Accueil > 06- Livre Six : POLITIQUE REVOLUTIONNAIRE > 2- la révolution permanente, stratégie du prolétariat > Lénine n’a jamais défendu le « socialisme dans un seul pays » de Staline

Lénine n’a jamais défendu le « socialisme dans un seul pays » de Staline

mercredi 15 octobre 2014, par Robert Paris

Le socialisme dans un seul pays, une arnaque

Lénine n’a jamais défendu le « socialisme dans un seul pays » de Staline

Le « socialisme dans un seul pays » est une théorie politique (si l’on peut s’exprimer ainsi concernant une lubie antimarxiste et absurde) qu’avança Joseph Staline, au nom de l’appareil bureaucratique de Russie, sous la forme d’un slogan, le 20 décembre 1924, et qui fut par la suite développée par Nikolaï Boukharine au point d’être adoptée par le XIVe congrès du Parti communiste de l’Union soviétique le 18 décembre 1925. Cette théorie défendait la possibilité de bâtir le socialisme dans l’Union des républiques socialistes soviétiques sans obtenir le secours des autres pays avancés qui auraient pu connaître une révolution. Le « socialisme dans un seul pays » a été la politique de la bureaucratie stalinienne consistant à trahir la révolution prolétarienne mondiale, en préservant le statu quo avec le monde capitaliste, au nom d’une soi-disant « défense du socialisme » dans la seule Russie. C’est ainsi que le stalinisme est devenu la principale force contre-révolutionnaire au monde, cassant notamment la révolution allemande, la révolution chinoise et la révolution espagnole…

En décembre 1924, sans que personne y prête alors attention, Staline déclarait : « En conséquence la victoire du socialisme dans un seul pays est parfaitement possible et vraisemblable, même si ce pays a des structures capitalistes moins développées, et alors que le capitalisme subsiste dans d’autres pays, et cela même si ces pays ont des structures capitalistes plus développées. » (treizième congrès du parti bolchevik à Moscou) C’est cette thèse qui sera adoptée au quatorzième congrès le 18 décembre 1925. Staline a prétendu avoir trouvé cette idée dans un texte de Lénine intitulé « Le slogan pour les Etats-Unis de l’Europe ». Dans cet article de 1915, en pleine guerre mondiale, Lénine voulait souligner que les possibilités révolutionnaires existaient dans les nations les plus arriérées de l’Europe et pas souligner les possibilités socialistes d’un Etat ouvrier isolé :

« L’inégalité du développement économique et politique est une loi absolue du capitalisme. Il s’ensuit que la victoire du socialisme est possible au début dans un petit nombre de pays capitalistes ou même dans un seul pays capitaliste pris à part. Le prolétariat victorieux de ce pays, après avoir exproprié les capitalistes et organisé chez lui la production socialiste, se dresserait contre le reste du monde capitaliste en attirant à lui les classes opprimées des autres pays, en les poussant à s’insurger contre les capitalistes, en employant même, en cas de nécessité, la force militaire contre les classes d’exploiteurs et leurs États. La forme politique de la société dans laquelle le prolétariat est victorieux, en renversant la bourgeoisie, sera la République démocratique, qui centralise de plus en plus les forces du prolétariat d’une nation ou de nations dans la lutte contre les États qui ne sont pas encore passés au socialisme. La suppression des classes est impossible sans la dictature de la classe opprimée, du prolétariat. La libre union des nations dans le socialisme est impossible sans une lutte opiniâtre, plus ou moins longue, des Républiques socialistes contre les États arriérés. »

Léon Trotsky : « En avril 1924, trois mois après la mort de Lénine, Staline écrivait encore dans sa compilation sur les Bases du léninisme : "Il suffit des efforts d’un pays pour renverser la bourgeoisie, l’histoire de notre révolution l’enseigne. Pour la victoire définitive du socialisme, pour l’organisation de la production socialiste, les efforts d’un seul pays, surtout paysan comme le nôtre, sont déjà insuffisants ; il y faut les efforts réunis des prolétaires de plusieurs pays avancés." (…) Petrov écrivait : "Comment ! Nous n’arriverions pas nous-mêmes à faire le bonheur de notre pays ? S’il en est autrement d’après Marx, eh bien, nous ne sommes pas marxistes, nous sommes des bolcheviks de Russie, voilà tout." Petrov ajoute : "Je ne puis m’empêcher de penser à présent que la théorie du socialisme dans un seul pays est plus qu’une simple invention stalinienne." (…) Boukharine, qui tenta de fonder la nouvelle théorie, proclama, comme étant irréfutablement prouvé : "Les différences de classes dans notre pays ou notre technique arriérée ne nous mèneront pas à notre perte ; nous pouvons bâtir le socialisme sur cette base de misère technique elle-même ; la croissance de ce socialisme sera très lente, nous avancerons à pas de tortue, mais nous construirons le socialisme et nous en achèverons la construction..." (…) La nécessité même du nouveau programme des Jeunesses communistes fut justifiée en ces termes par le rapporteur : "L’ancien programme renferme une affirmation erronée, profondément antiléniniste, selon laquelle "la Russie ne peut arriver au socialisme que par la révolution mondiale". (…) La bureaucratie a dû, dans sa lutte pour l’économie planifiée, exproprier le koulak ; la classe ouvrière aura, dans sa lutte pour le socialisme, à exproprier la bureaucratie, sur la tombe de laquelle elle pourra mettre cette épitaphe : "Ici repose la théorie du socialisme dans un seul pays." »

Staline : « La possibilité n’est pas exclue que la Russie soit justement le pays qui fraye la voie au socialisme. Il faut rejeter cette idée périmée que seule l’Europe peut nous montrer le chemin. Il existe un marxisme dogmatique et un marxisme créateur. Je me place sur le terrain de ce dernier. »

A ce sujet, en novembre 1926, Staline disait :
" Le parti a toujours admis comme principe que la victoire du socialisme dans un seul pays est la possibilité de construire le socialisme dans ce pays et que cette tâche peut être accomplie par les forces d’un seul pays " (Pravda, 12 novembre 1926).

Trotsky écrivit dans son livre, La révolution permanente : « La théorie du socialisme dans un seul pays, qui a germé sur le fumier de la réaction contre Octobre, est la seule théorie qui s’oppose d’une manière profonde et conséquente à la théorie de la révolution permanente. »

Trotsky rejetait avant tout l’argument qui avait accompagné le « socialisme dans un seul pays » et qui affirmait que le développement de l’Union soviétique pourrait se produire, vaille que vaille, séparément de l’économie mondiale et de la lutte internationale entre le capitalisme et le socialisme.

Boukharine avait déclaré, « Nous construirons le socialisme si besoin est à une vitesse d’escargot » alors que Staline avait insisté pour dire qu’il n’était pas nécessaire de faire intervenir le facteur international dans le développement socialiste.

Trotsky écrivait ce qui suit :

« Le marxisme procède de l’économie mondiale considérée non pas comme la simple addition de ses unités nationales, mais comme une puissante réalité indépendante créée par la division internationale du travail et par le marché mondial qui, à notre époque, domine tous les marchés nationaux. Les forces productives de la société capitaliste ont depuis longtemps dépassé les frontières nationales. La guerre impérialiste (1914-1918) ne fut qu’une des manifestations de ce fait. La société socialiste devrait représenter au point de vue de la production et de la technique un stade plus élevé que le capitalisme ; si l’on se propose de construire la société socialiste à l’intérieur de limites nationales, cela signifie qu’en dépit de succès temporaires on freine les forces productives, même par rapport au capitalisme. C’est une utopie réactionnaire que de vouloir créer dans le cadre national un système harmonieux et suffisant composé de toutes les branches économiques sans tenir compte des conditions géographiques, historiques et culturelles du pays qui fait partie de l’unité mondiale. »

Cette politique contre-révolutionnaire de la bureaucratie allait perdurer tout au long de la dictature stalinienne, malgré tous les tournants de celle-ci :

« La tâche essentielle du plan quinquennal consistait à transformer l’U.R.S.S. de pays agraire et débile, ... en un pays industriel et puissant, parfaitement libre et indépendant des caprices du capitalisme mondial...
La tâche essentielle du plan quinquennal était de créer dans notre pays une industrie capable de réoutiller et de réorganiser sur la base du socialisme, non seulement l’industrie dans son ensemble, mais aussi les transports, mais aussi l’agriculture... de faire passer la petite économie rurale morcelée sur la voie de la grande économie collectivisée......
Nous aurons créé ainsi une base économique pour la suppression des classes en U.R.S.S., pour la construction d’une société socialiste... »

J. Staline .
"Rapport au comité central de l’URSS" 1933

TOUTE L’ŒUVRE DE LÉNINE EST LA POUR CONTREDIRE LA FAUSSE FILIATION :

Lénine - Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique – 1905 :

« La complète victoire de la révolution actuelle sera la conclusion de la révolution démocratique et le début d’une lutte résolue pour la révolution socialiste. La satisfaction des exigences de la paysannerie contemporaine, le complet écrasement de la réaction, la conquête de la république démocratique, tel sera l’aboutissement de l’esprit révolutionnaire de la bourgeoisie et même de la petite bourgeoisie, tel sera le début de la véritable lutte du prolétariat pour le socialisme... Les révolutionnaires russes, qui s’appuient sur un certain nombre de générations révolutionnaires d’Europe, ont le droit de " rêver " qu’ils réussiront à réaliser avec une plénitude exceptionnelle toutes les transformations démocratiques, tout notre programme minimum. Et s’il y a réussite sur ce point, alors, alors l’incendie révolutionnaire gagnera toute l’Europe... L’ouvrier européen se soulèvera à son tour et nous montrera " comment on fait ça " ; alors aussi le soulèvement révolutionnaire de l’Europe aura sa réaction sur la Russie et changera une époque de quelques années de révolution en une époque de quelques dizaines d’années révolutionnaires… Le prolétariat lutte déjà pour la conservation des conquêtes démocratiques, au nom d’une révolution socialiste. Cette lutte serait presque désespérée pour le prolétariat russe seul, si le prolétariat socialiste européen ne venait pas à l’aide du prolétariat. Dans cette phase, la bourgeoisie libérale et la paysannerie cossue (avec, en plus, une partie de la paysannerie moyenne) organiseront la contre-révolution. Le prolétariat russe et le prolétariat européen, conjointement, organiseront la révolution. Dans ces conditions, le prolétariat russe pourra remporter une seconde victoire. L’affaire n’est pas déjà si désespérée. La seconde victoire sera une insurrection socialiste en Europe. Les ouvriers européens nous montreront " comment ces choses-là se font ". »

Lénine –février 1906 :

« Nous soutenons le mouvement paysan jusqu’au bout, mais nous devons nous rappeler qu’il est le mouvement d’une autre classe, non de celle qui peut accomplir et qui accomplira la révolution socialiste… »

Lénine – avril 1906 :

« La Révolution russe dispose de forces suffisantes pour vaincre. Mais elle n’a pas assez de ses propres forces pour garder les fruits de la victoire, car dans un pays où la petite économie est formidablement développée, les petits producteurs de marchandises, et dans ce nombre, les paysans, se tourneront inévitablement contre le prolétariat lorsque celui-ci passera du libéralisme au socialisme... Pour empêcher une restauration, la Révolution russe a besoin non d’une réserve russe, mais d’une aide venant du dehors. Existe-t-il une telle réserve dans le monde ? Il y en a une : le prolétariat socialiste d’Occident. »

Lénine – Le programme militaire de la révolution prolétarienne - 1916 :

« Quiconque reconnaît la lutte des classes ne peut pas ne pas admettre les guerres civiles qui, dans toute société divisée en classes, sont la continuation, l’extension, l’aggravation naturelles, et dans certaines conditions, inévitables, de la lutte des classes. Toutes les grandes révolutions le confirment.
Ne pas admettre les guerres civiles ou les oublier, ce serait tomber dans un opportunisme extrême et renier la révolution socialiste.
En troisième lieu, la victoire du socialisme dans un seul pays n’exclut nullement, d’emblée, toutes les guerres en général. Au contraire, elle les suppose. Le développement du capitalisme se fait d’une façon extrêmement inégale dans les différents pays. Il ne saurait d’ailleurs en être autrement sous le régime de la production marchande. D’où cette conclusion inéluctable. le socialisme ne peut triompher simultanément dans tous les pays. Il triomphera d’abord dans un seul ou dans plusieurs pays, tandis que les autres resteront pendant un certain temps des pays bourgeois ou prébourgeois. Cela donnera nécessairement lieu à des frictions, et incitera en outre directement la bourgeoisie des autres pays à écraser le prolétariat victorieux de l’Etat socialiste. Dès lors, la guerre de notre part serait légitime et juste. Ce serait une guerre pour le socialisme, pour l’émancipation des autres peuples du joug de la bourgeoisie. Engels avait parfaitement raison lorsque, dans sa lettre à Kautsky en date du 12 septembre 1882, il reconnaissait nettement la possibilité de « guerres défensives » du socialisme déjà vainqueur. Il pensait précisément à la défense du prolétariat victorieux contre la bourgeoisie des autres pays.
C’est seulement après que nous aurons renversé, définitivement vaincu et exproprié la bourgeoisie dans le monde entier, et non pas simplement dans un seul pays, que les guerres deviendront impossibles. Et, du point de vue scientifique, il serait absolument erroné et absolument antirévolutionnaire d’éluder ou d’estomper ce qui est précisément le plus important : l’écrasement de la résistance de la bourgeoisie, — ce qui est le plus difficile et qui exige la lutte la plus intense lors du passage au socialisme. »

Lénine - Lettre d’adieu aux ouvriers suisses - mars 1917 :

« Le prolétariat russe ne pourra accomplir victorieusement, par ses seules forces, la révolution socialiste. Mais il peut faciliter les choses pour l’entrée dans les luttes décisives de son allié principal, le plus sûr : le prolétariat socialiste européen et américain. »

Lénine – Lettres de loin – 7 mars 1917 :

« La première révolution engendrée par la guerre impérialiste mondiale a éclaté. Cette première révolution ne sera certainement pas la dernière….

La bourgeoisie n’a pas réussi à retarder de beaucoup la crise révolutionnaire engendrée par la guerre. Cette crise se développe avec une force irrésistible dans tous les pays, depuis l’Allemagne qui connaît, selon un observateur qui l’a visitée récemment, « une famine génialement organisée », jusqu’à l’Angleterre et à la France, où la famine approche aussi et où l’organisation est beaucoup moins « géniale ».

Il est tout naturel que la crise révolutionnaire ait éclaté plus tôt qu’ailleurs dans la Russie tsariste, où la désorganisation était la plus monstrueuse et le prolétariat le plus révolutionnaire (non par ses qualités particulières, mais par les traditions vivantes de l’année 1905). Cette crise a été accélérée par une série de défaites écrasantes, infligées à la Russie et à ses alliés. Ces défaites ont ébranlé tout l’ancien mécanisme gouvernemental et tout l’ancien régime : elles ont dressé contre lui toutes les classes de la population, exaspéré l’armée, exterminé en grande partie l’ancien corps des officiers, issu d’une noblesse fossile ou d’une bureaucratie particulièrement pourrie, pour le remplacer par des éléments jeunes, frais, surtout bourgeois, roturiers, petits-bourgeois. Des hommes franchement prosternés devant la bourgeoisie ou simplement dénués de caractère, qui criaient et vociféraient contre le « défaitisme », sont placés maintenant devant ce fait : la liaison historique entre l’effondrement de la monarchie tsariste la plus arriérée et la plus barbare et le début de l’incendie révolutionnaire….

Le prolétariat de Russie a deux alliés : en premier lieu, la grande masse du semi-prolétariat et, en partie, des petits paysans de Russie, forte de dizaines de millions d’hommes et constituant l’immense majorité de la population. La paix, le pain, la liberté et la terre sont nécessaires à cette masse. Celle-ci subira forcément une certaine influence de la part de la bourgeoisie, et surtout de la petite bourgeoisie dont elle se rapproche le plus par ses conditions d’existence, qui la font osciller entre la bourgeoisie et le prolétariat… En second lieu, le prolétariat russe a pour allié le prolétariat de tous les pays belligérants et de tous les pays en général… Avec ces deux alliés, le prolétariat peut marcher et marchera, en utilisant les particularités de l’actuelle période de transition, d’abord à la conquête de la république démocratique et à la victoire totale des paysans sur les grands propriétaires fonciers, au lieu de la semi-monarchie de Goutchkov-Milioukov, et ensuite au socialisme, qui seul donnera aux peuples épuisés par la guerre la paix, le pain et la liberté.

Lénine – Conférence de Pétrograd-ville – 16 avril 1917 :

« Si, dans les deux pays, en Allemagne et en Russie, le pouvoir passe entièrement et sans partage aux mains des Soviets de députés ouvriers et soldats, l’humanité tout entière poussera aussitôt un soupir de soulagement, car cela garantira réellement la fin la plus rapide de la guerre, la paix la plus solide, une paix vraiment démocratique, entre tous les peuples, en même temps que le passage de tous les pays au socialisme. »

Lénine – Appel aux soldats de tous les pays bélligérants – 4 mai 1917 :

« C’est seulement si le pouvoir dans deux pays actuellement ennemis, la Russie et l’Allemagne par exemple, passe entièrement et exclusivement aux mains de Soviets révolutionnaires des députés ouvriers et soldats, capables de rompre, non seulement en paroles, mais aussi en fait, tout le réseau des rapports et des intérêts du Capital, - c’est alors seulement que les ouvriers des deux pays belligérants pourront avoir confiance les uns dans les autres et mettre rapidement fin à la guerre par une paix réellement démocratique, une paix qui implique la libération effective de tous les peuples et de toutes les nationalités du monde.

Soldats nos frères !

Faisons tout pour hâter ce jour, pour atteindre ce but. N’ayons pas peur des sacrifices : tout sacrifice consenti à la cause de la révolution ouvrière sera moins pénible que les pertes qu’entraîne la guerre. Chaque pas que la révolution fera vers sa victoire arrachera des centaines de milliers, des millions d’hommes à la mort, à la ruine et à la famine.

Guerre aux palais, paix aux chaumières ! Paix aux ouvriers de tous les pays ! Vive l’union fraternelle des ouvriers révolutionnaires de tous les pays ! Vive le socialisme ! »

Lénine – septembre 1917 :

« Les bourgeois crient à l’inévitable défaite de la Commune en Russie, c’est-à-dire à la défaite du prolétariat s’il venait à conquérir le pouvoir. Il ne faut pas s’effrayer de ces cris-là : Ayant conquis le pouvoir, le prolétariat de Russie a toutes les chances de le garder et de conduire la Russie jusqu’à la victoire de la révolution en Occident. »

Lénine - Les bolchéviks garderont-ils le pouvoir – octobre 1917 :

« Il ne se trouvera pas de force sur la terre pour empêcher les bolcheviks, s’ils ne se laissent point intimider et s’ils savent prendre le pouvoir, de le garder jusqu’à la victoire de la révolution socialiste mondiale. »
Tout le parti bolchevik était sur la même position :

Boukharine – 28 janvier 1918 :

« Dès le début de la République, le parti du prolétariat révolutionnaire déclara : ou bien la révolution internationale, déclenchée par la révolution russe, étouffera la guerre et le capital, ou bien le capital international étouffera la révolution russe. »

Lénine - Rapport sur la guerre et la paix au VIIe Congrès du Parti, mars 1918 :

« Pour quiconque réfléchissait aux prémisses économiques d’une révolution socialiste en Europe, il était évident qu’il est bien plus difficile de commencer la révolution en Europe et bien plus facile de la commencer chez nous, mais qu’ici il sera plus difficile de la continuer.… Si l’on envisage les choses à l’échelle mondiale, il est absolument certain que la victoire finale de notre révolution, si elle devait rester isolée, s’il n’y avait pas de mouvement révolutionnaire dans les autres pays, serait sans espoir. Si le Parti bolchevique a pris seul l’affaire en main, c’est avec la conviction que la révolution mûrit dans tous les pays et qu’à la fin des fins, - et non au commencement des commencements, - quelles que soient les difficultés que nous ayons à surmonter, quelles que soient les défaites que nous ayons à subir, la révolution socialiste, internationale viendra, car elle est en marche ; qu’elle arrivera à maturité, car elle mûrit déjà. Nous ne serons préservés de toutes ces difficultés, je le répète, que par la révolution européenne.… La révolution ne viendra pas aussi vite que nous l’espérions. Cela, l’histoire l’a prouvé, il faut savoir l’accepter comme un fait, il faut savoir tenir compte de ce que la révolution socialiste mondiale dans les pays avancés ne peut commencer avec la même facilité qu’en Russie, pays de Nicolas II et de Raspoutine, où une partie énorme de la population se désintéressait complètement de ce qui se passait à la périphérie et de ce qu’étaient les peuples qui l’habitaient. Il était facile, en ce pays-là, de commencer la révolution ; c’était soulever une plume… La vérité absolue, c’est qu’à moins d’une révolution allemande, nous sommes perdus. Nous périrons peut-être, non à Piter, non à Moscou, mais .à Vladivostok, ou bien dans d’autres endroits éloignés vers lesquels nous devrons battre en retraite, mais, en tout cas, quelles que soient les vicissitudes possibles et concevables, si la révolution allemande ne vient pas, nous périrons. »

Lénine – La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky – 1918 :

« Où le reniement de Kautsky apparaît plus en relief… il en vient à critiquer la tactique bolchévique. Et voici en quels termes : « La révolution bolchévique a été basée sur l’hypothèse qu’elle serait le point de départ d’une révolution européenne générale ; que l’initiative hardie de la Russie inciterait les prolétaires de toute l’Europe à se soulever.

Dans cette hypothèse, peu importait évidemment quelles formes prendrait la paix séparée russe, quelles mutilations et quels sacrifices elle entraînerait pour le peuple russe, quelle solution elle donnerait au droit de libre disposition des peuples. De même, peu importait de savoir alors si la Russie était apte à se défendre ou non. La révolution européenne constituait, selon ce point de vue, la meilleure défense de la révolution russe ; elle devait assurer à tous les peuples de l’ancien territoire russe le droit intégral, réel, de disposer d’eux mêmes.
Une révolution en Europe, qui apporterait et affermirait le socialisme, devait aussi servir à écarter les obstacles qu’opposait, à la réalisation en Russie d’un système de production socialiste, le retard économique du pays.

Tout cela était très logique et bien fondé dès que l’on admettait l’hypothèse fondamentale : que la révolution russe doit nécessairement amorcer la révolution européenne.
Mais si la chose ne se faisait pas ?

Jusqu’ici cette hypothèse ne s’est pas justifiée. Et maintenant on accuse les prolétaires d’Europe d’avoir laissé tomber et trahi la révolution russe. Accusation portée contre des inconnus, car qui veut on rendre responsable de la conduite du prolétariat européen ? »

Compter sur la révolution européenne est obligatoire pour un marxiste, du moment qu’on se trouve en présence d’une situation révolutionnaire. C’est une vérité première du marxisme, que la tactique du prolétariat socialiste ne peut être la même quand la situation est révolutionnaire et quand elle ne l’est pas….

Si Kautsky avait posé cette question, obligatoire pour un marxiste, il aurait vu que la réponse lui était nettement défavorable. Bien avant la guerre, tous les marxistes, tous les socialistes s’accordaient à reconnaître que la guerre européenne créerait une situation révolutionnaire. Du temps où Kautsky n’était pas encore un renégat, il admettait la chose d’une façon claire et précise, en 1902 (la Révolution sociale) et en 1909 (le Chemin du pouvoir). Le manifeste de Bâle l’a reconnu au nom de la II° Internationale tout entière : ce n’est pas sans raison que dans tous les pays les social-chauvins et les kautskistes (les « centristes », ceux qui balancent entre les révolutionnaires et les opportunistes) craignent comme le feu ces déclarations du Manifeste de Bâle !

Par conséquent, l’attente d’une situation révolutionnaire en Europe n’était pas un engouement des bolchéviks ; c’était l’opinion commune de tous les marxistes.

La tactique des bolchéviks était juste ; elle était la seule tactique internationaliste, puisqu’elle ne reposait pas sur une crainte pusillanime de la révolution mondiale, sur le « scepticisme » petit-bourgeois à son égard, sur le désir étroitement nationaliste de défendre « sa » patrie (la patrie de sa bourgeoisie) et de « cracher » sur tout le reste ; elle reposait sur l’appréciation juste (et universellement reconnue avant la guerre, avant le reniement des social chauvins et des social-pacifistes) des perspectives d’une situation révolutionnaire en Europe. Cette tactique était la seule tactique internationaliste puisqu’elle faisait le maximum de ce qui est réalisable dans un seul pays pour le développement, le soutien, l’éveil de la révolution dans tous les pays. Cette tactique s’est vérifiée par un immense succès, car le bolchévisme (non point en raison des mérites des bolchéviks russes, mais à cause de la plus profonde et universelle sympathie des masses pour cette tactique authentiquement révolutionnaire) est devenu le bolchévisme mondial ; il a donné une idée, une théorie, un programme, une tactique qui se distinguent concrètement, dans la pratique, du social chauvinisme et du social-pacifisme. Le bolchévisme a porté le coup de grâce à la vieille Internationale pourrie des Scheidemann et des Kautsky, des Renaudel et des Longuet, des Henderson et des MacDonald, qui vont maintenant se jeter dans les jambes l’un de l’autre en « rêvant » d’unité et en s’efforçant de ressusciter un cadavre. Le bolchévisme a créé les fondements idéologiques et tactiques d’une III° Internationale, vraiment prolétarienne et communiste, et qui tient compte à la fois des conquêtes de l’époque de paix, et de l’expérience de l’époque déjà commencée des révolutions…

En fait, le bolchévisme a puissamment aidé au développement de la révolution prolétarienne en Europe et en Amérique, plus qu’aucun parti n’a réussi à le faire jusqu’à ce jour dans aucun pays. Tandis que les ouvriers du monde entier se rendent compte, chaque jour plus nettement, que la tactique des Scheidemann et des Kautsky ne les a débarrassés ni de la guerre impérialiste, ni de l’esclavage salarié imposé par la bourgeoisie impérialiste, que cette tactique ne saurait servir de modèle pour tous les pays, les masses prolétariennes de tous les pays se rendent compte, chaque jour plus nettement, que le bolchévisme a indiqué la juste voie à suivre pour échapper aux horreurs de la guerre et de l’impérialisme, et que le bolchévisme sert de modèle de tactique pour tous.

La Révolution prolétarienne mûrit à vue d’oeil, non seulement en Europe, mais dans le monde entier, et c’est la victoire du prolétariat en Russie qui l’a favorisée, précipitée et soutenue. Tout cela ne suffit il pas pour la victoire complète du socialisme ? Évidemment non. Un seul pays ne peut faire davantage. Toutefois, grâce au pouvoir des Soviets, ce pays à lui seul a tant fait que, même si l’impérialisme mondial venait demain à écraser le pouvoir soviétique russe, mettons par une entente des impérialistes allemands et anglo français, même dans cette éventualité, la pire de toutes, la tactique bolchévique n’en aurait pas moins été de la plus grande utilité pour le socialisme, et aurait aidé à la croissance de l’invincible révolution mondiale. »

Lénine – Discours au septième congrès du parti communiste (bolchevik) de Russie - 6 mars 1918 :

« Quelles que puissent être les péripéties ultérieures de la lutte, si nombreux que puissent être les zigzags que nous aurons à parcourir (et il y en aura beaucoup : nous voyons par expérience quels détours gigantesques fait l’histoire d’une révolution, et seulement chez nous pour le moment ; les événements seront autrement rapides et complexes, leur rythme sera autrement vertigineux, leurs tournants seront autrement compliqués lorsque la révolution deviendra européenne), il faut, pour ne pas nous perdre dans ces zigzags et ces détours de l’histoire, pour conserver la perspective générale, pour apercevoir le fil directeur qui traverse tant le développement capitaliste que la route vers le socialisme, route qui nous apparaît naturellement comme droite, et que nous devons nous représenter comme telle afin d’en voir le commencement, la suite et la fin, - alors qu’en réalité elle ne sera jamais droite mais d’une complexité invraisemblable,- il faut, pour ne pas nous perdre dans les détours, pour ne pas être désorientés dans les périodes de recul, de retraite, de défaites momentanées, quand l’histoire ou l’ennemi nous rejetterait en arrière, il importe à mon avis, et ce sera la seule attitude théoriquement juste, de ne pas abandonner notre ancien programme fondamental. Car nous n’en sommes encore, en Russie, qu’à la première étape de transition du capitalisme au socialisme. L’histoire ne nous a pas donné l’état de paix que nous concevions en théorie pour un certain temps, qui était souhaitable et qui nous eût permis de franchir rapidement ces étapes de transition. Nous voyons tout de suite combien la guerre civile a créé de difficultés en Russie et comment elle se mêle à toute une série de guerres. Les marxistes ne perdent jamais de vue que la violence accompagnera inévitablement le total effondrement du capitalisme et la naissance de la société socialiste. Et cette violence s’étendra sur toute une période historique, époque de guerres sous de multiples formes : guerres impérialistes, guerres civiles à l’intérieur d’un pays donné, guerres combinant les deux catégories, guerres nationales d’émancipation des nationalités écrasées par les impérialistes, par des combinaisons variées de puissances impérialistes appelées à entrer inévitablement dans diverses coalitions à notre époque d’immenses trusts et cartels du capitalisme d’Etat et militaires. Cette époque, époque de faillites formidables, de violentes solutions militaires de masse, de crises, s’est ouverte, nous le voyons nettement, mais nous n’en sommes qu’au commencement. Aussi n’avons-nous pas de raison d’éliminer du programme tout ce qui se rapporte à la définition de la production marchande et du capitalisme en général. Nous avons à peine fait les premiers pas pour ce qui est de nous débarrasser complètement du capitalisme et de commencer le passage au socialisme. Combien aurons-nous d’étapes transitoires à franchir vers le socialisme, nous n’en savons rien ni ne pouvons le savoir. Cela dépend du moment où la révolution socialiste européenne aura vraiment commencé sur une grande échelle, de la facilité, de la rapidité ou de la lenteur avec laquelle elle viendra à bout de ses ennemis et s’engagera résolument dans la voie du développement socialiste. Cela, nous ne le savons pas ; or, le programme d’un parti marxiste doit se fonder sur des faits établis avec une certitude absolue. C’est en cela seulement que réside la force de notre programme, confirmé par toutes les péripéties de la révolution. C’est seulement sur cette base que les marxistes doivent ériger leur programme. Nous devons prendre pour point de départ des faits établis avec une certitude absolue, à savoir que le développement de l’échange et de la production marchande dans le monde entier est devenu le phénomène historique prédominant et a conduit au capitalisme, lequel s’est transformé en impérialisme : c’est là un fait absolument incontestable, et il faut l’établir en tout premier lieu dans notre programme. Que cet impérialisme ouvre l’ère de la révolution sociale, c’est aussi un fait évident pour nous et dont nous devons parler clairement. En constatant ce fait dans notre programme à la face du monde, nous élevons le flambeau de la révolution sociale, non seulement au sens d’un discours d’agitation, mais sous la forme d’un nouveau programme, en disant à tous les peuples d’Europe occidentale : « Voilà ce que nous avons tiré avec vous de l’expérience du développement capitaliste. Voilà ce que fut le capitalisme, voilà comment il en est arrivé à l’impérialisme, et voici l’ère de la révolution sociale qui commence et dans laquelle il nous a été donné de jouer le premier rôle dans le temps. »

Lénine – Discours au Soviet de Moscou – avril 1918 :

« Nous formons un des détachements révolutionnaires de la classe ouvrière, qui a pris de l’avance, non parce que nous valons mieux que les autres ouvriers, ou parce que le prolétariat russe est supérieur à la classe ouvrière d’autres pays, mais seulement et uniquement parce que notre pays était l’un des plus arriérés du monde. Nous ne remporterons la victoire finale que lorsque nous aurons réussi à briser enfin et pour toujours l’impérialisme international. Mais nous n’arriverons à la victoire qu’avec tous les ouvriers des autres pays, du monde entier. »

Lénine – Lettre aux ouvriers américains – juillet 1918 :

« Nous nous trouvons dans une forteresse assiégée, attendant que les autres armées de la révolution socialiste internationale viennent à notre secours. »

Lénine – novembre 1918 :

« Les faits de l’histoire mondiale ont montré que la transformation de notre révolution russe en une révolution socialiste n’est pas une aventure à courir, mais une nécessité, car il n’y a pas d’autre « choix » : les impérialismes anglo-français et américain étoufferont inévitablement l’indépendance et la liberté de la Russie s’il n’y a pas de victoire de la révolution socialiste mondiale, du bolchevisme mondial. »

Lénine – Conclusions sur le programme du Parti au huitième congrès du parti bolchevik – 19 mars 1919 :

« Des camarades viennent nous voir d’Allemagne pour étudier les formes du régime socialiste. Et nous devons agir de façon à prouver notre force aux camarades étrangers, à leur faire voir que dans notre révolution, nous ne sortons nullement du cadre de la réalité, de façon à leur fournir des matériaux irréfutables. II serait ridicule de présenter notre révolution comme une sorte d’idéal pour tous les pays, d’imaginer qu’elle a fait toute une série de découvertes géniales et introduit un tas d’innovations socialistes. Jamais je n’ai entendu dire une chose pareille et je soutiens que nous ne l’entendrons pas. Nous avons l’expérience des premiers pas de la destruction du capitalisme dans un pays où le rapport entre le prolétariat et la paysannerie est particulier. Il n’y a rien de plus. Si nous jouons les grenouilles en nous enflant d’importance, nous serons la risée du monde entier, nous ne serons que des fanfarons. »

Lénine – La troisième internationale et sa place dans l’histoire – 15 avril 1919 :

« Comment a-t-il pu se faire que le premier pays qui ait réalisé la dictature du prolétariat et fondé la République soviétique, ait été un des pays les plus arriérés de l’Europe ? Nous ne risquons guère de nous tromper, en disant que justement cette contradiction entre le retard de la Russie et le « bond » effectué par elle, pardessus la démocratie bourgeoise, vers la forme supérieure du démocratisme, vers la démocratie soviétique ou prolétarienne, justement cette contradiction a été (en plus des pratiques opportunistes et des préjugés philistins qui pesaient sur la plupart des chefs socialistes) une des raisons qui ont rendu particulièrement difficile ou retardé en Occident la compréhension du rôle des Soviets.
Les masses ouvrières de tous les pays ont saisi d’instinct l’importance des Soviets comme arme de lutte du prolétariat et ferme de l’Etat prolétarien. Mais les « chefs » corrompus par l’opportunisme ont continué, et continuent de vouer un culte à la démocratie bourgeoise en l’appelant « démocratie » en général.

Faut-il s’étonner que la réalisation de la dictature prolétarienne ait révélé avant tout cette « contradiction » entre le retard de la Russie et le « bond » effectué par elle par-dessus la démocratie bourgeoise ? Il eût été étonnant si l’histoire nous gratifiait d’une nouvelle forme de démocratie sans entraîner une série de contradictions.
Tout marxiste, voire toute personne initiée à la science moderne, en général, si on lui posait cette question : « Le passage égal ou harmonieux et proportionnel des divers pays capitalistes à la dictature du prolétariat est-il possible ? » — répondra sans doute par la négative. Ni égalité de développement, ni harmonie, ni proportionnalité n’ont jamais existé et ne pouvaient exister dans le monde capitaliste. Chaque pays a fait ressortir avec un singulier relief tel ou tel autre côté, tel trait ou ensemble de particularités du capitalisme et du mouvement ouvrier. Le processus de développement était inégal.

Au moment où la France accomplissait sa grande Révolution bourgeoise et éveillait tout le continent européen à une vie nouvelle au point de vue historique, l’Angleterre, tout en étant beaucoup plus développée que la France au point de vue capitaliste, se trouva à la tête d’une coalition contre-révolutionnaire. Mais le mouvement ouvrier anglais de cette époque fait pressentir, de façon géniale, bien des points du futur marxisme. Lorsque l’Angleterre donna au monde le premier grand mouvement révolutionnaire prolétarien, réellement massif, politiquement cristallisé, le chartisme, il n’y avait, la plupart du temps, sur le continent européen que de faibles révolutions bourgeoises ; en France, éclatait la première grande guerre civile entre le prolétariat et la bourgeoisie. La bourgeoisie battit les divers détachements nationaux du prolétariat, isolément et d’une façon différente selon les pays.

L’Angleterre était selon l’expression d’Engels le pays-type d’une bourgeoisie qui a créé, à côté d’une aristocratie embourgeoisée, la couche supérieure la plus embourgeoisée du prolétariat. Le pays capitaliste avancé fut ainsi en retard de plusieurs dizaines d’années dans le sens de la lutte révolutionnaire prolétarienne. La France semble avoir épuisé les forces de son prolétariat en deux insurrections héroïques — qui ont donné énormément au point de vue de l’histoire mondiale — de la classe ouvrière contre la bourgeoisie en 1848 et 1871. L’hégémonie dans l’Internationale du mouvement ouvrier passa ensuite à l’Allemagne, vers 1870, au moment où ce pays était économiquement en retard sur l’Angleterre et la France. Et lorsque l’Allemagne eut dépassé économiquement ces deux pays, c’est-à-dire vers la deuxième décade du XXe siècle, le parti ouvrier marxiste d’Allemagne, parti modèle pour le monde entier, se trouva sous la direction d’une poignée de gredins fieffés, de la canaille la plus immonde vendue aux capitalistes, depuis Scheidemann et Noske jusqu’à David et Legien, les plus répugnants bourreaux issus des milieux ouvriers et passés au service de la monarchie et de la bourgeoisie contrerévolutionnaire.

L’histoire universelle s’achemine irrésistiblement vers la dictature du prolétariat, mais elle n’y va pas par des chemins unis, simples et droits, tant s’en faut.

Du temps que Karl Kautsky était encore marxiste, et non pas ce renégat du marxisme qu’il est devenu comme combattant pour l’unité avec les Scheidemann et la démocratie bourgeoise contre la démocratie soviétique ou prolétarienne, il écrivait — dès le début du XXe siècle— un article : « Les Slaves et la révolution ». Il y exposait les conditions historiques qui faisaient prévoir la transmission aux Slaves de l’hégémonie dans le mouvement révolutionnaire international.
Il en fut ainsi. Pour un temps — très court, cela va de soi — l’hégémonie dans l’Internationale prolétarienne révolutionnaire est passée aux Russes, comme à diverses époques du XIXe siècle elle appartint aux Anglais, puis aux Français, puis aux Allemands.
J’ai eu l’occasion de le répéter souvent : en comparaison des pays avancés, il était plus facile aux Russes de commencer la grande Révolution prolétarienne, mais il leur sera plus difficile de la continuer et de la mener jusqu’à la victoire définitive, dans le sens de l’organisation intégrale de la société socialiste.

Il nous a été plus facile de commencer, d’abord parce que le retard politique peu ordinaire — pour l’Europe du XXe siècle — de la monarchie tsariste provoqua un assaut révolutionnaire des masses, d’une vigueur inaccoutumée. En second lieu, le retard de la Russie unissait d’une façon originale la Révolution prolétarienne contre la bourgeoisie, à la révolution paysanne contre les grands propriétaires fonciers. C’est par là que nous avons commencé en octobre 1917, et nous n’aurions pas triomphé si facilement si nous avions agi différemment. Dès 1856 Marx indiqua, en parlant de la Prusse, la possibilité d’une combinaison originale de la révolution prolétarienne avec la guerre paysanne. Les bolchéviks, depuis le début de 1905, défendirent l’idée d’une dictature démocratique révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie. En troisième lieu, la Révolution de 1905 a fait énormément pour l’éducation politique de la masse des ouvriers et des paysans, tant pour initier leur avant-garde au « dernier mot » du socialisme d’Occident, que dans le sens de l’action révolutionnaire des masses. Sans cette « répétition générale » de 1905, les révolutions de 1917, bourgeoise en février, prolétarienne en octobre, n’eussent pas été possibles. En quatrième lieu, la situation géographique de la Russie lui a permis plus longtemps qu’aux autres pays de tenir, en dépit de la supériorité extérieure des pays capitalistes avancés. En cinquième lieu, l’attitude particulière du prolétariat à l’égard de la paysannerie a facilité le passage de la révolution bourgeoise à la révolution socialiste, facilité l’influence des prolétaires de la ville sur les semi-prolétaires, sur les couches de travailleurs pauvres des campagnes. En sixième lieu, la longue école des grèves et l’expérience du mouvement ouvrier de masse en Europe ont facilité, dans une situation révolutionnaire tendue et vite aggravée, l’apparition d’une forme d’organisation révolutionnaire prolétarienne aussi originale que les Soviets.

Cette énumération n’est évidemment pas complète. Mais on peut pour l’instant s’en tenir là.

La démocratie soviétique ou prolétarienne est née en Russie. Par rapport à la Commune de Paris, ce fut un second pas d’une importance historique universelle. La République prolétarienne et paysanne des Soviets est apparue comme la première et solide république socialiste du monde. Désormais elle ne peut mourir en tant que nouveau type d’État. Elle n’est plus seule aujourd’hui.

Pour continuer l’œuvre de construction socialiste et la mener à bien, il y a encore beaucoup à faire. Les Républiques soviétiques des pays plus cultivés, où le prolétariat a plus de poids et plus d’influence, ont toutes les chances de dépasser la Russie, dès qu’elles s’engageront dans la voie de la dictature du prolétariat. »

Lénine – La maladie infantile du communisme, le « gauchisme » - mai 1920 :

Pendant les premiers mois qui suivirent la conquête du pouvoir politique par le prolétariat en Russie (25 octobre - 7 novembre 1917), il pouvait sembler que les différences très marquées entre ce pays arriéré et les pays avancés d’Europe occidentale y rendraient la révolution du prolétariat très différentes de la nôtre.

Aujourd’hui nous avons par devers nous une expérience internationale fort appréciable, qui atteste de toute évidence que certains traits essentiels de notre révolution n’ont pas une portée locale, ni particulièrement nationale, ni uniquement russe, mais bien internationale.

Et je ne parle pas ici de la portée internationale au sens large du mot : il ne s’agit pas de certains traits, mais tous les traits essentiels et aussi certains traits secondaires de notre révolution ont une portée internationale, en ce sens qu’elle exerce une action sur tous les pays. Non, c’est dans le sens le plus étroit du mot, c’est à dire en entendant par portée internationale la valeur internationale ou la répétition historique inévitable, à l’échelle internationale, de ce qui c’est passé chez nous, que certains traits essentiels ont cette portée.
Certes, on aurait grandement tort d’exagérer cette vérité, de l’entendre au-delà de certains traits essentiels de notre révolution. On aurait également tort de perdre de vue qu’après la victoire de la révolution prolétarienne, si même elle n’a lieu que dans un seul des pays avancés, il se produira, selon toute probabilité, un brusque changement, à savoir : la Russie redeviendra, bientôt après, un pays, non plus exemplaire, mais retardataire (au point de vue "soviétique" et socialiste).

Mais en ce moment de l’histoire, les choses se présentent ainsi : l’exemple russe montre à tous les pays quelque chose de tout à fait essentiel, de leur inévitable et prochain avenir. Les ouvriers avancés de tous les pays l’ont compris depuis longtemps, mais le plus souvent ils ne l’ont pas tant compris que pressenti avec leur instinct de classe révolutionnaire.

D’où la "portée" internationale (au sens étroit du mot) du pouvoir des Soviets, et aussi des principes de la théorie et de la tactique bolcheviques….

ous l’influence d’une série de facteurs historiques très particuliers, la Russie retardataire fut la première à donner au monde non seulement l’exemple d’une progression par bonds, pendant la révolution, de l’activité spontanée des masses opprimées (on avait vu cela dans toutes les grandes révolutions), mais encore l’exemple d’un prolétariat dont le rôle est infiniment supérieur à son importance numérique dans la population ; l’exemple de la combinaison de la grève économique et de la grève politique avec transformation de cette dernière en insurrection armée, et enfin, de L’apparition d’une nouvelle forme de lutte massive et d’organisation massive des classes opprimées par le capitalisme : les Soviets.

Les révolutions de février et d’octobre 1917 ont amené les Soviets à un développement complet à l’échelle nationale, et puis à leur triomphe dans la révolution socialiste prolétarienne. Moins de deux ans plus tard apparaissait le caractère international des Soviets ; on vit cette forme de lutte et d’organisation s’étendre au mouvement ouvrier universel, et s’affirmer la mission historique des Soviets, fossoyeurs, héritiers, successeurs du parlementarisme bourgeois, de La démocratie bourgeoise en général.

Bien plus. L’histoire du mouvement ouvrier montre aujourd’hui que dans tous les pays, le communisme naissant, grandissant, marchant à la victoire, est appelé à traverser une période de lutte (qui a déjà commencé), d’abord et surtout, contre le "menchevisme" propre (de chaque pays), c’est-à-dire l’opportunisme et le social-chauvinisme ; puis, à titre de complément, pour ainsi dire, contre le communisme "de gauche". La première de ces luttes s’est déroulée dans tous les pays, sans une seule exception, que je sache, sous la forme d’un duel entre la lI° Internationale (aujourd’hui pratiquement tuée) et la III°. L’autre lutte s’observe en Allemagne et en Angleterre, en Italie et en Amérique (où nous voyons une partie au moins des "Ouvriers industriels du monde" et des tendances anarcho-syndicalistes, défendre les erreurs du communisme de gauche, tout en reconnaissant d’une façon à peu près générale, presque sans réserve, le système soviétique) ; elle s’observe aussi en France (attitude d’une portion des anciens syndicalistes - qui reconnaissent également le système soviétique - envers les partis politiques et le parlementarisme) ; c’est dire qu’elle s’observe incontestablement à une échelle non seulement internationale, mais même universelle.
Mais, bien que l’école préparatoire qui conduit le mouvement ouvrier à la victoire sur la bourgeoisie soit au fond partout la même, ce développement s’accomplit dans chaque pays à sa manière. Les grands Etats capitalistes avancés parcourent ce chemin beaucoup plus vite que le bolchevisme, auquel l’histoire avait imparti un délai de quinze ans pour se préparer à la victoire en tant que tendance politique organisée. »

Lénine – Troisième anniversaire de la révolution d’octobre – octobre 1920 :

« Si cette nuit-là [la nuit de l’insurrection d’Octobre], on nous avait dit que, dans trois ans, ce serait là notre victoire, personne, même l’optimiste le plus fieffé, n’y aurait cru. Nous savions alors que notre victoire n’en serait une qu’au moment où notre cause aurait vaincu dans le monde entier, parce que nous nous étions lancés dans cette entreprise en comptant exclusivement sur la révolution mondiale. »

Lénine - Notre situation extérieure et intérieure et les tâches du parti - 21 novembre 1920 :

« Les succès obtenus par le pouvoir des Soviets sont colossaux. Lorsqu’il y a trois ans nous posions la question du rôle et des conditions de la victoire de la révolution prolétarienne en Russie, nous disions toujours nettement que cette victoire ne pouvait être solide qu’à condition d’être soutenue par une révolution prolétarienne en Occident, et que notre Révolution ne pouvait être justement appréciée que du point de vue international. Afin d’obtenir que notre victoire soit solide nous devons obtenir la victoire de la révolution prolétarienne dans tous les pays, ou du moins dans quelques-uns des principaux pays capitalistes. Après trois ans de lutte acharnée, nous voyons dans quelle mesure nos prédictions se sont vérifiées et dans quelle mesure elles ne se sont pas vérifiées.

Elles ne se sont pas vérifiées en ce sens que la question n’a pas reçu de solution rapide et simple. Bien sûr, aucun de nous ne s’attendait à voir durer trois ans une lutte aussi inégale que celle de la Russie contre toutes les puissances capitalistes du monde. Si nos prédictions ne se sont pas vérifiées purement et simplement, rapidement et directement, elles se sont vérifiées cependant dans la mesure où nous avons reçu l’essentiel, car l’essentiel était de conserver au pouvoir du prolétariat et à la république soviétiste la possibilité d’exister, même dans le cas où se ferait attendre la révolution socialiste dans le reste de l’univers. Et, à ce point de vue, il faut dire que notre situation internationale actuelle donne la meilleure et la plus exacte confirmation de tous nos calculs et de toute notre politique….
De la guerre impérialiste, les États bourgeois ont réussi à sortir bourgeois. Ils ont réussi à remettre et à reculer la crise qui les menaçait immédiatement, mais ils ont ruiné leur situation dans sa racine à un tel point que, malgré leurs forces armées gigantesques, ils ont dû reconnaître, après trois ans, leur impuissance à étrangler la Russie soviétiste, presque dénuée de forces militaires. Ainsi s’est trouvée confirmée dans sa base notre politique avec nos prévisions, et nous avons eu pour alliés réels les masses opprimées de tous les États capitalistes, puisque ces masses ont fait échouer la guerre. Sans obtenir la victoire universelle, la seule solide pour nous, nous avons conquis une situation dans laquelle nous pouvons exister côte à côte avec les puissances impérialistes, obligées aujourd’hui d’entrer en relations commerciales avec nous. Au cours de cette lutte, nous avons conquis le droit à l’existence indépendante. »

Le socialisme dans un seul pays est-il une partie du programme bolchevik ?

Ce que Trotsky disait du « socialisme dans un seul pays »

Quelques mensonges sur la "construction stalinienne du socialisme"

Comment caractériser l’Etat russe sous le stalinisme en 1933 ?

Le stalinisme en portrait / Quel rapport avec la politique de Lénine ?

Depuis que Lénine est mort

De Lénine à Staline

L’économie de l’URSS était-elle socialiste ?

Qu’est-ce que le stalinisme ?

Destin d’une révolution

Lénine et Trotsky contre Staline

Quelles divergences entre Lénine et Trotsky ?

Les tendances réactionnaires à l’autarcie constituent un réflexe défensif du capitalisme sénile en présence de ce problème posé par l’histoire : libérer l’économie des chaînes de la propriété privée et de l’Etat national et l’organiser, suivant un plan d’ensemble, sur toute la surface du globe.

La « déclaration des droits du peuple travailleur et exploité » rédigée par Lénine et soumise par le Conseil des commissaires du peuple à la sanction de l’Assemblée constituante, dans les courtes heures que vécut celle-ci, définit en ces termes « l’objectif essentiel » du nouveau régime : « l’établissement d’une organisation socialiste de la société et la victoire du socialisme dans tous les pays. » L’internationalisme de la révolution est donc proclamé dans un document essentiel du nouveau régime. Personne n’eût osé, à ce moment-là, poser le problème de quelque autre façon. En avril 1924, trois mois après la mort de Lénine, Staline écrivait encore dans sa compilation sur les Bases du léninisme : « Il suffit des efforts d’un pays pour renverser la bourgeoisie, l’histoire de notre révolution l’enseigne. Pour la victoire définitive du socialisme, pour l’organisation de la production socialiste, les efforts d’un seul pays, surtout paysan comme le nôtre, sont déjà insuffisants ; il y faut les efforts réunis des prolétaires de plusieurs pays avancés. » Ces lignes n’ont pas besoin d’être commentées. Mais l’édition dans laquelle elles figurent a été retirée de la circulation. Les grandes défaites du prolétariat européen et les premiers succès, fort modestes pourtant, de l’économie soviétique, suggérèrent à Staline, au cours de l’automne 1924, que la mission historique de la bureaucratie était de bâtir le socialisme dans un seul pays. Une discussion s’ouvrit autour de cette question, qui parut académique ou scolastique à beaucoup d’esprits superficiels, mais qui, en réalité, exprimait le début de la dégénérescence de la IIIe Internationale et préparait la naissance de la IVe.

L’ex-communiste Petrov, que nous connaissons déjà, émigré blanc [1] aujourd’hui, relate d’après ses propres souvenirs combien fut vive la résistance des jeunes administrateurs à la doctrine qui faisait dépendre l’URSS de la révolution internationale. « Comment ! Nous n’arriverions pas nous-mêmes à faire le bonheur de notre pays ? S’il en est autrement d’après Marx, eh bien, nous ne sommes pas marxistes, nous sommes des bolcheviks de Russie, voilà tout. » A ces souvenirs sur les discussions de 1923-1926, Petrov ajoute : « Je ne puis m’empêcher de penser à présent que la théorie du socialisme dans un seul pays est plus qu’une simple invention stalinienne. » Très juste ! Elle traduisait fort exactement le sentiment de la bureaucratie qui, parlant de la victoire du socialisme, entendait par là sa propre victoire.

Pour justifier sa rupture avec la tradition de l’internationalisme marxiste, Staline eut l’impudence de soutenir que Marx et Engels avaient ignoré... la loi de l’inégalité de développement du capitalisme, découverte par Lénine. Cette affirmation pourrait à juste titre prendre la première place dans notre catalogue des curiosités idéologiques. L’inégalité de développement marque toute l’histoire de l’humanité et plus particulièrement celle du capitalisme. Le jeune historien et économiste Solntsev, militant extraordinairement doué et d’une rare qualité morale, mort dans les prisons soviétiques du fait de son adhésion à l’opposition de gauche, donna en 1926 une note excellente sur la loi de l’inégalité du développement telle qu’on la trouve dans l’oeuvre de Marx. Ce travail ne peut naturellement pas être publié en URSS. Pour des raisons opposées on a interdit l’ouvrage d’un social-démocrate allemand, enterré et oublié depuis longtemps, nommé Volmar, qui, en 1878, soutenait qu’un « Etat socialiste isolé » était possible – ayant en vue l’Allemagne et non la Russie – en invoquant « la loi de l’inégalité du développement » que l’on nous dit être demeurée inconnue jusqu’à Lénine.

Georg Volmar écrivait : « Le socialisme suppose absolument une économie développée et, s’il ne s’agissait que d’elle, il devrait être surtout puissant là où le développement économique est le plus élevé. La question se pose tout autrement en réalité. L’Angleterre est incontestablement le pays le plus avancé au point de vue économique et le socialisme y joue, nous le voyons, un rôle fort secondaire, alors qu’il est devenu en Allemagne, pays moins développé, une force telle que la vieille société ne se sent plus en sécurité... » Volmar continuait, après avoir indiqué la puissance des facteurs historiques qui déterminent les événements : « Il est évident que les réactions réciproques d’un nombre aussi grand de facteurs rendent impossible, sous les rapports du temps et de la forme, une évolution semblable, ne serait-ce que dans deux pays, pour ne point parler de tous... Le socialisme obéit à la même loi... L’hypothèse d’une victoire simultanée du socialisme dans tous les pays civilisés est tout à fait exclue, de même que celle de l’imitation par les autres pays civilisés de l’exemple de l’Etat qui se sera donné une organisation socialiste... Nous arriverons ainsi à conclure à l’Etat socialiste isolé dont j’espère avoir prouvé qu’il est, sinon la seule possibilité, du moins la plus probable. » Cet ouvrage, écrit au moment où Lénine avait huit ans, donne de la loi de l’inégalité du développement une interprétation beaucoup plus juste que celles des épigones soviétiques à partir de l’automne de 1924. Notons ici que Volmar, théoricien de second plan, ne faisait en l’occurrence que commenter les idées d’Engels, que nous avons pourtant vu accuser d’ignorance sur ce point.

« L’Etat socialiste isolé » est depuis longtemps passé du domaine des hypothèses historiques à celui de la réalité, non en Allemagne, mais en Russie. Le fait de son isolement exprime la puissance relative du capitalisme, la faiblesse relative du socialisme. Il reste à franchir entre l’Etat « socialiste » isolé et la société socialiste à jamais débarrassée de l’Etat une grande distance qui correspond précisément au chemin de la révolution internationale.

Béatrice et Sidney Webb nous assurent de leur côté que Marx et Engels n’ont pas cru à la possibilité d’une société socialiste isolée pour la seule raison qu’ils « n’ont jamais rêvé » (neither Marx nor Engels had ever dreamt) d’un instrument aussi puissant que le monopole du commerce extérieur. On ne peut lire ces lignes sans éprouver une certaine gêne pour des auteurs d’un si grand âge. La nationalisation des banques et des sociétés commerciales, des chemins de fer et de la flotte marchande est pour la révolution socialiste tout aussi indispensable que la nationalisation des moyens de production, y compris ceux des industries d’exportation. Le monopole du commerce extérieur ne fait que concentrer entre les mains de l’Etat les moyens matériels de l’importation et de l’exportation. Dire que Marx et Engels n’en ont point rêvé, c’est dire qu’ils n’ont point rêvé de révolution socialiste. Comble de malheur, Volmar fait à bon droit du monopole du commerce extérieur l’une des ressources les plus importantes de l’« Etat socialiste isolé ». Marx et Engels auraient dû en apprendre le secret chez cet auteur s’il ne l’avait lui-même appris chez eux.
La « théorie » du socialisme dans un seul pays, que Staline n’exposa et ne justifia d’ailleurs nulle part, se réduit à la conception, étrangère à l’histoire et plutôt stérile, selon laquelle ses richesses naturelles permettent à l’URSS de construire le socialisme dans ses frontières géographiques. On pourrait affirmer avec autant de succès que le socialisme vaincrait si la population du globe était douze fois moins nombreuse qu’elle ne l’est. En réalité, la nouvelle théorie cherchait à imposer à la conscience sociale un système d’idées plus concret : la révolution est définitivement achevée ; les contradictions sociales ne feront plus que s’atténuer progressivement ; le paysan riche sera peu à peu assimilé par le socialisme ; l’évolution, dans son ensemble, indépendamment des événements extérieurs, demeurera régulière et pacifique. Boukharine, qui tenta de fonder la nouvelle théorie, proclama, comme étant irréfutablement prouvé : « Les différences de classes dans notre pays ou notre technique arriérée ne nous mèneront pas à notre perte ; nous pouvons bâtir le socialisme sur cette base de misère technique elle-même ; la croissance de ce socialisme sera très lente, nous avancerons à pas de tortue, mais nous construirons le socialisme et nous en achèverons la construction... » Ecartons l’idée du « socialisme à construire même sur une base de misère technique » et rappelons une fois de plus la géniale prédiction de Marx qui nous apprend qu’avec une faible base technique « on ne socialise que le besoin, la pénurie devant entraîner des compétitions pour les articles nécessaires et ramener tout l’ancien fatras... »

L’opposition de gauche proposa en avril 1926, à une assemblée plénière du comité central, l’amendement suivant à la théorie du pas de tortue : « Il serait radicalement erroné de croire qu’on peut s’acheminer vers le socialisme à une allure arbitrairement décidée quand on se trouve entouré par le capitalisme. La progression vers le socialisme ne sera assurée que si la distance séparant notre industrie de l’industrie capitaliste avancée... diminue manifestement et concrètement au lieu de grandir. » Staline vit à bon droit dans cet amendement une attaque « masquée » contre la théorie du socialisme dans un seul pays et refusa catégoriquement de rattacher l’allure de l’édification à l’intérieur aux conditions internationales. Le compte rendu sténographique des débats donne sa réponse en ces termes : « Quiconque fait intervenir ici le facteur international ne comprend pas même comment se pose la question et brouille toutes les notions, soit par incompréhension, soit par désir conscient d’y semer la confusion. » L’amendement de l’opposition fut repoussé.

L’illusion du socialisme se construisant tout doucement – à pas de tortue – sur une base de misère, entouré de puissants ennemis, ne résista pas longtemps aux coups de la critique. En novembre de la même année, la XVe conférence du parti, sans la moindre préparation dans la presse, reconnut nécessaire de « rattraper dans un délai historique représentant un minimum relatif [?] et ensuite de dépasser le niveau industriel des pays capitalistes avancés ». C’était « dépasser » en tout cas l’opposition de gauche. Mais tout en donnant le mot d’ordre de « rattraper et dépasser » le monde entier « dans un délai minimum relatif », les théoriciens qui préconisaient la veille la lenteur de la tortue devenaient les prisonniers du « facteur international » dont la bureaucratie éprouve une crainte si superstitieuse. Et la première version, la plus nette, de la théorie stalinienne se trouva liquidée en huit mois.

Le socialisme devra inéluctablement « dépasser » le capitalisme dans tous les domaines, écrivait l’opposition de gauche dans un document illégalement répandu en mars 1927, « mais il s’agit en ce moment, non des rapports du socialisme avec le capitalisme en général, mais du développement économique de l’URSS par rapport à celui de l’Allemagne, de l’Angleterre et des Etats-Unis. Que faut-il entendre par un délai historique minimum ? Nous resterons loin du niveau des pays avancés d’Occident au cours des prochaines périodes quinquennales. Que se passera-t-il pendant ce temps dans le monde capitaliste ? Si l’on admet qu’il puisse encore connaître une nouvelle période de prospérité appelée à durer des dizaines d’années, parler de socialisme dans notre pays arriéré sera d’une triste platitude ; il faudra reconnaître alors que nous nous sommes trompés du tout au tout en jugeant notre époque comme étant celle du pourrissement du capitalisme ; la République des Soviets serait en ce cas la deuxième expérience de la dictature du prolétariat, plus large et plus féconde que celle de la Commune de Paris mais rien qu’une expérience... Avons-nous cependant des raisons sérieuses de réviser aussi résolument les valeurs de notre époque et le sens de la révolution d’Octobre conçue comme un chaînon de la révolution internationale ? Non. Achevant, dans une mesure plus ou moins large, leur période de reconstruction (après la guerre), les pays capitalistes se retrouvent en présence de toutes leurs anciennes contradictions intérieures et internationales mais élargies et de beaucoup aggravées. Et telle est la base de la révolution prolétarienne. C’est un fait que nous bâtissons le socialisme. Le tout étant plus grand que la partie, c’est un fait encore plus certain que la révolution se prépare en Europe et dans le monde. La partie ne pourra vaincre qu’avec le tout... Le prolétariat européen a besoin de beaucoup de moins de temps pour monter à l’assaut du pouvoir qu’il ne nous en faut pour l’emporter au point de vue technique sur l’Europe et l’Amérique... Nous devons dans l’intervalle amoindrir systématiquement l’écart entre le rendement du travail chez nous et ailleurs. Plus nous progresserons et moins nous serons menacés par l’intervention possible des bas prix et par conséquent par l’intervention armée... Plus nous améliorerons les conditions d’existence des ouvriers et des paysans et plus sûrement nous hâterons la révolution prolétarienne en Europe ; et plus vite cette révolution nous enrichira de la technique mondiale et plus assurée, plus complète sera notre édification socialiste, élément de celle de l’Europe et du monde ». Ce document, comme bien d’autres, resta sans réponse, à moins qu’il ne faille considérer comme des réponses les exclusions du parti et les arrestations.

Après avoir renoncé à la lenteur de la tortue, il fallut renoncer à l’idée connexe de l’assimilation du koulak par le socialisme. La défaite infligée aux paysans riches par des mesures administratives devait cependant donner un nouvel aliment à la théorie du socialisme dans un seul pays : du moment que les classes étaient « au fond » anéanties, le socialisme était « au fond » réalisé (1931). C’était la restauration de l’idée d’une société socialiste « à base de misère ». Nous nous souvenons qu’un journaliste officieux nous expliqua alors que le manque de lait pour les enfants était dû au manque de vaches et non aux défauts du système socialiste.

Le souci du rendement du travail ne permit pas de s’attarder aux formules rassurantes de 1931 destinées à fournir une compensation morale aux ravages de la collectivisation totale. « Certains pensent », déclara soudainement Staline, à l’occasion du mouvement Stakhanov, « que le socialisme peut être affermi par une certaine égalité dans la pauvreté. C’est faux... Le socialisme ne peut vaincre en vérité que sur la base d’un rendement du travail plus élevé qu’en régime capitaliste. » Tout à fait juste. Mais le nouveau programme des Jeunesses communistes adopté en avril 1935, au congrès qui les priva des derniers vestiges de leurs droits politiques, définît catégoriquement le régime soviétique : « L’économie nationale est devenue socialiste. » Nul ne se soucie d’accorder ces conceptions contradictoires. Elles sont mises en circulation selon les besoins du moment. Personne n’osera émettre la moindre critique, quoi qu’il arrive.

La nécessité même du nouveau programme des Jeunesses communistes fut justifiée en ces termes par le rapporteur : « L’ancien programme renferme une affirmation erronée, profondément antiléniniste, selon laquelle "la Russie ne peut arriver au socialisme que par la révolution mondiale". Ce point du programme est radicalement faux ; des idées trotskystes s’y reflètent » ; les idées mêmes que Staline défendait encore en avril 1924 ! Il resterait à expliquer comment un programme écrit en 1921 par Boukharine, attentivement revu par le bureau politique avec la collaboration de Lénine, se révèle « trotskyste » au bout de quinze ans et nécessite une révision dans un sens diamétralement opposé. Mais les arguments logiques sont impuissants là où il s’agit d’intérêts. S’étant émancipée par rapport au prolétariat dans son propre pays, la bureaucratie ne peut pas reconnaître que l’URSS dépend du prolétariat mondial.

La loi de l’inégalité de développement a eu ce résultat que la contradiction entre la technique et les rapports de propriété du capitalisme a provoqué la rupture de la chaîne mondiale à son point le plus faible. Le capitalisme russe arriéré a payé le premier pour les insuffisances du capitalisme mondial. La loi du développement inégal se joint tout au long de l’histoire à celle du développement combiné. L’écroulement de la bourgeoisie en Russie a amené la dictature du prolétariat, c’est-à-dire un bond en avant, par rapport aux pays avancés, fait par un pays arriéré. L’établissement des formes socialistes de propriété dans un pays arriéré s’est heurté à une technique et à une culture trop faibles. Née elle-même de la contradiction entre les forces productives du monde, hautement développées, et la propriété capitaliste, la révolution d’Octobre a engendré à son tour des contradictions entre les forces productives nationales trop insuffisantes et la propriété socialiste.

L’isolement de l’URSS n’a pas eu immédiatement, il est vrai, les graves conséquences que l’on pouvait redouter : le monde capitaliste était trop désorganisé et paralysé pour manifester toute sa puissance potentielle. La « trêve » a été plus longue que l’optimisme critique ne permettait de l’espérer. Mais l’isolement et l’impossibilité de mettre à profit les ressources du marché mondial, fût-ce sur des bases capitalistes (le commerce extérieur étant tombé au quart ou au cinquième de ce qu’il était en 1913) entraînaient, outre d’énormes dépenses de défense nationale, une répartition des plus désavantageuses des forces productives et la lenteur du relèvement de la condition matérielle des masses. Le fléau bureaucratique fut cependant le produit le plus néfaste de l’isolement.

Les normes politiques et juridiques établies par la révolution d’une part exercent une influence favorable sur l’économie arriérée et, de l’autre, souffrent de l’action paralysante d’un milieu arriéré. Plus longtemps l’URSS demeurera dans un entourage capitaliste et plus profonde sera la dégénérescence de ses tissus sociaux. Un isolement indéfini devrait infailliblement amener, non l’établissement d’un communisme national, mais la restauration du capitalisme.
Si la bourgeoisie ne peut pas se laisser assimiler paisiblement par la démocratie socialiste, l’Etat socialiste ne peut pas non plus s’assimiler au système capitaliste mondial. Le développement socialiste pacifique « d’un seul pays » n’est pas à l’ordre du jour de l’histoire ; une longue série de bouleversements mondiaux s’annonce : guerres et révolutions. Des tempêtes sont aussi inévitables dans la vie intérieure de l’URSS. La bureaucratie a dû, dans sa lutte pour l’économie planifiée, exproprier le koulak ; la classe ouvrière aura, dans sa lutte pour le socialisme, à exproprier la bureaucratie, sur la tombe de laquelle elle pourra mettre cette épitaphe : « Ici repose la théorie du socialisme dans un seul pays. »

Léon Trotsky (1936)

[1] Dans le sens de contre-révolutionnaire

Aujourd’hui encore plus que par le passé, il importe de rétablir la vérité sur le rôle véritable de Lénine et de ses compagnons bolcheviks, de mettre en évidence que toute sa vie fut consacrée à la lutte pour l’émancipation de la classe ouvrière et non à l’établissement sur celle-ci d’une des formes les plus barbares d’exploitation et d’oppression comme l’a été le stalinisme.

Avant même que de se faire connaître par l’établissement d’une terreur policière sans commune mesure dans l’histoire, le stalinisme a commencé sa carrière comme défenseur de la thèse de la "construction du socialisme dans un seul pays". Dès 1925, Staline se fait le porte-parole de cette conception qui s’inscrit complètement en faux avec toute la vision qui avait été défendue auparavant dans le mouvement ouvrier. En effet, dès ses origines, celui-ci se présente comme un mouvement international dans la mesure où, comme l’écrivait Engels dès 1847 : "La révolution communiste (...) ne sera pas une révolution purement nationale ; elle se produira en même temps dans tous les pays civilisés (...) Elle exercera également sur tous les autres pays du globe une répercussion considérable et elle transformera complètement et accélérera le cours de leur développement. Elle est une révolution universelle ; elle aura, par conséquent, un terrain universel" ("Principes du Communisme"). Ce n’est nullement un hasard, non plus, si le mot d’ordre qui conclut le "Manifeste Communiste" de 1848 est "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous". De même, la première organisation importante du prolétariat est l’"Association Internationale des Travailleurs" (1864-1872) ou 1ère Internationale. Par la suite, ce sont aussi des internationales (Internationale socialiste, 1889-1914 ; Internationale communiste, 1919-1928) qui ponctuent le développement et les combats de la classe ouvrière à l’échelle mondiale. Enfin, il est également significatif que l’hymne du mouvement ouvrier soit, dans tous les pays, l’"Internationale".

En fait, un des critères décisifs de l’appartenance d’une formation politique au camp du prolétariat est l’internationalisme. Ainsi, en 1914, lorsqu’éclate la guerre mondiale, la participation à l’"Union sacrée" et à la "Défense nationale" des secteurs dominants de la plupart des partis socialistes d’Europe (les "social-chauvins" comme les appelait Lénine) signe leur trahison vis-à-vis de la classe ouvrière et leur passage à la bourgeoisie.

C’est pour cela que la thèse du "socialisme en un seul pays" constitue une véritable trahison des principes de base de la lutte prolétarienne et de la révolution communiste, trahison contre laquelle ceux qui continuent de défendre le programme prolétarien, tel Trotsky dans le parti communiste d’Union soviétique, engagent un combat sans merci. En particulier, cette thèse, présentée par Staline comme un des "principes du léninisme", constitue l’exact contraire de la position de Lénine :

"La révolution russe n’est qu’un détachement de l’armée socialiste mondiale, et le succès et le triomphe de la révolution que nous avons accomplie dépendent de l’action de cette armée. C’est un fait que personne parmi nous n’oublie (...). Le prolétariat russe a conscience de son isolement révolutionnaire, et il voit clairement que sa victoire a pour condition indispensable et prémisse fondamentale, l’intervention unie des ouvriers du monde entier." ("Rapport à la Conférence des comités d’usines de la province de Moscou", 23 juillet 1918). Lénine, défenseur exemplaire de l’Internationalisme Prolétarien
L’internationalisme intransigeant de Lénine, marque de son adhésion totale au combat du prolétariat pour son émancipation, est une constante de toute sa vie. Il s’exprime en particulier en 1907, lors du Congrès de Stuttgart de l’Internationale socialiste, lorsque, en compagnie de Rosa Luxemburg, le plus grand nom du prolétariat d’Allemagne et de Pologne durant tout le début du 20ème siècle, Lénine mène le combat pour faire adopter par les délégués un amendement durcissant la résolution contre la guerre impérialiste. De même, Lénine participe activement au combat de la gauche de l’Internationale pour faire du Congrès extraordinaire de Bâle en 1912 une manifestation retentissante contre la menace de guerre. Mais c’est au cours de la 1ère guerre mondiale que l’internationalisme de Lénine trouve toute sa mesure. Sa dénonciation des "social-chauvins", mais aussi des "centristes" qui ne savent opposer à la boucherie impérialiste que des gémissements pacifistes, fait partie des pages les plus lumineuses de l’histoire du mouvement ouvrier. En particulier, à Zimmerwald, en septembre 1915, Lénine est l’animateur de la gauche de la conférence rassemblant les délégués des différents courants socialistes qui, en Europe, s’opposent à la guerre. Sa position se distingue de celle du "Manifeste" adopté par la conférence en affirmant clairement que "la lutte pour la paix sans action révolutionnaire est une phrase creuse et mensongère" et en appelant à la "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile"..."mot d’ordre... précisément... indiqué par les résolutions de Stuttgart et de Bâle".

L’internationalisme de Lénine ne s’éteint pas avec la victoire de la révolution en Octobre 1917. Au contraire, il conçoit celle-ci uniquement comme premier pas et marchepied de la révolution mondiale. C’est pour cela qu’il prend un rôle déterminant, en compagnie de Trotsky, dans la fondation de l’Internationale Communiste, en mars 1919. En particulier, c’est à Lénine qu’il revient de rédiger un des textes fondamentaux du congrès de fondation : les "Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature du prolétariat".

Du temps de Lénine, l’I.C. n’avait rien à voir avec ce qu’elle est devenue par la suite sous le contrôle de Staline : un instrument de la diplomatie de l’Etat capitaliste russe et le fer de lance de la contre-révolution à l’échelle mondiale. A son premier congrès, l’I.C. s’affirme et agit pratiquement comme "l’instrument pour la république internationale des conseils ouvriers, l’Internationale de l’action de masse ouverte, de la réalisation révolutionnaire,l’Internationale de l’action" ("Manifeste de l’I.C.", rédigé par Trotsky). - texte CCI

Messages

  • Staline :

    « Le premier aspect de la question de la victoire du socialisme dans notre pays embrasse le problème des rapports entre les classes à l’intérieur de notre pays. C’est le domaine des rapports intérieurs.
    La classe ouvrière de notre pays peut-elle surmonter les contradictions avec notre paysannerie et établir avec elle une alliance, une collaboration ? La classe ouvrière de notre pays peut-elle, en alliance avec notre paysannerie, battre la bourgeoisie de notre pays, lui enlever la terre, les usines, les mines, etc., et édifier par ses propres forces une nouvelle société, une société sans classes, la société socialiste intégrale ?
    Tels sont les problèmes qui se rattachent au premier aspect de la question de la victoire du socialisme dans notre pays.
    Le léninisme répond à ces problèmes par l’affirmative. Lénine enseigne que « nous avons tout ce qui est nécessaire pour édifier la société socialiste intégrale ».
    Par conséquent, nous pouvons et nous devons, par nos propres forces, vaincre notre bourgeoisie et édifier la société socialiste. Trotsky, Zinoviev, Kamenev et consorts, qui sont devenus, par la suite, les espions et les agents du fascisme, niaient la possibilité d’édifier le socialisme dans notre pays avant que la révolution socialiste ait vaincu dans les autres pays, dans les pays capitalistes. Ces messieurs voulaient, en somme, faire revenir notre
    pays dans la voie du développement bourgeois, en couvrant leur reniement par de fallacieuses arguties sur « la victoire de la révolution » dans les autres pays. C’est précisément sur ce point que s’est déroulée la discussion dans notre parti avec ces messieurs. Le cours ultérieur des événements dans notre pays a montré que le Parti avait raison, et que Trotsky et compagnie avaient tort. Entre-temps, nous avons réussi, en effet, à liquider notre bourgeoisie, à établir une collaboration fraternelle avec notre paysannerie et à édifier dans l’essentiel la société socialiste bien que la révolution socialiste n’ait
    pas encore vaincu dans les autres pays ».

    Réponse à la lettre d’Ivanov

    12 février 1938

  • « Quelles que puissent être les destinées de notre révolution, de notre détachement de l’armée prolétarienne internationale, quelles que puissent être les péripéties ultérieures de la révolution, la situation des Etats impérialistes qui se sont embarqués dans cette guerre et qui ont amené les pays les plus avancés à la famine,à la ruine, à la barbarie, est, en tout cas, objectivement sans issue. Et il faut reprendre ici ce que Friedrich Engels disait il y a trente ans, en 1887, en considérant la perspective probable d’une guerre européenne. Il disait que les couronnes traîneraient par dizaines sur le sol de l’Europe sans que personne veuille les ramasser ; qu’une effroyable ruine serait le lot des pays européens et que le résultat final des horreurs de la guerre européenne ne pourrait être que celui-ci, je cite : « Ou bien la victoire de la classe ouvrière, ou bien la création de conditions rendant cette victoire possible et nécessaire. » Engels s’exprimait sur ce point avec une précision et une circonspection remarquables. A la différence de ceux qui déforment le marxisme et nous servent des élucubrations attardées selon lesquelles le socialisme ne pourrait pas s’instaurer sur des ruines, Engels comprenait admirablement que toute guerre, même dans une société avancée, ne se bornerait pas à semer les ruines, la barbarie, la souffrance, les calamités parmi les masses étouffant dans leur sang, qu’on ne pouvait pas garantir que la victoire du socialisme en serait la conséquence, mais que le résultat en serait : « Ou bien la victoire de la classe ouvrière, ou bien la création de conditions rendant cette victoire possible et nécessaire » ; en d’autres termes, plusieurs pénibles étapes transitoires sont encore possibles, avec des destructions massives de valeurs culturelles et de moyens de production, mais il ne peut qu’en résulter un essor de l’avant-garde des masses laborieuses, de la classe ouvrière, et le passage à une situation dans laquelle cette classe prendra le pouvoir pour bâtir la société socialiste. »

    Lénine, Discours au septième congrès extraordinaire du parti bolchevik (mars 1918)

  • De Lénine à Staline, tout a changé.

    Les buts : de la révolution socialiste internationale au socialisme dans un seul pays.

    Le système politique : de la démocratie ouvrière des Soviets, voulue et affirmée dès le début de la révolution, à la dictature du secrétariat général, des fonctionnaires, de la Sûreté (Guépéou).

    Le parti : de l’organisation librement disciplinée, pensante et vivante, des révolutionnaires marxistes à la hiérarchie des bureaux, intéressée et soumise à l’obéissance passive.

    La troisième internationale : de la formation de propagande et de combat des grandes années au servilisme manœuvrier des Comités centraux nommés pour tout approuver sans haut-le-cœur ni vergogne.

    Les défaites : de l’héroïsme des défaites d’Allemagne et de Hongrie où sont morts Gustave Landauer, Léviné, Liebnecht, Rosa Luxemburg, Ioguichés, Otto Corvin, aux navrants dessous de la commune de Canton (une manœuvre de Staline).

    Les dirigeants : les plus grands des combattants d’Octobre partent pour l’exil ou la prison.

    L’idéologie : Lénine disait : « Nous assisterons au dépérissement progressif de l’Etat, et l’Etat des Soviets ne sera pas un etat comme les autres, d’ailleurs, mais une vaste commune de travailleurs. » Staline va faire proclamer que « nous nous acheminons vers l’abolition de l’etat par l’affermissement de l’Etat » (sic). La condition des travailleurs : l’égalitarisme, la société soviétique passera à la formation d’une minorité privilégiée, de plus en plus privilégiée, vis-à-vis des masses déshéritées et privées de droits.

    La moralité : de la grande honnêteté austère, et parfois implacable, du bolchevisme d’autrefois, nous en arrivons, peu à peu, à la fourberie sans nom.

    De Lénine à Staline, tout a changé.

  • Léon Trotsky le 13 janvier 1928 :

    • La théorie de la construction du socialisme dans un seul pays conduit inéluctablement à séparer le sort de l’U.R.S.S. de celui de la révolution prolétarienne internationale dans son ensemble. Poser ainsi la question, c’est saper, dans le domaine théorique et politique, les fondements même de l’internationalisme prolétarien. La lutte contre cette nouvelle théorie foncièrement anti marxiste, inventée en 1925 c’est à dire notre lutte pour les intérêts fondamentaux de l’I.C. c’est ce qui a amené notre exclusion du parti et notre déportation administrative.

    • La révision du marxisme et du léninisme, dans la question fondamentale du caractère international de la révolution prolétarienne, provient du fait que la période de 1923 à aujourd’hui a été marquée par de dures défaites de la révolution prolétarienne internationale (1923 en Bulgarie et en Allemagne, 1925 en Estonie, 1926 en Angleterre, 1927 en Chine et en Autriche). Ces défaites ont créé à elles seules la possibilité de ce qu’on a nommé la stabilisation du capitalisme, car elles ont consolidé provisoirement la situation de la bourgeoisie mondiale ; par la pression renforcée de celle ci sur l’U.R.S.S., ces défaites ont ralenti l’allure de l’édification socialiste ; elles ont renforcé les positions de notre bourgeoisie à l’intérieur ; elles ont donné à celle ci la possibilité de se lier plus fortement à beaucoup d’éléments de l’appareil d’État soviétique ; elles ont accru la pression de cet appareil sur celui du parti, et elles ont conduit à l’affaiblissement de l’aile gauche de notre parti. Au cours de ces mêmes années, il s’est produit en Europe une renaissance provisoire de la social-démocratie, un affaiblissement provisoire des partis communistes, et un renforcement de l’aile droite à l’intérieur de ces derniers. L’Opposition dans le P.C.R., en tant qu’aile gauche ouvrière, a subi des défaites en même temps que s’affaiblissaient les positions de la révolution prolétarienne mondiale.

    • Si les partis de l’I.C. n’ont eu aucune possibilité d’apprécier exactement la signification historique de l’Opposition, la bourgeoisie mondiale, en revanche, a déjà émis son jugement sans ambiguïté. Tous les journaux bourgeois plus ou moins sérieux, dans tous les pays, considèrent l’Opposition du P.C.R. comme leur mortelle ennemie et envisagent au contraire la politique de la majorité actuellement dirigeante comme une transition nécessaire à l’U.R.S.S. vers le monde « civilisé », c’est à dire capitaliste.

    Lire ici

  • « Rappelons tout d’abord que la doctrine du socialisme dans un seul pays a été formulée pour la première fois par Staline à l’automne 1924. Elle était en contradiction flagrante non seulement avec toute la tradition du marxisme et avec l’école de Lénine, mais aussi avec tout ce que Staline lui-même avait écrit au printemps de la même année.
    La séparation entre « l’école » de Staline et le marxisme sur la question de la construction socialiste a une aussi grande importance de principe que, par exemple, la rupture entre la social-démocratie allemande et le marxisme sur la question de la guerre et du patriotisme en août 1914, exactement dix ans avant la volte-face de Staline.
    Cette comparaison n’est point fortuite : l’« erreur » de Staline, de même que celle de la social-démocratie allemande, n’est autre chose que le socialisme national.
    Le marxisme procède de l’économie mondiale considérée non comme la simple addition de ses unités nationales mais comme une puissante réalité indépendante créée par la division internationale du travail et par le marché mondial qui, à notre époque, domine tous les marchés nationaux. Les forces productives de la société capitaliste ont depuis longtemps dépassé les frontières nationales. La guerre impérialiste ne fut qu’une des manifestations de ce fait. La société socialiste devrait représenter, au point de vue production et technique, un stade plus élevé que le capitalisme ; si l’on se propose de construire la société socialiste à l’intérieur de limites nationales, cela signifie qu’en dépit de succès temporaires on freine les forces productives, même par rapport au capitalisme. C’est une utopie réactionnaire que de vouloir créer dans le cadre national un système harmonieux et suffisant composé de toutes les branches économiques sans tenir compte des conditions géographiques, historiques et culturelles du pays qui fait partie de l’unité mondiale. Si, malgré cela, les créateurs et les partisans de cette doctrine participent à la lutte révolutionnaire internationale (avec ou sans succès, c’est une autre question), c’est parce qu’en leur qualité d’éclectiques incorrigibles, ils unissent, d’une façon purement mécanique, un internationalisme abstrait à un socialisme national utopique et réactionnaire. Le programme de l’Internationale communiste adopté par le VIe congrès est l’expression la plus parfaite de cet éclectisme.
    Pour démontrer d’une manière évidente une des plus grosses erreurs théoriques qui sont à la base de la conception d’un socialisme national, nous ne pouvons trouver mieux qu’une citation d’un discours de Staline, publié récemment et consacré aux problèmes intérieurs du communisme américain.
    Il serait erroné - dit Staline, se prononçant contre une des fractions américaines - de ne pas tenir compte des traits spécifiques du capitalisme américain. Le parti communiste doit en tenir compte dans son activité. Mais il serait encore plus erroné de fonder l’activité du parti sur ces traits spécifiques, car l’activité de tout parti communiste, y compris le parti américain, doit se fonder non sur les traits du capitalisme propres à un pays particulier, mais bien sur les traits généraux du capitalisme qui, dans l’ensemble sont toujours les mêmes dans tous les pays. C’est en cela réside l’internationalisme des partis
    communistes. Les traits particuliers ne constituent qu’un supplément aux traits généraux. (Le Bolchevik n&Mac251; 1, 1930, p. 8. C’est moi qui souligne.)
    Ces lignes sont d’une clarté absolue. Voulant exposer les motifs économiques de l’internationalisme, Staline ne fait, en réalité, que motiver le socialisme national. Il n’est pas vrai que l’économie mondiale ne représente que la simple somme de fractions nationales similaires. Il n’est pas vrai que les traits spécifiques ne soient qu’un « supplément aux traits généraux », une sorte de verrue sur la figure En réalité les particularités nationales forment l’originalité des traits fondamentaux de l’évolution mondiale. Cette originalité peut déterminer la stratégie révolutionnaire pour de longues années. Il suffit de rappeler que le prolétariat d’un pays arriéré a conquis le pouvoir bien avant ceux des pays avancés. Cette simple leçon historique démontre que, contrairement aux affirmations de Staline, il serait tout à fait erroné de fonder l’activité des partis communistes sur quelques traits généraux, c’est-à-dire sur un type abstrait de capitalisme national. Il n’est pas du tout vrai que « l’internationalisme des partis communistes » se fonde sur cela. En réalité il repose sur la faillite de I’ État national qui est une survivance et qui freine le développement des forces productives. On ne peut ni réorganiser ni même comprendre le capitalisme national si on ne l’envisage pas comme une partie de l’économie mondiale. Les particularités économiques des différents pays n’ont pas une importance secondaire. Il suffit de comparer l’Angleterre et l’Inde, les États-Unis et le Brésil. Les traits spécifiques de l’économie nationale, si importants qu’ils soient, constituent, à un degré croissant, les éléments d’une plus haute
    unité qui s’appelle l’économie mondiale et sur laquelle, en fin de compte, repose l’internationalisme des partis communistes.
    La définition stalinienne de l’originalité nationale comme simple « supplément » au type général se trouve en contradiction éclatante, mais non fortuite, avec la façon de comprendre (au plutôt de ne pas comprendre) la loi du développement inégal du capitalisme. Comme on sait, Staline l’avait proclamée loi fondamentale, primordiale, universelle. À l’aide de cette loi, qu’il a transformée en une abstraction, Staline essaye de résoudre tous les mystères de l’existence. Mais, chose étonnante, il ne perçoit pas que l’originalité nationale représente le produit final et le plus général de l’inégalité du développement historique. Il faut avoir une juste idée de cette inégalité, en comprendre l’importance et l’étendre au passé précapitaliste. Le développement plus ou moins rapide des forces productives, l’épanouissement ou, au contraire, l’appauvrissement qui caractérisent certaines époques historiques, comme, par exemple, le Moyen Âge, le régime des corporations, l’absolutisme éclairé, le parlementarisme ; l’inégalité dans le développement des différentes branches de l’économie, des différentes classes, des différentes institutions sociales, des divers éléments de la culture, tout cela constitue les fondements des « particularités » nationales. L’originalité d’un type social national n’est que la cristallisation des inégalités de sa formation.
    La révolution d’Octobre est la plus grandiose de toutes les manifestations de l’inégalité de l’évolution historique.
    La théorie de la révolution permanente, qui avait donné le pronostic du cataclysme
    d’Octobre, était par ce fait même fondée sur cette loi. Mais au lieu de la concevoir sous une forme abstraite, elle la considérait dans sa cristallisation matérielle, sous les espèces de l’originalité sociale et politique de la Russie.
    Staline eut recours à cette loi non pour prévoir en temps opportun la prise du pouvoir par le prolétariat d’un pays arriéré, mais bien pour imposer beaucoup plus tard, en 1924, au prolétariat victorieux, la tâche de construire une société socialiste nationale. Cependant la loi du développement inégal n’a rien à faire ici, car elle ne remplace ni n’annule les lois de l’économie mondiale ; elle s’incline devant elles et s’y soumet.
    Faisant un fétiche de la loi du développement inégal, Staline la déclare suffisante pour servir de base au socialisme national, lequel ne devient pas un modèle commun à tous les pays, mais reste exceptionnel, messianique, purement russe. Selon Staline, une société socialiste autonome ne peut être créée qu’en Russie. Par cette assertion, il place les particularités nationales de la Russie au-dessus des « traits généraux » de toute nation capitaliste, et même au-dessus de toute l’économie mondiale.
    Là commence la contradiction fatale de toute sa conception. L’originalité de l’U.R.S.S., dit-il, est tellement puissante qu’elle lui permet de construire son socialisme indépendamment de tout ce qui pourrait arriver dans le reste de l’humanité. Quant à « l’originalité » des autres nations, dépourvues de l’empreinte messianique, elle n’est qu’un « supplément » aux traits généraux, une verrue sur la figure. « Il serait erroné, enseigne Staline, de fonder l’activité des partis communistes sur les traits spécifiques ».
    Cette leçon morale vaut pour les partis américains, anglais, sud-africain et serbe, mais non pour le parti russe dont l’activité est fondée non pas sur les « traits généraux », mais au contraire sur les « particularités ». De là découle la stratégie essentiellement double de l’Internationale communiste : tandis que l’U.R.S.S. procède à la « liquidation des classes » et à la construction du socialisme, le prolétariat de tous les autres pays est appelé à une action simultanée que l’on règle d’après le calendrier (le 1er août, le 6 mars, etc.), sans tenir compte des conditions nationales réelles. Au nationalisme messianique s’ajoute un internationalisme bureaucratique ment abstrait. Ce dualisme pénètre tout le programme de l’Internationale communiste et lui enlève toute valeur de principe.
    Si l’on examine la Grande-Bretagne et l’Inde comme deux variétés extrêmes du type capitaliste, on arrive à la conclusion que l’internationalisme des prolétariats anglais et italien se fonde sur l’interdépendance des conditions, des buts et des méthodes, et non sur leur identité. Les succès du mouvement de libération en Inde déclenchent le mouvement révolutionnaire en Angleterre, et vice versa. Une société socialiste autonome ne peut être construite ni en Inde, ni en Angleterre. Les deux pays devront faire partie d’une unité plus élevée. C’est en cela, et en cela seulement, que réside la base inébranlable de l’internationalisme marxiste.
    Tout récemment, le 8 mars 1930, la Pravda fit encore une fois l’exposé de la malheureuse théorie de Staline. « Le socialisme en tant que formation sociale et économique », c’est-à-dire en tant que système déterminé des rapports de production, peut être parfaitement réalisé dans les limites nationales de l’U.R.S.S. « La victoire définitive du socialisme, assurée contre l’intervention de l’entourage capitaliste », est une chose bien différente : elle exige « effectivement le triomphe de la révolution prolétarienne dans plusieurs pays avancés ». À quelle profondeur fallait-il que tombe la pensée théorique pour qu’on puisse, d’un air savant, disserter avec une si misérable scolastique dans l’organe central du parti de Lénine ! Si l’on admettait pour un instant la possibilité de la réalisation du socialisme en tant qu’ordre social achevé dans le cadre isolé de l’U.R.S.S. on devrait conclure que c’est
    là la « victoire définitive », parce que, après cela, on ne pourrait plus parler d’intervention. Le
    socialisme implique une haute technique, une haute culture et une haute solidarité de la population.
    Au moment de l’achèvement de la construction du socialisme, l’U.R.S.S. compterait probablement 200 ou même 250 millions d’habitants : dans ces conditions comment pourrait-on parler d’une intervention ? Quel pays capitaliste, ou quelle coalition de pays songerait à risquer une intervention dans cette situation ? La seule intervention concevable serait celle qui pourrait venir de la part de l’U.R.S.S. Serait-elle nécessaire dans ce cas ? C’est peu probable.
    L’exemple d’un pays arriéré qui, par ses propres moyens, aurait réussi à établir une puissante société socialiste dans l’espace de plusieurs « plans quinquennaux » porterait le coup de grâce au capitalisme mondial et réduirait au minimum, presque à zéro, les frais de la révolution prolétarienne mondiale.
    Voilà pourquoi toute la conception de Staline mène, au fond, à la liquidation de l’Internationale communiste. Quel pourrait, en effet, être son rôle historique si le destin du socialisme dépendait en dernière instance du « plan d’État » de l’U.R.S.S. ? Dans ce cas, l’Internationale communiste, tout comme les fameuses « Sociétés des amis de l’U.R.S.S. » n’a d’autre objet que de protéger la construction du socialisme contre une intervention, en d’autres termes elle est réduite au rôle de garde-frontière.
    Pour démontrer la justesse de la conception de Staline, l’article mentionné se sert d’arguments économiques tout fraîchement inventés :
    En ce moment précis - écrit la Pravda - grâce aux « sovkhozes » croissants, grâce au mouvement gigantesque des kolkhozes dont la quantité croît aussi bien que la qualité, et grâce à la liquidation de la classe des « koulaks » qu’assure la collectivisation complète, les rapports de production du type socialiste passent de plus en plus, de l’industrie dans l’agriculture, et cela rend plus évidente la misérable faillite du défaitisme de Trotsky et de Zinoviev qui, dans le fond, n’était autre chose que « la négation menchevique de la légitimité de la révolution d’Octobre ».
    (Staline, Pravda, le 8 mars 1930.)
    Ces lignes sont vraiment extraordinaires, et pas seulement par ce ton doucereux qui peut cacher la confusion de la pensée. En plein accord avec Staline, l’article accuse la « conception de Trotsky » de nier « la légitimité de la révolution d’Octobre ». Or l’auteur de cet ouvrage, partant de sa conception, c’est-à-dire de sa théorie de la révolution permanente, a prédit l’inévitabilité de la révolution d’Octobre treize ans avant son éclatement. Et Staline ? Même après la révolution de Février, sept ou huit mois avant le coup d’État d’Octobre, il parlait en démocrate révolutionnaire vulgaire. Seule l’arrivée de Lénine à Petrograd, le 3 avril 1917, et sa lutte impitoyable contre « les vieux bolcheviks présomptueux » dont il se moquait tellement à cette époque, forcèrent Staline à abandonner ses positions démocratiques et à passer sans bruit et prudemment sur des positions socialistes. En tout cas, cette « renaissance » intérieure de Staline qui, d’ailleurs, ne s’est jamais achevée, a eu lieu douze ans après que fut formulée la théorie selon laquelle le prolétariat russe avait le droit et le devoir de s’emparer du pouvoir sans attendre le commencement de la révolution prolétarienne en Europe.
    Mais tout en formulant le pronostic théorique de la révolution d’Octobre, nous étions bien loin de prétendre que le prolétariat russe, après avoir conquis le pouvoir d’État, ferait sortir l’ancien empire des tsars du cercle de l’économie mondiale. Nous, marxistes, connaissons parfaitement le rôle et l’importance du pouvoir d’État. Il n’est pas du tout un reflet passif des processus économiques, comme le décrivent les social-démocrates fatalistes, serviteurs de l’État bourgeois. Le pouvoir peut acquérir une importance énorme, réactionnaire ou progressive, selon la classe qui l’exerce. Mais le pouvoir d’État reste cependant une arme du domaine de la superstructure. Le passage du pouvoir des mains du tsarisme et de la bourgeoisie à celles du prolétariat n’abolit ni les lois ni le processus de l’économie
    mondiale. Il est vrai qu’après le coup d’État d’Octobre les relations économiques de l’U.R.S.S. avec le marché mondial se sont affaiblies pendant un certain temps. Mais on commettrait une grave erreur si l’on voulait généraliser ce fait qui n’était qu’une courte étape de l’évolution dialectique. La division mondiale du travail et le caractère supranational des forces productrices modernes conservent toujours leur importance pour l’Union soviétique et cette importance deviendra sans cesse plus grande à mesure que s’accentuera son relèvement économique. »

    Léon Trotsky, Préface à « La Révolution permanente », 30 mars 1930

  • Au quatrième Congrès de l’Internationale communiste, les bolcheviks russes faisaient voter la résolution suivante :

    « Le quatrième congrès rappelle aux travailleurs de tous les pays que la révolution prolétarienne ne pourra jamais vaincre à l’intérieur d’un seul pays, mais dans le cadre international en tant que révolution prolétarienne mondiale. »

  • L’article (de Lénine) sur la coopération découle entièrement d’un postulat élémentaire du marxisme selon lequel le développement moderne des forces productives exclut la possibilité de construire le socialisme national. Mais je préface la preuve essentielle de cette idée par la considération tout à fait indiscutable qui suit :

    "Si cet article, dicté par Lénine pendant sa maladie et publié seulement après sa mort, disait effectivement que l’Etat soviétique possède les conditions matérielles nécessaires et suffisantes (c’est-à-dire tout d’abord en ce qui concerne la production) pour construire à lui seul le socialisme intégral on ne pourrait que supposer un lapsus au cours de la dictée ou bien une erreur de déchiffrage du texte sténographié. L’une et l’autre de ces hypothèses seraient plus probables qu’un renoncement de Lénine, en deux lignes quelconques, au marxisme et à tout ce qu’il a enseigné lui-même durant sa vie".

    Trotsky

  • « En fait, le bolchévisme a puissamment aidé au développement de la révolution prolétarienne en Europe et en Amérique, plus qu’aucun parti n’a réussi à le faire jusqu’à ce jour dans aucun pays. Tandis que les ouvriers du monde entier se rendent compte, chaque jour plus nettement, que la tactique des Scheidemann et des Kautsky ne les a débarrassés ni de la guerre impérialiste, ni de l’esclavage salarié imposé par la bourgeoisie impérialiste, que cette tactique ne saurait servir de modèle pour tous les pays, les masses prolétariennes de tous les pays se rendent compte, chaque jour plus nettement, que le bolchévisme a indiqué la juste voie à suivre pour échapper aux horreurs de la guerre et de l’impérialisme, et que le bolchévisme sert de modèle de tactique pour tous. La Révolution prolétarienne mûrit à vue d’oeil, non seulement en Europe, mais dans le monde entier, et c’est la victoire du prolétariat en Russie qui l’a favorisée, précipitée et soutenue. Tout cela ne suffit il pas pour la victoire complète du socialisme ? Évidemment non. Un seul pays ne peut faire davantage. Toutefois, grâce au pouvoir des Soviets, ce pays à lui seul a tant fait que, même si l’impérialisme mondial venait demain à écraser le pouvoir soviétique russe, mettons par une entente des impérialistes allemands et anglo français, même dans cette éventualité, la pire de toutes, la tactique bolchévique n’en aurait pas moins été de la plus grande utilité pour le socialisme, et aurait aidé à la croissance de l’invincible révolution mondiale. »

    Lénine, La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky

    « Un seul pays ne peut faire davantage. » !!! Lénine ne comptait que sur la révolution mondiale pour bâtir le socialisme !!!

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.