plus et que ceux d’en haut ne peuvent plus continuer de vivre à l’ancienne manière, c’est alors seulement que la révolution peut triompher. Cette vérité s’exprime autrement en ces termes : la révolution est impossible sans une crise nationale (affectant exploités et exploiteurs)."
extrait de Lénine, "La maladie infantile du communisme", 1920
Appel du Soviet de Pétrograd le 27 février 1917
Lancé le jour même de la création du soviet des ouvriers et des soldats, il est publié le 15 mars 1917 dans l’organe du Soviet, les lsvestija.
"L’ancien régime a conduit le pays à la ruine et la population à la famine. Il était impossible de la supporter plus longtemps et les habitants de Pétrograd sont sortis dans les rues pour dire leur mécontentement. Ils ont été reçus à coups de fusil. Au lieu de pain, ils ont reçu du plomb, les ministres du Tsar leur ont donné du plomb.
Mais les soldats n’ont pas voulu agir contre le peuple et ils se sont tournés contre le gouvernement. Ensemble, ils ont saisi les arsenaux, les fusils et d’importants organes du pouvoir.
Le combat continue et doit être mené à sa fin. Le vieux pouvoir doit être vaincu pour laisser sa place à un gouvernement populaire. Il y va du salut de la Russie.
Afin de gagner ce combat pour la démocratie, le peuple doit créer ses propres organes de gouvernement. Hier, le 27 février, s’est formé un soviet de députés ouvriers composé de représentants des usines, des ateliers, des partis et organisations démocratiques et socialistes. Le Soviet, installé à la douma s’est fixé comme tâche essentielle d’organiser les forces populaires et de combattre pour la consolidation de la liberté politique et du gouvernement populaire.
Le Soviet a nommé des commissaires pour établir l’autorité populaire dans les quartiers de la capitale. Nous invitons la population tout entière à se rallier immédiatement au Soviet, à organiser des comités locaux dans les quartiers et à prendre entre ses mains la conduite des affaires locales.
Tous ensemble, avec nos forces unies, nous vaincrons pour balayer complètement le vieux gouvernement et pour réunir une Assemblée constituante sur la base du suffrage universel, égal, secret et direct."
Prikaze numéro 1
(1er mars 1917) du Soviet des députés ouvriers et soldats de Petrograd
"A la garnison de la région de Petrograd. A tous les soldats de la garde, de l’armée, de l’artillerie et de la flotte, aux fins d’exécution immédiate et rigoureuse, et aux ouvriers de Petrograd, à titre d’information.
Le Soviet de députés ouvriers et soldats décide :
1) Dans toutes les compagnies, dans les bataillons, régiments, batteries, escadrons et administrations militaires de toute sorte, et à bord des bâtiments de la flotte de guerre, on choisira immédiatement, par voie d’élection, un comité de représentants parmi les simples soldats des unités militaires ci-dessus indiquées.
2) Dans toutes les unités militaires qui n’ont pas encore choisi leurs représentants au Soviet de députés ouvriers, on élira un représentant par compagnie qui, porteur de certificats écrits, se présentera à la Douma d’État le 2 mars courant, à 10 heures du matin.
3) Dans tous ses actes politiques, l’unité militaire obéit au Soviet de députés ouvriers et soldats, et à ses comités.
4) Les ordres de la Commission militaire de la Douma d’État ne doivent être exécutés que dans les cas où ils ne seront pas en contradiction avec les ordres et les décisions du Soviet de députés ouvriers et soldats.
5) Les armes de tout genre telles que : fusils, mitrailleuses, automobiles blindées, etc. doivent se trouver à la disposition et sous le contrôle des comités de compagnie et de bataillon, et ne seront en aucun cas délivrées aux officiers, même s’ils en faisaient sommation.
6) Dans le rang et pendant le service, les soldats doivent observer la plus stricte discipline militaire ; mais en dehors du service et du rang, dans leur vie politique, civique et privée, les soldats ne sauraient être lésés dans les droits dont jouissent tous les citoyens. Notamment le garde-à-vous au passage d’un supérieur et le salut militaire obligatoire sont abolis, hors service.
7) De même sont supprimées les formules décernées aux officiers : Votre Excellence, Votre Noblesse, etc. ; elles sont remplacées par : monsieur le général, monsieur le colonel, etc.
Les mauvais traitements de gradés de toute sorte à l’égard des soldats, et notamment le tutoiement, sont interdits ; toutes les infractions au présent ordre, ainsi que tous les malentendus dus entre officiers et soldats, ces derniers sont tenus de les porter à la connaissance des comités de compagnie.
Donner lecture de cet ordre dans toutes les compagnies, bataillons, régiments, équipages, batteries et autres services armés et auxiliaires.
LE SOVIET DES DÉPUTÉS OUVRIERS ET SOLDATS DE PETROGRAD"
La première déclaration du gouvernement provisoire (6 mars 1917)
"Citoyens de l’État russe....,
Un grand événement a eu lieu. Par la puissant impulsion du peuple russe, l’ancien régime a été renversé. Une Russie libre et nouvelle est née. Ce grand renversement couronne de nombreuses années de combat.
(...) Ni les efforts héroïques de l’armée, écrasée sous le poids du chaos intérieur, ni les appels des représentants du peuple qui se sont unis face au péril qui menaçait la nation n’ont pu mener l’ex-empereur ni son gouvernement sur la voie d’un accord avec le peuple. Et lorsque la Russie, à cause de l’action illégale et fatale de ses gouvernants, s’est trouvée confrontée avec les désastres les plus graves, la nation a été obligée de prendre le pouvoir entre ses propres mains. Dans son unanimité, l’enthousiasme révolutionnaire du peuple, pleinement conscient de la gravité du moment et la détermination de la douma d’État ont créé, ensemble, le gouvernement provisoire. Celui-ci juge sacrés son devoir et sa responsabilité de satisfaire les espérances populaires de conduire le pays, sur la route étincelante d’un régime libre et civique.
Le gouvernement croit que l’esprit de profond patriotisme manifesté durant la lutte contre l’ancien régime inspirera nos vaillants soldats sur les champs de bataille. Pour sa part, il fera tout pour pourvoir l’armée du nécessaire pour mener la guerre jusqu’à sa fin victorieuse. Le gouvernement considérera comme sacrées les alliances qui nous lient aux autres puissances et respectera à la lettre les accords conclus avec nos Alliés.
Tout en prenant des mesures pour défendre le pays de l’ennemi extérieur, le gouvernement considérera comme son devoir essentiel de laisser s’exprimer la volonté populaire en ce qui concerne le choix d’un régime politique et il convoquera l’assemblée constituante le plus rapidement possible sur la base du suffrage universel, direct, égal et secret, garantissent également la participation aux élections aux vaillants défenseurs de la terre de nos aïeux qui actuellement donnent leur sang sur les champs de bataille.
L’assemblée constituante promulguera les lois fondamentales qui garantissent au pays des droits inaliénables à la justice, à la liberté, à l’égalité.
(...) Au moment de la libération nationale, le pays tout entier rappellera avec gratitude ceux qui, en défendant leurs convictions politiques et religieuses, sont tombés victimes de la vindicte de l’ancien régime. Et le gouvernement provisoire considère comme un agréable devoir de ramener d’exil et de prison, avec tous les honneurs, ceux qui ont souffert pour le bien de la patrie.
En remplissant ces tâches, le gouvernement provisoire est animé par la conviction qu’il exécute ainsi la volonté populaire et que toute la Nation le soutiendra dans ses loyaux efforts pour assurer le bonheur de la Russie. Cette certitude lui donne du courage. Le Gouvernement provisoire considère que seul le soutien chaleureux du peuple tout entier garantit le triomphe du nouveau régime."
6 mars 1917"
Programme du parti socialiste révolutionnaire en 1917
"- Reconnaissance imprescriptible des droits de l’homme et du citoyen : pleine liberté de conscience, de parole, liberté de la presse, de réunion et d’union ; liberté de se déplacer, de choisir sa profession, du refus collectif de travailler (droit de grève) ; inviolabilité de la personne et du domicile ; droit électoral complet pour tous les citoyens âgés de vingt ans, sans distinction de sexe, de religion, de nationalité, sur la base d’un suffrage direct, au scrutin secret.
– Établissement sur ces bases d’une république démocratique avec large autonomie des régions et des communautés tant urbaines que rurales ; possibilité d’une large application des rapports fédératifs entre les différentes nationalités ; reconnaissance de leur droit imprescriptible à l’autodétermination ; représentation proportionnelle ; législation populaire directe (par le référendum et l’initiative).
– Éligibilité et révocabilité, et responsabilité de tous les fonctionnaires, y compris les députés et les juges.
– Gratuité des tribunaux.
– Instruction laïque et obligatoire pour tous.
– Les régions à population mêlée, droit pour chaque nationalité à une part proportionnelle à la population, à des fins culturelles et droit pour chacune à administrer sa part.
– Séparation absolue de l’Église et de l’État, la religion étant reconnue affaire privée.
– Suppression de l’armée permanente et sa transformation en une milice populaire."
LES « THESES D’AVRIL » de Lénine
Les tâches du prolétariat dans la présente révolution
7 avril 1917
N’étant arrivé à Petrograd que dans la nuit du 3 au 4 avril, je ne pouvais naturellement, à la réunion du 4, présenter un rapport sur les tâches du prolétariat révolutionnaire qu’en mon nom propre et en faisant les réserves motivées par mon manque de préparation.
La seule chose que j’aie pu faire pour faciliter mon travail, et celui des contradicteurs de bonne foi, a été de préparer des thèses écrites. J’en ai donné lecture et transmis te au camarade Tsérétélli. Je les ai lues très lentement et à deux reprises : d’abord à la réunion des bolcheviks, ensuite à celle des bolcheviks et des mencheviks.
Je présente ici ces thèses qui me sont personnelles, accompagnées simplement de très brèves remarques explicatives ; elles ont été développées avec beaucoup plus de détails dans mon rapport.
Thèses
Aucune concession, si minime soit-elle, au « jusqu’auboutisme révolutionnaire » ne saurait être tolérée dans notre attitude envers la guerre qui, du côté de la Russie, même sous le nouveau gouvernement de Lvov et Cie, est demeurée incontestablement une guerre impérialiste de brigandage en raison du caractère capitaliste de ce gouvernement.
Le prolétariat conscient ne peut donner son consentement à une guerre révolutionnaire, qui justifierait réellement le jusqu’auboutisme révolutionnaire, que si les conditions suivantes sont remplies : a) passage du pouvoir au prolétariat et aux éléments pauvres de la paysannerie, proches du prolétariat ; b) renonciation effective, et non verbale, à toute annexion ; c) rupture totale en fait avec les intérêts du Capital.
Etant donné l’indéniable bonne foi des larges couches de la masse des partisans du jusqu’auboutisme révolutionnaire qui n’admettent la guerre que par nécessité et non en vue de conquêtes, et étant donné qu’elles sont trompées par la bourgeoisie, il importe de les éclairer sur leur erreur avec une persévérance, une patience et un soin tout particuliers, de leur expliquer qu’il existe un lien indissoluble entre le Capital et la guerre impérialiste, de leur démontrer qu’il est impossible de terminer la guerre par une paix vraiment démocratique et non imposée par la violence, sans renverser le Capital.
Organisation de la propagande la plus large de cette façon de voir dans l’armée combattante.
Fraternisation.
Ce qu’il y a d’original dans la situation actuelle en Russie, c’est la transition de la première étape de la révolution, qui a donné le pouvoir à la bourgeoisie par suite du degré insuffisant de conscience et d’organisation du prolétariat, à sa deuxième étape, qui doit donner le pouvoir au prolétariat et aux couches pauvres de la paysannerie.
Cette transition est caractérisée, d’une part, par un maximum de possibilités légales (la Russie est aujourd’hui, de tous les pays belligérants, le plus libre du monde) ; de l’autre, par l’absence de contrainte exercée sur les masses, et enfin, par la confiance irraisonnée des masses à l’égard du gouvernement des capitalistes, ces pires ennemis de la paix et du socialisme.
Cette situation originale exige que nous sachions nous adapter aux conditions spéciales du travail du Parti au soin de la masse prolétarienne innombrable qui vient de s’éveiller à la vie politique.
Aucun soutien au Gouvernement provisoire ; démontrer le caractère entièrement mensonger de toutes ses promesses, notamment de celles qui concernent la renonciation aux annexions. Le démasquer, au lieu d’« exiger » - ce qui est inadmissible, car c’est semer des illusions - que ce gouvernement, gouvernement de capitalistes, cesse d’être impérialiste.
ReconnaÎtre que notre Parti est en minorité et ne constitue pour le moment qu’une faible minorité, dans la plupart des Soviets des députés ouvriers, en face du bloc de tous les éléments opportunistes petits-bourgeois tombés sous l’influence de la bourgeoisie et qui étendent cette influence sur le prolétariat. Ces éléments vont des socialistes-populistes et des socialistes-révolutionnaires au Comité d’Organisation [1] (Tchkhéidzé, Tsérétélli, etc.), à Stéklov, etc., etc.
Expliquer aux masses que les Soviets des députés ouvriers sont la seule forme possible de gouvernement révolutionnaire, et que, par conséquent, notre tâche, tant que ce gouvernement se laisse influencer par la bourgeoisie, ne peut être que d’expliquer patiemment, systématiquement, opiniâtrement aux masses les erreurs de leur tactique, en partant essentiellement de leurs besoins pratiques.
Tant que nous sommes en minorité, nous nous appliquons à critiquer et à expliquer les erreurs commises, tout en affirmant la nécessité du passage de tout le pouvoir aux Soviets des députés ouvriers, afin que les masses s’affranchissent de leurs erreurs par l’expérience.
Non pas une république parlementaire, - y retourner après les Soviets des députés ouvriers serait un pas en arrière, - mais une république des Soviets de députés ouvriers, salariés agricoles et paysans dans le pays tout entier, de la base au sommet.
Suppression de la police, de l’armée [2] et du corps des fonctionnaires.
Le traitement des fonctionnaires, élus et révocables à tout moment, ne doit pas excéder le salaire moyen d’un bon ouvrier.
Dans le programme agraire, reporter le centre de gravité sur les Soviets de députés des salariés agricoles.
Confiscation de toutes les terres des grands propriétaire fonciers.
Nationalisation de toutes les terres dans la pays et leur à la disposition des Soviets locaux de députés des salariés agricoles et des paysans. Formation de Soviets de députés des paysans pauvres. Transformation de tout grand domaine (de 100 à 300 hectares environ., en tenant compte des conditions locales et autres et sur la décision des organismes locaux) en une exploitation modèle placée sous le contrôle des députés des salariés agricoles et fonctionnant pour le compte de la collectivité.
Fusion immédiate de toutes les banques du pays en une banque nationale unique placée sous le contrôle des Soviets des députés ouvriers.
Notre tâche immédiate est non pas d’« introduire » le socialisme, mais uniquement de passer tout de suite au contrôle de la production sociale et de la répartition des produits par les Soviets des députés ouvriers.
Tâches du Parti :
1. convoquer sans délai le congrès du Parti ;
2. modifier le programme du Parti, principalement :
a) sur l’impérialisme et la guerre impérialiste,
b) sur l’attitude envers l’État et notre revendication d’un « Etat-Commune [3] »,
c) amender le programme minimum, qui a vieilli ;
3. changer la dénomination du Parti [4].
10. Rénover l’Internationale.
Prendre l’initiative de la création d’une Internationale révolutionnaire, d’une Internationale contre les social-chauvins et contre le « centre [5] ».
Afin que le lecteur comprenne pourquoi j’ai dû envisager spécialement, comme tout à fait exceptionnel, le « cas éventuel » de contradicteurs de bonne foi, je l’invite à comparer à ces thèses l’objection suivante de monsieur Goldenberg : Lénine « a planté l’étendard de la guerre civile au sein de la démocratie révolutionnaire » (cité dans le n°5 de l’Edinstvo [6] ! de M. Plékhanov).
N’est-ce pas une perle, en vérité ?
J’écris, je déclare, je ressasse : « Etant donné l’indéniable bonne foi des larges couches de la masse des partisans du jusqu’auboutisme révolutionnaire.... et étant donné qu’elles sont trompées par la bourgeoisie, il importe de les éclairer sur leur erreur avec une persévérance, une patience et un soin tout particuliers... »
Or, voici comment ces messieurs de la bourgeoisie, qui se disent social-démocrates, qui ne font partie ni des larges couches ni de la masse des partisans du jusqu’auboutisme, exposent avec un front serein ma position : « L’étendard (!) de la guerre civile (dont il n’est pas dit un mot dans la thèses, dont il n’a pas été dit un mot dans le rapport !) est planté (!) » « au sein (!!) de la démocratie révolutionnaire... »
Qu’est-ce à dire ? En quoi cela diffère-t-il de la propagande des ultras ? de la Rousskaïa Volia [7] ?
J’écris, je déclare, je ressasse : « Les Soviets des députés ouvriers sont la seule forme possible de gouvernement révolutionnaire et, par conséquent, notre tâche ne peut être que d’expliquer patiemment, systématiquement, opiniâtrement aux masses les erreurs de leur tactique, en partant essentiellement de leurs besoins pratiques... »
Or des contradicteurs d’une certaine espèce présentent mes idées comme un appel à la « guerre civile au sein de la démocratie révolutionnaire » !!
J’ai attaqué le Gouvernement provisoire parce qu’il n’a pas fixé un terme rapproché, ni aucun terme en général, à la convocation de l’Assemblée constituante, et s’est borné à des promesses. Je me suis appliqué à démontrer que sans les Soviets des députés ouvriers et soldats, la convocation de l’Assemblée constituante n’est pas assurée et son succès est impossible.
Et l’on me prétend adversaire d’une convocation aussi prompte que possible de l’Assemblée constituante !!!
Je qualifierais ces expressions de « délirantes » si des dizaines d’années de lutte politique ne m’avaient appris à considérer la bonne foi des contradicteurs comme une chose tout à fait exceptionnelle.
M. Plékhanov a, dans son journal, qualifié mon discours de « délirant ». Fort bien, monsieur Plékhanov ! Mais voyez comme vous êtes gauche, maladroit et peu perspicace dans votre polémique. Si, pendant deux heures, j’ai prononcé un discours délirant, comment des centaines d’auditeurs ont-ils pu supporter mon délire ? Cela ne tient pas debout, mais pas du tout.
Certes, il est beaucoup plus facile de s’exclamer, d’injurier, de pousser les hauts cris, que d’essayer de raconter, d’expliquer, de rappeler la façon dont Marx et Engels ont analysé en 1871, 1872, 1875 l’expérience de la Commune de Paris et ce qu’ils ont dit de la nature de l’Etat qui est nécessaire au prolétariat.
M. Plékhanov, ex-marxiste, ne veut probablement pas se souvenir du marxisme.
J’ai cité Rosa Luxemburg, qui, le 4 août 1914 [8] qualifiait la social-démocratie allemande de « cadavre puant ». Or MM. Les Plékhanov, les Goldenberg et Cie s’en « formalisent »… pour qui ? – pour les chauvins allemands qualifiés de chauvins !
Les voilà bien empêtrés, les pauvres social-chauvins russes, socialistes en paroles, chauvins en fait.
Paru le 7 avril 1917 dans le n°26 de la « Pravda »
Notes
[1] Le Comité d’Organisation était le regroupement formé en 1912 par les liquidateurs, chauvin durant la guerre mondiale. Il fonctionnera jusqu’à l’élection, en août 1917, du Comité Central menchévique.
[2] C’est-à-dire remplacement de l’armée permanente par l’armement du peuple tout entier. (Note de l’auteur)
[3] C’est-à-dire d’un Etat dont la Commune de Paris a été la préfiguration. (Note de l’auteur)
[4] A l’appellation de « social-démocratie », il faut substituer celle de Parti communiste, les chefs officiels de la social-démocratie (« jusqu’auboutistes » et « kautskistes » hésitants) ayant trahi le socialisme dans le monde entier et passé à la bourgeoisie. (Note de l’auteur)
[5] On appelle « centre », dans la social-démocratie internationale la tendance qui hésite entre les chauvins (=« jusqu’auboutistes ») et les internationalistes, à savoir. Kautsky et Cie en Allemagne, Longuet et Cie en France, Tchkhéidzé et Cie en Russie, Turati et Cie en Italie, MacDonald et Cie en Angleterre, etc. (Note de l’auteur)
[6] Edinstvo (l’Unité). Quotidien dont Plékhanov était le rédacteur en chef. Parût de mars à novembre 1917, puis en décembre 1917-janvier 1918.
[7] Rousskaïa Volia (la Volonté Russe) : quotidien subventionné par les grandes banques qui parût de décembre 1916 à octobre 1917. Lénine le tenait pour l’un des plus infâmes journaux bourgeois.
[8] Le 4 août 1914, la social-démocratie allemande votait les crédits de guerre et passait par là-même du coté de l’ordre bourgeois. La gauche social-démocrate s’opposa à ce vote au sein de la fraction parlementaire mais respecta la discipline de vote, se soumettant ainsi provisoirement à l’appareil social-démocrate.
Lénine
Sur la dualité du pouvoir
Le problème fondamental de toute révolution est celui du pouvoir. Tant que ce problème n’est pas élucidé, il ne saurait être question de jouer consciemment son rôle dans la révolution, et encore moins de la diriger.
Notre révolution a ceci de tout à fait original qu’elle a créé une dualité du pouvoir. C’est là un fait dont il faut saisir la portée avant tout ; il est impossible d’aller de l’avant sans l’avoir compris. Il faut savoir compléter et corriger les vieilles « formules », par exemple celles du bolchévisme, car si elles se sont révélées justes dans l’ensemble, leur application concrète s’est révélée différente. Personne autrefois ne songeait, ni ne pouvait songer, à une dualité du pouvoir.
En quoi consiste la dualité du pouvoir ? En ceci qu’à côté du Gouvernement provisoire, du gouvernement de la bourgeoisie, s’est formé un autre gouvernement, faible encore, embryonnaire, mais qui n’en a pas moins une existence réelle, incontestable, et qui grandit : ce sont les Soviets des députés ouvriers et soldats.
Quelle est la composition de classe de ce deuxième gouvernement ? Le prolétariat et la paysannerie (sous l’uniforme de soldat). Quel en est le caractère politique ? C’est une dictature révolutionnaire, c’est-à-dire un pouvoir qui s’appuie directement sur un coup de force révolutionnaire, sur l’initiative directe, venant d’en bas, des masses populaires, et non sur une loi édictée par un pouvoir d’Etat centralisé. Ce pouvoir est tout différent de celui qui existe généralement dans une république démocratique bourgeoise parlementaire du type habituel et qui prévaut jusqu’à présent dans les pays avancés d’Europe et d’Amérique. C’est une chose qu’on oublie souvent, à laquelle on ne réfléchit pas assez, alors que c’est là l’essentiel. Ce pouvoir est du même type que la Commune de Paris de 1871, type dont voici les principales caractéristiques : 1) la source du pouvoir n’est pas la loi, préalablement discutée et votée par un Parlement, mais l’initiative des masses populaires, initiative directe, locale, venant d’en bas, un « coup de force » direct, pour employer une expression courante ; 2) la police et l’armée, institutions séparées du peuple et opposées au peuple, sont remplacées par l’armement direct du peuple tout entier ; sous ce pouvoir, ce sont les ouvriers et les paysans armés, c’est le peuple en armes qui veillent eux-mêmes au maintien de l’ordre public ; 3) le corps des fonctionnaires, la bureaucratie sont, eux aussi, remplacés par le pouvoir direct du peuple, ou du moins placés sous un contrôle spécial ; non seulement les postes deviennent électifs, mais leurs titulaires, ramenés à l’état de simples mandataires, sont révocables à la première demande du peuple ; de corps privilégié jouissant de « sinécures » à traitements élevés, bourgeois, ils deviennent les ouvriers d’une « arme spéciale », dont les traitements n’excèdent pas le salaire habituel d’un bon ouvrier.
Là, et là seulement, est l’essence de la Commune de Paris en tant que type d’Etat particulier. C’est cette essence qu’ont oubliée et dénaturée MM. les Plékhanov (chauvins avoués qui ont trahi le marxisme), les Kautsky (hommes du « centre », c’est-à-dire qui balancent entre le chauvinisme et le marxisme), et d’une façon générale tous les social-démocrates, les socialistes-révolutionnaires et leurs pareils qui dominent aujourd’hui.
On s’en tire avec des phrases, on se cantonne dans le silence, on se dérobe, on se congratule mille fois à l’occasion de la révolution, et l’on ne veut pas réfléchir à ce que sont les Soviets des députés ouvriers et soldats. On ne veut pas voir cette vérité évidente que, pour autant que ces Soviets existent, pour autant qu’ils sont le pouvoir, il existe en Russie un Etat du type de la Commune de Paris.
J’ai bien souligné : « pour autant ». Car ce n’est qu’un pouvoir embryonnaire. Par un accord direct avec le Gouvernement provisoire bourgeois, et par diverses concessions de fait, il a lui-même livré et continue de livrer ses positions à la bourgeoisie.
Pourquoi ? Serait-ce que Tchkhéidzé, Tsérétéli, Stéklov et Cie commettent une « erreur » ? Allons donc ! Un philistin pourrait le penser, mais non un marxiste. La raison en est le degré insuffisant de conscience et d’organisation des prolétaires et des paysans. L’« erreur » de ces chefs, c’est leur position petite-bourgeoise, c’est qu’ils obscurcissent la conscience des ouvriers au lieu de l’éclairer, qu’ils propagent les illusions petites-bourgeoises au lieu de les réfuter, qu’ils renforcent l’influence de la bourgeoisie sur les masses, au lieu de soustraire celles-ci à cette influence.
Cela doit déjà suffire à faire comprendre pourquoi nos camarades, eux aussi, commettent tant d’erreurs en posant « simplement » la question : faut-il renverser tout de suite le Gouvernement provisoire ?
Je réponds : 1) il faut le renverser, car c’est un gouvernement oligarchique, bourgeois et non populaire, qui ne peut donner ni la paix, ni le pain, ni la liberté complète ; 2) on ne peut pas le renverser en ce moment, car il repose sur un accord direct et indirect, formel et de fait, avec les Soviets des députés ouvriers et, tout d’abord, avec le Soviet principal, celui de Pétrograd ; 3) on ne peut, d’une façon générale, le « renverser » par la méthode habituelle, car il bénéficie du « soutien » prêté à la bourgeoisie par le second gouvernement, le Soviet des députés ouvriers ; or, ce dernier gouvernement est le seul gouvernement révolutionnaire possible, le seul qui exprime directement la conscience et la volonté de la majorité des ouvriers et des paysans. L’humanité n’a pas encore élaboré, et nous ne connaissons pas jusqu’à ce jour, de type de gouvernement supérieur et préférable aux Soviets de députés des ouvriers, des salariés agricoles, des paysans et des soldats.
Pour devenir le pouvoir, les ouvriers conscients doivent conquérir la majorité : aussi longtemps qu’aucune violence n’est exercée sur les masses, il n’existe pas d’autre chemin pour arriver au pouvoir. Nous ne sommes pas des blanquistes, des partisans de la prise du pouvoir par une minorité. Nous sommes des marxistes, des partisans de la lutte de classe prolétarienne ; nous sommes contre les entraînements petits-bourgeois, contre le chauvinisme jusqu’auboutiste, la phraséologie, la dépendance à l’égard de la bourgeoisie.
Fondons un parti communiste prolétarien ; les meilleurs partisans du bolchévisme en ont déjà créé les éléments ; groupons-nous pour une action de classe prolétarienne, et les prolétaires, les paysans pauvres se rallieront à nous, toujours plus nombreux. Car la vie dissipera chaque jour davantage les illusions petites-bourgeoises des « social-démocrates », des Tchkhéidzé, Tsérétéli, Stéklov et autres, des « socialistes-révolutionnaires », des petits bourgeois plus « purs » encore, etc., etc.
La bourgeoisie est pour le pouvoir unique de la bourgeoisie.
Les ouvriers conscients sont pour le pouvoir unique des Soviets de députés des ouvriers, des salariés agricoles, des paysans et des soldats, pour un pouvoir unique préparé non par des aventures, mais en éclairant la conscience du prolétariat, en l’affranchissant de l’influence de la bourgeoisie.
La petite bourgeoisie - « social-démocrates », socialistes-révolutionnaires, etc., etc. - entrave par ses hésitations cet éclaircissement, cet affranchissement.
Tel est le véritable rapport des forces entre les classes en présence. C’est lui qui détermine nos tâches.
Lénine, « Les tâches du prolétariat dans la présente révolution », in La Pravda, 20 avril 1917.
"La doctrine de la lutte des classes, appliquées par Marx à l’Etat et à la révolution, mène nécessairement à la reconnaissance de la domination politique du prolétariat, de sa dictature, c’est-à-dire d’un pouvoir qu’il ne partage avec personne et qui s’appuie directement sur la force armée des masses. La bourgeoisie ne peut être renversée que si le prolétariat est transformé en classe dominante capable de réprimer la résistance inévitable, désespérée de la bourgeoisie, et d’organiser pour un nouveau régime économique toutes les masses laborieuses et exploitées.
Le prolétariat a besoin du pouvoir d’Etat, d’une organisation centralisée de la force, d’une organisation de la violence, aussi bien pour réprimer la résistance des exploiteurs que pour diriger la grande masse de la population - paysannerie, petite bourgeoisie, semi-prolétaires - dans la "mise en place" de l’économie socialiste."
LENINE, "L’Etat et la révolution" (1917), éd. du Progrès, Moscou, 1967, p. 32-33.
« La marche en avant, c’est-à-dire vers le communisme, se fait en passant par la dictature du prolétariat ; et elle ne peut se faire autrement, car il n’est point d’autres classes, ni d’autres moyens qui puissent briser la résistance des capitalistes exploiteurs. En même temps qu’un élargissement considérable de la démocratie, devenue pour la première fois démocratie pour les pauvres, la dictature du prolétariat apporte une série de restrictions à la liberté pour les oppresseurs, les exploiteurs, les capitalistes. Ceux-là, nous devons les mater afin de libérer l’humanité de l’esclavage salarié ; et il est évident que là où il y a répression, il y a violence, il n’y a pas de liberté, il n ’y a pas de démocratie (...).
La justice et l’égalité, la première phase du communisme ne peut donc pas encore les réaliser ; des différences subsisteront quant à la richesse et des différences injustes. C’est seulement dans la société communiste, lorsque la résistance des capitalistes est définitivement brisée, lorsque les capitalistes ont disparu et qu’il n’y a plus de classes, c’est alors seulement que « l’État cesse d’exister et qu’il devient possible de parler de liberté » (...). Alors seulement, l’État commencera à s’éteindre pour cette simple raison que, délivré de l’esclavage capitaliste, des horreurs, des sauvageries, des absurdités, des ignominies sans nombre de l’exploitation capitaliste, les hommes s’habitueront graduellement à respecter les règles élémentaires de la vie en société, à les respecter sans violence, sans contrainte, sans cet appareil spécial de coercition qui a nom l’État. »
Lénine, L’État et la révolution, 1917.
"Pendant l’été de 1917, je parcourus toute la Russie. De tous côtés s’élevaient les lamentations d’un peuple désolé. (...) Partout je vis l’empreinte et les ravages de la guerre. (...) En Ukraine, nous nous arrêtâmes à un petit village, dans une vallée, et environ trois cents femmes, quarante vieillards et petits garçons et une vingtaine de soldats mutilés s’attroupèrent autour de notre wagon...Je demandai : "Qui d’entre vous a perdu quelqu’un à la guerre ?" Presque toutes les mains se levèrent et une lamentation passa sur cette foule joyeuse. (...) Deux vieux paysans tombèrent en sanglotant contre les roues du wagon, secouant la plate-forme. Un garçon s’écarta de la foule en pleurant : "Mon frère, ils ont tué mon frère !" Et les femmes, abaissant leur platoks sur leurs yeux, ou dans les bras les unes des autres, pleurèrent. (...) Qui aurait pu supposer que derrière ces figures placides il y avait tant de douleur ?
Ce n’était pourtant qu’un des milliers de villages russes que la guerre avait dépouillés de tous les hommes valides. C’était un des innombrables villages où revenaient les blessés mutilés, sans yeux, sans bras. Des milliers ne reviendraient jamais. Ils étaient couchés dans cette grande tombe qui s’étendait sur quinze cents milles, de la Mer Noire à la Baltique. Le front russe contre le front allemand."
Le journaliste américain John Reed, alors présent en Russie, y décrit la situation au début du mois d’octobre 1917 :
"La situation devenait de jour en jour plus chaotique. Les soldats, qui désertaient le front par centaines de milliers, refluaient comme une vaste marée et erraient sans but à travers tout le pays. Les paysans, fatigués d’attendre leurs terres et exaspérés par les mesures répressives du gouvernement, incendiaient les châteaux et massacraient les propriétaires terriens. Des lock-out * et des grèves immenses secouaient Moscou, Odessa et le district minier du Donetz. Les transports étaient paralysés, l’armée mourait de faim et les grandes villes manquaient de pain."
John Reed. "Les 10 jours qui ébranlèrent le Monde." 1919
Lénine devant le Congrès panrusse des soviets
Le 26 octobre ( 8 novembre ) , les délégués des soviets de toute la Russie sont réunis à l’Institut Smolny. La scène est décrite par un journaliste américain acquis aux idées de la révolution bolchevique.
« Il était exactement huit heures quarante, quand un tonnerre d’acclamations annonça l’entrée du bureau, avec Lénine, le grand Lénine. Une silhouette courte, ramassée, une grosse tête ronde et chauve enfoncée dans les épaules, de petits yeux, un nez camus, la bouche large et généreuse, le menton lourd. (...) Son costume était râpé, son pantalon beaucoup trop long. Peu fait, physiquement, pour être l’idole de la foule, il fut aimé et vénéré comme peu de chefs au cours de l’histoire. Un étrange chef populaire, chef par la seule puissance de l’esprit. Sans brillant, sans humour, intransigeant et détaché, sans aucune particularité pittoresque, mais ayant le pouvoir d’expliquer des idées profondes en termes simples, d’analyser concrètement des situations et possédant la plus grande audace intellectuelle.
Kamenev donna lecture du rapport sur l’activité du comité militaire révolutionnaire. (...) Ensuite vint le représentant des mencheviks internationalistes. "Comment, encore vous ?" L’orateur expliqua qu’une partie seulement des mencheviks internationalistes avait quitté le Congrès ; les autres étaient décidés à rester.
– Nous estimons dangereuse, peut-être même fatale pour la révolution, la remise du pouvoir aux soviets (Interruptions). Mais nous considérons qu’il est de notre devoir de rester au Congrès et de voter ici contre elle. (...)
Enfin Lénine se leva. Se tenant au rebord de la tribune, il promena sur l’assistance ses petits yeux à demi fermés, en apparence insensible à l’immense ovation, qui se prolongea plusieurs minutes. Quand elle eut pris fin, il dit simplement :
– Nous passons maintenant à l’édification de l’ordre socialiste.
De nouveau, ce fut dans la salle un formidable déchaînement humain. »
John Reed, Les Dix jours qui ébranlèrent le monde, (publié pour la première fois en 1919), Editions Sociales, 1974.
Antonio Gramsci, témoin italien de la Révolution russe, écrit le 24 novembre 1917 :
"En Russie, le "Capital" de Marx était plutôt le livre de bourgeois que celui de prolétaires. Il était la démonstration critique de la nécessité fatale que se constituât en Russie une classe bourgeoise, que s’ouvrît une ère capitaliste, que s’y instaurât une civilisation de type occidental avant que le prolétariat pût même songer à sa revanche, à ses revendications de classe, à sa révolution (...). La réalité a fait éclater les schémas critiques dans lesquels l’histoire de la Russie aurait dû se dérouler d’après les postulats du matérialisme historique. Les bolcheviks renient Karl Marx, affirment, par le témoignage de leur action (...) que les postulats du matérialisme historique ne sont pas aussi inébranlables qu’on pouvait le penser. Ils ne sont pas "marxistes", voilà tout ; (...)"
Les grands décrets
La paix
"Le gouvernement ouvrier et paysan issu de la révolution du 24-25 octobre et s’appuyant sur les Soviets des députés ouvriers, soldats et paysans, invite tous les peuples belligérants et leurs gouvernements à entamer immédiatement des pourparlers en vue d’une paix démocratique équitable.
Le gouvernement considère comme une paix équitable ou démocratique, comme le désire l’écrasante majorité des classes ouvrières et travailleuses épuisées, tourmentées et martyrisées par la guerre dans tous les pays belligérants, la paix que les ouvriers et les paysans russes ont réclamée de la façon la plus catégorique et la plus opiniâtre après le renversement de la monarchie tsariste, une paix immédiate sans annexion (...) et sans contribution.
Le gouvernement abolit la diplomatie secrète en exprimant pour sa part sa ferme intention de mener tous les pourparlers tout à fait ouvertement, devant tout le peuple et en procédant immédiatement à la publication intégrale des traités secrets ratifiés ou conclus par le gouvernement des propriétaires fonciers et des capitalistes depuis février jusqu’au 25 octobre 1917.
8 nov. 1917."
La terre
"La grande propriété foncière est abolie immédiatement, sans aucune indemnité.
Les domaines des propriétaires, fonciers, de même que toutes les terres des apanages, des couvents, de l’Église, avec tout leur cheptel mort et vif, leurs bâtiment et leurs dépendances, passent à la disposition des comités agraires de cantons et des Soviets des députés paysans de district, jusqu’à que la question soit réglée par l’Assemblée constituante.
Toute dégradation des biens confisqués, qui appartiennent dorénavant au peuple tout entier, est proclamée crime grave, punissable par le tribunal révolutionnaire. Les terres des simples paysans et des simples paysans ne sont pas confisquées.
26 oct. /8 nov. 1917 "
Cité dans REED, John, "Dix jours qui ébranlèrent le monde", Ed. Sociales, 1958.
Février 1917
« Le 23 février, c’est la journée internationale des femmes (...). Le nombre des grévistes est d’environ 90’000. Le lendemain, le mouvement loin de s’apaiser est en recrudescence (...). Les travailleurs (...), au lieu de se mettre au travail ouvrent des meetings puis se dirigent vers le centre de la ville. Le mot d’ordre, “ du pain” est écarté ou couvert par d’autres formules “à bas l’autocratie” et “à bas la guerre “...
Le 26 février est un dimanche (...). Peu à peu les ouvriers opèrent leur concentration et de tous les faubourgs convergent vers le centre (...). Les soldats ont reçu l’ordre rigoureux de tirer et ils tirent (...). « Ne tirez pas sur vos frères et sœurs » crient les ouvriers et les ouvrières et pas seulement cela : « Marchez avec nous ».
Le 27, l’un après l’autre dès le matin (...), les bataillons de la garde se mutinent (...). Çà et là, des ouvriers ont déjà réussi à s’unir avec la troupe, à pénétrer dans les casernes, à obtenir des fusils et des cartouches (...). Vers midi, Petrograd est redevenu un champ de bataille : les coups de fusil et le tac-tac des mitrailleuses retentissent de tous côtés ».
extrait de Trotsky, Histoire de la de révolution russe.
Octobre 1917
“(le 25 octobre), le Comité militaire révolutionnaire engagea les opérations décisives vers deux heures du matin.
Trois membres du comité furent chargés d’établir le plan des opérations (...). Il n’y eut pas de résistance. Vers deux heures du matin, de petits détachements occupèrent l’un après l’autre les gares, les ponts, les centrales électriques, l’agence télégraphique sans rencontrer d’opposition. Les opérations militaires ressemblaient plutôt à des relèves de garde.
Les opérations engagées se déroulèrent sans effusion de sang, il n’y eut pas une seule victime. La ville était parfaitement calme (...).
La séance du congrès reprit à onze heures du soir (...). Brusquement on entend du bruit et une fusillade dans le Palais (d’Hiver) (...). On continue à tirer. Il est près de deux heures (...).
Les membres du gouvernement provisoire se rendirent pour éviter une effusion de sang. “
Extrait de N. Sukhanov, La Révolution russe, 1917.
Messages
1. Textes de la révolution d’octobre 1917, 15 décembre 2010, 13:50, par MOSHE
"Le prolétariat a besoin du pouvoir d’Etat, d’une organisation centralisée de la force, d’une organisation de la violence, aussi bien pour réprimer la résistance des exploiteurs que pour diriger la grande masse de la population - paysannerie, petite bourgeoisie, semi-prolétaires - dans la "mise en place" de l’économie socialiste."
Lénine, "L’Etat et la révolution" (1917)
"J’ai eu l’occasion de le répéter souvent : en comparaison des pays avancés, il était plus facile aux Russes de commencer la grande Révolution prolétarienne, mais il leur sera plus difficile de la continuer et de la mener jusqu’à la victoire définitive, dans le sens de l’organisation intégrale de la société socialiste.