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La découverte scientifique est-elle un phénomène entièrement rationnel ? Au travers de l’exemple de la découverte du vaccin par Pasteur.

vendredi 2 août 2013, par Robert Paris

La découverte scientifique est-elle un phénomène entièrement rationnel ? Au travers de l’exemple de la découverte du vaccin par Pasteur.

La plupart des gens pensent que la découverte scientifique est quelque chose de parfaitement rationnel. Tâchons de les démentir.
Examinons la découverte du vaccin de la rage, et du coup du principe même du vaccin, par Pasteur.

Effectivement, sans la découverte du virus de la rage et de son vaccin, les vaccins n’auraient pas été découverts de si tôt. En effet, par la suite, tous les virus se sont montrés rétifs au soin par vaccin. Et c’est un hasard si le premier virus sur lequel on ait tenté un vaccin ait été justement un des rares à pouvoir être traité ainsi.

Mais les hasards ne s’arrêtent pas là, pour ce seul exemple…

Quand Pasteur découvre le virus de la rage et son vaccin, il bénéficie d’un concours de circonstances favorables (ce qui n’enlève rien à son mérite vu qu’il n’est même pas médecin et n’a pas légalement le droit même de pratiquer une vaccination), circonstances qui vont permettre de faire reconnaître et de diffuser rapidement la nouvelle du succès et de le cautionner publiquement sans que tout cela découle directement des faits prouvés eux-mêmes.

Tout d’abord, cela nécessitait que Pasteur dispose du vaccin bien avant d’avoir un jeune garçon mordu par un chien atteint de la rage ou soupçonné de l’être.

Ensuite, il fallait que l’opinion admette ce qui lui en était dit : que le jeune garçon avait effectivement la rage et pas seulement à l’état bénin ce qui lui aurait permis de guérir tout seul, puis de croire que c’est effectivement le vaccin qui l’avait guéri et pas sa bonne santé ! Impossible en effet d’en faire la preuve. Impossible à l’époque de comprendre par quel mécanisme un vaccin, contenant à l’état bénin la même maladie de la rage, pouvait soigner un malade menacé d’avoir attrapé la rage ! Cet exemple de la rage montre qu’il entre une part d’irrationnel dans le fait qu’une avancée scientifique soit acceptée par l’opinion. Et, si ce n’était pas le cas, il aurait alors été difficile d’administrer à l’époque la preuve de la méthode. D’autant que Pasteur n’était pas un scientifique reconnu. Même l’opinion publique des scientifiques devait être changée et elle ne l’est jamais sur de seuls critères scientifiques. Car il y a un grand conservatisme des spécialistes de sciences.

D’ailleurs, la logique même ne semblait pas donner raison à une telle proposition : soigner une maladie en la communiquant, même à l’état bénin…

C’est seulement avec la découverte des mécanismes de l’immunologie que l’on a pu comprendre le fonctionnement des vaccins. Car, avant le vaccin de la rage, aucun vaccin n’avait réussi. Et d’ailleurs, longtemps après le vaccin de la rage, on ne devait être capable de soigner un autre virus par un vaccin ! Si des tentatives d’expérimenter l’idée de vaccin sur un virus avaient été faites dans d’autres cas, ils auraient plutôt démontré l’inefficacité de la méthode !

Quant à Pasteur, ce n’est pas non plus par l’expérience de la vaccination du jeune homme qu’il a été amené à croire à l’efficacité des vaccins bien entendu. Il fallait qu’il ait été amené à croire à cette méthode bien avant sur les animaux et à l’avoir expérimentée ainsi et aussi à avoir vu d’autres phénomènes qui laissaient entendre une telle vaccination par maladie attrapée à l’état bénin. Par exemple, certaines populations exposées dès l’enfance n’attrapent pas certaines maladies.

Que les mécanismes de l’immunologie aient été connus de nombreuses années après la découverte de Pasteur et sa reconnaissance par le milieu scientifique prouve bien que l’on n’attend pas la véritable preuve par explication pour reconnaître une idée comme scientifique.

D’ailleurs, comme on le lira dans les annexes qui suivent le texte, l’expérience de vaccination qui a fait connaître Pasteur est la plus contestable et il semble même certain que le chien n’avait pas la rage !!! Par contre, une expérience précédente n’a pas été connue bien qu’elle ait marché mais du fait du décès du patient pour une autre raison ! L’exemple qui a servi à justifier la notoriété de Pasteur serait donc fausse et elle a failli ne pas avoir lieu car ce dernier n’osait pas intervenir, n’en ayant pas le droit parce qu’il n’était pas médecin. C’est parce qu’à la dernière minute deux médecins ont pris la responsabilité de l’intervention qu’elle a finalement eu lieu. En tout cas, aucune vérification du fait que le chien avait ou pas la rage n’a été faite et on voit là que la rationalité de la science est très loin d’être sans discontinuité…. On a davantage cru Pasteur pour une série d’autres raisons comme d’autres efficacités de vaccins mais pas face à des virus ! Et de plus, Pasteur lui-même fondait son vaccin sur des justifications théoriques fausses, comme on le verra à la fin !

Conclusion : on est arrivés à un résultat exact à partir d’une série d’expériences plus ou moins fausses et d’appréciations non entièrement rationnelles et non totalement exactes… Les chemins de la science sont loin d’être aussi rectilignes que ses défenseurs le prétendent souvent.

Remarquons à cette occasion que la rationalité de l’immunologie est bien particulière : c’est la logique dialectique et non la logique formelle.

C’est en effet la dialectique du « soi » et du « non-soi » qui la gouverne et elle est tout à fait opposée à la logique du bon sens appelée encore logique formelle. En effet, le corps humain a besoin de contracter les éléments du « non-soi » et de les mettre en contact avec les lyphocytes T pour définir par opposition ce qu’est le « soi » ! Le soi n’est donc rien d’autre que la négation du non-soi. Négation de la négation est le terme même de l’immunologie déclare le spécialiste du domaine Jean-Claude Ameisen, employant ainsi la même expression que le dialecticien Friedrich Hegel. Et dans le même sens…

Le soi et le non soi sont donc des contraires interdépendants, complètement imbriqués, aussi bien que le rationnel et l’irrationnel, la vie et la mort, la matière et la lumière, etc… Nous sommes habitués à les opposer diamétralement mais ils s’opposent dialectiquement.

Par exemple, on peut opposer matière et lumière mais ils se composent de manière inséparable sans cesse. De même que matière et vide. Les deux sont imbriqués et inséparables. De même encore qu’espace et temps. Ou encore l’homme et l’animal.

L’opposition est partiellement valide mais jamais on ne peut considérer les deux comme entièrement séparés et il faut au contraire les considérer dans leur unité.

Il en va de même du rationnel et de l’irrationnel dans la pensée humaine.

Il est exact que l’homme tâche de raisonner rationnellement, qu’il est sans cesse, et tout particulièrement dans les sciences, soucieux de justifier toutes ses pensées par des liens, des relations, des justifications aussi fondées que possible sur les observations et autres connaissances reconnues soit par raisonnement soit par observation et généralement par es liens entre les deux utilisant les outils conceptuels fabriqués par les sciences et confirmés par elles.

Cependant, toute cette démarche, nous allons le voir, est fort loin d’exclure complètement et définitivement l’irrationnel, la croyance du scientifique, des autres scientifiques, de la communauté scientifique, pour ne pas dire parfois des classes dirigeantes et de l’opinion publique.

Les buts même de la science ne sont pas intégralement scientifiques. Ils sont économiques, industriels, sociaux, politiques, liés donc aux intérêts des classes dirigeantes. Les buts des recherches scientifiques ont même longtemps été magiques ou religieux. On a observé les étoiles et les planètes pour en tirer des prédictions astrologiques. On a observé encore avant les animaux pour faire appel aux dieux animaux des chasseurs. La chimie est née de l’alchimie. Toutes les disciplines liées à la psychologie ou aux substances hallucinogènes sont liées à la recherche des moyens de faire parler l’esprit des morts ou des démons et utilisés par des sorciers, des mages, des mystiques, des ascètes, …

Ce qui apparaît rationnel à une époque ne comprend que les idées reçues de cette époque. Par contre, il n’y a pas moyen d’accéder à des idées scientifiques nouvelles sans bousculer ces idées reçues, en affirmant des choses qui heurtent la rationalité de l’époque, c’est-à-dire en développant ce qu’Einstein appelait des « idées folles ». Il pensait d’ailleurs qu’à son époque on n’avait « pas trouvé une idée assez folle pour expliquer la matière et la lumière ». Pourtant, il est quand même celui qui avait produit deux des grandes idées folles de son époque en physique avec la discontinuité (quanta) des échanges d’énergie et avec l’impossible simultanéité des événements (relativité du temps).

Il avait même utilisé pour cela la thermodynamique de Boltzmann, longtemps condamnée par la communauté des physiciens pour son caractère probabiliste et donc ne correspondant pas à la logique formelle, en l’appliquant avec Planck à la lumière et à la matière dans leurs manifestations dites élémentaires : quanta de lumière et de matière. Einstein lui-même n’était nullement satisfait, dans son réalisme philosophique, par le résultat fondamentalement probabiliste de sa découverte. En effet, quand on dit que le photon a tel pourcentage de probabilité d’être réfléchi ou réfracté en arrivant à une surface de séparation entre air et eau, cela ne dit nullement ce qui se passe quand le photon individuel y arrive. D’abord le photon individuel n’est nullement au même niveau qu’une probabilité qui est une loi qui explique ce qui se passe sur un très grand nombre d’expériences. Un individu n’a nullement besoin d’obéir aux lois probabilistes. Un phénomène de probabilité nulle peut parfaitement se produire sans heurter la loi…

Donc les lois probabilistes de la physique ont beau être très bien vérifiées – et elles le sont -, elles restent très insatisfaisantes pour la logique dite « de cause à effet » puisqu’elles ne disent pas « ce qui se passe quand ».

Même une loi comme celle de Newton de la gravitation qui n’est pas probabiliste ne répond pas à ce type de question car elle ne dit rien sur la manière dont une masse est amenée à modifier son mouvement du fait de la présence d’une autre masse.

Mais même avec les interprétations relativistes, on ne sait toujours pas ce qu’est véritablement la masse. Le boson de Higgs explique seulement comment cette propriété se déplace d’une particule virtuelle à une autre.

Or la physique ne peut se ramener à de seules équations car les éléments de la physique sont des phénomènes et non des quantités purement numériques.

L’idéal mathématique de pureté que les adeptes d’une physique mathématique ont instauré à un caractère beaucoup plus idéologique que scientifique.

On peut même dire que l’idée d’une pureté des lois de la nature est plutôt l’objectif de penseurs religieux ou mystiques plus que de penseurs d’une philosophie de la science et de la nature.

L’idée d’une pure rationalité, s’opposant diamétralement à l’irrationnelle, est curieusement beaucoup moins rationnelle et scientifique et beaucoup plus religieuse qu’il n’y paraît.

On trouve la notion de pureté logique de la science chez des penseurs mystico-religieux comme Leibniz. Pour ceux-là, la nature est une création parfaite et l’étude de la nature doit chercher à imiter cette perfection. Ils ont cru trouver dans les mathématiques ce type de perfection pure indiscutable qui doit incarner le caractère divin, selon eux, de la nature….

La recherche de la rationalité pure n’est donc pas spécialement rationnelles…

Mais, pour celui qui observe véritablement la nature, il est très loin d’y voir un ordre pur, sans désordre, une rationalité pure, sans la moindre irrationalité, une loi sans contradictions, un monde marqué par la perfection, la logique formelle ou la loi de cause à effet pure. Que l’on observe une forêt, une montagne, un climat, ou tout autre phénomène naturel, on est très loin d’un ordre sans désordre, d’une rationalité sans la moindre irrationalité, qu’il s’agisse des hasards, des désordres, des éléments sans nécessité apparente, etc…

En fait, la pensée rationaliste est très loin d’avoir comme seul fondement l’étude rationnelle de la nature. Elle est plutôt une nécessité sociale et politique des classes bourgeoises dans une phase où, en même temps que les techniques et l’industrie, la science prenait un essor particulier. Et surtout, en même temps que l’essor de l’économie, il y avait celui d’une classe bourgeoise qui avait besoin, politiquement et socialement, de secouer le joug idéologique du féodalisme en cultivant le rationalisme.

C’est de là qu’est née et que s’est développée l’idée d’opposer diamétralement rationalité et irrationalité. Le premier a été réservé à la science et le deuxième à la religion, les classes dirigeantes proposant un partage des rôles plutôt qu’un combat permanent.

Cette opposition diamétrale, qui encore cours aujourd’hui dans la pensée dominante c’est-à-dire celle des classes dirigeantes, n’est pas fondée sur une véritable étude de la pensée humaine et de ses fondements scientifiques. Au contraire, l’étude du cerveau et de ses fonctions nous montre que l’irrationnel est un élément indispensable de la fonction de raisonnement rationnel de l’homme, sa source étant les hypothèses irrationnelles que proposent sans cesse le cerveau.

On peut lire sur ce thème : L’intelligence est-elle uniquement fondée sur le rationnel ?

La découverte a besoin elle aussi de cette dimension irrationnelle de la pensée humaine, aussi bien pour proposer des solutions aux grands problèmes de sciences (les réponses folles dont parlait Einstein) que pour fonder des concepts nouveaux dont on n’avait pas encore idée et qui ne peuvent naître qu’à l’aide de l’imagination humaine, l’observation et la mesure ne permettant de mesurer et d’observer que des choses que l’on a préalablement imaginé de mesurer et d’observer. Encore une fois, l’expérience scientifique doit être pensée avant d’être réalisée et parfois même le simple fait d’avoir été pensée donne une réponse sans même avoir réalisé l’expérience.

Plusieurs grands scientifiques comme la mathématicien-physicien et philosophe Poincaré ont noté que la découverte scientifique faisait appel au rêve, à l’intuition, à l’inconscient pour imaginer des réponses nouvelles que notre cerveau éveillé n’ose pas nécessairement examiner car ces hypothèses semblent trop irrationnelles…

« Le moi inconscient ou, comme on dit, le moi subliminal, joue un rôle capital dans l’invention mathématique […] le moi subliminal n’est nullement inférieur au moi conscient ; il n’est pas purement automatique, il est capable de discernement, il a du tact, de la délicatesse ; il sait choisir, il sait deviner…les phénomènes inconscients privilégiés, ceux qui sont susceptibles de devenir conscients, ce sont ceux qui, directement ou indirectement, affectent le plus profondément notre sensibilité. On peut s’étonner de voir invoquer la sensibilité à propos de démonstrations mathématiques qui, semble-t-il, ne peuvent intéresser que l’intelligence. Ce serait oublier le sentiment de la beauté mathématique, de l’harmonie des nombres et des formes, de l’élégance géométrique. C’est un vrai sentiment esthétique que tous les vrais mathématiciens connaissent. » C’est un passage du chapitre « L’invention mathématique », dans l’ouvrage « Science et méthode » de Poincaré.

Cette idée s’oppose à l’image d’une science qui ne se nourrirait que de faits, d’observations, de raisonnements, de calculs et d’explications. On sait que l’expérience doit d’abord être pensée car, pour mettre en évidence des lois, elle doit permettre d’isoler cette interaction particulière. L’expérience est donc un produit tout ce qu’il y a de moins naturel, évident et simple.

Kuhn a souligné le caractère de rupture du nouveau paradigme scientifique et l’a, à juste titre, appelé révolution, soulignant ainsi qu’il doit d’abord renverser l’ordre rationnel précédent. La première difficulté et non la moindre pour celui qui pense détenir une idée nouvelle en sciences est le caractère conservateur de ce que Kuhn appelle la science normale et qui est la rationalité précédente s’opposant au changement.

On considère cependant que la science doive être considérée comme exclusivement rationnelle parce qu’elle administre la preuve de ce qu’elle dit et cherche ses vérifications dans l’expérience.

Encore faudrait-il que les preuves suffisent à trancher et que les expériences soient probantes là aussi pour être sûr que les thèses actuelles ne sont pas seulement les moins mauvaises sans pour autant être les meilleures. En fait, la plupart des propositions scientifiques des chercheurs n’ont jamais pu être testées, vérifiées soit parce qu’on n’a en pas eu le temps, les moyens ni l’envie. Quant à la preuve par l’expérience, elle est difficile à administrer car une expérience qui devrait prouver est inséparable de son interprétation et celle-ci ne vient pas toute seule, sans tout un appareil théorique fait d’idées précédemment admises ce qui se mord partiellement la queue. La rationalité en question est au moins relative. La validité des concepts et des lois est donc mutuellement fondée et cela n’assure pas qu’un jour ou l’autre l’ensemble ne soit globalement remis en question…

Quant à la preuve par l’expérience, tous les expérimentateurs savent bien que la vérification des lois est relative. Tous les expérimentateurs retirent un certain nombre de mesures qui semblent sortir du cadre sans chercher à s’expliquer ce qui s’est passé pour ces mesures hors normes, que la validité d’une loi est considérée comme vérifiée même si les mesures s’en écartent très souvent mais qu’elles le font de manière assez limitée et régulière. D’ailleurs, l’expérimentation ne devient mesure que lorsqu’on a choisi de définir les paramètres, ce qui est déduit déjà d’une théorie. Vérifier cette théorie est alors en partie autoréférent. Et comme la nature ne dévoile pas directement ce que sont les bons paramètres, les bons concepts et les bonnes lois…

Personne ne voit sous yeux, même lors de l’expérience la plus ingénieuse et bien montée, agir l’énergie cinétique ou le potentiel, ni même la masse et la charge ! Ces paramètres ne sont pas des faits, ne sont pas des objets naturels, ne sont pas des résultats directs de l’observation mais des produits du raisonnement humain et d’abord des créations de l’imagination des hommes. S’ils sont aujourd’hui à la rationalité de notre époque, ils ont à un moment ou à autre dus être inventés, c’est-à-dire se heurter à la rationalité des hommes d’une époque précédente.

Il suffit de remarquer que la physique contemporaine donne comme fondement à l’ensemble de l’univers matériel l’espace vide qui pourtant n’est observé et connu que depuis un tout petit nombre d’années. Les théories sur le vide sont encore plus récentes et encore peu connues, y compris de l’ensemble des physiciens qui ne travaillent pas précisément dans ce domaine. C’est dire que le fondement des sciences lui-même n’est pas si largement diffusé que le ferait croire une image très rationaliste des sciences physiques.

Bien sûr chacun a en tête la rationalité des mathématiques qui semble omniprésentes en sciences et tout particulièrement en physique.

Nous avons déjà été amenés à rappeler que le type de rationalité de la loi mathématique n’est pas une rationalité du type : il se passe ceci, il y a telle action qui a tel effet. Quand nous disposons de la loi du mouvement des corps matériels, nous ne savons absolument ce qui les amène à entrer en mouvement. Par exemple, pour la gravitation pour laquelle nous disposons de plusieurs lois mathématiques, nous n’avons absolument aucune interprétation reconnue de l’origine de la gravitation : ni onde, ni particule, ni effet, ni contre-effet, etc… Même les hypothèses à vérifier ne courent pas les rues !
Donc la loi mathématique découverte la première de toutes les lois de la physique ne dispose encore d’aucun appareil d’explication rationnelle, ce qui n’empêche pas bien sûr d’utiliser les lois de la gravitation pour déplacer des fusées mais empêche de comprendre comment fait la nature pour qu’on gravite…

Nous disposons de lois sur les masses ou les charges qui expliquent comment elles se comportent mais pas ce qu’il leur arrive pour qu’elles se comportent ainsi ni ce qu’elles sont exactement. Nous ignorons toujours ce qu’est une masse et ce qu’est une charge. Les équations mathématiques ne peuvent répondre à une telle question même si la réponse, si on la trouve, devra être compatible avec ces équations.

La rationalité du monde est encore loin d’être connue et la raison en est que l’imagination humaine a ses limites. Et ce n’est pas la seule rationalité qui peut donner des idées nouvelles en sciences. Il y a aussi la part de hasard qui amène, comme dans le cas de la rage, sur l’expérience particulière qui, pour des raisons hasardeuses, éclaire la compréhension générale.

L’autre limite de notre pensée rationnelle est qu’elle subit la loi de la pensée rationnelle dominante qui refuse la dialectique et se contente de la pensée logique formelle dit encore métaphysique (celle dite du tiers exclus : oui ou non).

Or la dialectique compose les contraires, c’est-à-dire interpénètre aussi le rationnel et l’irrationnel…

1- Les travaux antérieurs à Pasteur sur la rage

En 1879, Paul-Henri Duboué dégage de divers travaux de l’époque une « théorie nerveuse » de la rage : « Dans cette hypothèse, le virus rabique s’attache aux fibrilles nerveuses mises à nu par la morsure et se propage jusqu’au bulbe. » Le rôle de la voie nerveuse dans la transmission du virus de la rage, conjecturé par Duboué presque uniquement à partir d’inductions, fut plus tard confirmé expérimentalement par Pasteur et ses assistants.

La même année 1879, Galtier montre qu’on peut utiliser le lapin, beaucoup moins dangereux que le chien, comme animal d’expérimentation. Il envisage aussi de mettre à profit la longue durée d’incubation (c’est-à-dire la longue durée que le virus met à atteindre les centres nerveux) pour faire jouer à un moyen préventif (qu’il en est encore à chercher ou à expérimenter) un rôle curatif : « J’ai entrepris des expériences en vue de rechercher un agent capable de neutraliser le virus rabique après qu’il a été absorbé et de prévenir ainsi l’apparition de la maladie, parce que, étant persuadé, d’après mes recherches nécroscopiques, que la rage une fois déclarée est et restera longtemps, sinon toujours incurable, à cause des lésions qu’elle détermine dans les centres nerveux, j’ai pensé que la découverte d’un moyen préventif efficace équivaudrait presque à la découverte d’un traitement curatif, surtout si son action était réellement efficace un jour ou deux après la morsure, après l’inoculation du virus ». » (Galtier ne précise pas que le moyen préventif auquel il pense doive être un vaccin.)

Dans une note de 1881, il signale notamment qu’il semble avoir conféré l’immunité à un mouton en lui injectant de la bave de chien enragé par voie sanguine. (L’efficacité de cette méthode d’immunisation des petits ruminants : chèvre et mouton, par injection intraveineuse sera confirmée en 1888 par deux pasteuriens, Nocard et Roux.)

Dans cette même note, toutefois, Galtier répète une erreur qu’il avait déjà commise dans son Traité des maladies contagieuses de 1880 : parce qu’il n’a pas pu transmettre la maladie par inoculation de fragments de nerfs, de moelle ou de cerveau, il croit pouvoir conclure que, chez le chien, le virus n’a son siège que dans les glandes linguales et la muqueuse bucco-pharyngienne.

Les choses en sont là quand Pasteur, en 1881, commence ses publications sur la rage.

2 – Le succès de Pasteur n’est pas si rationnel

Les justifications imaginées par Pasteur pour sa méthode de vaccination sont fausses.

Pour expliquer l’immunisation, Pasteur adopta tour à tour deux idées différentes. La première de ces idées, qu’on trouve déjà chez Tyndall et chez Auzias-Turenne, explique l’immunisation par l’épuisement, chez le sujet, d’une substance nécessaire au microbe. La seconde idée est que la vie du microbe ajoute une matière qui nuit à son développement ultérieur. Aucune de ces deux idées n’a été ratifiée par la postérité, encore que la seconde puisse être considérée comme une esquisse de la théorie des anticorps.

C’est en cette année 1885 qu’il fait ses premiers essais sur l’homme.
Il ne publia rien sur les deux premiers cas : Girard, sexagénaire de l’hôpital Necker, inoculé le 5 mai 1885, et la fillette de 11 ans Julie-Antoinette Poughon, inoculée après le 22 juin 1885, ce qui, selon Patrice Debré, alimente régulièrement une rumeur selon laquelle Pasteur aurait « étouffé » ses premiers échecs. En fait, dans le cas Girard, qui semble avoir évolué favorablement, le diagnostic de rage, malgré des symptômes qui avaient fait conclure à une rage déclarée, était douteux, et, dans le cas de la fillette Poughon (qui mourut le lendemain de la vaccination), il s’agissait très probablement d’une rage déclarée, ce qui était et est encore toujours, avec une quasi-certitude, un arrêt de mort à brève échéance, avec ou sans vaccination.

G. Geison a noté qu’avant de soigner ces deux cas humains de rage déclarée, Pasteur n’avait fait aucune tentative de traitement de rage déclarée sur des animaux.

Le 6 juillet 1885, on amène à Pasteur un petit berger alsacien de Steige âgé de neuf ans, Joseph Meister, mordu l’avant-veille par un chien qui avait ensuite mordu son propriétaire. La morsure étant récente, il n’y a pas de rage déclarée. Cette incertitude du diagnostic rend le cas plus délicat que les précédents et Roux, l’assistant de Pasteur dans les recherches sur la rage, refuse formellement de participer à l’injection. Pasteur hésite, mais deux éminents médecins, Alfred Vulpian et Jacques-Joseph Grancher, estiment que le cas est suffisamment sérieux pour justifier la vaccination et la font pratiquer sous leur responsabilité. Le fort écho médiatique accordé alors à la campagne de vaccination massive contre le choléra menée par Jaime Ferran en Espagne a pu également infléchir la décision de Pasteur. Joseph Meister reçoit sous un pli fait à la peau de l’hypocondre droit treize inoculations réparties sur dix jours, et ce par une demi-seringue de Pravaz d’une suspension d’un broyat de moelle de lapin mort de rage le 21 juin et conservée depuis 15 jours. Il ne développera jamais la rage.

Le cas très célèbre de Meister n’est peut-être plus très convaincant. Ce qui fit considérer que le chien qui l’avait mordu était enragé est le fait que « celui-ci, à l’autopsie, avait foin, paille et fragments de bois dans l’estomac ». Aucune inoculation de substance prélevée sur le chien ne fut faite. Peter, principal adversaire de Pasteur et grand clinicien, savait que le diagnostic de rage par la présence de corps étrangers dans l’estomac était caduc. Il le fit remarquer à l’Académie de médecine (11 janvier 1887).

Un détail du traitement de Meister illustre ces mots écrits en 1996 par Maxime Schwartz, alors directeur général de l’Institut Pasteur (Paris) : « Pasteur n’est pas perçu aujourd’hui comme il y a un siècle ou même il y a vingt ans. Le temps des hagiographies est révolu, les images d’Épinal font sourire, et les conditions dans lesquelles ont été expérimentés le vaccin contre la rage ou la sérothérapie antidiphtérique feraient frémir rétrospectivement nos modernes comités d’éthique. »

Pasteur, en effet, fit faire à Meister, après la série des inoculations vaccinales, une injection de contrôle. L’injection de contrôle, pour le dire crûment, consiste à essayer de tuer le sujet en lui injectant une souche d’une virulence qui lui serait fatale dans le cas où il ne serait pas vacciné ou le serait mal ; s’il en réchappe, on conclut que le vaccin est efficace.

Pasteur a lui-même dit les choses clairement : « Joseph Meister a donc échappé, non seulement à la rage que ses morsures auraient pu développer, mais à celle que je lui ai inoculée pour contrôle de l’immunité due au traitement, rage plus virulente que celle des rues. L’inoculation finale très virulente a encore l’avantage de limiter la durée des appréhensions qu’on peut avoir sur les suites des morsures. Si la rage pouvait éclater, elle se déclarerait plus vite par un virus plus virulent que par celui des morsures. »

À propos de la seconde de ces trois phrases, André Pichot, dans son anthologie d’écrits de Pasteur, met une note : « Cette phrase est un peu déplacée, dans la mesure où il s’agissait ici de soigner un être humain (et non de faire une expérience sur un animal). »

Pasteur ayant publié ses premiers succès, son vaccin antirabique devient vite célèbre et les candidats affluent (parmi les premiers vaccinés, Jean-Baptiste Jupille est resté célèbre). Déçu par quelques cas où le vaccin a été inefficace, Pasteur croit pouvoir passer à un « traitement intensif », qu’il présente à l’Académie des Sciences le 2 novembre 1886. L’enfant Jules Rouyer, vacciné dans le mois d’octobre précédant cette communication, meurt vingt-quatre jours après la communication et son père porte plainte contre les responsables de la vaccination.

D’après un récit fait une cinquantaine d’années après les évènements par le bactériologiste André Loir, neveu et ancien assistant-préparateur de Pasteur, le bulbe rachidien de l’enfant, inoculé à des lapins, leur communique la rage, mais Roux (en l’absence de Pasteur, qui villégiature à la Riviera) fait un rapport en sens contraire ; le médecin légiste, Brouardel, après avoir dit à Roux « Si je ne prends pas position en votre faveur, c’est un recul immédiat de cinquante ans dans l’évolution de la science, il faut éviter cela ! », conclut dans son expertise que l’enfant Rouyer n’est pas mort de la rage. P. Debré accepte ce récit, tout en notant qu’il repose uniquement sur André Loir.
À la même époque, le jeune Réveillac, qui a subi le traitement intensif, meurt en présentant des symptômes atypiques où Peter, le grand adversaire de Pasteur, voit une rage humaine à symptômes de rage de lapin, autrement dit la rage de laboratoire, la rage Pasteur, dont on commence à beaucoup parler.

« On renonça plus tard à une méthode de traitement aussi énergique, et qui pouvait présenter quelques dangers. »

En fait, on finit même par renoncer au traitement ordinaire de Pasteur-Roux. En 1908, Fermi proposa un vaccin contre la rage avec virus traité au phénol. Progressivement, dans le monde entier, le vaccin phéniqué de Fermi supplanta les moelles de lapin de Pasteur et Roux. En France, où on en était resté aux moelles de lapin, P. Lépine et V. Sautter firent en 1937 des comparaisons rigoureuses : une version du vaccin phéniqué protégeait les lapins dans la proportion de 77,7 %, alors que les lapins vaccinés par la méthode des moelles desséchées n’étaient protégés que dans la proportion de 35 %. Dans un ouvrage de 1973, André Gamet signale que la préparation de vaccin contre la rage par la méthode des moelles desséchées n’est plus utilisée. Parmi les méthodes qui le sont encore, il cite le traitement du virus par le phénol.

Même si ce sont les travaux de Pasteur sur la vaccination antirabique, et donc les derniers de sa carrière, qui ont fait sa gloire auprès du grand public, un spécialiste en immunologie comme P. Debré estime que les œuvres les plus remarquables de Pasteur sont les premières. Par ailleurs, d’après Bruno Latour, la véritable adhésion du grand public mais aussi des médecins à l’œuvre pastorienne, ne vint ni de la découverte d’un vaccin contre la maladie du charbon —maladie des campagnes—, ni de celle d’un vaccin contre une maladie aussi terrifiante que la rage, mais de la mise au point du sérum antidiphtérique par Roux et ses collègues en 1894.

La science moderne n’est pas débarrassée de l’animisme, de la conception magique

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