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Quel lien entre Histoire, Sciences et Politique ?
lundi 19 mai 2014, par
Quel lien entre Histoire, Sciences et Politique ?
Un lecteur nous demande : « Puisqu’aucun évènement politique à venir ne peut être identique ni vraiment ressemblant à un évènement passé, en quoi la politique doit-elle nécessiter l’étude de l’Histoire et celle des Sciences ? »
Notre réponse :
Effectivement, il n’existe pas deux situations politiques et sociales qui se soient répétées à l’identique. C’est vrai non seulement dans le domaine des faits qui appartiennent au domaine des sciences dites humaines mais c’est vrai aussi, contrairement à ce que croient bien des gens, dans le domaine des sciences tout court, y compris des sciences dites dures comme la physique ou la chimie.
Prenons un exemple : la médecine. Ou, plus particulièrement la chirurgie. Il est clair pour un chirurgien que deux opérations du même type ne seront jamais identiques. Est-ce que cela signifie qu’il n’y a pas une connaissance scientifique concernant chaque type d’opération et que cette connaissance a une histoire qu’il convient de connaître et sans laquelle un chirurgien n’est qu’un boucher ? Pas du tout ! Tous les chirurgiens étudient les leçons du passé de leur domaine et les nouveaux exemples connus de méthodes chirurgicales. Ils se mettent à jour en suivant l’évolution de leur domaine mais ne négligent pas les vieux ouvrages car l’expérience est parfois ancienne.
Aucun médecin ne peut nier que sa discipline soit scientifique et historique et aucun ne peut nier non plus qu’il ne rencontrera jamais exactement le même état du malade, mais seulement des maladies de types semblables.
Le fait que l’évènement ne soit jamais identique n’empêche nullement la connaissance historique et la connaissance scientifique.
En effet, on peut déterminer des types de situations politiques et sociales, exactement comme on peut déterminer de types de maladies et on peut alors décider de la manière dont elles peuvent se développer ainsi que la manière d’y réagir.
On emploie des termes qui décrivent ces types de situations comme on emploie des termes qui décrivent des types de maladies mais cela ne signifie pas qu’on ait là exactement la même situation.
Le terme « fascisme », le terme « démocratie bourgeoise », le terme « crise économique » ne recouvrent pas des situations identiques bien entendu. Mais pas plus que les termes de « grippe », de « rhumatisme articulaire » ou de « cancer ». Et pas plus que les termes de « résonance », de « attraction électromagnétique » ou de « gravitation ».
Dans la matière inerte comme vivante, comme dans le monde des relations humaines, il ne se produit jamais des choses exactement identiques mais cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de lois.
Le type de situation permet de définir le mode de fonctionnement, le type de développements possibles et les manières d’y faire face et elles ne correspondent pas à celles qui conviendraient dans un autre type de situation même si, au sein de chaque type, il y a un nombre considérable de possibilités différentes et même parfois très différentes.
On confond souvent l’existence de lois avec l’idée que tout est déterminé d’avance et donc prédictible. C’est un tort. L’existence de lois ne signifie pas cela du tout. Sinon, on pourrait prédire tout développement de phénomènes matériels, ce qui n’est nullement le cas.
Les régularités qui sont impliquées dans les lois ne s’opposent pas aux variations multiples au sein du phénomène et qui dépendent de quantité d’autres facteurs dépendant souvent d’autres lois, à d’autres niveaux.
Un autre point qui est souvent développé est que la politique, dépendant de l’action des hommes, dispose d’une liberté qui n’existerait pas dans le domaine de la matière inerte ou vivante. Pas de liberté de la particule, de l’atome, de la molécule, de la cellule vivante, de l’organe, de l’être vivant, du groupe d’êtres vivants…
Si on estime que la liberté humaine s’oppose à l’existence de lois dans les sociétés et les relations humaines, on ne peut qu’y voir une opposition diamétrale entre le domaine de l’homme et les autres. Mais peut-on réellement justifier une telle dichotomie ?
Dans cette question, il convient une fois de plus d’éviter de mettre l’homme dans une bulle à part. Bien sûr, l’existence d’une conscience humaine nous pose un problème particulier mais cela ne signifie pas que nous habitions dans un autre monde que nos frères les animaux, que nous cousins les plantes, que nos oncles les molécules, les atomes et les particules. Il ne nous est possible de disposer d’une liberté proprement humaine que parce que les lois du vivant et les lois de la matière inerte le permettent et de la manière dont elles le prévoient. Jamais notre liberté ne peut aller contre ce qui est rendu impossible par ces lois.
Et, si ces lois permettent une telle liberté, c’est que les lois de la matière ne mènent pas à un seul futur entièrement déterminé mais à plusieurs futurs potentiels, virtuels, ou probables.
Jamais les lois, même celles de la physique, ne font plus que de donner plusieurs avenirs possibles ou de dire quels sont les avenirs impossibles.
La raison fondamentale de cette situation est le fait que la loi semble indiquer que l’ordre est fondé sur l’ordre alors qu’il est fondé sur le désordre.
Quand on trouve des lois à un niveau hiérarchique d’organisation de la matière, on trouve du désordre immédiatement en dessous et c’est ce désordre qui fonde la loi. On dit que les structures sont émergentes et pas préexistantes.
Il en résulte que les lois ne relient pas seulement entre eux les états actuels, ceux du passé et ceux de l’avenir, mais les états potentiels du passé et de l’avenir. Les lois déterminent les états potentiels et pas les états actuels. Elles définissent des possibles et pas ceux des possibles qui vont devenir actuels. Il y a donc une marge de hasard, d’agitation, de liberté…
Ne suivant pas une piste linéaire entièrement déterminée par le passé, l’histoire saute d’un état à un autre, états qui obéissent à des lois mais qui ne sont pas les seuls à y obéir, un très grand nombre d’autres possibilités y obéissant aussi.
Ces lois non linéaires, de type du chaos déterministe, font sauter la réalité d’un état à un autre sans linéarité, sans continuité et sans prédictibilité.
L’avenir n’est pas entièrement déterminé par le passé. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de lois mais qu’elles ne sont pas du type que l’on avait imaginé.
Par exemple, prenons l’évolution des espèces. Elle n’est pas linéaire. Elle n’est pas fondé sur les espèces actuelles mais sur des potentialités portées par les espèces, ce qui est très différent. Il y a bien une histoire. Il y a bien des lois mais celles-ci sont d’une espèce différente qu’un strict déterminisme dans lequel on saurait d’avance quelle espèce va sortir de telle espèce ancêtre.
Une espèce porte en elle (génétique et épigénétique) bien d’autres potentialités que l’espèce actuelle, dont la plupart ne vont jamais s’exprimer mais qui sont à l’origine des évolutions possibles à venir. L’espèce à venir ne découle pas de l’espèce ancienne existante mais de ses potentialités, ce qui est très différent. Et il y a discontinuité entre l’espèce ancêtre et ses successeurs issus de l’évolution.
Bien entendu, cette évolution n’est pas fondée sur une conscience, pas plus que l’évolution du cosmos qui a fondé la matière et la lumière à partir du vide quantique. Mais cette évolution était porteuse d’autres potentialités et il y avait une latitude d’évolution, des libertés de transformations différentes. La manière dont les espèces sont apparues et sont disparues n’est pas la seule possible. L’histoire de la Terre n’est pas la seule possible. L’histoire de notre galaxie n’est pas la seule possible. Les lois qui sont à la base de la formation de ceux-ci ne décidaient pas de toute l’évolution. Il y avait une latitude laissée au hasard, c’est-à-dire à l’agitation sous-jacente de la matière. De même que, dans l’histoire des sociétés humaines, il y a une latitude laissée à l’intervention des individus ou des petits groupes. Le fait que la société humaine obéisse à de grandes lois d’évolution n’est pas contraire la capacité d’intervention des hommes dans leur propre histoire. Les hommes peuvent intervenir mais, en agissant consciemment, en transformant ainsi l’histoire, ils ne font qu’agir dans le sens de la nécessité historique, ils ne font que choisir un des avenirs qui étaient rendus possibles par ces lois historiques.
L’action de l’homme ne signifie pas que les lois scientifiques ne soient pas du domaine d’étude des sociétés humaines. Pas plus que l’action de l’homme sur la matière ne modifie les lois de la physique, de la chimie ou de la biologie.
Certes, l’action de l’homme signifie que l’avenir n’est pas entièrement déterminé par le passé mais c’est également le cas pour la matière inerte ou vivante. Les lois de la matière intègrent l’action de l’homme et notamment les nouveautés technologiques.
Certes, il ne suffit pas de connaitre les sciences et l’histoire pour déterminer de manière sure l’avenir, ni celui de la matière ni celui de la société humaine. Les hommes peuvent seulement déterminer leurs choix en fonction de leur connaissance du passé et des lois. Cela leur permet de ne pas agir aveuglément mais avec le maximum d’expérience. Cette connaissance des lois est bien leur latitude de liberté humaine. Car la liberté ne consiste pas à agir a contrario des lois mais de chercher dans les solutions qu’offrent les lois celles qui conviennent le mieux.
La liberté humaine n’est donc pas la négation de l’histoire et des sciences.
Les lois n’indiquent que les possibles. Ainsi, la gravitation nous indique comment faire fonctionner un avion mais il peut aussi bien voler que s’écraser. En termes d’évolution de la société humaine, les lois n’indiquent aussi que les possibles et c’est à l’homme d’agir en faveur de la possibilité qui lui semble le plus favorable.
Si nous avons conscience qu’une vieille société de classe a fait son temps, reste l’alternative d’aller de l’avant ou de retourner en arrière, vers le socialisme ou vers la barbarie. Ni l’histoire ni la science ne peuvent dire par avance ce que feront les hommes. Ils ont le choix. Par contre, ils ont besoin de l’histoire et des sciences pour comprendre qu’ils ont un choix conscient à faire et ne pas s’illusionner sur les possibilités de la vieille société car celle-ci est morte, au plan de l’histoire.
Bien entendu, nous savons que nombre d’auteurs ne veulent surtout pas que les sciences humaines soient regroupées avec les sciences physiques, chimiques ou biologiques, ni même avec les sciences de l’évolution des espèces vivantes et autres domaines d’études du vivant, du développement, de la coévolution, des sociétés animales, etc… sous le prétexte que nous sommes à la fois acteurs et observateurs.
Cependant, la physique quantique a rompu cette dichotomie entre sciences humaines et… sciences inhumaines !
Elle a démontré que l’homme intervient dans ses observations. Or la physique quantique, loin d’être un domaine à part des sciences, intervient dans toute la physique, la chimie, la biologie et le fonctionnement général du vivant.
Il n’est donc pas exact que les sciences humaines doivent être mises à part des autres sciences ni qu’elles ne doivent pas être considérées comme des sciences historiques au même titre.
Cela n’enlève rien au caractère d’événement des faits historiques, au caractère singulier, discontinu, chaotique (notamment intégrant ordre et désordre) du déterminisme.
Messages
1. Quel lien entre Histoire, Sciences et Politique ?, 4 septembre 2019, 07:30, par alain
Auguste Comte dans son « Cours de philosophie positive » :
« On ne connaît pas complètement une science tant qu’on n’en sait pas l’histoire. »