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Campanella, l’utopie communiste

lundi 14 octobre 2013, par Robert Paris

Campanella, l’utopie communiste

On ne retient plus guère aujourd’hui le nom de T. Campanella parmi les philosophes qui ont compté à l’aube du XVIIe siècle. Cet ardent défenseur de Galilée, longtemps emprisonné pour la hardiesse de ses propres idées, a cependant joué un rôle non négligeable dans l’avènement d’une philosophie naturelle affranchie des traditions aristotéliciennes.

A vingt ans, il est envoyé dans une plus grande ville, à Cosenza. C’est là qu’il « tombe » sur le De rerum natura de Bernardino Telesio, véritable manifeste de l’antiaristotélisme. Campanella avait déjà lu « tous les commentateurs d’Aristote, grecs, latins et arabes », et était enclin à penser que l’aristotélisme « faisait passer le faux pour vrai » : Telesio le convainc définitivement. Campanella n’a pas le temps de le rencontrer : sur son cercueil, exposé dans la cathédrale, il dépose une Elégie. L’hommage est mal pris par ses supérieurs, qui le contraignent à retourner dans un petit couvent perdu de l’Altomonte. Campanella, en défense de la pensée de Telesio, y rédige son premier livre, Philosophia sensibus demonstrata. La lutte contre l’aristotélisme, le renversement de la scolastique, la refonte des sciences à la lumière de la philosophie naturelle esquissaient les « premiers pas » d’une plus vaste réforme intellectuelle, morale, politique, religieuse qui eût pu régénérer l’humanité tout entière.

La publication, en 1591, de la Philosophia sensibus demonstrata vaut à Campanella son premier procès pour hérésie et pratiques magiques. Après quelques mois de prison, il est acquitté en août 1592 ­ malgré l’hystérie des accusateurs, acharnés à montrer qu’il logeait sous l’ongle du petit doigt un démon qui lui soufflait tout son savoir ­ mais sommé de retourner en Calabre.

Campanella fait exactement le contraire : cap vers Rome puis le nord de l’Italie. A Florence, il rencontre le grand-duc afin d’obtenir, en vain, une chaire universitaire qui lui aurait permis d’enseigner ­ « peut-être bien mieux que les autres » ­ les doctrines anciennes et modernes.

A Padoue, il s’inscrit à la faculté comme étudiant espagnol, entreprend des études de médecine, rédige une Physique, une Rhétorique et un traité sur le Gouvernement ecclésiastique, mais, surtout, se lie avec Galilée, dont il sera un compagnon fidèle et pour la défense duquel il écrira l’Apologia pro Galileo. Sa vie, cependant, tourne de plus en plus en enfer.

A Bologne, des émissaires du Saint-Office séquestrent tous ses manuscrits. A Padoue, il est arrêté pour sodomie, puis libéré, puis de nouveau incarcéré. On l’accuse de presque tout, de ne pas avoir dénoncé à l’Inquisition un juif converti puis revenu à sa religion, de pratiquer la divination, de tenir des propos irrespectueux, de soutenir des théories matérialistes" Campanella a beau écrire un Dialogue contre les luthériens, les calvinistes et autres hérétiques et maints ouvrages témoignant de son attachement à l’Eglise et de la foi en son triomphe : entre 1593 et 1597, il sera enfermé de nouveau à Padoue avant d’aller rejoindre Giordano Bruno à la prison du Saint-Office à Rome et d’être assigné à résidence au couvent de Sainte-Sabine. Fin 1597, libéré, il est contraint de retourner dans son village de Calabre.

C’est probablement vers cette époque, pensant que l’Espagne hégémonique pouvait réaliser, sous un Etat idéal, une « monarchie du Christ », l’unité du monde, qu’il compose (ou commence à composer) la Monarchie d’Espagne. Mais cette fois, le « dessein d’un renouveau politique-religieux dont il est persuadé être le prophète, l’artisan et le chef », comme l’a écrit Eugenio Garin, Campanella, qui a alors juste trente ans, ne le traduit pas seulement par la production frénétique d’ouvrages savants. Il se fait propagandiste, prédicateur, nouveau Savonarole prêchant son message révolutionnaire aux paysans, « à une foule de mécontents, de criminels, de rêveurs, (") aux humiliés, aux âmes fatiguées du joug espagnol et féodal » (Luigi Firpo). De fait, il devient l’inspirateur d’une énorme conjuration politique et religieuse qui, avant de pouvoir réaliser cette Cité du soleil fondée sur des principes rationnels et naturels, telle qu’il la décrira plus tard dans son oeuvre la plus célèbre, aurait au moins soulevé le peuple calabrais contre le « joug espagnol » et l’autorité du vice-roi ­ dans un sens donc exactement contraire à celui qu’indique la Monarchie d’Espagne. Le complot est découvert, et les autorités espagnoles déclencheront une répression impitoyable : arrestations par centaines des conjurés, exécutions sommaires, tortures. Trahi par deux conspirateurs, Campanella est arrêté en septembre 1599. Il sortira de prison à plus de soixante ans.

La cité du Soleil, parue en 1623

Qui était Campanella

La cosmologie évolutive de Campanella

Campanella, Etude critique sur sa vie et sur la Cité du Soleil, Lafargue

“- Au milieu de la vaste plaine, dont je t’ai parlé, s’élève une immense colline sur laquelle s’échelonne la plus grande partie de la ville qui s’étend bien au-delà du pied de la montagne, car elle a un diamètre de plus de deux miles et un circuit de sept. Joins à cela, pour te faire une idée de sa grandeur, qu’à cause de la convexité de la colline, elle contient plus d’édifices que si elle était dans la plaine. La cité est divisée en sept cercles immenses qui portent les noms des sept planètes. On va de l’un à l’autre de ces cercles par quatre rues et quatre portes qui correspondent aux quatre points cardinaux. La ville est ainsi bâtie que, si l’on s’emparait du premier cercle, il faudrait redoubler d’efforts pour se rendre maître du second, et encore plus pour le troisième, et ainsi de suite, car il faudrait la prendre sept fois pour la vaincre. Je pense, quant à moi, qu’on ne pourrait pas même forcer la première enceinte, tant elle est solide, flanquée de terre-pleins, munie de toute sorte de défenses, telles que tours, bombardes et fossés.

J’entrai dans la cité par la porte du Septentrion, qui est recouverte de fer et ainsi faite qu’on peut la lever, la baisser et la fermer solidement, grâce aux rainures habilement ménagées dans les murs massifs, et je me trouvai dans un espace de soixante-dix pieds, qui sépare la première muraille de la seconde. De là on voit d’immenses palais tous unis par le mur du second cercle, de manière à ce qu’ils paraissent ne former qu’un seul bâtiment. Du milieu de la hauteur de ces palais s’avancent de larges corniches qui font tout le tour du mur circulaire et qui servent de terrasses. Elles sont soutenues par de grandes colonnes qui forment, au-dessous des terrasses, un élégant portique semblable à un péristyle ou aux cloîtres qu’on voit dans les couvents. Les palais n’ont d’entrée inférieure qu’en dedans, du côté concave de la muraille. On pénètre de plain-pied dans le bas, et l’on monte dans de vastes galeries, toutes semblables entre elles, par des escaliers de marbre. Ces galeries communiquent avec la partie la plus élevée, qui est fort belle et percée de fenêtres du côté convexe ainsi que du côté concave. Ces étages supérieurs se distinguent par des murailles plus minces, car le mur convexe, c’est-à-dire l’extérieur, a une épaisseur de huit palmes, et le concave de trois ; les murs intérieurs n’ont qu’une palme ou une palme et demie. Ayant traversé cette enceinte, on se trouve sur une seconde esplanade plus étroite d’environ trois pieds que la première ; le premier mur du second cercle est orné de terrasses semblables. Un second mur renferme également les palais à l’intérieur. Cette enceinte a, comme l’autre, un péristyle, et les galeries où sont les portes des étages supérieurs renferment des peintures admirables. On arrive ainsi jusqu’au dernier cercle en traversant des esplanades, toutes pareilles, et de doubles murs, renfermant les palais, ornés de terrasses et de galeries soutenues par des colonnes, toujours sur un plan uni. Cependant, entre la porte extérieure et la porte intérieure de chaque enceinte, on monte quelques marches, mais elles sont faites de telle sorte qu’elles sont presque insensibles, car la pente est oblique et les degrés sont à peine séparés l’un de l’autre par leur élévation. Sur le sommet de la colline se trouve un plateau vaste et plane, et au milieu un temple admirablement construit.

L’hospitalier

 Continue, je t’en supplie, continue.

Le génois

 Ce temple est circulaire et n’est pas entouré d’un mur, mais de fortes colonnes d’un travail exquis. Un grand dôme, qui en supporte un plus petit, s’élève soutenu par elles, et dans ce dernier on a pratiqué une ouverture qui se trouve directement au-dessus de l’autel unique placé au milieu du temple, dont la circonférence est de plus de trois cent cinquante pieds. Au-dessus des chapiteaux des colonnes s’avance une corniche de près de huit pieds, soutenue par un autre rang de colonnes ayant pour base un mur haut de trois pieds. Entre ce mur et les premières colonnes est une galerie dont le pavé est très précieux. Dans la partie concave du mur, percé de larges portes, sont des sièges massifs, et entre les colonnes intérieures, qui soutiennent le temple, des sièges mobiles et gracieux. On ne voit sur l’autel qu’un vaste globe sur lequel est dépeint le firmament, et un autre globe représentant la terre. Dans l’intérieur du grand dôme on a représenté toutes les étoiles du ciel, depuis la première jusqu’à la sixième grandeur. Trois vers, écrits sous chacune d’elles, disent leurs noms et l’influence qu’elles ont chacune sur les choses terrestres. Les pôles et les cercles, grands et petits, y sont aussi peint suivant leur horizon, mais incomplètement, puisque la moitié du globe manque, le dôme n’étant qu’une demi-sphère. On peut se perfectionner dans la science par l’inspection des globes qui sont sur l’autel. Le pavé est resplendissant de pierres précieuses. Sept lampes d’or, qui portent le nom des planètes, brûlent toujours. Sur le temple, le petit dôme est entouré de petites cellules, et un grand nombre d’autres cellules, vastes et belles, habitées par quarante-neuf prêtres et religieux, sont bâties sur la plate-forme ou terrasse formée par la corniche qui entoure le temple. Au sommet de la petite coupole est une girouette très mobile qui indique jusqu’à trente-six directions des vents. C’est à l’aide de cette girouette qu’ils connaissent si l’année sera bonne ou mauvaise pour leur climat, et toutes les variations du temps sur terre et sur mer. On conserve, au-dessous de la girouette, un livre écrit avec des lettres d’or traitant de ces matières-là.”

Campanella (Tommaso), La Cité du soleil

Le mystère Campanella

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