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Le marxisme est-il une religion ?

mardi 15 juillet 2014, par Robert Paris

Le marxisme est-il une religion ?

Un lecteur nous interroge, avec un but polémique explicite :

« Le marxisme est une religion. Pourquoi ne le reconnaissez-vous pas ? Vous êtes de nouveaux croyants et vous repoussez tous ceux qui ne pensent pas comme vous. Vous suivez des maîtres qui sont les équivalents des prophètes. Vous apprenez tous dans les mêmes bibles. Vous employez tous les mêmes formules qui vous sont particulières et que seuls vos adeptes emploient. Vous n’admettez pas des raisonnements qui sortent de ce canevas tout fait et irrécusable. Vos maîtres ne se sont jamais trompés. Ils n’ont jamais été contredits au sein de votre milieu. Ils ne pouvaient pas commettre d’erreur ou de faute. Ce sont des êtres parfaits. Ils n’avaient pas de vrais buts humains, pas d’égoïsme, pas d’ambitions personnelles, pas de mesquinerie, pas de fausseté, pas de corruption, même secondaire, même minime. Vous les considérez donc comme des surhommes. Ils ont travaillé uniquement pour l’intérêt collectif, pour des buts historiques. Vous ne les considérez pas tout à fait comme des êtres humains, mais comme des apparitions historiques. Tout cela mène à une conception globale du monde qui est censée englober tous les domaines de la connaissance, de la pensée, de l’action, aussi bien de la société humaine que du monde matériel. Vous croyez à un paradis qui est issu de l’action d’une classe messianique, le prolétariat, avec un paradis, le socialisme. Ceci ne doit-il pas être considéré comme une religion ? »

Nous devons d’abord remercier notre contradicteur, même si son intention affichée est de démolir nos conceptions sociales et politiques. Les arguments qu’il développe nous semblent mériter discussion, quelque soit la valeur des buts qui l’amènent à cette critique, et nous lui répondrons donc dans cet article. Le fait de discuter les thèses des contradicteurs est déjà une rupture avec la démarche religieuse qui se contente de distinguer les croyants des non-croyants et n’admet pas que le texte religieux puisse être discuté et critiqué ni les fondateurs mis en cause.

Tout d’abord, il importe de préciser que, si nous combattons toutes les religions sur le terrain politique, social, idéologique, humain, sur tous les terrains, cela ne nous empêche pas de considérer les religions comme l’une des grandes constructions historiques, intellectuelles, politiques, des hommes et des sociétés humaines. Nous ne les méprisons pas. Nous ne les ridiculisons pas. Nous savons que ce sont, encore aujourd’hui des milliers d’années après leur naissance, des idéologies qui restent des adversaires redoutables. Nous ne ridiculisons pas ni ne méprisons leurs partisans. Nous combattons ouvertement leurs conceptions et leurs perspectives.

Et les organisations et les pensées de type religieuses sont également des adversaires redoutables. Elles enferment les hommes dans des prisons idéologiques, sociales et politiques. Dans le monde d’aujourd’hui, ce n’est pas de nouvelles chapelles que les hommes ont besoin pour se libérer mais de contacts, de réunions, de discussions, par-delà les frontières nationales, les frontières corporatistes, les frontières des âges, des sexes, des genres, des régions, des ethnies, des religions, etc…

Nous ne pouvons donc pas considérer les religions, ni comme une identité qui soit seulement à respecter, ni comme une culture qui soit seulement à reconnaître, ni comme un simple apport intellectuel ou social, mais aussi comme un moyen d’oppression, d’isolement des autres êtres humains, de guerre, de division.

Nous ne pouvons pas non plus considérer que le point de vue scientifique doive contourner les religions, reconnaître leurs a priori.

Nous respectons les hommes et les femmes. Nous considérons que c’est à eux de se libérer de tous les carcans, qu’ils soient idéologiques ou matériels. Mais jamais nous ne pouvons présenter une prison comme un moyen de libération.

Nous tâcherons de définir ce que nous entendons par une pensée religieuse et son contraire dialectique qui est pour nous une pensée scientifique (avec un bémol : la science capitaliste – appendice de la lutte pour le profit - n’est pas fréquemment une pensée scientifique !). Nous appelons pensée scientifique la lutte de l’homme pour comprendre le monde dans sa globalité.

Mais nous tenons d’abord à rappeler que, si toute pensée scientifique peut fort bien être transformée par de nouveaux auteurs en pensée religieuse, le contraire n’est pas vrai. Il y a bel et bien une rupture entre les deux. Le stalinisme a transformé le marxisme en pensée de type religieux mais il n’a pas transformé le marxisme de Marx ou de Lénine en religion. Il en a seulement donné une version de type religieuse. Ce n’était pas une conséquence logique de la pensée de Marx ni de Lénine mais un besoin de la caste bureaucratique russe qui a donné naissance à ce mode de pensée (si on peut dire « pensée » pour le salmigondis de Staline et consorts).

La première des oppositions entre science et religion provient des buts. La religion vise à dicter les comportements au travers d’une morale. Pas la science. La science n’érige ni des comportements, ni des sociétés, ni des raisonnements en modèles définitifs devant être copiés durablement.

La seconde divergence irréductible est l’éternité de la religion, révélation divine qui ne peut pas être contredite. Il n’y a aucune éternité dans la science. Elle change sans cesse. Elle est contredite par des faits nouveaux, des analyses nouvelles, des découvertes comme des études. La science est toujours en construction. La religion est construite une fois pour toutes.

La troisième divergence est le critère de vérité. Pour la religion, il n’y en a qu’un seul : la confiance dans le texte qui a été donné par un Dieu ou un Prophète aux hommes. Pour la science, le critère est dans la confrontation avec la réalité et dans les raisonnements que l’on peut bâtir à partir de ces expériences, ainsi que des nouvelles expériences que l’on peut bâtir à partir de ces raisonnements. Mais la base est toujours le monde réel. Il faut que la théorie parvienne à expliquer ce que l’on observe où ce qui découle de ce que l’on observe. Jamais la science ne peut admettre que son objet soit seulement un produit de la pensée humaine. C’est une pensée qui vise à comprendre le monde matériel. La science considère que la réalité perçue est le critère de réalité, même si nos sens peuvent nous tromper et notre bon sens aussi, alors que la religion considère que le monde dans lequel nous vivons n’est qu’une simple illusion trompeuse.

La quatrième divergence tient au fait que la science est un débat permanent dans lequel la contradiction et la polémique sont inévitables, acceptés et même souhaités et pas combattus comme hérésie. Encore une fois, nous ne parlons pas nécessairement ici de la science officielle, de la science universitaire, bourgeoise, capitaliste, de la science pour le profit mais seulement de la démarche scientifique opposée à la démarche religieuse. Cela ne signifie pas non plus que nous comptions sur la seule démarche de pensée scientifique pour combattre la seule démarche de pensée religieuse. Non, nous comptons sur la lutte de classe pour combattre les classes dirigeantes et l’exploitation de l’homme par l’homme qui sont causes que le monde soit encore dominé par des pensées de type religieuses et des organisations religieuses.

Le cinquième point de rupture entre les deux est la question de la philosophie matérialiste sur laquelle repose la démarche scientifique alors que la religion est l’un des principaux courants de l’idéalisme. Il y a certes une relation dialectique du matérialisme et de l’idéalisme. Les deux s’enrichissent mutuellement en se combattant mais cela n’enlève rien à l’opposition entre les deux. Bien sûr, des scientifiques peuvent parfaitement être personnellement religieux (et même des religieux) mais, si dans leur activité scientifique ils agissent en religieux, leurs thèses ne seront jamais acceptées par les autres scientifiques !

Le sixième point concerne le statut des scientifiques : ce sont des hommes comme les autres, simplement adonnés à une activité qu’ils développent de manière professionnelle, la plus efficace possible. Ils ne cherchent pas à prouver un présupposé mais ils cherchent la vérité. Et ils admettent que ce qu’ils peuvent trouver risque de compromettre leurs thèses préexistantes. Aucune religion n’admet qu’un fait puisse servir à démonter un présupposé religieux. Le marxisme ne se place pas au dessus des sciences.

Le huitième point est : le marxisme en reste-t-il à ses anciens textes, relus et étudiés religieusement et jamais modifiés ?

En se fondant sur ces différents critères, il convient de poser la question de notre contradicteur : le marxisme est-il une science ou une religion ?

Sur le premier point :

Certes le marxisme parle de « communisme » et de « socialisme » mais il n’érige aucune société en fin de l’histoire humaine ni en paradis. Jamais, les auteurs marxistes n’ont dit : sous le socialisme les hommes se comporteront comme ceci et pas comme cela. Jamais ils n’ont écrit : des communistes ou des socialistes sont des hommes qui respectent tel ou tel critère moraux, qui prononcent telles ou telles phrases à tel ou tel moment, qui ne mangent pas de ceci, qui ne touchent pas cela, qui ne font pas l’amour de telle ou telle manière ni à tel ou tel moment, etc…

Sur le second point :

Quand Engels écrit « Dialectique de la nature », il affirme aussitôt qu’il est probable que, dans quelques années, avec les progrès des sciences, il ne restera plus rien de formellement exact dans ses propos mais qu’il espère que le raisonnement tiendra les années.

Sur le troisième point :

Le marxisme s’est fondé sur une certaine connaissance du passé, sur une certaine connaissance passée de la nature, sur un certain niveau des sciences. Il n’a jamais prétendu que les hommes n’allaient pas ensuite faire de nouvelles découvertes historiques ou scientifiques qui remettraient en question les idées précédemment développées. Au contraire, ils ont toujours affirmé que leurs propos étaient datés et limités par les connaissances du moment. Les religions ne pratiquent jamais ainsi et ce pour une raison fondamentale : elles sont censées être produites par un être omniscient qui a tout fait et qui connaît tout d’avance !

Friedrich Engels écrivait dans « Dialectique de la nature » : « Les enchaînements dialectiques ne doivent en aucune manière (…) être introduits dans les faits par construction mais découverts en partant d’eux ».

« Quand quelque marxiste tentait de transformer la théorie de Marx en passe-partout universel et sautait vers d’autres domaines des sciences, Vladimir Illich le gratifiait de sa réplique expressive « komchvantvo » (communisme prétentieux). Le communisme ne remplace pas la chimie. L’inverse est vrai également. La tentative d’enjamber le marxisme sous prétexte que la chimie (ou les sciences naturelles en général) doit résoudre tous les problèmes, est aussi une fanfaronnade (...). » déclarait Léon Trotsky le 17 septembre 1925, au quatrième congrès Mendeleïev.

Sur le quatrième point :

Tous les auteurs marxistes ont participé à des discussions sur leurs thèses, à des polémiques, ont accepté ce débat, ont répondu à leurs contradicteurs. Les religions ne discutent pas avec les contradicteurs qui seront punis par Dieu et n’ont pas besoin d’être convaincus.

Tous les auteurs marxistes ont écrit des « réponses à nos contradicteurs », ce qui ne semble nullement être indispensables aux religions.

Aucun des initiateurs du marxisme n’a jamais considéré que ses thèses ne se discutaient pas ni étaient des créations révélées.

Sur le cinquième point :

Le marxiste est clairement matérialiste. Son emprunt à l’idéaliste Hegel a consisté à changer complètement l’ordre hiérarchique entre le monde de la pensée et le monde réel qui était celui d’Hegel.

Engels écrivait dans « Ludwig Feuerbach » :
« La grande question fondamentale de toute philosophie, et spécialement de la philosophie moderne, est celle ... du rapport de la pensée à l’être, de l’esprit à la nature... la question de savoir quel est l’élément primordial, l’esprit ou la nature... Selon qu’ils répondaient de telle ou telle façon à cette question, les philosophes se divisaient en deux grands camps. Ceux qui affirmaient le caractère primordial de l’esprit par rapport à la nature, et qui admettaient, par conséquent, en dernière instance, une création du monde de quelque espèce que ce fût... formaient le camp de l’idéalisme. »

« La grande force de la méthode de Marx fut d’aborder les phénomènes économiques (...) du point de vue objectif du développement de la société prise en bloc, exactement comme un naturaliste aborde une ruche ou une fourmilière. (...) La méthode de Marx est matérialiste, parce qu’elle va de l’existence à la conscience, et non inversement. La méthode de Marx est dialectique parce qu’elle considère la nature et la société dans leur évolution, et l’évolution elle-même comme la lutte incessante des forces antagonistes. » écrit Léon Trotsky dans « Le marxisme et notre époque. » Ce qui a permis à Karl Marx d’affirmer qu’il avait seulement eu besoin en philosophie de renverser le caractère idéaliste de la philosophie dialectique de Hegel, c’est que ce dernier, bien qu’idéaliste, considérait le monde comme un tout appréhendable par la science : « philosophie et science sont deux termes inséparables : car le propre de la pensée philosophique est de ne pas considérer les choses par leur côté extérieur et superficiel, mais dans leurs caractères essentiels et nécessaires. » (G.W.F Hegel dans « Esthétique »)

Hegel philosophe scientifique, n’est-ce pas une drôle d’idée ?

« Ce à quoi je me suis appliqué dans mes recherches philosophiques, c’est à arriver à la connaissance scientifique de la vérité… La pensée, dans le droit absolu de sa liberté, s’obstine et avec raison, à se réconcilier avec le riche contenu qui est devant elle, en apprenant à la revêtir de sa forme essentielle, qui est la forme de la notion, la forme de la nécessité qui lie tout contenu comme toute pensée, et qui en les liant ainsi, les place dans la liberté de leur nature. » (dans préface de 1827 à « L’Encyclopédie »)

ou encore :

« La seule chose nécessaire pour obtenir la progression scientifique, et vers la compréhension de laquelle il faut essentiellement s’efforcer, - c’est la connaissance de cette proposition logique : le négatif est également positif, autrement dit, ce qui se contredit ne se résout pas en zéro, en néant abstrait, mais essentiellement en la négation de son contenu particulier… » (dans « Grande Logique »)

ou là encore, Hegel dans son introduction de son cours de Heidelberg sur l’histoire de la philosophie :

« Je ne réclame rien sinon que vous m’apportiez la confiance en la science et la confiance en vous-mêmes. La première condition de la philosophie c’est le courage de la vérité et la foi en la puissance de l’esprit humain. (…) Les actes de la pensée paraissent tout d’abord, étant historiques, être l’affaire du passé et se trouver au-delà de notre réalité. Mais en fait, ce que nous sommes, nous le sommes aussi historiquement ou plus exactement : comme dans ce domaine, l’histoire de la pensée, le passé n’est qu’un des aspects, de même que dans nous sommes, l’élément impérissable commun à tous est lié indissolublement à ce que historiquement nous sommes. Le trésor de raison consciente d’elle-même qui nous appartient, qui appartient à l’époque contemporaine, ne s’est pas produit de manière immédiate, n’est pas sorti du sol du temps présent, mais pour lui c’est essentiellement un héritage, plus précisément le résultat du travail et, à vrai dire, du travail de toutes les générations antérieures du genre humain. (…) Or, cette tradition n’est pas seulement une ménagère qui se contente de garder fidèlement ce qu’elle a reçu et le transmet sans changement aux successeurs ; elle n’est pas une immobile statue de pierre, mais elle est vivante et grossit comme un fleuve puissant qui s’amplifie à mesure qu’il s’éloigne de sa source. (…) L’esprit universel ne sombre pas dans un calme indifférent. Sa vie est action. L’action présume une matière existante qui est son objet ; non seulement elle l’amplifie, l’agrandit en y ajoutant de la matière, mais essentiellement elle l’élabore et la transforme. (…) Notre position et notre activité – et celles de tous les temps - consiste à appréhender la science existante, à se former par elle et en elle-même, continuer à la former et à la faire s’élever plus haut. En nous l’appropriant, nous en faisons quelque chose qui nous appartient et qui s’oppose à ce qu’elle était précédemment. »

Sur le sixième point :

Friedrich Engels dans « Dialectique de la nature » : « Le matérialisme moderne (…) n’a que faire d’une philosophie placée au-dessus des autres sciences. »
Friedrich Hegel, pourtant idéaliste, écrivait dans « Philosophie de la Nature » :

« Non seulement la philosophie ne peut être qu’en accord avec l’expérience naturelle, mais la naissance et la formation de la science philosophique ont la physique empirique pour présupposition et condition. »

Les communistes ne développent pas des idées préconçues. Ainsi Karl Marx écrivait :

« De même que les économistes sont les sont les représentants scientifiques de la classe bourgeoise, de même les socialistes et les communistes sont les théoriciens de la classe prolétaire (…) La science de la société produite par le mouvement historique et s’y associant en pleine connaissance de cause a cessé d’être doctrinaire, elle est devenue révolutionnaire. (…) Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées ou des principes inventés ou découverts par tel ou tel réformateur du monde. Elles ne font qu’exprimer, en termes généraux, les conditions réelles d’une lutte de classes qui existe, d’un mouvement historique qui se déroule sous nos yeux. (….) La révolution communiste est la rupture la plus radicale avec le système traditionnel de la propriété. Rien d’étonnant à ce que, dans le cours de son développement, la rupture avec les idées traditionnelles soit la plus radicale. »

En quoi le marxisme analyse l’histoire de manière scientifique ?

« Les hommes sont les artisans de leur propre histoire, mais par quoi les mobiles des hommes, et plus précisément des masses humaines, sont-ils déterminés ? Quelle est la cause des conflits entre les idées et les aspirations contradictoires ? Quelle est la résultante de tous ces conflits de l’ensemble des sociétés humaines ? Quelles sont les conditions objectives de la production de la vie matérielle sur lesquelles est basée toute l’activité historique des hommes ? Quelle est la loi qui préside à l’évolution de ces conditions ? Marx a porté son attention sur tous ces problèmes et a tracé la voie à l’étude scientifique de l’histoire conçue comme un processus unique, régi par des lois, quelles qu’en soient la prodigieuse variété et toutes les contradictions. » écrit Lénine dans "Karl Marx et sa doctrine".

Lénine écrivait dans « ce que sont les « amis du peuple » : « En quel sens Marx parle-t-il de la loi économique du mouvement de la société, qu’il appelle d’ailleurs au même endroit loi de la nature ? Comment comprendre cela lorsque tant de sociologues de chez nous ont noirci des monceaux de papier pour dire que le domaine des phénomènes sociaux est distinct de celui des phénomènes historico-naturels et qu’en conséquence l’étude des premiers doit relever de la toute particulière « méthode subjective en sociologie ». (...) Pour y voir plus clair, citons d’abord un autre passage de cette même préface du « Capital » : « Mon point de vue, dit Marx, est que je considère le développement de la formation économico-sociale comme un processus historico-naturel. » (...) Ce que Marx et Engels appelaient la méthode dialectique – par opposition à la méthode métaphysique – n’est autre que la méthode scientifique en sociologie : celle-ci considère la société comme un organisme vivant en perpétuel développement (et non comme un assemblage mécanique) (...) Une seule chose importe à Marx : de trouver la loi des phénomènes qu’il étudie et ce qui lui importe par-dessus tout, c’est la loi de leur changement, de leur développement, de leur passage d’une forme à une autre, d’un système de rapports sociaux à un autre. (...) Marx considère le mouvement social comme un processus historico-naturel soumis à des lois qui, loin de dépendre de la volonté, de la conscience et des desseins des hommes, au contraire les déterminent. (...) Il est particulièrement indispensable d’étudier avec non moins de rigueur toute la série des états considérés, leur enchaînement et le lien entre les différents degrés de développement. Marx rejette précisément l’idée que les lois de la vie économique soient les mêmes pour le passé et pour le présent. Au contraire, chaque période historique a ses lois propres. La vie économique constitue un phénomène analogue à l’histoire du développement dans d’autres branches de la biologie. »

Le marxisme véritable n’a jamais préconisé qu’une idéologie dicte ses résultats à la science même s’ils affirmaient que la philosophie moderne ne pouvait se tenir à l’écart des débats scientifiques. Friedrich Engels, l’un des fondateurs du marxisme, appelait la philosophie à s’emparer des questions posées par les sciences en ces termes : « Le temps est venu que la philosophie s’élève jusqu’à la science ». Il rappelait que la nature ne nous livre pas directement ses lois, ni de manière évidente. « Ici, qu’on le veuille ou non, il faut penser : on ne peut observer l’atome et la molécule, etc, à l’aide du microscope, mais seulement au moyen de la pensée. (...) Les savants croient se libérer de la philosophie en l’ignorant ou en la vitupérant. Mais, comme sans pensée ils ne progressent pas d’un pas et que, pour penser, ils ont besoin de catégories logiques, comme, d’autre part, ils prennent ces catégories, sans en faire la critique, (...) ils n’en sont pas moins sous le joug de la philosophie, et la plupart du temps, hélas, de la plus mauvaise. Ceux qui vitupèrent le plus la philosophie sont précisément esclaves des pires restes vulgarisés des pires doctrines philosophiques. (...) Physique, garde toi de la métaphysique ! C’est tout à fait juste mais dans un autre sens. (...) Ce n’est que lorsque la science de la nature aura assimilé la dialectique que tout le bric-à-brac philosophique – à l’exception de la pure théorie de la pensée – deviendra superflu. » expliquait Friedrich Engels dans « Dialectique de la nature ». Loin de vouloir dicter ses lois aux sciences lorsqu’il parlait d’une « dialectique de la nature », il affirmait, dans l’ancienne préface à l’ « Anti-Dühring », « Le monde réel n’est pas la copie de l’idée. (...) Dans tout le monde scientifique, dans la nature comme dans l’histoire, il faut partir des faits donnés, donc dans la science de la nature des diverses formes réelles et formes de mouvement de la matière. En conséquence, dans la science théorique, les enchaînements ne doivent pas être introduits dans les faits par construction, mais découverts en partant d’eux, et, une fois découverts, ils doivent être attestés par l’expérience (...) » Dans l’« Anti-Dühring », il précisait que « Le matérialisme moderne (...) est essentiellement dialectique et n’a que faire d’une philosophie placée au dessus des autres sciences. (...) Il ne pouvait s’agir pour moi de faire entrer par construction les lois dialectiques dans la nature, mais de les y découvrir et de les en extraire. » Cela rend justice de l’affirmation de certains auteurs anti-marxistes, dont nombre de scientifiques, selon lesquels, sous l’intitulé « Dialectique de la nature », Engels aurait produit une idéologie prétendant se placer au dessus des sciences. Leur interprétation d’un seul passage de « Dialectique de la nature » d’Engels, citant des formulations de Hegel sur les « lois de la dialectique », est un contresens. Engels rejette l’idéalisme, philosophie qui recherche une formule abstraite à placer au dessus du fonctionnement réel du monde. Dans l’ « Idéologie allemande », Marx et Engels ont rompu avec les conceptions idéalistes de Hegel et des hégéliens. Mais cela ne les pas amenés à rompre avec les avancées de la philosophie dialectique de Hegel et à affirmer qu’ils étaient en partie hégéliens dans leur démarche d’étude scientifique du monde.

Sur le huitième point, nous ne pouvons que nous référer à notre propre texte qui déclarait « En rester au texte de Marx, c’est tuer la démarche de Marx »

Nous nous démarquons également de la vision prophétique ou déifiée des dirigeants marxistes. Ainsi nous écrivions ici : « Dans ce texte, nous défendons Friedrich Engels mais cela ne signifie nullement que nous le prenions pour un dieu, pour un prophète ou pour un ange. Comme tout dirigeant politique, Engels avait des défauts, des faiblesses et pouvait se tromper. Comme Marx, comme Lénine ou Trotsky. Ou quiconque. Nous ne sommes nullement à la recherche de théoriciens infaillibles. »

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La dialectique, mode de pensée du marxisme

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L’idéalisme philosophique

La dialectique marxiste a-t-elle un rapport avec la science contemporaine ?

Messages

  • « Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, des principes inventés ou découverts par tel ou tel réformateur universel. Elles ne font qu’exprimer, en termes généraux, les conditions réelles d’une lutte de classes qui existe, d’un mouvement historique qui se déroule sous nos yeux. »

    Karl Marx, « Le Manifeste communiste »

  • « Dans le monde d’aujourd’hui, ce n’est pas de nouvelles chapelles que les hommes ont besoin pour se libérer mais de contacts, de réunions, de discussions, par-delà les frontières nationales, les frontières corporatistes, les frontières des âges, des sexes, des genres, des régions, des ethnies, des religions, etc… »
    Merci !

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