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Le débat : face à face entre Victor Hugo et Edmond de Goncourt, bourgeoisie révolutionnaire et bourgeoisie réactionnaire

lundi 18 novembre 2013, par Robert Paris

« - Que pensez-vous de Marat battant des mains à la guillotine ?

Hugo :- 93 ! J’attendais ce mot-là. Un nuage s’est formé pendant 1500 ans. Au bout de quinze siècles il a crevé. Vous faites le procès au coup de tonnerre. »

Victor Hugo et la révolution

Le débat : face à face entre Victor Hugo et Edmond de Goncourt, bourgeoisie révolutionnaire et bourgeoisie réactionnaire

Préambule : Le dialogue qui suit vise à montrer que la société française n’a pas eu qu’une bourgeoisie réactionnaire, incapable de penser en termes de l’humanité, en termes des sauts de l’Histoire, accrochée seulement à des privilèges, prête seulement à remplacer la noblesse féodale, incapable de vouloir comprendre et transformer le monde. Pour bien des gens, en effet, la bourgeoisie révolutionnaire n’a jamais existé et certains révolutionnaires prolétariens en ont été conduits, comme Lafargue, à considérer que la bourgeoisie n’avait pas fait avancer le monde, qu’elle avait seulement détourné une révolution populaire en la trahissant. C’est le cas encore aujourd’hui de certains groupes qui se disent révolutionnaires marxistes. Ces gens-là n’ont que mépris pour des auteurs révolutionnaires ou des personnages historiques qui ont mené les révolutions bourgeoises. Marx n’a jamais participé de ce type de raisonnements qui font comme si la révolution de 1789-1793 n’était en rien bourgeoise. Des personnages comme Victor Hugo, Michelet, Garibaldi ou Jaurès, ont été parmi les dernières manifestations de l’existence d’une bourgeoisie révolutionnaire qui, en 1789-1793 en France, avait fait faire un bond en avant à l’humanité. Certes, le régime bourgeois restait bien entendu un régime d’exploitation et donc d’oppression, mais de là à considérer que la révolution française n’avait rien changé et que la violence révolutionnaire n’avait nullement accouché d’une nouvelle société, c’est pousser un peu loin… Entre une société bardée de privilèges féodaux, de droits du sang, de droit permanent d’embastiller ses enfants ou de massacrer ses serfs, et la société bourgeoise cassant les vieilles corporations, les barrières de toutes sortes qui faisaient obstacle au progrès économique, social, scientifique, il y a eu un saut révolutionnaire. Certains révolutionnaires prétendent que la bourgeoisie n’a fait que tromper les masses populaires mobilisées, les bras nus, et c’est là aussi une grosse exagération, une déformation de la réalité historique. S’il est vrai qu’il y avait déjà une révolution communiste et quasiment prolétarienne au sein de la révolution bourgeoise, thèse de la révolution permanente au sein de la révolution bourgeoise, cela ne signifie pas que la révolution bourgeoise n’était qu’une tromperie. La bourgeoisie avait bel et bien une nouvelle société dont elle était porteuse et qui s’est révélée capable de dominer le monde. C’est bien qu’elle ne se contentait pas d’avoir quelques dirigeants politiques trompeurs dans des pays d’Europe de l’Ouest comme la France mais avait des capacités historiques réelles qui la rendaient plus efficace que les sociétés précédentes. Pour le prolétariat révolutionnaire, il est loin d’être indifférent d’avoir à se battre dans une société d’où le féodalisme a été éradiqué qu’un monde de l’Ancien Régime pour ne pas dire plus ancien… Si on veut bâtir le socialisme, il nous faudra les moyens scientifiques et techniques du capitalisme mais aussi les moyens sociaux, psychologiques, philosophiques, moraux que la bourgeoisie a dû mobiliser dans son combat. Les travaux d’auteurs comme Hugo en font partie, comme ceux d’historiens bourgeois comme Michelet ou de philosophes bourgeois comme Hegel. Le travail révolutionnaire de demain s’appuiera sur le travail révolutionnaire d’hier. Il débraiera la vieille société mais cela ne signifie pas qu’il fera table rase de l’histoire, des avancées révolutionnaires du passé, des révolutions sociales précédentes, mais au contraire qu’il s’en emparera, s’en revendiquera et en tirera les leçons…

Edmond

Cher Victor, je dois vous avouer combien j’admire votre capacité à considérer l’humanité avec une telle constance, une telle bienveillance qu’il semblerait que nous n’ayons pas devant nos yeux les mêmes êtres humains, les mêmes travers, les mêmes petitesses, les mêmes tares. A vous entendre et à vous lire, il semblerait que l’humanité n’est qu’une aventure de grande ampleur, pleine d’héroïsme, pleine de grandeur, pleine de buts élevés, depuis ses grands personnages et jusqu’au plus humble de ses membres, jusqu’au plus miteux pour ne pas dire au plus glauque. Comme tous vos lecteurs, j’ai l’impression de m’élever en vous lisant mais je retombe sans cesse en retrouvant mes semblables, une sous-humanité au regard de celle dont vous dressez le portrait. Permettez-moi de vous poser la question, Victor, quelle est votre recette pour voir chez ces êtres petits, viles, sales, mesquins, violents, pourris, parfois délirants de vices et de goûts immondes, cette grande race humaine porteuse d’un avenir historique grandiose, celui consistant à transformer le monde, à explorer toutes les possibilités de la nature et de la société ? J’avoue qu’après avoir débattu avec de multiples auteurs français dans tous les restaurants de Paris, je n’ai jamais rencontré un seul auteur, une seule intelligence qui voie, comme vous, un ange dans un bagnard, une femme d’un dévouement total dans une prostituée, un grand idéal dans le peuple des rues, un dévouement et un courage grandioses dans les révoltés des barricades… Pour tous les auteurs que j’ai rencontrés, comme pour mon frère ou pour moi, toute cette humanité grouillante sent bien plus la sueur, le vomi, la haine, les maladies, les vices dégoûtants, la bêtise et l’envie que le sens de l’Histoire, la gloire de l’aventure de l’esprit, de la conquête de mondes nouveaux, que le courage et l’audace de construire des avenirs encore inconnus. Comment pouvez-vous, grand poète de France que vous êtes, vous sentir des points communs avec ces sous-hommes ?

Victor

Vous n’êtes effectivement pas le seul, mon cher Edmond, à prendre l’apparence pour la réalité, la misère pour la honte, la pauvreté pour le pécher, le populaire pour la déchéance morale, le miséreux pour le misérable et le misérable pour le criminel potentiel, le peuple pour le contraire du progrès, de l’esprit, du grand, du beau… Vous n’êtes pas le seul à n’avoir vu dans la grande Révolution française autre chose que des masses populaires avides et violentes, des femmes délirantes et dangereuses, des étrangers se mêlant de l’histoire de France et des jeunes des rues menaçants. Loin de voir dans leur mouvement historique tout l’élan d’un espoir immense vers l’idéal, vers la liberté, vers la grandeur, vous n’y voyez qu’une menace pour les petits biens que vous avez pu conserver, pour les petits avantages de votre vie quotidienne, pour le petit bien-être que permet un petit bien hérité. Bien sûr, les masses déshéritées n’ont elles-mêmes pas toujours conscience du grand élan qui les porte. Elles marchent parfois en aveugles et la lueur de l’avenir ne leur parvient que de manière intermittente. Encore faut-il la chercher et constater que les peuples en marche sont une force grandiose qui mène vers la liberté, vers le changement radical, vers le progrès historique, vers un grand dessein.

Edmond

Ces gens-là, que votre générosité bâtit du doux nom de masses populaires, n’ont d’élan que vers les fusillades, vers la haine fratricide, vers le vol, vers la rapine. Je ne vois autour de moi dans le bas peuple que des haines sournoises, des jalousies violentes et des dispositions populaires à refaire ce qu’avaient fait les sans-culottes dans la révolution française : prendre en otage les gens honnêtes pour leur faire rendre gorge, juger tous ceux qui réussissent, tous ceux qui ont amassé une fortune par leur travail, tous ceux qui ont hérité d’un bien. Les ratés de toutes sortes, aigris, vengeurs, professionnels de la protestation, prêts à toutes les violences pour satisfaire leur avidité, pour détruire ce que d’autres ont construit, ces incapables qui ne savent que profiter de la bêtise populaire font la loi dans les révolutions. Croyez-moi qu’à l’époque de la Terreur révolutionnaire, vous qui en parlez tranquillement, seriez tout aussi accusé que moi de contre-révolution, de complot avec l’ennemi, de trahison et de complicité avec les ci-devants nobles. A l’époque de la Commune de Paris, vous auriez pu, comme je l’ai été, être obligé de quitter un bon restaurant parisien, accusé tout simplement de manger normalement ou de faire la fête par des meutes parisiennes qui nous auraient bien fait violence si elles en avaient eu envie. Et l’élan historique que vous imaginez dans le peuple français me semble bien plutôt un élan vers les guillotines pour les braves gens et la dictature des aigris, des bandits et des coupeurs de tête ! Je connais votre point de vue sur la liberté et je me souviens que vous proclamez avoir refusé, devant une foule républicaine, de crier « A bas la royauté ! » en revendiquant votre liberté individuelle et avez crié « Vive la liberté ! » Vous en tirez argument que le peuple est bonne pâte et ne vous en a pas voulu de ne pas avoir crié contre le roi et pour la république. J’en tire plutôt argument que le peuple est manipulable et peut détester une minute ce qu’il adorait la minute d’avant.

Victor

Je n’ai jamais prétendu que le peuple est rationnel et qu’il n’est peut pas être trompé. Mais la plus grande erreur serait d’être hostile à l’instinct populaire qui peut le conduire dans le sens de l’Histoire, dans le sens de la grandeur, dans le sens du progrès social et humain. Certains chefs politiques peuvent certes détourner les sentiments populaires à leur profit. Il n’empêche que les sentiments populaires représentent une force de transformation extraordinaire qu’il serait dommage de mépriser. Je comprends parfaitement votre crainte des masses assemblées bien que, personnellement, je ne l’aie jamais ressenti, même lorsque, comme vous le rappeliez, j’étais pour la royauté et le peuple était contre. Il m’est arrivé maintes fois d’être opposé aux buts immédiats que se donnaient les masses populaires, y compris dans la Commune de Paris, mais je n’ai jamais ressenti de haine à l’égard du peuple alors qu’il m’arrive d’en ressentir à l’égard de ses prétendus chefs militaires ou politiques. Il m’est arrivé de ne pas souhaiter converser avec des prétendus grands hommes mais je n’ai jamais refusé de parler au peuple. Je n’ai jamais craint de défendre mon point de vue en son sein et, dans la mesure où il sentait que c’était un point de vue d’homme libre, j’ai toujours reçu des marques de respect quels que soient mes divergences avec les masses assemblées. C’est dans les assemblées d’hommes politiques que j’ai ressenti le mépris et la haine. C’est là que j’ai souhaité quitter le débat pour ne plus y revenir. C’est là que je me suis senti étranger. C’est là que j’ai perdu momentanément confiance dans l’avenir de l’humanité. Jamais dans les assemblées populaires ! Jamais dans les révolutions ! Jamais quand le peuple se sentait porté par l’élan de l’avenir ! Et même si cet élan n’effaçait pas des décennies de misère morale, des décennies de misère matérielle et toutes les scories que ces siècles d’arriération continuaient de charrier avec eux. Au travers du passé, on voyait enfin reluire l’avenir….

Edmond

Je ne vois pas en quoi les miséreux seraient des représentants de l’avenir et les braves gens, les plus sérieux, les plus aisés, les représentants des classes avisées, éduquées, eux seraient des représentants de la barbarie passée. Je ne vois pas de quel avenir vous voulez nous parler. Hugo, je reconnais votre sens de la poésie, de l’imaginaire, de la beauté mais je crains que vous ne poétisiez là la lie de la terre, que vous n’imaginiez un avenir qui n’est fait que de boue et de sang. Vous avez dû vous-même reconnaitre que la Commune ne menait qu’au combat fratricide. Vous ne vous revendiquez pas de la Terreur ni des dérives de la Révolution française. Que n’en tirez-vous enfin la compréhension des véritables forces de progrès qui ne sont pas du tout dans les masses ignorantes qui agissent comme des enfants mais dans les élites bien pensantes qui assument leur rôle de direction de toute la société humaine et doivent périodiquement faire face à des retours de haine et de barbarie inévitables des peuples ! les révolutions ne font pas avancer l’Histoire et parfois elles nous menacent de nous faire retomber dans l’ornière la plus basse et des siècles en arrière….

Victor

Le risque de retomber des siècles en arrière existe toujours mais jamais quand on accepte les avancées de l’Histoire, seulement quand on les craint, quand on veut les freiner, les bloquer, quand on craint le peuple au lieu de lui offrir de véritables perspectives, quand on craint la révolution au lieu d’en prendre la tête. Ceux qui veulent le progrès ne peuvent pas craindre les moments où tous les freins sont rompus et où on va réellement de l’avant en quelques jours plus parfois qu’en quelques siècles ! Les plus dangereux sont alors les peureux, les timorés, les mesquins, les petits penseurs, les petits hommes politiques, prétendument vertueux mais réellement attachés à leurs petits avantages momentanés au point de vendre l’avenir pour garder leur platée du jour et qui, pour leur place à un repas dans un grand restaurant, vendraient l’avenir du monde !

Edmond

J’avoue que je ne suis pas prêt de sacrifier ma place au restaurant des plus aisés de ce monde. Je ne vois pas en quoi, cette place, je ne la mériterais, étant bien né, bien disposé, ayant les capacités de ma position, ayant les relations, les comportements adéquats à ma naissance et menant les travaux pour me faire reconnaitre de ce monde des bien pensants et des bien nés. Il n’y a rien là dedans que de simple et de naturel. Seuls les jaloux peuvent y trouver à redire. Car il est évident que tout le monde n’a pas sa place parmi les plus aisés de même que tout le monde ne peut se sentir à sa place dans un grand restaurant à deviser avec les grands penseurs, les grands poètes, les grands scientifiques comme les grands peintres. Une société bien faite est celle où chacun est à sa place et se sent bien à la place où il est. Inutile d’amener une vendeuse des saisons au restaurant chez Brabant pour y bavarder avec Renan…

Victor

Nul besoin pour moi de nier l’existence de groupes sociaux pour affirmer que nous sommes d’abord tous des hommes et pour affirmer haut et fort la grandeur de l’être humain perceptible jusque dans la plus infime créature, même chez les êtres descendus au plus bas niveau de l’échelle sociale, même chez la miséreuse, le bagnard et la prostituée.

Edmond

Eh bien, votre propos me donne le courage de vous poser une question difficile. Me le permettrez-vous, Hugo ?

Victor

Allez, avancez sans hésiter. Je n’ai rien à cacher.

Edmond

Eh bien, voilà ! J’aurais bien aimé savoir comment vous faites, vous Hugo, une gloire de la poésie française, un être voué aux pensées et aux sentiments les plus élevés, pour avoir choisi dans votre plus grande œuvre de faire des héros de quatre personnages qui sont comme vous les appelez : des misérables. Personnellement, quand j’entendais le mot misérable, je pensais toujours à misérable gredin, misérable voleur, misérable assassin. Ce mot m’a toujours fait frémir. Vos héros qui sont des misérables, les Cosette et les Gavroche, les Jean Valjean, ce sont la prostituée, sa fille servante, presque esclave, un bagnard voleur récidiviste et un gamin des rues, chapardeur et voleur, prêt au coup de feu et à la barricade… En France, tout ce que la population compte de braves gens déteste tous ces personnages, les craint et les hait de bon cœur et est prêt à les faire arrêter dès que nécessaire, à les accuser de tous les crimes et pourtant vous êtes parvenus à les faire aimer de ce même peuple des bonnes gens qui les a toujours détesté ou craint… Je ne dis pas que l’écrivain ne doive pas peindre la lie de la terre. J’ai moi-même écrit sur les prostituées, sur les criminels, sur les bandits mais je n’ai jamais eu de sympathie ni n’en ai donné pour mes personnages, qui sont seulement des bêtes de zoo qu’on observe avec attention, un peu de crainte et beaucoup de distance…. Non seulement je ne suis pas prêt de vous pardonner d’avoir réussi à faire de vos personnages de véritables grands hommes mais je ne comprends pas le peuple français qui vous a suivi dans votre amour des gens des bas fonds. Pour moi, cela explique votre propension, vous qui n’avez pas soutenu la Commune de Paris, à déclarer que vous hébergeriez tous les incendiaires de 1871, que vous les considérez comme des victimes injustement pourchassées, du moment que leur tentative a échoué et que l’on veut les attraper et les enfermer.

Victor

Vous ne me comprenez pas, Edmond, et je m’en doute bien. Comment pourrais-je soutenir les communards quand la Commune n’est plus au pouvoir, quand ses participants sont poursuivis, assassinés, pourchassés jusque dans des pays lointains alors que je ne soutenais pas, que je la critiquais quand ces mêmes personnes semblaient détenir tout le pouvoir sur Paris ? Eh bien, vous ne voyez pas que, dans ces deux situations aussi dissemblables que possibles, je conservais au fond la même position, accusant les classes dirigeantes d’avoir poussé le peuple parisien à la faute mais expliquant le geste des Parisiens, opprimés dans l’Empire, opprimés sous la République, opprimés sous les Prussiens. Je conservais ma sympathie au peuple parisien et menais toujours le même combat dans leur succès comme dans leurs échecs. Vous ne comprenez pas que je ne sois pas monté sur les barricades mais que je les magnifie dans mon roman. Vous ne comprenez pas que je ne soutienne pas le peuple révolutionnaire alors que j’en suis solidaire. Et vous ne comprenez pas où moi, Hugo, fils de noble, ayant obtenu la pairie de la royauté, ayant reçu la noblesse de ma poésie, comment je pourrais avoir la position qui est la mienne face aux révolutions des masses populaires ignorantes, avides, et … misérables ! Vous ne comprenez pas que, bien que j’aie obtenu le privilège d’appartenir à la chambre la plus loin du peuple, la plus proche de la noblesse, ma première intervention publique dans cette noble assemblée ait consisté à défendre le sort malheureux des prostituées. Mon cher Edmond, pas plus que vous ne parvenez à être autre que celui qui va déjeuner en bonne compagnie chez Brébant, malgré toutes les maladies digestives et autres que va vous procurer le vice de table que vous cultivez, eh bien moi, Victor Hugo, ayant attrapé très tôt le vice de tout ce qui est grand, de tout ce qui est beau, de tout ce qui est hardi, bref de tout ce qui entraîne l’humanité à être plus forte, je vois ce trait partout où vous ne le voyez nullement comme vous voyez un bon met et une tablée de bon aloi là où mes regards ne me portent nullement… Ce peuple, oui, je peux le désapprouver entièrement mais sans jamais m’en séparer jamais comme vous pouvez juger durement les propos tenus par les convives, ainsi que vous le faites dans votre journal, sans pour autant mettre la moindre barrière entre vous et les convives de chez Brébant.

Edmond

Et pourtant ! Pourtant, vous avez vu et vous avez critiqué les extrémités où se sont portés les communards ! Pourtant, vous avez vu et critiqué la manière dont ils ont usé du slogan de liberté ! Pourtant, vous avez regretté les reculs que cet épisode a valu à notre pays, comment le reste de l’Europe en profite pour nous piétiner ! Pourtant, vous avez reconnu que la Commune n’a pas réalisé ce que votre poésie, vos romans avaient placé en haute estime. Comment pouvez-vous tenir en vous ces deux Hugo aussi dissemblables, un homme éminemment respectable et respecté et un enthousiaste des révolutions ?

Victor

Vous avez raison, Edmond, de dire que je n’ai pas souhaité ni soutenu la division de la France en deux camps irrémédiablement opposés et se heurtant les armes à la main. Je n’ai pas soutenu le pouvoir de Versailles ni le pouvoir de Paris. Mais, contrairement à vous je n’en ai pas accusé le peuple parisien qui n’a fait que tomber dans le piège qui lui était tendu par ses dirigeants politiques. Ces derniers avaient développé de multiples provocations, laissant Paris sans nourriture, sans armes, face aux Prussiens, menant des offensives de pacotille contre les troupes adverses, davantage pour user le peuple que pour battre l’adversaire. Ensuite, il y a eu les attitudes consciemment et volontairement insultantes pour le peuple de Paris dont la dernière a été l’occupation militaire prussienne suivie de l’enlèvement des canons. Tout cela montrait un plan de bataille visant à faire la guerre au peuple parisien. Le gouvernement de Versailles n’a rien fait d’autre, avec le soutien des Prussiens ! Dans tous ces événements malheureux, catastrophique, je n’ai jamais changé de camp. J’ai accompagné le peuple dans ses souffrances, dans errements même, tout en les critiquant. Le peuple a toujours été ma famille et il le sent, il le sait, il m’a toujours compris. En un moment où on ne trouvait que des Communards et des anticommunards, je n’ai été ni l’un ni l’autre et le peuple ne me l’a pas reproché. Quand le peuple s’est trouvé en butte à la répression et même au massacre systématique, je n’ai pas eu à m’interroger longuement pour savoir dans quel camp je me retrouvais. J’étais encore et toujours avec le peuple.

Edmond

Mais avez-vous seulement mesuré toutes les avanies subies par les braves gens, les honnêtes gens du fait de cette Commune illégale, assassine, voleuse, destructrice de maisons, destructrice de l’ordre social et politique ? Je n’ai jamais eu la moindre sympathie pour Monsieur Thiers mais avez-vous compris que la dictature communarde, si elle n’avait pas été écrasée, faisait peser des menaces bien plus dangereuses que la répression des troupes de Thiers ? N’avez-vous pas vu que c’était toute l’écume de la société qui menaçait de remonter en surface et de devenir les détenteurs de la loi ? N’avez-vous pas ressenti le frisson des braves bourgeois quand la rue était tenue par ces fiers à bras, ces forts en gueule, ces matamores, ces gibiers de potence, ces candidats au bagne, ces Jean Valjean, ces Cosette, ces Gavroche. Ne voyez-vous pas comme vous les flattez, vous les rendez héroïques, vous les rendez grandioses, ces hommes et femmes des rues, ces fainéants, ces traînes misère, ces aigris, ces envieux, ces personnages de moins que rien. N’avez-vous pas ressenti toute la honte de la France, toute la honte de Paris, la honte que la capitale du monde civilisé soit la première au monde où les voleurs et les bandits, les aigris, les bagnards, les prostituées et les gamins des rues aient pris le pouvoir ? Vous glorifiez la passion populaire, le sens historique du peuple français et vous le glorifiez au moment où, au contraire, le peuple parisien va à l’encontre complet de tout sens de l’histoire de France, au moment où tous les esprits détraqués, les ratés aigris, les faux littérateurs, les mauvais peintres, les vrais démagogues se retrouvent dans ce qui se prétend le gouvernement de la Commune. Et derrière cette Commune, quel peuple ? Combien de femmes sans dignité, d’enfants sans autorité, de penseurs sans pensée, de parvenus, d’ambitions sans but, d’esprits étriqués. Et quel drapeau ! Rouge de sang ! Et ces gredins ont assassiné des prêtres et des généraux, ont démoli des maisons particulières, ont volé, pillé, violé, brûlé, démoli. Ils ont détruit la colonne Vendôme, la Mairie, les Tuileries, détruit la capitale. Comment voulez-vous qu’on admire ce qui se prétend le peuple de Paris et qui n’est que la pègre alliée aux bas-fonds et soutenue par les mauvais garçons et les filles de mauvaise vie ! Ces pétroleuses et ces buveuses de sang prétendaient tenir le pouvoir au vu et au su de tout le monde civilisé. Comment ne pas voir qu’on est plus proche d’une Prusse ennemie que d’un Paris aux mains des bandits ? Comment prétendre que l’aveuglement de Paris refusant de se rendre et faisant la guerre aux Versaillais jusqu’au dernier vivant n’est pas de l’héroïsme mais le symbole de la folie des Parisiens, ou du moins de ce qu’il en reste. Et vous Hugo, le symbole de la grande pensée, de l’élite, de la grandeur et de la démocratie française, il faut que vous preniez le parti de ce peuple-là, que vous le présentiez comme victime au moment même où il conviendrait d’appuyer la leçon cuisante qui vient d’être administrée, de marquer par le fer et le feu, de soutenir le coup qui frappe les révoltes inutiles, les prétentions illusoires des déshérités, des gredins, des idiots et des assassins. Et, vous Hugo, c’est le moment que vous avez choisi pour vous tenir à leurs côtés ! Moi aussi j’ai été frappé par l’effet impressionnant de la misère, de la déchéance, de l’horreur humaine, de ces milieux de la rue, de ces prostituées, de ces personnages sans but, sans jugement de valeur, sans culture, sans boussole, sans morale. Moi aussi je les ai décrit dans mes romans mais je n’y ai mis que de l’effroi, de la honte, de la gêne, ce que je ressentais de devoir considérer que ces gens étaient considérés comme la même humanité que nous. J’ai vu depuis longtemps vos Jean Valjean, vos Cosette, vos Gavroche mais je ne les ai jamais vus comme vous ! Je n’ai jamais idéalisé les Enjolras, les hommes des barricades et des clubs d’insurgés ! Je n’ai jamais pensé que les policiers comme Javert devaient avoir honte au point de se suicider de remords pour avoir passé sa vie à poursuivre un bagnard récidiviste en fuite ! Quelle image vous donnez, Hugo, de la police et de la justice ? Elles devraient avoir honte de protéger les honnêtes citoyens ? Leurs membres devraient avoir en tête que les criminels seraient des êtres humains de qualité se cachant sous des peaux de bêtes sauvages ? Dévaloriser les fonctions cruciales de l’Etat, accuser ses policiers, ses militaires, ses hautes autorités, dévaloriser le pouvoir en faisant croire que les ignares et les assassins pouvaient l’exercer, tout cela est impardonnable ! Vous, Hugo, qui êtes paire de France, qui avez fréquenté les rois et les gouvernants, les parlements et les cours de justice, vous qui savez toucher le cœur du peuple, non, je ne vous pardonne pas de prendre le parti des criminels !

Victor

Que vous voilà passionné, du coup, Edmond ! Nous ne sommes pas chez Brébant mais entre nous. N’oubliez pas que nous sommes seulement en train de célébrer que les troupes de lignes, qui ne savaient pas tirer sur les Prussiens, ont su le faire sur les Parisiens et tout cela pour que vous puissiez tranquillement vous goberger en devisant avec vos semblables et contre vos semblables et mourir de maladie de la rate comme votre frère ! N’oubliez pas que votre humanité prétendument supérieure a été divinement croquée par Flaubert dans « Bouvard et Pécuchet » qui y décrit le couple infernal que vous avez constitué avec votre frère. N’oubliez pas que vous, comme votre frère, avez complètement échoué à écrire un seul roman que les générations futures liront. Les aigris et les écrivains sans pensée, vous savez de qui il s’agit. Non, Edmond, restez ce que vous êtes, un petit bourgeois qui ne se mêle pas de politique, qui n’y comprend rien et discute dans le café du commerce sans jamais prétendre à autre chose. La Commune, vous l’avez décrite dans votre journal et on ne peut pas dire que vous étiez dans un camp ou dans un autre. Les événements étaient dramatiques mais vous passiez quand même d’un restaurant à l’autre ou caché sous votre lit quand on tirait dans les rues. Vous n’êtes pas de l’humanité qui était capable de choisir son camp, ni celui de Thiers ni celui de la Commune. Ne me reprochez donc pas de n’avoir soutenu ni l’un ni l’autre ! Vous croyez que je ne vois pas que la déchéance accompagne immanquablement la misère ? Je ne vois que ça ! Vous croyez que je ne sais pas que le banditisme se nourrit de la misère ? Je ne vois que ça ! Vous croyez que je ne sais pas que l’humanité, que la civilisation est un fil ténu qui peut casser à tout moment et qu’il ne faut pas tirer dessus comme si c’était une grosse corde en chanvre ! Mais, justement, c’était la responsabilité de classes dirigeantes de France de ne pas en arriver là où elles en sont venues. Ce sont elles qui ont mené le pays à la catastrophe dont elles accusent ensuite le seul peuple… Quand les classes dirigeantes sont incapables de faire avancer la marche de l’Histoire, il n’y a aucune raison de s’étonner si les peuples, eux, reprennent leur liberté pour aller de l’avant ! Si les classes dirigeantes en sont à quitter leurs capitales pour les bombarder, si les classes dirigeantes en sont à faire la guerre à coups de canons à leurs propres peuples, si leurs gouvernements légaux deviennent des chambres d’enregistrement des exécutions sommaires sans jugement, si leurs forces de l’ordre sont les massacreurs et les tortionnaires, alors il est normal que les peuples considèrent de leur droit de retirer leur crédit à ces classes dirigeantes et ces Etats qui les servent.

Edmond

Décidément, le seul droit que vous revendiquiez est le droit de faire la révolution ! Cette révolution qui marque tout votre roman, Les Misérables, qui selon vous, serait indispensable pour faire avancer les nations civilisées ! Comment peut-on souhaiter que le calme et la tranquillité soient remplacés par des bains de sang ? Comment peut-on souhaiter que le peuple cesse de faire confiance à ses classes dirigeantes, lui qui est évidemment destiné à être dirigé et pas à se diriger lui-même et qui vient une fois de trop de le démontrer ! Où est la démocratie dans le gouvernement des masses pauvres par elles-mêmes ? C’est, au contraire, la plus hideuse des dictatures ! Bien sûr que Flaubert nous a croqués et il a bien fait. Je n’ai jamais dit que nous, écrivains et penseurs, faisions partie d’une humanité supérieure mais, au moins, nous y aspirons, nous la recherchons. Certes, l’humanité se vautre dans ses propres excréments, dans ses maladies, dans ses vices et les classes supérieures n’y font pas exception. Je n’ai jamais prétendu le contraire. Leurs membres ont suffisamment protesté contre la manière dont je les décrivais dans mon Journal. Et, justement, je me révolte quand je vois que vous, Hugo, prétendez faire de nous tous des membres d’une future humanité vraiment humaine alors que nous savons tous que l’humanité est un cloaque ! J’ai le sentiment que la réalité est parfumée à l’odeur des déjections et que vous parlez comme si cela sentait le jasmin ! Vous idéalisez l’homme et, du coup, vous allez jusqu’à défendre l’indéfendable, des assassins et des bandits, des êtres haineux pleins de violence et de désir de vengeance de ne pas faire partie de la haute société et qui pactisent avec la lie de la terre…

Victor

Vous vous emportez, mon cher Edmond. Votre vie n’est pas faite d’autant d’enthousiasme que cette défense acharnée du monde actuel qui n’est encore qu’une transition vers la cité de l’homme de l’avenir. Mais pensez à ce que vous auriez dit si vous étiez un homme des siècles passés et que quelqu’un comme moi vous avait présenté la perspective du monde actuel. Pensez aux propos indignés que vous auriez proféré ! Il est tellement plus simple d’insulter l’avenir en prêchant le passé ! Tellement plus simple d’affirmer que l’humanité a fini son cours tumultueux et qu’elle n’a plus qu’à s’arrêter dans ce port calme où elle aurait enfin trouver son attache. Eh bien, non ! L’humanité a un cours impétueux et, au moment où on pourrait croire qu’elle est en train de se retrouver en station, elle repart violemment de l’avant, dans une course éperdue. Au moment où tout le monde fait comme vous, mon cher Edmond, et voue l’humanité à la stagnation, elle déjoue toutes ces prédications et fait un bond en avant… Bien sûr, votre propos est tellement rationnel. A vous entendre, il n’y aurait dans les milieux populaires que le choix entre bandits et policiers et le choix serait vite fait, entre gibier de potence et bourreaux. Entre les Javert et les Jean Valjean, pas besoin de vous demander quel serait votre choix. On pourrait croire que le peuple vous suit, lui qui suit les faits divers en vitupérant violemment contre les voleurs et les assassins et se passionnant pour les grands policiers dont les journalistes lui dressent un portrait flatteur. Mon roman, que vous reconnaissez comme un des rares à présenter un tableau inverse, en entraînant le peuple de France vous démontre combien il est présomptueux d’affirmer que le peuple pense ceci, que le peuple pense cela. Certes, le plus clair de son temps, le peuple ne fait que soutenir l’expression de ceux qui s’expriment, de la presse à scandales, de ses gouvernants, de ses classes dirigeantes. Mais, de loin en loin, un éclair, un signe, un geste vous montrent que la réalité du peuple, que son âme, que sa volonté sont ailleurs. Et, dans ce cas, avec vous, tous les autres Edmonds, tous les autres qui sont à peu près parvenus à sortir la tête hors de l’eau et qui craignez que les autres êtres humains vous l’enfoncent s’ils essaient eux aussi de se tirer de la fange, vous criez au crime, au meurtre, au viol, à l’attentat à la sainteté de l’ordre établi, au crime contre les honnêtes gens. Mais, que cela vous plaise ou pas, la grandeur est bien plus présente dans les élans de ce peuple de misérables que dans les participants aux libations du restaurant « Chez Brébant » et les propos que vous y échangez et que vous pensez être le plus haut niveau de la pensée libre ne sont que craintes et vilénies échangées contre le peuple. Vous ne voyez autour de vous qu’honnêtes bourgeois et malhonnêtes milieux populaires. Je ne vois que des êtres humains, grands jusque dans leur petitesse, poètes même dans leurs aspirations les plus bassement matérielles, ambitieux pour leurs proches, ambitieux pour l’humanité, pleins d’allant, prêts à risquer leur vie dès qu’une cause d’ampleur leur est proposée. Les classes dirigeantes, dès qu’elles se révèlent incapables de grands buts, rompent avec ce peuple et se retrouvent dans le camp de l’ordre, le camp des fusilleurs, le camp des Versaillais. Ils ne considèrent plus les travailleurs, les petites gens, les malheureux que comme chair à mitraille et qu’ils ne s’étonnent pas alors que le peuple réponde lui aussi au canon !

Edmond

Bel emballement, mon cher Victor, et à vous je veux bien reconnaître une certaine grandeur dans votre aveuglement concernant l’humanité. Vous représentez, comme littérateur, comme poète, comme grand penseur de votre époque, une lueur pour les hommes. Je regrette seulement que vous ne cherchiez pas à éclairer les plus démunis en leur montrant leurs errements dès qu’ils prétendent diriger eux-mêmes la société. Je n’ai jamais cru à l’humanité supérieure des écrivains et je la fréquente suffisamment pour en connaitre et en comprendre les limites. Cependant, je sais que l’univers des misérables n’est pas non plus celui des grandes idées ni d’un grand idéal même si j’admet que votre roman Les Misérables a amené le peuple à aspirer de se sentir grand, ce qui est déjà un grand succès pour vous et pour la littérature.

Victor

Edmond, nous humains n’allons pas seulement où nous guide notre corps et ne faisons pas seulement ce que notre cerveau nous dit de faire. Nous appartenons aussi à la collectivité humaine et sommes dirigés par la grandeur de l’Histoire qui nous dépasse et nous mène là où nous n’imaginions pas aller. Je n’ai pas approuvé la Commune et pourtant je sais que les parisiens ont été entraînés par des événements historiques à faire des choses de grande ampleur qui dépassaient largement ce qu’ils avaient l’intention de faire au départ. C’est cette lutte collective de l’Histoire qui est le plus grand personnage de mon roman. Là où vous voyez des pauvres, des voleurs, des travailleurs, des bourgeois, des policiers ou des juges, je vois une humanité en marche. C’est là où je vois beauté, grandeur, poésie, chaleur et soleil. Vous restez au froid glacial de l’intérêt égoïste. Vous êtes anxieux et déçu par les difficultés de l’existence, les difficultés de l’expression littéraire qui se refuse à vous donner de grandes satisfactions dans vos créations artistiques et vous ne voyez pas le lien avec votre refus de cesser de considérer l’homme comme vous considérez votre table de restaurant, comme une matière inerte qui devrait vous donner des satisfactions matérielles immédiates. Vous n’êtes que le chirurgien qui respire les effluves sortant des plaies du monde alors que j’exulte en voyant la médecine comprendre les maladies et soigner le monde. Vous vous placez en position du juge qui condamne, du bourreau qui exécute, du policier qui arrête, du gouvernement qui tranche dans le vif, de l’entrepreneur qui décide et impose et, du coup, même en moi vous voyez un homme des barricades, ce que je ne suis nullement. Vous êtes obsédés par la menace des milieux populaires : classes pauvres, classes dangereuses ! Au point que vous en oubliez que la société bourgeoise actuelle a eu besoin de s’appuyer sur les masses populaires pour faire sa grande révolution française, qu’elle a même eu besoin de cette terreur pour donner son caractère à la domination bourgeoise, que sans les masses populaires de Paris, c’en était fait du nouveau pouvoir bourgeois et on revenait à la féodalité qui allait remettre en place la vieille société et l’imposer dans un bain de sang comme l’a fait à Paris le bourreau et fusilleur Thiers qui assassine des vaincus quand ils sont à terre, quand ils ne représentent plus présentement aucun danger pour les classes dirigeantes, uniquement pour les salir de leur sang...

Edmond

Comment ne voyez-vous pas que toute société un tant soi peu civilisée a besoin périodiquement d’un bon bain de sang pour rappeler à chacun sa place et son rang et pour rappeler aux vicieux, aux aigris, aux bandits, aux sanguins qui sont les dirigeants comme on rappelle périodiquement aux enfants qu’ils ne font pas la loi aux adultes, comme un bon chien de berger rappelle où est le chemin au troupeau. Vous trouvez que les pauvres ont été injustement écrasés dans le sang à Paris mais vous ne voyez pas ce qu’aurait représenté pour la France une Commune invaincue, un pouvoir français incapable d’en finir lui-même avec ses pauvres en révolte, quelle déchéance historique pour la civilisation d’un des pays phares du monde civilisé ! Je n’ai personnellement aucune sympathie pour Thiers dont l’incompétence et la prétention nous ont conduits dans l’ornière où nous étions. Il a seulement fait ensuite ce qui était de son devoir vue la catastrophe où il nous avait menés. Je pense cependant que ce qui vient de se produire à Paris peut arriver maintenant n’importe où du moment que les travailleurs sont assemblés nombreux dans les villes et qu’à chaque fois les classes dirigeantes n’auront d’autre solution qu’un grand versement de sang populaire pour nettoyer la plaie avant de la refermer.

Victor

Dans ce cas mon cher Edmond, ne vous indignez pas que le peuple se retrouve contre vous et votre pouvoir assassin comme il s’est retrouvé dans la grande révolution française. La Commune est vaincue mais le peuple ne restera pas éternellement à terre. La transformation historique est interrompue. Mais personne n’arrêtera la marche de l’Histoire…

Victor Hugo : « Ce que représente la Commune est immense, elle pourrait faire de grandes choses, elle n’en fait que des petites. Et des petites choses qui sont des choses odieuses, c’est lamentable. Entendons-nous, je suis un homme de révolution.

J’accepte donc les grandes nécessités, à une seule condition : c’est qu’elles soient la confirmation des principes et non leur ébranlement. Toute ma pensée oscille entre ces deux pôles : « civilisation-révolution ». La construction d’une société égalitaire ne saurait découler que d’une recomposition de la société libérale elle-même. »

Avertissement : nous n’entendions nullement dans ce débat imaginaire faire de Hugo autre chose qu’un révolutionnaire bourgeois et certainement pas un communiste mais nous entendions rappeler qu’il y a eu une phase révolutionnaire de la bourgeoisie et cela concerne également la pensée bourgeoise…

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