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Les bagnes industriels de l’Automobile

mardi 1er septembre 2015, par Robert Paris

Les bagnes ont fermé eux aussi : admettre la surexploitation, ce n’est pas pérenniser l’emploi !

A l’heure où les patrons, les gouvernants et même certains syndicalistes conseillent aux ouvriers de l’Automobile d’accepter la dégradation des conditions de travail et des salaires, soi-disant pour pérenniser les emplois, il est bon de rappeler que la plupart des bagnes pour ouvriers de l’Automobile ont fermé en licenciant massivement les salariés !

Qui se souvient du bagne Berliet, du bagne Panhard, du bagne Citroën, du bagne Renault, du bagne Talbot, du bagne Chausson, du bagne Camion Unic, etc.

On se souvient dans l’Automobile des fermetures des plus importants bagnes ouvriers comme Panhard Porte d’Ivry, Camion Unic Trappes, Citroën Quai de Javel, Darracq quai de Suresnes. Chausson Creil-Asnières-Gennevilliers, Renault Billancourt-Ile Seguin, Renault Vilvoorde, PSA Aulnay, Berliet Vénissieux…

Voici le bagne Toyota

Les bagnes industriels de l’Automobile

PSA Aulnay c’était le bagne Citroën

« Cette usine est restée coupée du monde extérieur pendant dix ans. Entre 1972, date de la sortie de la première voiture Citroën des chaînes d’Aulnay-sous-Bois, et 1982, […] ce fut pour les capitalistes, une usine modèle. Une usine où les patrons régnaient sans partage et où les travailleurs travaillaient sans espoir. Oui, une usine modèle. Aveugle. Plantée au milieu de dizaines d’hectares de terrains isolés par deux autoroutes et une voie ferrée. Des façades comme des remparts contre les regards indiscrets. D’immenses parkings profonds de plusieurs centaines de mètres. Des kilomètres de grillages sur plusieurs rangées. Des murs sombres. Des vitres teintées. Un camp retranché. La direction désignait par les mots guerriers de poste avancé ce que dans les autres usines on appelle plus pacifiquement postes de gardiennage. Le goulag en quelque sorte, un goulag industriel au visage capitaliste. »
C’est ainsi que le documentaire Haya ! de Claude Blanchet décrit l’usine Citroën d’Aulnay. Crée dans l’après 1968, le site avait été conçu méticuleusement de façon à éviter tout conflit social et à opérer ainsi une rupture radicale avec l’expérience du cycle de luttes ouvert par 1968. En plus de l’isolement géographique décrit ci-dessus, une soigneuse sélection du personnel avait privilégié l’embauche d’ouvriers immigrés (dont une majorité de Marocains) qu’on allait souvent recruter directement dans leur pays d’origine. Le profil idéal était celui du paysan illettré, censé être plus docile et n’avoir aucune tradition de lutte. Parmi les ouvriers français, mutés depuis les usines du quai de Javel, on procédait à des enquêtes poussées afin de s’assurer que les travailleurs affectés n’avait aucun passé syndical ou gréviste.

Une nouvelle méthode de gestion industrielle, importée d’un autre groupe automobile acheté par Citroën quelques années auparavant, y avait été mise en place : le « modèle Simca ». Ce « modèle » consistait en une combinaison perverse entre une sorte de paternalisme patronal qui prônait l’idée que l’usine était « une grande famille », à laquelle les ouvriers devaient leur « loyauté », et une répression féroce assurée en grande partie par l’existence d’un syndicat « indépendant ». Le syndicalisme indépendant, né dans l’après-guerre de la fusion d’une partie de la droite française et de militants syndicaux ayant soutenu la Charte du Travail mise en place par le gouvernement de Vichy, était marqué par une forte idéologie anticommuniste et prônait une collaboration directe entre les travailleurs et le patron. Chez Simca Poissy (future Talbot) comme à Citroën Choisy [3], il s’incarne dans la section de la Confédération Française du Travail (CFT), dont les militants occupaient des postes importants dans la direction du personnel. Ceux-ci affichent une proximité politique avec le gaullisme et arrivent même à élire cinq députés à l’Assemblé Nationale aux élections législatives de 1958, connus comme les « députés Simca ».
A Aulnay une section CFT est également mise en place dès la création de l’usine. La Confédération change de nom en 1977 suite au meurtre par balle d’un gréviste, syndiqué CGT, sur un piquet de grève aux Verreries Mécaniques Champenoises. Elle s’appellera désormais Confédération des Syndicats Libres (CSL). En plus, la direction dispose d’un puissant système de contrôle notamment à travers des agents de secteur, choisis par elle et chargés de faire l’interface entre les ouvriers et l’encadrement, court-circuitant le rôle des délégués syndicaux. Ce dispositif compte encore sur un service intérieur, dont les dirigeants sont surnommés les « chaussettes à clous », une espèce de milice patronale chargée de réprimer brutalement les délégués des syndicats adversaires et de maintenir une coercition physique sur les salariés.
Les ouvriers subissent ainsi un climat de terreur permanent à l’usine, qui explique en partie l’apparition de la figure du « mouchard », c’est-à-dire de l’ouvrier soumis à l’agent de secteur et au dictat des militants de la CSL, prêt à tout pour tenter de sauver sa peau individuellement. Un régime de faveurs se met en place où ces pseudo représentants exigent des cadeaux aux ouvriers – souvent un plat de couscous ou une bouteille de Ricard – comme prix de leur « bienveillance », ce qui ne remplace pas, bien entendu, l’acte premier de loyauté exigé des ouvriers : l’affiliation à la CSL. La carte d’adhésion de la Confédération jaune était d’ailleurs surnommée « la petite carte de la tranquillité ». Le tout étant encore recouvert d’une bonne dose de racisme contre les ouvriers immigrés (environ 80% des OS), traités le plus souvent « d’esclaves ». Des témoignages de l’époque racontent que certains chefs se permettaient d’exiger que les ouvriers se mettent à genou devant eux et embrassent leurs mains. C’est dans ce contexte d’oppression extrême et d’humiliation que le soir du 22 avril 1982 une goutte fera déborder le vase…

Quand la CFT éliminait les gêneurs à Peugeot
De la CGT à la CFT
La CFT devenue aujourd’hui SIA, c’est le syndicat jaune de la direction de Peugeot, le syndicat fasciste. La CSL, ex CGSI en 1959, ex C F T en 1973 , ex S N A en 1980 , ex C S L en 1994 ( le nom change à chaque meurtre). Car c’est un syndicat qui tue les militants et les ouvriers combatifs !!!
Historique de la CFT

L’Ile Seguin de Renault ou « l’île du diable » !

Pour la presse ouvrière, l’usine Renault de Billancourt, c’était le bagne Renault (en concurrence avec le bagne Citroën) et l’Ile Seguin, « l’île du diable ». La direction de Renault combattait violemment les militants ouvriers au point qu’en 1931, selon les archives mêmes de la CGT, la section syndicale de Renault y aurait compté au total 60 adhérents, la cellule du PC, seulement 19 ! Sur 33.000 ouvriers !!!

Dans l’usine même se dresse la maison « des flics », bâtiment de plusieurs étages où se trouve un corps de garde où les flics du patron, les « pinkertons » de Renault viennent au rapport prendre les consignes pour leur sale besogne anti-ouvrière.

Peugeot Mulhouse, un bagne ouvrier actuel

L’exemple de Peugeot Mulhouse en dit long sur les prérogatives du patronat en terme de gestion du salariat, dans les différentes usines du groupe, tout un programme.
La bourgeoisie et leurs valets du MEDEF, mettent au point la rentabilisation des anciens.
En effet, le groupe Peugeot Citroën Automobile, a toujours été à la pointe en terme de gains de productivité. La mise en place de financiers comme Jean-Martin Foltz, n’est pas le fruit du hasard, les projets pour les 10 années à venir sont réductions des coûts, sous-traitance de toutes les activités qui ne sont pas liées à l’automobile, gestion de la main d’œuvre. C’est tout d’abord les jeunes ouvriers avec un niveau élevé d’intérimaires, entre 2 et 3000 en permanence, à tel point que les ouvriers qui arrivent à 18 mois de contrat peuvent alors aller travailler chez un sous - traitant de Peugeot tel que Faurécia qui font les siéges pour les 307 et revenir au bout de 6 mois se faire exploiter sur les chaînes à Mulhouse et ceci sans jamais se fiare embaucher en CDI. Et le Lion reste actionnaire majoritaire chez les sous-traitants, à hauteur de 75 pour cent pour Faurécia par exemple.
Avec la fermeture des fonderies, bientôt des forges et pour finir les mécaniques tout le projet de désengagement du groupe se nomme "recentrage sur le sur le métier de l’automobile".
L’autre grand projet, est la remise en production de tous les seniors qui trop usés par le travail avaient été mutés dans des secteurs de préparation ou de nettoyage, et ce jusqu’à leur retraite. Mais avec la politique de profits, toutes ces activités ont été externalisées et les anciens se retrouvent en ligne de montage avec toute les conséquence que cela peut avoir sur leur santé physique et morale. Nous savons que l’intensification des charges de travail a explosé depuis la mise en place des 35 heures chez Peugeot, et pour en juger il suffit de voir le niveau de la production journalière qui est passée de 1200 voitures jour avant la RTT à 1800 voitures après. Et avec la réduction des effectifs, coller les seniors en chaînes c’est les amener à l’abattoir.
Le projet d’amélioration des postes de travail, et le tout ergonomique
Partout dans les médias PSA fait le forcing , en faisant de la pub sur le travail en chaînes avec des postes que tout le monde peut tenir, homme, femme, salarié âgé, et bientôt les enfants (?), n’en déplaise à l’hebdomadaire patronal Entreprises et carrière , les cadences sont infernales pour tous, et encore plus sur les nouvelles lignes de montage ou le stress est multiplié par dix avec des charges de travail calculées au maximum du temps. En d’autres termes, à peine tu as fini un véhicule qu’il faut courir à l’autre au risque de gêner l’autre poste de travail, ce qui dans le langage des travailleurs se dit "couler".

Nous avons tous remarqué le lien entre ergonomie, RTT et intensification des charges de travail. La réalité c’est que tout le monde crève, et pour preuve quand Thierry Roger, responsable ergonomique industrielle au service des conditions de travail, un département rattaché à la D.R.H de P.S.A.dit que "l’ ergonomie a commencé à faire son entrée dans l’ entreprise il y a une vingtaine d’années mais une impulsion décisive à son développement a été donnée en 2000, lorsque la direction a souhaité conserver davantage les salariées âgés au travail" .

Ça, au moins, c’est claire. L’objectif de Peugeot et du patronat est d’exploiter les salariés jusqu’après 60 ans sur les chaînes.
Citons juste un chiffre qui a été donnée au C.E. dans le bilan social, sur le nombre de décès dans l’entreprise. En 2000 il était de 11. En 2001 il est passé à 22. "Mais ce n’est pas le travail qui les a tué", dit la direction.
Mais pour mieux faire passer son projet, la direction a soumis un accord sur l’amélioration des conditions de travail permanentes, et le patron a reclassé les salariés âgés sur les chaînes de montage.

Tous les syndicats ont paraphé cet accord, à l’exception de la C.G.T du groupe. Mais la non signature de la C.G.T. est du uniquement au fait que Jean-Martin Foltz avait dit lors d’ une conférence de presse que l’ont pouvait faire travailler les salariées en ligne au delà de 60 ans. Le fait que la direction CGT n’ait pas signé est donc lié à la colère des ouvriers dans les ateliers suite à cette annonce.
Les outils des ergonomes pour toujours plus nous faire courir après les voitures .
Le premier se nome E.C.M. ( évaluation des condition de montage ). Le second, le plus pervers, est un outil de cotation des postes par difficulté de montage, sous le nom de METEO. Le but est de classer les postes sur une base qui va de 1 à 5 .

Le système a été élaboré chez Renault, toutes ses formules existent dans l’objectif de faire croire au travailleurs et à leurs organisations syndicales que la direction est de bonne foi.
Foutaise que tout cela, ces systèmes et leur calcul savant servent uniquement à cacher le taux d’exploitation des anciens comme des plus jeunes.

Idem pour les médecin du travail qui avalisent et laissent les seniors à des postes en chaîne et bien souvent ils sont atteints de maladies cardiaques, ou des problèmes de dos, et des troubles musculo-squelettiques ( T.M.S. ). Il est courant de voir des seniors se faire licencier, pour absences nombreuses et répétées, vu qu’ils n’arrivent plus à récupérer des cadences infernales imposées chez Peugeot .
Le rôle des syndicaliste-révolutionnaires est de tout mettre en oeuvre pour que les tauliers prévoient des postes hors chaînes, pour les anciens et se battre collectivement pour une vraie retraite à 55 ans voir 50 ans. Les profits engrangés par P.S.A. le permettent largement, mais cette lutte c’est à une échelle interprofessionnelle qu’elle doit s’articuler. Sinon le risque existera que les anciens sortent de plus en plus jeunes des bagnes salariaux, mais les pieds devant.
Ne laissons pas le patronat et le capital nous faire crever au boulot.

Le bagne Toyota

Les bagnes industriels modernes

Le bagne Dubaï

Bagne industriel au Cambodge

Bagnes pour enfants

Les bagnes du textile

La lutte contre les nouveaux bagnes du textile

De l’usine Simca à la liquidation de Triaxe

Dans les années 1960, Simca installa une unité de construction automobile à Périgny. Cette usine regroupait plus de 3 000 employés et faisait vivre un important tissu de sous-traitants industriels locaux

Syndicat maison
Un syndicat "maison", la CFT, future CSL, est implanté. Il est chargé de mettre en oeuvre la "doctrine simca" :
« à côté des actionnaires et des clients [qui] accordent leur confiance à Simca, […] les employés [doivent] témoigner de leur foi en Simca en y investissant leur temps et leur énergie ». Sont mis en avant "16 points caractéristiques d’une politique sociale, où rien n’est oublié, ni les principes moraux – « franchise [et] équité » –, ni les conditions de salaire et de travail – « de bons salaires, des primes intéressantes, un travail humainement réalisable, des horaires humains » –, ni les perspectives professionnelles – « la formation continuelle, la promotion au mérite, la reconnaissance de l’ancienneté » –, sans oublier « l’aide sociale, l’effort mutuel, l’esprit d’équipe » ; restent les garanties comme « le recrutement et l’avancement impartiaux, la notation objective, la libre communication entre la direction et les employés, des emplois stables »" (cité par Jean-Louis Loubet et Nicolas Hatzfeld « Poissy : de la CGT à la CFT », Vingtième Siècle. Revue

En échange de quoi les salariés ont tout intérêt à obéir aux patrons et à exclure tout mouvement revendicatif de leur comportement.
"La CFT est "un syndicat à la fois central et unique. Central parce que ses hommes occupent des fonctions de responsabilité au sein même de la direction du Personnel, devenant ainsi tout autant juge que parti. Unique parce que les autres formations n’ont plus d’écoute, littéralement balayées par des Indépendants omniprésents qui vont jusqu’à infiltrer les syndicats concurrents pour mieux les affaiblir" (Jean-Louis Loubet et Nicolas Hatzfeld, op. cité). Il s’agit en effet de lutter -par tous les moyens- contre la CGT.
C’est un "syndicat patronal aux tendances musclées, voire fascisantes" écrit James Connolly

Le bagne SIMCA

Témoignage d’ouvrier sur le bagne PSA Mulhouse durant la canicule de l’été 2015 :

« En vingt-cinq ans d’ancienneté, jamais je n’avais vu un tel mépris de la part d’une direction envers les salariés ! Lors de la semaine 27, la première de juillet, malgré une température avoisinant les 40 degrés (voir au-delà), la direction n’a pas hésité à faire travailler tous les salariés de PSA dans des conditions avoisinant celles du bagne de Cayenne ! Mais bien entendu, pour se donner bonne conscience, nous avons eu droit, sous l’air chaud propulsé par quelques ventilateurs, à une bouteille d’eau fraîche réchauffée au bout de dix minutes ainsi qu’un laps de temps analogue nommé pudiquement « Arrêt chaleur ». Le tout arrosé copieusement par les bruits assourdissants d’engins de chantier accompagnés d’odeurs pestilentielles dues aux travaux de démantèlement d’une des lignes de montage. Mais la cerise sur le gâteau fut l’invasion d’un nuage de fumée toxique qui, faisant fi de la bâche ridicule sensée nous protéger desdits travaux, a intoxiqué la majeure partie des salariés de la tournée B. Avant qu’un danger grave et imminent ne soit déposé, la direction n’a pas trouvé mieux que de distribuer des masques en papier filtre… qui ne servaient à strictement rien car ce type de protection ne filtre que l’air expiré et non celui que nous inspirons ! Par contre, ce qui me révolte et me sidère à la fois, ce sont les consignes audiovisuelles adressées aux personnes en cas de canicule (« Buvez de l’eau et fermez vos volets ». « Ne faites pas de sport », etc., etc.) Ainsi vous serez protégés … quand vous serez chez vous ! Ce qui sous-entend qu’au boulot on peut crever. On a l’impression qu’il faudrait attendre qu’il y ait des morts pour que les choses changent et, sans vouloir être alarmiste, c’est ce qui finira par arriver tôt ou tard. Le comble de l’idiotie est que les pannes techniques qui se sont succédé (dont une avoisinant les deux heures) ont affiché des pertes énormes pour la direction. Mais comme à son habitude, celle-ci n’a pas hésité à réitérer vers un nouveau plan de mesures d’heures supplémentaires gratuites à gogo le 14 juillet, sur deux équipes avec une amplitude horaires de 10 heures de travail, afin de tenter de combler les « retards ». Dans ce contexte lorsqu’on entend des intérimaires qui ne demandent qu’à partir, même en sachant que ce qui les attend est le chômage et la précarité, on peut les comprendre ! Et dans le même temps, dans les équipes, il manque du monde partout, l’absentéisme atteint des niveaux historiques, tous les jours les secteurs démarrent avec du retard, ce qui en dit long sur le ras-le-bol des ouvriers. C’est seulement dans ce contexte qu’on peut comprendre pourquoi la direction se voit obligée de faire venir une centaine d’intérimaires pour le seul montage (alors qu’elle venait de faire partir 450 sur toute l’usine), histoire de combler les « trous » sur la chaîne. On aurait mieux fait de garder et d’embaucher tous les intérimaires, en partageant le travail qui ne manque pas ! Forcer un être humain à travailler dans un four, c’est de la torture, et il serait peut-être temps que le gouvernement prenne de sérieuses mesures afin d’éviter qu’une hécatombe ne se produise un jour. Mais vu que celui-ci est à la botte du Medef, on peut rêver… Il faudra plutôt compter sur nos propres forces, sur cette colère sourde qui s’accumule et qui risque d’exploser tôt ou tard dans un cri de révolte. Et que ceux qui nous massacrent et nous torturent tous les jours ne se plaignent pas si cette explosion s’avère plus que violente. »

Un récit sur le bagne Citroën de Clichy :

« Autrefois le ciel de Clichy se noircissait des fumées de la fonderie Citroën. Dans les années 1950, 5000 ouvriers travaillaient dans ces usines. Pierre Aptel faisait partie de cette main d’oeuvre. Il entre à l’usine en 1949. « Il y avait des annonces partout dans la presse, ça embauchait à tour de bras. » Pierre Aptel pose candidature au R.M.O (réparation machine outils).
« A l’époque les C.V n’existait pas, le baratin faisait tout. Il fallait faire un essai : réaliser une pièce sur une machine. » « L’usine c’était le bagne. » Le jeune homme de 24 ans, fabrique des prototypes, des moulages, pour les machines et les outils qui produieront les voitures. « Citroën m’a formé, j’ai gravit des échelons, ils m’ont offert un stage dans un lycée technique. » En 1956 Citroën lance la D-S. Pierre Aptel devient alors pointeur-fraiseur et conçoit les entre-axes pour les nouvelles voitures. Pierre Aptel reste huit ans à l’usine de Clichy. Les souvenirs sont mauvais. « L’usine c’était le bagne, la prison, je voulais me tirer ! La vie était pas marrante à l’époque, il y avait plein d’arrivistes qui s’imaginaient passer leurs vies las-bas. » Monsieur Aptel travaillait « à la gamme ». Les ouvriers de l’atelier étaient surveillés par des préparateurs et des chronométreurs. Des méthodes contraignantes pour obtenir le meilleur rendement possible. Les ouvriers travaillent 8 heures par jour, et parfois le samedi en heures supplémentaires. Les usines Citroën avait ouvert en 1925, les bâtiments occupaient tout le quartier Mozart d’aujourd’hui. Durant la seconde guerre mondiale, des femmes y fabriquaient des obus pour l’armée allemande. Par la suite, l’usine produit des 2 chevaux et 3 chevaux. Les bâtiments ferment leurs portes en 1986, beaucoup sont détruits, d’autres rapidement reconvertis en logements. En 61 ans, un seul conflit social important paralysera le site : Mai 68. Une grande manifestation fut organisé avec plusieurs entreprises du secteur. Ils seront plus de 2000 métalos à défiler entre Clichy et Levallois Perret, ville où se trouvait le siège social de la marque aux chevrons. « Les grèves c’était surtout Renault, l’esprit de Citroen était paternaliste. » raconte Pierre Aptel.

Un témoignage de 1930 sur le bagne de Renault Billancourt :

« Il nous faut jeter un coup d’œil sur l’importance de l’industrie automobile et sur quelques aspects actuels du bagne de Billancourt. L’industrie automobile tient, en France, une grande place. La production du nombre d’automobiles a sans cesse été croissant. En 1928, il fut construit 225.000 autos. La part de Citroën, dans le total, était de 40%, celle de Renault de 30%. Les exportations ont subi le contrecoup de la crise mondiale : la valeur des ventes à l’extérieur était, en 1927, de 1 milliard 500 millions ; en 1928, de 1 milliard 340 millions ; en 1929, de 1 milliard 239 millions de francs. Ces chiffres, en valeur absolue, montrent déjà l’importance de cette branche, et le rôle considérable que les ouvriers de cette industrie sont appelés à jouer dans le mouvement révolutionnaire. La nécessité d’une puissante organisation des ouvriers de l’automobile s’accroît encore du fait de la concentration croissante des firmes : des trusts comme ceux de Chenard et Walker, Ariès, Rosengart, Delahaye ont été formés ; des grosses boîtes comme Citroën, Renault groupent des milliers d’exploités. Il y a, en France, d’après les statistiques officielles, 935.000 métallurgistes, dont 135.000 pour l’automobile. Le département de la Seine groupe à lui seul plus du tiers des « métallos » : 330.000 travailleurs dont 47.000 femmes. Renault emploie 30.000 ouvriers, Citroën 25.000, de tous âges, de toutes races, de toutes nationalités. C’est dire que sur 12 métallos parisiens il y a un ouvrier qui travaille chez Renault et un qui travaille chez Citroën. Les usines Renault s’étendent comme une énorme tâche grise dans la localité travailleuse de Boulogne-Billancourt. Elles longent les rives de la Seine sur plusieurs centaines de mètres. Elles comprennent des dizaines de rue, comme une véritable ville. Elles groupent plusieurs centaines d’ateliers. On y voit aussi le bureau du personnel, où règnent le directeur Duvernois et son alter ego, un Russe blanc, nationalisé, ancien socialiste de la section de Meudon, un type de policier sans scrupule et cynique, Gautheff. Dans l’usine même se dresse la maison « des flics », bâtiment de plusieurs étages où se trouve un corps de garde où les flics du patron, les « pinkertons » de Renault viennent au rapport prendre les consignes pour leur sale besogne anti-ouvrière. Le groupe d’usines et d’ateliers est appelé, par l’ensemble des prolos, « la grande usine ». A côté, sur les rives de la Seine, un grand bâtiment se dresse. C’est l’usine annexe, l’usine O, où sont les ateliers dits de luxe, la sellerie où peinent des centaines d’ouvrières et d’ouvriers. Puis, plus loin, de la Seine, émerge une île, l’île Séguin (sic). Elle fut pendant longtemps un refuge pour les amoureux qui, le dimanche, amarraient sur ses rives leur canot et y descendaient. Aujourd’hui, tout a changé. Le capitalisme a posé sa griffe sur ce coin charmant. Renault vient d’y faire construire une vaste usine de 700.000 mètres carrés, une paille ! Tous les ateliers de montage seront groupés dans cette île, au lieu d’être, comme ils le sont actuellement, disséminés dans les autres usines. Un seul pont de fer jette sa masse imposante entre l’usine et la rive de la Seine. Ainsi, le bagne est gardé par les eaux du fleuve comme les châteaux-forts anciens. L’esclavage n’a fait que changer de forme. L’île Seguin ? Ce nom sonne aux oreilles des ouvriers de chez Renault comme celui d’un nouvel enfer auprès duquel les autres usines paraissent accueillantes. L’exploitation y est renforcée, la surveillance et le mouchardage plus grand (sic), la peine plus dure, le chronométrage plus intensif. L’île Seguin ? C’est l’usine américanisée au plus haut degré ; on n’y a pas été gêné, pour rationaliser, par les traditions et les vestiges du capitalisme d’antan. Là, tout est mécanique, automatique. C’est l’usine-cobaye où s’étudie le perfectionnement journalier de l’exploitation des ouvriers. »

L’usine Berliet selon Georges Navel :

« Les gardiens font de l’usine un véritable bagne : police interne l.20 restriction des libertés : surveille les ouvriers accroupis pour qu’il ne fume pas Et admiration pour l’industrialisation L’usine en impose, par sa beauté dans la proportion, avec de grands halls, très lumineux, et il y a aussi tous l’esthétique sensible comme peut lettre un intellectuel. Tous les ouvriers sont habillés de la même façon avec un uniforme. L’industrie lui plait, il trouve sa jolie, il y a aussi une sensibilité musical dans le bruit des machines. Mais il en déplore les conditions sur les ouvriers Berliet, bagne industrielle Double statut d’industrielle et d’ouvrier et grand partisan du communisme libertaire : on peut remettre en doute tout ce qu’il avance, notamment sur l’aspect dramatique des conditions ouvrières, à n’importe qu’elle saison : monotonie ouvrière. »

Un ouvrage sur le bagne Citroën :

Extrait de « L’établi » de Robert Linhart :

« Le premier jour d’usine est terrifiant pour tout le monde, beaucoup m’en parleront ensuite, souvent avec angoisse. Quel esprit, quel corps peut accepter sans un mouvement de révolte de s’asservir à ce rythme anéantissant, contre nature, de la chaîne ? L’insulte et l’usure de la chaîne, tous l’éprouvent avec violence, l’ouvrier et le paysan, l’intellectuel et le manuel, l’immigré et le Français. Et il n’est pas rare de voir un nouvel embauché prendre son compte le soir même du premier jour, affolé par le bruit, les éclairs, le monstrueux étirement du temps, la dureté du travail indéfiniment répété, l’autoritarisme des chefs et la sécheresse des ordres, la morne atmosphère de prison qui glace l’atelier…. Trois heures et demi. Qu’est-ce que c’est que ça, encore ? L’atelier est envahi. Blouses blanches, blouses bleues, combinaisons de régleurs, complets-veston-cravate... Ils marchent d’un pas décidé, sur un front de cinq mètres, parlent fort, écartent de leur passage tout ce qui gêne. Pas de doute, ils sont chez eux, c’est à eux tout ça, ils sont les maîtres. Visite surprise de landlords, de propriétaires, tout ce que vous voudrez (bien sûr, légalement, c’est des salariés, comme tout le monde. Mais regardez-les : le gratin des salariés, c’est déjà le patronat, et ça vous écrase du regard au passage comme si vous étiez un insecte). Élégants, les complets, avec fines rayures, plis partout où il faut, impeccables, repassés (qu’est-ce qu’on peut se sentir clodo, tout à coup, dans sa vareuse tachée, trouée, trempée de sueur et d’huile, à trimbaler des tôles crues), juste la cravate un peu desserrée parfois, pour la chaleur, et un échantillon complet de gueules de cadres, les visages bouffis des vieux importants, les visages studieux à lunettes des jeunes ingénieurs frais émoulus de la grande école, et ceux qui essayent de se faire la tête énergique du cadre qui en veut, celui qui fume des Marlboro, s’asperge d’un after-shave exotique et sait prendre une décision en deux secondes (doit faire du voilier celui-là), et les traits serviles de celui qui trottine tout juste derrière Monsieur le Directeur le plus important du lot, l’arriviste à attaché-case, bien décidé à ne jamais quitter son supérieur de plus de cinquante centimètres, et des cheveux bien peignés, des raies régulières, des coiffures à la mode, de la brillantine au kilo, des joues rasées de près dans des salles de bain confortables, des blouses repassées, sans une tache, des bedaines de bureaucrates, des blocs-notes, des serviettes, des dossiers... Combien sont-ils ? Sept ou huit, mais ils font du bruit pour quinze, parlent fort, virevoltent dans l’atelier. Le contremaître Gravier a bondi hors de sa cage vitrée pour accueillir ("Bonjour, Monsieur le Directeur... blablabla... Oui, Monsieur le Directeur... comme l’a dit Monsieur le chef de service adjoint de... prévenu... les chiffres... ici... la liste... depuis ce matin... blablabla... Monsieur le Directeur") et Antoine le chef d’équipe court aussi se coller à la troupe, et même Danglois, le régleur du syndicat jaune, sorti d’on ne sait où, ramène sa blouse grise et son tas de graisse pour accompagner ces messieurs. Et tout ce beau monde va, vient, regarde, note, vous bouscule au passage, envoie chercher ceci, envoie chercher cela.
Au milieu, leur chef, Monsieur le directeur de je ne sais plus quoi (mais très haut dans la hiérarchie Citroën, proche collaborateur de Bercot, s’il vous plaît), Bineau. Gros, l’air autoritaire, sanglé dans un complet trois pièces sombre, rosette à la boutonnière. Il a une tête de type qui lit le Figaro à l’arrière de sa DS noire étincelante, pendant que le chauffeur à casquette fait du slalom dans les embouteillages. Il mène la danse, Bineau. L’air pas commode avec ça : on n’aurait pas intérêt à essayer de lui raconter des histoires. Regard perçant, ton cassant, soyez précis, soyez bref, je comprends vite, mon temps c’est beaucoup d’argent, beaucoup plus que vous n’en verrez passer dans l’année. Un vrai meneur d’hommes. Mieux : un manager. L’œil fixé sur la courbe irrégulière du cash-flow. »

Lire « L’établi »

Un tract en 1904 à Renault Billancourt :

« Les ouvriers sont exposés chaque jour à la mort. Accident mortel au tour vertical, la semaine dernière et à l’atelier 82, où se trouve la fonderie de fonte douce, un ouvrier fut tué le vendredi 4 février, écrasé par une lourde pièce dont l’élingue qui la retenait au palan venait de se rompre. « Partout c’est le manque de sécurité » ! Un autre ouvrier de l’usine ajoute : « ̃Au centre du vestiaire des ateliers qui rentrent par la porte D, rue Emile-Zola, se trouve un condensateur à vapeur, et il suffit que celui-ci éclate au moment où les ouvriers se déshabillent pour que de nouvelles victimes allongent la liste rouge de chez Renault. Les conversations se poursuivent, chacun apportant de nouveaux faits sur les accidents qui viennent d’avoir lieu : 8 ouvriers sont morts, tel est le tragique bilan de la rationalisation capitaliste aux usines Renault. Comme chez Talbot et Voisin, on invoquera la fatalité ? C’est faux ! Ce sont les effroyables conditions de travail, c’est la cadence effrénée de la production, c’est l’insécurité notoire qui, chaque semaine, occasionnent des accidents mortels au bagne de Billancourt ! Devant cette nouvelle catastrophe, qui atteint directement tout le prolétariat de la métallurgie, la Fédération unitaire et son Syndicat de la Seine appellent les ouvriers des bagnes industriels à organiser la lutte pour arracher l’institution DE DELEGUES OUVRIERS A L’HYGIENE ET A LA SECURITE, élus par les travailleurs eux-mêmes ! Pour signifier au patronat et à Renault votre volonté de lutte contre cette rationalisation qui tue et vous affame, TENEZ-VOUS PRETS A ASSISTER EN MASSE AUX OBSEQUES ! »

Un article du « Nouvel Observateur » du 20 mars 1972 :

Les patrons découvrent "l’usine-bagne".

On savait que le travail des O.S. était infernal. Il n’a même pas l’excuse d’être le plus rentable, affirment les patrons "modernes".

Mettre treize petites fiches dans treize petits trous, soixante fois par heure, huit heures par jour. Souder à la pince 67 pièces de tôle par heure et se voir placé un jour devant une nouvelle bécane qui en réclame 110. Monter 100 bobines par heure sur 100 voitures ou poser trois fois sept boulons toutes les minutes. Travailler dans le bruit, « à la limite de sécurité », dans un brouillard d’huile, de solvant, de poussière métallique. Devoir négocier le droit d’aller pisser ou, subrepticement, se soulager derrière la grande presse pour ne pas perdre le rythme et le boni. Devoir accélérer la cadence pour gagner le temps de se moucher ou de s’enlever une poussière dans l’œil. Avaler un sandwich assis dans la graisse parce que la cantine est à dix minutes de là et qu’il n’y en a que quarante pour manger. Perdre, sitôt passé le portail de l’usine, la liberté d’opinion, de réunion, d’association, de parole que la constitution, paraît-il, garantit. Obéir sans réplique, subir des sanctions sans appel, être affecté aux tâches les plus pénibles quand votre tête ne revient pas au chef. Etre O.S. (1).

Se demander tous les matins comment on tiendra jusqu’au soir, tous les lundis comment on tiendra jusqu’au samedi. N’avoir la force, rentré chez soi, que de regarder la télé et se dire qu’on mourra sûrement idiot. Avoir 22 ans et se dire qu’on sera encore O.S. à 60 ans si l’on n’est pas estropié ou tué avant. Etre aussi vieux, biologiquement, à 40 ans, ou même à 35, qu’un bûcheron de 65 ans. Avoir envie de tout casser une fois par jour au moins ; se prendre en horreur parce qu’on accepte de perdre sa vie pour survivre et craindre par-dessus tout que cette rage qui monte en vous ne finisse par se calmer et qu’en fin de compte les gens aient raison lorsqu’ils disent : « Bah, on se fait à tout. Il y a cinquante ans que ça dure. Pourquoi est-ce que ça changerait maintenant ? »

Mai 68 n’était pas un accident

C’est la question que se posait le patronat français, il y a dix mois encore. Une alerte particulièrement chaude le fit soudain changer d’avis. Cela se passa en mai 1971. Le grand thème de mobilisation, à l’époque, c’était, croyait-on, la retraite à 60 ans. Mais il y avait des ouvriers pour qui la retraite c’était comme la fin du monde., Ils avaient 20, 30 ou 40 ans. Ils se disaient : « S’il faut continuer comme ça jusqu’à la fin de la cinquantaine, autant crever tout de suite. » Ces ouvriers avaient déjà fait parler d’eux aux Batignolles, chez Ferodo, chez Moulinex ou à la Polymécanique de Pantin. Mais Nantes ou Condé-sur-Noireau, c’était loin, La Polymécanique c’était petit. C’est en mai, seulement, quand les O.S. du Mans partirent en grève, que le patronat devint vraiment inquiet. Renault en grève, cela risquait de faire tache d’huile. L’affaire était extrêmement sérieuse.

On a appris depuis que cette grève de cinq semaines a traumatisé le patronat autant que Mai 1968 que, dans la crainte d’un nouveau Mai, un dispositif d’urgence avait été mis en place dans le pays ; que (comme le rappelait « le Monde » du 27 février), pour empêcher l’occupation de Renault-Billancourt, des commandos extérieurs de cégétistes étaient venus prêter main-forte à leurs camarades débordés de l’intérieur de l’usine ; que le renforcement des services de sécurité, la chasse aux militants (maos ou non), les mises à pied pour un oui ou un non avaient dans cette longue grève loupée leur origine. La Régie Renault n’est plus pareille depuis. Le reste du patronat non plus.

Combien de temps, en effet, peut-on gouverner une usine par l’intimidation ou la répression ? Que vaut le travail exécuté avec un chef dans le dos, sous la menace des sanctions et les brimades ? Quel est le coût de ce climat de caserne en termes de pièces loupées, de sabotages discrets, d’accidents corporels, de casse, de perturbations quotidiennes, de difficultés croissantes pour remplacer les ouvriers qui s’en vont ? Que devient un pays industriel qui doit chercher sa main-d’œuvre jusqu’en Afrique australe parce que ses propres citoyens, même chômeurs, refusent le bagne des usines ?

Ces questions, c’est aujourd’hui le C.N.P.F. qui se les pose. Depuis la révolte du Mans, en mai 1971, il sent que la classe ouvrière échappe à sa prise, que Mai 1968 n’était pas un accident, que les instruments du pouvoir patronal se désagrègent. La répression ne suffit plus : elle conduit à l’escalade. Si l’on poursuit dans cette voie, bientôt « l’ordre » des usines ne pourra être maintenu qu’en étendant au reste de la société leur « fascisme » – et encore. Ce fascisme – « d’un type nouveau », cela va de soi –, auquel la majorité du patronat songe parfois comme à un moindre mal, sa minorité pensante sait bien qu’il ne réglerait aucun problème : voyez les soulèvements d’ouvriers en Espagne ; voyez les insurrections ouvrières de Cordoba (Argentine). Et puis le fascisme, ce n’est pas bon pour les affaires. C’est vraiment le dernier expédient, barbare, quand toutes les autres méthodes de domination ont fait faillite.
C’est pourquoi le C.N.P.F. envoya à travers le monde, dès l’automne dernier, des missions d’étude chargées de découvrir des solutions. Peut-on réconcilier les ouvriers avec le travail ouvrier ? Les méthodes despotiques de commandement sont-elles vraiment nécessaires ? La hiérarchisation et le morcellement des tâches sont-elles réellement indispensables ? Peut-on supprimer le travail d’O.S., le remplacer par des tâches intéressantes et concilier enfin le pouvoir patronal avec l’introduction des principes de 1789 dans les usines ? « Ce vaste problème est ardu, écrit le groupe d’étude du C.N.P.F. dans son rapport sur “le Problème des O.S.”. Nous pensons qu’il est posé de manière inéluctable. » Le ministre du Travail, M. Fontanet, opinait mardi dernier dans le même sens.

Des grincements inquiétants

Les premiers à se préoccuper de ce problème furent, on s’en doute, les managers américains. Durant les années 1930, ils avaient cru que l’homme est un animal infiniment malléable et que ceux qui ne se font pas au travail à la chaîne sont des « inadaptés » : ils devaient, pensait-on, avoir des « problèmes psychologiques ». On embaucha donc des psychologues d’entreprise qui, en douceur, devaient aider les ouvriers à « surmonter leurs problèmes personnels ». Ce fut le début de l’ère des « relations humaines dans l’industrie », gigantesque entreprise de lavage de cerveau.

Quand, après la dernière guerre, la main-d’œuvre devint rare aux Etats-Unis, les managers combinèrent de diverses manières les « relations humaines » avec les stimulants matériels : il fallait « intéresser » les ouvriers aux progrès de productivité. Ils devaient être récompensés quand ils acceptaient d’augmenter le rendement. La soif de consommation, tout au long des années 1950, restait vive, en effet, et semblait confirmer les managers dans leur conviction profonde : on peut tout obtenir d’un ouvrier à condition de l’indemniser pour sa peine ; il n’est rien qu’un homme n’accepte de faire pour de l’argent ; on peut lui acheter sa force de travail, sa santé, sa jeunesse, son équilibre nerveux, son sommeil, son intelligence.
Cela dura un temps. Puis, vers le milieu des années 1960, des grincements inquiétants se produisirent dans les grandes usines. Avec quelques années d’avance sur ceux d’Europe, les ouvriers américains se révoltaient contre les cadences et la vitesse des chaînes, la brièveté des pauses, la tyrannie, des contremaîtres, l’épuisement nerveux que leur imposait la monotonie des tâches. En 1963, des dizaines de milliers d’ouvriers de Detroit restèrent en grève contre leur syndicat qui, dans la convention collective qu’il venait de signer, n’avait rien prévu en matière de pauses, de réduction et de contrôle des cadences et des vitesses de chaîne.

Devant ces rébellions spontanées, le patronat américain réagit comme les patrons d’Europe : il remplaça les ouvriers blancs en faisant appel, de plus en plus massivement, aux ouvriers noirs ou bruns. Ceux-ci, rarement représentés dans les instances syndicales, isolés et méprisés par la maîtrise et les professionnels blancs, se virent imposer des tâches que personne d’autre n’acceptait. Les chaînes de Noirs avançaient 20 à 30 % plus vite que les chaînes de Blancs. « Ils ne font pas de l’automation, disaient les militants noirs, mais de la négromation. » Et ils créèrent, à Detroit, leur « mouvement syndical révolutionnaire » (D.R.U.M.). La tension devint si insoutenable que, entre autres « incidents de chaîne », un Noir posa un jour ses outils, marcha sur son contremaître blanc, le tua net et, sans un mot, sortit se livrer aux gardiens.

Les Etats-Unis ne connurent pas de « Mai » à la française ; ils ne connurent pas ces insurrections prolongées qui, à partir de septembre 1968, mirent sens dessus dessous la fameuse organisation du travail de la Fiat, à Turin, et qui continuent aujourd’hui encore sous la forme du refus des normes de rendement, de la cotation par poste, du salaire aux pièces… Le taux d’absentéisme n’a pas atteint, aux Etats-Unis, les 15 % qu’enregistrent de grandes firmes françaises ou italiennes : il se situe entre 5 et 10 %. Le renouvellement annuel (ou rotation) de la main-d’œuvre, sous l’effet des départs volontaires, n’atteint pas encore, aux Etats-Unis, 30 % comme en Suède, voire plus de 100 % dans certains ateliers de la Fiat ; chez Ford, à Detroit, il est de 25 % « seulement » de l’effectif total.

Pourtant, c’est un article américain, paru dans « Fortune » en juillet 1970, qui fit le mieux sentir au patronat de tous les pays que « le problème est posé de manière inéluctable » et qu’il ne sera pas résolu par des mesures disciplinaires et policières. Cet article (« Blue Collar Blues ») dressait un constat d’échec : la résistance des O.S. était invincible, elle coûtait cher, il fallait réexaminer de fond en comble la question de la division technique du travail.

"Certains" ouvriers à la chaîne, écrivait notamment « Fortune », haïssent l’usine au point qu’ils s’en vont au milieu de la journée et ne reviennent même pas réclamer leur paie… Dans certaines usines, la rage ouvrière se traduit par des sabotages caractérisés : boulons dans les freins de tambour, manches d’outils jetés dans les ailes au moment de la soudure (ce qui provoque des ferraillements mystérieux, persistants, impossibles à localiser), peinture rayée, sièges lacérés, clefs de contact brisées dans la serrure… Il en résulte un gaspillage de main-d’œuvre, une baisse de rendement, un accroissement des coûts, l’embauche d’un plus grand nombre d’inspecteurs et de retoucheurs, des réparations plus fréquentes de voitures sous garantie et la colère des usagers, qui cause de graves préjudices à la réputation de la firme ! »

Bref, la course au rendement produit la baisse du rendement, la surexploitation cesse d’être rentable. Que faire ? Delmer Landen, directeur du personnel de la General Motors, constate : « S’ils ne viennent plus travailler pour 160 F par jour, on ne les fera pas venir non plus avec un programme de relations humaines. » Beaucoup de jeunes ouvriers, aux Etats-Unis comme en Europe, travaillent quelques mois pour gagner de l’argent, puis, quand ils ont économisé la somme qu’ils se sont fixée pour objectif, s’en vont vivre libres.

En 1966, selon des statistiques américaines (sans équivalent en Europe), les personnes ayant un emploi y demeuraient 4,2 années en moyenne ; en 1969, cette moyenne n’était plus que de 3,9 années ; chez les jeunes (moins de 24 ans), elle est de 0,7 année. Or, dans dix ans, le nombre de jeunes adultes (moins de 34 ans) aura augmenté de 46 %, soit de 19 millions de personnes ; 12 millions d’entre elles appartiendront aux générations et aux couches « contestataires » ; près de 80 % des adolescents passeront par les universités. Si le travail industriel ne change pas profondément, où l’industrie prendra-t-elle alors sa main-d’œuvre ?
Cette question, le C.N.P.F. se la pose ouvertement, de son côté. « Il n’est pas déraisonnable de prévoir, écrit le groupe d’étude déjà cité, que dans quelques années il y ait des travaux pour lesquels on ne trouvera plus personne. Il est caractéristique que même la main-d’œuvre étrangère n’accepte certains postes que de façon très temporaire puisque pour beaucoup de travaux il a toujours fallu recourir à des importations de main-d’œuvre de moins en moins évoluée. » Or, ajoute ce rapport, « a-t-on pensé qu’un calcul économique plus poussé montrerait sans doute que l’emploi d’une main-d’œuvre étrangère parfois très fruste est infiniment plus coûteux si l’on fait entrer en ligne de compte les difficultés d’adaptation, les retouches exigées par la qualité du travail, l’irrégularité du rendement ? ». Même pour les non-immigrés, d’ailleurs, a-t-on jamais mis en face « des minutes ou des secondes gagnées par un processus de travail parcellisé, le coût des retouches, des loupés, des grèves… des incidents, des accidents, de l’absentéisme, de la rotation du personnel, sans parler des conséquences auxquelles conduit l’insatisfaction au travail ? ».

Et le groupe d’étude de fournir, au sujet du « coût économique » des accidents, ces précisions inédites : « Les cotisations (patronales) au titre des accidents du travail représentent en moyenne 4,5 % des salaires ; mais, si l’on tient compte du coût indirect des accidents, entraîné par les perturbations qu’ils provoquent dans la vie de l’entreprise, on arrive à doubler largement cette charge. »

En somme, il n’y aurait que des avantages à « humaniser » et à « revaloriser » le travail ouvrier, à « adapter le travail à l’homme », à abolir les tâches parcellisées, répétitives, épuisantes par leur intensité et leur monotonie. Mais est-ce possible ? Comment se fait-il que les patrons ne se soient pas posé la question plus tôt ? C’est là ce qu’il faut comprendre d’abord.

Toute l’histoire des techniques industrielles porte l’empreinte de ce péché originel du capitalisme : il a séparé les producteurs d’avec les moyens de produire. A l’origine, il n’y avait pas à cette question de séparation de raison proprement technique. Les premiers patrons de manufacture, au xviie siècle, étaient des marchands qui trustaient les métiers à tisser pour pouvoir truster, toute la production des tisserands. Il fallait qu’ils dépossèdent ceux-ci de leurs machines pour les empêcher de vendre leur production pour leur compte propre. Obligés d’aller travailler dans les ateliers et sur les machines d’un patron, les premiers prolétaires purent ensuite être soumis à des contraintes supplémentaires : on exigea d’eux qu’ils travaillent à la limite de leurs forces, chose qu’aucun homme ne fait en permanence de son propre gré.

L’innovation technologique, depuis lors, a toujours eu un double but : rendre le travail humain aussi productif que possible – mais aussi contraindre l’ouvrier à fournir le maximum de travail dont il est capable. La nécessité de cette contrainte est hors de doute pour tout patron classique : l’ouvrier est a priori suspect de « fainéantise ». Comment ne le serait-il pas ? Le résultat de la production lui est étranger, de même que son but. Ce but n’est pas de satisfaire le besoin des travailleurs mais de produire avec le maximum de profit afin d’acheter de nouvelles machines qui permettent un profit plus grand encore. Dans la poursuite de ce but (l’accumulation de capital), il est impossible au patron de faire fond sur la volonté de travail des ouvriers ; il faut leur imposer la quantité de travail à fournir en prédéterminant celle-ci aussi rigoureusement que possible.

Il reste à savoir comment. Par le salaire au rendement ? Ce n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire : les ouvriers ne recherchent jamais la paie maximale lorsqu’ils sont payés aux pièces. Passé une certaine dépense d’énergie, l’accroissement de leur gain ne les intéresse plus. Ils ont tendance à se choisir un rythme de croisière et à se battre pour qu’à ce rythme corresponde un certain niveau de salaire. Chronométrages et surveillances n’y changent rien : plus on resserre sur eux les contraintes hiérarchiques, plus ils dépensent d’ingéniosité pour rouler le patron quand même.

C’est la machine qui exige

Surveillances et chronométrages, d’ailleurs, sont extrêmement difficiles à appliquer aux ouvriers professionnels dont la tâche (outilleur, monteur, ajusteur, etc.) exige initiative, intelligence, application et habileté, toutes choses qui ne se commandent pas. Tant que les ouvriers professionnels sont nécessaires, le patron dépendra de leur bon vouloir. Leur puissance était à son apogée à l’époque de la « machine universelle ». Le seul moyen de briser leur puissance, c’était de simplifier le travail au point que n’importe qui pût l’exécuter sans le moindre apprentissage. Le taylorisme fournit ce moyen, à partir de 1920, grâce à la parcellisation extrême des tâches : travail à la chaîne, puis chaîne à avancement automatique, machines-transfert et, pour couronner le tout, « organisation scientifique du travail » (O.S.T.). Cinquante ans après les débuts du taylorisme, les professionnels sont devenus une « aristocratie » marginale, la quantité de travail à fournir une donnée prédéterminée avec une rigueur mathématique.

La parcellisation a permis des gains de productivité souvent spectaculaires. Mais, on s’en aperçoit aujourd’hui, elle n’était pas la seule voie possible et la productivité n’était pas son seul but. Elle avait aussi pour but caché (et pour effet) de rendre la contrainte au travail anonyme et « objective » : la quantité de travail à fournir n’est plus prescrite, négociée, imposée par une autorité humaine, toujours contestable ; le rendement est désormais exigé par la machine elle-même, imposé par son fonctionnement programmé, par l’avancement inexorable de la chaîne. La contrainte apparaît comme une loi des choses parée des prestiges de la science. Derrière ces choses il y a, sans doute, des ingénieurs et des techniciens ; mais l’ouvrier ne les voit jamais de face, pas plus qu’il ne rencontre le patron lointain. Il n’a en face de lui que des régleurs et des contremaîtres ; c’est à ces « serviteurs du patron » qu’il peut s’en prendre.

Si le travail a été parcellisé, simplifié et rendu de plus en plus idiot, c’est donc le plus souvent pour enlever aux ouvriers toute parcelle de pouvoir sur le déroulement du processus de travail, pour soustraire celui-ci aux « aléas humains » que sont l’habileté et l’initiative intelligente. Tout, y compris les ouvriers, doit devenir mathématiquement prévisible, à une fraction de pour mille près. Les prix de revient, les profits, les plans de production, d’amortissement, d’investissement de la grande entreprise capitaliste ne doivent pas être à la merci d’« aléas humains ».

Mais voici que de grands patrons éclairés découvrirent que la passion planificatrice des technocrates, formés et embauchés pour rationaliser la production dans tous ses détails, provoquait des retours de flammes que ces technocrates étaient incapables de prévoir. Les mésaventures d’Olivetti en fournissent un exemple devenu classique.

Les « inadaptés » et les « fortes têtes »

Aux chaînes de montage des calculatrices Olivetti, les ouvriers étaient habitués à travailler à des postes fixes. Chacun recevait de son voisin de gauche une machine en cours d’assemblage. Il la plaçait sur une tablette, y montait une pièce, puis la faisait glisser vers son voisin de droite. Les ingénieurs des méthodes jugèrent cette organisation irrationnelle. Ils décidèrent de suspendre les machines à une chaîne à avancement continu. De cette manière, les ouvriers n’auraient plus besoin de soulever et de se passer les machines. Ils gagneraient quelques secondes et, surtout, les cadences ne dépendraient plus d’eux : elles seraient garanties par la vitesse de la chaîne.

Mais, sitôt la chaîne installée, les ouvriers se mirent en grève. Les ingénieurs vinrent dans l’atelier et expliquèrent aux ouvriers que tout cela était conçu pour leur bien. En vain. La direction fit alors appel aux psychologues de l’entreprise, leur demandant d’éloigner de l’atelier les « inadaptés » et les « fortes têtes ». Les psychologues, toutefois, n’en firent rien. Ils prirent fait et cause pour les ouvriers et traitèrent les ingénieurs d’imbéciles : comment pouvaient-ils être assez bêtes pour vouloir priver les ouvriers de leur dernière parcelle de liberté : la liberté de réaliser le rendement journalier en travaillant, solidairement et à l’unisson, plus ou moins vite selon les heures de la journée ? Comment ne voyaient-ils pas qu’il était contradictoire d’exiger qu’un travail de précision fût exécuté selon un rythme soutenu et monotone ?

C’est à partir de mésaventures de ce genre qu’est née, aux Etats-Unis, une nouvelle école de psychosociologie, dont les principaux représentants sont ou furent McGregor et Scanlon, Argyris et Herzberg. Une fois dépouillé de son jargon académique, leur raisonnement est du simple bon sens. Les ouvriers ou employés, disent-ils en substance, ont d’abord besoin d’assurer leur subsistance. Tant que leurs besoins primaires – santé, sécurité, alimentation, logement – ne sont pas assurés, il sera inutile de demander aux psychologues de régler les problèmes de l’entreprise. Mais, quelle que soit la paie, l’insatisfaction subsistera si « l’ambiance » de travail est mauvaise, si le travailleur est frustré dans ses besoins affectifs (dits secondaires) : s’il trouve un climat de caserne à la place d’un climat de camaraderie.
Avant de passer au troisième (qui est le principal), arrêtons-nous à ces deux points pour écoute le « mea culpa » du C.N.P.F. Les salaires des O.S. français, est-il dit dans le rapport patronal déjà cité, sont de 16 % plus bas qu’en Allemagne, alors que les salaires des ingénieurs sont de 11 % plus élevés. Un « ingénieur confirmé » gagne quatre fois plus qu’un O.S., contre 2,5 fois plus en Allemagne en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis. Quant à « l’ambiance » des entreprises, elle est généralement détestable. Les nouveaux embauchés sont accueillis par des aboiements de chefs, placés devant leur tâche sans préparation ni conseils et sommés de remplir la norme, sans quoi on ne les gardera pas. « Souvent, ils “craquent” au bout de trois ou quatre jours » et subissent « un traumatisme durable ». Tout se passe comme si l’on voulait les convaincre que le travail d’usine est une mortification expiatoire. Parler dans ces conditions de « participation » et d’« intéressement », c’est demander aux opprimés de « participer » à leur propre oppression.

Voici maintenant le troisième point : quand même la paie et l’ambiance seraient bonnes, mais le travail idiot, le travailleur cherchera, de mille manières, à s’y soustraire. Les cadres tenteront de riposter en renforçant encore les contraintes. Résultat : absentéisme, baisse de la qualité, sabotage. « Indolence, indifférence et irresponsabilité, note Herzberg, sont des attitudes correctes devant un travail absurde. » Il est absurde aussi, ajoute-t-il, de croire qu’on conférera plus d’attrait au travail en variant des tâches également parcellisées et répétitives : « Additionner deux tâches dépourvues de sens n’en confère aucun à leur somme. »
(…)

Dans cette. voie, où s’arrêter ?

En réalité, l’hostilité patronale n’a pas des raisons essentiellement techniques ou économiques. Elle est politique. L’enrichissement des tâches, c’est la fin de l’autorité et du pouvoir despotiques des grands et petits chefs. Il suppose, à la place du commandement et de la discipline de caserne, la coopération volontaire d’ouvriers ayant une autonomie et un pouvoir réels dans leur travail. Il exige que ces ouvriers, faisant « un travail d’homme », soient traités comme des hommes. Toute la hiérarchie devra être refondue ; ingénieurs et maîtrise, dit le rapport du C.N.P.F., devront « modifier profondément leur attitude ». Les barrières sociales, culturelles, hiérarchiques devront être abattues. « Ingénieurs et techniciens, après avoir acquis des notions d’ergonomie, devraient passer un an dans les ateliers de leurs spécialités à effectuer des tâches d’ouvriers… » Finalement, les travailleurs eux-mêmes devront « identifier les problèmes, discuter les solutions possibles et parvenir ensuite à des décisions communes. Les rapports ne seraient plus de supérieurs à subordonnés »…
En somme, une fois que l’on s’engage dans cette voie, où s’arrêtera-t-on ? Les cadres perdront le monopole de la science ; les prétendues nécessités technico-scientifiques, au nom desquelles ils commandaient, perdront leur mystère et pourront être mises en question, de même que l’idéologie qu’elles charrient. N’est-ce pas la porte ouverte à l’autogestion ? Le rapport du C.N.P.F. semble l’admettre, sans grande crainte : dans l’entreprise démocratisée et « enrichie », l’autorité des dirigeants continuera de prévaloir, à condition de changer de style.
Mais est-ce sûr ? Ces ouvriers aux tâches intelligentes, créatrices, responsables, jugeront-ils vraiment, comme le veut Herzberg, que le travail bien fait porte en lui-même son propre sens ? Quel sens a un travail dont les produits n’en ont pas ? Peut-on s’intéresser, longtemps au montage de téléviseurs quand les programmes sont idiots, à la fabrication de lessives polluantes, au tissage de textiles qui s’usent vite ? La recherche de la productivité et du rendement – considérée par Herzberg comme une fin en soi – a-t-elle un sens quand son but est la croissance des profits ? Quel est donc le but du profit et de la croissance ? Pourquoi produire plus quand on pourrait vivre mieux en produisant moins, à condition de consommer et de vivre autrement ?

Toutes ces questions se profilent dans le prolongement de l’enrichissement des tâches. Et c’est bien pour cela que les éléments avancés du mouvement ouvrier voient dans la lutte pour la « recomposition » du « travail en miettes » autre chose qu’un thème de mobilisation et un objectif, modestement réformiste, d’« humanisation » du travail. Ce qu’ils appellent le « contrôle ouvrier » – la reconquête par les travailleurs d’un pouvoir sur la nature et l’organisation du travail – peut et doit conduire les ouvriers, libérés de l’abrutissement, de l’oppression et de l’ennui, à lutter pour leur émancipation totale.

Le travail cesse d’être une fin…

C’est bien là ce que craint la grande majorité du patronat : « Plus vous leur donnerez, plus ils en voudront. Donnez-leur une parcelle de pouvoir, ils exigeront tout. » Ce n’est pas faux. Mais les rapporteurs du C.N.P.F. répondent à cela que la répression devient de plus en plus coûteuse, politiquement et économiquement, et que l’industrie, au fond, n’a pas le choix : si elle veut trouver la main-d’œuvre dont elle a besoin et ne pas subir de continuelles révoltes, il lui faut essayer de donner un intérêt et un attrait au travail. Car toutes ces questions subversives que fait surgir l’enrichissement des tâches sont posées de toute manière, et dès à présent, aux Etats-Unis et en Europe, par des millions de jeunes travailleurs et de jeunes chômeurs. Pour eux, le travail, quels que soient sa nature et son salaire, a cessé d’être une fin en lui-même.

Le refusent-ils parce qu’ils refusent ses produits et ses résultats ? Le fait est qu’ils ne suivent pas Herzberg lorsqu’il déclare : « Les loisirs ne sont aujourd’hui qu’une fuite frénétique dans l’oubli du travail. Le jour où le travail aura un sens, les loisirs aussi en auront un. » Mais les jeunes ont plutôt tendance à prendre le problème par l’autre bout : « Le travail aura un sens quand son but en aura un. Pas avant. » (2).

Michel Bosquet

Notes

(1) O.S. : « Ouvrier spécialisé ». « Spécialisé » est utilisé par opposition à « polyvalent » ou « professionnellement qualifié ». L’O.S. n’est pas un « spécialiste » mais un manœuvre voué à répéter un petit nombre de gestes que lui dicte la machine.

(2) Sur les théories et expériences d’enrichissement du travail, on trouvera une excellente bibliographie dans le petit livre très dense de Pierre Morin : « le Développement des organisations », Dunod, 1971.

Le principal ouvrage de Frederik Herzberg, « le Travail et la Nature de l’homme », a été traduit chez Entreprise moderne d’Edition, Paris.

Messages

  • L’arnaque, ça roule toujours quelqu’un

    Le PDG de Volkswagen, démissionnaire après l’affaire des fausses mesures de pollution des véhicules diesel qui a fait chuter sa société et menacé toutes les autres firmes automobiles, recevra en récompense de son départ la modique somme d’environ quarante millions d’euros. Cela se rajoute au fait qu’il gagnait seize millions d’euros par an, tout cela avec l’accord du syndicat qui cogère l’entreprise : l’IG Metall. Le président de ce syndicat ouvrier dirige même le conseil de surveillance de Volkswagen !!! Quelle concussion !!! Ne faudrait-il pas dire combien gagne à ce petit jeu le responsable syndical ?!!!

    Le PDG de Volkswagen est-il le seul à mentir ?

    Au coeur du scandale Volkswagen, les oxydes d’azote, et en particulier le dioxyde d’azote, sont des gaz d’échappement nocifs pour le système respiratoire, émis en plus grande quantité par les moteurs diesel. Mais ce scandale là ne touche pas que Volkswagen mais toutes les firmes automobiles qui ont affirmé pendant des années, la main sur le cœur, que leurs automobiles n’étaient pas dangereuses. La combustion des carburants, si elle n’est pas la seule source de pollution, contribue fortement, surtout en milieu urbain, à la dégradation de la qualité de l’air, dont les impacts sur la santé sont de mieux en mieux connus. Il a été prouvé que les particules fines (diamètre de 2,5 microns) peuvent causer des cancers du poumon, ce qui a valu aux gaz d’échappement du diesel d’être classé cancérigènes certains par l’Organisation mondiale de la santé en 2012. Elles sont aussi à l’origine d’autres maladies respiratoires et cardio-vasculaires, tout comme les oxydes d’azote. Tous les constructeurs trichent sur leurs annonces concernant la pollution des véhicules et ce n’est pas les services de surveillance de l’Etat qui ont épinglé un trust mais, par hasard, une analyse faite par une ONG !!! Non seulement les Etats n’ont pas fait les vérifications mais ils ont exercé des pressions pour que l’Europe n’en fasse pas !! D’après des documents consultés par le journal britannique The Gardian, les gouvernements de France, Allemagne et Angleterre ont effectué un important lobbying auprès de la Commission européenne pour maintenir en place des failles dans ces procédures. On sait déjà que les BMW dépassent les normes européennes mais l’Europe n’a rien dit. Rien ne prouve que les autres trusts ne pratiquent eux aussi des méthodes curieuses pour faire passer leurs véhicules… C’est ce qui a amené la bourse à faire chuter tous les trusts automobile et pas seulement VW !!!

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