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Les contresens sur le texte « La question juive » de Karl Marx

dimanche 9 juin 2013, par Robert Paris

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  • Voilà ce que dit Marx :

    « On n’a pas du tout nié, comme M. Bauer voudrait le faire accroire, que la question juive soit aussi une question religieuse. On a au contraire montré que M. Bauer ne conçoit que l’essence religieuse du judaïsme, mais non pas la base laïque, réelle de cette essence religieuse. Il combat la conscience religieuse en tant qu’essence autonome. C’est pourquoi M. Bauer explique les Juifs réels par la religion juive, au lieu d’expliquer le mystère de la religion juive par les Juifs réels. M. Bauer ne comprend donc le Juif qu’autant qu’il est objet immédiat de la théologie ou théologien.

    M. Bauer ne se doute donc pas que le judaïsme réel, laïque, et par suite le judaïsme religieux lui-même, est constamment engendré par la vie bourgeoise actuelle et trouve son suprême achèvement dans le système monétaire. Il ne pouvait s’en douter parce qu’il ne connaissait pas le judaïsme comme maillon du monde réel, mais uniquement comme maillon de son monde à lui, la théologie ; parce que, soumis et pieux comme il l’est, le Juif réel lui apparaissait non pas sous les traits du Juif actif des jours ouvrables, mais sous ceux du Juif hypocrite du sabbat. Pour M. Bauer, théologien chrétien orthodoxe, il faut que la signification historique du judaïsme ait cessé à l’heure même où naissait le christianisme. Il était donc forcé de répéter la vieille opinion orthodoxe selon laquelle le judaïsme s’est maintenu malgré l’histoire ; et on devait retrouver chez lui la vieille superstition théologique selon laquelle le judaïsme existe simplement comme confirmation de la malédiction divine, comme preuve sensible de la révélation chrétienne, sous cette forme critico-théologique que le judaïsme n’existe et n’a existé qu’au titre de doute religieux grossier touchant l’origine surnaturelle du christianisme, c’est-à-dire comme preuve sensible à l’encontre de la révélation chrétienne.

    On a prouvé, au contraire que le judaïsme s’est conservé et développé par l’histoire, dans et avec l’histoire, mais que ce développement ne peut être constaté qu’avec les yeux de l’homme du siècle, et non pas avec ceux du théologien, parce qu’il se voit non dans la théorie religieuse, mais seulement dans la pratique commerciale et industrielle. On a expliqué pourquoi le judaïsme pratique n’a atteint son achèvement que dans le monde chrétien achevé et n’est en somme que la pratique achevée du monde chrétien lui-même. On n’a pas expliqué l’existence du Juif actuel par sa religion — comme si cette religion était une essence à part, existant pour soi — on a expliqué la vie tenace de la religion juive par des éléments pratiques de la société bourgeoise dont cette religion donne un reflet fantastique. L’émancipation qui fera des Juifs des hommes, ou les hommes s’émancipant du judaïsme : cette opération n’a donc pas été conçue, ainsi que le fait M. Bauer, comme la tâche spéciale du Juif, mais comme tâche pratique générale du monde actuel, juif jusqu’au fond du cœur. On a prouvé que la tâche qui consiste à abolir l’essence juive est en vérité la tâche qui consiste à abolir le judaïsme de la société bourgeoise, l’inhumanité de la pratique actuelle, qui atteint son point culminant dans le système monétaire.

    Théologien authentique, quoique théologien critique, ou si l’on veut Critique théologique, M. Bauer ne pouvait dépasser la contradiction religieuse. Il ne pouvait apercevoir, dans le rapport des Juifs au monde chrétien, que le rapport de la religion juive à la religion chrétienne. Il était même obligé de rétablir critiquement la contradiction religieuse, dans la contradiction qui existe entre le rapport du Juif et celui du Chrétien à la religion critique — l’athéisme, dernier degré du théisme, reconnaissance négative de Dieu. Il était enfin obligé, dans son fanatisme théologique, de limiter la capacité des « Juifs et des Chrétiens d’aujourd’hui », c’est-à-dire celle du monde d’aujourd’hui, de « devenir libre », à leur capacité de concevoir « la critique » de la théologie et de s’y livrer. De même, en effet, que, pour le théologien orthodoxe, le monde entier se décompose en « religion et théologie » (le théologien pourrait tout aussi bien le décomposer en politique, économie politique, etc., et caractériser la théologie par exemple comme l’économie politique céleste, puisqu’elle est la doctrine de la production, de la distribution, de l’échange et de la consommation de la « richesse spirituelle » et des trésors du ciel !), de même, pour le théologien radical, critique, la capacité du monde de se libérer se ramène à la seule capacité abstraite de faire la critique de la « religion et de la théologie » en tant que « religion et théologie ». La seule lutte qu’il connaisse, c’est la lutte contre les préjugés religieux de la conscience de soi, alors que la « pureté » et l’ « infini » critiques de cette conscience de soi constituent tout autant un préjugé théologique.

    M. Bauer a donc traité la question religieuse et théologique de façon religieuse et théologique, ne fût-ce que parce que, dans la question « religieuse » actuelle, il voyait une question « purement religieuse ». Sa « façon juste de poser la question » n’a placé la question dans une position « juste » que par rapport à sa « propre capacité »... de répondre. »

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