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Qu’est-ce que le positivisme ?

mardi 15 décembre 2009, par Robert Paris

Faut-il une philosophie en sciences ? Ou faut-il, comme le positivisme, s’en tenir à l’expérience ?

Expérience ou philosophie en sciences ? Hegel répond ainsi dans son « Cours d’histoire de la philosophie » :

« Nous avons déjà dit combien il est important de se référer au contenu de l’actuel, du présent : car le rationnel doit avoir une vérité objective. (…) Cependant, les expériences, essais, observations ne savent pas ce qu’ils accomplissent en vérité (…) Le résultat des observations et des essais, quand ils sont justes, est précisément que seul le concept est objectif. Au cours des expériences, le particulier sensible s’évapore, et devient un universel (…) L’autre erreur formelle commise par tous les empiriques consiste à croire qu’ils s’en tiennent à l’expérience seulement ; ils sont inconscients du fait qu’en recevant leurs perceptions, ils font de la philosophie. L’homme ne s’arrête pas au particulier et il ne peut pas le faire. Il cherche l’universel ; il s’agit de pensées même quand ce n’est pas des concepts. L’une des formes de pensée philosophique remarquable est la notion de force. Il y a la force électrique, magnétique, de gravitation. C’est un concept universel, non perceptible ; les empiriques acceptent de telles notions, sans les critiquer, sans en avoir conscience. »

Max Planck dans « Initiations à la physique » :

« Le positivisme quand il veut être conséquent avec lui-même repousse l’existence et même la simple possibilité d’une physique indépendante de l’individualité du savant. Il y est contraint parce qu’il ne reconnaît, en principe, pas d’autre réalité que les impressions individuelles éprouvées par les divers physiciens. Je n’ai pas besoin de dire que, par là même, se trouve résolue, de façon à exclure le moindre doute, la question de savoir si le positivisme suffit à l’édification de la science physique ; car une science qui repousse par principe, l’objectivité de son objet, prononce elle-même sa propre condamnation. »

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Le positivisme n’est pas né en sciences physiques mais en sociologie avec Auguste Comte. Il a atteint la physique essentiellement avec le physicien Ernst Mach Celui-ci est parti de remarques profondes sur les limites de la description du réel par la physique. Il part de la remarque que la physique a tendance à tout ramener à des mouvements d’objets, à la mécanique. Mais, inversement, il n’existe pas de mouvement dans lequel la matière ne soit pas intérieurement transformée. Il considère, du coup, la mécanique comme pratique techniquement mais conceptuellement trompeuse. Il a constaté que les images qu’on donnait des phénomènes n’étaient qu’une technique pratique. Par exemple, dire que deux masses s’attirent ne correspondait pas à un fait direct mais à une somme statistique de quantité d’interactions qui ne sont pas seulement des attractions gravitationnelles. Dans « La Mécanique », Mach écrit : « Il n’existe pas de phénomène purement mécanique. Quand deux masses se communiquent des accélérations réciproques, il semble qu’il y ait tout au moins là un pur phénomène de mouvement. Mais, à ce mouvement sont, dans la réalité, toujours liées des variations thermiques, magnétiques, électriques et chimiques qui, dans la mesure où elles se produisent, modifient le phénomène. Inversement, les circonstances thermiques, magnétiques, électriques et chimiques peuvent déterminer un mouvement. Les phénomènes purement mécaniques sont donc des abstractions intentionnelles ou forcées, dont le but est une plus grande facilité de l’examen. » Il déduisait de ce constat : « Nous devons limiter notre science physique à l’expression des faits observables, sans construire d’hypothèses derrière ces faits, où plus rien n’existe qui puisse être conçu ou prouvé. » Il a affirmé que l’on pouvait calculer et interpréter utilement mais pas « dire ce qui se passe quand ». Il n’y a aucune « chose » qui correspond à des objets fixes comme le laisseraient entendre les termes que nous employons pour décrire la réalité. On dit qu’un atome se déplace ou que des molécules s’agitent, on croit parler d’objets donnés mais on se trompe. Du coup, on n’accède pas directement à la connaissance sur la nature et il est inutile d’y prétendre. La philosophie qu’il en tire est le renoncement à la compréhension de la nature, le retour à la seule observation aux dépens de toute interprétation. Mach affirme qu’il n’y a pas de nature objective mais seulement des « complexes de sensations ». C’est un nouveau positivisme. Il a d’autant plus de poids qu’il est rejoint par tout un courant des scientifiques.

Le Cercle de Vienne (d’abord appelé Société Ernst Mach) se réclamera du positivisme de Mach pour développer sa propre version, intitulée « positivisme logique ». Les penseurs les plus connus de ce courant sont Neurath, Carnap, Wittgenstein, associés à Russel. On associera également Popper à ce courant. Il s’agit d’un rationalisme fondé sur l’empirisme qui vise à discuter du langage en fonction des sciences beaucoup plus que des connaissances sur la nature elle-même. De quel type doit être une phrase scientifique, tel est le type de problèmes que posent ces scientifiques et ces philosophes. Leur objectif affirmé est d’ « éliminer la métaphysique en sciences » et de « réaliser l’unité des sciences ». Leur réponse aux deux questions va être de bâtir une pensée logique formelle, pensée qui connaîtra de multiples versions. Mais c’était entrer dans un cercle vicieux puisqu’il n’existe pas de logique formelle qui découle directement de l’expérience et que la thèse défendue était : aucun présupposé philosophique en dehors de l’expérience ! Mais, comme l’a déjà montré le philosophe Hegel, loin de se distinguer de la métaphysique, cette méthode lui emprunte ses catégories : « L’erreur fondamentale où tombe tout empirisme philosophique, c’est qu’il emploie les catégories métaphysiques de la matière, de la force, de l’unité, de la pluralité, de l’universel, de l’infini, etc. Il lie entre elles ces catégories, y suppose et y applique les formes du syllogisme, et tout cela sans savoir qu’il admet ainsi lui-même une connaissance métaphysique. »

Cette philosophie est exposée ainsi dans le Manifeste du cercle de Vienne intitulé « La Conception Scientifique du Monde » : « La conception scientifique du monde ne se caractérise pas tant par des thèses propres que par son attitude fondamentale, son point de vue, sa direction de recherche. Elle vise la science unitaire. La méthode de cette clarification est celle de l’analyse logique. (...) La conception scientifique du monde ne connaît que des énoncés d’expérience sur des objets de toutes sortes, et les énoncés analytiques de la logique et des mathématiques. » Ces auteurs, qui s’intitulent « positivistes logiques », affirment que l’essentiel pour les sciences, désormais, est justement l’approfondissement des notions de logique formelle du fait des contradictions et des paradoxes de la théorie des ensembles. Popper allait suivre le même type de cheminement du positivisme logique dans « Conjectures et réfutations », parlant de « revenir à notre véritable problème, celui de la logique de la Science. » Et il va se pencher particulièrement sur sa question fétiche : quand est-ce que l’on peut attribuer à une théorie le statut de science ? Bien entendu, c’est un processus de logique formelle par lequel il entend y répondre : la falsifiabilité. La démarche intellectuelle permettant d’y parvenir peut être très variée. Contrairement à Popper, on peut penser que de nombreuses sortes de démarches peuvent mener à faire progresser la connaissance scientifique. Le critère de Popper n’est même pas un moyen de savoir ce qu’il faut admettre ou ne pas admettre en sciences. Le « véritable problème » de la science n’est-il pas de chercher la logique … de la nature et non la logique de la pensée humaine pour y parvenir ?

D’ailleurs, ce qui allait redonner une nouvelle vie aux idées positivistes, plutôt que ces considérations logiques, c’est la découverte de la physique quantique, les paradoxes physiques et les problèmes philosophiques qu’elle pose. A la naissance de cette nouvelle physique, les scientifiques allaient se diviser en positivistes et anti-positivistes. Donnons leur la parole. Mais avant, quelques points qui montrent en quoi les phénomènes découverts remettaient en cause des notions bien ancrées sur la matière mais aussi sur le déterminisme, sur la possibilité de connaissance de la nature. La plus connue est l’inégalité d’Heisenberg. Elle affirme notamment que la précision des connaissances sur la position d’une particule est inversement proportionnelle à la précision de la connaissance sur sa vitesse. En fait, aucune connaissance sur la particule ne peut être complète. Cela nécessiterait une énergie infinie. On ne peut même pas savoir, en faisant successivement deux expériences sur une particule, s’il s’agit vraiment de la même particule. Certains vont déduire de ces remarques, et de quelques autres du même type, que le monde est indéterministe. C’est cette fois la causalité elle-même qui est remise en question. Un autre aspect de la physique quantique va faire couler de l’encre. C’est son caractère probabiliste. On ne peut pas dire ce qui se passe dans une expérience donnée. On ne peut que calculer des moyennes, c’est-à-dire ce qui se passe sur un très grand nombre d’expériences. Pour un phénomène aussi simple soit-il, il n’est plus question d’interpréter avec des images de pensée. On ne peut pas dire : le photon a été ici, il est passé par là, il lui est arrivé ceci puis cela. Un objet photon supposerait à la fois la connaissance de la position et de la vitesse, ce qui n’est pas le cas. On ne sait même pas si le photon est seul ou en groupe et de combien d’unités ce paquet de photon est constitué. Pour une particule de matière, il en va de même. L’expérience des deux fentes est particulièrement révélatrice. Une particule peut passer par l’une ou l’autre des deux fentes. Il est impossible, en physique quantique, de dire par laquelle elle est passée. Ce n’est pas une limite des moyens de mesure. C’est une limite réelle. Si on fait une observation sur le passage par un trou, on modifie les résultats de l’expérience. Tout ce que donne la physique quantique, ce sont des probabilités de présence de la particule. Pire, cette physique démontre que cela suffit à calculer avec une précision inouïe des phénomènes comme l’électromagnétisme. Une interprétation plus poussée avec des images de ces phénomènes est donc inutile. Mais ce n’est vrai qu’à l’échelle matière/lumière qui n’est pas la seule échelle. Dès que l’on raisonne pour un grand nombre de particules (niveau supérieur) ou pour le vide (niveau inférieur), ce n‘est plus vrai. C’est l’interaction d’échelle, par exemple entre une particule individuelle qui pose problème pour être décrite car elle est le produit des interactions agitées avec le vide quantique. Le caractère probabiliste comme l’inégalité d’Heisenberg et autres propriétés « étranges » de la physique quantique sont interprétables par des images : les quantons virtuels du vide. Les choses fixes n’existent plus dans cette physique puisqu’elles sont des structures émergentes du vide et non des objets. Emergences et interaction d’échelle ne signifient pas un renoncement à la causalité, un indéterminisme, mais une non-linéarité de la causalité. Ce n’est pas non plus un renoncement au matérialisme mais ne nouvelle image de la matière. La théorie du chaos déterministe démontre qu’une théorie ne renonce pas aux lois causales parce qu’elle fait appel à l’émergence de structures issues du désordre existant à l’échelon inférieur. Ce chaos obéissant à des lois, on le retrouve aussi bien au niveau macroscopique (convection, percolation, turbulence, attracteurs étranges de la tâche de Saturne, etc..) que microscopique (chaos du vide quantique), de la matière inerte que vivante (interaction chaotique de la vie et de la mort au sein de la cellule, rythmes émergents du vivant, émergence du système nerveux, du cerveau, de l’immunologie, etc…). L’émergence des structures sociales ne signifie pas qu’elles n’obéissent pas à des lois. Le renoncement à l’image d’objets fixes n’est pas le renoncement à toute image, à toute philosophie des sciences et de la société. Cette philosophie ne peut être positiviste mais, au contraire, intègre comme processus fondamentalement constructif la négation dialectique. C’est parce qu’elle est sans cesse détruite par l’agitation sous-jacente que la particule a une durée de vie. C’est parce que la cellule est sans cesse le siège du combat de la vie et de la mort qu’elle dure. Une cellule qui inhiberait ses processus d’apoptose soit mourrait immédiatement soit deviendrait cancéreuse et tuerait finalement l’organisme entier. La physique quantique comme la biologie ou la neurologie du cerveau n’ont pas tué le matérialisme et le déterminisme, mais seulement leurs versions linéaires, continues, réversibles, réductionnistes, non dynamiques, simplistes en somme.


Le débat sur le positivisme en physique quantique

En faveur du positivisme en physique quantique

« La mécanique quantique est en contradiction logique avec la causalité. »
John Von Neumann

« Le vrai positivisme est obligé de nier la réalité objective du monde extérieur, ou, au moins, la possibilité d’affirmer quoi que ce soit à son sujet. »
Born

« Les électrons ne sont ni des particules ni des ondes (...) Un électron est une abstraction, qui ne peut plus être décrite par une image intuitive correspondant à notre expérience de tous les jours mais déterminé au travers de formules mathématiques. »
Margenau cité par Malcolm H. Mac Gregor (dans « L’électron énigmatique »)

« La mécanique quantique est en contradiction logique avec la causalité (...) Il n’y a pas pour le moment d’occasion de parler de causalité dans la nature, parce qu’il n’y a pas d’expérience qui indique sa présence. »
Niels Bohr dans « Théorie atomique et description de la nature »

« Mach avait raison quand il affirmait qu’il n’y a plus de cause et d’effet dans la nature. »
Cassirer dans « Déterminisme et Indéterminisme dans la physique moderne »


Contre le positivisme en physique quantique

« Ma réponse va à l’encontre de certains courants d’opinion philosophiques auxquels l’autorité d’Ernst Mach a donné beaucoup de prestige, précisément dans les milieux scientifiques. Suivant cette opinion, il n’existe pas d’autre réalité que nos propres sensations (...). Maintenant nous avons encore à nous demander pourquoi la théorie de la connaissance de Mach a obtenu tant de succès dans le monde scientifique. Si je ne m’abuse, c’est parce qu’elle est au fond une sorte de réaction consécutive à la déception des vastes espérances conçues par la génération qui nous a précédés après la découverte du principe de la conservation de l’énergie. (...). Le positivisme de Mach n’est que le contre coup sur la philosophie de la désillusion qui devait nécessairement succéder à la période d’enthousiasme. »
Ernst Planck dans « Initiation à la physique »

« On a voulu tirer de l’interprétation indéterministe et de la notion de complémentarité des conclusions bien fragiles et périlleuses, comme par exemple de mettre en relation les incertitudes de Heisenberg avec le libre arbitre humain. »
De Broglie (dans « Nouvelles perspectives en microphysique »)

« La preuve que cette doctrine (le positivisme) se ferme volontiers l’avenir et est une doctrine statique, c’est que son premier auteur, Auguste Comte, n’avait pas craint de fixer des limites aux possibilités de la chaîne expérimentale ; il avait considéré que jamais nous ne pourrions connaître ce qui se passe dans les étoiles. Très peu de temps après, un démenti lui fut donné par la découverte de la spectroscopie. »
Paul Langevin (dans « La pensée et l’action »)

« Je n’aime pas du tout cette tendance à la mode qui consiste à coller de façon « positiviste » aux données observables. »
Albert Einstein
Lettre à Karl Popper (septembre 1935)

« Le positivisme méthodologique choisit de construire les théories physiques (uniquement) sur les faits expérimentaux. Si elle réussit, une telle théorie est alors compatible avec tous les types de philosophie. La philosophie devient alors complètement superflue pour un physicien. (...) La majorité des physiciens dirait que peu importe comment une théorie est construite, pourvu qu’elle fonctionne, qu’elle conduise à des prévisions exactes. Cela nous conduit à la philosophie du pragmatisme développée par C. Pierce et W. James. L’idée de base du pragmatisme est que l’homme doit agir dans un monde où il ne peut y avoir de connaissance valable. (...) Ainsi le pragmatisme ne combat pas l’idéalisme. »
Franco Selleri (dans « Le grand débat de la théorie quantique »)

« A l’heure actuelle beaucoup de chercheurs subissent encore, parfois à leur insu, l’influence de la doctrine positiviste. (...) Elle tend à atténuer sinon à supprimer la notion de réalité physique objective indépendante de nos observations. »
Louis De Broglie (dans Sur les sentiers de la science)

« La plupart d’entre nous, physiciens comme non physiciens, conservons l’espoir que, correctement comprise, la physique quantique et sa base la particule élémentaire, pourront être exprimés en termes de concepts visualisables. »
Malcolm H. Mac Gregor (dans « L’électron énigmatique »)

Sur le positivisme logique de Russel et sur la révolution
« Les révolutions ne se font pas dans l’ordre le plus commode. De façon générale, elles ne se font pas arbitrairement. Si l’on pouvait leur désigner un itinéraire rationnel, il serait probablement tout aussi possible de les éviter. Mais la révolution exprime justement l’impossibilité de reconstruire, à l’aide des méthodes rationalistes une société divisée en classes. Les arguments logiques, même élevés par Russel à la hauteur de formules mathématiques, sont impuissants en présence des intérêts matériels. (...) Les facteurs irrationnels de l’histoire même agissent le plus brutalement au travers des antagonismes de classe. »
Léon Trotsky dans « Où va l’Angleterre ? »


Finalement, il convient de préciser que la physique quantique ne nécessite pas l’abandon du déterminisme ni du matérialisme, mais seulement le renoncement à leurs anciennes versions. Le « réalisme » d’Einstein a perdu face à la physique quantique mais dans un sens différent. Einstein supposait la séparabilité des particules. Cette hypothèse doit être abandonnée. En effet, la particule n’existe pas indépendamment du vide qui l’entoure avec lequel elle interagit sans cesse. Deux particules qui interagissent ont donc en commun des parties du vide qui les entoure. Elles ne sont pas indépendantes. Cela signifie que la particule est une structure du vide mais pas qu’elle n’a aucune existence. Pour prendre un exemple, ce n’est pas parce que la ville n’est pas un ensemble fixe d’individus qu’elle n’existe pas. C’est une structure dynamique issue du désordre au niveau inférieur. On ne peut pas la considérer comme un objet fixe. Les particules dites élémentaires ne sont pas des objets fixes. Du coup, elles n’ont des caractéristiques numériques qu’en tant que produit de cette dynamique, où interne et externe échangent sans cesse. Cet ordre issu du désordre, s’il donne en moyenne certaines valeurs d’équilibre, n’est nullement un système à l’équilibre. Au contraire, sa dynamique est fondée sur des successions de destructions et de reconstructions. Les particules sont des structures hors équilibre au sens de Prigogine, c’est-à-dire issues d’une dynamique non linéaire. Les quanta dits réels (particules de matière et lumière) sont la négation de la négation des quanta virtuels (êtres fugitifs du vide).

AUGUSTE BLANQUI CONTRE LE POSITIVISME DE COMTE
Dans « Instruction pour une prise d’armes »

Contre le positivisme (1er avril 1869)
« Monceau d’absurdités et niaiseries touchant le Christianisme et le Moyen Age attaqués à tort par les Révolutionnaires, suivant l’auteur. Prétendus bienfaits du catholicisme et de la féodalité. Doctrine exécrable du fatalisme historique, du fatalisme dans l’humanité. Tout ce qui arrive est bien, par cela seul que cela arrive.
Le Catholicisme est irréprochable tant qu’il est le plus fort. Ses torts ne commencent qu’avec sa faiblesse. La féodalité également est un bienfait tant qu’elle écrase. Elle ne devient fléau que par la grâce de son déclin.
Travestissement des faits audacieux autant qu’ineptes pour la justification de cette théorie sinistre du progrès quand même, de la santé continue. Aplomb grotesque de ces systématiseurs dans leur pédantisme. Leur prétendue Sociologie érigée en science presque mathématique. Les appréciations les plus sottes, les plus manifestement ridicules, données imperturbablement pour des vérités scientifiquement démontrées.
Auguste Comte n’a rien découvert en quoi que ce soit. Il a classifié, nomenclaturé, pédantisé. Ses systèmes ont varié au gré des événements et des circonstances. Ce prétendu fondateur de la science positive s’est jeté brusquement dans les extravagances du mysticisme. Ce destructeur de dogmes a improvisé la religion de l’humanité avec sacrements et sacerdoce. Pourquoi ? Le coup d’Etat l’a terrifié. Il y a vu le triomphe soudain et inattendu du passé. Pour le fléchir et le séduire, il lui a offert une religion ultra-aristocratique, le système des castes, l’asservissement des masses, la domination absolue des riches, toutes les folies accumulées du Brahmanisme et du Christianisme.
Pourquoi des disciples orthodoxes refusent-ils de le suivre dans cette voie ? De quel droit récuser sur ce point la compétence du révélateur, tout en le proclamant le suprême prophète qui a dit le dernier mot de l’humanité ?
On parle en son nom et le renie ! S’il a extravagué dans ses derniers oracles, il n’est pas infaillible dans les premiers.
Le Positivisme, qui accuse à tort et à travers, qui traite de négation tout ce qui est en dehors de lui, le Protestantisme, le Déisme, l’Athéisme, est précisément lui-même la négation type, le doute systématiquement poussé jusqu’à l’absurde, érigé en religion. Il n’est pas le Positivisme, mais le Négativisme ou plutôt le Nihilisme. C’est un expédient, une ficelle, un truc.
Pour démontrer sa science sociologique, il torture et travestit l’histoire avec une audace à rendre jaloux le père Loriquet. Et cette audace impose. Il lui suffit de s’intituler science, de s’affubler du nom universellement respecté pour devenir aussitôt sacro-saint. Personne n’ose le regarder en face. On s’incline avec humilité et on lui tire bien bas son chapeau.
Il faut dire aussi qu’il a la protection des couards, protection toute puissante. Il sert d’abri aux athées et aux matérialistes honteux qui tiennent à vivre en paix avec la force régnante et ne se brouillent jamais avec le bras séculier. N’était donc cet appui, la louche doctrine du biaisement et de l’équivoque aurait bientôt sombré. Mais, quoi qu’on dise, les poltrons sont un fameux rempart.
« L’autorité spirituelle, si respectable et si respectée au Moyen Age », dit Stupuy page 203, « se déconsidère de plus en plus au 16e siècle par le spectacle public de son inconduite et par les conflits sans fin qui président à son élection aux élections papales... ».
Comme si l’inconduite des papes et les scandales du conclave au 16e siècle pouvaient se comparer, même de loin, aux turpitudes et aux atrocités des compétitions papales des 8e, 9e, 10e siècles, époque où l’on dépeint l’autorité spirituelle comme si respectable !
Respectable, parce qu’elle est incontestée et omnipotente grâce à sa férocité. Le Christianisme n’aurait pas été loin certes, sans la violence. Dès l’origine elle a été sa méthode unique. Déjà au 1er siècle, dans l’ombre, il procède par l’oppression, l’espionnage, la calomnie. Il a pour citadelle son organisation, pour arme toutes les formes de violence. Cette organisation formidable résiste à tout, triomphe de tout. La première victime est l’Empire romain. Victorieux, le Christianisme se maintient, comme il a conquis, par l’écrasement.
Sans ce système, il aurait avorté à son berceau, et une fois maître, s’il se fut relâché, n’aurait pas subsisté deux cents ans. Ses milices, ses guerres sans quartier, le fer, la flamme, la torture, les captations, l’astuce, l’enchaînement de la pensée, le siège mis devant chaque individu, l’anéantissement immédiat de toute contradiction l’ont consolidé à travers les siècles et les obstacles. L’incendie, le carnage, la destruction marquent sa route.
Que serait-il advenu, s’il eût succombé dans l’une quelconque des luttes terminées par son triomphe ? Nul ne peut le dire, même l’entrevoir. La moindre conjoncture à ce sujet serait même une niaiserie, Parce que les choses ont suivi ce cours, il semble qu’elles n’auraient pu en suivre d’autre. Le fait accompli a une puissance irrésistible. Il est le destin même. L’esprit s’en trouve accablé et n’ose se révolter. Le sol lui manque. Il ne pourrait s’appuyer que sur le néant.
Terrible force pour les fatalistes de l’histoire, adorateurs de ce fait accompli ! Toutes les atrocités du vainqueur, la longue série de ses attentats sont froidement transformés en évolution régulière, inéluctable, comme celle de la nature. Rien n’arrête ces imperturbables Systématiseurs. Jean XII, Marozie, Théodora, Mathilde, etc..., constituent une « autorité spirituelle » respectable et respectée ! Tout cela est légitime, utile, indispensable. On doit y voir la marche naturelle, obligée du genre humain. La raison sans réplique, c’est que tout cela se suit et s’enchaîne, qu’il y a filiation constante dans les événements, que chaque époque est le produit de l’époque précédente.
Belle découverte et bel argument ! Et sans doute, tout se tient et s’engrène. La seconde d’après suit la seconde d’avant. Mais l’engrenage des choses humaines n’est point fatal comme celui de l’univers. Il est modifiable à toute minute. Un couple va se marier. Je tue l’homme et je prends la femme. Les enfants de cette femme seront les miens. N’auraient-ils pu être ceux du tué ? Le meurtre est intervenu et a changé le père. Il y a toujours filiation, mais la descendance est toute autre.
C’est une immoralité, c’est un crime de glorifier le passé quand même, de le justifier par de prétendues lois immuables, d’invoquer la dignité de l’histoire qui commande le respect ou même l’indulgence pour les horreurs des temps évanouis. Parler des services du catholicisme a pu être, à certains moments, une duperie, une illusion de circonstance. Aujourd’hui, après l’enseignement des récentes années, il n’est plus permis de plaider, au nom du fatalisme, la cause de cette religion néfaste. De la première à la dernière heure, elle n’a fait et ne fera que le mal. Elle n’était pas plus utile à l’humanité que la petite vérole, la peste ou le choléra ne sont nécessaires à la santé d’un homme.
La doctrine du progrès continu est une fantaisie des temps de transition. Elle a donné quelques années de vogue au catholicisme sous le règne de Louis-Philippe. C’était une des formes de la réaction contre le mercantilisme, réaction provoquée dans la démocratie par le débordement et l’outrecuidance cynique des intérêts matériels. Les classes moyennes intronisaient sans vergogne le culte du veau d’or et semblaient l’ériger en religion universelle. La pensée était honnie, l’idée de justice sociale mise au ban, l’enrichissement à tout prix proclamé la seule vertu.
Un moment, dans le premier dégoût de cette puanteur, la Révolution oublia les crimes du catholicisme pour se rappeler seulement sa spiritualité, et eut presque l’illusion de voir dans cet adversaire déchu un auxiliaire contre le sale ennemi surgi tout à coup devant elle. Le Moyen Age fut tout à coup de mode universelle, par méprise et naïveté dans le camp populaire, par instinct et par calcul chez les conservateurs. Courte unanimité ! La méprise s’est évanouie, l’instinct s’est fait doctrine. Chaque chose a repris sa couleur propre. L’avenir a reconnu dans le christianisme son mortel ennemi, le passé sa dernière planche de salut.
Le Positivisme, attaché à la traîne d’un Révélateur, reste figé dans l’admiration du Moyen Age. Auguste Comte, contemporain de cet engouement éphémère, en a fait une des assises de sa lourde construction sociologique. Il faut bien que les disciples se logent de leur mieux dans la bâtisse du maître. On fausse, on estropie l’histoire pour l’ajuster aux divagations des nouveaux livres saints. La Bible était une inspiration divine. Les tomes d’Auguste Comte sont la science démontrée. Où est la pire outrecuidance ?
Dans sa systématisation du Moyen Age, le Positivisme lui sacrifie sans pitié ni scrupule tous les martyrs de la pensée et de la justice, Abélard, Arnaud de Brescia, Rienzi, etc... Il n’ose point sans doute les condamner, il se borne à taire leurs noms ou leurs rôles, et à rayer simplement de l’histoire les grandes figures qui contrarient sa thèse de la Papauté légitime... légitime, comme de raison, tant que ses forfaits l’ont conservée toute puissante, coupable, aussitôt qu’ils n’ont plus réussi à la préserver de la décadence.
Ce Positivisme est d’un aplomb vraiment rare. C’est lui qui a découvert le soleil, la lune et les étoiles. Il invente à chaque instant une foule de choses aussi merveilleuses qu’ignorées, telles que le pain, le vin, la chandelle, etc. Rien n’existait avant lui. Il a tout créé, tout numéroté. Son procédé de fabrique est curieux. Il consiste à embourber dans un vaste marais de phrases ce que chacun savait en deux mots de l’eau la plus limpide. Ainsi cette vérité si simple : « On est toujours un peu de son siècle », le Positivisme la remet au monde entortillée dans cinquante pages illisibles.
Autre découverte par la même méthode : "Toutes les époques produisent des rétrogrades et des avancés." Qui eut découvert cela et bien d’autres choses avant Auguste Comte ? C’est lui vraiment qui nous a planté à tous un nez positif au milieu du visage. Jusqu’à la venue de ce Messie, on n’avait que de faux nez de carton.
* * *

De sa prétendue science de la sociologie, aussi bien que de la philosophie de l’histoire, le positivisme exclut l’idée de justice. Il n’admet que la loi du progrès continu, la fatalité. Chaque chose est excellente à son heure puisqu’elle prend place dans la filiation du progrès. Tout est au mieux toujours. Nul critérium pour apprécier le bon ou le mauvais. Ce serait du préconçu, de l’à priori, de la métaphysique.
L’expérience des siècles démontre que le seul agent du progrès est l’instruction, que la lumière jaillit presque uniquement de l’échange et du choc des pensées humaines, que par conséquent tout ce qui favorise et multiplie cet échange est le bien, que tout ce qui le supprime ou l’entrave est le mal. Or, le christianisme a pour principe fondamental l’anéantissement de la liberté de pensée et de communiquer sa pensée. De par l’observation, il est donc la nuit et le mal.
Foin ! métaphysique et somette que tout cela ! répond le positiviste. La vérité c’est que, n’importe par quel moyen, le christianisme ayant combattu et régné 1500 ans, a été nécessairement le progrès durant cette période de lutte et de puissance. Il ne commence à devenir le mal et l’obstacle qu’à dater de son déclin, et seulement parce qu’il décline. — Cependant au début, à l’apogée, dans la décadence, sa méthode a toujours été la même : "extermination de la pensée." Qu’importe ! Hosannah ! Gloire à son triomphe ! Hourra ! (Hou ! Hou !) Sus ! Sus à sa défaite !
Telle est la philosophie positive, aussi généreuse que juste, aussi noble que consolante.
La manie du progrès quand même, chez ces aveugles systématiseurs, va jusqu’à l’accusation de mouvement rétrograde et d’impulsion négative, portée contre la renaissance des lettres gréco-latines, et suivant eux cette victoire sur les infâmes productions du Moyen Age est un recul. Elle a brisé l’évolution régulière qui était chrétienne ! Elle a introduit en fraude la vieillerie païenne dans le monde moderne. L’Antiquité est une intruse qui nous a dévoyés car elle a fait remonter le cours des âges.
Il est vrai en reparaissant au jour, comme le Rhône après sa perte, l’antiquité s’est permis de donner un rude démenti à la tocade du développement continu. Arrêtant court, puis refoulant dans la nuit le Moyen Age, elle est venue réinstaller sur les ruines de la tradition christiano-absolutiste, l’idée de liberté et de République conservée en dépôt dans les entrailles des idiomes grecs et latins.
Elle est donc fausse cette théorie du progrès ininterrompu et fatal. Car la civilisation gréco-romaine a bondi par-dessus le christianisme pour refaire malgré lui, contre lui, la civilisation moderne. Pas de preuve plus éclatante que cette religion, maladie terrible, a cloué près de deux mille ans l’humanité sur un lit de douleurs.
Si la science a pu naître, c’est que l’imprimerie, appuyée sur l’Antiquité, l’a sauvée du tigre qui la guettait au berceau. Les Positivistes aiment et chantent la Science. Eh ! bien, elle est fille de l’Antiquité. Le christianisme a failli la tuer. Sorcière ! Au feu ! Criait cet infâme. Elle n’a échappé qu’avec peine, témoins Roger Bacon, Raymond Lulle et tant d’autres. Elle revit aujourd’hui pour châtier le monstre. De quel droit les panégyristes de l’assassin se font-ils les chantres de la victime ?
Le Positivisme n’est qu’une série de trucs. Le premier et le meilleur est son nom même qui s’empare de droit de tout ce qui est vérité et réalité ! Il s’accole d’abord à la science et la fait sienne par ce mariage. « Science positive », se dit le vulgaire. « Avant Comte il n’existait donc qu’une science négative. »
Or, cet accouplement n’est qu’un pléonasme : « Lumière éclatante » ne serait pas plus ridicule, mais qu’est-ce que le péché de pléonasme pour le charabia positiviste, cette dartre rongeante de notre langue ?
* * *

Le Positivisme dénomme science particulière chacune des diverses sciences connues, et science générale la Philosophie positive, c’est-à-dire la classification comtiste. Il s’introduit ainsi modestement dans l’humanité comme Science des Sciences, quoi ? La fantaisie d’un pédant ! Une nomenclature sans valeur pratique, sans application courante, brimborion inutile à reléguer sous un verre de pendule.
Le public se laisse faire et suit, les yeux fermés, tout étourdi d’un effroyable baragouin qui lui semble sortir au moins de l’antre de Trophonius ...
Toute la valeur du Positivisme est matérialiste. Otez-lui cette qualité, il ne reste plus qu’erreurs et outrecuidance. Personne ne montre mieux la vérité du matérialisme et, chose étrange, il se refuse à conclure et traite le matérialisme de métaphysique. Plaisante accusation.
Eh ! Messieurs,
Vous donnez lourdement vos qualités aux autres, et nous n’acceptons pas si lentement les vôtres.
Affirmer, au nom de l’expérience, la non-immortalité de l’âme, l’éternité de la matière, et repousser la qualification de matérialiste, c’est un raffinement de casuistique inaccessible à l’intelligence d’un simple mortel. Qu’est-ce que le matérialisme, sinon la doctrine qui déclare l’univers infini dans le temps et dans l’espace, et l’esprit une propriété inséparable de la substance nerveuse, dans la vie comme dans la mort ?
Avec plus ou moins de détours et de subtilités, le Positivisme dit la même chose. Franchise à part, où est la différence entre les deux doctrines ? — Ah ! voici : l’une n’est qu’un particularisme — Style Allemand ; l’autre est l’universalité des connaissances humaines. Avait-il donc inventé ces connaissances le Positivisme ? Non, il les a tout bonnement enfilées en chapelet et débite ce chapelet comme son ouvrage.
Le Positivisme est un demi-Dieu qui sait tout, qui embrasse tout, depuis les derniers confins de la Mathématique transcendante jusqu’aux plus minces détails de la Sociologie, passée, présente et future. Du haut de son trône omniscient, il laisse choir un regard de dédain sur le Myrmidon qui ose se prétendre son pareil et lui dit comme à un chétif insecte : « Qu’y a-t-il entre nous ? »

8 avril 1869
La philosophie positive, nº 3, Nov. Déc. 1869
article de La Révolution par Littré. (*)
Affreux pathos d’A. Comte sur les philosophies de Voltaire et de Rousseau. Mauvaise foi de ce soi-disant révélateur qui fait semblant de ne reconnaître au 18e siècle que deux écoles, Déiste l’une et l’autre, et ne souffle mot de l’école matérialiste et athée représentée par la pléiade Diderot, d’Holbach, d’Alembert, Lamétrie, Helvétius, etc...
Le brave homme avait ses raisons pour escamoter cette pléiade. Il voulait simplement inventer l’athéisme sous le nom de Positivisme. A l’exemple du maître, les disciples feignant aussi de ne voir dans l’athéisme qu’une métaphysique. Mais ôtez de leur galimatias l’idée athée et matérialiste, que reste-t-il ? Une classification fantaisiste. Avec ce mot : « Positivisme », ils ont presque réussi à se poser en créateurs de toutes les sciences humaines.
Quel terrible baragouin que ce style d’A. Comte ! un pareil écrivain a-t-il pu jamais tirer de son cerveau une chose sérieuse ? Littré trouve dans ce patois une explication des conséquences réactionnaires de Thermidor.
« C’est », dit-il, « l’immixtion (sic) de la Réaction dans le mouvement Thermidorien. Les violences de Robespierre avaient rendu la réaction imminente. »
Cette raison c’est celle de Diafoirius : « Pourquoi l’opium fait-il dormir ? — Parce qu’il a une vertu dormitive. » D’où vient l’immixtion de la Réaction dans le mouvement Thermidorien » ? Qui l’a rendue possible ? Ecrasée jusqu’alors, pourquoi a-t-elle pu relever la tête et prendre si soudainement le dessus ?
La faute en est à la composition des assemblées délibérantes, toutes mauvaises sans exception, depuis 1789. Constituante, Législative, Convention étaient des collectivités bourgeoises, égoïstes et poltronnes, des ramassis de nullités ou de médiocrités où pointaient ça et là les talents en petit nombre et plus rares encore les caractères.
Comprimée au 31 mai par la minorité Révolutionnaire, puis appelée à la rescousse par les Montagnards contre la dictature Robespierriste, la majorité rétrograde de la Convention se retrouva libre le 9 Thermidor et maîtresse le lendemain. »

Messages

  • Max Planck dans « Initiations à la physique » :

    « L’univers tel qu’il est aux yeux de la physique moderne

    « La science physique, tout entière, est un édifice à la base duquel on trouve les mesures. Or tout mesure étant liée à une perception sensible, toute loi physique concerne, au fond, des événements ayant lieu dans le monde sensible ; c’est pourquoi un certain nombre de savants et de philosophes sont portés à penser, qu’en dernière analyse, les physiciens n’ont affaire qu’au monde sensible, et même qu’au monde tel qu’il est perçu par les sens humains. (…) Il n’existe pas de motif logique permettant de réfuter cette opinion ; car la logique seule ne peut faire sortir qui que ce soit du monde sensible ; elle est même incapable de nous contraindre à admettre l’existence d’autres hommes que nous-mêmes. Mais elle n’est pas seule à assurer l’existence de notre entendement, il y faut aussi la raison. Or, pour qu’une chose soit raisonnable, l’absence de contradiction logique n’est pas le fondement. La raison nous dit que si nous tournons le dos à un objet en nous éloignant de lui, il en reste encore quelque chose quand nous ne sommes plus là. (…) La raison nous dit que les lois de la nature ne surgissent pas d’un pauvre cerveau humain, qu’elles ont existé avant que la vie soit apparue sur la terre et qu’elles existeront encore quand le dernier physicien aura disparu.

    Ces pensées, qui ne sont pas des conclusions logiques, nous obligent à admettre l’existence d’un monde réel derrière le monde de nos sensations, monde dont l’existence est indépendante de l’homme. Nous ne pouvons acquérir aucune connaissance directe de ce monde, nous pouvons seulement en prendre conscience par l’intermédiaire du monde de nos sensations. S’il y a des gens qui ne peuvent se résigner à adopter cette manière de voir et qui ne peuvent envisager l’existence d’un monde réel, inconnaissable par principe, nous leur ferons observer que, se trouver en présence d’une théorie physique tout achevée dont on peut analyser exactement le contenu et établir que des concepts pris dans le monde sensible suffisent parfaitement à la formuler est une chose et que, édifier une théorie physique en prenant son point de départ dans un ensemble de mesures particulières est une tout autre chose. (…) Jusqu’ici, on n’a pas pu réussir à la mener à bien sans admettre l’existence d’un monde réel indépendant de nos sens humains et, d’autre part, il n’y a pas de raison de penser qu’il en sera autrement à l’avenir.

    (…) Bien qu’il y ait toujours des observations nouvelles à l’origine de tout perfectionnement et de toute simplification apportés au système de l’univers, ce système n’en présente pas moins (et ceci est tout à fait remarquable) une structure qui s’éloigne de plus en plus du monde sensible. Les sensations en sont éliminées de plus en plus et il perd, dans la même mesure, son caractère anthropomorphique primitif. »

  • Sur le positivisme logique de Russel et sur la révolution
    « Les révolutions ne se font pas dans l’ordre le plus commode. De façon générale, elles ne se font pas arbitrairement. Si l’on pouvait leur désigner un itinéraire rationnel, il serait probablement tout aussi possible de les éviter. Mais la révolution exprime justement l’impossibilité de reconstruire, à l’aide des méthodes rationalistes une société divisée en classes. Les arguments logiques, même élevés par Russel à la hauteur de formules mathématiques, sont impuissants en présence des intérêts matériels. (...) Les facteurs irrationnels de l’histoire même agissent le plus brutalement au travers des antagonismes de classe. »
    Léon Trotsky dans « Où va l’Angleterre ? »

  • « Le vrai positivisme est obligé de nier la réalité objective du monde extérieur, ou, au moins, la possibilité d’affirmer quoi que ce soit à son sujet. » selon le physicien quantique Born

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