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Un spectre hante l’anthropologie : le spectre du communisme primitif

jeudi 19 décembre 2013, par Robert Paris

Christophe DARMANGEAT, qui a écrit « Le communisme primitif n’est plus ce qu’il était » où il affirme en fait que la communauté des biens primitive ainsi que le matriarcat primitif (généralisés à l’ensemble des sociétés primitives précédent les classes et l’Etat) n’auraient été que des erreurs de Marx et Engels liées à la méconnaissance de l’époque, prétend cependant agir ainsi pour défendre… le marxisme. La preuve, c’est qu’il se dit marxiste ! Marxisme qu’il place, précise-t-il curieusement, parmi les évolutionnismes, les théories du progrès… Qui aurait cru que révolution s’opposait à évolution !

Bien sûr, l’auteur ne dit pas les choses aussi crûment et dit parfois une chose et son contraire. Mais, en réalité, dans la manière de voir de cet auteur, le raisonnement marxiste est complètement détruit...

On croirait presque, à lire Darmangeat, que personne après Engels n’aurait plus travaillé sur le communisme primitif : ni Mauss, ni Malinovski, ni Jean Malaurie, etc, etc… Qu’aucun travail scientifique n’aurait contribué à étayer cette thèse, tout comme celle du matriarcat primitif. Et on pourrait imaginer que tous les travaux plus récents donnent tort à Engels. On se demande bien alors comment Darmangeat arriverait, tel Zorro, et ferait remarquer une telle erreur..

Bien sûr, il n’y aurait aucun crime de lèse-majesté s’il s’avérait que nos glorieux prédécesseurs ne connaissaient pas tout du passé. On ne cessera certainement jamais de changer de point de vue là-dessus. Nous ne revendiquons aucune éternité du message de Marx et Engels. Encore faut-il savoir quels points on nous propose d’abandonner et pour défendre quel autre point de vue. En l’occurrence, on verra que l’on nous propose l’idéologie petite bourgeoise actuelle comme nouveau critère du marxisme. Non merci !

Il est impossible d’abandonner le critère du mode de production par celui du mode de stockage des biens, fût-ce qu niveau des premières sociétés humaines.

Il est inacceptable également de suivre Darmangeat qui il prétend transformer le communisme révolutionnaire en une théorie évolutionniste réformiste bien gentille. On ne s’étonnera pas que les social-démocrates de gauche, les maoïstes, les anarchistes, les staliniens et quelques gauchistes ne voient aucun mal à suivre cette thèse d’un marxiste qui prétend tailler des croupières à Marx !

La revue « Actuel Marx », sous la plume Jean-Philippe Deranty, écrivait en janvier 2013 que l’ouvrage de Darmangeat réfute les deux thèses principales de « L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat », tout en prétendant qu’il proposerait une alternative tout aussi matérialiste ( !). Voir ici

On n’en sera que plus intéressé de constater que Christophe Darmangeat n’est autre que le militant Raner de l’organisation française Lutte Ouvrière, membre de son comité central. Lutte Ouvrière, un groupe qui est donc en plein progrès... de la révolution vers l’évolution !!!!

L’auteur fait le parallèle entre évolution des sociétés et évolution biologique et voilà comment il conçoit celle-ci : « L’évolution biologique humaine, tout en étant beaucoup plus complexe et foisonnante qu’on ne l’avait imaginé au départ, n’en reste pas moins fondamentalement une évolution orientée . » ( !!!)

« Le parallèle avec l’évolution sociale est clair. Tout comme on vient de le faire à propos du règne animal, on peut dire que toute dimension de la structure sociale (telle que la famille ou le système de parenté) fait partie d’un tout (la société) dont l’évolution obéit à des lois identifiées (formulées par le matérialisme historique). Cela ne signifie pas pour autant que toute dimension de la structure sociale puisse obligatoirement être ordonnée en une séquence évolutive corrélée aux stades principaux, à savoir les modes de production. »

L’auteur est persuadé que ce n’est pas le passage de la chasse à l’agriculture, avec la sédentarisation que cela implique, qui a accéléré le processus d’inégalité, puisqu’il recense de nombreuses sociétés sédentarisées, demeurées égalitaires. Christophe Darmangeat est convaincu que c’est le développement du stockage des denrées – et donc la possibilité de compenser un meurtre ou d’acheter une épouse moyennant un don conséquent ! – qui ont fait basculer des groupes humains, où les plus nantis ont commencé à exploiter outrageusement les plus démunis, à l’image de nos sociétés occidentales.

Exit le mode de production comme locomotive du changement et ce n’est pas rien pour un défenseur de Marx !

Un autre fait caractéristique : l’auteur développe dans une brochure une thèse sur l’origine de l’inégalité. A l’époque des Lumières ou de la Révolution française, poser ainsi la question pourquoi pas ? Mais après Marx et la lutte des classes !

En fait, ce n’est pas juste une brochure intitulée "Conversation sur la naissance des inégalités" que l’auteur dédie à la question de l’origine de l’inégalité à la suite de Rousseau, c’est tout son travail, de multiples articles et commentaires ainsi que l’ouvrage précédemment cité. Là aussi, nous avons une rupture avec Marx et Engels et un retour aux Lumières. Pas à la lumière...

Sur l’idée d’un matriarcat primitif, Darmangeat commence par sembler le considérer à l’égal de la thèse adverse :

« Quand bien même le matriarcat primitif aurait existé, ce temps révolu ne préjuge nullement de l’avenir des relations entre les sexes, si les conditions qui l’avaient vu naître devaient se révéler disparues à jamais. Inversement, en admettant même que les hormones soient responsables de l’infériorisation universelle des femmes, on ne voit pas pourquoi l’évolution sociale ne pourrait pas contrecarrer ce donné biologique, à l’instar de ce qu’elle a déjà fait dans bien d’autres domaines. »

Pour finalement le rejeter sans autre argument :

« Les mythes des sociétés primitives ne méritent pas une autre approche que la Bible ; et, en l’absence d’autres éléments, le passé qu’ils nous racontent doit être considéré comme ni plus ni moins réel que celui décrit par la Genèse. (…) il ne viendrait à l’idée d’aucun scientifique sain d’esprit de faire confiance à ces récits et de penser que lorsqu’ils traitent de la création du ciel, de la terre ou des espèces vivantes, ils racontent une histoire vraie, même déformée. Il n’y a aucune raison de se départir de cette saine attitude lorsque les mythes en viennent à traiter des institutions sociales sociales en général et du rôle dévolu à chaque sexe en particulier. (…) La vraie finalité des mythes n’est pas de transmettre fidèlement ou non, le passé : elle est de forger et d’enseigner un passé qui justifie le présent. »

Il déclare « L’idée selon laquelle hommes et femmes doivent pouvoir occuper indifféremment les mêmes rôles dans la société est un pur produit de l’époque moderne. » (voir ici)

C’est nier le combat des femmes, par exemple au Moyen Age ! On peut lire ici comment c’est l’évènement de la société bourgeoise qui a amené un accroissement de l’oppression des femmes. Marx le savait et expliquait le fait notamment par la nécessité de la propriété bourgeoise des femmes et des enfants.

Parmi les poncifs petits bourgeois que développe l’auteur, citons l’affirmation que ce serait sous le capitalisme et dans les pays « développés » que la situation des femmes se serait radicalement améliorée. Rien n’est moins sûr ! (voir ici)

L’un des buts principaux de l’ouvrage de Darmangeat étant d’annihiler l’idée d’un matriarcat primitif, on peut relire avec profit :

Le matriarcat primitif a bel et bien existé

Quant à la thèse selon laquelle, avant Darmangeat, l’anthropologie se détournait de l’évolutionnisme social, donnons un petit exemple de la multitude d’ouvrages qui, au contraire, cultivent cette thèse depuis longtemps avec des extraits de la seule bibliothèque de l’université de Chicoutimi, au Québec : ici

Dans la suite on donne la parole à l’auteur qui explique son point de vue selon lequel l’évolution serait l’idéologie du progrès et selon lequel c’est Marx et Engels qui pensaient ainsi (voir ici la thèse inverse) :

On peut également lire à propos du lien entre théorie de l’évolution et marxisme le texte suivant

L’évolution des sociétés ?

Mais vous n’y pensez pas !

De l’anthropologie, de l’évolutionnisme et du marxisme

Un spectre hante l’anthropologie : le spectre de l’évolutionnisme

La première chose – et par conséquent, parfois, la seule – qu’apprend en France un étudiant en anthropologie est la détestation de l’évolutionnisme, généralement assimilé sans autre forme de procès à sa caricature dite « unilinéaire », dans laquelle toutes les sociétés du monde sont censées avoir parcouru les mêmes stades dans le même ordre. Depuis des décennies, dans une unanimité presque touchante tant elle est parfaite, les spécialistes de cette discipline vouent aux gémonies une perspective censée incarner tout à la fois un projet scientifique inepte et dépassé, et la légitimation des pires turpides de l’Occident à l’égard des peuples du reste du monde.

La critique, ou plus exactement, la disqualification systématique, de « l’évolutionnisme » du XIXe siècle va bien au-delà de la remise en cause de tel raisonnement proposé par tel auteur. Ce que les adversaires de l’évolutionnisme contestent, c’est son projet scientifique lui-même, à savoir la recherche des lois qui ont organisé, au cours de la longue histoire de l’humanité, la succession des faits sociaux.

Les antiévolutionnistes ne nient certes pas que les formes sociales puissent changer ; mais ils affirment que ces changements n’obéissent à aucun ordre, ni à aucun principe. Ainsi, on ne saurait parler de progrès à propos de l’histoire des sociétés sans être victime d’une illusion – pire, sans justifier plus ou moins involontairement la domination occidentale et son cortège de mépris et de violence. Si les adversaires de l’évolutionnisme concèdent à contrecœur l’existence du progrès technique (il y a tout de même des réalités difficiles à évacuer), ils nient que celui-ci soit corrélé en quoi que ce soit aux dimensions sociales (systématiquement qualifiées de « cultures », un terme fourre-tout qui se prête à toutes les ambigüités).

Ainsi n’existerait-il donc aucun progrès dans les sociétés, ni dans les « cultures », dont aucune ne serait plus élevée qu’une autre. En France, le plus illustre des défenseurs de cette position, Claude Lévi-Strauss, expliquait dans une conférence demeurée célèbre [1] que si certains peuples se sont distingués par leur maîtrise des savoirs techniques, d’autres sont demeurés inégalés dans leur adaptation à certains climats extrêmes, d’autres encore par la complexité de leur système de parenté. Seule notre myopie – produit de notre ethnocentrisme – nous pousse à attribuer la prééminence à l’un de ces critères aux dépens des autres et à percevoir un « progrès » là où n’existe qu’un mouvement brownien de « cultures ».

Splendeur et misère du relativisme

Tout cela appelle au moins trois remarques.

En premier lieu, point n’est besoin d’un sens politique particulièrement aiguisé pour comprendre que l’hostilité des sciences sociales officielles à l’égard de l’évolutionnisme vise en réalité d’abord et avant tout le marxisme. Celui-ci incarne en quelque sorte l’évolutionnisme par excellence ; un évolutionnisme qui, non content de penser l’évolution passée, ambitionne d’utiliser cette compréhension pour concevoir l’évolution future – et pire encore, pour la façonner activement. Nul hasard si Marx et Engels avaient scruté avec avidité les progrès de la toute jeune science anthropologique, entreprenant sur le champ d’en intégrer les résultats les plus prometteurs à leur conception du monde et à les populariser auprès du public militant [2]. Nul hasard non plus si, inversement, l’anthropologie – quelques décennies après sa sœur aînée l’économie politique – entreprit au début du XXe siècle de tourner le dos à ses acquis et à son questionnement scientifique, en réaction aux conclusions auxquelles ce questionnement aboutissait infailliblement. Le meilleur moyen de ne plus avoir à discuter de l’avenir de la société actuelle fut de nier que celui-ci s’inscrivait au sein d’un quelconque mouvement général. Et c’est donc autour de la Première guerre mondiale, au moment précis où le marxisme devint une force menaçante pour l’ordre social actuel, que l’anthropologie déclara nul et non avenu l’évolutionnisme, c’est-à-dire le programme de recherches qu’elle avait unanimement poursuivi jusque-là sur les sociétés du lointain passé [3].

La deuxième remarque est qu’il y a une ironie amère – jusque dans les termes eux-mêmes – à ce que le rejet du progrès soit précisément devenu un lieu commun du camp souvent qualifié de « progressiste ». C’est au nom de l’anti-colonialisme et de l’anti-racisme qu’ont été condamnés, le plus souvent sous les accusations les plus absurdes, les évolutionnistes du XIXe siècle [4]. Et c’est en ce même nom qu’a été immolée, sur l’autel de l’éloge de la différence et de l’égale respectabilité de toutes les cultures, l’idée pourtant élémentaire qu’on ne saurait œuvrer pour un changement social sans considérer que certains rapports sociaux, certaines coutumes –certaines « cultures » – sont préférables à d’autres.

La troisième remarque est que ceux-là même qui rejettent l’évolutionnisme et qui prônent le relativisme culturel semblent ne pas percevoir que celui-ci entre en contradiction frontale avec une référence telle que la Déclaration des Droits de l’homme, dont ils sont généralement fort friands. Or, quoi de moins relativiste que cette déclaration qui, ô horreur, affirme l’universalité de ses valeurs – au mépris le plus complet de celles de toutes les sociétés précédentes ? Les Aborigènes d’Australie, lorsqu’ils faisaient la guerre, achevaient les ennemis blessés. Les Iroquois, bien connu des lecteurs d’Engels pour leur constitution politique non étatique et éminemment démocratique, se livraient en permanence à des raids afin de capturer des prisonniers dans les tribus voisines. Si une partie de ceux-ci étaient adoptés afin de combler les vides que la guerre ou les maladies avaient creusés, les autres étaient soit réduits en esclavage, soit répartis dans « diverses bourgades pour y estre bruslez, boüillis & rostis. [5] » Ces épouvantables sévices, qui pouvaient être prolongés durant plusieurs jours, avaient pour objectif avoué d’infliger la plus grande douleur possible ; on en finissait avec les victimes les plus résistantes en les dévorant lors de banquets anthropophages. Au nom de quoi, dès lors, condamner ne fut-ce qu’en paroles de telles pratiques – sans même parler d’y mettre fin –, si l’on tient les cultures humaines pour toutes également respectables, et si aucune n’est considérée comme le produit d’un développement plus élevé – qui prépare à son tour les progrès futurs ? Cette question n’obtient jamais de réponse claire, tant il est vrai que les relativistes ne prennent leurs propres principes au sérieux que lorsqu’il s’agit de combattre l’évolutionnisme, et derrière lui, la remise en cause de l’ordre social actuel. Précisons, à toutes fins utiles, que la supériorité des Droits de l’Homme sur les conceptions primitives ne tient pas à leur plus grande « moralité ». Il n’y a par exemple rien d’évident à ce que le droit « inviolable et sacré » de s’approprier des ressources de manière privée produise des effets beaucoup plus aimables que celui de réduire ses ennemis en esclavage ou de les dévorer. Si les Droits de l’Homme furent un progrès, c’est du fait qu’ils codifiaient des rapports sociaux porteurs d’une puissance économique supérieure, édifiés sur des échelles plus vastes, et qui rapprochaient ainsi l’humanité de la société de l’avenir.

On n’arrête pas le progrès

N’en déplaise aux anti-évolutionnistes, toutes les dimensions des sociétés ne sont pas équivalentes pour comprendre l’histoire humaine. L’accent mis par le marxisme sur la croissance des capacités de production comme l’élément central de la succession des sociétés n’est pas le fruit de son « ethnocentrisme ». Il convient au passage de remarquer que cet épithète est aussi inapproprié qu’infâmant, puisqu’il place indument (mais non innocemment) la question sur le terrain « ethnique » : tout au plus la position évolutionniste devrait-elle être qualifiée de « socio-centriste ». Ce « socio-centrisme » des évolutionnistes est réel ; mais il se justifie du fait qu’il procure une position privilégiée pour comprendre le mouvement d’ensemble des sociétés. C. Lévi-Strauss développait avec insistance le parallèle entre son relativisme et celui de la physique de Galilée et d’Einstein. Mais la physique sait également que pour comprendre certains phénomènes, tous les points de référence ne se valent pas, et que si l’on veut avoir la moindre chance de pénétrer les lois du mouvement des planètes du système solaire, on n’a d’autre choix que de raisonner de manière « héliocentriste ».

Le choix qui consiste à ordonner les structures sociales (indûment appelées « cultures ») selon leur capacité à maîtriser la nature est le seul qui corresponde au cours effectif de l’aventure humaine, et qui par conséquent, permette d’en déchiffrer les lois. L’histoire de l’humanité n’est pas celle de l’adaptation toujours plus poussée à des milieux extrêmes, ou de la complexification croissante de ses systèmes de parenté. Elle est en revanche celle de l’augmentation de la productivité du travail.

Toutes les dimensions « culturelles » n’entretiennent pas les mêmes rapports avec ce mouvement général. Certaines en sont largement indépendantes. C’est le cas du langage, par exemple, et c’est bien pour cela qu’il serait absurde de parler de progrès à propos de la structure des langues humaines [6]. Mais bien d’autres sont liées, parfois directement, parfois de manière plus complexe, à l’avancée des capacités matérielles. L’universalisme des Droits de l’homme n’a pas été une révélation subite due à quelque cerveau génial, mais le fruit de l’ascension de la bourgeoisie et de l’affirmation de ses aspirations. De la même manière, notre conception de l’égalité des sexes est une idée résolument moderne qui n’a jamais germé dans aucune société précapitaliste. Cette conception, qui résulte de la généralisation des relations marchandes dans la sphère économique [7], constitue elle aussi un acquis. En nier le caractère progressiste conduirait à se désarmer par avance face à toutes les tentatives de maintenir, ou de rétablir, des pratiques discriminatoires vis-à-vis des femmes, pratiques justifiées par des spécificités « culturelles ».
Il faut le réaffirmer avec force : l’histoire, même si elle ne suit pas partout le même chemin, s’oriente bel et bien selon un sens général, selon des modalités que les évolutionnistes du XIXe siècle voulaient découvrir et expliquer. Indépendamment même de la solidité de leurs conclusions, leur programme de recherche était le seul qui puisse pleinement mériter le qualificatif de scientifique. L’immense apport de Marx fut de montrer que le socialisme, cette société débarrassée de l’exploitation et de l’oppression, n’était pas uniquement la sympathique aspiration de quelques nobles esprits, mais l’aboutissement potentiel de la dynamique de la société capitaliste – et plus fondamentalement, de toute l’évolution sociale humaine.
C’est cette perspective qui a valu à l’évolutionnisme et à l’idée de progrès d’être honnis. En ces temps peut-être décisifs pour l’avenir de l’humanité, où bien des repères les plus fondamentaux se sont dilués dans le reflux du courant révolutionnaire, c’est celle-là même qui justifie qu’on les défende avec ardeur.

Christophe DARMANGEAT

septembre 2012

[1] C. Lévi-Strauss, Race et histoire, 1952.

[2] Voir l’Origine de la propriété privée, de la famille et de l’Etat, écrit en 1884 par F. Engels, qui se proposait d’ « exposer les conclusions des recherches de L. H. Morgan »

[3] Si les premiers grands anthropologues furent tous évolutionnistes, tels J. J. Bachofen, L. H. Morgan, E. Tylor ou J. Frazer, leurs successeurs, avec en particulier l’école fonctionnaliste de F. Boas, B. Malinovski ou A. Radcliffe-Brown, rejetèrent avec force cette perspective. Ce retournement fait écho à celui qui, 40 ans plus tôt, avait vu le triomphe de la théorie économique néoclassique et l’abandon de tous les acquis qui avaient mené de D. Ricardo à K. Marx.

[4] Sur ce point, nous renvoyons le lecteur à l’excellent article d’Alain Testart, La question de l’évolutionnisme dans les sciences sociales, 1992.

[5] J.-C. Bonnin, Voyage au Canada dans le nord de l’Amérique septentrionale fait depuis l’an 1751 jusqu’en l’an 1761, Casgrain, Québec, 1887, p. 160.

[6] L’émergence d’une langue commune, en revanche, est un acquis précieux de ce mouvement global.

[7] Voir mon livre Le communisme primitif n’est plus ce qu’il était, 2e édition, Smolny, 2012.


La thèse de Morgan

La thèse d’Engels

La thèse de Testart que suit Darmangeat

Quand Alain Testart rompt avec le marxisme en changeant sa thèse sur le communisme primitif

En savoir plus sur le point de vue de Testart

Les vidéoconférences de Alain Testart

Pour lire plus en détail la thèse de Darmangeat

Une réponse au livre de Christophe Darmangeat

Profitons-en pour lire des extraits d’un texte de Alain Testart :

La responsabilité sociale des scientifiques

Bien qu’ils s’en défendent, nombre de chercheurs mais aussi d’hommes politiques et de médiateurs, cèdent à cette vision religieuse et hégémonique de la science qu’on a nommée « scientisme » et que certains exégètes ont exprimée sans pudeur…. Par ailleurs, des perturbations graves de la nature induites par le développement des activités humaines, c’est à dire par l’utilisation de la science, sont désormais évidentes. Elles s’ajoutent aux divers risques pour la santé humaine récemment apparus et à des atteintes inédites aux normes culturelles et sociales, suite à l’artificialisation du vivant. Ces éléments inquiétants interdisent désormais de faire l’autruche en renvoyant les « alarmistes » à des affirmations rassurantes mais gratuites comme le fameux« la science trouve toujours le moyen de réparer ses erreurs » lancé par Jean Bernard, premier président du Comité national d’éthique… Le modèle scientifique créé au XX° siècle impliquait un lien étroit entre recherche publique d’Etat, investigations à visée cognitive et contributions au progrès économique et social, grâce à la mise à disposition des connaissances. Depuis vingt ans, ce modèle a été ébranlé par la multiplication des contrats industriels, par la création de véritables marchés scientifiques (brevets, entreprises “ innovantes ”), par l’intrication de plus en plus étroite avec les industriels et les militaires. C’est ainsi que la science contemporaine, souvent désignée comme « technoscience » a impulsé une nouvelle condition pour la recherche elle-même et pour le métier de chercheur. Il n’y a plus de savant isolé dans sa tour d’ivoire mais des équipes, souvent multidisciplinaires, en compétition féroce avec d’autres équipes… C’est ainsi que Jean-Marc Lévy-Leblond remarque que « l’ampleur quasi industrielle de nombreux domaines actuels de la recherche scientifique réduit la plupart de ceux qui y participent à un rang subordonné, où leur liberté de choix et leur responsabilité personnelle sont des plus réduites(...) mais, cette perte d’autonomie laisse le champ libre aux décisions prises par les « patrons » de l’institution scientifique (...). Leur responsabilité particulière dans l’orientation des recherches scientifiques engage en fait la responsabilité collective de l’ensemble des chercheurs qui, en général, ratifient de façon passive les choix faits en leur nom ».(L’esprit de sel, Le Seuil , 1984). Dans le même ouvrage il poursuit : « Le fonctionnement désormais machinique de tout système sociotechnique, tel l’électronucléaire, entraîne la dissolution de toute notion de responsabilité (...) chacun peut s’abriter derrière un ordre ou une incitation venus de plus haut, ou d’à côté ». A l’époque de la recherche « artisanale »qui précédait la mise en institution de la science, la société aurait pu s’interroger sur le comportement de tel savant… Le chercheur américain Robert Lanza s’est rendu fameux pour avoir, en 2001, obtenu trois embryons humains clonés, sans que cet « exploit » n’ait pu être confirmé 7 ans plus tard. Mais en 2006 il annonçait dans Nature une avancée importante dans la production de cellules souches embryonnaires, nouvel « exploit » auquel il devait apporter un rectificatif 3 mois plus tard. Entre temps la valeur des actions de sa société ACT avaient quadruplé... Richard Doll, célèbre épidémiologiste britannique, aurait perçu 1 200 euros par jour pendant un an de la part de la multinationale Monsanto, alors qu’il expertisait les effets
de « l’agent orange » fabriqué par cette entreprise... Doll avait également touché 22 000 euros de la part de plusieurs multinationales de la chimie, dont Chemical Manufacturers Association, Dow Chemical et ICI, pour avoir publié une étude assurant l’absence de lien entre le chlorure de vinyle (utilisé dans les matières plastiques) et le cancer (sauf celui du foie).C’est ce même « savant », le plus grand expert en cancérologie, qui estimait à seulement 1 a 3% des cas les causes environnementales du cancer ...une expertise qui a permis de poursuivre les pollutions. A l’occasion de la conférence de Rio sur la protection de l’environnement (1992), de nombreux scientifiques dont beaucoup de prix Nobel lançaient l’appel d’Heidelberg , lequel affirmait, entre autres litanies scientistes, que « l’utilisation de produits dangereux est nécessaire pour le bien de l’humanité. Il suffit de savoir le maîtriser... »… Comme l’a dit Robert Oppenheimer , maître d’œuvre du projet Manhattan avant d’en être culpabilisé, « les physiciens ont connu le péché ; et cela, c’est une connaissance qu’ils ne peuvent pas perdre ». .. a période récente a vu la recherche mise en cause pour des productions que beaucoup jugent contraires aux intérêts ou à la dignité de l’humanité (plantes génétiquement modifiées, animaux clonés, nanotechnologies, etc...) une méfiance certaine des populations s’étant développée à partir des catastrophes réalisées ou vraisemblables (changements climatiques, perte de biodiversité, péril atomique, pollutions chimiques,...). Ainsi la question éthique s’est emparée de la recherche et les scientifiques oeuvrant dans des domaines sensibles font souvent le dos rond… On pourrait citer les miracles équivalents attendus vainement de l’industrie nucléaire ou, déjà, des nanotechnologies. Sans conteste les scientifiques, et singulièrement les plus réputés, ont une large part de responsabilité dans ces promesses exagérées dont ils tirent un certain profit (crédits,
notoriété,...). Il est étonnant que le public ne leur en tienne jamais rigueur, comme s’il était reconnaissant des rêves de lendemains qui chantent au moins autant que des progrès réels... L’anthropologue Marcel Mauss observait que « la magie a une telle autorité qu’en principe l’expérience contraire n’ébranle pas la croyance ; même les faits défavorables tournent en sa faveur... ». Il n’est donc pas de raison pour que les gourous de la science se fassent prudents ou procèdent régulièrement à une autocritique des promesses. De plus, la formation des scientifiques exclut l’histoire des sciences et l’apprentissage de la réflexion philosophique si bien que les chercheurs ne voient rien d’autre dans leur métier que la contribution au savoir, sans céder à des préoccupations sociales.

Alain Testart

Messages

  • "A tous les stades inférieurs de la société, la production était essentiellement commune ; il n’y a pas une classe, une catégorie de travailleurs, puis une autre, ni de luttes entre elles. La consommation des produits créés par les hommes était aussi commune, sans propriété privée. C’est le communisme primitif..."

    Friedrich Engels : L’Origine de la famille

    Rappelons que cela va au-delà d’une connaissance du passé : c’est une analyse de l’histoire de la propriété privée et de son rôle directeur de l’évolution sociale.

  • « Antérieur à l’évolutionnisme biologique, théorie scientifique, l’évolutionnisme social n’est, trop souvent, que le maquillage faussement scientifique d’un vieux problème philosophique dont il n’est nullement certain que l’observation et l’induction puissent un jour fournir la clef. »

    Claude Lévi-Strauss (1973)

  • Voici un exemple de l’absence totale de solidité de raisonnement de l’auteur : un texte concernant les Iroquois.

    « A. Testart avait coutume de dire que les sociétés du monde II, par exemple, étaient sans doute beaucoup plus éloignées les unes des autres que ne l’étaient entre elles les sociétés de classes. Aussi proposait-il de le répartir en trois ensembles : celui des « organisations minimales » (ignorant toute structure politique formelle), celui des « semi-États » (lignages, ou démocraties primitives) et enfin, celui des États (ignorant la propriété foncière, comme dans certains exemples africains). Le critère de différenciation s’affirme donc ici exclusivement politique.

    Or, il est permis de penser que ces différences de structures politiques vont de pair avec des différences de structures économiques, et que ces dernières sont indispensables pour expliquer la physionomie et la dynamique de ces types sociaux. Pour donner une première (et sans aucun doute très imparfaite) formulation de cette idée, je dirais que dans les sociétés à organisation minimale, ce sont des individus qui, en raison de leur richesse, assument un certain nombre de fonctions (économiques ou politiques) à caractère collectif. Tandis que dans les semi-Etats, ces fonctions sont au moins partiellement prises en charge par des structures collectives qui freinent, limitent ou orientent le développement des inégalités sociales.

    Je suis bien conscient du caractère à la fois fragile et lacunaire de cette hypothèse. Il faut déjà la confirmer, et pour cela vérifier dans le matériel ethnographique que la présence, ou l’absence, de telles structures économiques collectives est bel et bien liée à la présence ou à l’absence de structures politiques. Dans l’affirmative, il faudrait alors en dégager les conséquences pour l’évolution respective de ces deux types sociaux d’une manière bien plus précise que celle qu’on vient d’esquisser. »

    Il se promène. Il manie les mots. Il ’en conclue surtout rien. Il n’a aucun cadre de pensée, aucune méthode, aucun sens de philosophie de la recherche, aucun conception dialectique. Les Iroquois ont leurs plumes qui se dressent sur la tête !

  • Relisez les points fondamentaux de Marx et vous verrez que Darmangeat n’est pas un marxiste ouvert mais un éclectique :

    « Le résultat général auquel j’arrivai et qui, une fois acquis, servit de fil conducteur à mes études, peut brièvement se formuler ainsi : dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles. L’ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s’élève une superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de conscience sociale déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général. Ce n’est pas la conscience des êtres qui détermine leur être ; c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience. »

    Karl MARX, Contribution à la Critique de l’économie politique (1859)

  • « L’exercice consistant à prendre en compte tout l’éventail des variations nous oblige à repenser la nature des tendances de l’évolution et l’histoire des systèmes naturels. C’est parce que nous n’avons pas appliqué ce principe que nous en sommes venus à ignorer le fait pourtant incontestable que nous sommes encore et sans doute pour toujours à l’ère des bactéries. Nous aimerions croire que l’histoire de la vie est celle d’une marche vers la complexité. C’est bien sûr vrai en ce sens que les êtres les plus complexes ont eu tendance à se complexifier davantage : mais ce n’est pas l’histoire de la vie, c’est l’histoire des êtres les plus complexes... Nous voudrions croire que l’aspect le plus fondamental de l’arbre de la vie est cette tendance à la complexification, mais ce n’est pas le cas. Pour moi le trait le plus fondamental de l’arbre de la vie est la constance du mode bactérien. » affirme Stephen Jay Gould.

    S’il peut y avoir intérêt à comparer le mode révolution/évolution de la vie à celui des sociétés, encore faut-il ne pas prêter au Vivant des propriétés imaginaires et les calquer ensuite abusivement sur les sociétés humaines comme, par exemple, l’idéologie du progrès.

    « L’histoire de la vie ressemble à un gigantesque élagage ne laissant survivre qu’un petit nombre de lignée, lesquelles peuvent ensuite subir une différenciation ; mais elle ne ressemble pas à cette montée régulière de l’existence, de la complexité et de la diversité, comme on le raconte traditionnellement. (...) Pour les spécialistes, l’évolution est une adaptation aux conditions changeantes de l’environnement et non pas un progrès.
    (...) L’évolution de la vie à la surface de la planète est conforme au modèle du buisson touffu doté d’innombrables branches et continuellement élagué par le sinistre sécateur de l’extinction. Elle ne peut du tout être représentée par l’échelle d’une inévitable progrès. »

    La vie est belle (1989), Stephen Jay Gould,

  • Une des meilleures preuves, contrairement à ce que croit Darmangeat, que l’amélioration de la situation des femmes n’est pas récente et occidentale est la pornographie qui date des années 70 et a tellement pris de l’ampleur qu’on pourrait croire aujourd’hui qu’elle a toujours existé. Elle diffuse et banalise la violence faite aux femmes et le viol et même la pédophilie.

    Voici ce qu’écrit le sociologue Richard Poulin dans "Pornographie, rapports sociaux de sexe et pédophilisation" :

    En 1953, naissaient le magazine Playboy et la pornographie contemporaine. En 1963, était créé en France le magazine Lui. En 1965 au Royaume-Uni et, en 1968, aux États-Unis, paraissait Penthouse tandis qu’en 1972, le film Gorge profonde [Deep Throat] obtenait une audience débordant le ghetto des salles des cinémas pornographiques. Fondé en 1974, le magazine Hustler poussait plus loin les limites. L’arrivée successive des vidéocassettes, des DVD puis du Web engendrait une explosion de la production et de la consommation de la pornographie tout en modifiant profondément la structure des marchés. En Occident, les magazines voyaient décroître leur audience. Les nouvelles technologies favorisaient la consommation dans les lieux privés ; en conséquence, les salles de cinéma X disparaissaient. Dans un même mouvement, la production pornographique se transformait : le gonzo (un « divertissement d’humiliation » ou, en anglais, « humilitainment ») et la pornographie dite « amateur » envahissaient les marchés. Du coup, la pornographie facilement disponible devenait plus violente et humiliante. Elle influençait la pornographie « traditionnelle ». Les hardeuses étaient esquintées sur les lieux de tournage. En outre, la pornographie mettait en scène des jeunes femmes de plus en plus jeunes, des adolescentes, des écolières… Au point tel qu’il est maintenant difficile de distinguer cette pornographie utilisant des jeunes femmes à peine d’âge légal (barely legal) de celle qui exploite des mineures. En fait, à partir des sites Web annonçant des « teenies », des « youngies », des « jeunes filles », etc., et qui assurent que les jeunes sont âgées de 18 ans et plus, le surfeur accède facilement à des images, à des pages et à des sites de pornographie infantile.
    Dans les années 90, cette industrie et ce commerce du « fantasme sexuel » envahissaient l’ensemble des moyens de communication et influençaient la publicité, les médias, y compris les magazines féminins, la mode, la littérature, etc. Ses codes et son idéologie s’imposaient et transformaient les imaginaires ainsi que les pratiques sociales et intimes. La pornographie faisait désormais « chic » et branchée ; elle était même considérée comme un facteur de libération sexuelle (et non plus de soumission sexuelle). Les références à la pornographie étaient tellement systématiques qu’on en oubliait qu’il n’en avait pas toujours été ainsi. Elle participait à la sexualisation de la sphère publique ainsi qu’à l’hypersexualisation (ou la sexualisation accentuée) des filles.
    De son côté, l’industrie mondiale de la pornographie visait la reconnaissance, proclamait sa légitimité et s’achetait une vertu. Elle a désormais sa presse spécialisée, ses festivals du film, ses salons et ses foires, ses chaînes spécialisées de télévision, ses créneaux horaires sur les chaînes généralistes, ses émissions promotionnelles, ses sites qui foisonnent et qui sont parmi les plus rentables de la toile mondiale. Elle a également ses animatrices à la radio et à la télévision, ses invités aux talk shows populaires, ses séries télévisées et ses téléréalités, ses stars, etc. Bref, la pornographie s’est banalisée tout en offrant une idée glamour et excitante de ce que serait une « carrière » dans l’industrie. Le recrutement en est facilité. Elle serait même devenue pour les femmes une expression non seulement de leur liberté sexuelle, mais une façon de prendre confiance, d’exprimer leur sensualité et de renforcer leur « pouvoir sexuel », particulièrement de séduction.

  • Voici ce que dit Engels à propos de la situation des femmes avant l’avènement des sociétés de classe.

    « L’économie domestique communiste, où les femmes appartiennent pour la plupart, sinon toutes, à une seule et même gens, tandis que les hommes se divisent en gentes différentes, est la base concrète de cette prédominance des femmes universellement répandue dans les temps primitifs, et dont c’est le troisième mérite de Bachofen que d’en avoir fait la découverte. J’ajoute encore que les récits des voyageurs et des missionnaires sur le travail excessif qui incombe aux femmes chez les sauvages et les barbares ne contredisent nullement ce qui précède. La division du travail entre les deux sexes est conditionnée par des raisons tout autres que la position de la femme dans la société. Des peuples chez lesquels les femmes doivent travailler beaucoup plus qu’il ne conviendrait selon nos idées ont souvent pour les femmes beaucoup plus de considération véritable que nos Européens. La « dame » de la civilisation, entourée d’hommages simulés et devenue étrangère à tout travail véritable, a une position sociale de beaucoup inférieure à celle de la femme barbare, qui travaillait dur, qui comptait dans son peuple pour une véritable dame (lady, frowa, Frau : domina), et qui d’ailleurs en était une, de par son caractère. »

    C’est à dire que la catégorie de domination masculine est qualitativement différente lorsque l’on considère des sociétés qui n’ont pas de classes sociales. Les rapports entre les sexes peuvent prendre plusieurs formes différentes avec un niveau technique global similaire. En revanche, l’évolution générale des systèmes de filiation est similaire d’un peuple à l’autre.

    Maurice Godelier anthropologue se revendiquant du marxisme à l’époque, a étudié les Baruya un peuple de Nouvelle Guinée. Le système baruya présente ce type de société où les femmes travaillent beaucoup. Elles sont échangées directement entre les familles. Parmi leurs prérogatives, on compte la gestion des cochons qui est une ressource primordiale de cette société. Elles ont aussi le droit de vie ou de mort sur les nouveaux nés.
    Mais elle sont exclues de toute instance décisionnelle à l’opposé de ce qui se passe chez les Iroquois.

    Godelier souligne qu’il ne s’agit pas d’une société de classe. En revanche il montre que des tribus voisines, qui échangent les femmes contre les cochons, sont plus proches d’une société de classe dans la mesure où à la fois les femmes et les cochons ont un rôle primordial dans la production de richesses, les femmes prennent de fait le caractère de marchandise. Il s’en suit donc une extension des possibilités d’accumulation et un pas supplémentaire vers une société de classes.

    « Cette société Baruya pratiquait donc l’agriculture et l’élevage ce qui place les Baruya selon la classification de Morgan au stade moyen de la barbarie, contrairement aux Iroquois chasseurs-cueilleurs du stade inférieur de la barbarie. Ces éléments du développement des forces productives permettant de produire un excédent sont les prémisses économiques à l’instauration d’une société de classe. On peut noter l’existence de barres de sel pour monnaie d’échange, élément également absent chez les iroquois. »

    Ici, la domestication des animaux et l’élevage des troupeaux avaient développé une source de richesse insoupçonnée jusque-là et créé des rapports sociaux tout à fait nouveaux. jusqu’au stade inférieur de la barbarie, la richesse fixe avait consisté presque uniquement dans la maison, les vêtements, de grossiers bijoux et les instruments nécessaires à l’acquisition et à la préparation de la nourriture : barque, armes, ustensiles de ménage des plus rudimentaires. Quant à la nourriture, il fallait chaque jour la conquérir à nouveau. Désormais, les peuples pasteurs gagnaient du terrain : les Aryens, dans le Pendjab et la vallée du Gange aux Indes, aussi bien que dans les steppes encore plus abondamment arrosées de l’Oxus et de l’Iaxarte, les Sémites, sur les rives de l’Euphrate et du Tigre ; avec leurs troupeaux de chevaux, de chameaux, d’ânes, de bœufs, de moutons, de chèvres et de porcs, ils avaient acquis une propriété qui ne demandait qu’une surveillance et les soins les plus élémentaires pour se reproduire en nombre toujours croissant et pour fournir la nourriture la plus abondante en lait et en viande. Tous les moyens antérieurs pour se procurer des aliments passèrent à l’arrière-plan ; la chasse, cessant d’être une nécessité, devint alors un luxe.

    A qui donc appartenait cette richesse nouvelle ? A l’origine, elle appartenait sans aucun doute à la gens. Mais de bonne heure déjà la propriété privée des troupeaux a dû se développer. Il est difficile de dire si l’auteur de ce qu’on appelle le premier Livre de Moïse considérait le patriarche Abraham comme propriétaire de ses troupeaux en vertu de son droit propre [comme chef d’une communauté familiale], ou en vertu de sa qualité de chef effectivement héréditaire d’une gens. Ce qui est bien certain, c’est que nous ne devons pas nous le représenter comme propriétaire au sens moderne. Et ce qui est aussi certain, c’est qu’au seuil de l’histoire pour laquelle nous possédons des documents, nous trouvons que les troupeaux étaient déjà partout [propriété particulière des chefs de famille] [7], au même titre que les produits de l’art barbare : ustensiles de métal, articles de luxe, au même titre enfin que le bétail humain : les esclaves.

    Car l’esclavage aussi était inventé, dès ce moment-là.

    Par ailleurs il est faux de dire qu’Engels soutient que la propriété privée soit la seule et unique cause de la domination masculine, il dit que ces deux éléments sont corrélés :

    « Le mariage conjugal n’entre donc point dans l’histoire comme la réconciliation de l’homme et de la femme, et bien moins encore comme la forme suprême du mariage. Au contraire : il apparaît comme l’assujettissement d’un sexe par l’autre, comme la proclamation d’un conflit des deux sexes, inconnu jusque-là dans toute la préhistoire. Dans un vieux manuscrit inédit [7], composé par Marx et moi-même en 1846, je trouve ces lignes : « La première division du travail est celle entre l’homme et la femme pour la procréation. » Et je puis ajouter maintenant : La première opposition de classe qui se manifeste dans l’histoire coïncide avec le développement de l’antagonisme entre l’homme et la femme dans le mariage conjugal, et la première oppression de classe, avec l’oppression du sexe féminin par le sexe masculin. Le mariage conjugal fut un grand progrès historique, mais en même temps il ouvre, à côté de l’esclavage et de la propriété privée, cette époque qui se prolonge jusqu’à nos jours et dans laquelle chaque progrès est en même temps un pas en arrière relatif, puisque le bien-être et le développement des uns sont obtenus par la souffrance et le refoulement des autres. Le mariage conjugal est la forme-cellule de la société civilisée, forme sur laquelle nous pouvons déjà étudier la nature des antagonismes et des contradictions qui s’y développent pleinement. »

    Ce que note Engels c’est que l’assujettissement de la femme se fait de manière générale et approximative en même temps que l’apparition de l’esclavage. Il prend ses précautions dans les généralisations.

    Pour revenir aux Baruyas, Godelier présente la domination masculine matériel comme l’expression d’une supériorité symbolique du au pouvoir nourrisseur du sperme et à l’expropriation mythologique du pouvoir créateur des femmes.
    Ce que dit Godelier correspond au reproche que faisait Engels à Bachofen (ou encore aux jeunes hégéliens) de vouloir expliquer le développement historique par le développement des représentations religieuses, qui ne sont en fait que le reflet de modification de la vie réelle des hommes.

    Il dit :
    "la division du travail chez les Baruya ne peut expliquer la domination sociale des hommes, puisqu’elle la présuppose"
    En fait c’est Godelier lui-même qui présuppose que la division du travail ne peut pas engendrer la domination d’un sexe sur l’autre. C’est le développement des forces productives qui est la cause de la division du travail et qui fait apparaître ces antagonismes.
    Ce n’est ni la représentation des Baruya sous forme de mythe, ni une idée de domination qui s’impose aux homme d’on ne sait où et qui serait l’essence de l’homme.

    « La structure sociale et l’État résultent constamment du processus vital d’individus déterminés ; mais de ces individus non point tels qu’ils peuvent s’apparaître dans leur propre représentation ou apparaître dans celle d’autrui, mais tels qu’ils sont en réalité, c’est-à-dire, tels qu’ils œuvrent et produisent matériellement ; donc tels qu’ils agissent sur des bases et dans des conditions et limites matérielles déterminées et indépendantes de leur volonté. Les représentations que se font ces individus sont des idées soit sur leurs rapports avec la nature, soit sur leurs rapports entre eux, soit sur leur propre nature. Il est évident que, dans tous ces cas, ces représentations sont l’expression consciente réelle ou imaginaire de leurs rapports et de leur activité réels, de leur production, de leur commerce, de leur organisation politique et sociale. Il n’est possible d’émettre l’hypothèse inverse que si l’on suppose en dehors de l’esprit des individus réels, conditionnés matériellement, un autre esprit encore, un esprit particulier. Si l’expression consciente des conditions de vie réelles de ces individus est imaginaire, si, dans leurs représentations, ils mettent la réalité la tête en bas, ce phénomène est encore une conséquence de leur mode d’activité matériel borné et des rapports sociaux étriqués qui en résultent. »

    Marx et Engels, L’idéologie allemande

  • Laissez-moi poser trois questions les plus importantes :

    « 1) Les adversaires du matriarcat ne nient pas la présence du système matrilinéaire de parenté, puisqu’il existe aujourd’hui dans beaucoup de régions primitives. D’où est-ce que cette structure matrilinéaire est venue si ce n’est pas de l’époque matriarcale antique ?

    2) Pourquoi le passage de la parenté matrilinéaire à patrilinéaire a-t-il toujours été dans cette direction, jamais l’autre sens ?

    3) Pourquoi le système antique de la parenté matrilinéaire se trouve de nos jours seulement dans des régions primitives et jamais dans les nations patriarcales avancées, qui ont depuis longtemps perdu et oublié leurs origines matriarcales ? »

    Evelyn Reed, Le défi du matriarcat

  • Darmangeat écrit :

    « Engels, à la suite de Morgan,affirme à plusieurs reprises (je cite de mémoire) que "le conflit entre les sexes est inconnu dans toute la préhistoire", que la femme "y avait une situation fort considérée", qu’il y avait "prédominance des femmes dans toute la préhistoire", jusqu’à la "Barbarie supérieure", c’est-à-dire l’âge des métaux. Or, oui, je le maintiens, des centaines d’informations ultérieures ont heurté de front cette conception. Tous les horticulteurs ne traitent pas leurs femmes comme les Iroquois, tant s’en faut. Et y compris chez des chasseurs-cueilleurs nomades tels que les Inuits ou les Aborigènes d’Australie (ainsi que je le disais dès mon second message), la situation des femmes est tout sauf "prédominante". »

    Il est très audacieux d’écrire que « des centaines d’informations ultérieures ont heurté de front cette conception » d’Engels car nous ne savons jamais ce qui se passait aux stades précédents de cette même population qui a pu évoluer sur le terrain des moeurs par contact avec d’autres par exemple sans avoir accédé à un niveau économique et social nouveau.

    Par contre, toutes les études révèlent des restes matriarcaux et toutes relient ces restes à des sociétés les plus anciennes dans lesquelles n’existait pas la propriété privée. N’en déplaise à Darmangeat et pas par dogmatisme marxiste comme il le prétend quand on le contredit.

  • Voilà comment Darmangeat commente l’évolution de son maître à penser :

    « Alain Testart ne se réclamait plus du marxisme depuis longtemps, et il avait rejeté le matérialisme historique pour rechercher la pierre philosophale de l’explication des sociétés dans un hypothétique « rapport social fondamental ». Parmi ses thèses, importantes ou secondaires, nombreuses sont celles qui peuvent également être mises en cause. Mais quelle que soient leur validité, ces thèses sont fécondes, car elles prennent à bras-le-corps les questions de structure et d’évolution sociale, qu’elles bousculent les certitudes établies et les catégories si floues qu’elles n’expliquent plus rien ».

  • Franz de Waal dans « Le singe en nous » :

    « Dans ces populations égalitaristes, la notion même de monarchie est choquante. Je parle des Indiens Navajos, des Hottentots, des Pygmées Mbuti, des !Kung San, des Inuit, et j’en passe. Des communautés de chasseurs-cueilleurs à celles qui cultivent le sol, ces sociétés à petite échelle ont la réputation d’éliminer totalement les distinctions – autres que celles entre les sexes ou entre parents et enfants – liées à la richesse, au pouvoir et au statut. L’égalité et le partage priment. On pense communément que nos ancêtres immédiats vécurent ainsi pendant des millions d’années. »

  • Karl Marx dans « Critique de l’économie politique » :

    « L’histoire nous montre que la forme primitive, c’est la propriété commune, par exemple chez les Indiens, les Slaves, les anciens Celtes, etc., forme qui, en tant que propriété communale, jouera encore un rôle important. »

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