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La doctrine économique de Marx

samedi 1er mai 2010, par Robert Paris

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dialectique
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Contribution au débat sur la philosophie dialectique
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Le "Capital" de Marx

un article de F. Engels

28 mars 1868

Depuis qu’il y a des capitalistes et des ouvriers dans le monde, il n’est pas paru de livre qui fût de pareille importance pour les ouvriers que celui-ci. Les rapports entre le Capital et le Travail, l’axe autour duquel tourne tout notre système social actuel, y sont pour la première fois développés scientifiquement, et cela avec une profondeur et une netteté possibles seulement à un Allemand.

Si précieux que soient et que resteront les écrits d’un Owen, d’un Saint-Simon, d’un Fourier, il était réservé à un Allemand d’atteindre la hauteur d’où l’on peut voir clairement et panoramiquement le domaine tout entier des rapports sociaux modernes, de même façon qu’apparaissent aux yeux du spectateur, debout sur la plus haute cime, les sites montagneux moins élevés.

L’économie politique nous enseigne jusqu’à maintenant que le travail est la source de toute richesse et la mesure de toutes les valeurs, de telle façon que deux objets dont la production a coûté le même temps de travail ont aussi la même valeur et que des valeurs égales étant généralement seules échangeables entre elles, ils doivent aussi être nécessairement échangés les uns contre les autres.

Mais elle enseigne en même temps qu’il existe une espèce de travail emmagasiné qu’elle appelle capital ; que ce capital, grâce aux ressources qu’il renferme, multiplie par cent et par mille la productivité du travail vivant et réclame pour cela une certaine compensation qu’on appelle profit ou bénéfice.

Comme nous le savons tous, les choses se présentent en réalité de la façon suivante : les profits du travail mort, accumulé, constituent une masse de plus en plus grande, les capitaux des capitalistes prennent des proportions de plus en plus colossales, alors que le salaire du travail vivant devient de plus en plus infime, et la masse des ouvriers vivant uniquement de salaire, de plus en plus nombreuse et de plus en plus pauvre. Comment résoudre cette contradiction ?

Comment peut-il rester un profit au capitalistes si l’ouvrier reçoit la valeur entière du travail qu’il ajoute à son produit ? Et pourtant, puisque seules des valeurs égales sont échangeables, il devrait bien en être ainsi.

D’autre part, comment des valeurs égales peuvent-elles être échangées, comment l’ouvrier peut-il recevoir la valeur entière de son produit, si, comme il est concédé par beaucoup d’économistes, ce produit est partagé entre lui et les capitalistes ? L’économie reste jusqu’ici perplexe devant cette contradiction, écrit ou balbutie des formules embarrassées et vides.

Même les critiques socialistes de 1’économie n’ont pas été capables jusqu’ici de faire autre chose que de souligner cette contradiction ; aucun ne l’a résolue jusqu’au moment où, enfin, Marx, poursuivant le processus de la formation de ce profit jusqu’à son lieu de naissance, a fait sur le tout la pleine lumière.

Dans le développement du capital, Marx part du fait simple et notoire que les capitalistes font valoir leur capital au moyen de 1’échange ; ils achètent de la marchandise pour de l’argent et la revendent ensuite pour une somme plus élevée qu’elle ne leur a coûté. Un capitaliste achète, par exemple, du coton pour 1000 francs et le revend pour 1100 francs, gagnant ainsi 100 francs. C’est cet excédent de 100 francs sur le capital initial que Marx appelle plus-value.

D’où provient cette plus-value ? D’aprés l’hypothèse des économistes, seules des valeurs égales sont échangeables, et, dans le domaine de la théorie abstraite, la chose est juste aussi. L’achat du coton et sa revente ne peuvent donc pas plus fournir de plus-value que 1’échange d’un kilo d’argent contre une somme et un nouvel échange de cette monnaie de compte contre le kilo d’argent, opération où on ne s’enrichit ni ne s’appauvrit. Mais la plus-value ne peut pas non plus provenir du fait que les vendeurs vendent les marchandises au-dessus de leur valeur, ou que les acheteurs les achètent au-dessous de leur valeur, car chacun d’eux à son tour étant tantôt acheteur, tantôt vendeur, il y a , par conséquent, compensation.

Cela ne peut pas non plus provenir du fait que les acheteurs et les vendeurs renchérissent les uns sur les autres, car cela ne produirait pas de nouvelle valeur ou plus-value, mais ne ferait, au contraire, que répartir autrement le capital existant entre les capitalistes.

Or, bien que le capitaliste achète et revende les marchandises à leur valeur, il en tire plus de valeur qu’il n’y en a mis. Comment cela se produit-il ?

Dans les conditions sociales actuelles, le capitaliste trouve sur le marché une marchandise qui a cette propriété particulière que sa consommation est une source de nouvelle valeur, crée une nouvelle valeur, et cette marchandise, c’est la force de travail.

Qu’est-ce que la valeur de la force de travail ? La valeur de chaque marchandise est mesurée par le travail qu’exige sa production. La force de travail existe sous la forme de l’ouvrier vivant qui a besoin, pour vivre, ainsi que pour entretenir sa famille qui assure la persistance de la force de travail après sa mort, d’une somme déterminée de moyens de subsistance. C’est donc le temps de travail nécessaire à la production de ces moyens de subsistence qui représente la valeur de la force de travail. Le capitaliste paye l’ouvrier par semaine et achète ainsi l’emploi de son travail pour une semaine. Messieurs les économistes seront jusque-là assez d’accord avec nous sur la valeur de la force de travail.

A ce moment, le capitaliste met son ouvrier au travail. Dans un temps déterminé, l’ouvrier aura livré autant de travail que son salaire hebdomadaire en représentait. A supposer que le salaire hebdomadaire d’un ouvrier représente trois journées de travail, l’ouvrier qui commence le lundi a rendu au capitaliste le mercredi soir la valeur entière du salaire payé.

Mais cesse-t-il ensuite de travailler ? Pas du tout. Le capitaliste a acheté son travail pour une semaine, et il faut que l’ouvrier travaille encore les trois derniers jours de la semaine. Ce sur-travail de l’ouvrier au-dela du temps nécessaire pour rendre son salaire, est la source de la plus-value, du profit, du grossissement toujours croissant du capital.

Qu’on ne dise pas que c’est une supposition gratuite d’affirmer que l’ouvrier fait sortir en trois jours le salaire qu’il a reçu et que les trois autres jours il travaille pour le capitaliste. Qu’il ait besoin de juste trois jours pour rendre son salaire ou de deux, ou de quatre, c’est d’ailleurs ici une chose tout à fait indifférente et qui ne fait que changer selon les circonstances ; mais la chose principale, c’est que le capitaliste, à côté du travail qu’il paye, obtient encore du travail qu’il ne paye pas, et il n’y a pas là de supposition arbitraire, car le jour où le capitaliste ne recevrait continuellement de l’ouvrier qu’autant de travail qu’il lui en paye en salaire, ce jour-là, il fermerait son atelier car tout son profit s’envolerait.

Et voilà que nous avons résolu toutes ces contradictions. La formation de la plus-value (dont le profit du capitaliste constitue une partie importante) est maintenant tout à fait claire et naturelle. La valeur de la force de travail est payée, mais cette valeur est de beaucoup moindre que celle que le capitaliste sait tirer de la force de travail, et la différence, le travail non payé, constitue précisément la part du capitaliste, ou plus exactement, de la classe capitaliste.

Car même le profit que, dans l’exemple cité plus haut, le marchand de coton a tiré de son coton, doit nécessairement consister en travail non payé si les prix du coton n’ont pas augmenté. Il faut que le marchand ait vendu à un fabricant de cotonnades qui, outre ces cent thalers, puisse tirer encore un bénéfice pour soi de sa fabrication et qui partage avec lui le travail non payé qu’il a par conséquent empoché.

C’est ce travail non payé qui, en général, entretient tous les membres de la société ne travaillant pas. C’est avec lui qu’on paye les impôts d’Etat et des communes dans la mesure où ils atteignent la classe capitaliste, les rentes foncières des propriétaires terriens etc. C’est sur lui que repose tout l’état social existant.

D’autre part, il serait ridicule de supposer que le travail non payé ne s’est formé que dans les conditions actuelles, où la production est faite d’un côté par des capitalistes et de l’autre par des salariés. Loin de là, de tout temps la classe opprimée a dû faire du travail non payé. Pendant toute la longue période où l’esclavage fut la forme dominante de l’organisation du travail, les esclaves ont été obligés de travailler beaucoup plus qu’on ne leur donnait sous forme de moyens de subsistance. Sous la domination du servage et jusqu’à l’abolition de la corvée paysanne, il en fut de même ; et là apparaît même, de façon tangible, la différence entre le temps où le paysan travaille pour sa propre subsistance et celui où il fait du surtravail pour le seigneur, parce que ces deux formes de travail s’accomplissent de façon séparée. La forme est maintenant différente, mais la chose est restée, et tant qu’

"une partie de la société possède le monopole des moyens de production, le travailleur, libre ou non, est forcé d’ajouter au temps de travail nécessaire à son propre entretien un surplus destiné à produire la subsistance du possesseur des moyens de production".
(Marx, Le Capital, Tome 1).

Dans l’article précédent, nous avons vu que chaque ouvrier qui est occupé par le capitaliste fait un double travail : pendant une partie de son temps de travail, il restitue le salaire que lui a avancé le capitaliste, et cette partie de son travail est appelée par Marx le travail nécessaire. Mais ensuite, il doit encore continuer à travailler et produire pendant ce temps la plus-value pour le capitaliste, dont le profit constitue une partie importante. Cette partie du travail s’appelle le sur-travail.

Supposons que l’ouvrier travaille trois jours de la semaine pour restituer son salaire et trois jours pour produire de la plus-value pour le capitaliste. Cela veut dire, en d’autres termes, qu’il travaille, dans une journée de douze heures, six heures par jour pour son salaire et six heures pour créer de la plus-value. Mais on ne peut tirer de la semaine que six jours, et en y ajoutant le dimanche même, sept jours seulement, alors que de chaque jour on peut tirer six, huit, dix, douze, quinze et même plus d’heures de travail. L’ouvrier a vendu pour son salaire une journée de travail au capitaliste. Mais qu’est-ce qu’un jour de travail ? Huit heures ou dix-huit ?

Le capitaliste a intérêt à faire la joumée de travail aussi longue que possible. Plus elle est longue, plus elle crée de plus-value. L’ouvrier a le juste sentiment que chaque heure de travail qu’il fait au-delà de la restitution de son salaire, lui est prise de façon illégitime ; c’est sur son propre corps qu’il doit sentir ce que cela signifie de travailler un temps trop long. Le capitaliste lutte pour son profit, l’ouvrier pour santé, pour quelques heures de repos quotidien, pour pouvoir, en dehors du travail, du sommeil et du manger, fournir encore une autre activité humaine. Remarquons en passant qu’il ne depend pas de la bonne volonté des capitalistes pris isolément qu’ils veuillent ou non s’engager dans cette lutte, car la concurrence contraint le plus philanthrope d’entre eux de se rallier à ses collègues et à faire accomplir une aussi longue journée de travail que ceux-ci.

La lutte pour cette fixation de la journée de travail date de la première apparition d’ouvriers libres dans l’histoire et dure jusqu’aujourd’hui. Dans diverses industries règnent des coutumes diverses concernant la journée de travail ; mais, en réalité, elles sont rarement observées. C’est seulement là où la loi fixe la journée de travail et en contrôle l’observation, c’est là seulement qu’on peut vraiment dire qu’il existe une journée de travail normale. Et jusqu’à maintenant, ce n’est presque le cas que dans les districts industriels d’Angleterre. Là, la journée de travail de dix heures (10 heures et demie pendant cinq jours et 7 heures et demie le samedi) est fixée pour toutes les femmes et pour les garçons de 13 à 18 ans, et comme les hommes ne peuvent travailler sans ces derniers, ils tombent, eux aussi, sous la loi de la journée de dix heures.

Cette loi, les ouvriers des fabriques d’Angleterre l’ont conquise par de longues années de persévérance, par la lutte la plus tenace et la plus obstinée avec les fabricants, par la liberté de la presse, par le droit de coalition et de réunion, ainsi que par l’utilisation habile des divisions au sein de la classe dominante elle-même. Elle est devenue le palladium des ouvriers anglais, elle a été élargie peu à peu à toutes les grandes branches d’industrie et, l’année dernière, à presque tous les métiers, du moins à tous ceux où sont occupés des femmes et des enfants. Sur l’histoire de cette réglementation légale de la journée de travail en Angleterre, l’ouvrage présent contient une documentation extrêmement détaillée.

Le prochain " Reichstag de l’Allemagne du Nord " aura également à discuter une loi industrielle, et par conséquent, à réglementer le travail dans les fabriques. Nous espérons que pas un des députés qui ont dû leur élection à des ouvriers allemands, n’ira à la discussion de cette loi sans s’être auparavant familiarisé complètement avec le livre de Marx.

On peut obtenir beaucoup. Les divisions dans les classes régnantes sont plus favorables aux ouvriers qu’elles ne le furent jamais en Angleterre, parce que le suffrage universel contraint les classes dominantes à rechercher la faveur des ouvriers. Dans ces circonstances, quatre eu cinq représentants du prolétariat sont une puissance, s’ils savent utiliser leur situation, s’ils savent avant tout de quoi il s’agit, ce que les bourgeois ne savent pas. Et pour cela le livre de Marx leur met en mains la documentation toute prête.

Nous laisserons de côté une série d’autres recherches magnifiques, d’un intérêt plus théorique, et nous nous contenterons d’en venir au chapitre final qui traite de l’accumulation du capital. On y prouve d’abord que la méthode de production capitaliste, c’est-à-dire réalisée par des capitalistes, d’une part, et des salariés, d’autre part, non seulement reproduit toujours son capital au capitaliste, mais produit toujours aussi en même temps la misère des ouvriers, de sorte que l’on veille à ce que, toujours à nouveau, existent d’un côté des capitalistes qui sont les possesseurs de tous les moyens de subsistance, de toutes les matières premières et de tous les instruments de travail, et, de l’autre côté, la grande masse des ouvriers qui sont contraints de vendre leur force de travail à ces capitalistes pour une certaine quantité de moyens de subsistance suffisants tout au plus, dans le meilleur des cas, pour les maintenir en état de travailler et pour faire grandir une nouvelle génération de prolétaires aptes au travail.

Mais le capital ne fait pas que se reproduire : il est continuellement multiplié et grossi, et avec lui, sa puissance sur la classe des ouvriers, privés de propriété. Et de même qu’il se reproduit à son tour dans des proportions de plus en plus grandes, le mode de production capitaliste moderne reproduit également, dans des proportions toujours plus grandes et en nombre toujours croissant, la classe des ouvriers privés de propriété.

"L’accumulation du capital ne fait que reproduire les rapports du capital à une échelle plus large, avec plus de capitalistes ou de plus gros capitalistes d’un côté, plus de salariés de l’autre... L’accumulation du capital est donc en même temps accroissement du prolétariat".
(Marx, Le Capital, Tome 3)

Mais comme pour faire la même quantité de produits, il faut toujours moins d’ouvriers par suite du progrès du machinisme, de l’amélioration de l’agriculture, etc., comme ce perfectionnement, c’est-à-dire cet excédent d’ouvriers, grandit plus rapidement que le capital croissant, qu’advient-il de ce nombre toujours plus grand d’ouvriers ? Ils forment une armée industrielle de réserve qui, pendant les moments d’affaires mauvaises ou médiocres, est payée au-dessous de la valeur de son travail et est occupée irrégulièrement ou encore tombe à l’assistance publique, mais est indispensable à la classe capitaliste pour les moments d’activité particulièrement vive des affaires, comme cela apparaît de façon tangible en Angleterre mais qui en tout état de cause, sert à briser la force de résistance des ouvriers occupés régulièrement et à maintenir leurs salaires à un bas niveau.

Plus la richesse sociale est grande..., plus est grande la surpopulation relative ou l’armée de réserve industrielle. Mais plus cette armée de réserve est grande par rapport à l’armée active du travail et plus massive est la surpopulation permanente, ces couches d’ouvriers dont la misère est en proportion inverse de la peine de leur travail. Plus, enfin, la couche de la classe ouvrière partageant le sort de Lazare et l’armée de réserve industrielle sont grandes, plus est grand le paupérisme officiel. Telle est la loi générale, absolue de l’accumulation capitaliste.
(Marx, Le Capital, Tome 3)

Telles sont, prouvées d’une façon rigoureusement scientifique – et les économistes officiels se gardent bien de tenter seulement de les réfuter – quelques-unes des lois principales du système capitaliste moderne. Mais avec cela avons-nous tout dit ? Pas du tout. Avec la même netteté que Marx souligne les mauvais côtés de la production capitaliste, il prouve, de façon aussi claire, que cette forme sociale était nécessaire pour développer les forces productives de la société au degré nécessaire d’élévation, de manière à permettre le même développement vraiment humain pour tous les membres de la société. Toutes les formes sociales antérieures ont été trop pauvres pour cela. Seule la production capitaliste crée les richesses et les forces de production qui en sont nécessaires, mais elle crée en méme temps, avec la masse des ouvriers opprimés, la classe sociale qui est de plus en plus contrainte de revendiquer l’utilisation de ces richesses et de ces forces productives pour toute la société et non, comme aujourd’hui, pour une classe monopoliste.

Extraits de l’article "Karl Marx" de Lénine

La Doctrine Economique de Marx

"Le but final de cet ouvrage, dit Marx dans sa préface au Capital, est de dévoiler la loi économique du mouvement de la société moderne", c’est-à-dire de la société capitaliste, de la société bourgeoise. L’étude des rapports de production d’une société donnée, historiquement déterminée dans leur naissance, leur développement et leur déclin, tel est le contenu de la doctrine économique de Marx. Ce qui domine dans la société capitaliste, c’est la production des marchandises ; aussi l’analyse de Marx commence-t-elle par l’analyse de la marchandise.

LA VALEUR
La marchandise est, en premier lieu, une chose qui satisfait un besoin quelconque de l’homme ; en second lieu, c’est une chose que l’on échange contre une autre. L’utilité d’une chose en fait une valeur d’usage. La valeur d’échange (ou valeur tout court) est, tout d’abord, le rapport, la proportion, dans l’échange d’un certain nombre de valeurs d’usage d’une espèce contre un certain nombre de valeurs d’usage d’une autre espèce. L’expérience quotidienne nous montre que des millions et des milliards de tels échanges établissent sans cesse des rapports d’équivalence entre les valeurs d’usage les plusdiverses et les plus dissemblables. Qu’y a-t-il donc de commun entre ces choses différentes, continuellement ramenées les unes aux autres dans un système déterminé de rapports sociaux ? Ce qu’elles ont de commun, c’est d’être des produits du travail. En échangeant des produits, les hommes établissent des rapports d’équivalence entre les genres de travail les plus différents. La production des marchandises est un système de rapports sociaux dans lequel les divers producteurs créent des produits variés (division sociale du travail) et les rendent équivalents au moment de l’échange. Par conséquent, ce qui est commun à toutes les marchandises, ce n’est pas le travail concret d’une branche de production déterminée, ce n’est pas un travail d’un genre particulier, mais le travail humain abstrait, le travail humain en général. Dans la société étudiée, toute la force de travail représentée par la somme des valeurs de toutes les marchandises est une seule et même force de travail humain : des milliards d’échanges le démontrent. Chaque marchandise prise à part n’est donc représentée que par une certaine portion de temps de travail socialement nécessaire. La grandeur de la valeur est déterminée par la quantité de travail socialement nécessaire ou par le temps de travail socialement nécessaire à la production d’une marchandise donnée, d’une valeur d’usage donnée. "... en réputant égaux dans l’échange leurs produits différents, ils [les producteurs] établissent par le fait que leurs différents travaux sont égaux. Ils le font sans le savoir." La valeur est un rapport entre deux personnes, a dit un vieil économiste ; il aurait dû simplement ajouter : un rapport caché sous l’enveloppe des choses. C’est seulement en considérant le système des rapports sociaux de production d’une formation historique déterminée de la société, rapports apparaissant dans le phénomène de masse de l’échange répété des milliards de fois, que l’on peut comprendre ce qu’est la valeur. "En tant que valeurs, toutes les marchandises ne sont que du travail humain cristallisé." Après une analyse approfondie du double caractère du travail incorporé dans les marchandises, Marx passe à l’examen de la forme de la valeur et de l’argent. Ce faisant, la principale tâche qu’il s’assigne est de rechercher l’origine de la forme monétaire de la valeur, d’étudier le processus historique du développement de l’échange, en commençant par les actes d’échange particuliers et fortuits ("forme simple, particulière ou accidentelle de la valeur" : une quantité déterminée d’une marchandise est échangée contre une quantité déterminée d’une autre marchandise) pour passer à la forme générale de la valeur, lorsque plusieurs marchandises différentes sont échangées contre une seule et même marchandise, en terminant par la forme monétaire de la valeur, où l’or apparaît comme cette marchandise déterminée, comme l’équivalent général. Produit suprême du développement de l’échange et de la production marchande, l’argent estompe, dissimule le caractère social du travail individuel, le lien social entre les divers producteurs reliés les uns aux autres par le marché. Marx soumet à une analyse extrêmement détaillée les diverses fonctions de l’argent, et il importe de souligner qu’ici aussi (comme dans les premiers chapitres du Capital) la forme abstraite de l’exposé, qui paraît parfois purement déductive, reproduit en réalité une documentation extrêmement riche sur l’histoire du développement de l’échange et de la production marchande. "Si nous considérons l’argent, nous constatons qu’il suppose un certain développement de l’échange des marchandises. Les formes particulières de l’argent : simple équivalent de marchandises, moyen de circulation, moyen de payement, trésor ou monnaie universelle, indiquent, suivant l’étendue variable et la prépondérance relative de l’une ou de l’autre de ces fonctions, des degrés très divers de la production sociale" (Le Capital, livre I).

LA PLUS-VALUE
A un certain degré du développement de la production des marchandises, l’argent se transforme en capital. La formule de la circulation des marchandises était : M (marchandise) ó A (argent) ó M (marchandise), c’est-à-dire vente d’une marchandise pour l’achat d’une autre. La formule générale du capital est par contre A-M-A, c’est-à-dire l’achat pour la vente (avec un profit). C’est cet accroissement de la valeur primitive de l’argent mis en circulation que Marx appelle plus-value. Cet "accroissement" de l’argent dans la circulation capitaliste est un fait connu de tous. C’est précisément cet "accroissement" qui transforme l’argent en capital, en tant que rapport social de production particulier, historiquement déterminé. La plus-value ne peut provenir de la circulation des marchandises, car celle-ci ne connaît que l’échange d’équivalents ; elle ne peut provenir non plus d’une majoration des prix, étant donné que les pertes et les profits réciproques des acheteurs et des vendeurs s’équilibreraient ; or, il s’agit d’un phénomène social, moyen, généralisé, et non point d’un phénomène individuel. Pour obtenir de la plus-value, "il faudrait que le possesseur d’argent pût découvrir... sur le marché même, une marchandise dont la valeur d’usage possédât la vertu particulière d’être source de valeur échangeable", une marchandise dont le processus de consommation fût en même temps un processus de création de valeur. Or, cette marchandise existe : c’est la force de travail humaine. Sa consommation, c’est le travail, et le travail crée la valeur. Le possesseur d’argent achète la force de travail à sa valeur, déterminée, comme celle de toute autre marchandise, par le temps de travail socialement nécessaire à sa production (c’est-à-dire par le coût de l’entretien de l’ouvrier et de sa famille). Ayant acheté la force de travail, le possesseur d’argent est en droit de la consommer, c’est-à-dire de l’obliger à travailler toute la journée, disons, 12 heures. Or, en 6 heures (temps de travail "nécessaire"), l’ouvrier crée un produit qui couvre les frais de son entretien, et, pendant les 6 autres heures (temps de travail "supplémentaire"), il crée un produit "supplémentaire", non rétribué par le capitaliste, et qui est la plus-value. Par conséquent, du point de vue du processus de la production, il faut distinguer deux parties dans le capital : le capital constant, dépensé pour les moyens de production (machines, instruments de travail, matières premières, etc.), dont la valeur passe telle quelle (d’un seul coup ou par tranches) dans le produit fini, et le capital variable, employé à payer la force de travail. La valeur de ce capital, ne reste pas immuable ; elle s’accroît dans le processus du travail, en créant de la plus-value. Aussi, pour exprimer le degré d’exploitation de la force de travail par le capital, faut-il comparer la plus-value non pas au capital total, mais uniquement au capital variable. Le taux de la plus-value, nom donné par Marx à ce rapport, sera, dans notre exemple, de 6/6 ou de 100%.

L’apparition du capital implique des conditions historiques préalables : 1) l’accumulation d’une certaine somme d’argent entre les mains de particuliers, à un stade de la production marchande déjà relativement élevé ; 2) l’existence d’ouvriers "libres" à deux points de vue : libres de toute contrainte et de toute restriction quant à la vente de leur force de travail, et libres parce que sans terre et sans moyens de production en général, d’ouvriers sans maîtres, d’ouvriers-"prolétaires" qui ne peuvent subsister qu’en vendant leur force de travail.

L’accroissement de la plus-value est possible grâce à deux procédés essentiels la prolongation de la journée de travail ("plus-value absolue") et la réduction du temps de travail nécessaire ("plus-value relative"). Examinant le premier procédé, Marx brosse un tableau grandiose de la lutte de la classe ouvrière pour la réduction de la journée de travail et de l’intervention du pouvoir d’Etat pour la prolonger (XIVe-XVIIe siècles) ou pour la diminuer (législation de fabrique au XIXe siècle). Depuis la publication du Capital, l’histoire du mouvement ouvrier dans tous les pays civilisés a fourni des milliers et des milliers de faits nouveaux illustrant ce tableau.

Dans son analyse de la production de la plus-value relative, Marx étudie les trois grands stades historiques de l’accroissement de la productivité du travail par le capitalisme : 1) la coopération simple ; 2) la division du travail et la manufacture et 3) les machines et la grande industrie. L’analyse profonde de Marx révèle les traits fondamentaux et typiques du développement du capitalisme ; c’est ce que confirme, entre autres, l’étude de l’industrie dite "artisanale" en Russie, laquelle fournit une documentation très abondante illustrant les deux premiers de ces trois stades. Quant à l’action révolutionnaire de la grande industrie mécanique décrite par Marx en 1867, elle s’est manifestée, au cours du demi-siècle écoulé depuis cette date, dans plusieurs pays "neufs" (Russie, japon, etc.).

Ensuite, ce qui est nouveau et extrêmement important chez Marx, c’est l’analyse de l’accumulation du capital, c’est à-dire de la transformation d’une partie de la plus-value en capital et de son emploi non pour satisfaire les besoins personnels ou les caprices du capitaliste, mais à nouveau pour la production. Marx a montré l’erreur de toute l’économie politique classique antérieure (depuis Adam Smith), d’après laquelle toute la plus-value transformée en capital va au capital variable. En réalité, elle se décompose en moyens de production plus capital variable. L’accroissement plus rapide de la part du capital constant (au sein du capital total) par rapport à celle du capital variable est d’une importance considérable dans le processus du développement du capitalisme et de sa transformation en socialisme.

En accélérant l’éviction des ouvriers par la machine et en créant à un pôle la richesse et à l’autre la misère, l’accumulation du capital donne aussi naissance à ce que l’on appelle l’"armée ouvrière de réserve", l’"excédent relatif" d’ouvriers ou la "surpopulation capitaliste", qui revêt des formes extrêmement variées et permet au capital de développer très rapidement la production. Cette possibilité, combinée avec le crédit et l’accumulation du capital en moyens de production, nous donne, entre autres, l’explication des crises de surproduction, qui surviennent périodiquement dans les pays capitalistes, environ tous les dix ans d’abord, puis à des intervalles moins rapprochés et moins fixes. Il faut distinguer entre l’accumulation du capital sur la base du capitalisme et l’accumulation dite primitive : séparation par la violence du travailleur d’avec les moyens de production, expulsion des paysans de leurs terres, vol des terres communales, système colonial, dettes publiques, tarifs protectionnistes, etc. L’"accumulation primitive" crée, à un pôle, le prolétaire "libre", à l’autre, le détenteur de l’argent, le capitaliste.

La "tendance historique de l’accumulation capitaliste" est caractérisée par Marx dans ce texte célèbre : "L’expropriation des producteurs immédiats s’exécute avec le vandalisme le plus impitoyable, et sous la poussée des passions les plus infâmes, les plus sordides, les plus mesquines et les plus haineuses. La propriété privée, acquise par le travail personnel [du paysan et de l’artisan], et fondée, pour ainsi dire, sur la fusion du travailleur isolé et autonome avec ses conditions de travail, est supplantée par la propriété privée capitaliste qui repose sur l’exploitation du travail d’autrui qui n’est libre que formellement... Ce qui est maintenant à exproprier, ce n’est plus le travailleur indépendant, mais le capitaliste qui exploite un grand nombre d’ouvriers. Cette expropriation s’accomplit par le jeu des lois immanentes de la production capitaliste elle-même, par la concentration des capitaux. Chaque capitaliste élimine nombre d’autres capitalistes. Corrélativement à cette centralisation, ou à cette expropriation, du grand nombre des capitalistes par une poignée d’entre eux se développent la forme coopérative, sur une échelle toujours plus grande, du procès de travail, l’application consciente de la science à la technique, l’exploitation méthodique de la terre, la transformation des instruments particuliers de travail en instruments de travail utilisables seulement en commun, l’économie de tous les moyens de production utilisés comme moyens de production d’un travail social combiné, l’entrée de tous les peuples dans le réseau du marché mondial, d’où le caractère international imprimé au régime capitaliste. A mesure que diminue le nombre des potentats du capital qui usurpent et monopolisent tous les avantages de ce procès de transformation, s’accroissent la misère, l’oppression, l’esclavage, la dégradation, l’exploitation, mais aussi la résistance de la classe ouvrière. . . de plus en plus disciplinée, unie et organisée par le mécanisme même du procès de production capitaliste. Le monopole du capital devient une entrave pour le mode de production qui a grandi et prospéré avec lui et sous ses auspices. La centralisation des moyens de production et la socialisation du travail arrivent à un point où elles ne peuvent plus tenir dans leur enveloppe capitaliste. Cette enveloppe se brise en éclats. L’heure de la propriété privée capitaliste a sonné. Les expropriateurs sont à leur tour expropriés" (Le Capital, livre I).

Ensuite, ce qui est extrêmement important et nouveau, c’est l’analyse faite par Marx, dans le livre II du Capital, de la reproduction de l’ensemble du capital social. Ici encore, il envisage non un phénomène individuel, mais un phénomène général, non une fraction de l’économie sociale, mais la totalité de cette dernière. En rectifiant l’erreur des économistes classiques mentionnée plus haut, Marx divise toute la production sociale en deux grandes sections : I) la production des moyens de production et II) la production des biens de consommation ; après quoi, opérant sur des chiffres, il étudie minutieusement la circulation de l’ensemble du capital social, tant dans la reproduction qui existait dans ses anciennes dimensions que dans le cas de l’accumulation. Dans le livre III du Capital se trouve résolu, d’après la loi de la valeur, le problème du taux moyen du profit. L’oeuvre de Marx constitue un progrès considérable dans la science économique du fait que son analyse part des phénomènes économiques de masse, de l’ensemble de l’économie sociale et non pas de cas isolés ou de l’aspect extérieur superficiel de la concurrence, auxquels se bornent souvent l’économie politique vulgaire ou la moderne "théorie de l’utilité marginale". Marx examine tout d’abord l’origine de la plus-value, et n’envisage qu’ensuite sa décomposition en profit, intérêt et rente foncière. Le profit est le rapport de la plus-value à l’ensemble du capital engagé dans une entreprise. Le capital à "composition organique élevée" (c’est-à-dire où le capital constant dépasse le capital variable dans une proportion supérieure à la moyenne sociale) donne un taux de profit inférieur à la moyenne. Le capital à "composition organique basse" donne un taux de profit supérieur à la moyenne. La concurrence entre les capitaux et leur libre passage d’une branche à l’autre ramènent, dans les deux cas, le taux de profit au taux moyen. La somme des valeurs de toutes les marchandises dans une société donnée coïncide avec la somme des prix des marchandises, mais, dans chaque entreprise et dans chaque branche de production prise à part, la concurrence fait que les marchandises sont vendues non à leur valeur, mais au prix de production, lequel est égal au capital dépensé augmenté du profit moyen.

Ainsi, l’écart entre le prix et la valeur et l’égalisation du profit, faits incontestables et connus de chacun, sont parfaitement expliqués par Marx grâce à la loi de la valeur, car la somme des valeurs de toutes les marchandises est égale à la somme de leurs prix. Toutefois, la réduction de la valeur (sociale) aux prix (individuels) ne s’opère pas de façon simple et directe, mais d’une manière fort complexe ; il est tout naturel que, dans une société de producteurs dispersés de marchandises, qui ne sont reliés entre eux que par le marché, les lois ne puissent s’exprimer que sous une forme moyenne, sociale, générale, par la compensation réciproque des écarts individuels de part et d’autre de cette moyenne.

L’augmentation de la productivité du travail implique un accroissement plus rapide du capital constant par rapport au capital variable. Or, la plus-value étant fonction du seul Capital variable, on conçoit que le taux du profit (le rapport de la plus-value à l’ensemble du capital, et pas seulement à sa partie variable) ait tendance à baisser. Marx analyse minutieusement cette tendance, ainsi que les circonstances qui la masquent ou la contrarient. Passons sur les chapitres extrêmement intéressants du livre III consacrés au capital usuraire, au capital commercial et au capital-argent, et abordons l’essentiel : la théorie de la rente foncière. La surface du sol étant limitée, et, dans les pays capitalistes, entièrement occupée par des propriétaires, le prix de production des produits agricoles est déterminé d’après les frais de production sur un terrain non de qualité moyenne, mais de la qualité la plus mauvaise, et d’après les conditions de transport au marché non pas moyennes, mais les plus défavorables. La différence entre ce prix et le prix de production sur un terrain de qualité supérieure (ou dans de meilleures conditions) donne la rente différentielle. Par l’analyse détaillée de cette rente, en démontrant qu’elle provient de la différence de fertilité des terrains et de la différence des fonds investis dans l’agriculture, Marx mit à nu (voir également les Théories de la plus-value, où la critique de Rodbertus mérite une attention particulière) l’erreur de Ricardo prétendant que la rente différentielle ne s’obtient que par la conversion graduelle des meilleurs terrains en terrains de qualité inférieure. Au contraire, des changements inverses se produisent également, les terrains d’une certaine catégorie se transforment en terrains d’une autre catégorie (en raison du progrès de la technique agricoles de la croissance des villes, etc.), et la fameuse "loi de la fertilité décroissante du sol" est une profonde erreur qui tend à mettre sur le compte de la nature les défauts, les limitations et les contradictions du capitalisme. Ensuite, l’égalisation du profit dans toutes les branches de l’industrie et de l’économie nationale en général suppose une liberté complète de concurrence, le libre transfert du capital d’une branche à une autre. Mais la propriété privée du sol crée un monopole et un obstacle à ce libre transfert. En vertu de ce monopole, les produits de l’agriculture, qui se distingue par une composition organique inférieure du capital et, de ce fait, par un taux de profit individuel plus élevé, n’entrent pas dans le libre jeu d’égalisation du taux du profit ; le propriétaire peut user de son monopole foncier pour maintenir le prix au-dessus de la moyenne, et ce prix de monopole engendre la rente absolue. La rente différentielle ne peut être abolie en régime capitaliste ; par contre, la rente absolue peut l’être, par exemple avec la nationalisation du sol, lorsque celui-ci devient propriété d’Etat. Ce passage du sol à l’Etat saperait le monopole des propriétaires privés et ouvrirait la voie à une liberté de concurrence plus conséquente et plus complète dans l’agriculture. Voilà pourquoi, dit Marx, les bourgeois radicaux ont, plus d’une fois dans l’histoire, formulé cette revendication bourgeoise progressive de la nationalisation du sol, qui effraie néanmoins la majorité de la bourgeoisie, car elle "touche" de trop près à un autre monopole, lequel, de nos jours, est particulièrement important et "sensible" : le monopole des moyens de production en général. (Cette théorie du profit moyen rapporté par le capital et de la rente foncière absolue a été exposée par Marx en un langage remarquablement populaire, concis et clair dans sa lettre à Engels en date du 2 août 1862. Voir Correspondance, tome III, pp. 77-81. Voir aussi sa lettre du 9 août 1862, ibidem, pp. 86-87.) Il importe également de signaler, à propos de l’histoire de la rente foncière, l’analyse de Marx montrant la transformation de la rente-travail (lorsque le paysan crée un surproduit en travaillant la terre du seigneur) en rente-produit ou rente-nature (lorsque le paysan crée sur sa propre terre un surproduit qu’il remet au propriétaire en vertu d’une "contrainte extraéconomique"), puis en rente-argent (cette même rente-nature se transformant en argent ó dans l’ancienne Russie, l’"obrok" ó par suite du développement de la production marchande), et enfin en rente capitaliste, lorsque, à la place du paysan, intervient dans l’agriculture l’entrepreneur, qui fait cultiver sa terre en utilisant le travail salarié. A l’occasion de cette analyse de la "genèse de la rente foncière capitaliste", signalons quelques pensées profondes de Marx (particulièrement importantes pour les pays arriérés tels que la Russie) sur l’évolution du capitalisme dans l’agriculture. Avec la transformation de la rente en nature en rente-argent, il se constitue nécessairement en même temps, et même antérieurement, une classe de journaliers non possédants et travaillant contre salaire. Pendant que cette classe se constitue et qu’elle ne se manifeste encore qu’à l’état sporadique, les paysans aisés, astreints à une redevance, prennent tout naturellement l’habitude d’exploiter à leur propre compte des salariés agricoles, tout comme, sous le régime féodal, les paysans serfs ayant du bien disposaient eux-mêmes d’autres serfs. D’où, pour ces paysans aisés, la possibilité d’amasser peu à peu une certaine fortune et de se transformer en futurs capitalistes. Parmi les anciens exploitants, possesseurs du sol, il se crée ainsi une pépinière de fermiers capitalistes, dont le développement est conditionné par le développement général de la production capitaliste hors de l’agriculture" (Le Capital, livre III, p. 332)... (L’expropriation et l’expulsion d’une partie de la population rurale non seulement rendent disponibles, pour le capital industriel, les ouvriers et leurs moyens de subsistance et de travail, mais encore créent le marché intérieur" (Le Capital, livre Ier, p. 778). La paupérisation et la ruine de la population des campagnes jouent un rôle, à leur tour, dans la création d’une armée ouvrière de réserve à la disposition du capital. Dans tout pays capitaliste, "une partie de la population des campagnes se trouve donc toujours sur le point de se convertir en population urbaine ou manufacturière (c’est-à-dire non agricole)... Cette source de la surpopulation relative ne tarit donc jamais... l’ouvrier agricole touche un salaire réduit au minimum et a toujours un pied dans la fange du paupérisme" (Le Capital, livre Ier, p. 668). La propriété privée du paysan sur la terre qu’il cultive constitue la base de la petite production, la condition de sa prospérité et de son accession à une forme classique. Mais cette petite production n’est compatible qu’avec le cadre primitif étroit de la production et de la société. En régime capitaliste, "l’exploitation des paysans ne se distingue que par la forme de l’exploitation du prolétariat industriel. L’exploiteur est le même : le capital. Les capitalistes pris isolément exploitent les paysans pris isolément par les hypothèques et l’usure. La classe capitaliste exploite la classe paysanne par, l’impôt d’Etat" (Les Luttes de classes en France). "La parcelle du paysan n’est plus que le prétexte qui permet au capitaliste de tirer de la terre profit, intérêt et rente et de laisser au paysan lui-même le soin de voir comment il réussira à se procurer son salaire" (Le 18-Brumaire). Ordinairement, le paysan livre à la société capitaliste, c’est-à-dire à la classe des capitalistes, même une partie de son salaire et tombe ainsi "au degré du tenancier irlandais ; et tout cela sous le prétexte d’être propriétaire privé" (Les Luttes de classes en France). Quelle est 1’"une des raisons qui font que le prix des céréales, dans les pays où prédomine la propriété parcellaire, est plus bas que dans les pays à production capitaliste ?" (Le Capital, livre III, p. 340). C’est que le paysan livre gratuitement à la société (c’est-à-dire à la classe des capitalistes) une partie du surproduit. "Ce prix moins élevé [des céréales et des autres produits agricoles] résulte par conséquent de la pauvreté des producteurs et nullement de la productivité de leur travail" (Ibidem). En régime capitaliste, la petite propriété agraire, forme normale de la petite production, se dégrade, s’étiole et périt. "La propriété parcellaire exclut de par sa nature même le développement des forces productives sociales du travail, l’établissement de formes sociales de travail, la concentration sociale des capitaux, l’élevage à grande échelle, l’application progressive de la science à la culture. L’usure et les impôts la ruinent partout fatalement. Le débours de capital pour l’achat de la terre fait qu’il ne peut être investi dans la culture. Les moyens de production sont éparpillés à l’infini, le producteur lui-même se trouve isolé. [Les coopératives, c’est-à-dire les associations de petits paysans, qui jouent un rôle progressif bourgeois des plus considérables, ne peuvent qu’affaiblir cette tendance, mais non la supprimer ; il ne faut pas oublier non plus que ces coopératives donnent beaucoup aux paysans aisés, et très peu ou presque rien à la masse des paysans pauvres, et qu’ensuite ces associations finissent par exploiter elles-mêmes le travail salarié.] Le gaspillage de force humaine est immense. La détérioration progressive des conditions de production et le renchérissement des moyens de production sont une loi inéluctable de la propriété parcellaire. " Dans l’agriculture comme dans l’industrie, la transformation capitaliste de la production semble n’être que le "martyrologe des producteurs". "La dissémination des travailleurs agricoles sur de plus grandes surfaces brise leur force de résistance, tandis que la concentration augmente celle des ouvriers urbains. Dans l’agriculture moderne, capitaliste, comme dans l’industrie moderne, l’accroissement de productivité et le rendement supérieur du travail s’achètent au prix de la destruction et du tarissement de la force de travail. En outre, chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art de dépouiller le travailleur, mais encore dans l’art de dépouiller le sol... La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du procès de production sociale qu’en épuisant simultanément les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur" (Le Capital, livre I, fin du 13e chapitre).

Messages

  • un article de F. Engels

    28 mars 1868

    Depuis qu’il y a des capitalistes et des ouvriers dans le monde, il n’est pas paru de livre qui fût de pareille importance pour les ouvriers que celui-ci. Les rapports entre le Capital et le Travail, l’axe autour duquel tourne tout notre système social actuel, y sont pour la première fois développés scientifiquement, et cela avec une profondeur et une netteté possibles

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