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L’attaque du Financial Times contre Thomas Piketty

dimanche 15 juin 2014, par Robert Paris

L’attaque du Financial Times contre Thomas Piketty

Par Joseph Kishore

Dans une série d’articles et un important éditorial publiés le mois dernier, le Financial Times a monté une attaque calomnieuse contre Thomas Piketty et son livre, Le capital au XXIe siècle.

Le journal prétend avoir découvert de sérieuses lacunes de données qui remettraient en question les thèmes centraux de l’ouvrage : à savoir que la concentration de la richesse augmente à travers le monde, et aux États-Unis et en Europe en particulier. Un article publié à la une portant le titre provocateur « Les données exhaustives de Thomas Piketty sur l’inégalité s’avèrent fausses », affirme que les auteurs ont trouvé « des entrées de données et des erreurs inexpliquées sur lesquelles sont basés les principaux graphiques du livre ».

Avant de prendre en compte la réponse de Piketty à ces critiques, le Financial Times conclut que ces erreurs sont « assez sérieuses pour réfuter l’affirmation du Prof. Piketty selon lequel la part des richesses de la société contrôlée par les riches a augmenté et [citant Piketty] “la raison pour laquelle la distribution de la richesse aujourd’hui n’est pas aussi inégale que dans le passé est tout simplement parce qu’il ne s’est pas écoulé assez de temps depuis 1945” ».

Le World Socialist Web Site a des désaccords théoriques et politiques fondamentaux avec le professeur Piketty, un opposant du marxisme qui pense que l’inégalité sociale peut être réglée entièrement à travers différentes mesures de réforme. Une critique séparée son livre abordera ces questions ainsi que les réactions qu’il a suscitées. Par contre, la cible de l’attaque du FT n’est pas les limitations et faiblesses de Piketty, mais la force principale du livre et du travail de Piketty en entier : l’examen détaillé de la montée de l’inégalité du revenu et de la répartition des richesses durant les cinquante dernières années.

Le réel contenu de ces allégations du FT (qui ne tournent autour que d’un seul chapitre du livre) n’a aucune relation avec les conclusions que le journal tente de tirer. Parmi les défauts cités dans le journal se trouvent apparemment des erreurs de transcription de données et d’autres questions mineures qui n’ont aucune réelle importance. Il fait aussi mention d’ajustements inexpliqués de données qu’aurait fait Piketty pour nous donner un portrait unifié de la distribution de la richesse dans le temps. De tels ajustements et hypothèses sont inévitables dans la collection de données à partir de sources disparates, accumulées de façons différentes et à différentes époques : un fait que Piketty lui-même admet.

En répondant aux critiques du FT, Piketty note qu’en voulant être le plus transparent possible, il a rendu toutes ses données accessibles en ligne où elles peuvent être examinées par tous. Plusieurs estimations que le professeurs a faites ont en fait tendance a sous-estimer, et non surestimer, le niveau de concentration de la richesse. Il note, par exemple, que ses estimations par rapport à la richesse possédée par les riches « ne prennent pas entièrement en compte la richesse à l’étranger et sont probablement trop faibles ».

La motivation derrière les critiques du FT est de caractère politique, et ce de façon transparente. Dans son éditorial à ce sujet, « De sérieux doutes planent sur l’ouvrage de Piketty », les rédacteurs en chef du journal soutiennent que les supposés problèmes dans les données de Piketty « remettent en question sa thèse selon laquelle il y a une tendance naturelle dans le capitalisme à ce que la richesse devienne de plus en plus concentrée entre les mains des riches ». Le FT va même jusqu’à prétendre qu’à cause des problèmes avec les données, « il est justifié de remettre en question la conclusion que la richesse des plus riches a augmenté depuis 1980. Sans ce résultat, il ne peut y avoir une loi d’airain du capitalisme qui mène vers l’inégalité toujours grandissante. »

Malgré les assurances répétées de Piketty qui dit ne pas s’opposer au système capitaliste (et ne propose pas, en fait, de « loi d’airain » de l’inégalité), les données qu’il a amassées et présentées sous une forme cohérente ont clairement rendu le FT, et ceux pour qui ce journal parle, très nerveux. Bien qu’ils ne mentionnent jamais le mot, c’est le socialisme qu’ils ont à l’esprit.

Dans son attaque contre Piketty, le Financial Times parle pour des sections puissantes de l’aristocratie financière qui pressentent les immenses tensions sociales qui montent en Europe, aux États-Unis et internationalement. Ils sont tous bien conscients qu’ils trônent sur un système économique qui a perdu toute crédibilité aux yeux de millions de personnes. Toute admission de l’illégitimité de la vaste richesse qui a été accumulée par une minuscule couche de la population est, de leur point de vue, dangereuse.

L’inégalité n’est pas vraiment un problème sérieux, insistent-ils. Dans la mesure où elle existe, elle est très probablement justifiée. « Il y a un gouffre de différence entre la richesse dérivée des talents d’un entrepreneur et de la richesse héritée », écrit le comité éditorial.

Quels sont les « talents d’entrepreneur » qui ont permis la richesse de l’aristocratie contemporaine ? Pendant des décennies, la classe dirigeante, menée par les institutions financières de Londres et Wall Street, s’est lancée dans une énorme orgie de spéculation, détruisant des industries entières afin de pomper de l’argent sur les marchés boursiers. Des fortunes gigantesques ont été amassées à travers des manipulations financières et semi-criminelles, voire des activités entièrement criminelles. Depuis le krach de 2008, les banques centrales ont inondé le système financier de liquidités à des taux d’intérêts proches de zéro, réalimentant les bulles spéculatives qui ont produit la crise.

Le résultat de ces politiques est amplement documenté, par Piketty et, comme le note l’auteur en sa défense, beaucoup d’autres sources. Plus récemment, le Sunday Times britannique a publié sa liste annuelle de riches révélant que les 1000 individus les plus riches en Grande Bretagne possèdent une valeur combinée de 519 milliards de livres, ce qui représente une augmentation de 15,4 pour cent depuis l’année dernière et le double de ce que c’était en 2008. La richesse de ces 1000 individus est maintenant équivalente au tiers du produit intérieur brut du pays.

Les 85 individus les plus riches au monde possèdent autant de richesse que le 50 pour cent inférieur de la population. D’après Forbes, les 1645 milliardaires du monde possèdent une valeur nette combinée de 6,4 billions de dollars, une augmentation de 1 billion au cours de 2013. Aux États-Unis, les 400 personnes les plus riches ont augmenté leur fortune en 2013 à 2 billions $, une augmentation de 17 pour cent depuis l’année précédente.

En ce qui concerne l’inégalité de revenu, le FT ne mentionne pas les données exhaustives accumulées par Piketty et ses collaborateurs qui montrent qu’une proportion toujours plus importante du revenu dans le monde est empoché par le 1 et le 0,1 pour cent au sommet de la société, en particulier aux États-Unis et en Europe. Aux États-Unis, le un pour cent a, en 2012, monopolisé 22,46 pour cent de tout le revenu, comparé à 19,65 pour cent pour l’année précédente.

L’attaque du FT contre Piketty représente une tentative de contourner la montée des antagonismes de classe en niant l’ampleur de l’inégalité sociale. Pourtant les faits persistent, ainsi que leur conséquences sociales et politiques explosives.

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