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Quand le courant Lutte Ouvrière dénonçait et combattait les pratiques des bureaucraties syndicale

vendredi 3 juillet 2015, par Robert Paris

Quand le courant Lutte Ouvrière dénonçait et combattait les pratiques des bureaucraties syndicales (en le lisant on croirait une autre époque historique !)

Dans le passé de cette organisation, il y a eu (mais il n’y a plus !) l’aide et le soutien à la formation des comités de grève contestant la suprématie des bureaucraties syndicales, surgirent ainsi, entre autres, à Renault Billancourt en juin 1968, à Hispano Suiza de Colombes en 1968, à la Polymécanique à Pantin en 1971, à Ericsson à Colombes en 1972, à Chausson-Gennevilliers en 1975, à Idéal-Standard à Aulnay en 1975, et évidemment au Crédit Lyonnais en 1974, où la grève dirigée par Arlette Laguiller et ses camarades déboucha sur une grève des banques, au Biscuits Belin d’Evry en 1995. D’autres grèves marquantes furent animées par des militants ouvriers combatifs, réformistes sur le plan politique, mais méfiants à l’égard des directions syndicales nationales, soucieux de faire participer activement les grévistes à l’organisation de leur mouvement. La plus marquante : la grève chez Lip à Besançon, en 1973, où les ouvriers menacés par la fermeture de leur usine ont pendant des mois tenu le coup en réquisitionnant les stocks, en redémarrant la production, pour vendre eux-mêmes leurs montres afin de payer leurs salaires. Il y a eu la grève SNCF du 18 décembre 1986 au 15 janvier 1987 qui s’est faite contre la bureaucratie CGT et a été marquée par des coordinations et comités de grève. Il y a eu la grève, les comités de grève et la coordination des SNECMA

En octobre 1961

Prochaines grèves

Avec la journée revendicative des travailleurs de la SNCF, du Gaz et de l’Electricité les luttes grévistes prennent un nouveau départ.
Ces luttes seront ce que les travailleurs en feront mais, avant tout, pour le moment, ce que les organisations syndicales en voudront faire.
Et ce qu’elles feront peut aisément se prévoir. Il est sûr que les grandes Centrales, ensemble ou séparément, ne chercheront pas consciemment et volontairement, à organiser les luttes revendicatives à un échelon tel qu’elles puissent contraindre la bourgeoisie et le gouvernement à céder sur les principales des revendications de l’heure, comme la diminution de l’horaire de travail, l’augmentation en conséquence de tous les salaires et la garantie de ce salaire contre les fluctuations de la production et du coût de la vie. Pour importantes qu’elles soient ces revendications n’en sont pas moins des revendications minimum. Elles sont vitales au sens plein du terme pour les travailleurs. Si à l’heure actuelle la majorité des travailleurs ressent comme une nécessité la diminution de l’horaire de travail, ce qui n’était pas le cas il n’y a ne serait-ce qu’un an ou deux ans, cela tient essentiellement à la fatigue physiologique accumulée par plusieurs années de travail durant lesquelles non seulement la durée mais encore l’intensité du travail n’a cessé d’augmenter et au fait que les foyers ouvriers se trouvent maintenant équipés du minimum de biens nécessaires.

Vitale aussi, la garantie du salaire car, dans leur recherche du profit, les maîtres de la société bourgeoise nous préparent un avenir où les à-coups, sinon les crises graves, seront la règle.

Ces revendications, seul un mouvement de l’ampleur de juin 36 pourrait les imposer, or, nous savons par expérience que les Centrales Syndicales ne sont pas du tout prêtes à engager une telle lutte. Tout au plus le sont-elles à tirer profit sur le plan politique d’un mouvement semblable, si les travailleurs l’engageaient d’eux-mêmes, sans qu’elles puissent s’y opposer.

Par contre les syndicats ne renonceront pas à organiser et à entretenir une certaine agitation. Primo, parce que s’il n’y avait absolument aucune lutte revendicative de la part de la classe ouvrière la justification des syndicats auprès de la bourgeoisie disparaîtrait. Secundo, s’ils ne se donnaient même pas une apparence d’activité vis-à-vis des travailleurs, c’est ce qui leur reste de crédit auprès de ceux-ci qui s’évanouirait. Le fait qu’ils organisent en ce moment des « journées revendicatives » à l’échelon national, par corporation, ne doit pas faire illusion sur une quelconque volonté de leur part de généraliser les luttes. Cela tient uniquement au fait que les travailleurs ont fait l’expérience des grèves tournantes encore très récemment, et qu’il est de plus en plus difficile aux syndicats de les entraîner dans des mouvements limités. Il faut aujourd’hui, pour que les travailleurs entrent en mouvement, que la lutte qu’ on leur offre ait au moins l’apparence de la généralisation.

C’est cela qui permet de dire que dans les mois qui viennent, étant donné la contradiction où se trouvent enfermées les Centrales Syndicales, il n’est pas improbable, en particulier si tous les militants ouvriers d’extrême-gauche oeuvrent dans ce sens, de voir les luttes ouvrières déborder le cadre que leur ont fixé les organisations syndicales.

Les premières tâches à accomplir, dans un secteur où règne une agitation gréviste sont, bien entendu, la propagande pour un mouvement généralisé sur la base de revendications intéressant l’ensemble de la classe ouvrière, mais aussi l’élection de comités de grève, et cela avant que les mouvements éclatent, sur la base de la représentation directe des travailleurs et non des seules bureaucraties syndicales, en mandatant ces comités pour la prise de contact avec les travailleurs des autres entreprises de la localité, plus que de l’industrie intéressée.

En effet, il est facile de prévoir qu’à l’heure actuelle la lutte revendicative ne peut pas ne pas passer par la rue où, si elle y aboutit, elle est sûre de rejoindre celle des paysans.

Le 26 mars 1963

Où va la grève

La grève des mineurs continue sans que la détermination de ceux-ci paraisse diminuer si peu que ce soit, pendant que sur le reste du front social la situation n’évolue pas. Un grand nombre de corporations ont entrepris, à l’appel des syndicats, des actions diverses, mais il n’y a pas eu, jusqu’ici, de généralisation de la grève. Il est manifeste que les bureaucraties ouvrières ont tout fait pour éviter cette généralisation et, par là-même, elles ont engagé le mouvement des mineurs dans une impasse. Malgré la longue et coûteuse grève qu’ils auront menée ils reprendront le travail (dans l’hypothèse d’une non-généralisation) avec seulement une augmentation de salaire qui ne compensera pas la perte de salaire, et qui est loin de ce qu’ils auraient pu obtenir avec l’ensemble des autres salariés au cas d’une extension de la grève.

Par ailleurs, la Gouvernement et le patronat ne cachent pas que les augmentations qu’ils seront contraints de concéder, ils les feront payer à toute la population au moyen de l’inflation. Les mineurs vont donc perdre le. bénéfice de cette lutte, au moins le bénéfice matériel, et l’ensemble des autres travailleurs perdra encore plus. En face de cela les Centrales Syndicales reculent. Elles paraissent organiser des mouvements de plus en plus déterminés, mais il est manifeste que depuis quatre semaines, ces mouvements sont des manoeuvres dilatoires destinées à ne pas perdre la face vis-à-vis des travailleurs qui se demandent bien pourquoi, cette fois-ci, les syndicats n’organisent pas la grève générale.

Aux mouvements locaux organisés par les syndicats de la métallurgie le jeudi 21, les travailleurs ont plus ou moins bien répondu. A la Régie Renault, les travailleurs n’ont pas répondu du tout pour la bonne raison que les syndicats ont décommandé la malheureuse grève de deux heures qu’ils avaient proposé de faire. En réalité, si les travailleurs avaient quelque chose contre cette grève de deux heures, c’était qu’elle fut encore une grève partielle, une grève limitée, alors que les circonstances demandaient manifestement autre chose. C’est à Renault que ce fut donc le plus manifeste, mais il est évident qu’à Renault ce n’est pas le risque d’échec de ces deux heures qui a fait reculer les syndicats. Ce qui les a fait reculer c’est la crainte de voir la grande entreprise se mettre en grève et, peut-être, ce n’est pas si fou, les déborder. L’exemple de leur attitude au département 74 est significatif de leur crainte (fondée ou pas c’est difficile à dire, mais la crainte ils l’ont). La semaine précédant la première journée revendicative de la métallurgie, celle du jeudi 14, les travailleurs du département 74 dans l’île Seguin, s’étaient mis en grève d’une façon qui menaçait d’être illimitée, pour des revendications particulières. Ils sont restés en grève un après-midi, mais le mouvement a tourné court par suite des pressions syndicales. Cela se passait le vendredi. Le jeudi suivant, le 14, journée d’action, la CGT diffuse dans ce département un tract où il est dit : « Dans le cadre de la journée d’action pour la métallurgie, les conditions d’action pour un arrêt de travail d’une heure ne sont pas créées dans le département 74. Nous vous appelons à poursuivre la campagne de signatures... ». Ce que la CGT craignait c’était non pas que le mouvement d’une heure échoue, mais qu’une grève illimitée reprenne au département 74, département qui est vital pour la production de la RNUR (dans une entreprise comme Genève, par exemple, lors de la seconde journée, bien que les gars aient été écoeurés par un mouvement de trois semaines de débrayages tournants qui n’avaient rien donné, la CGT ne s’est pas gênée pour donner un ordre de grève qui n’a été suivi qu’à 10 ).

Le plus grave, c’est l’attitude qu’adoptent les Centrales Syndicales dans les services publics. Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, elles engagent des mouvements en même temps que la grève des mineurs, mais des mouvements partiels, successifs, de harcèlement.
C’est la meilleure façon de lasser les travailleurs, de freiner leur énergie et surtout, ce qui est encore plus grave, de dresser l’opinion publique contre les grévistes des services publics. Les grèves de harcèlement ne sont pas le type de lutte à faire agenouiller à merci l’État-Patron ; elles perturbent le fonctionnement de l’économie du pays mais ne l’entravent pas. La production et les échanges se font tant bien que mal, mais se font quand même. Ceux qui en supportent le plus durement les conséquences ce sont les usagers et les travailleurs. Aussi une grève des services publics se doit d’être efficace, sinon à cause de l’hostilité que provoquent des mouvements partiels ceux-ci peuvent faciliter la répression.

La responsabilité des Centrales est grande. C’est notre avenir à tous qu’elles compromettent. Mais au fur et à mesure que la grève des mineurs se prolonge leur gêne, elle aussi, se fait grande. Un appel de la CGT, de la CFTC, de la FEN et de l’UNEF vient d’appeler la classe ouvrière à manifester « par une action de masse son opposition à toute atteinte aux libertés syndicales et au droit de grève ». Ah, qu’en termes plus ambigus ces choses là ne peuvent être dites ! « Action de masse », ce n’est déjà pas précis. Mais « éventuelle » c’est tout un programme. Les Centrales se sentent obligées de faire quelque chose, mais elles commencent à manquer d’imagination pour trouver des choses à faire qui ne les engagent pas à aller plus loin.

La parole est aujourd’hui aux travailleurs eux-mêmes. Ce sont les mineurs qui ont contraint leurs organisations syndicales à la grève. Même la presse bourgeoise reconnaît ce fait. « Le Monde » de ce jour écrit : « Or tous les témoins le certifient aujourd’hui comme hier : la base est plus intransigeante que la tête ». Ce que les mineurs ont fait, peut-être l’ensemble de la classe ouvrière le fera-t-elle dans les jours qui viennent. En tous cas, si la grève ne se généralise pas, on peut prévoir que dans l’année à venir les militants révolutionnaires auront, dans les entreprises, l’oreille des travailleurs lorsqu’ils dénonceront l’incurie des directions syndicales et la nécessité d’une radicalisation des luttes.

En juin 1967

Ce n’est que lorsqu’il existe une « base » syndicale qu’un militant révolutionnaire peut alors valablement mener une activité contre l’appareil. Mais c’est encore bien difficile, et c’est souvent l’échec. En effet, dès qu’une certaine vie syndicale existe, ne serait-ce que si dans un secteur (ou dans une entreprise) une dizaine ou une vingtaine de syndiqués se réunissent régulièrement, des conflits avec l’appareil ne tardent pas à se produire, il n’est pas besoin de les provoquer. La politique de la CGT depuis dix ans est suffisamment en contradiction avec les intérêts et les aspirations des travailleurs pour qu’il suffise que quelques-uns d’entre eux prennent l’habitude de s’exprimer pour que la contradiction éclate. Les militants révolutionnaires sont alors régulièrement confrontés au choix de soutenir les travailleurs contre l’appareil, ou par conspirativité, de rester « dans la ligne ». C’est évidemment un choix tactique autant que politique et moral, mais la décision dépendra bien sûr grandement du plus ou moins grand respect que l’on a pour les travailleurs. Une fois le conflit entamé, dès que l’appareil repère les opposants, c’est la lutte jusqu’au bout. Il faut bien dire que l’appareil est le plus souvent sorti vainqueur de l’épreuve car les travailleurs du rang ne voient pas toujours pourquoi, en plus du patron, il faut affronter les calomnies, les injures et les attaques de l’appareil syndicale et de camarades de travail, pour faire seulement respecter la démocratie syndicale. « S’ils le veulent à eux le syndicat, qu’ils le gardent donc », telle est la réaction fréquente de travailleurs, à l’issu de telles épreuves.

D’un point de vue plus général il est évident que l’appareil ne peut d’ailleurs que sortir vainqueur de telles épreuves, car les militants révolutionnaires ne sont pas nombreux dans le pays tandis que la bureaucratie syndicale, même staliniste, a des bases sociales propres qui la font se reproduire plus vite que ne se forment les travailleurs conscients. La seule victoire possible contre les bureaucraties syndicales staliniste et réformiste ne peut se situer que lors d’une crise révolutionnaire. Mais c’est loin d’être un travail inutile. Même si chacune de ces batailles dispersées laisse, sur le moment, le goût amer de la défaite, c’est au travers de tels conflits que les travailleurs prennent conscience du rôle joué par le stalinisme et que les militants révolutionnaires s’aguerrissent. C’est à ce type d’activité syndicale, au sein de l’organisation syndicale influencée par le stalinisme et qui est largement majoritaire en France, que nos militants d’entreprise se consacrent entièrement. Nous le répétons, c’est un choix politique et c’est le seul que peuvent faire des militants trotskystes. Le reste n’est, une fois de plus, que poudre aux yeux.

C’est là le point principal de divergence avec les autres organisations françaises se réclamant du trotskysme et c’est ce qu’elles appellent notre « antisyndicalisme ». Nous aurons l’occasion de revenir sur leur attitude, mais il faut signaler ici une autre divergence importante qui nous sépare de tous ces groupes et qui justifie, à leurs yeux, cette étiquette.

Nous ne concevons pas en effet que les militants révolutionnaires, les trotskystes, puissent se passer d’une expression publique, large, de masse, dans les entreprises.

En décembre 1967

Tactiques et rôle social des syndicats en France

La situation sociale en France en cette fin d’année est dominée par les tergiversations des différentes Centrales syndicales qui ne parviennent pas à mettre sur pied un plan d’action, ni en commun ni séparément, pour résister à l’abaissement du pouvoir d’achat des travailleurs. Cet abaissement est constant mais s’est accéléré dans le deuxième semestre 1967 et, selon toute vraisemblance, doit s’aggraver encore début 1968, sous l’action conjuguée de la hausse des prix et d’un certain marasme économique qui, tout en n’étant pas critique, pèsera sur les salaires en provoquant un chômage relatif.
La CGT qui depuis deux ans fait front commun avec la CFDT n’a pas réussi à obtenir de celle-ci sa participation à la récente grève des cheminots, grève qu’elle a donc conduite toute seule et qui a été un échec. Elle n’a pas non plus trouvé l’oreille de la CFDT pour la grève de l’électricité que, instruite par celle des cheminots, elle a jugé plus sage de reporter sine die. Il y a actuellement des pourparlers pour une grève générale de 24 ou 48 heures, précautionneusement et pudiquement baptisée « arrêt national », qui serait envisagée vers la mi-décembre. Quant à la CGT-FO elle est, bien entendu - fidèle à ce qui est presque une habitude pour elle - hostile à tout mouvement quel qu’il soit et quelle qu’en soit la forme.

Ce qui est cependant remarquable dans l’attitude des grandes Centrales syndicales françaises c’est, au-delà de leurs désaccords tactiques et accessoires sur l’opportunité de tel ou tel mouvement, la profonde unité de comportement qui leur fait fondamentalement renoncer à toute lutte, à toute réaction qui ait la moindre chance d’obtenir un résultat revendicatif quelconque. En effet, ce ne sont pas les grèves de cinq jours des cheminots ou de 24 heures de l’électricité qui auraient pu faire aboutir même la plus mineure des revendications de ces deux corporations. Ce n’est pas non plus la grève générale du 13 décembre qui changera la situation où se trouvent les travailleurs à l’heure actuelle. Nous ne comptons plus les « journées » de cette sorte intéressant telle ou telle corporation, ou toute une branche comme les Services Publics ou même l’ensemble des travailleurs, comme l’arrêt général du 17 mai dernier. Ce ne sont pas ces mouvements symboliques qui peuvent contraindre le patronat à céder et a fortiori le gouvernement.

De ce point de vue la position de la CGT-FO (qui d’ailleurs il y a deux ans fut à l’origine d’un semblable arrêt national du travail de 24 heures) est tout à fait semblable à celle de la CGT et de la CFDT, du moins quant aux effets.

Bien entendu il n’est pas question de feindre de découvrir aujourd’hui que les Centrales syndicales françaises ne sont pas révolutionnaires. Cela est évident, et de longue date.

Cependant, lorsqu’on compare le syndicalisme français au syndicalisme allemand par exemple, et surtout au syndicalisme américain, des différences sautent aux yeux.

Les syndicats américains ne sont certainement pas plus révolutionnaires que les Centrales syndicales françaises mais, sur le plan des revendications économiques, leur corporatisme est au moins relativement efficient. Cette efficience est due à une combativité que n’ont pas les syndicats français. Les grèves américaines des chemins de fer, de l’automobile, etc. durent parfois des semaines et assez souvent se terminent victorieusement, sans que l’on voie les syndicats céder sur l’essentiel et surtout sans qu’on les voie, comme ce serait le cas en France, s’activer à convaincre les travailleurs qu’il ne faut pas « d’aventurisme » et qu’il faut reprendre le travail dès que le patron lâche une miette puisque tout ce qu’on demande c’est une « victoire morale ».

Pratiquement, depuis la deuxième guerre mondiale nous n’avons pas vu les syndicats français organiser et diriger jusqu’à satisfaction de mouvement de grève de l’importance des grèves américaines dans une quelconque corporation. A de très rares exceptions près, les seules grèves de longue durée qui se sont produites (grève des fonctionnaires de 1953, grève des Chantiers navals de l’Ouest en 1955, grève des mineurs de charbon en 1963) ont été soit déclenchées sans les Centrales syndicales, soit poursuivies malgré leur opposition. Dans tous les cas (et il y en eut bien d’autres que nous ne citons pas) les Centrales syndicales se sort employées à faire reprendre le travail, et y ont finalement réussi, sans que les grévistes obtiennent satisfaction.

La pusillanimité des syndicats français par rapport aux syndicats américains est flagrante. Et nous insistons bien sur le fait que nous ne considérons pas le moins du monde les syndicats américains comme révolutionnaires.

Pourquoi donc les syndicats français ne sont-ils même pas réformistes conséquents et corporatistes efficients ? La première réponse qui vient à l’esprit est évidemment qu’il s’agit de bureaucraties corrompues qui ont partie liée avec la bourgeoisie, avec l’appareil d’État, avec le Gouvernement ou avec les trois à la fois. C’est bien entendu exact, mais c’est vrai aussi des syndicats américains.
De plus si la CGT-FO et la CFDT sont très intégrées à l’appareil d’État de la bourgeoisie française, si elles s’appuient sur des couches de la classe ouvrière favorisées quelque peu « embourgeoisées » (fonctionnaires, techniciens, cadres, etc..), c’est vrai aussi du syndicalisme américain. Par ailleurs ces deux Centrales ont opté dans la conjoncture politique actuelle pour l’opposition et non pour le gouvernement gaulliste. Il semblerait donc qu’elles pourraient manifester une certaine agressivité. Il n’en est rien. La CGT, du fait de sa liaison avec le PCF, est moins intégrée à l’appareil d’État que ne le sont les autres appareils, elle s’appuie sur des couches de la classe ouvrière moins aristocratiques que les autres Centrales (elle est plus implantée parmi les métallurgistes par exemple et, parmi ceux-ci, chez les ouvriers non qualifiés). Cela ne l’empêche pas de n’être pas plus soucieuse que les autres d’efficacité, si ce n’est pour briser toute tentative autonome de la classe ouvrière.

Du point de vue politique, tout en étant liée à l’opposition, la CGT pourrait, dans une certaine mesure, soutenir l’actuel gouvernement dont la politique extérieure ne déplaît pas aux dirigeants russes. Cela n’expliquerait pas l’attitude de la CGT il y a 10 ans !

En fait les raisons de cette situation particulière du syndicalisme français ne sont pas circonstancielles, elles sont dues à la situation économique et sociale de l’impérialisme et aux traditions politiques du prolétariat français.

L’impérialisme français est un impérialisme décadent. Le début du siècle a vu son apogée en même temps que le commencement de son déclin. De la première guerre mondiale à la seconde, l’impérialisme français a pu maintenir la façade d’une puissance de 40 millions d’individus vivant grâce à l’exploitation de 200 millions d’esclaves coloniaux ou semi-coloniaux, mais les colonnes blindées d’Hitler ont fracassé cette façade en juin 1940.

Depuis, l’impérialisme français est définitivement devenu une puissance de second plan, à l’économie précaire, et ce n’est pas la fronde actuelle que se permet de Gaulle vis-à-vis des USA qui change quoi que ce soit à cette situation. La perte de toutes ses colonies depuis la fin de la seconde guerre mondiale a pratiquement réduit l’hexagone à ses seules ressources et a contraint toutes les forces politiques françaises au jeu de la vérité.

Il n’y a plus en France, sur le terrain économique, de place pour le réformisme.

Par contre sur le terrain politique, il en va tout autrement. Sur le plan économique, la bourgeoisie française n’a que le choix d’étouffer entre des frontières nationales imperméables ou de se faire étrangler en les ouvrant. Elle n’a pas de quoi tolérer un réformisme économique qui justifie son existence vis-à-vis des travailleurs par de relatifs succès. Et les sociaux-démocrates et leur représentation syndicale ont pratiquement disparu.

Par contre, la bourgeoisie française a eu depuis 1945, le plus grand besoin de l’appui des organisations ouvrières politiques et syndicales. En effet pour gouverner seule, pour rester le plus possible indépendante du capital financier américain et de ses conseils politiques, la bourgeoisie française dut mettre la classe ouvrière au travail sans satisfaire la moindre de ses revendications économiques. Seuls les staliniens pouvaient lui apporter sur ce terrain une aide efficace et décisive. Ils ne la lui marchandèrent pas et obtinrent en échange des satisfactions qui, à l’époque comme de nos jours, ne coûtèrent rien à la bourgeoisie : postes ministériels, politique étrangère satisfaisant le Kremlin, législation sociale sur mesure favorisant les grandes Centrales syndicales (monopoles des Elections de délégués, gestion des ouvres sociales par les syndicats), sécurité sociale, participation à la gestion des entreprises nationalisées etc.. L’ensemble de ces avantages ne coûtaient pas un centime à la bourgeoisie et très peu à l’État, tout en faisant profiter les syndicats de sommes considérables et en leur permettant d’en gérer de bien plus considérables encore. Par l’intermédiaire des Comités d’Entreprise, ce sont des dizaines de milliards de NF par an que les grandes Centrales et principalement la CGT sont amenées à gérer. Par le monopole exclusif des délégués du personnel les syndicats bénéficient de sommes considérables (15 heures payées par mois par délégué). Ces dernières sommes, les syndicats ne les touchent pas, mais comme ils en disposent, comme ce sont eux qui pratiquement les distribuent, cela revient au même, et leur permet de survivre et d’exister dans les usines et le pays, même si les travailleurs les abandonnent (tant que les patrons les tolèrent).

Et tout ceci, encore une fois, ne coûte rien ni à la bourgeoisie, ni à l’État, puisque cela revient seulement à assurer le monopole des organisations syndicales sur des dépenses déjà prévues et obligatoires.

Or l’organisation politique qui pouvait jouer ce rôle était le Parti Communiste français, car le crédit dont il disposait et dispose encore auprès des masses, n’est pas un crédit lié à la satisfaction de revendications économiques, mais un crédit politique. Le PCF est une force en France parce que le prolétariat français, comme d’ailleurs l’ensemble de la société, est très politisé (en tout cas nettement plus que le prolétariat allemand actuel et américain). Ce crédit dont dispose le PCF est basé sur le fait qu’il est l’héritier de la Révolution russe mais aussi sur le fait plus actuel, qu’il est, politiquement, depuis des décennies, la seule force politique d’opposition, la seule force d’extrême gauche, celle autour de laquelle se cristallisent, par la force des choses, tous les espoirs de changement de la société. Cela aboutit au paradoxe que personne ne lui demande de réalisation et, sur le plan revendicatif, personne ne lui demande de réussir.
Depuis la période de 1945 où la bourgeoisie française a eu un besoin vital du PCF et de la CGT, et a donc accordé à la CGT en tant qu’organisation (et par son intermédiaire au PCF) une position privilégiée dans la structure sociale du pays, cette idylle ne s’est pas poursuivie sans nuage mais n’a jamais été complètement rompue. La guerre froide a gelé quelque peu les rapports du PCF et de la bourgeoisie. Les ministres communistes ont perdu leurs sièges et le Gouvernement a plus ou moins suscité une scission dans la CGT d’où est sortie la CGT-FO qui bénéficia des mêmes avantages mais ne put cependant faire pièce efficacement à la CGT La CGT-FO put contester le monopole de la CGT mais ne put jamais la déplacer de ses positions et ne gagna qu’une audience restreinte que sa politique ouvertement pro-gouvernementale en cette période ne contribua pas à élargir.
Et la bourgeoisie française dut bien se contenter de voir sa défense assurée principalement par les staliniens. Les autres Centrales syndicales n’existent en fait que pour les mêmes raisons. Ce sont les « lois sociales » de l’époque dite de la « Libération » qui garantissent les syndicats français même contre une baisse de leur popularité et, dans une certaine mesure, mais beaucoup moindre, contre des offensives patronales.

Et c’est de ce seul prix que l’État de la bourgeoisie française paye le soutien, des formations syndicales qui, en France (comme en certains autres pays d’Europe) sont politisées.

L’impérialisme français n’est plus capable depuis longtemps de se payer le luxe onéreux d’une démocratie économique et sociale même relative où le réformisme pourrait jouer un rôle. Les syndicats le savent bien, cela fait partie de leur conscience politique depuis 1945. La satisfaction de la plus élémentaire des revendications économiques du prolétariat détruirait le fragile et instable équilibre sur lequel repose l’édifice économique de l’impérialisme français affaibli.
En conséquence, les syndicats français ne peuvent absolument pas diriger les luttes revendicatives en recherchant un résultat, même s’ils se plaçaient sur le terrain strictement corporatiste. Leur fonction n’est pas la fonction classique du réformisme, paralyser tout développement révolutionnaire des luttes ouvrières, mais une fonction particulière : empêcher toute lutte revendicative d’aboutir à des résultats qui dépasseraient ce que la bourgeoisie française peut supporter, c’est-à-dire fort peu.

Et c’est ainsi que l’on voit depuis vingt ans les Centrales syndicales françaises paralyser ou empêcher préalablement toute lutte revendicative de quelque importance.

En fait, depuis vingt ans, ce que les luttes grévistes « arrachent » au patronat français ce sont les augmentations prévues par les plans gouvernementaux, celles qui sont censées ne pas mettre en danger l’économie du pays, et les syndicats se gardent bien d’aller au delà, même en paroles, Dans les cinq dernières années, l’expansion économique, par la raréfaction de la main-d’oeuvre, a fait plus augmenter les salaires que les luttes revendicatives n’ont pu le faire.
Un autre facteur qui ne permet pas aux syndicats français de se montrer au moins efficients sur le terrain revendicatif vient des traditions, et de la politisation, du prolétariat français. Le prolétariat français est relativement politisé, nous l’avons déjà dit. mais il est aussi relativement peu corporatiste. Et une grève de longue durée dans un secteur quelconque de l’économie a naturellement tendance à faire tache d’huile et à s’étendre. Lorsque cela se produit les syndicats doivent déployer des trésors d’énergie et d’ingéniosité pour empêcher le mouvement de se propager. Une grève prolongée dans un secteur quelconque peut donc se transformer en grève générale, et cette crainte vient évidemment s’ajouter à ce qui précède.
Tout cela peut apparaître en contradiction avec le fait que les Centrales syndicales françaises organisent des mouvements grévistes, parfois les suscitent par l’agitation, et qu’elles vont assez souvent jusqu’à la grève générale.

En fait elles sont contraintes, et la CGT plus que les autres, à apparaître aux yeux des travailleurs comme étant à la tête de leurs luttes. Les staliniens savent bien que la bourgeoisie les tolère, et ne leur concède les avantages qui leur permettent d’exister sans combattre, que s’ils lui sont utiles. Pour être utiles il leur faut suffisamment de crédit auprès des travailleurs. Le jour où ils perdraient tout crédit, ils deviendraient incapables de jouer le même rôle et seraient immanquablement rejetés par la bourgeoisie.
A défaut de luttes économiques réelles il faut donc qu’au moins la CGT en organise des parodies ; de là les grèves de « démonstrations », « d’avertissement », « tournantes », « partielles », les grèves générales... de 24 heures etc.. que la bourgeoisie supporte pour ce qu’elles sont, un mal nécessaire mais pas une menace. C’est inefficace, mais les travailleurs attribuent généralement cette inefficacité au contexte politique (gouvernement « réactionnaire » etc..). Et même si les travailleurs sont convaincus de cette inefficacité et de la duplicité des Centrales syndicales, les appareils bureaucratiques sont passés maîtres dans l’art de désamorcer les conflits sociaux. Dés que des travailleurs sont, dans un secteur quelconque, près à se mettre en lutte, on les engage dans des grèves limitées à une heure ou deux par jour, stériles, inefficaces et démoralisantes, C’est le meilleur moyen que les bureaucrates aient trouvé d’empêcher les plus combatifs d’entraîner ceux qui le sont moins : on les fait lutter seuls. Lorsque les autres sont prêts au combat, les premiers sont épuisés. Parfois, on va jusqu’à une grève de 24 heures de toute une corporation, ou même nationale comme celle qui se prépare, et qui est un coup d’arrêt et non un début.
Après une telle journée les militants déclarent aux travailleurs que la grève générale est un baroud sans lendemain et qu’il vaut donc mieux des actions de « harcèlement ». Depuis vingt ans nous ne sommes pas sortis de ce genre d’actions et de cette cage à écureuils où les bureaucraties syndicales ont enfermé les travailleurs français.
Une certaine contestation joue aussi sur ce terrain entre les différentes Centrales concurrentes.

La CGT est de loin celle qui dispose, pour des raisons politiques, du plus grand crédit. C’est donc elle qui finalement est le soutien de la bourgeoisie française, c’est le pivot de cette politique inaugurée par de Gaulle en 1944.

La CGT-FO ne fait pas de surenchère vis-à-vis de la CGT, ou du moins fort peu. Liée à la social-démocratie, elle est encore plus responsable vis-à-vis de la bourgeoisie que ne l’est la CGT et se garderait bien d’attaquer celle-ci sur sa gauche. Sa place est à sa droite, elle le sait et l’affirme hautement. Son rôle, celui qui lui a été assigné depuis 1947, est de remplacer la CGT si les aléas de la politique internationale faisaient que les staliniens ne puissent plus conserver la place qu’ils ont au sein de la société française. Déjà en 1948 une tentative a été faite, mais la situation internationale n’allant pas au delà d’une guerre froide, FO se contenta de paralyser un peu les actions de la CGT Aujourd’hui, FO est inutile, mais se réserve pour l’avenir. Elle n’a guère besoin de rechercher la confiance des travailleurs : le monopole dont elle a une part en même temps que la CGT, lui permet de survivre et, là où le manque de confiance des travailleurs l’éliminerait au profit de la CGT, l’État intervient pour corriger les « injustices » des suffrages ouvriers (réforme récente de la Sécurité Sociale par exemple). Ce que FO a besoin de conserver de façon vitale, c’est la confiance de la bourgeoisie.

Seule la CFDT fait un peu de surenchère. Il faut dire que sa situation est vraiment spéciale. Ancienne Centrale syndicale catholique elle avait une solide réputation de syndicat jaune, de syndicat patronal, réputation méritée cela va sans dire. Cette Centrale a cherché à démontrer à la bourgeoisie qu’elle pourrait, dans l’avenir, jouer, bien plus efficacement, le rôle dévolu à FO ; qu’elle pourrait même, dans le présent, lever l’hypothèque du stalinisme en concurrençant la CGT, en lui faisant perdre tout ou partie de son influence. Pour cela, cette Centrale se découvrit soudain une virginale combativité qu’elle sanctifia en en remplaçant son ancien sigle par un nouveau. Le calcul était cependant erroné à grande échelle et sur une longue période. S’il fut possible à une CFTC faible de surprendre la CGT sur sa gauche, surtout au moment de la guerre d Algérie, cela n’est plus possible pour l’actuelle CFDT relativement puissante. La CFTC pouvait se permettre une certaine phraséologie, voire certaines actions, que la CGT ne pouvait pas reprendre à son compte sans déclencher des mouvements d’ampleur. La CFTC (puis la CFDT) y gagna du crédit, surtout d’ailleurs dans les « couches nouvelles » du prolétariat (cadres, techniciens etc..). Depuis deux ans, la CFDT « ayant eu une croissance relativement importante, ne peut plus, pour la même raison, se livrer à cette compétition : le maximum de son radicalisme est, depuis cette période, l’unité d’action avec la CGT Unité d’action qui est maintenant compromise, car la bourgeoisie française plus avertie sait cette voie barrée : la CGT ne peut pas être attaquée sur sa gauche sans danger pour l’ordre social, et il n’y a pas de place en France pour un syndicalisme « à l’américaine », suivant le vocabulaire même de la CFDT, car, la bourgeoisie le sait mieux que les jeunes militants CFDT, le pays n’est plus assez riche pour le réformisme.

Les luttes des syndicats français, c’est-à-dire en fait de la seule CGT qui est la seule à en avoir besoin, sont donc des parodies, des simulacres de lutte, sans même d’objectifs revendicatifs. Ce spectacle n’a comme seul but que d’entretenir la réputation d’opposition au régime, à l’État et au patronat, de la CGT ; réputation sans laquelle elle ne pourrait remplir son rôle de paravent anti-révolutionnaire d’une part, mais surtout, et sans aller si loin, son rôle protecteur contre les simples revendications économiques des travailleurs, dans une société qui n’en peut satisfaire aucune.

Ce rôle, la CGT - et le PCF - le jouent car cela paie leur droit à l’existence ; la bourgeoisie et l’État leur accordent en échange des privilèges (surtout anti-ouvriers, tels le monopole des Comités d’Entreprise etc.) qui leur permettent d’exister quasi indépendamment de l’opinion ouvrière.

Ce n’est pas un phénomène récent, ce n’est pas un phénomène particulier. C’est l’expression locale d’un phénomène général, c’est l’évolution d’un syndicat stalinien dans un État impérialiste particulièrement décadent.

En juillet 1975

le problème de la démocratie syndicale au sein de la CGT ne se limite pas aux entraves apportées par l’appareil à l’activité syndicale des militants révolutionnaires. Il s’agit d’un problème plus général et plus grave. Non seulement parce que la démocratie syndicale ne peut pas se diviser, et qu’on ne voit pas comment une confédération qui emploie des méthodes anti-démocratiques contre les militants révolutionnaires pourrait être un modèle de démocratie vis-à-vis du reste de ses adhérents. Mais aussi parce que toute la politique de la direction de la CGT tend à réduire la vie syndicale démocratique au minimum.
Bien loin de tendre, pour reprendre les propres expressions de Séguy, au « renforcement » de la CGT « d’un point de vue de classe », bien loin d’essayer d’organiser effectivement le plus grand nombre possible de travailleurs, de les réunir régulièrement, de leur apprendre à décider eux-mêmes de ce qui les concerne, tous les efforts de la direction de la CGT tendent au contraire à réserver le monopole des décisions à un appareil soigneusement sélectionné, et à éloigner les travailleurs du rang de toute vie syndicale, en en faisant de simples porteurs de cartes.

Si la direction de la CGT fait tout pour empêcher l’existence d’une vie syndicale démocratique, ce n’est pas seulement, d’ailleurs, pour mettre ses adhérents à l’abri d’une éventuelle, contagion révolutionnaire. Les militants de la CGT, parce qu’ils font souvent partie des éléments les plus dévoués, les plus combatifs et les plus politisés de la classe ouvrière, pourraient certes être particulièrement sensibles aux idées révolutionnaires. Et c’est bien ce qui explique la hargne et la constance que l’appareil déploie pour isoler et éliminer les révolutionnaires. Mais ceux-ci sont encore loin d’être présents partout, leurs idées sont encore minoritaires. Et si la direction de la CGT fait tout pour entraver la possibilité de développement d’une vie syndicale réelle, c’est pour des raisons plus générales. C’est parce que, par rapport à la politique qui est la sienne, par rapport à l’État bourgeois, au patronat, et à chaque patron en particulier, elle a besoin d’avoir les mains libres, de ne pas être liée par les réactions ou les décisions de sa base.

Le réformisme de la direction de la CGT ne l’amène pas seulement, en effet, à se refuser à envisager tout affrontement avec l’État bourgeois, à mettre en cause l’ordre capitaliste. Il l’amène aussi à se refuser à toute lutte, même rigoureusement limitée au plan économique, qui pourrait vraiment gêner la bourgeoisie, et mettre en cause la politique de collaboration de classe de l’appareil syndical Et ce refus ce toute lutte revendicative généralisée amène également l’appareil CGT à freiner bien des luttes locales, ou à ne pas faire tout ce qui serait possible pour leur donner le maximum de chances de vaincre.
L’appareil cégétiste est donc susceptible d’entrer en conflit avec sa base, même lorsque le niveau de conscience de celIe-ci ne dépasse pas le plus classique réformisme, même lorsqu’il s’agit de luttes ne se donnant comme but que la satisfaction de revendications économiques élémentaires. Et c’est pour éviter de se trouver devant ce genre de problème que la direction de la CGT fait tout pour réduire la vie syndicale au maximum.

A plus forte raison l’appareil cégétiste met-il tout en oeuvre lorsque les travailleurs sont engagés dans des luttes, pour garder le contrôle le plus étroit possible sur la direction de celles-ci. C’est aux organisations syndicales de jouer ce rôle de direction, affirme-t-il.

Mais c’est oublier que dans I’immense majorité des cas, seule une minorité de travailleurs est syndiquée et que seule une plus petite minorité encore participe vraiment à l’activité syndicale. Quand bien même le syndicat s’efforcerait-il de faire participer tous ses adhérents à la direction de la grève - ce qui n’est pas le cas, sauf exception rarissime - que la plupart des travailleurs en grève resteraient donc à l’écart de celle-ci. C’est pourtant dans de telles circonstances, lorsque des travailleurs qui ne participent habituellement à aucune vie syndicale, qui n’avaient même pas conscience bien souvent, quelques jours plus tôt, de la nécessité de s’organiser, sont engagés dans une lutte, que des militants ouvriers réellement conscients des intérêts de leur classe devraient tout faire pour que ces ouvriers prennent conscience de la nécessité et de l’intérêt de s’organiser. Pour qu’ils prennent conscience aussi des immenses possibilités de la classe ouvrière, lorsqu’elle prend son sort en main. En quelques jours, les travailleurs peuvent apprendre plus, dans le feu de la lutte, qu’en des années d’exploitation subies passivement.

Faire en sorte que les travailleurs en grève assument eux-mêmes la direction de leur lutte, c’est préparer la classe ouvrière à gérer demain toute la société. Et ce ne peut être que le rôle du comité de grève, élu par l’ensemble des grévistes, responsable devant l’ensemble des grévistes.

Mais la direction de la CGT est résolument opposée à ces comités. Et quand l’appareil ne parvient pas à en empêcher la formation, il fait tout pour limiter leur rôle et leur pouvoir.

Dans ces circonstances, la volonté de l’appareil d’empêcher les travailleurs de prendre en mains leur propre sort est manifeste. Mais c’est fondamentalement à la même politique que l’on assiste dans l’activité quotidienne, lorsque les responsables n’organisent aucune réunion syndicale, ou en organisent sur le temps de travail, ouvertes aux seuls délégués, ou encore en organisent de si ennuyeuses que les malheureux qui y ont assisté deux ou trois fois n’ont plus aucune envie d’y revenir.

En 1978-79

Nous citons ici un texte de Lutte Ouvrière intitulé « A propos des grèves SNCF de Villeneuve-triage et Paris-Austerlitz (décembre 1978 et janvier 1979) » :

Ces deux grèves concernaient un nombre de travailleurs limité (environ 400 pour la première, 200 pour la seconde). Elles avaient pour objet des revendications locales elles aussi très limitées, qui mettaient hors de question la perspective de la moindre extension du mouvement. Elles se sont soldées toutes les deux par un échec au plan des revendications. Et elles n’ont eu un petit retentissement et n’ont soulevé d’intérêt que parmi les cheminots des secteurs SNCF qui côtoient immédiatement les secteurs qui ont fait grève (régions Paris-Sud-Est et Paris-Sud-Ouest SNCF). (…)

La grève à Villeneuve-triage

(…) Il fallait organiser la grève au mieux. Mais la première condition, puisque pression de la base il y avait, était de ne pas organiser cette grève au nom des syndicats en général et de la CGT en particulier, même si nos camarades étaient des dirigeants cégétistes locaux. Puisque la situation le permettait, il était de notre devoir de militer pour que les gars forment leur comité de grève et prennent en mains leur propre lutte, ou bien alors de s’associer à la grève en tant qu’individu, mais en refusant de la diriger.

A la suite de l’assemblée de jeudi matin nous décidons donc de proposer de mettre en place un comité de grève, élu par les grévistes, responsable devant eux et éventuellement révocable par eux, composé des plus représentatifs d’entre eux, syndiqués ou non et quelle que soit leur appartenance syndicale.

En fait, surtout vu rétrospectivement nous avons sans doute trop tardé à faire cette proposition.

Mais surtout nos camarades eux-mêmes ont quelque mal à la faire passer dans les faits. Les grévistes eux-mêmes, sans être contre, ne voient pas bien la nécessité ou l’utilité du comité de grève. Le dirigeant de la CFDT, tout libertaire qu’il soit, estime que « le comité de grève, c’est un slogan » et n’entend pas pousser à la constitution d’un réel comité. Et surtout nos camarades, qui ont agi jusqu’ici en tant que dirigeants CGT, ont du mal à se reconvertir, à ne plus agir en tant que représentants du syndicat mais à se poser en dirigeants des grévistes ne voulant tenir leur autorité dans la grève que des grévistes eux-mêmes et au travers des structures mises en place par les grévistes.

Du coup, jeudi et vendredi, la propagande pour le comité de grève semble rencontrer peu d’échos et les propositions de le mettre en place tombent à plat. En fait, nos propres camarades sont peu convaincus de la nécessité de ce comité de grève et, en tout cas, de la nécessité pour eux de cesser de diriger la grève si les travailleurs ne sont pas assez conscients de la nécessité d’un comité, car cela fait partie de notre analyse.

Pour pouvoir faire grève avec des chances de succès, il leur faut non seulement la volonté de faire grève, mais encore la conscience et l’on peut se demander qui de nos camarades ou des travailleurs étaient les moins conscients pendant cette période de quelques jours car, de fait, les travailleurs avaient déjà dépassé ce niveau et le problème du comité de grève était le problème de l’heure depuis déjà plusieurs jours.

Car pendant tout ce temps, nos camarades continuaient à se conduire en simples responsables du syndicat car, dès le vendredi, ils pourront vérifier que cela avait des conséquences et que le niveau de conscience des travailleurs dépassait déjà la représentation syndicale…
Ce jour-là, la direction SNCF régionale accepte de recevoir les représentants des syndicats. (…) Et lorsqu’à la demande de nos camarades d’interrompre la réunion pour aller faire le point avec les grévistes qui attendaient dehors, les représentants de la CGT ne bougent pas… et nos camarades non plus.

Aussi, deux heures plus tard, lorsque les délégués sortent, c’est par des huées qu’ils sont accueillis par les 120 grévistes qui prennent violemment à partie les syndicats pour les avoir fait attendre, dans le froid, et qui plus est pour rien (car la direction n’a pratiquement rien cédé) et sans avoir pris la peine de leur rendre compte régulièrement de la situation. Ce soir-là la proposition de faire un comité de grève, refaite aux 120 présents par un camarade, est carrément repoussée. Les grévistes n’y voient qu’une proposition des syndicats. Et ils sont bien décidés à montrer aux syndicats qu’ils sont mécontents en votant contre toutes leurs propositions. Les camarades n’avaient plus le choix : ou ils continuaient de se comporter en dirigeants syndicalistes qui savent eux, à la place des travailleurs, ce qu’il est bon de faire, ce qu’il n’est pas bon de faire, etc…, ou ils prennent conscience qu’ils sont avant tout des militants révolutionnaires et que c’est trahison que de ne pas mettre en place des formes démocratiques et révolutionnaires de direction et d’organisation de la classe ouvrière dès que les circonstances le permettent.

(…) On ne fait pas de syndicalisme lorsque les travailleurs sont en mouvement et prêts à prendre leur lutte en mains. (…) Les réformistes ne sont pas tous des traîtres conscients ; l’immense majorité d’entre eux se trompent tout simplement sur le niveau de conscience des masses et restent un pas en retard par rapport à elles. C’est ce qui, en tout petit, a failli arriver à nos camarades en cette circonstance.
Disons que ce n’est pas une critique car c’est arrivé à bien d’autres et cela arrivera encore à bien d’autres. (…) Mais bien entendu en d’autres circonstances, dans des mouvements plus larges, plus décisifs, c’est une véritable trahison. C’est pour cela que nous attachons tant d’importance à la discussion de ce mouvement.

Pour en revenir au triage de Villeneuve, le comité de grève sera mis en place, le matin suivant. (…) A partir de ce jour, samedi 2, c’est le comité qui devient la direction effective de la grève. (…)Il faut dire aussi que le camarade qui était secrétaire de la section CGT nous a fait parvenir sa décision de démissionner (de LO et de son mandat syndical). Depuis le début de la grève, il tirait en arrière. (…)

La grève à Paris-Austerlitz

Le mouvement à Paris-Austerlitz qui va suivre celui de Villeneuve dans la foulée va bénéficier des enseignements que nous avons pu tirer de celui-ci. (…)

Au début décembre, la soixantaine de « nicoteurs » commencent à parler de faire grève pour les départs de fêtes de Noël. (…) La CGT intervient pour expliquer que c’est une erreur de faire grève au moment des fêtes. (…) Les travailleurs ne comprennent pas trop la nécessité de s’organiser, ne voient pas le sens d’un comité de grève. (…)

Le 22 au matin les quelques gars battants tentent de lancer la grève. Les syndicats, malgré le soutien promis, sont absents. (…) C’est l’occasion pour notre camarade de rediscuter avec eux, d’expliquer une nouvelle fois et, cette fois, d’être mieux compris. (…) Finalement il y a 21 candidats pour ce comité de grève provisoire. (…)

Après la constitution du comité, l’appareil CGT commence à réagir. Les dirigeants du syndicat font leur réapparition dans les assemblées générales, dans les tournées. Ils essaient de dissuader de aire grève en présentant les propositions de la direction comme positives et, surtout, critiquent le comité de grève. (…) Celui-ci n’en continue pas moins son travail. (…)

L’hostilité de la CGT envers la grève et le comité de grève ne fait que croître au fil des jours. (…) C’est toujours le comité qui dirige, qui propose, qui organise et c’est lui que les grévistes regardent comme l’unique direction de la grève. (…)

La grève n’a rien amené. Pourtant, là aussi comme à Villeneuve, les travailleurs e sont pas du tout démoralisés. Ils ont vraiment fait l’expérience – et ils le disent – que leur mouvement, ils pouvaient l’organiser et le contrôler contre la direction mais aussi contre les bureaucraties syndicales. (…)

Dans ces deux mouvements, nous aurions pu nous contenter d’essayer de prendre la direction en tant que représentants du syndicat (CGT à Villeneuve, CFDT à Paris-Austerlitz). Cela aurait sans doute été parfaitement possible, et dans ce cas nous aurions pu certainement coopérer avec l’appareil CGT. (…) Nous nous y sommes refusés, considérant que dans un tel mouvement tout ce que les travailleurs avaient à y gagner était d’élever leur niveau de conscience en apprenant qu’il était possible d’avoir une autre organisation de la grève, qui à la fois permette le contrôle démocratique de celle-ci par les grévistes et amène ceux-ci à être partie prenante de toutes les décisions et de toute l’organisation. (…)

En 1985

Dans le texte d’orientation de l’organisation intitulé « Nos objectifs » de 1985, LO écrivait :

« Dans les entreprises, notre but est de prendre la tête des luttes et de devenir la direction reconnue des travailleurs chaque fois que ceux-ci veulent combattre. Cela est vrai aussi bien pour les mouvements très limités par le nombre des participants, les objectifs, l’impact et la durée que pour ceux d’importance nationale. Il n’y aura pas de parti révolutionnaire tant qu’une organisation révolutionnaire, et ses militants, n’auront été acceptés, reconnus et suivis comme leaders par les travailleurs en lutte dans des dizaines ou même des centaines de grèves et de mouvements sociaux dans tout le pays. Dans les luttes nous sommes en concurrence directe avec les appareils réformistes politiques ou syndicaux, non seulement pour être à la direction mais aussi sur la manière de l’être, ou de le devenir, et celle de mener cette lutte. Ainsi une grève menée par un militant révolutionnaire mais uniquement en tant que militant ou leader syndicaliste et à la manière habituelle des syndicats réformistes, ne fait guère avancer l’implantation de l’organisation révolutionnaire ni la construction du parti, les travailleurs, et pour cause, ne pouvant alors voir de différence entre les révolutionnaires et les réformistes. (…) Et tout mouvement de grève qui reste dans le cadre syndicaliste, même avec des militants révolutionnaires à sa tête, alors qu’il aurait pu déborder ce cadre, est finalement quelque chose de négatif, sinon de nuisible. Notre but est donc de promouvoir et de prendre la tête de mouvements où tous les travailleurs en lutte participent de manière active tant dans les actions et l’organisation que dans les décisions. »

En 1988

France La grève de la SNECMA et la politique d’extension des luttes
Commencée le 16 mars à l’usine de Gennevilliers, terminée le 30 mai dans celle de Villaroche, la grève de la SNECMA a duré dix semaines. C’est la plus longue grève qui ait eu lieu en France ces dernières années dans une entreprise de cette importance. La SNECMA, quatrième constructeur mondial de moteurs d’avion, compte 13 000 salariés répartis essentiellement dans trois centres de la région parisienne (Gennevilliers, Villaroche et Corbeil), 25 000 avec ses filiales. Fournisseur entre autres de Airbus et Boeing, ses affaires sont florissantes.

Mais la longueur de la grève n’est pas le seul de ses traits qui sortent de l’ordinaire, du moins comparés aux mouvements de cette dernière décennie en France. Une autre caractéristique fut de se dérouler en pleine période électorale, avant, pendant et même après les élections présidentielles. La trêve sociale électorale traditionnellement respectée ne l’a pas été cette fois-ci. Certes le Parti Communiste Français n’attendait rien de bon de ces élections sinon une nouvelle déconfiture, ce qui s’est passé en effet. La CGT, dont la direction est liée au PCF, avait donc moins de raisons de peser pour imposer cette trêve de fait et de s’opposer à d’éventuels mouvements. Mais encore fallait-il que des travailleurs décident d’entrer en lutte.

Qu’ils l’aient fait à ce moment-là indique que les travailleurs de la SNECMA n’attendaient guère des élections. Les grévistes ont certainement voté en très grosse majorité pour les candidats du PCF ou du PS. Mais ce n’est pas d’une victoire électorale de la gauche qu’ils espéraient obtenir satisfaction pour leurs salaires. Et l’indifférence générale montrée par les travailleurs de la SNECMA, à l’exception peut-être de quelques militants CFDT liés au Parti Socialiste, même après la victoire de Mitterrand, le corrobore bien.

Une bonne fraction de la classe ouvrière a, explicitement ou implicitement, tiré les leçons du premier septennat de Mitterrand. Elle préfère sans doute, par tradition, la gauche à la droite. Mais que ce soit l’une ou l’autre au pouvoir, le sort de la classe ouvrière se détériore de même. Les salaires, objet de la grève de la SNECMA, n’ont-ils pas été bloqués par un gouvernement socialiste à participation communiste, et ce blocage n’a-t-il pas été maintenu sous les gouvernements socialistes sans communistes d’abord, de droite ensuite ? Comment un certain nombre de travailleurs n’en auraient-ils pas tiré, au moins confusément, l’idée qu’ils devaient compter sur leur lutte, pas sur les urnes ?

Les mouvements, plus limités, qui ont eu lieu dans la même période électorale dans le trust Michelin, montrent que les travailleurs de la SNECMA n’étaient pas seuls. Ce n’est peut-être encore que de l’indifférence vis-à-vis du système politique et des politiciens bourgeois, mais si elle se traduit par un pas en direction de la lutte de classe, c’est un pas en avant pour la classe ouvrière de ce pays.
Pourtant ce qui a caractérisé vraiment la grève de la SNECMA c’est autre chose encore : l’orientation consciente en direction d’autres travailleurs, la politique de l’extension menée par une fraction importante des grévistes à l’inspiration et sous l’influence des militants révolutionnaires, et notamment des militants de Lutte Ouvrière. Et c’est cela sans doute qui peut laisser des traces lors des prochaines grèves.

L’extension de la gréve a toute la Snecma

Le mouvement a commencé à Gennevilliers à l’initiative des syndicats CGT et CFDT. La CGT, qui donnait le ton, mettait en avant la revendication d’une augmentation de salaires de 8 % avec un minimum de 1 500 F, mais proposait des débrayages limités d’une heure par jour en guise d’action.

Les militants de Lutte Ouvrière, syndiqués et souvent délégués CFDT après leur exclusion de la CGT quelque neuf mois plus tôt (à la suite d’une première tentative de grève pour les salaires), proposèrent lors des assemblées générales tenues lors des débrayages, que la revendication devienne « une augmentation mensuelle de 1 500 F uniformes pour tous ». C’est ce qui fut voté. Le pourcentage retenu dans la formulation CGT n’avait pas de sens pour les grévistes, ouvriers de production, dont les salaires mensuels n’atteignent pour la plupart pas la moitié des 18 750 F mensuels au-dessus desquels 8 % d’augmentation représenteraient plus de 1 500 F. Ils ne voulaient pas tirer les marrons du feu pour les hauts cadres, à coup sûr de l’autre côté de la barricade. Et puis, la revendication en pourcentage laissait entendre que la direction CGT n’était pas au fond décidée à se battre pour 1 500 F, qu’elle était prête à négocier autre chose. Bien des travailleurs pensaient qu’il y avait bien peu de chance d’obtenir ces 1 500 F. Mais formuler une revendication d’augmentation uniforme pour tous, c’était non seulement justice et égalité, mais aussi dire clairement que c’était bien une augmentation importante des salaires qu’ils réclamaient.

Les militants de Lutte Ouvrière, par contre, ne recueillirent pas la majorité pour leur proposition de décider la grève de 24 heures reconductible, qui permettait à la minorité qui débrayait (quelques centaines de travailleurs sur 1 400 ouvriers et 2 600 salariés que compte le centre) d’aller discuter et convaincre les autres de se joindre au mouvement. La proposition de se mettre vraiment en grève faite à plusieurs reprises fut repoussée à chaque fois. Elle pouvait sembler logique avec la revendication avancée. 1 500 F correspondaient à peu près à 25 % des plus bas salaires de l’usine. Personne ne pouvait certainement penser obtenir cela avec des débrayages limités alors que la direction proposait 3,8 % (et encore, y compris les augmentations individuelles, soit seulement 2,1 % pour tous). Mais les travailleurs hésitaient encore. Pourtant, durant une semaine, les débrayages quotidiens appelés par les syndicats furent de moins en moins suivis. Les travailleurs savaient en tout cas que ce n’était pas la forme de lutte adaptée.

Dans ce climat, la vraie grève est partie non des militants révolutionnaires, mais d’une toute petite équipe de travailleurs qui s’estimaient victimes d’une brimade. Une fois en grève, ces travailleurs firent, spontanément au début, ce que les militants révolutionnaires proposaient en vain depuis des jours : aller aux autres pour les inviter à les suivre. Le mouvement fit rapidement boule de neige, le mercredi 16 il y avait 500 grévistes, et environ 1 200, l’immense majorité des ouvriers de la production, le jeudi 17. Devant l’extension quasi spontanée de la vraie grève, la CGT s’était jointe aux militants de la CFDT et de Lutte Ouvrière pour mettre l’usine en grève de 24 heures reconductible (c’est-à-dire que la grève était revotée chaque matin par l’assemblée générale). Ce n’est pas la dernière fois que, dans ce mouvement, sous la pression de la base, la CGT changera de position.
La production arrêtée à Gennevilliers, se posait automatiquement la question d’étendre la grève aux autres centres SNECMA. La proposition fut faite par les militants de Lutte Ouvrière d’aller visiter ceux-ci, à la façon dont les premiers grévistes s’étaient répandus dans les autres ateliers de Gennevilliers. Elle ne trouva pas d’opposition, tant sans doute l’idée d’étendre la grève à toute la SNECMA semblait naturelle. La CGT l’appuya. C’est elle qui proposa même de commencer par le centre de Villaroche, en affirmant que là-bas, la CGT était prête à accueillir les grévistes de Gennevilliers. S’il y avait quelques idées derrière la tête des dirigeants CGT (Villaroche est le centre le plus éloigné de Gennevilliers ; c’est aussi celui qui compte le moins d’ouvriers de production - 1 000 sur 4 800 salariés, mais aussi 2 000 techniciens - et qui avait, avant la grève, le moins de tradition de lutte parce que le plus récent), la suite se chargera de les ôter : c’est à Villaroche que la mobilisation a certainement été la plus large sinon la plus profonde, notamment parmi les techniciens. Et c’est aussi la CGT - qui tient le Comité d’Entreprise - qui loua les cars nécessaires pour transporter des centaines de grévistes à 80 kilomètres.
Apparemment, l’extension de la grève se faisait avec l’appui de la CGT. Les réticences ne se virent qu’à ce qui pouvait passer pour des détails : parler de « délégations « alors que les grévistes se proposaient de se rendre en masse à l’autre usine, ou encore le fait que les principaux responsables restèrent à Gennevilliers quand, lundi 21 mars, 350 travailleurs de cette usine se rendirent effectivement à Villaroche où, se répandant dans les ateliers, propagandistes enthousiastes de la grève, ils déclenchèrent effectivement celle-ci.
Les réticences des dirigeants CGT, et de certains CFDT aussi, d’ailleurs, se virent également ce jour-là quand, devant les travailleurs de Gennevilliers et de Villaroche réunis en assemblée générale, ils tentèrent de reculer le plus possible la date retenue pour aller ensemble mettre en grève le troisième centre, Corbeil. Ce fut l’assemblée générale qui imposa cette visite pour le surlendemain, mercredi 23, plutôt qu’à la fin de la semaine ou même la semaine suivante.

A Corbeil (5 400 salariés dont 1 500 ouvriers) mercredi 23, envahi par 1 100 travailleurs de Gennevilliers et de Villaroche, les réserves des directions syndicales, qui n’avaient pas vu arriver les grévistes d’un très bon oeil, furent encore plus visibles. Elles ne se décidaient pas à proposer de voter la grève. Pourtant, là aussi la grève fut décidée par des centaines de travailleurs sur la proposition de militants de Lutte Ouvrière... et surtout sous la pression amicale et enthousiaste des travailleurs des autres centres déjà en grève.

A la fin de cette deuxième semaine, les trois usines SNECMA étaient en grève. L’énorme majorité des ouvriers de production à Gennevilliers et des centaines de travailleurs à Villaroche et à Corbeil étaient en grève de 24 heures reconductible. Dans ces deux derniers centres, des milliers d’autres travailleurs débrayaient quelques heures quotidiennement, les directions syndicales, et en particulier la CGT, faisant plus ou moins discrètement pression pour que certains secteurs ne se joignent pas à la grève complète mais décident, chacun dans leur coin, une autre forme de lutte.

Pourtant, en gros, l’extension c’était réalisée à toute la SNECMA proprement, et, bon gré mal gré, les directions CGT et CFDT ne s’y étaient pas opposées ou même y avaient contribué, même si c’était avec des réticences et de toute évidence sous la pression de la base.
Bien plus, des comités de grève, comptant des syndiqués de différentes tendances et des non-syndiqués, étaient élus et mis en place à Villaroche et, avec plus de difficultés, à Corbeil. Dans le premier centre, CGT et CFDT le reconnaissaient comme direction de la grève et y participaient ; dans le second, elles se tenaient à l’écart tout en devant lui faire une place à leur égal.

Par contre, à Gennevilliers, l’opposition absolue de la CGT empêchait la mise en place d’un comité de grève, les travailleurs nombreux qui en étaient partisans craignant que sa création n’amène la CGT à abandonner le mouvement. La CGT finit par accepter, au mieux, une intersyndicale où elle et la CFDT firent place à des non-syndiqués.
La politique de l’extension et l’opposition des directions syndicales
A partir de ce moment, se posa la question de l’extension au-delà de la SNECMA. Pourquoi, en effet, la grève devrait-elle rester dans les limites de l’entreprise et l’élan qui l’avait fait s’étendre jusqu’ici, s’y arrêter ?

La revendication des grévistes était valable pour l’ensemble de la classe ouvrière. La CGT avait fixé le plancher de 1 500 F en se basant sur les besoins d’un travailleur moyen, après une enquête, disait-elle elle-même, dans différentes catégories et corporations. D’autre part, la direction SNECMA refusait de céder et s’appuyait pour cela sur la politique générale de blocage des salaires du gouvernement et de tout le patronat (quelques jours plus tard, le PDG expliquera dans une lettre à tous les salariés qu’il ne pouvait se « singulariser », étant prisonnier de la politique du gouvernement dont il dépendait car la SNECMA appartient à l’État). Ce n’est donc pas la seule direction SNECMA qu’il fallait menacer, mais le gouvernement et tout le patronat. Mais pour cela, les travailleurs de la SNECMA, isolés, n’étaient pas d’un poids suffisant. Ils n’en auraient eu la force qu’en étendant leur grève à d’autres usines et d’autres catégories de travailleurs.

La politique d’extension fut désormais le thème central des interventions des militants révolutionnaires, ceux de Lutte Ouvrière comme ceux de la LCR qui, à la SNECMA, se retrouvèrent côte à côte pour mener la même politique dans cette grève. Et c’est pour traduire cette orientation dans une action concrète, qu’à travers les organismes créés par les grévistes pour la grève qu’ils animaient (les Comités de grève et la Coordination des grévistes Inter-SNECMA mise en place dès le mardi 29 mars par les Comités de grève ou les Assemblées Générales pour unifier et coordonner les actions et les propositions dans les trois usines), ils proposèrent de se rendre en masse à d’autre entreprises comme les grévistes l’avaient déjà fait d’usine en usine de la SNECMA.

Et d’abord dans les filiales de la SNECMA, en particulier deux d’entre elles qui sont des usines relativement importantes dans la région parisienne, la Sochata à Boulogne et Hispano-Suiza à Bois-Colombes.
L’extension de la grève dans la SNECMA avait suscité beaucoup de méfiance chez certains dirigeants syndicalistes, mais sans vraie opposition de leur part. Dès qu’il fut question de se rendre hors de la SNECMA, cette opposition monta et elle se fit de plus en plus violente au fil des semaines et au fur et à mesure que les tentatives d’extension, c’est-à-dire les visites dans d’autres usines, dans des branches différentes, par les grévistes se multipliaient.

Cette opposition se manifesta en fait dès qu’il fut question d’essayer d’entraîner dans le mouvement les filiales, dont le lien avec la SNECMA était pourtant évident. Ainsi, le lundi 28, la CGT de Gennevilliers tentait de dissuader les travailleurs des trois centres qui s’étaient réunis là, d’aller à Hispano, assez proche. Cinq cents travailleurs s’y rendirent tout de même.

Là, d’abord, ils se heurtèrent à une porte fermée et cadenassée par la direction. C’était la première fois que cela se produisait. A Villaroche ou à Corbeil, les grévistes des autres centres avaient pu pénétrer facilement. Mais désormais, ce fut la règle dans toutes les usines visitées, il fallait d’abord forcer les portes que l’on verrouillait à l’annonce de leur venue.

Mais surtout, ils se heurtèrent à l’hostilité de la CGT de l’usine qui tint un long meeting de l’autre côté de la porte sans prêter attention aux arrivants. Puis, une fois que ceux-ci eurent forcé l’entrée, elle refusa ostensiblement de se mélanger avec eux. Pendant toute la visite, elle protégea... le building de la direction, que personne ne songeait à attaquer, les grévistes n’ayant pour souci que d’aller discuter avec les travailleurs des ateliers. Les jours suivants, la CGT parlait dans un tract « d’énergumènes » à propos des grévistes, et excluait un délégué CGT d’Hispano qui avait pris la parole au meeting tenu à la fin de leur visite par les grévistes SNECMA. Surtout, elle mena une vigoureuse bataille pour empêcher les travailleurs d’Hispano de se joindre à la grève comme le proposaient certains d’entre eux, une bataille qu’elle a finalement gagnée : Hispano n’est pas entré en grève. Seule une petite minorité des travailleurs a suivi les débrayages auxquels la CGT s’est résolue à appeler une fois qu’elle a été bien certaine d’avoir découragé beaucoup de travailleurs de se lancer dans une vraie grève.

De même la Sochata non plus n’a pas rejoint la grève, mais s’est contentée de débrayages, bien que les travailleurs aient, là, bloqué les portes pour empêcher la production de sortir (comme cela se faisait également à Gennevilliers et Villaroche) et que plusieurs dirigeants CGT aient été favorables et à l’extension et à la Coordination des grévistes Inter-SNECMA à laquelle ils ont participé.

Pour entraver les tentatives d’extension, la CGT des trois centres a multiplié les obstacles. D’abord, elle a le plus souvent refusé de participer aux visites des autres usines, bien que certains militants, et même dirigeants, aient tout de même participé à certaines de ces actions. Elle a découragé systématiquement les grévistes d’y participer, votant et appelant à voter contre, chaque fois qu’elle a cru pouvoir le faire, gardant au mieux une neutralité hostile les autres fois, lançant des mensonges pour faire peur.

Elle a eu recours à toutes les manoeuvres, des grandes, comme de proposer systématiquement une autre manifestation, quitte à retourner bien des fois, sans raison, devant le siège de la Direction Générale, aux mêmes jours où la Coordination proposait d’aller dans une autre entreprise, jusqu’aux plus mesquines, comme la distribution des secours à l’heure exacte du départ de la visite.

Quant à la CFDT, plus divisée, une partie de ses militants étant ouvertement pour cette politique d’extension, elle a davantage oscillé entre l’appui, allant même jusqu’à proposer certaines visites, et l’opposition résolue. Mais alors, mensonges ou manoeuvres ont été parfois l’égal de ceux de la CGT.

Il faut évidemment ajouter que l’extension de la grève aux autres entreprises ne s’imposait pas d’emblée à l’esprit des travailleurs de la SNECMA. Pour eux, il était au départ moins évident d’essayer d’entraîner les filiales que la SNECMA ; moins aussi les autres usines de l’aéronautique que celles du groupe, et encore moins celles de l’automobile ou de l’électronique que celles de l’aéronautique. A chaque étape, les préjugés corporatistes se sont fait sentir, cultivés et amplifiés bien entendu par les chefs syndicalistes opposés à l’extension.

Et à chaque étape, donc, il a fallu que la minorité consciente que la seule chance de la grève était dans cette direction, celle qui était aussi la plus combative, celle qui se retrouvait représentée par la Coordination des grévistes Inter-SNECMA, se batte pour convaincre et entraîner une partie des grévistes.

Elle y a réussi. Au cours de cinq ou six semaines, des grévistes des trois centres, souvent accompagnés par des travailleurs d’Hispano ou de la Sochata, sont allés à des centaines visiter un certain nombre de grandes usines de la région parisienne.

Ainsi, 1 000 grévistes sont allés aux ateliers du matériel d’Air France, à Orly, 800 à Dassault Saint-Cloud, 400 à Bronzavia-Air Equipement à Asnières, 200 puis 300 à Citroën Aulnay, le bastion du patronat réactionnaire, 200 à Thomson Malakoff, 100 à Alcatel Levallois. Et à chacune de ces usines, pratiquement le même scénario s’est renouvelé : la nécessité de forcer les portes, puis la promenade dans les ateliers, à la surprise sinon l’ébahissement des travailleurs, pourtant généralement bien contents de cette visite, la prise de contact avec eux, qui n’était pas difficile, pour expliquer les raisons de la grève à la SNECMA ou celles d’un éventuel combat commun, mais à l’ébahissement aussi des syndicalistes, certains, CGT, CFDT ou FO, sympathisant, d’autres au contraire restant ouvertement hostiles ou même se refusant à rencontrer les grévistes.

Le nombre de ceux qui se déplacèrent a diminué de semaine en semaine. C’est d’abord parce que la grève à la SNECMA perdait de son élan et que le nombre de grévistes lui-même se tassait. C’est aussi que, quelle que fût la sympathie de l’accueil, ils n’ont pas réussi à entraîner d’autres travailleurs dans la grève. Populariser le mouvement, populariser aussi la revendication au point qu’elle fut reprise par certains syndicats dans quelques-unes de ces usines, ne pouvait suffire. La grève aurait eu besoin pour tenir, face à l’intransigeance de la Direction, de s’accroître de nouvelles recrues. Mais c’est aussi parce que l’opposition des syndicats a été de plus en plus ouverte.

La grève de la Snecma a pose un jalon pour l’avenir

Les travailleurs de la SNECMA n’ont pas gagné. Ils n’ont pas obtenu les 1 500 F, ni même une partie de ceux-ci. Ils n’ont pas obtenu non plus le paiement des jours de grève qu’ils réclamaient également. La prime de reprise du travail de 1 400 F que la direction a concédée est très, très loin de compenser presque deux mois et demi de salaire perdus. Il est possible que dans les prochains mois, la direction SNECMA, qui a tout de même pris un coup, lâche quelques concessions, sous forme d’augmentations individuelles par exemple, ou encore annule une partie des dettes contractées par les grévistes (elle a accepté « d’avancer » 80 % de la paie des mois de grève), ce qui reviendrait au paiement d’une partie des jours de grève. Rien n’est sûr. La grève n’a donc pas gagné.

Ce que prouve cet insuccès, ce n’est évidemment pas que la politique d’extension était mauvaise, puisque l’extension de la grève ne s’est pas produite au-delà de la SNECMA. L’insuccès ne prouve qu’une chose : la grève limitée à la seule SNECMA, isolée, n’a pas eu assez de force pour faire céder le bloc uni du gouvernement et des patrons. Il prouve surtout que l’extension était indispensable.

Certes, elle ne s’est pas produite. Les grévistes ont reçu dans les usines où ils sont allés marques de sympathie et témoignages de soutien, signes d’intérêt aussi pour une revendication et une lutte qui auraient pu être celles de bien d’autres travailleurs. Mais la grève de la SNECMA, après celle de Chausson qui l’avait immédiatement précédée, et celle des cheminots d’il y a un an, n’est que le début d’un renouveau des luttes ouvrières après plusieurs années de recul sans combat. Le recul n’a pas entamé vraiment les forces de la classe ouvrière en France, mais il l’a démoralisée. Pour qu’elle reprenne la lutte, la grosse majorité des travailleurs a encore besoin de reprendre courage et de retrouver le moral.

C’est ce qu’auraient dû réussir les grévistes de la SNECMA pour avoir une chance d’entraîner d’autres travailleurs dans la grève. Ils l’ont réussi parfois en partie, d’ailleurs. Dans les usines visitées, les centaines de grévistes enthousiastes et assez décidés pour forcer les barrages dressés par les patrons pour les empêcher d’entrer dans les ateliers et de prendre contact avec les autres travailleurs ont en général impressionné favorablement ceux-ci. Mais pas encore assez.
Il aurait fallu qu’ils soient plus nombreux : 300 à Citroën forçant les grilles à la barbe du bon demi-millier de membres de la maîtrise rassemblés par la direction, cela a réjoui bien des travailleurs de l’usine. Mais pour avoir une chance de leur donner confiance en eux-mêmes comme en leur classe, il aurait fallu que les grévistes de la SNECMA soient 2 000, irrésistibles de manière évidente. Il aurait fallu aussi qu’ils aillent aux autres entreprises plus vite, dans les premiers temps de la grève, quand celle-ci montait et était en plein élan. Et plus souvent : visiter une usine par semaine, c’est finalement bien peu ; cela ne montre pas en tout cas la détermination nécessaire pour entraîner les autres, conforter les plus décidés et rassurer les hésitants.

Certes, si ce n’a pas été ainsi, une lourde responsabilité en revient aux directions syndicales. La CGT et, avec elle, le PCF, ont montré à l’épreuve de la grève les limites du radicalisme qu’ils affichent depuis un certain temps dans les colonnes de L’Humanité. Parler de mouvement d’ensemble, de lutte, de grève générale même, n’est bon que pour les communiqués et les articles. Quand les travailleurs eux-mêmes tentent de généraliser la lutte, quand l’occasion se présente de faire passer concrètement dans les faits la politique prétendue, alors il se révèle que la PCF en a peur ou lui est hostile.
Pourtant, la grève de la SNECMA ne va pas s’évanouir sans laisser de traces. En faisant grève, en faisant surtout une politique que l’on n’avait plus vue en France depuis des décennies, les grévistes de la SNECMA ont fait plus que contribuer à redonner moral et confiance à bon nombre de travailleurs. Ils ont montré la voie qui peut conduire au mouvement général nécessaire pour que la classe ouvrière renverse l’actuel rapport de force qui est en sa défaveur. Ils ont montré qu’une grève, même limitée à une seule entreprise, si celle-ci a quelque importance, pouvait jeter les premières pierres de ce futur mouvement général. Ils ont montré que des centaines de grévistes pouvaient se rendre auprès des travailleurs des autres entreprises et nouer des liens, vivants, réels avec eux, de ceux qui forgent la conscience d’être une seule et même classe.

Les grévistes de la SNECMA n’ont pas seulement fait peur à la bourgeoisie, peur qui a transparu quelque peu dans les inquiétudes exprimées par les médias ou certains représentants du patronat. Ils ont trouvé une traduction concrète pour la politique nécessaire aujourd’hui en France, la généralisation des luttes, et indiqué qu’elle est possible. En allant par centaines dans d’autres entreprises, sans se limiter à la leur, les travailleurs de la SNECMA ont fait un pas de plus que les cheminots un an auparavant, un pas qu’avaient commencé ceux de Chausson. Cette politique sera reprise un jour prochain par d’autres travailleurs en lutte, puis par toute la classe ouvrière et elle sera alors irrésistible.

En mai 1999

Les travailleurs peuvent prendre l’offensive et laisser les bureaucrates politiques et syndicaux à quai. Qu’on se le dise !

Avec la grève des cheminots de ce début du mois de mai, la politique de collaboration des directions syndicales et du gouvernement pour imposer aux travailleurs, sous couvert de la loi d’aménagement du temps de travail, cette plus grande flexibilité que souhaite le patronat, a rencontré sa plus sérieuse difficulté.

Démarrée le 27 avril à l’appel d’un seul syndicat, corporatiste, la fédération autonome des agents de conduite, la FGAAC, appel rapidement relayé par des militants de tous bords, la grève a duré plus de dix jours. Elle est certes restée minoritaire et catégorielle, limitée essentiellement aux agents de conduite, peu étendue aux sédentaires. Mais elle a paralysé une partie du trafic et finalement contraint la direction de la SNCF à prendre la mesure du peu de popularité de son projet et du peu d’efficacité des grands appareils syndicaux à le faire passer pour « constructif ». Cette grève aura probablement d’abord surpris les grandes fédérations qui s’apprêtaient à signer tranquillement !

Mais la caractéristique de cette grève des cheminots, c’est qu’elle n’est pas restée la grève catégorielle des agents de conduite telle que la FGAAC l’aurait sûrement voulu. Elle n’a certes pas été la lame de fond, l’explosion qui bouscule sans peine tous les barrages syndicaux. Loin s’en faut. Elle est restée dans la plupart des endroits limitée aux seuls agents de conduite, et même parmi eux, elle est restée tout au long du conflit minoritaire. Mais elle a tenu et s’est en partie étendue alors qu’elle était combattue par les plus influentes des fédérations syndicales de cheminots, la fédération CGT et la fédération CFDT (dont le responsable s’est illustré par des propos à la grande presse contre ces « 2,5 % de grévistes » qui auraient bloqué l’application d’un bon accord !). Quant au syndicat SUD-Rail qui a fini, avec un temps de retard, par déposer un préavis de grève, par crainte lui aussi de voir sa base partir et lui échapper, il a tout fait pour que son préavis ne soit pas vraiment suivi. Et ce qui a donné, malgré toutes ces oppositions, à la grève un dynamisme et une portée qui dépassaient les intentions et les possibilités de la fédération autonome qui l’avait déclenchée, c’est qu’un peu partout des travailleurs du rang mais surtout des militants et adhérents de tous les syndicats à commencer par des militants et des sections syndicales entières, de la CGT ont saisi l’occasion de l’appel de la FGAAC pour agir et appeler à la grève, contre l’avis de leurs propres fédérations. Ils disaient « constructif » ?
Il faut dire que le projet d’aménagement du temps de travail préparé par la direction de la SNCF, et que les fédérations rêvaient de signer, a de quoi alarmer les cheminots.

Déjà aujourd’hui les roulants se voient contraints de prendre leur service à peu près à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Les cheminots en 3x8 ou en service décalé travaillent le dimanche ou les jours fériés et font des périodes de 48 heures en 6 jours. Ceux qui travaillent à l’entretien des voies sont déjà amenés fréquemment à travailler de nuit ou le week-end. La perspective de davantage de flexibilité ne pouvait que susciter la colère.

En fait, la prétendue « avancée constructive » évoquée par les bureaucrates syndicaux et la SNCF tend à rendre réglementaire ce qui n’était qu’exceptionnel pour certaines catégories, ou négociable, et à supprimer bon nombre de compensations financières ou en temps. Par exemple, les travaux de nuit ou de week-end à l’entretien des voies et installations ferroviaires, jusque-là discutés et planifiés quasi systématiquement, faits au volontariat et donnant lieu à des compensations, devaient selon le projet accorder à cette catégorie de travailleurs un forfait appréciable de repos supplémentaires par an, mais donnés à l’appréciation de la SNCF et rendre le travail du dimanche et de nuit systématique, sans les compensations en repos et financières actuelles.

La direction voudrait aussi modifier la durée journalière de travail de la majorité des cheminots, avec des « mini » de 5 h 30 par jour et des « maxi » de 8 h 30 (8 h 15 pour les roulants). Et le travail serait planifié sur six mois, avec des périodes hautes et basses, durant lesquelles seraient programmés unilatéralement les journées les plus courtes et les repos supplémentaires qui représentent la réduction du temps de travail. Et qui plus est, la direction s’arrogerait le droit de remettre en cause cette programmation en prévenant seulement dix jours à l’avance.

Le projet prévoit aussi un ralentissement des augmentations de salaire pendant trois ans. Quant à la promesse de 23 500 à 25 000 embauches sur trois ans, elle ne peut faire illusion qu’auprès du grand public. La réalité est que, pendant la même période, les départs s’élèveront à 19 500. Ce qui ne ferait tout au plus, si était réalisée l’hypothèse la plus haute, à laquelle du fait de la grève Gallois a promis de se tenir, à savoir 25 000 embauches, qu’une augmentation de 5 500 agents, dit-il, en trois ans. Cette augmentation est en fait en trompe l’oeil puisqu’elle inclut la titularisation de milliers de contractuels qui sont déjà en poste et comprend des temps partiels. Alors qu’il faudrait 20 000 cheminots, vraiment en plus, pour permettre une réelle diminution du temps de travail.

La grève, contre les appareils, dont celui de la CGT

La grève a donc démarré et vite pris de l’ampleur. Surtout là où des militants se sont mis en avant pour l’organiser. Assemblées générales dans des dépôts d’agents de conduite de la banlieue parisienne, mais aussi des régions Nord, Picardie, Champagne-Ardenne, Alsace, Lorraine, Normandie, Provence-Côte d’Azur, etc. 19 %, puis 30 %, puis 40 % de grévistes, selon la direction, en réalité plus de 50 % dans quelques dépôts, surtout là où localement, la CGT avait appelé à cesser le travail. Quelques secteurs de sédentaires ont rejoint la lutte comme à Rouen (Matériel, Transport et Commercial), à St-Lazare (Transport et Commercial), à Marseille (tous services), etc. Souvent à l’appel des conducteurs.

Mais partout, se sont vite produites les mêmes scènes et les mêmes discussions entre partisans de la grève et certains responsables cégétistes opposés à celle-ci, servant partout les mêmes phrases et les mêmes arguties, selon lesquelles le déclenchement du mouvement aurait été précipité, à l’appel d’une FGAAC préoccupée surtout de ses intérêts corporatistes, qu’il faudrait aux cheminots le temps de comprendre, de débattre, de se forger leur propre opinion, qu’il faudrait les consulter par un grand référendum pour lequel la direction avait offert son soutien logistique. En attendant, la grève était prématurée, expliquait l’appareil CGT, qui a mis tout son poids, contre une partie de ses propres militants, pour batailler contre elle, faire voter et revoter contre la grève. D’où la colère, des discussions vives, des engueulades... qui n’ont pas entamé la détermination. Ultime manoeuvre, tandis qu’entrait en vigueur, mardi 4 mai, le préavis déposé par SUD-Rail, pour lequel les dirigeants de ce syndicat se gardaient bien de militer dans les chantiers, la fédération CGT déposait elle aussi un préavis de grève, mais à partir du dimanche 9 mai au soir, soit près d’une semaine plus tard, et seulement pour 36 heures, faisant allègrement fi de la grève en cours ! Une partie des responsables CGT qui jusque-là n’avaient pas osé s’opposer ouvertement à la grève, avaient enfin, vis-à-vis de leurs propres militants, l’argument de poids : forts du préavis déposé par leur fédération, ils appelèrent à partir du mardi 4 mai à suspendre la grève sous prétexte qu’elle aurait été presque exclusivement celle des agents de conduite et donc corporatiste et qu’il fallait en démarrer sérieusement une autre, intercatégorielle... la semaine suivante, une fois que tout serait fini !

C’était étudié pour permettre à la direction d’organiser à nouveau des rencontres et palabres avec les appareils syndicaux et leur donner quelques broutilles à se mettre sous la dent pour justifier les appels à la reprise. C’était destiné à décourager les grévistes, tuer le mouvement et se préparer à aller tranquillement vers cette grande consultation prétendument démocratique qui pourrait avoir lieu à la fin mai. On ne sait pas si, au bout du compte, la CGT signera ou pas, mais il reste surtout qu’elle a mis tout son poids pour faire passer pour globalement positif un catalogue de mesures contre les cheminots, et tout son poids pour empêcher la grève contre ces mesures, grève où pourtant ses propres militants s’étaient engagés. Le référendum, pourtant, a eu lieu : c’est cette grève de dix jours qui a tenu malgré l’opposition au mouvement des plus influentes des directions syndicales.

Le mercredi 5 mai, le mouvement commençait à faiblir. Ou plus exactement il était de bon ton de le dire dans les milieux syndicaux qui lui étaient hostiles. Voire d’en rajouter. Car à Marseille, par exemple, s’il est vrai que des cheminots grévistes avaient « suspendu » leur grève à l’appel de la CGT, il restait malgré tout 60 % des roulants en lutte, et 80 % à Miramas. Dans la soirée, les directions syndicales qui avaient cru jusque-là l’affaire ficelée, grimaçaient devant les petites concessions que Gallois venait de faire aux grévistes. Et le jeudi 6 mai s’amorçait la reprise.

Belles manoeuvres des fédérations CGT et CFDT, la main dans la main comme Thibault et Notat à leurs congrès respectifs, pour tenter de sauver la mise du gouvernement de la gauche plurielle. Mais la direction de la SNCF, avec à la rescousse celles des centrales syndicales, n’est pas au bout de ses peines pour faire avaler aux cheminots la réorganisation du temps de travail, sans compter la réforme du système des retraites, qu’elle leur concocte. Une éventuelle signature du projet d’accord, que les concessions de dernière minute faites pour enrayer la grève n’ont pas changé sur le fond, pourrait coûter cher à la direction de la CGT cheminote. Et le conflit pourrait bien rebondir, pas seulement chez les conducteurs, mais aussi chez les autres roulants ou chez les sédentaires lorsque tomberont les mesures concrètes prévues dans le projet. « Si j’étais cheminot, je ne me mettrais pas grève... » c’est le dirigeant du PC qui vous le dit !

Les organisations syndicales, et notamment la CGT, freinant des quatre fers pour enrayer la grève, n’est certes pas une nouveauté. On a vu dans le passé bien des grèves démarrées sans la CGT, ou même malgré elle, et que ses responsables se dépêchaient de rattraper pour mieux les freiner, voire des grèves que l’appareil de la CGT généralisait pour ensuite les canaliser et les arrêter. On a connu toutes les variations sur le thème « Il faut savoir terminer une grève... » (selon la formule de Thorez en 1936). Mais cette année « mutation communiste » ou « syndicalisme de proposition » obligent ? , il aurait même fallu, selon les dirigeants du PC et de la CGT, savoir ne pas la commencer ! Tel est le sens de la déclaration faite par le chef de file du Parti Communiste, Robert Hue, en plein milieu de la grève, devant les caméras de télévision : « Si j’étais cheminot, je ne me mettrais pas en grève, moi, parce que je pense qu’il y a là une proposition pour les 35 heures » ! Même Jospin, interrogé quelques jours plus tard, s’est gardé de s’imaginer en cheminot aux prises avec des plages horaires démentes : il était plus préoccupé, pour ce qui le concerne, de s’imaginer en gendarme aux prises avec des plages fumantes. Mais Robert Hue a, vis-à-vis du gouvernement, une mission non pas d’incendiaire, mais de pompier. Pour la direction du PC, et par là aussi pour celle de la CGT, il s’agit d’aider le gouvernement à boucler le premier acte de son scénario dit des 35 heures, visant sous couvert d’aide à l’emploi et d’embauche, à donner aux patrons carte blanche (et pactole supplémentaire) pour flexibiliser les horaires, supprimer le paiement de primes ou d’heures supplémentaires, modérer voire réduire les salaires.

Les statistiques d’avril du ministère du Travail et de l’Emploi indiquent le nombre ridicule de 40 000 emplois (sur trois millions de chômeurs officiels) « préservés ou créés » en un an par ces accords de 35 heures sans que soit précisé le coût pour l’État des 24 000 emplois « aidés » sur ce total. L’arnaque est tellement visible, les travailleurs tellement peu dupes que les appareils de la CGT et de la CFDT, qui disent désormais marcher la main dans la main pour le dialogue social et avaient commencé à parler « d’avancées positives ou constructives » dans bien des secteurs clés, jugent parfois plus prudent de faire machine arrière. C’est surtout vrai pour la CGT qui a dû céder à sa façon à la base ouvrière et n’a pas répondu à l’attente du gouvernement en apportant moins souvent que prévu son paraphe aux accords.

Le stylo des bureaucrates, bien souvent retenu par le mécontentement des travailleurs

Des syndicats CGT d’entreprise ont certes signé un grand nombre d’accords locaux sur les 35 heures. La CGT vient en la matière en seconde position derrière la CFDT. Mais pour ce qui est des accords de branches, des accords à portée nationale où la CGT était attendue au tournant par Jospin et Aubry parce qu’elle avait les moyens, par son poids, d’accréditer leur politique, force est de reconnaître qu’elle s’est plutôt dérobée. Parce qu’elle a essuyé presque partout la résistance des travailleurs.

Le jeu avait bien commencé par la signature de l’accord dans le textile, présenté pour la circonstance comme le modèle d’un « bon accord », opposé par la CGT (et par Martine Aubry !) à celui de la métallurgie, alors qu’ils étaient grosso modo de la même eau. Puis il y a eu la signature de la fédération CGT de l’énergie, sous la houlette de son responsable Denis Cohen, l’un des plus fervents promoteurs de la nouvelle ligne confédérale dite de « syndicalisme de proposition ». La fédération avait dans un premier temps fait casser en justice, en septembre 1998, un premier accord sur la réduction du temps de travail à EdF-GdF signé du temps du gouvernement Juppé par les syndicats minoritaires. La même fédération, après s’être ainsi montrée intransigeante avec la réduction du temps de travail proposée par la droite, signait quatre mois plus tard, en janvier 1999, l’accord sur les 35 heures à la sauce Aubry, sous prétexte qu’EdF-GdF promettait 19 000 embauches (dont 15 000 n’étaient pourtant que des remplacements de départs). Le même Denis Cohen, contesté depuis par nombre de militants de sa fédération pour le soutien apporté, en même temps que les députés communistes, à la loi ouvrant EdF à la concurrence du secteur privé, a l’honneur de figurer sur la liste de Robert Hue pour les prochaines européennes.

Mais là s’est arrêtée la liste des grands accords de branches signés nationalement par la CGT. Que ce soit dans les banques, à Air France, à La Poste ou dans l’automobile, le stylo des fédéraux de la CGT est resté en l’air. Car dans chacune de ces branches, les mesures de flexibilité et de modération salariale qui ont constitué le fond des accords sur les 35 heures, ont suscité des réactions de la part des travailleurs.

A La Poste, le secrétaire de la fédération CGT, Alain Gautheron, le même qui en septembre 1997, pour ne pas décevoir sa base, avait mené le chahut à la fête de l’Humanité contre la privatisation de France-Télécom, a commencé par vanter les « avancées positives » (pléonasme d’usage) qu’aurait comportées, selon lui, le projet gouvernemental. Mais en même temps, dans les bureaux de poste dits « pilotes » où les PTT avaient commencé à appliquer par avance, à titre de test, les restructurations et changements d’horaires envisagés, des grèves ont éclaté. Et dans les divers congrès locaux ou départementaux de la CGT, un bon nombre de militants et de sections syndicales se sont exprimés ouvertement contre toute signature. Le 17 février dernier, la fédération CGT de La Poste retenait donc sa plume, de même que SUD, laissant aux autres syndicats la responsabilité de l’autographe. Ce qui n’a pas empêché Alain Gautheron d’annoncer que la CGT allait désormais « investir toutes les portes ouvertes » par l’accord, en se lançant dans les négociations locales d’application de celui-ci.

Même scénario à Air France, chez PSA, à Renault, dans les banques, où les projets d’application des 35 heures ont suscité protestations, grèves ou débrayages et où la CGT, du coup, a préféré s’abstenir alors que le stylo la démangeait. Mais là non plus, la direction de la CGT n’entend pas pour autant s’opposer vraiment au contenu des accords qu’elle laisse aux autres le soin de signer, tablant sur une des astuces de la loi Aubry qui considère qu’un accord est applicable dès qu’un syndicat au moins le signe.

Cela laisse à la CGT une liberté de manoeuvre un peu semblable à celle que Jospin peut laisser au Parti Communiste dont les députés peuvent éventuellement s’abstenir, voire voter contre une loi, pour peu qu’elle obtienne une majorité sans eux !

Mais ce jeu a très certainement ses limites pour le gouvernement. Jospin et Aubry ont besoin de succès et de soutien politique affiché. Parmi les secteurs importants, restait donc la SNCF. Un secteur présentant tous les ingrédients de la réussite : une CGT forte, rassemblant près de la moitié des voix des 170 000 cheminots aux élections professionnelles, un ministre de tutelle communiste et un pédégé se félicitant, au terme de quatre mois de négociations sur les 35 heures, d’être parvenu à un texte qui ne serait pas celui de la direction, mais « celui de la négociation » ! Plus fièrement qu’ailleurs, CGT et CFDT s’apprêtaient donc à signer !

Manque de chance pour eux, c’est là que l’opposition des travailleurs, et des militants syndicaux de base, a été la plus intempestive !

En 2008

Ce qui précède est à comparer à ce texte récent :

Texte de congrès de LO en octobre 2008 :

« La situation intérieure

" Les luttes peuvent surgir spontanément, mais elles pourraient être aussi organisées par les directions syndicales. (…) En fait, là encore, c’est leur propre base qui peut leur imposer d’organiser les luttes nécessaires. Une offensive générale du monde du travail ne se déclenche pas en claquant des doigts, disent les dirigeants ! C’est vrai, mais elle peut se préparer. Les journées d’action, si elles sont renouvelées, peuvent démontrer aux travailleurs eux-mêmes qu’ils sont nombreux à pouvoir et à vouloir se battre. (…) Des journées d’action se succédant et se renforçant dans un temps relativement court peuvent préparer et conduire à une grève générale. C’est pourquoi d’ailleurs nos camarades, dans les entreprises, participent à la vie syndicale et y prennent leurs responsabilités. Pas pour y recruter des militants politiques mais pour amener les syndicats à jouer leur rôle. "

Messages

  • Voilà ce qu’écrivait hier LO cela nous change des malheureux rêves électoralistes et syndicalistes réformistes d’aujourd’hui, dans un texte intitulé « Les révolutionnaires dans les luttes revendicatives » :

    « Nous luttons bien sûr pour la révolution. Mais, à l’époque actuelle, les révolutionnaires ont surtout l’occasion de connaître des luttes de bien moindre envergure. Ce n’est pas nous qui choisissons la forme ni les objectifs des luttes des travailleurs (…) mais il ne faut pas perdre de vue que nous participons à ces luttes avec comme objectif d’élever la conscience des travailleurs. (…) Mais, à travers de ces mouvements, petits et grands, qui sont des moments privilégiés où les travailleurs sont réceptifs aux idées et où leur conscience peut progresser d’un bond, nous voulons leur apprendre, grâce à nos interventions, à diriger eux-mêmes leurs luttes, à les prendre en mains dans les moindres détails. (…) Et, pour nous, il est préférable et de loin que des travailleurs aient appris à s’organiser et à diriger démocratiquement leurs mouvements même s’ils n’ont rien obtenu, plutôt qu’obtenir une bricole, tout en restant spectateurs, en laissant aux militants syndicaux le soin de s’occuper de tout. (…) Journées d’action nationales, régionales, locales et par branche : souvent les syndicats lancent des actions pour le communiqué, et elles son sans lendemain. (…) Dès qu’un mouvement devient un peu plus profond qu’une simple protestation, qu’une simple demande, nous devons alors nous poser le problème de la mise en place d’une organisation et d’une direction démocratique de la grève : ce que l’on appelle le comité de grève.

    Cela nous devons le proposer systématiquement, même si les syndicats ont une attitude correcte dans la grève, même si c’est eux qui l’ont déclenchée, et même si c’est nous-mêmes qui dirigeons la grève dès le début grâce à nos responsabilités syndicales. Ce comité de grève, nous devons le proposer, même si les travailleurs n’en voient pas au premier abord la nécessité.

    Et ce comité de grève n’a rien à voir avec un comité inter-syndical auquel on adjoint quelques travailleurs, qui sont là en tant qu’assistants ou spectateurs plutôt que représentants des grévistes. Le comité de grève, c’est le groupe de travailleurs, syndiqués ou non syndiqués, ayant des responsabilités syndicales ou non, élu par l’ensemble des travailleurs en grève, syndiqués ou non, avec le mandat précis d’organiser et de diriger la grève.

    Tout d’abord, nous sommes, en tant que révolutionnaires, pour que ce soit les travailleurs qui dirigent la société. Alors cela doit commencer en donnant les moyens aux travailleurs de prendre directement la direction de leurs grèves, quelque soit par ailleurs l’influence des organisations syndicales dans les entreprises.

    En dirigeant leurs grèves à travers des comités de grève, les travailleurs ayant à résoudre les problèmes quotidiens du mouvement (propagande, occupation des locaux, animation et même certaines tâches de gestion, par exemple la nourriture des grévistes, les problèmes de financement, etc), ils font l’apprentissage qui leur servira à l’avenir.

    Des comités de grève pour l’apprentissage du pouvoir ouvrier : nous sommes pour la démocratie ouvrière, c’est pour nous une conception fondamentale qui nous différencie de tous les autres syndicats et partis de gauche.

    Des comités de grève pour la démocratie : les syndicats étant minoritaires dans la classe ouvrière, ils ne peuvent pas prétendre représenter les travailleurs lorsqu’ils sont en lutte. (…)

    Des comités de grève pour l’efficacité du mouvement : il s’agit de placer le mouvement sous le contrôle de tous les travailleurs et non pas sous le contrôle des bureaucraties syndicales.

    Avec le comité de grève, si au cours de la lutte, les travailleurs entrent en contradiction avec les syndicats, ils disposent alors d’un instrument, d’une direction, pour la poursuite de la lutte, au lieu de devoir s’incliner devant les diktats des bureaucrates et de terminer leur mouvement non seulement battus, mais déçus et démoralisés de se sentir impuissants, même de décider de leurs propres actions. (…)

    Ce que nous cherchons dans un comité de grève, c’est qu’il soit le plus représentatif possible des travailleurs en lutte. C’est pourquoi nous sommes pour que les travailleurs qui le composent soient élus directement par leurs camarades de travail.

    Le comité de grève doit être sous le contrôle des travailleurs et, pour cela, rendre compte, le plus souvent possible, de son activité devant l’assemblée générale des grévistes.

    Bien évidemment, le comité de grève a pour rôle de préparer par ses délibérations, ce qu’il propose et comment il le propose en ce qui concerne la poursuite du mouvement à l’assemblée générale des grévistes. Mais il est en tout cas nécessaire que tous les grands problèmes engageant la grève (revendications, négociations, tactique, actions diverses, reprise) soit décidée par les travailleurs en assemblée générale. (…)

    Les révolutionnaires doivent tenter d’influencer le comité de grève, mais en veillant à ce que celui-ci n’apparaisse pas comme un appendice de notre organisation politique. Le comité de grève doit rester un organe représentant les travailleurs en lutte et ouvert à tous. »

    signé Lutte Ouvrière – il y a quelques temps …. longtemps, longtemps…

  • Lénine, dans « Que Faire ? », répondant aux révolutionnaires prétendant s’adapter à la lutte purement économique, syndicale :

    « C’est pourquoi il nous faut principalement élever les ouvriers au niveau des
    révolutionnaires et non nous abaisser nous-mêmes au niveau de la masse ouvrière… »

  • Arthaud, dirigeante de l’organisation française Lutte Ouvrière, interviewée, réclame maintenant « des augmentations de salaires de 5 à 10% » !!! Quand on pense que, pendant des années, son organisation avait ramé à contre-courant de tous les réformistes et syndicalistes pour défendre les augmentations uniformes et combattre les augmentations en pourcentage, quelle chute !!!

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