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Un concept abandonné par des "trotskistes" (LO, NPA-convergences, GMI) : l’impérialisme décrit par Lénine (première partie)

lundi 21 septembre 2015, par Robert Paris

C’est seulement un petit nombre de concepts fondamentaux que le marxisme a apportés à la compréhension du système dynamique qu’est le capitalisme en chemin vers le socialisme au travers de révolutions.

Parmi ces concepts marxistes : la dictature du prolétariat, la plus-value, l’impérialisme (vu par Lénine), la révolution permanente.

Le marxisme ne faisant que partir de la réalité capitaliste pour y discerner son auto-transformation en socialisme, il est normal que la plupart des concepts (révolution, lutte des classes, valeur d’échange/valeur d’usage, soviet, inégalité sociale, exploitation) que les marxistes sont certes parfois les seuls à encore largement utiliser n’ont pas été introduits par les grands théoriciens du Marxisme, mais par des penseurs ou des acteurs très bourgeois. Les marxistes se sont contentés de les reprendre et tirer jusqu’au bout leurs conséquences.

Ce constat permet d’expliquer comment des groupes peuvent apparaître trotskistes, car ils parlent de « faire payer les riches » au moyen de « la lutte des classes », de la « grève générale », contre les « vautours du capital » alors que ce langage n’est que celui de bourgeois radicaux, progressistes, c’est à dire au fond des choses réactionnaires.

L’impérialisme tel qu’il fut décrit par Lénine est un de ces acquis du marxisme que des groupes comme Lutte Ouvrière (LO), le Groupe Marxiste Internationaliste (GMI) et la fraction Convergences du NPA ont mis au rencart, fait disparaître dans leurs écrits. Alors que leur impérialisme (celui du capital financier français) est en train d’écraser la population grecque, ces petits groupes, tout en dénonçant leur gouvernement, rendent un service à leur bourgeoise.

La distinction fondamentale entre les pays impérialistes et les nations dominées par ces pays impérialistes est faite par Lénine par exemple au 3° de la thèse suivante sur la question nationale :

Conformément à son objectif essentiel de lutte contre la démocratie bourgeoise et de dénonciation de ses mensonges et de son hypocrisie, le Parti communiste, interprète conscient du prolétariat luttant pour secouer le joug de la bourgeoisie, doit – dans la question nationale également – mettre au premier plan, non pas des principes abstraits ou formels, mais 1° une appréciation exacte de la situation historique concrète et avant tout économique ; 2° une discrimination très nette entre les intérêts des classes opprimées, des travailleurs, des exploités et l’idée générale des intérêts populaires en général, qui n’est que l’expression des intérêts de la classe dominante ; 3° une distinction tout aussi nette entre les nations opprimées, dépendantes, ne bénéficiant pas de l’égalité des droits, et les nations qui oppriment, qui exploitent, qui bénéficient de l’intégralité des droits, par opposition au mensonge démocratique bourgeois qui dissimule l’asservissement colonial et financier – propre à l’époque du capital financier et de l’impérialisme – de l’immense majorité de la population du globe par une infinie minorité de pays capitalistes avancés et ultra-riches.

La France est un de ces « pays capitalistes avancés et ultra-riches », la Grèce un petit pays écrasé par le capital financier. Notre impérialisme est en train d’écraser la Grèce entre autre à cause de la passivité du prolétariat en France. Nous devons expliquer haut et fort cela aux ouvrier de France, bref décrire ce qu’est notre impérialisme.

Voyons en quoi cet aspect fondamentale disparaît des écrits de ces trois groupes.

Le point de vue de LO s’exprime dans l’éditorial La loi impitoyable du grand capital. Il faut reconnaître à LO sa rigueur dans l’abandon du marxisme, car cet éditorial est un cas d’école illustrant la différence entre les deux types de concepts décrits plus haut. LO utilise ainsi les termes de Capital, Révolution, classes populaires, bourgeoisie, lutte des classes qui sont certes honorables. Mais la « classe ouvrière », la perspective du « pouvoir ouvrier » ne sont pas évoqués ; or son rôle spécifique aboutissant à la dictature du prolétariat est la seule notion que Marx revendiquait avoir apportée en ce qui concerne la lutte des classes. L’impérialisme n’est pas mentionné dans l’éditorial de LO. Il semble certes y avoir une différence quantitative entre la France, l’Allemagne dites « grandes puissances » et la Grèce. Mais pas la différence qualitative entre deux puissances impérialistes et un petit pays exploité, comme au 3) de la thèse de Lénine. « C’est une politique criminelle dirigée contre le peuple grec et contre tous les exploités d’Europe (... )Demain à qui le tour ? » demande LO, bref les travailleurs d’ici peuvent subir le même sort que ceux de là-bas, on est tous dans la même situation. Si c’est le cas alors l’ouvrier français ne peut qu’être reconnaissant envers son gouvernement car jusqu’ici, on vit encore bien mieux en France qu’en Grèce ! Le terme « criminel » employé par LO est un de ces mots très forts, qui masquent le caractère impérialiste de cette politique.

Le même constat est valable dans l’éditorial Les vautours n’ont pas peur des urnes du petit groupe NPA-Convergence. Plein d’expressions de « tribun » dénonçant la politique Hollande Merkel. Et de tels mots font partie de l’arsenal qu’on utilise toujours dans des textes ou des tracts, mais ne pas mettre en avant NOS concepts fondamentaux alors que l’actualité politique est l’occasion de les populariser, vulgariser, expliquer concrètement, c’est contraire au marxisme. Là encore on a droit aux « classes populaires », à la « bourgeoisie » mais toujours pas à la classe ouvrière et à l’impérialisme. Il n’y a toujours pas de différence qualitative entre la France et la Grèce. La conclusion est la même que celle de LO : « ce que les banques et les États coalisés leur ont imposé [aux Grecs] nous est aussi promis ». Nous sommes concernés par ce qui se passe en Grèce pas parce que nous sommes un mouvement ouvrier qui pourrait s’opposer à son impérialisme, mais parce que cela pourra nous arriver à nous aussi.

Mais justement un des outils de l’impérialisme est d’acheter la paix sociale dans son pays de base en redistribuant une parti de ce qu’il a extorqué dans d’autre pays, des colonies ou semi-colonies. L’histoire le montre : le prolétariat d’un impérialisme repus est en général désarmé politiquement différemment, grâce aux sur-profits de son impérialisme qu’il redistribue à une aristocratie ouvrière dans son pays. En 1945 les résistants français et grecs qui voulaient que la fin de la guerre aboutisse à un changement de société ont tous été désarmés, mais écrasés dans le sang, massacré, décapités en Grèce, en Algérie ... pas en France métropolitaine. C’est un des aspects de l’impérialisme.

La position de NPA-convergences comme celle de LO oublie la théorie des sur-profits de Lénine, exposée par exemple dans une de ses Thèse sur la question nationale et coloniale :

La plus-value obtenue par l’exploitation des colonies, est un des appuis du capitalisme moderne. Aussi longtemps que cette source de bénéfices ne sera pas supprimée, il sera difficile à la classe ouvrière de vaincre le capitalisme.

Grâce à la possibilité d’exploiter intensément la main-d’œuvre et les sources naturelles de matières premières des colonies, les nations capitalistes d’Europe ont cherché, non sans succès, à éviter par ces moyens leur banqueroute imminente.

L’impérialisme européen a réussi dans ses propres pays à faire des concessions toujours plus grandes à l’aristocratie ouvrière. Tout en cherchant d’un côté à maintenir les conditions de vie des ouvriers dans les pays asservis à un niveau très bas, il ne recule devant aucun sacrifice et consent à sacrifier la plus-value dans ses propres pays, celle des colonies lui demeurant.

Lénine, 1916

Le terme impérialisme est certes utilisé dans le texte du GMI En France comme en Grèce .... Mais des divers aspects de l’impérialisme, un seul est souligné, son aspect financier. Mais l’exploitation d’un petit pays par un plus grand au travers de la dette est aussi ancien que le capital, elle ne caractérise pas seulement le stade impérialiste du capital. Comme pour les deux groupes LO et NPA-convergences, le GMI ne travaille pas à faire prendre conscience au prolétariat de France que la France est une puissance impérialiste et donc que des tâches spécifiques nous incombent. Si le GMI estime que LE parti en France, en tout cas les postes de dirigeants c’est eux et seulement eux, ce petit groupe est par contre extrêmement généreux envers les grecs en ce qui concerne ... le travail militant : tout le travail leur revient. En effet le GMI propose au grecs et seulement aux grecs les taches suivantes

Gouvernement Syriza-KKE sans ministre bourgeois ! Annulation de la dette publique ! Expropriation des banques et des grandes entreprises, à commencer par les armateurs ! (...) Comités rassemblant tous les travailleurs dans les entreprises, les administrations, les quartiers, les villages, les universités, pour le contrôle ouvrier et populaire !

Certes, c’est un programme à accent révolutionnaire, mais le prolétariat français, pourquoi ne pas lui proposer la même chose du style

Gouvernement CGT, PS-PC sans ministre bourgeois ! Annulation de la dette publique ! Expropriation des banques et des grandes entreprises (...) Comités rassemblant tous les travailleurs dans les entreprises, les administrations, les quartiers, les villages, les universités, pour le contrôle ouvrier et populaire !

Ce programme n’est-il pas applicable en France ? Pourquoi, la Grèce est-elle dans une situation révolutionnaire ? pré-révolutionnaire alors que la France ne l’est pas ? Ce programme a pourtant l’air d’être applicable en France pour le GMI car le titre d’un paragraphe est « En Grèce comme en France, pour un gouvernement ouvrier qui exproprie le capital ». Ainsi les tâches seraient les mêmes en France et en Grèce. Mais le GMI ne cite aucun nom de parti en France car la liste que nous venons de donner ferait sourire : on a déjà eu des gouvernement PS-PC au pouvoir en France. Même le GMI n’ose pas proposer un gouvernement PS-PC (sans ministre bourgeois), malheureusement sans doute plus freiné la crainte instinctive d’un rejet de ce type de slogan par l’opinion publique ouvrière, que par un raisonnement politique.

Le KKE et Syriza sont beaucoup moins connus en France. Les appeler à « prendre le pouvoir tout en rompant avec la bourgeoisie » peut illusionner le passant qui se dit : ils ont l’air d’être en pleine révolution en Grèce et d’avoir de « vrais » partis de gauche ! C’est pas comme chez nous avec PC-PS et nos syndicats !

Le GMI se retient donc de donner quelque précision que ce soit sur ce que peut bien être à l’heure actuelle en France un « gouvernement ouvrier qui exproprie le capital ». Mais il est prêt à envoyer au casse-pipe les travailleurs grecs avec une formule qui n’est pas plus d’actualité en Grèce qu’en France. Finalement le seul travail militant revient aux grecs. La connexion entre toutes les composantes de l’économie mondiale, leurs différenciation, donc l’unité et la diversité qui en découle objectivement en ce qui concerne nos tâches révolutionnaires est absent du texte du GMI.

Or le fait qu’en France nous devons clarifier les tâches spécifiques qui nous incombent, il suffit de se replonger dans notre histoire pour le comprendre. Par exemple dès ses débuts le Comité exécutif de la IIIe Internationale s’est adressé spécifiquement au prolétariat français à plusieurs occasions. Voici deux exemples :

Ouvriers et soldats de France ! La bourgeoisie de votre Etat porte la plus grande responsabilité de la campagne d’assassinat contre la république des conseils de Hongrie. Elevez votre voix de protestation ! Arrachez le pouvoir des mains des plus grands des malfaiteurs que le monde ait jamais connu. Arrachez des mains des assassins le poignard qu’ils lèvent contre nos frères, les travailleurs hongrois

Zinoviev pour l’Excécutif de l’IC, 13 mai 1919

Travailleurs de France, d’Angleterre, d’Amérique et d’Italie. L’internationale communiste s’adresse à vous ! De vous dépend en premier lieu le destin de millions de travailleurs en Allemagne et en Autriche. Vous devez dire maintenant votre mot. Vous devez arracher des mains sanglantes de vos gouvernements le couteau criminel qu’ils brandissent sur la tête des classes ouvrières. Vous devez démontrer que les leçons des cinq années de carnage n’ont pas été perdues pour vous. Pas un instant vous ne devez oublier que la victoire des impérialistes de l’Entente sur la classe ouvrière représente la victoire sur vous-même, la victoire sur les travailleurs de tous les pays, la victoire sur le socialisme. C’est vous principalement qui tenez entre vos mains le destin du socialisme international.

Zinoviev pour l’Excécutif de l’IC, 13 mai 1919

Certes 1919 était une année de vague révolutionnaire. Mais si le prolétariat français n’est pas prêt à l’action, l’explication est toujours d’actualité, c’est le travail de révolutionnaires. Nous faisons partie d’un pays impérialiste, des taches spécifiques nous incombent. Pour conclure citons Lénine qui soulignait ce point déjà à propos d’une question similaire :

Cet exemple nous amène, par une voie quelque peu détournée, à la question de l’éducation internationaliste de la classe ouvrière. Cette éducation, dont la nécessité et l’importance de tout premier plan ne sauraient susciter aucune divergence parmi les zimmerwaldiens de gauche, peut-elle être concrètement identique dans les grandes nations qui oppriment et dans les petites nations opprimées ? Dans les nations qui annexent et dans celles qui sont annexées ?
Non, bien sûr.

Lénine, Bilan d’une discussion sur le droit des nations à disposer d’elles-mêmes (1916)

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