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Karl Marx et l’idée de la redistribution des richesses

lundi 21 avril 2014, par Robert Paris

Karl Marx et l’idée de la redistribution des richesses

L’idée du petit bourgeois face à la crise du capitalisme provient de sa position face à la société en général, position qui est celle d’un individu qui examine le monde comme un moyen de consommation dans lequel tout ne lui est pas accessible et qui regarde le reste de la société comme une somme d’autres individus, consommateurs eux aussi. Dans ces conditions, les différences sociales apparaissent au petit bourgeois comme des inégalités et non comme des classes sociales, c’est-à-dire pas comme un mode de production ayant une signification historique. Comme des différences trop exagérées entre des individus et pas comme des rapports sociaux nécessaires à un stade donné du développement économique et social.

Des hommes se sont appropriés trop de richesses pendant que d’autres en manquent, et il suffirait d’imposer une meilleure répartition pour que la société soit plus heureuse et plus stable disent ces utopistes d’un monde capitaliste plus humain qui se disent anticapitalistes ou plutôt altercapitalistes : « un autre monde est possible » doit plutôt être traduit par l’idée qu’un autre capitalisme serait possible. C’est une idée tout à fait réformiste et tout ce qu’il y a d’illusoire au stade actuel du capitalisme. Il traduit l’espoir irréaliste d’un capitalisme prenant conscience que, pour devenir durable, il doit faire quelques sacrifices sur ses profits pour rendre les hommes plus heureux, devenir plus moral, moins corrompu, moins dictatorial et plus démocratique, plus transparent et moins accapareur de richesses.

Ces utopistes ne voient nullement que le dynamisme même du capitalisme est provenu d’une aspiration énorme, sans limite, à l’appétit de profits, sans lequel jamais le capitalisme n’aurait révolutionné les techniques et les rapports sociaux, transformé en profondeur la planète. Demander au capitalisme de reconnaître ses limites provient de petits bourgeois qui ne veulent pas admettre qu’un capitalisme ayant atteint ses limites est un capitalisme qui a atteint l’époque de sa fin…

Ces utopistes prétendent que le capitalisme va être contraint de ses réformer et qu’il le fera grâce à la prise de conscience des individus, surtout pas des classes sociales…

Un des points qui soutiennent cette thèse est l’idée qu’à la base d’une société, il y aurait d’abord une certaine forme de distribution des richesses plutôt qu’un mode de production des marchandises et une possession privée des moyens de production (alliée avec une non possession par une partie de la société de ces moyens de production).
La relation entre la sphère de la production et celle de la distribution est étudiée par ces courants de manière non historique, c’est-à-dire que la construction de la société est moins abordée que l’étude des effets de ce qui est présenté comme des dysfonctionnements.

Un autre des points qui marque le courant altercapitaliste est de présenter l’économie capitaliste comme le produit des politiques capitalistes et non comme un produit « naturel » de l’histoire. Ce seraient des volontés humaines qui auraient produit le fonctionnement économique et d’autres volontés humaines qui suffiraient à le changer. Les actions des hommes et de leurs structures sociales organisées auraient détourné d’un fonctionnement juste qui serait tout aussi possible au sein du système économique que les politiques injustes. Ce serait donc la conscience des individus qui seraient le pilote de l’économie et la crise actuelle permettrait aux individus de réaliser que la réforme est indispensable et inévitable…

L’existence de lois économiques inhérentes au capitalisme est en partie niée par ces courants et le rôle des crises comme fonctionnement indispensable au système n’est pas reconnu.

Curieusement, nombre de ces courants pensent que le marxisme a été une des formes des pensées anticapitalistes et de redistribution des richesses. Ils font de Marx une espèce de Rousseau ou de Proudhon !

Pour ces anticapitalistes, l’individu est la base de la société et ils vont jusqu’à penser que l’individu a toujours été à la base dans toutes les sociétés humaines. L’individu est selon eux l’élément le plus sain et le plus constant de tout système social, le but même de toutes les formes présente comme passée d’organisation de la société.

Que de contrevérités historiques, aussi bien sur le terrain économique, social, anthropologique !!!

La « crise » actuelle, depuis 2007-2008, loin d’apporter de l’eau au moulin de leurs illusions, enterre leur perspective, même si des courants importants les rejoignent. Car les réalités objectives sont plus fortes que les illusions de masses d’êtres humains. Les hommes croient parfois faire l’histoire dans le sens de leurs seuls désirs alors que ces derniers ne font en réalité que s’intégrer dans des relations nécessaires des lois économiques et des lois sociales qui sont objectives et ne suivent pas les désirs des hommes, ni des individus, ni même des classes.

La liberté n’étant que la prise de conscience de la nécessité, il convenait d’abord de comprendre les lois nécessaires de l’économie pour chercher les capacités des hommes d’agir au sein du système social comme contre lui. C’est cette tâche à laquelle s’est livré Karl Marx et pas celle consistant à partir des aspirations des hommes pour construire dans sa tête un fonctionnement plus agréable aux yeux des individus.

Sept ans après le plus important effondrement économique et financier jamais vécu, le système est officiellement en train de se rétablir et de reconstruire de la croissance, des emplois, de la confiance économique, des échanges, etc. Sauf qu’en 2007, avant cette « crise », il ne manquait ni de croissance, ni d’emplois, ni de confiance.

Prétendre soigner le capitalisme nécessiterait d’abord de détecter les racines d’une maladie.

Le capitalisme n’est nullement malade, pas plus malade d’une exagération dite libérale, ou dite mondialisation, ou dite trop d’inégalités. Il n’est pas du tout malade. Il est en plein succès. Il a atteint le maximum de son succès. Il a dépassé les capacités d’absorber l’essentiel de ce qu’il produit. Et il y a belle lurette que son but n’est plus de produire des objets mais de produire du capital. C’est ce capital qui est arrivé à un niveau de grandeur que le système lui-même, malgré de multiples techniques financières, ne peut plus accepter.

Il n’y a pas trop de voitures, trop de maisons, trop de salariés, trop d’êtres humains, trop de marchandises ou trop de production, trop d’inégalités.

Non ! Il y a trop de capitaux…

Trop en effet pour que leur investissement soit suffisamment rentable au sein du système capitaliste.

Il ne peut suffire d’une récession pour soigner cette situation là qui n’est pas du tout celle d’une crise classique de surproduction.

Pourquoi considérer que le capitalisme n’a pas eu un problème mais a un trop grand succès ? Parce que de 1980 à 2013, la productivité du travail a augmenté de 93% et les salaires de 38%, causant un accroissement différentiel de la plus-value record, une accumulation du capital record et posant de plus en plus de problèmes de réinvestissement des profits.

Bien sûr, les altercapitalistes constatent ce qu’ils considèrent comme un problème : une infime minorité devenue follement riche et une grande majorité de plus en plus pauvre. Mais ce n’est là qu’une conséquence lointaine des véritables évolutions du système et c’est très loin d’être une vraie cause structurelle de ce qui s’est passé en 2007.

On n’a pas assisté à une limite du capitalisme causé par une limitation des capacités de consommation. Au contraire, le marché des acheteurs était ce qui se portait encore bien en 2007-2008 !

Bien des gens ont pensé que, tant qu’il y aurait un large marché d’acheteurs, jamais le capitalisme ne connaitrait de catastrophe ! Mais c’est parce qu’ils confondaient les problèmes du capitalisme avec la nécessité de vendre des marchandises…. Et de trouver des acheteurs. Alors que, depuis belle lurette, le problème du capital était de trouver des emprunteurs sur le marché des capitaux (et pas des acheteurs sur le marché des marchandises !).

Citons Karl Marx dans sa « Contribution à la critique de l’économie politique » :

« « La distribution détermine la proportion (la quantité) des produits qui échoient à l’individu ; l’échange détermine les produits que chaque individu réclame en tant que part qui lui a été assignée par la distribution.
Production, distribution, échange, consommation forment ainsi [suivant la doctrine des économistes un syllogisme dans les règles ; la production constitue le général, la distribution et l’échange le particulier, la consommation le singulier, à quoi aboutit l’ensemble. Sans doute, c’est bien là un enchaînement, mais fort superficiel. La production est déterminée par des lois naturelles générales ; la distribution par la contingence sociale, et celle-ci peut, par suite, exercer sur la production une action plus ou moins stimulante ; l’échange se situe entre les deux comme un mouvement social de caractère formel, et l’acte final de la consommation, conçu non seulement comme aboutissement, mais comme but final, est, à vrai dire, en dehors de l’économie, sauf dans la mesure où il réagit à son tour sur le point de départ, où il ouvre à nouveau tout le procès. (…)
La structure de la distribution est entièrement déterminée par la structure de la production. La distribution est elle-même un produit de la production non seulement en ce qui concerne l’objet, le résultat de la production seul pouvant être distribué, mais aussi en ce qui concerne la forme, le mode précis de participation à la production déterminant les formes particulières de la distribution, c’est-à-dire déterminant sous quelle forme le producteur participera à la distribution. Il est absolument illusoire de placer la terre dans la production, la rente foncière dans la distribution, etc...
Par rapport à l’individu isolé, la distribution apparaît naturellement comme une loi sociale qui conditionne sa position à l’intérieur de la production dans le cadre de laquelle il produit, et qui précède donc la production. De par son origine, l’individu n’a pas de capital, pas de propriété foncière. Dès sa naissance, il est réduit au travail salarié par la distribution sociale. Mais le fait même qu’il y soit réduit résulte de l’existence du capital, de la propriété foncière comme agents de production indépendants.
Si l’on considère des sociétés entières, la distribution, à un autre point de vue encore, semble précéder la production et la déterminer ; pour ainsi dire comme un fait prééconomique. Un peuple conquérant partage le pays entre les conquérants et impose ainsi une certaine répartition et une certaine forme de la propriété foncière : Il détermine donc la production. Ou bien il fait des peuples conquis des esclaves et fait ainsi du travail servile la base de la production. Ou bien un peuple, par la révolution, brise la grande propriété et la morcelle ; il donne donc ainsi par cette nouvelle distribution un nouveau caractère à la production. Ou bien enfin la législation perpétue la propriété foncière dans certaines familles, ou fait du travail un privilège héréditaire et lui imprime ainsi un caractère de caste. Dans tous ces cas, et tous sont historiques, la distribution ne semble pas être organisée et déterminée par la production, mais inversement la production semble l’être par la distribution.
Dans sa conception la plus banale, la distribution apparaît comme distribution des produits, et ainsi comme plus éloignée de la production et pour ainsi dire indépendante de celle-ci. Mais, avant d’être distribution des produits, elle est : 1° distribution des instruments de production, et 2°, ce qui est une autre détermination du même rapport, distribution des membres de la société entre les différents genres de production. (Subordination des individus à des rapports de production déterminés.) La distribution des produits n’est manifestement que le résultat de cette distribution, qui est incluse dans le procès de production lui-même et détermine la structure de la production. Considérer la production sans tenir compte de cette distribution, qui est incluse en elle, c’est manifestement abstraction vide, alors qu’au contraire la distribution des produits est impliquée par cette distribution, qui constitue à l’origine un facteur même de la production. Ricardo, à qui il importait de concevoir la production moderne dans sa structure sociale déterminée et qui est l’économiste de la production par excellence, affirme pour cette raison que ce n’est pas la production, mais la distribution qui constitue le sujet véritable de l’économie politique moderne. D’où l’absurdité des économistes qui traitent de la production comme d’une vérité éternelle, tandis qu’ils relèguent l’histoire dans le domaine de la distribution.
La question de savoir quel rapport s’établit entre la distribution et la production qu’elle détermine relève manifestement de la production même. Si l’on prétendait qu’alors, du fait que la production a nécessairement son point de départ dans une certaine distribution des instruments de production, la distribution, au moins dans ce sens, précède la production, en constitue la condition préalable, on pourrait répondre à cela que la production a effectivement ses propres conditions et prémisses, qui en constituent des facteurs. Ces derniers peuvent apparaître tout au début comme des données naturelles. Le procès même de la production transforme ces données naturelles en données historiques et, s’ils apparaissent pour une période comme des prémisses naturelles de la production, ils en ont été pour une autre période le résultat historique. Dans le cadre même de la production, ils sont constamment modifiés. Par exemple, le machinisme a modifié aussi bien la distribution des instruments de production que celle des produits. La grande propriété foncière moderne elle-même est le résultat aussi bien du commerce moderne et de l’industrie moderne que de l’application de cette dernière à l’agriculture.
Les, questions soulevées plus haut se ramènent toutes en dernière instance à celle de savoir comment des conditions historiques générales interviennent dans la production et quel est le rapport de celle-ci avec le mouvement historique en général. La question relève manifestement de la discussion et de l’analyse de la production elle-même.
Cependant, sous la forme triviale où elles ont été soulevées plus haut, on peut les régler également d’un mot. Dans toutes les conquêtes, il y a trois possibilités. Le peuple conquérant impose au peuple conquis son propre mode de production (par exemple les Anglais en Irlande dans ce siècle, en partie dans l’Inde) ; ou bien il laisse subsister l’ancien mode de production et se contente de prélever un tribut (par exemple les Turcs et les Romains) ; ou bien il se produit une action réciproque qui donne naissance à quelque chose de nouveau, à une synthèse (en partie dans les conquêtes germaniques). Dans tous les cas, le mode de production, soit celui du peuple conquérant ou celui du peuple conquis, ou encore celui qui provient de la fusion des deux précédents, est déterminant pour la distribution nouvelle qui apparaît. Bien que celle-ci se présente comme condition préalable de la nouvelle période de production, elle est ainsi elle-même à son tour un produit de la production, non seulement de la production historique en général, mais de telle ou telle production historique déterminée.
Les Mongols, par leurs dévastations en Russie par exemple, agissaient conformément à leur mode de production fondé sur le pâturage, qui exigeait comme condition essentielle de grands espaces inhabités. Les barbares germaniques, dont le mode de production traditionnel comportait la culture par les serfs et la vie isolée à la campagne, purent d’autant plus facilement soumettre les provinces romaines à ces conditions, que la concentration de la propriété terrienne qui s’y était opérée avait déjà complètement bouleversé l’ancien régime de l’agriculture. (…)

La circulation elle-même n’est qu’un moment déterminé de l’échange ou encore l’échange considéré dans sa totalité.
Dans la mesure où l’échange n’est qu’un facteur servant d’intermédiaire entre la production et la distribution qu’elle détermine ainsi que la consommation ; dans la mesure d’autre part où cette dernière apparaît elle-même comme un facteur de la production, l’échange est manifestement aussi inclus dans cette dernière en tant que moment.
Premièrement, il est évident que l’échange d’activités et de capacités qui s’effectue dans la production elle-même en fait directement partie et en est un élément essentiel. Deuxièmement, cela est vrai de l’échange des produits pour autant que cet échange est l’instrument qui sert à fournir le produit achevé destiné à la consommation immédiate. Dans cette mesure, l’échange lui-même est un acte inclus dans la production. Troisièmement, l’échange (exchange) entre marchands (dealers) est, de par son organisation, à la fois déterminé entièrement par la production et lui-même activité productive. L’échange n’apparaît comme indépendant à côté de la production, comme indifférent vis-à-vis d’elle, que dans le dernier stade, où le produit est échangé immédiatement pour être consommé. Mais, 1° il n’y a pas d’échange sans division du travail, que celle-ci soit naturelle ou même déjà un résultat historique ; 2° l’échange privé suppose la production privée ; 3° l’intensité de l’échange comme son extension et son mode sont déterminés par le développement et la structure de la production. Par exemple, l’échange entre la ville et la campagne ; l’échange à la campagne, à la ville, etc. Dans tous ces moments, l’échange apparaît donc comme directement compris dans la production, ou déterminé par elle.
Le résultat auquel nous arrivons n’est pas que la production, la distribution, l’échange, la consommation sont identiques, mais qu’ils sont tous des éléments d’une totalité, des différenciations à l’intérieur d’une unité. La production déborde aussi bien son propre cadre dans sa détermination antithétique d’elle-même que les autres moments. C’est à partir d’elle que recommence sans cesse le procès. Il va de soi qu’échange et consommation ne peuvent être ce qui l’emporte. Il en est de même de la distribution en tant que distribution des produits. Mais, en tant que distribution des agents de production, elle est elle-même un moment de la production. Une production déterminée détermine donc une consommation, une distribution, un échange déterminés, elle règle également les rapports réciproques déterminés de ces différents moments. A vrai dire, la production, elle aussi, sous sa forme exclusive, est, de son côté, déterminée par les autres facteurs. Par exemple quand le marché, c’est-à-dire la sphère de l’échange, s’étend, le volume de la production s’accroît et il s’opère en elle une division plus profonde. Une transformation de la distribution entraîne une transformation de la production ; c’est le cas, par exemple, quand il y a concentration du capital, ou répartition différente de la population à la ville et à la campagne, etc. Enfin les besoins inhérents à la consommation déterminent la production. Il y a action réciproque entre les différents moments. C’est le cas pour n’importe quelle totalité organique. »

Le lien entre production et distribution est dépendant du lien entre production et consommation.

La production est donc immédiatement consommation, la consommation immédiatement production. Chacune est immédiatement son contraire. Mais il s’opère en même temps un mouvement médiateur entre les deux termes. La production est médiatrice de la consommation, dont elle crée les éléments matériels et qui, sans elle, n’aurait point d’objet. Mais la consommation est aussi médiatrice de la production en procurant aux produits le sujet pour lequel ils sont des produits. Le produit ne connaît son ultime accomplissement que dans la consommation. Un chemin de fer sur lequel on ne roule pas, qui donc ne s’use pas, n’est pas consommé, n’est un chemin de fer que dans le domaine de la possibilité [...] et non dans celui de la réalité. Sans production, pas de consommation ; mais, sans consommation, pas de production non plus, car la production serait alors sans but. La consommation produit la production doublement. 1º C’est dans la consommation seulement que le produit devient réellement produit. Par exemple, un vêtement ne devient véritablement vêtement que par le fait qu’il est porté ; une maison qui n’est pas habitée n’est pas, en fait, une véritable maison ; le produit donc, à la différence du simple objet naturel, ne s’affirme comme produit, ne devient produit que dans la consommation. C’est la consommation seulement qui, en absorbant le produit, lui donne la dernière touche (finishing stroke) ; carla production n’est pas produit en tant qu’activité objectivée, mais seulement en tant qu’objet pour le sujet agissant [la consommation produit la production]. 2º La consommation crée le besoin d’une nouvelle production, par conséquent la raison idéale, le mobile interne de la production, qui en est la condition préalable. La consommation crée le mobile de la production ; elle crée aussi l’objet qui agit dans la production en déterminant sa fin. S’il est clair que la production offre, sous sa forme matérielle, l’objet de la consommation, il est donc tout aussi clair que la consommation pose idéalement l’objet de la production, sous forme d’image intérieure, de besoin, de mobile et de fin. Elle crée les objets de la production sous une forme encore subjective. Sans besoin, pas de production. Mais la consommation reproduit le besoin.
À ce double caractère correspond du côté de la production : 1º Elle fournit à la consommation sa matière, son objet. Une consommation sans objet n’est pas une consommation ; à cet égard donc la production crée, produit la consommation. 2º Mais ce n’est pas seulement l’objet que la production procure à la consommation. Elle lui donne aussi son aspect déterminé, son caractère, son fini (finish). Tout comme la consommation donnait la dernière touche au produit en tant que produit, la production le donne à la consommation. D’abord l’objet n’est pas un objet en général, mais un objet déterminé, qui doit être consommé d’une façon déterminée, à laquelle la production elle-même doit servir d’intermédiaire. La faim est la faim, mais la faim qui se satisfait avec de la viande cuite, mangée avec fourchette et couteau, est une autre faim que celle qui avale de la chair crue en se servant des mains, des ongles et des dents. Ce n’est pas seulement l’objet de la consommation, mais aussi le mode de consommation qui est donc produit par la production, et ceci non seulement d’une manière objective, mais aussi subjective. La production crée donc le consommateur. 3º La production ne fournit donc pas seulement un objet matériel au besoin, elle fournit aussi un besoin à l’objet matériel. Quand la consommation se dégage de sa grossièreté primitive et perd son caractère immédiat - et le fait même de s’y attarder serait encore le résultat d’une production restée à un stade de grossièreté primitive -, elle a elle-même, en tant qu’instinct, l’objet pour médiateur. Le besoin qu’elle éprouve de cet objet est créé par la perception de celui-ci. L’objet d’art - comme tout autre produit - crée un public apte à comprendre l’art et à jouir de la beauté. La production ne produit donc pas seulement un objet pour le sujet, mais aussi un sujet pour l’objet. La production produit donc la consommation 1º en lui fournissant la matière ; 2º en déterminant le mode de consommation ; 3º en faisant naître chez le consommateur le besoin de produits posés d’abord simplement par elle sous forme d’objets. Elle produit donc l’objet de la consommation, le mode de consommation, l’instinct de la consommation. De même la consommation engendre l’aptitude du producteur en le sollicitant sous la forme d’un besoin déterminant le but de la production.

L’identité entre la consommation et la production apparaît donc sous un triple aspect :
1. Identité immédiate. La production est consommation ; la consommation est production. Production consommatrice. Consommation productive. Toutes deux sont appelées consommation productive par les économistes. Mais ils font encore une différence. La première prend la forme de reproduction ; la seconde, de consommation productive. Toutes les recherches sur la première sont l’étude du travail productif ou improductif ; les recherches sur la seconde sont celle de la consommation productive ou improductive.
2. Chacune apparaît comme le moyen de l’autre ; elle est médiée par l’autre ; ce qui s’exprime par leur interdépendance, mouvement qui les rapporte l’une à l’autre et les fait apparaître comme indispensables réciproquement, bien qu’elles restent cependant extérieures l’une à l’autre. La production crée la matière de la consommation en tant qu’objet extérieur ; la consommation crée pour la production le besoin en tant qu’objet interne, en tant que but. Sans production, pas de consommation ; sans consommation, pas de production. Ceci figure dans l’économie politique sous de nombreuses formes.
3. La production n’est pas seulement immédiatement consommation, ni la consommation immédiatement production ; la production n’est pas non plus seulement moyen pour la consommation, ni la consommation but pour la production, en ce sens que chacune d’elles fournit à l’autre son objet, la production l’objet extérieur de la consommation, la consommation l’objet figuré de la production. En fait, chacune d’elles n’est pas seulement immédiatement l’autre, ni seulement médiatrice de l’autre, mais chacune d’elles, en se réalisant, crée l’autre ; se crée sous la forme de l’autre. C’est la consommation qui accomplit pleinement l’acte de la production en donnant au produit son caractère achevé de produit, en le dissolvant en consommant la forme objective indépendante qu’il revêt, en élevant à la dextérité, par le besoin de la répétition, l’aptitude développée dans le premier acte de la production ; elle n’est donc pas seulement l’acte final par lequel le produit devient véritablement produit, mais celui par lequel le producteur devient également véritablement producteur. D’autre part, la production produit la consommation en créant le mode déterminé de la consommation, et ensuite en faisant naître l’appétit de la consommation, la faculté de consommation, sous forme de besoin. Cette dernière identité, que nous avons précisée au paragraphe 3, est commentée en économie politique sous des formes multiples, à propos des rapports entre l’offre et la demande, les objets et les besoins, les besoins créés par la société et les besoins naturels.
Rien de plus simple alors, pour un hégélien, que de poser la production et la consommation comme identiques. Et cela n’a pas été seulement le fait d’hommes de lettres socialistes, mais de prosaïques économistes même ; par exemple de Say, sous la forme suivante : quand on considère un peuple, ou bien l’humanité in abstracto, on voit que sa production est sa consommation. Storch a montré l’erreur de Say : un peuple, par exemple, ne consomme pas purement et simplement sa production, mais crée aussi des moyens de production, etc., du capital fixe, etc. Considérer la société comme un sujet unique, c’est au surplus la considérer d’un point de vue faux - spéculatif. Chez un sujet, production et consommation apparaissent comme des moments d’un même acte. L’important ici est seulement de souligner ceci : que l’on considère la production et la consommation comme des activités d’un sujet ou de nombreux individus, elles apparaissent en tout cas comme les moments d’un procès dans lequel la production est le véritable point de départ et par suite aussi le facteur qui l’emporte. La consommation en tant que nécessité, que besoin, est elle-même un facteur interne de l’activité productive ; mais cette dernière est le point de départ de la réalisation et par suite aussi son facteur prédominant, l’acte dans lequel tout le procès se déroule à nouveau. L’individu produit un objet et fait retour en soi-même par la consommation de ce dernier, mais il le fait en tant qu’individu productif et qui se reproduit lui-même. La consommation apparaît ainsi comme moment de la production.
Mais, dans la société, le rapport entre le producteur et le produit, dès que ce dernier est achevé, est un rapport extérieur,- et le retour du produit au sujet dépend des relations de celui-ci avec d’autres individus. Il n’en devient pas immédiatement possesseur. Aussi bien, l’appropriation immédiate du produit n’est-elle pas la fin que se propose le producteur quand il produit dans la société. Entre le producteur et les produits intervient la distribution, qui par des lois sociales détermine la part qui lui revient dans la masse des produits et se place ainsi entre la production et la consommation.
Mais, alors, la distribution constitue-t-elle une sphère autonome à côté et en dehors de la production ? »

L’un des premiers travaux économiques de Marx va consister à développer l’idée que l’économie est fondée sur des systèmes au sein desquels la distribution n’est nullement un « facteur » à part mais un des éléments de la chaîne, et l’élément clef pour déterminer le type de système n’est nullement la distribution mais le niveau historique des moyens de production d’où découle le type de propriété de ces moyens de production, puis la division du travail et enfin les rapports de production d’où découlent les luttes de classe et ensuite seulement la distribution des richesses entre ces classes.

Comme l’écrit Dangeville dans son introduction à « Le parti de classe » de Marx et Engels :

« Les rapports de production et d’échange d’un type donné de société émanent de la forme ou distribution donnée des forces productives. Ce sont « les rapports nécessaires que nouent entre eux les hommes dans la production sociale de leur existence ». Pour être plus concret, il y a parmi les rapports de production, au sens général, la liberté et l’interdiction pour tel ou tel groupe d’hommes d’accéder à la terre pour la travailler, de disposer des instruments, des machines, des produits du travail pour les consommer, les déplacer ou les attribuer à tel ou tel usage. Dans leur définition particulière et déterminée, il y a les rapports de production de l’esclavage, du servage, du salariat (force de travail-marchandise), de la propriété foncière, de l’entreprise industrielle. »

Aujourd’hui, la plupart des partis de gauche et des syndicats se réfèrent à un objectif intitulé « égalité et répartition des richesses entre tous » qui sonne comme « anticapitaliste » et très radical mais que Marx qualifiait comme la suite utopique du démocratisme bourgeois de la révolution française…

Messages

  • Wé c vrai, qu’est ce qu’on à foutre du partage des énormes masse d’argent en papier maché que possède l’oligarchie ! Le petit bourgeois à de la peine pour les miséreux ne pouvant pas s’offrir le dernier modèle de téléviseur plat ! Le petit bourgeois et aliéné et crétin, le capitalisme justement lui ayant permis un niveau de vie indécent fait de dépenses et d’usure !

    Je veux pas du papier sans valeur de la bourgeoisie, je veut de son pouvoir !

  • Des esprits plus cultivés, capables d’une critique plus profonde, admettent le caractère historique des rapports de la répartition, mais soutiennent avec d’autant plus d’acharnement que les rapports de la production sont constants, découlent de la nature humaine et échappent par conséquent à l’influence du développement historique.

    Cependant l’analyse scientifique démontre que la production capitaliste est d’une nature spéciale, qu’elle est déterminée historiquement et que, de même que tout autre système de production, elle a comme condition un stade déterminé du développement et de la morphologie des forces productives, condition qui est le résultat historique et le produit d’un processus antérieur, base déterminée du processus nouveau. Cette analyse établit encore que les rapports de production adéquats à ce système déterminé historiquement - rapports que les hommes observent dans leur vie sociale - ont un caractère spécifique, historique et transitoire, et que les rapports de la répartition sont essentiellement identiques à ceux de la production, dont elles représentent la seconde face, si bien qu’elles ont tous les deux le même caractère historique et transitoire.

    Dans l’observation des conditions de la répartition, on part de ce prétendu fait que le produit annuel se subdivise en salaire, profit et rente, fait inexact lorsqu’il est présenté sous cette forme. Le produit se divise en capital et en revenus. L’un de ceux-ci, le salaire, ne prend la forme de revenu des ouvriers, qu’après avoir été opposé à ces mêmes ouvriers sous forme de capital. L’opposition comme capital des moyens de production et des produits du travail en général aux producteurs immédiats implique d’avance que les conditions matérielles du travail se présentent à l’égard des ouvriers avec un caractère social déterminé, et que dans la production même il existe un rapport donné entre eux et les propriétaires des moyens de travail. De son côté la conversion de ceux-ci en capital implique que les producteurs immédiats sont expropriés du sol et du sous-sol, et que la propriété foncière prend une forme déterminée.

    Si l’une des parties du produit ne se convertissait pas en capital, l’autre ne se transformerait pas en salaire, profit et rente. D’autre part, la production capitaliste, par ce fait qu’elle suppose que les conditions de la production ont tel caractère social déterminé, les reproduit continuellement avec la même caractéristique. Elle engendre non seulement les produits matériels, mais reproduit continuellement les conditions de production dans lesquelles ceux-ci sont obtenus ; elle reproduit en même temps les conditions de répartition qui y correspondent.

    Karl Marx, "Le Capital", Livre III, Les rapports de distribution et les rapports de production

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