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Et un ! Et deux ! Et trois-zéro de… la lutte sociale ?!!

jeudi 3 juillet 2014, par Robert Paris

Et un ! Et deux ! Et trois-zéro de… la lutte sociale ?!!

Le prolétariat de France, comme celui de bien d’autres pays, se passionne pour le football et étudie ainsi toutes les stratégies de lutte sur le terrain, examinant comment passer de la défensive à l’offensive, comment se faire craindre de l’adversaire, comment le faire reculer, comment faire en sorte que les actions individuelles favorisent l’action collective, comment constituer une véritable force, en somme un grand nombre de questions qui permettront demain à ces supporters de football d’appliquer cette grande expérience à... la lutte des classes. Et ce sera bel et bien nécessaire, vu que les batailles se déroulent depuis la lutte des retraites, dans lesquelles on ne peut pas dire que la stratégie offensive et efficace soit bien présente dans les luttes sociales, dans lesquelles les « sélectionneurs » et « entraineurs » syndicaux n’ont été capables que d’envoyer les ballons dans les murs et pas dans les buts patronaux, de tirer contre leur camp, de bloquer les offensives et de nuire à la défensive, d’isoler les attaquants et de discréditer toute l’équipe… ouvrière.

Résultat : les travailleurs en sont réduits à clamer des « on a gagné » dans les matchs de foot, faute de pouvoir le proclamer dans les luttes contre les licenciements et les fermetures d’entreprises, dans les luttes pour défendre les retraites, dans les luttes pour défendre les droits sociaux et le code du travail pour finir par la dernière lutte pour défendre le service public ferroviaire qui est un échec comme les autres. Il faut dire que, là, notre adversaire n’est pas le football du Nigeria mais le patronat français et le gouvernement qui est à son service. Il faut dire que les dirigeants syndicaux avaient choisi comme « président de club » un dirigeant de l’équipe adverse, celle de la bourgeoisie, puisque, depuis belle lurette, la social-démocratie française (avec Mitterrand puis Jospin,et enfin Hollande et Valls) ne défend plus les salariés mais les patrons, prétendant même être ceux qui auraient réussi à recrédibiliser les entrepreneurs et la bourse en France ! Et ce sont effectivement les dirigeants syndicaux, censés animer les luttes sociales, qui avaient éteint la lutte des retraites dans l’élection présidentielle, en prétendant que la défense des retraites ne passait pas par la grève générale mais par l’élection de Hollande à la présidence. On a vu rapidement combien ils ont menti en prétendant que Sarkozy était le seul blocage à la défense des retraites. Et on est en train de voir maintenant combien il n’était pas non plus le seul blocage à la défense des emplois, des salaires, du code du travail, des services publics et on en passe…

Mais est-ce que ce sont les peuples qui gagnent vraiment dans les compétitions du Mundial ? Et d’abord le peuple brésilien ? Ce dernier n’a pas semblé apprécier que le gouvernement brésilien « de gauche », qui se dit celui du « Parti des Travailleurs » de l’ancien leader syndical Lula, dépense des sommes colossales à construire des stades et des infrastructures pour le Mundial alors que cet argent fait défaut pour lutter contre la faim, contre la misère, contre le manque de logements, d’écoles, de routes, d’emplois, etc… Les manifestations, les grèves, les révoltes et même les insurrections se sont multipliées dans le peuple brésilien pour protester contre le Mundial, ou plutôt contre la politique des classes dirigeantes et de l’Etat à leur service. Car ce sont des fortunes qui, une fois de plus, se sont constituées ainsi sur le dos du peuple brésilien. Et le goût du foot – que le peuple brésilien n’est pas le dernier à avoir – ne signifie pas qu’on doive cacher derrière celui-ci le détournement de fonds publics, les aides au grand capital, l’enrichissement illicite, les dépassements de budgets incroyables, les pots de vin, et autres concussions et vols qui caractérisent les grands travaux du Mundial au Brésil.

Bien sûr, les classes dirigeantes comptent bien que la passion du foot serve de dérivatif aux passions populaires échauffées par la crise mondiale. Elles font le calcul qu’il vaut mieux des dérives violentes des supporters plutôt que des accélérations de la tension sociale dues aux luttes ouvrière, aux grèves, aux manifestations et révolutions. Certes, les hommes politiques et les représentants des Etats protestent contre certaines violences qui suivent les matchs, partout dans le monde. Mais ils savent bien que c’est eux-mêmes qui organisent ainsi ces lâchers de vapeur et les programment dans un sens qui leur convient : celui du nationalisme.

Rien d’étonnant alors si ces débordements ont lieu davantage dans des populations plus frappées par la misère et le chômage. Au Brésil même, les violences liées aux matchs de football ont fait bien plus de victimes que les « violences » de la révolte populaire contre le Mundial, y compris les victimes de la répression violente par les forces de l’ordre. Non, ce n’est pas le football, tel qu’il est instrumentalisé par les classes dirigeantes et les grands organisateurs tels la FIFA, qui adoucit les mœurs ! Depuis 1988, 234 amateurs de football brésiliens sont décédés au cours de matchs et dans les affrontements autour de ceux-ci !

Et la violence du Mundial est aussi sociale : pour faire le Mundial au Brésil, il a fallu non seulement voler les budgets sociaux, détourner l’argent des services publics et des aides sociales, endetter durablement l’Etat, mais aussi déloger violemment les misérables des favelas de Rio, enlever de nouvelles terres aux Indiens, donner 650 millions pour des équipements spéciaux de la police anti-manifestations. Quant aux profiteurs de toute cette agitation, ce n’est pas seulement le sport : c’est le tourisme sexuel, c’est le fric des sociétés de la construction, c’est le fric des grands hôtels, c’est le fric des sociétés de tourisme, c’est le fric des vendeurs d’alcool, c’est le fric des financiers qui prêtent à prix d’or à l’Etat brésilien, c’est le fric des proxénètes, etc…

Le Mundial va coûter 13,6 milliards de dollars au moins au peuple brésilien (alors que le précédent avait coûté 4,5 milliards de dollars à l’Afrique du sud en 2010 et celui en France en 1998 seulement 1,5 milliard d’euros) et le gouvernement dit espérer qu’il rapportera deux fois plus…. à des intérêts privés ! C’est dire ! Et ce n’est pas fini : s’y rajoutent les Jeux Olympiques de Rio 2016 dont le budget public devrait dépasser dix milliards d’euros. Pendant ce temps, il n’y a pas d’argent dans les caisses publiques pour subventionner les transports, par exemple, et cela signifie que le billet de bus vaut 71 reis (alors que le salaire minimum est de 675 reis) !

Et ce n’est pas particulier au Brésil. L’univers de la FIFA est parfaitement en adéquation avec celui du capital mondial qui domine le monde : corruption, détournements de fonds, affaires liées au crime organisé, bénéfices juteux liés aux droits de télévision et à la pub, aux dessous de table, aux arrangements financiers avec les Etats, etc, etc… Résultat : la FIFA revendique 1,386 milliard de dollars de chiffre d’affaire et un bénéfice net annuel de 72 millions de dollars, en hausse d’année en année de manière fabuleuse, crise ou pas crise… La FIFA a des « réserves » de 1,432 milliard de dollars… Il n’y a pas que le ballon qui tourne rond dans cette grande affaire financière mondiale du Mundial !!!

D’ailleurs, c’est l’ensemble du sport professionnel qui est devenu, comme le reste, une vaste affaire financière, comme toute l’économie, comme toute la politique. Et cette financiarisation de la planète n’est pas étrangère à l’effondrement du capitalisme que l’on connaît depuis 2007 et dans lequel les capitalistes se désinvestissent massivement de la production, les banques refusent de prêter aux petites entreprises et boutiquiers et même aux autres banques, les capitalistes n’investissent plus que dans les dettes et les actions dites nocives et autres investissements nécrophiles pour le système. Ce sont eux qui détruisent l’économie et la société. Et ce sont eux qui ont investi tout le sport, foot en tête ! On le voit bien avec les clubs vedettes rachetés par des grandes fortunes et des fonds d’investissements pour être joués en bourse ! On le voit bien au marché des grands joueurs qui se revendent à prix d’or « la viande » des footballeurs. On le voit bien au fric qui coule à flots chez les publicitaires, les télévisions et les autres profiteurs du business du sport.

La seule chose qui ne tourne pas rond, c’est que les prolétaires du monde communient avec ferveur dans cette nouvelle religion internationale du fric, de la corruption et du sport.

Bien sûr, on pourrait se dire : tant mieux qu’il y ait un peu de joie, un peu de plaisir, un peu de fête, un peu de communion entre tous, quelque soient leur profession, leur origine sociale, leur niveau de vie, tant mieux que tous se retrouvent derrière quelque chose qui les rassemble, qu’ils soient cheminot, salarié du privé ou petit commerçant…

Sauf que ce qui les rassemble, ce n’est pas seulement le foot mais le nationalisme. C’est autour de l’unité nationale que l’on célèbre le foot et pas autour de l’unité entre les peuples de la terre. Sauf que cette illusion de communier pour la même chose couvre le détournement par la minorité capitaliste de cet engouement, comme on vient de le décrire plus haut. Sauf que, si les prolétaires du monde oublient leurs soucis le temps d’un match de « leur équipe nationale », les capitalistes, eux, n’oublient pas un instant leurs intérêts ! Ils n’oublient pas, par enthousiasme sportif, de prélever leurs intérêts, de s’en prendre aux plus pauvres, de leur faire payer la facture.

Et pendant qu’au nom du nationalisme, on prétend que tous les Français, riches et pauvres, salariés et capitalistes seraient « dans le même camp », marqueraient des buts du même côté, tout en affirmant que nous ne serions pas dans « le même camp » que nos frères des autres pays, les patrons ne cessent de marquer des buts contre le camp des travailleurs et des milieux populaires !

Bien sûr, il peut y avoir un côté sympathique à voir les gens se parler sans réserve dans les lieux de travail, de transport ou dans les cafés, mais si nous pouvons aussi librement débattre de stratégie de la lutte sur le terrain de foot, il est plus que nécessaire que nous décidions d’en faire autant pour ce qui concerne la lutte des classes, déterminante aujourd’hui face à l’effondrement du système capitaliste initiée en 2007 et seulement retardée depuis 2008, d’un système qui menace de s’effondrer sur nos têtes avec un maximum de dégâts, si nous n’envisageons pas un autre avenir en discutant entre salariés. Oui, c’est aux prolétaires de débattre du match qui se joue entre le Capital et le Travail et de notre capacité à nous engager dans ce match-là dépend notre avenir, notre vie et celle de nos enfants…

Ce qui est plus que jamais indispensable aux salariés et aux chômeurs, aux travailleurs du public comme du privé, d’une profession ou d’un autre, d’un secteur ou d’un autre, d’une origine ou d’une autre, c’est de parler de nos intérêts communs de travailleurs, de parler de nos problèmes communs, de la crise de la société capitaliste, de notre avenir, de nos luttes, des moyens de les faire aboutir. Le pas indispensable pour faire avancer nos intérêts à nous, prolétaires, c’est de nous parler, de nous réunir, d’échanger nos avis. C’est cela qui changera du tout au tout le rapport de force entre les travailleurs et ceux qui les licencient, les exploitent, les oppriment et les répriment : que les prolétaires se réunissent et débattent collectivement de leur avenir. Et alors, ils auront une force que ne leur donneront jamais leurs faux amis politiciens de tous bords et leurs autres faux amis des directions syndicales. Ils verront la force là où elle est : en eux-mêmes et pas dans les prétendus sauveurs ! Et pas non plus dans l’union autour du nationalisme, ni celui de l’économie, ni celui du foot, ni celui qui mène aux guerres…

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