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Histoire des religions

jeudi 28 février 2008, par Robert Paris

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Sur l’histoire des religions, voici un texte intéressant publié sur le net :

1. Préhistoire
Si nous savons par définition très peu de choses sur les religions de la préhistoire, les vestiges qui sont parvenus jusqu’à nous ne laissent guère de doutes cependant sur la parenté de leurs croyances avec celles des peuples chasseurs (de la Sibérie à l’Afrique, aux aborigènes australiens et aux indiens du Mexique). Qu’on appelle ces religions Chamanisme ou Animisme, elles ont, par-delà des contenus extrêmement divers, des constantes remarquables. On peut consulter à ce sujet les ouvrages de Claude Lévi-Strauss ainsi que "La religion des origines" d’Emmanuel Anati.
On ne peut remonter avant 50 000 ans, date des premières sépultures (Neandertal) et donc, sans doute du premier langage narratif (mythes). C’est aussi la naissance de l’homme moderne (sapiens sapiens) qui se caractérise par son expression artistique et une langue mère dont toutes nos langues dérivent. Il y a, de même, une continuité dans les thèmes religieux et artistiques de ces origines aux tribus contemporaines qui sont restées isolées de la civilisation (de l’Australie, à l’Amérique du sud jusqu’aux Inuits ou à la Sibérie).
Le culte des morts est le premier signe religieux. Témoin de l’opposition Nature/Culture, constitutive d’un monde humain, celui du langage et qui implique les structures élémentaires de la parenté codifiant les relations sociales ainsi que l’initiation qui marque la naissance à la culture et la fin de l’état de nature (deux fois né). L’unité de la communauté, identifiée à un dieu ou un totem, se constitue à travers les échanges de femmes et de biens (Dons ou Potlatch), dans le respect minutieux des rites et des traditions qui maintiennent l’ordre du monde, son équilibre fragile rétabli à coup de sacrifices, de danses, de prières, de formules. La conceptualité originaire (la pensée sauvage) est classificatrice avec un dualisme systématique (homme/animal, homme/femme, vie/mort, terre/ciel, réalité/rêve). C’est l’effet du langage qu’on retrouve jusque dans la dialectique dichotomique de Socrate.
Bien qu’ils supposent un seigneur des animaux (évoqué par le dieu à 3 visages de l’Indus/Rudra/Shiva) auquel ils doivent le renouvellement de leur subsistance à condition, par exemple, d’enterrer les ossements des animaux tués, il n’y a pas conception d’un être absolu qui serait par rapport au moi quelque chose de radicalement autre et supérieur, mais plutôt la conception de la nature comme un ensemble de forces qui sont à la disposition de l’homme (manger un animal est prendre sa force). C’est le règne de la magie, d’un rapport duel, imaginaire, entre deux esprits humains (Sorciers ou Chamans) qui peut prendre la forme dualiste de l’opposition du créateur et du destructeur. La magie est l’effectivité de la subjectivité sur la réalité extérieure.
Dans la magie on ne trouve pas la représentation d’un Dieu, d’une foi morale ; mais pour elle, l’homme est la puissance la plus haute, ayant vis-à-vis de la force de la nature l’attitude du commandement.
Le deuxième élément de leur religion consiste ensuite en ceci qu’ils se représentent cette puissance qui est la leur, se l’extériorisent, s’en font des images (le fétiche).
Hegel Ph histoire 76
Mais ce qui indique chez les sauvages quelque chose de supérieur, c’est le culte des morts, leurs aïeux morts et leurs ancêtres étant pour eux comme une puissance hostile aux vivants : cependant on ne considère pas la puissance des morts comme supérieure à celle des vivants, car les sauvages donnent des ordres à leurs morts et les ensorcellent ; de cette manière, le substantiel demeure toujours en la puissance du sujet. La mort même n’est pas pour les sauvages une loi naturelle générale ; car elle provient aussi, à ce qu’ils pensent, de sorciers mal disposés. On trouve assurément là la supériorité de l’homme sur la nature.
Mais de ceci que l’homme est au sommet, il suit qu’il n’a pas de respect pour lui-même, car c’est seulement avec la conscience d’un Être supérieur que l’homme atteint un point de vue lui procurant un respect véritable. En effet si le caprice est l’absolu, la seule objectivité sûre dont on ait l’intuition, l’esprit, à ce degré, ne peut rien connaître de général. Les sauvages possèdent donc ce parfait mépris des hommes qui constitue proprement leur condition fondamentale (l’esclavage).
Hegel Ph histoire 77
Si le pouvoir y est arbitraire, il peut tout aussi bien être remis en cause de façon tout aussi arbitraire.
Une très grande diversité dans le vécu existe cependant entre ceux qui vivent de la cueillette et les chasseurs, entre les nomades et les sédentaires, les habitants des zones chaudes et les peuplades qui subissent les glaciations (avec sans doute dans ce cas la focalisation sur la fécondité - Vénus/Vierge noire). Mais il faut garder à l’esprit que les populations étaient très peu nombreuses et dispersées, ne permettant pas vraiment l’élaboration de traditions complexes et durables (bien que déjà assez complexes comme l’ethnologie le montre) sauf exceptions comme en témoigne l’art pariétal très localisé (Lascaux). Les pratiques magiques ne se limitent évidemment pas à la préhistoire, se conservant au moins comme magie blanche, défensive, contre-magie, désenvoûtement, exorcisme et superstitions. La survivance du sacrifice (à la fois magie et don) sera au centre de la réflexion de la plupart des religions. Mais le travail humain portera en germe la réfutation de la magie, même s’il y aura d’abord confusion dans l’alchimie des métaux. L’identification de chaque chaîne de causes à une volonté, un génie ou un dieu se continuera dans les divers polythéismes mais organisé dans un ordre plus hiérarchisé et qui tend à s’unifier.
2. Néolithique
 Bouleversement climatique. Le Natoufien (-12 500/-10 000)
La fin de la dernière glaciation (vers -12 000) en bouleversant l’équilibre écologique a provoqué des mouvements de population en Europe soit vers le nord pour suivre le gibier traditionnel, soit vers le sud en s’adaptant à une nouvelle faune (réduite souvent, d’abord, aux serpents, mollusques et rongeurs) et en se dispersant en petits groupes familiaux. Cette époque de fonte des glaces est aussi caractérisée par des pluies diluviennes et une montée des mers (jusqu’au niveau actuel de +120m vers -7000). C’est dire que c’est l’époque de multiples déluges, en particulier, pour le Proche-Orient, l’inondation du golfe Arabo-Persique puis la rupture de la terre qui forme l’Hellespont (-5500), le dernier déluge ayant eu lieu vers -3500 inondant seulement les plaines du Tigre et de l’Euphrate.
L’art des cavernes Franco-Cantabrique s’éteint vers -12000. C’est vers cette époque que des villages se constituent au Proche-Orient qui prépareront les véritables débuts de la civilisation et de l’histoire, puisque d’après la préhistoire la plus récente la diffusion de l’agriculture et de l’élevage se fera uniquement à partir de ce territoire, mondialisant, en même temps que leur nouvelle religion, les plantes et les animaux qu’il y avaient domestiqués. De rares villages ont déjà existé, dès -30 000, sans autres conséquences apparente sauf les villages troglodytes qui ont donné Lascaux.
 La Bonne Mère et le Taureau. Khiamien (-9500)
D’après Jacques Cauvin (Naissance des divinités, naissance de l’agriculture-CNRS) ce qui est caractéristique, c’est bien l’apparition de la nouvelle religion avant l’apparition des nouvelles techniques que ne justifiaient aucune nécessité naturelle mais seulement le prestige de la maîtrise, du progrès.
La nouvelle religion se caractérise par des figures en prière (les orants), les bras tendus vers le ciel (dans l’Enûma elis babylonien Marduk est célébré pour avoir "créé l’Incantation afin que les dieux s’apaisent" p646) ainsi que par des figurines représentant une déesse-mère, aussi terrible et capricieuse que le ciel sans doute ("c’était la Dame montée sur le puissant Aurochs céleste" comme est présentée Inanna à Sumer p27 Déluge descendant de sa montagne, Tu es la première, la déesse du ciel et de la terre), ainsi que des représentations du taureau que l’on retrouvera dans les religions cananéennes (Baal), Mésopotamiennes (Marduk), Égéenne (Minotaure) avec la pratique de corridas comme elles existent encore dans le sud de la France (sans compter l’Égypte et l’Inde). Ce taureau, plus tard chevauché par le dieu de l’orage hittite, est, comme Zeus, celui qui rétablit la prospérité et arrête le cycle des destructions. On le retrouve dans le boeuf Apis Égyptien (Ptah mais aussi Hator), la vache sacrée Indienne (et la Mère des Dieux Aditi puis la Grande déesse Kâli), les rites de Mithra, etc. Ce qui frappe c’est son apparition avant sa domestication, avant l’agriculture. La domination du culte par une déesse rappelle aussi les cultes plus tardifs, d’Isis, de Cybèle, de Démeter, déesses de la reproduction, de la renaissance, mais évoquant aussi l’Eve biblique par qui l’homme a goûté au savoir (ou la Pandore grecque).
On a pu voir dans ce rapport à une divinité humanisée, la conscience de soi qui prend forme. En fait, si on se fie aux mythes sumériens, les déluges sont vécus comme une destruction par des dieux jaloux qui effaçaient leur création, âge après âge comme Kronos mangeait ses enfants. La solution donnée par le mythe est que les hommes n’échappent à la destruction qu’à servir les dieux, travailler pour eux, à leur place (à la place de la nature) pour leur offrir des sacrifices. C’est plutôt cette notion nouvelle de dette originelle, de culpabilité, qui sera créatrice d’une conscience de soi, instituant un rapport de soumission où l’esclave ayant perdu sa "liberté " naturelle produit par le travail la puissante liberté humaine. La dette envers le sauveur et maître, instaurateur de l’ordre post-déluvien, serait fondatrice de l’histoire. L’accession du taureau au rang suprême est presque toujours le résultat d’une lutte contre les anciens dieux pour restaurer les cycles de la génération (comme Zeus). Si c’est peut-être s’avancer un peu loin, il ne faut pas sous-estimer le fait que nous sommes encore les héritiers directs de cette tradition qui n’est pas tout à fait morte et inaccessible. Il ne faut pas sous-estimer non plus la nouveauté radicale de cette attitude religieuse, qui va construire des sanctuaires pour ses dieux, par rapport à l’idéologie fétichiste des chasseurs-cueilleurs.
La faute engendre une série de conséquences où l’on croit reconnaître, à peine voilé par le langage symbolique, tout ce que l’étude de l’art et des techniques nous a déjà suggéré : un sentiment de finitude humaine ("nudité") répondant à un éloignement du divin désormais perçu comme inaccessible, la fin en corollaire d’une certaine facilité édénique dans la quête de subsistance et le début d’un travail "à la sueur du front" qui désigne explicitement dans le texte les débuts d’abord de l’agriculture (Caïn), puis de l’élevage (Abel). Tous ces traits caractérisant expressément la Révolution néolithique, il est difficile de ne pas envisager que c’est d’elle qu’il puisse s’agir.
Jacques Cauvin 265
Cette interprétation reflète cependant la dévalorisation hébraïque de la religion néolithique, contrairement à la tradition sumérienne et cananéenne qui fait du travail le service des dieux, le prix de la vie et l’accès au savoir, le travail devient une punition, conséquence du savoir mais surtout de la liberté humaine, de la révolte de l’homme, son péché capable de changer l’avenir.
 L’agriculture. Le Sultanien (-9000)
Dans un deuxième temps, les phases du Pre-Potery-Néolithic A et B (PPNA-PPNB), voient l’apparition de l’agriculture à Jéricho et à Mureybet, ainsi qu’une augmentation locale de la population. L’élevage ne viendra qu’ensuite, et encore après l’élevage nomade.
Les divinités de la phase précédente sont toujours présentes mais la pratique de l’agriculture devait changer encore radicalement la représentation du monde en privilégiant les cycles de la nature (du levant ou couchant, de la génération à la corruption, de la graine à la plante, du printemps à l’hiver). C’est le règne de l’éternel retour, le mythe de la résurrection, la regénérescence (Osiris/Dyonisos/Christ), la valorisation de la stabilité, des prédictions (oracles), de la fertilité, des concours. L’unité du groupe et la division du travail priment absolument sur l’individu isolé. Enfin, l’incarnation, la transmigration des âmes prennent leurs racines dans l’expérience du cultivateur.
"QUE JE VIVE OU QUE JE MEURE, JE SUIS OSIRIS. JE PÉNÈTRE EN TOI ET JE RÉAPPARAIS À TRAVERS TOI ; JE DÉPÉRIS EN TOI ET JE CROÎS EN TOI... LES DIEUX VIVENT EN MOI PARCE QUE JE VIS ET JE CROÎS DANS LE BLÉ QUI LES SOUTIENT. JE COUVRE LA TERRE ; QUE JE VIVE OU QUE JE MEURE, JE SUIS L’ORGE, ON NE ME DÉTRUIT PAS. J’AI PÉNÉTRÉ L’ORDRE... JE SUIS DEVENU LE MAÎTRE DE L ’ORDRE, J’ÉMERGE DANS L’ORDRE" (SARCOPHAGES 330)
Ces croyances "païennes" des paysans constituent le fond de toutes les religions actuelles, la relative stabilité des conditions de vie depuis cette époque jusqu’à l’époque moderne explique l’unité des superstitions et croyances populaires qui disparaissent depuis peu. Les croyances se perpétuent souvent au-delà des conditions qui les ont engendrées car la croyance se soutient de la tradition et des traditions locales préhistoriques se sont conservées jusqu’à nos jours, vestiges de temps révolus qui se combinent aux croyances nouvelles. Le thème des générations et de l’accouplement des dieux aussi bien que les vies de saints mettent en scène des synthèses conceptuelles à partir de traditions locales qui persistent et s’intègrent à la religion dominante ou bien deviennent folklore et légendes.
Dès cette époque la valorisation des armes et la constitution de stocks annoncent les premiers conflits. Sur de si longues périodes d’autres épisodes religieux ont du surgir, il n’est pas absurde de penser que la tour ronde de Jéricho évoque un culte solaire ou les tours du silence des Parsis, de même la valorisation des flèches rappelle le thème de l’archer (Indra, Sagittaire, Arche de Noé, Arche d’alliance, équivalence Vie/Flèche en Sumérien [ti] et en Grec [bios]). Ces variations ne peuvent occulter la formidable persistance de la mythologie originaire du taureau et de la Mère de dieu jusqu’à nos jours.
"Nous combattrons et nous travaillerons, disent les Anunnaki au dieu X (Mardouk), pour construire ta demeure. Mais, le jour venu (de ta gloire), nous y habiterons avec toi." Cela se passait en un temps "où les troupeaux de boeufs ne paissaient pas encore et où les peuples se nourrissaient de céréales".
Jean-Charles Pichon - Histoire des mythes 44
 La céramique, éleveurs nomades (-7500)
Le nomadisme pastoral est plus tardif que l’agriculture et contemporain d’une virilisation des figures et de sanctuaires où s’effectuaient des sacrifices sanglants, y compris humains. C’est l’inondation du golfe Arabo-persique et la fin du déluge, le retour à un temps sec. C’est aussi l’époque du culte des crânes, qui sont détachés du corps, parfois modelés et coiffés, et qui sont exposés dans ou à l’extérieur des maisons carrées (Ka’ba) et non plus rondes. Cette pratique est sans doute à rapprocher des futures momies égyptiennes et du culte des ancêtres. On suppose aussi la pratique de banquets où se réunit la communauté.
Le nomadisme, amplifié par la nouvelle sécheresse, va accélérer l’expansion du néolithique, surtout en touchant des populations qui vont pouvoir passer directement du nomadisme de cueilleur-chasseur à celui d’éleveur nomade, préservant des éléments archaïques dans la nouvelle religion. Cette diffusion se fera en même temps que celle de la langue dite indo-européenne.
La religion de ces éleveurs nomades nous est en partie accessible par ce que nous savons des religions indo-européennes, bien que beaucoup plus tardives et qui se retrouvent de l’Inde à l’Iran, aux Scythes, aux Celtes, aux Slaves et aux Germains. Ces peuples nomades devaient protéger leur bien, objet de convoitise, à moins qu’ils ne vivent de rapines comme les premiers grecs (d’après Thucydide) ou les premiers Romains, formant, donc, une classe de guerriers. La prépondérance de l’homme dans cette organisation ainsi que l’attention de ces populations aux problèmes de reproduction s’exprime dans une religion patriarcale et le culte des héros. L’unité de la vie et de la mort (Si la mort sort de la vie, la vie en revanche sort de la mort. Hegel p62) est affirmée dans les cérémonies phalliques. Les initiations guerrières, les rites du Soma ou de l’Ambroisie donnent aux guerriers l’espoir de l’immortalité. Les sacrifices évoluent de leur fonction magique à un ritualisme formaliste qui se réduit à affirmer l’unité de la communauté ("ON DIT QU’ON S’EST INSTALLÉ LORSQU’ON A CONSTRUIT UN AUTEL" Satapatha Br. VII, I,I,I-4). Le banquet restera, chez les Grecs ou les Gaulois le rite principal de la communion.
On peut déduire qu’issues de la religion du taureau (Mithra) mais s’éloignant d’une culpabilité originelle, la religion se réduit au social, reflétant les fonctions efficaces de l’organisation de la société ; religion plus utilitaire, au service du pouvoir, et qui se renforcera de l’âge du bronze à l’âge du fer.
 L’âge de bronze (-5000)
La rupture de l’hellespont et l’inondation de la Mer noire (-5500) ont accéléré encore la diffusion de l’agriculture en provoquant des migrations de populations. L’essor des techniques, et surtout celles du fer plus tard, accentuant la spécialisation, donnera naissance à de nouvelles initiations "alchimiques" bien différenciées des initiations chamaniques et guerrières, mais de l’âge du bronze à l’âge du fer (le fer reste un secret Hittite de -3500 à -1100) la valorisation du combattant (Dieu ou Héros) ira en s’accentuant et débouchera sur les guerres des cités mésopotamiennes puis sur les invasions indo-européennes et le brigandage, le nomadisme offrant la logistique d’une guerre de mouvement surtout après la domestication du cheval et l’invention du char. La structure égalitaire des premiers villages fait place à une hiérarchisation de plus en plus marquée se reflétant dans l’idéologie tripartite (Prêtres, Guerriers et Producteurs) dominée par la fonction d’un Dieu Souverain.
3. L’écriture
 Sumer l’expert (-3200/-2000)
Après le dernier déluge (-3500), l’invention de l’écriture s’est faite avec l’essor du commerce et la prospérité de l’antique Sumer grâce à l’irrigation. Ce n’est pas seulement une nouvelle étape mais un changement d’échelle car si la population avait déjà été multipliée par dix aux débuts du néolithique, c’est encore un accroissement de facteur 10 qui devait accompagner les véritables débuts de la civilisation avec des villes de plus de 10 000 habitants, une hiérarchisation de la société, la division du travail et des fonctions, la spécialisation, l’artisanat. Si l’histoire commence à Sumer, c’est aussi que la satisfaction des besoins vitaux est indispensable pour que l’esprit délivré de l’immédiat s’élève à la réflexion sur soi au delà de son animalité, les périodes de progrès sont souvent celles de prospérité. L’écriture est le produit de la communication, de l’échange, elle est d’abord chiffre, contrat et très vite source de pouvoir. La loi écrite protège de l’arbitraire du caprice du souverain. Elle s’expose à la durée, livrée à une caste de spécialistes (scribes et prêtres) qui en rationalisent la lettre. L’astrologie qui prédit l’avenir (éclipses etc.), fondant son savoir de l’écriture du passé, établit enfin solidement que le réel est bien rationnel, la loi du destin s’appliquant aux dieux même qui ne peuvent en changer le cours.
La cosmogonie sumérienne sera sans cesse reprise par les religions postérieures (Égypte, Hébreux, Grèce), la langue sumérienne devenue langue sacrée (et diplomatique) inaugurant la tradition d’une révélation de l’écrit. Prolongeant l’ancienne religion, déjà prend forme l’articulation de l’éternité, du temps et de la génération, la succession des dieux, leur hiérarchie (la royauté) et la revendication de la justice. La trinité Anu (An=Ciel), Enlil (l’air), Enki/Ea (terre) se substitue à "la mère des dieux" (Tiamat ?, Bêlit-ili, Anat) mais conserve le taureau Marduk (ancien Alla ?). On y retrouve le mythe de Noé, la descente aux enfers, l’histoire de Job, l’âge d’or ainsi que la création de l’humanité à partir du mélange de l’argile avec l’esprit d’un dieu sacrifié (équivalence Adam-Adama, Homo-Humus, Homme terrien opposé aux dieux des cieux).
 L’Égypte Mystérieuse (-3000/-333)
Ce qui ne fut pas donné à Sumer, la durée, fut l’élément de l’Égypte longtemps protégée des envahisseurs pendant que les autres civilisations disparaissaient régulièrement. Savants et prêtres de lointains pays feront le voyage en Égypte, diffusant la tradition, en grande partie d’origine sumérienne, jusqu’à la Chine et au Japon sans doute. L’autre élément déterminant est, bien sûr, le Nil merveilleux moyen de communication avec la mystérieuse régularité de ses crus bienfaisantes dont seul le pouvoir centralisé sait tirer tout le profit (par l’organisation des travaux) et qui ne doivent rien à la clémence du ciel, renforçant le sentiment d’un ordre immuable, inaccessible. Le véritable pouvoir est aux mains des prêtres qui gardent la tradition millénaire et sont le garant de l’ordre cosmique, de l’exécution scrupuleuse des rites, de la dévotion aux dieux. Pays de l’éternel retour que les pyramides attendent dans leur désert, c’est aussi le pays des morts qui habitent les vivants. L’immortalité, attribuée primitivement au Pharaon comme fils de dieu, intermédiaire avec le divin, se démocratisera ensuite, assurant une continuité que la mort ne peut interrompre. Pays de l’origine dont la fixité des rites renvoie à l’événement fondateur, la restauration d’un âge d’or perdu, l’initiation devient la connaissance du mystère de l’unité de la mort et de la vie, renaissance qui a connu la mort, "justifiée", et ne redoute que la seconde mort de l’oubli.
La religion égyptienne est la religion des mystères (Les mystères des Égyptiens étaient des mystères pour les égyptiens eux-mêmes. Énigme dont la solution sera seulement le monde Grec. Hegel) où l’impensable est présenté à la pensée dans sa contradiction indépassable (opposition du corps et de l’esprit - Hermès). C’est le pays du syncrétisme, de la création de nouveaux dieux par juxtaposition de qualités primaires qui s’unissent sans se confondre comme les deux rives du Nil ou bien les deux royaumes de la Haute (Sud/Seth) et de la Basse (Nord/Horus) Égypte (le Pharaon est deux fois roi). [Le mot égyptien pour dieu (Neter) correspond au latin Natura, traduit en grec Physis proche de Fürher : force qui conduit, ordonne, où la séparation hante déjà la fusion primitive comme son péché originel.]
Fondement de la tradition occidentale (trinité Akh, Ba, Ka : L’esprit, l’âme et le corps, Ré, Amon, Ptah), l’influence de l’Égypte n’a cessé de se faire sentir à travers les mystères d’Isis, les écrits de l’Hermès trismégiste, l’alchimie. Les hiéroglyphes représentant la langue sacrée perdue étaient sensées détenir le secret de la révélation originelle jusqu’à leur déchiffrement par Champollion qui devait tant décevoir cet espoir insensé. Car de Khepri-Ré-Atoum, ou Osiris-Horus-Ré (Le mystère céleste du retour cyclique, le saint sépulcre d’Abydos) à Ptah (le mystère terrestre de l’incarnation, la création par la parole) et Amon (le vide médian qui sépare, le caché, le non-manifesté, l’âme du monde, le souffle, le Mana), c’est, dès avant Akhenaton et le syncrétisme du nouvel empire (malgré son échec), le mystère de la trinité, de l’unité du dissemblable, la contradiction qui n’étant pas accessible à l’intelligence, devient l’objet de la véritable adoration.
TOUS LES DIEUX SONT TROIS : AMON, RÊ, PTAH ; ILS N’ONT PAS D’ÉGAUX. SON NOM EST CACHÉ EN AMON, IL EST PERÇU EN RÊ [IL EST RÊ DEVANT], ET SON CORPS EST PTAH. LEURS CITÉS SUR TERRE DEMEURENT À JAMAIS : THÈBES, HÉLIOPOLIS ET MEMPHIS, POUR L’ÉTERNITÉ. (HYMNE À AMON DE LEYDE -1300 AVANT J.-C.) E200
 La Chine Immense (-1350/-550/-221)
Unité immédiate de l’esprit substantiel et de l’esprit individuel.
C’est la volonté générale qui s’affirme immédiatement en l’individu. 96
Ni la chronologie, ni la géographie ne peuvent être tout à fait respectés dans une histoire des religions. Ainsi bien que l’histoire chinoise ne commence guère avant -1350 (le Néolithique de Yang-chao remontant à -3000 et celui de Lung-chao à -2000), ses conceptions reflètent une période plus ancienne et qui, surtout, évoluera peu. C’est à ce titre qu’il faut prendre au sérieux la revendication d’ancienneté de la civilisation chinoise, bien que ses textes fondateurs datent de -500. La diffusion rapide, à partir d’un centre et sur l’immense territoire chinois, d’une nouvelle idéologie devait s’imprégner largement des anciennes croyances et superstitions. Fondamentalement la pensée chinoise est une pensée pratique, de l’unité des contraires.
Héritier des vieilles mythologies chamanistes (culte des ancêtres, Centre du monde-5 points cardinaux) et de concepts empruntés aux civilisations de l’écriture (L’écriture chinoise préparée par les inscriptions divinatoires se développe brusquement, sans transitions, vers -1300), le Taoïsme est une religion de l’identité pure (Je=Je) identifiée au vide et au non agir. Son but est l’acceptation du monde, la non-opposition aux rythmes naturels, la soumission aux décrets du ciel, la fusion dans le mouvement de la vie qui mène à l’immortalité par des techniques respiratoires, sexuelles, diététiques, méditatives, magiques, etc., qui favorisent l’harmonie avec les cycles naturels. L’être y est strictement identique au néant (unité et alternance du Yin et du Yang), seul le mouvement (le Tao, le Vide, la Cause, le Logos) y représente un être fluide mais dépourvu de toute négativité, réduit à la totalité indifférenciée (l’Oeuf primordial), à l’origine inaccessible à la pensée qui en procède (le Tao, femelle obscure, sans nom, précède l’Un).
Le Confucianisme, au contraire, remplace l’harmonie divine, naturelle et préétablie, par la nécessité concrète de l’action civilisatrice pour l’unité de l’État, le devoir du citoyen étant de soutenir ou restaurer cette unité qui n’est plus une donnée mais le but suprême de la vie et de l’éducation, un fait de culture dépassant les différences de classes au nom de la compétence, un conformisme et l’effet de la vertu masculine alors que les Taoïstes revendiquent l’état de nature, privilégient la faiblesse féminine et rejettent la morale (QUAND ON ABANDONNE LE TAO, ON A RECOURS À LA BIENFAISANCE ; QUAND ON ABANDONNE LA BIENFAISANCE, ON A RECOURS À LA JUSTICE ; QUAND ON ABANDONNE LA JUSTICE, ON A RECOURS AUX RITES. LES RITES NE SONT QU’UNE MINCE COUCHE DE LOYAUTÉ ET DE FOI ET LE DÉBUT DE L’ANARCHIE. 38:9-14). La négativité y représente l’opposition à cette unité, à l’ordre divin, sans progrès historique autre qu’un retour à l’unité : la conformité à l’ordre du monde, le mandat du ciel.
La constitution est dans l’ensemble une théocratie et le règne de Dieu, un règne temporel, comme le règne temporel est aussi divin. 89
L’État fondé sur la famille et un gouvernement patriarcal. 84
Tout ce que nous nommons subjectivité se concentre dans le chef de l’état. 90
Du moment qu’en Chine l’égalité règne, mais en aucune façon la liberté, le despotisme est nécessairement la forme du gouvernement. 99
Puisque l’honneur n’existe pas et que nul n’est plus privilégié qu’un autre, la conscience de l’abaissement devient prédominante, et se transforme même facilement en conscience d’abjection. 103
La religion chinoise comprend encore la magie en tant que l’attitude des hommes constitue le facteur absolument déterminant. Si l’empereur se comporte bien, ce ne peut que bien aller.
Car les Chinois sont adonnés à une immense superstition ; celle-ci dépend justement du défaut d’autonomie intérieure et suppose le contraire de la liberté de l’esprit.
Ce qui est pour nous contingent, conséquence naturelle, les Chinois cherchent à le détourner ou à l’atteindre magiquement. 104
 La multitude de l’Inde (-1400/-520)
L’Inde au contraire, figée dans ses oppositions de castes se présente plutôt comme la négation de l’unité dans la multitude et la séparation. Formée par l’invasion et la domination des guerriers Aryens (à partir de -1400) et non par l’adhésion des populations à la nouvelle civilisation, ce n’est pas la solidarité des castes qui est exprimée mais leur hiérarchie, leurs inégalités.
Ce fut toujours le pays du désir.
C’est le rêve de l’esprit illimité lui-même. 109
De même l’Inde est en général, en tant que pays recherché, un facteur essentiel de toute l’histoire. 111
Au point de l’histoire où nous en sommes maintenant, la forme de l’esprit est encore l’immédiateté. 129
L’indépendance des différences est l’essentiel. Le lien qui les unit n’est qu’un changement perpétuel, une oscillation sans repos d’un extrême à l’autre, un vertige furieux sans résultat qui doit paraître de la démence à une conscience réglée et raisonnable. 90
Bien que les premiers Védas soient presque exclusivement indo-européens, l’ancienne civilisation de l’Indus qui était en contact avec les Sumériens et connaissait l’écriture dès -2500 resurgit dans l’hindouisme avec les Upanisads (-600 reprenant une théologie d’inspiration égyptienne). Mais privilégiant le réel de l’acte, le ritualisme des sacrifices qui se voulait re-création du monde ("L’HOMME EST EN VÉRITÉ NON-NÉ. C’EST PAR LE SACRIFICE QU’IL NAÎT" Mait.-Sam. III,6,7) finit par revendiquer la négation de ce monde, la fin des réincarnations, le sacrifice se réduisant à un détachement ("LA VICTIME EST RÉELLEMENT LE SACRIFIANT LUI-MÊME" Ait. Brah. II, II). La négation du corps est le but de ses techniques ascétiques. Le savoir comme Sagesse, but de toute initiation, est la délivrance de l’illusion de l’être (la maya/le changement), Nirvana, contemplation extatique référée à l’extase du Soma. La négation s’applique radicalement à toute singularité pour retrouver un universel indifférencié (le Soi). La genèse du monde est un acte psychique, l’individuation d’une conscience de soi. Dès lors il n’y a pas d’arbitrage possible, pas d’être supérieur mais la décision d’une conscience, son point de vue. Le Sage surgit de la foule et s’en distingue totalement, pur fait. De même le Yoga va considérer la pensée comme processus matériel, corporel. L’absence de médiation fait du gourou l’intermédiaire obligé de la révélation. L’illusion de la diversité de l’être a pour but la connaissance suprême qui est la fin, la négation de l’être, l’ignorance consistant dans la confusion de l’universel immobile, éternel et le flux de la vie mentale. Mais l’esprit n’est que spectateur : il n’y a pas d’histoire ni d’incarnation, l’Universel est le non singulier. Le but n’est pas l’immortalité mais la suppression des états de conscience. Il ne s’agit pas d’épouser la Cause mais bien d’arrêter la chaîne des causes, le Yoga est la non-dualité, le détachement plus que l’union.
La douleur existe dans la seule mesure où l’expérience se rapporte à la personnalité humaine considérée comme identique au Soi.
La connaissance est un simple réveil qui dévoile l’essence du Soi. Cette connaissance n’est pas obtenue par l’expérience, mais par une sorte de révélation : elle révèle instantanément la réalité ultime. E II 60
D’ABORD SE DÉVELOPPA LE DÉSIR, QUI FUT LE PREMIER GERME DE LA PENSÉE
CHERCHANT AVEC RÉFLEXION EN LEURS ÂMES, LES SAGES TROUVÈRENT DANS LE NON-ÊTRE LE LIEN DE L’ÊTRE (RIG VEDA X,129)
DEPUIS BRAHMAN JUSQU’AU DERNIER BRIN D’HERBE, LA CRÉATION EST POUR LE BÉNÉFICE DE L’ESPRIT JUSQU’À CE QU’IL AIT ATTEINT LA CONNAISSANCE SUPRÊME. SAMKHYA SUTRA, III, 47.
Atteindre dans la vie même cette mort de la vie. 120
Mais à son plus haut point cette négation consiste en la conscience obscure d’être parvenu à une inertie parfaite, à l’anéantissement de toute sensibilité et de tout vouloir, état qui même chez les bouddhistes passe pour le plus sublime. 116
Le Bouddhisme se veut théorie strictement négative, culminant dans la positivité du Bouddhisme Zen chinois. Négation de l’être, de la souffrance (TOUT EST SOUFFRANCE, TOUT EST ÉPHÉMÈRE), du savoir (identifié à l’ignorance), de l’éveil, de la pensée, c’est sur le désir, passion de l’ignorance et de l’existence, que porte sa négation jusqu’à ne plus être désir de négation et pouvant introduire une morale positive (compassion du Grand Véhicule).
Il n’y a que Souffrance et personne pour souffrir
Il n’y a pas d’agent, il n’y a que l’acte.
Le Nirvana est, mais non pas celui ou celle qui le cherche.
La Voie existe, mais non pas celui ou celle qui y marche
(Visuddhi Magga, 16)
C’est l’ignorance qui produit l’Information innée.
Le Bouddhisme reste une pratique, une expérience du corps touchant l’immortel. La proximité du Bouddhisme et du Taoïsme est l’identité vide de la pure affirmation et de la pure négation. Les schismes sur la permanence de la sainteté révèlent un quotidien plus ordinaire (l’éveil est-il un état acquis ou un acte ?).
L’hindouisme de la Bhagavad-Gîtâ (-360) simplifie le problème en renonçant, non au désir mais aux fruits de nos actes, instituant une morale négative efficace, dans le monde. La trinité Brahma, Vishnou, Shiva n’oppose pas le destructeur à la création mais fait plutôt de la division le principe du devenir.
 La révélation Perse (-700 ?)
Nous connaissons, donc, par les anciens Védas la religion des premiers Aryens avant leur division entre Indiens et Iraniens (et Mitaniens en Palestine vers -1600). Cette religion indo-européenne qui se caractérise par la dualité des dieux (Devas et Asuras) ainsi que la dualité du premier d’entre eux (Varuna roi et mage) combiné avec la représentation des trois fonctions (Guerriers, Prêtres, Travailleurs) se préoccupe surtout de l’efficacité des sacrifices. Cette tradition remonte au-delà du 3ème millénaire aux éleveurs nomades de l’âge du bronze. Il faut compter aussi avec la culture locale préhistorique de Jérizeh, remontant à -9000 et consacrée aux aigles et rapaces mais surtout avec la religion Hittite (Indo-européens primitifs détachés de la religion indo-européenne et tendant à un syncrétisme monothéiste avec Shamash). L’intervention de Zarathoustra (dont l’existence et la date sont très incertaine de -800 à -620) contre les "hommes de proie" pour régénérer et réinterpréter la tradition, préfigure le Christ mais plus encore Mahomet car il se présente comme simple interprète du dieu dont il transmet la révélation. Il s’agit, en fait, d’une mise en question de la tradition, de sa réflexion, sa rationalisation comme le sont, à la même époque, les Brâhmana et les Upanishad indiens. Mais la remise en cause de l’efficacité des sacrifices par les Hindous fait de la vérité un fait individuel, le détachement du sacrifiant, dans l’absence de toute garantie. Zarathoustra au contraire interprète le sacrifice comme enseignement, pratique communautaire, et ne sauve que la garantie elle-même qu’il y a du Bien et du Mal, une vérité suprême, un ordre, une justice et une volonté divine (AŠA/Rta=Royaume de dieu), ne dépendant que de notre bonne volonté, notre bonne foi, notre loyauté. Cette divinisation de la vérité est le fondement du dogmatisme, de l’orthodoxie (Vohu Mana la bonne pensée), du fanatisme : le mensonge, le mal (Druj) étant identifié à la mauvaise foi. Les coeurs purs de la vraie foi combattent l’obscurantisme.
Le ritualisme était suffisant, dans les conditions précaires d’un camp militaire. Après la sédentarisation des populations, il s’épuisait dans un vain formalisme. La réforme de Zarathoustra, peut-être inspirée des Hittites donc, consiste d’une part à réduire la multiplicité des dieux à l’unicité d’Ahura Mazda (Asura/Varuna/Ouranos) le seigneur éternel, omniscient, sage, bon, juste (les autres divinités étant conservées sous forme d’archanges, émanations d’Ahura Mazda dont le Saint esprit-Spenta Mainyu- et le Malin, le Négateur Angra Mainyu/Ahra Mainnyu), d’autre part à promouvoir l’intériorité de la bonne volonté, la valeur de la dévotion (la bonne intention suffisant à la bonne conscience), la religion se réduisant à un choix celui du bien contre le mal, de l’universel contre le mensonge imagé comme la simplicité du combat de la lumière contre les ténèbres. Le dualisme qui devait se renforcer dans le Zurvanisme (opposition de Ohrmuzd et Ahriman, le premier étant une déformation de Ahura-Mazda et le second de Ahra Mainyu/Arya-Man dieu des guerriers Aryens et des ancêtres) est une conséquence de la dogmatisation de la vérité, du choix binaire que le Vrai Dieu, la Vraie Religion, substitue au polythéisme multiforme (en rejetant les anciens dieux-devas-lumineux-lucifer comme démons-devils-démiurge, ce que l’Inde fera au contraire avec les Asuras) et condamnant aussi bien les anciens débordements du sacrifice que l’ivresse guerrière du Soma ou les orgies agricoles. L’unité inclut la négativité, possède en soi son antithèse, Il lui faut rendre compte (et les gnostiques après lui) du mal engendré par le bien suprême comme condition de la liberté de choix, de la bonne volonté, de la fidélité, de la parole tenue qui s’oppose à la trahison.
Pour la première fois donc l’unité est principe et non un lien extérieur, d’ordre, dépourvu d’esprit. La participation d’un chacun au principe fait qu’il confère à chacun une valeur propre. 134
De même que pour l’homme, le bien n’existerait pas si le mal n’existait pas, et comme il ne peut être bon vraiment que s’il connaît le mal, de même la lumière n’est pas sans les ténèbres. Ormuzd et Ahriman constituent chez les Perses cette antithèse. 138
Ce qui peut être analysé comme une prise du pouvoir des prêtres contre la caste des guerriers (passage de l’oligarchie à une monarchie féodale, du pillage à l’agriculture sédentaire) doit reconnaître dans le pouvoir d’unification de la nouvelle théologie sa réussite terrestre, le premier véritable empire universel est celui de la Perse. La fonction sélectionne l’organe et la tendance monothéiste se vérifie à nouveau, comme plus tard, une réponse à l’émiettement, à la dégénérescence d’un polythéisme qui oublie son unité dans l’isolement des communautés.
La puissance séculière délaissée par l’esprit s’efface tout d’abord nécessairement devant la puissance spirituelle ; mais celle-ci en se plongeant dans la première, perd avec sa destination, aussi sa force. p86
La récupération du Zoroastrisme par les mages devait en altérer le message et l’absence de culpabilité fondatrice laissait libre cours à la réduction de la religion à une moralité d’état utilitariste, à la Confucius, qui s’y est perdue dans la corruption du pouvoir. D’autre part, on ne peut considérer cette religion comme une religion de l’écrit, ce qu’elle est devenue plus tard, car elle s’y refusait plutôt (interdit de l’écriture pour la religion comme les Celtes ou les Scythes) en se voulant fondée sur la révélation, l’extase (Soma), l’initiation, la transmission orale avant d’être recueillie en livres (les Gathas et le reste de l’Avesta). Mais elle reste, sans doute, un effet de la civilisation de l’écrit où elle s’insérait et qui a enregistré ses traditions.
La réintroduction postérieure de Mithra (Dieu garant des contrats) ne constitue pas vraiment un retour au polythéisme, ni même au dualisme (Varuna/Mitra, Loi/Contrat) mais préfigure plutôt la trinité chrétienne, l’unité du père et du fils, au ciel et sur la terre. Par contre, le Manichéisme, prolongation du Zurvanisme et de son fatalisme, prenait parti contre l’unité première en accentuant le dualisme du Diable et du Bon Dieu (hérité du chamanisme et partagé par les indiens d’Amérique du Nord). il a concurrencé le christianisme à ses débuts (Augustin) et influencé Gnostiques, Bougres et Cathares.
L’influence de la religion iranienne sur les Juifs et le Christianisme est considérable : le Sauveur, la providence, la Résurrection des morts, le Paradis, les anges et les démons, on n’en finirait pas la liste, mais surtout notre conception de Dieu le père ainsi que ce combat millénaire du bien contre le mal qui ruine les représentations cycliques agricoles et fonde un temps historique unique. La grande différence réside dans la positivité joyeuse de la religion Iranienne rejetant les mortifications et qui justifiait aux yeux de Nietzsche le retour à Zarathoustra, c’est-à-dire le rejet de la culpabilité juive, de sa conscience malheureuse. Mais c’est pourtant Zarathoustra qui a introduit la religion de la morale, vouloir le bien, la justice et parole donnée !
 Les Juifs exilés (-1200/-400/135)
La tradition fait remonter l’origine des Hébreux à la cité d’Our, en pays de Sumer, dont Abraham serait originaire vers -1750 (époque d’ Hammourabi). En fait, il semblerait qu’Abraham (nom comparable au Brahmane indien, le prêtre sacrificateur) puisse être d’origine Hittite (ce que suggère la Bible mais pour Ezechiel "votre mère était une Hittite et votre père un Amorite" Ez 16,45) ou bien Hourrite, en tout cas indo-européen, rapprochant les Hébreux des Hyksos, sémites encadrés par des indo-européens (utilisant le char de combat) qui, au temps de l’empire iranien de Mitani jusqu’en Palestine, envahiront l’Égypte vers -1600 (ce qui explique l’histoire de Joseph dans la Genèse) où ils seront ensuite réduits à l’esclavage vers -1500. Les pérégrinations des Hébreux, de l’Égypte à la Palestine puis l’exil Babylonien, sont au coeur de cette civilisation de l’écrit, retour des nomades sur la terre originelle du néolithique. Peuple incertain divisé en tribus dispersées, en ethnies diverses, leur unité est problématique, et le restera jusqu’à la destruction du temple de Jérusalem, se réduisant en fait à leur religion dont la caractéristique n’est pas le monothéisme mais plutôt le rejet des autres dieux (TU N’ADORERAS PAS UN AUTRE DIEU DEVANT MA FACE) au profit du "Dieu du père", dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. En fait la religion évoluera beaucoup du dieu Suméro-Cannanéen El (le souffle, la voix, le nom d’Israël donné à Jacob signifiant celui qui a lutté contre El) à Yahvé (Dieu des volcans, guerrier et jaloux, résultat d’un compromis muet, symbolisé par l’Arche d’alliance, entre les tribus égyptiennes et palestiniennes) puis Elohim ("Tous les dieux" mais suivi d’un singulier, contemporain des deux royaumes et de l’idole double) avant de se fixer en YHWH/Adonaï après l’exil sous l’influence de la religion perse et de son monothéisme.
En fuyant d’Égypte vers -1250 les Juifs gardent le rite de la circoncision qu’ils avaient adopté des Égyptiens et qui signe l’appartenance à la communauté, prolongeant, peut-être, dans toute son abstraction (interdiction de représenter Aton) l’expérience religieuse synthétique d’Akhenaton, bien que brève et réprimée par ses successeurs. Ce n’est pourtant encore qu’une monolâtrie, dieu tribal jaloux, sectaire et cruel, dieu unique d’un peuple dont l’unité est problématique (opposition des royaumes de Judas et d’Israël). On peut dire que ce Dieu se réduit à l’idée de l’unité de ce peuple, qui s’y réfléchit et n’est plus une donnée naturelle. Mais même au temps des rois, cette religion d’état ne s’impose pas à tous. La religion Cananéenne insiste et impose ses représentations, les Hébreux adoptant aussi l’écriture phénicienne vers -950.
Ce n’est qu’après la destruction du temple par Nabuchodonosor en -587 et la captivité babylonienne que va se constituer véritablement la tradition biblique attribuée à Moïse (Deutéronome), tout ce qui précède étant remanié. L’expérience de l’exil instituant la domination des prêtres devait accentuer l’intériorisation, l’approfondissement intellectuel, moral et métaphysique de la religion ainsi que la constitution d’un corpus destiné à préserver la singularité et l’unité des exilés. Libérés en -538 par le Perse Cyrus pour s’opposer à l’Égypte, la reconstruction du Temple fait de celui-ci le centre du Judaïsme. C’est Néhémie (ancien dignitaire à la cour d’Artaxerxès Ier) qui rétablit Jérusalem (-444), tandis qu’Esdras le scribe fonde la Loi (Thora) sur l’écriture, préparant la constitution de la Bible, sur un modèle proche du code d’Hammourabi mais rejetant l’esclavage (souviens-toi que tu as été esclave en Égypte) et les distinctions de castes. La confrontation à la religion iranienne devait marquer durablement la mystique juive à la fois dans le sens du monothéisme de Zarathoustra (Ahura Mazda, son char et ses anges célestes) et du fond dualiste de leur théologie qu’on retrouve chez les Esséniens par exemple. Les sacrifices seront remis en cause au profit de l’intériorité, mais là où la religion iranienne est positive, rejetant toute mortification, les Juifs vont y accentuer leur conscience déchirée de l’altérité, de l’éloignement de Dieu, son désert (la Loi témoigne contre Israël).
Le malheur extérieur doit devenir la douleur intérieure de l’homme : il doit se sentir comme la négation de lui-même, reconnaître que son malheur est celui de sa nature, qu’il est en lui-même ce qui est séparé et divisé. Il se réfléchit en lui-même. 248
La chute, c’est la connaissance supprimant l’unité naturelle. 249
Ce n’est pourtant qu’en -167, en réaction à l’hellénisation forcée d’Antiochus IV, que la révolte des Maccabées va constituer définitivement la religion du Livre (Le zèle contre la Loi a créé le zèle pour la Loi), parti pris pour la lettre sacrée contre la banalisation de l’écrit, ce qui n’empêchera pas d’ailleurs la pénétration de la philosophie grecque platonisante surtout à Alexandrie (Philon). La promotion de la Loi donne un contenu, là où la religion perse se contente de l’opposition du bien et du mal, ce contenu se réduisant d’ailleurs aux lois de la parole. La médiation d’une loi écrite, dans les rapports à l’autre et comme fondement de l’unité du peuple, va nourrir la réflexion juive sur le droit (commentaires, jurisprudence) qui forme le Midrash, inaugurant une religion de l’écriture imitée par le Christianisme, le Manichéisme, l’Islam, etc.
Religion de l’Histoire, des interventions divines, les fêtes juives font référence à des événements historiques (comme les Égyptiens, dont les rites renouvellent la source créatrice présente dans l’événement originel, mais orienté cette fois vers l’avenir - Apocalypses, messianismes comme les Perses - plutôt que vers la restauration d’un Paradis perdu). C’est la répétition de notre propre fondation, et non plus le retour d’un événement cyclique, saisonnier, extérieur (suppression des rites de résurrection païens). La religion juive se fonde, contrairement aux religions païennes, sur le rapport paradoxal de l’éternel transcendant et du temps historique constituant l’histoire sainte.
Le Judaïsme moderne commence à Yabne après la destruction du temple en 70, mais surtout après la défaite de la dernière révolte en 135, la mort du messie Bar Koziba/Bar kokhba, la dispersion des juifs (Jérusalem leur est désormais interdite) et le transfert de l’académie de Yabne en Galilée près de Nazareth, où s’élaboreront les textes de base judéo-chétiens, en Hébreux, réalisation "kabbalistique" des écritures (comme il est écrit..., surtout le Livre d’Esther cf Dubourg) par le Messie (MSYH=Dieu ressuscité) Josué/Jésus (YSW=Le sauveur), inconnu encore du Pasteur d’Hermas. La création de nouvelles écritures séparait ces judéo-chrétiens des autre juifs (sadducéens ou pharisiens) pour qui le commentaire Talmudique de la Michnah et l’observation des rites deviennent réellement le seul fondement de la communauté se substituant à l’arche d’alliance puis au Temple de Jérusalem et l’espérance messianique abandonnant ses prétentions terrestres au profit d’une mystique de la Loi et du Texte redevenu obscur qu’il faut réinterpréter (Kabbale). La Shoa a redonné une nouvelle actualité à la question de sa faute ranimée par son pére-sécuteur.
Le judaïsme consiste dans l’identification de la divinité au peuple, à son unité, à sa communion mais comme perdues. Ce peuple n’a pas une connotation raciste, biologique mais sectaire, se constituant uniquement de la loi commune qui fait autorité, rite, signe, séparation, médiation, et acceptant jusqu’au XIIème siècle au moins la conversion de nombreux étrangers (Ashkénazes). Sa tradition d’esclavage refuse toute distinction de nature, de classe, entre ceux qui font acte d’alliance avec le dieu de la communauté. Un autre intérêt de la tradition biblique est cependant de reprendre les mythes cananéens, reformulés autant que combattus, transmettant jusqu’à notre époque le souvenir de l’émergence du néolithique dans la terre promise. Mais il s’agit bien, après l’empire Mitanien, du retour des nomades sur la terre des sédentaires, de la religion unitaire inspirée de l’Iran plus que de l’Égypte et qui renie explicitement les croyances locales traditionnelles (le Veau d’or).
Les hommes sont pris pour des individus, non pour des incarnations divines, le soleil pour le soleil, les montagnes pour des montagnes, sans que ces choses aient esprit et volonté. 151
4. La philosophie grecque (-400)
Nous venons de parler de l’hétérogénéité comme d’un élément de l’esprit grec et l’on n’ignore pas que les débuts de la civilisation se rattachent à l’arrivée des étrangers en Grèce. 175
Les Grecs, très divers, sont indubitablement un peuple indo-européen (surtout Sparte, Athènes restant très cosmopolite) mais leur religion n’en comporte guère plus que des traces, elle est plutôt formée des traditions Mycéniennes (Crétoises en particulier les Mystères), Phéniciennes et, à travers elles (ou par contact direct) Suméro-Egyptiennes. Outre la nostalgie de la civilisation qu’ils avaient détruite à leur arrivée, il faut tenir compte du fait que ce fut surtout un peuple de navigateurs, le découpage des côtes décuplant le voisinage de la mer aux dépens des communications avec l’intérieur des terres et privilégiant donc les croyances communes aux peuples de la mer.
L’ancienne écriture perdue (linéaire B), ce sont les Phéniciens qui vont apporter à nouveau l’écriture à la Grèce. La nouveauté va consister, grâce à l’invention des voyelles, dans sa diffusion zélée, systématique (en Grèce et dans toute la Méditerranée) qui fera sortir l’écriture de sa fonction spécialisée, réservée au scribe ou au prêtre, ouvrant à la possibilité de la démocratie.
L’effet de cette démocratisation, de cette libération de l’écriture, va être le développement de la rhétorique et la confrontation d’opinions divergentes : ceux qu’on appelle les pré-socratiques dont Parménide (La vérité comme identité éternelle) et Héraclite (Le changement, la vérité comme coïncidence, exactitude) incarnent l’opposition ontologique de l’Esprit et du Corps, de l’Universel et de la Singularité. D’où la mise en cause de la tradition et l’ironie des Sophistes à quoi répondra une dogmatisation de la religion, un passage à l’écrit (Orphisme). La philosophie prend naissance sous le patronage de l’Oracle de Delphes, temple d’A-pollon (Non-Plusieurs - à coupler avec Dyonisos le divisé - dieu des purifications qui commencent à la reconnaissance de notre étrangeté puisque son principe est "Connais-toi toi-même"), se constituant dans la confrontation des opinions divergentes (Socrate), leur mise en dialogue (Platon) qui dans la scolastique (Aristote) ne sera plus que citation de pure forme. La dialectique est ce qui affirme la vérité comme lieu du discours, de la critique. Le sacrifice de Socrate en est la fondation.
Socrate seul ne se fit pas initier, sachant bien que la science et l’art ne sortent pas des mystères et que la vérité ne réside jamais dans le secret. 181
Mais à la divergence des philosophes (Théologie platonicienne/Biologie aristotélicienne) devait répondre le Scepticisme post-philosophique (niant l’un et l’autre) puis l’Éclectisme (affirmant l’un et l’autre) fondant un nouveau dogmatisme post-philosophique (Stoïciens, Hermès, Néopythagoriciens, Néoplatoniciens). La théologie païenne restera toujours fidèle à la tradition d’un Dieu doublement transcendant exprimant son unité dans une diversité de manifestations ou de dieux dont les mortels sont séparés, par le corps. Pourtant le culte de Dyonisos- "Deux fois né", le double étranger, déchiré, mi-homme/mi-dieu, le divin enfant, le ressuscité, appelait à un dépassement de cette opposition comme son homologue Orphée. Le succès du Stoïcisme qui offrait le premier dogmatisme post-philosophique (une conception du monde unitaire et scientifique) s’est heurté au fatalisme astrologique qu’il justifiait après Aristote (au nom de l’ordre cyclique du Cosmos), et qui dégénérait en superstition délirante, impressionné par la mort du sauveur Alexandre en pleine gloire à 33 ans. Les initiations ont prospéré sur l’espoir d’échapper au déterminisme astral. La liberté avait besoin de proclamer un dieu créateur, historique transfigurant l’existence humaine en histoire sainte où la liberté devient consciente d’elle-même.
5. Le Catholicisme romain (325)
La naissance de Rome fut quelque chose d’artificiel, de contraint, sans rien d’originel. 219
A l’entendement sans liberté, sans esprit et sans âme, du monde romain, nous devons l’origine et le développement du droit positif. 223
La religion romaine est la religion toute prosaïque de l’étroitesse, de l’opportunité, de l’utilité. 225
Quand l’époque fut arrivée où le sacré en fut réduit à la forme, il devait être aussi connu, traité, foulé aux pieds comme forme. 227
Le Christianisme n’est pas autre chose que la religion de l’empire romain, c’est-à-dire du Césarisme (où le nouvel Alexandre n’a d’autre légitimité que ses actes), reprenant le calendrier de Jules César (JC) et identifiant grossièrement la naissance de Jésus Christ (JC) avec la naissance de l’Empire. C’est son adoption par l’empereur Constantin qui en a fixé le dogme et lui a donné son véritable essor. L’unité d’un empire regroupant de si nombreux peuples ne pouvait se satisfaire de la religion romaine hellénisée, utilitaire, imprégnée de superstitions et confisquée par l’aristocratie patricienne (qui détenait les sacra), encore moins de la divinisation de l’empereur. Les légions romaines popularisaient le culte de Mitra, dieu de l’amitié virile et des contrats, avec ses initiations de guerriers héritées des Aryens. Les tentatives de culte solaire (Sol invictus) témoignaient de la nécessité d’une religion universelle mais cet Universel ne pouvait être atteint vraiment que par les exclus de l’empire, les esclaves, car sous l’autorité absolue de l’empereur la distinction de l’esclave et du citoyen n’a plus de sens. La diffusion de la bible des Septante, traduction en grec de l’hébreux, donnait à cette nouvelle religion la tradition qui lui manquait ainsi que sa conscience malheureuse, attisée par la destruction du temple, et qui exprimait le délaissement de l’empire à la recherche de son unité. La dispersion des Juifs dans tout l’empire favorisait aussi son universalisation comme représentant des peuples soumis face à la diaspora des maîtres (Grecs et Romains).
C’est dans le creuset d’Alexandrie, avant Rome, que devait s’effectuer la synthèse des sectes esséniennes (ou gnostiques, héritières de la Perse à travers Isaïe) et de la philosophie (stoïcienne et néoplatonicienne), voire du culte de Mitra et des religions agricoles (pain et vin). Les thèses essentielles en sont la création (qui change l’avenir), l’incarnation (Dieu fait homme) et la Rédemption (amour de Dieu) mais qui se réduisent explicitement au commandement "aime ton prochain comme toi-même" faisant de Dieu l’entre-deux, la relation au semblable, la conscience réflexive dans l’autre, incarnation de la liberté, de la conscience dont procède le péché qui pour être originel ne nous épargne guère (et si la liberté est créatrice, amour, charité, elle se soumet aussitôt à la foi ou à l’amour, s’y abandonne et se renie alors dans un asservissement extrême : manuel de discipline essénien, le sacrifice de soi qui sauve). Cette théologie se réfère, particulièrement au sermon sur la montagne, d’origine éssenienne, dont la morale paradoxale du manque annonce déjà le triomphe de la crucifixion, où le négatif est sauvé comme sacrifice. "Heureux, vous les pauvres, le royaume de Dieu est à vous ! Heureux, vous qui avez faim...". C’est l’universalisation de la religion des anciens esclaves juifs.
L’incarnation de Dieu dans l’homme et la divinisation de l’homme par son péché originel abolissent la distance païenne entre les dieux et les hommes (la double transcendance de l’Un divin) pour un rapport personnel, rapport au prochain comme fondement de Dieu. Ce qu’exprime le Dieu bon qui nous aime en tant qu’on l’aime (là où deux ou trois personnes seront réunies en mon nom, je serais au milieu d’elles). La personnalité juridique romaine trouvait là un fondement universel (Catholicon) qui faisait de chaque être humain, maître comme esclave, Romain aussi bien que Juif, l’incarnation du divin (L’homme passe infiniment l’homme. Pascal).
L’homme certes déjà en tant qu’homme, a une valeur infinie. 257
Si nous disons que l’esprit est l’absolue réflexion en soi par sa différenciation absolue (l’amour en tant que sentiment, le savoir en tant qu’esprit) il est alors compris comme l’Un en trois personnes : le Père et le Fils et cette différence en son unité comme l’Esprit.
Cette unité ne doit pas être comprise superficiellement comme si Dieu n’était qu’homme et l’homme de même Dieu ; mais l’homme n’est Dieu qu’en tant qu’il surmonte ce que son esprit a de naturel et de fini, et qu’il s’élève à Dieu. En effet, pour l’homme qui a part à la vérité et qui sait qu’il est lui-même un moment de l’Idée divine, est posée en même temps la renonciation à son naturel, car le naturel est ce qui est privé de liberté et d’esprit. Dans cette idée de Dieu se trouve également la réconciliation de la douleur et du malheur de l’homme en lui-même. Car le malheur même est désormais connu comme nécessaire, afin de ménager l’unité de l’homme et de Dieu.
Le Christ est mort ; c’est mort seulement, qu’il est élevé au ciel, c’est ainsi seulement qu’il est esprit. 251
Si les Grecs ont ainsi spiritualisé leurs dieux sensibles, les chrétiens de leur côté recherchaient un sens plus profond dans l’élément historique de leur religion.
Les messianismes, inspirés de Jéhu oint par Élisée, ne manquent pas depuis la révolte des Maccabées qui devait exacerber l’opposition entre les tendances universalistes et particularistes de la Révélation. L’intégrisme patriotique des Zélotes ne tolérait pas que le Dieu des juifs puisse sauver les autres nations alors que la dispersion des juifs dans tout l’empire et la diffusion de la bible des septante transformait la religion hébraïque, comme les autres religions orientales, en religion universelle. Longtemps après la mise à mort de leur Maître de justice (-67), la prédication de Paul-Marcion aux sectes esséniennes est représentative de cette universalisation en rejetant la Loi hébraïque (c’est la Loi qui me fait pécheur) au profit de la Charité, de la Grâce, de la Liberté de l’homme à l’image de celle de Dieu ; passage de la Justice extérieure hébraïque à l’intériorité de l’amour comme rapport au semblable. Jean donne à l’espérance messianique un sens nouveau en proclamant que le Royaume de Dieu est déjà instauré.
Le christianisme qui s’enracine dans l’éssenisme (la Didachê) et dont la première forme repérable est sans doute celle de Jacques le Juste (frère de Jésus) et des ébionites (les pauvres), ne commence vraiment qu’avec Marcion (140, soit après la fin du messianisme juif, après la défaite définitive de 135 et la mort du messie Chimon Bar Koziba, le fils de l’étoile) qui s’appuie sur Paul (Juif élève de Gamaliel mais citoyen romain de Tarse donc après 150 !?) pour le séparer du judaïsme (opposition ancien/nouveau testament) et l’universaliser. En 140, le Pasteur d’Hermas ignore encore le nom de Jésus formé par les kabbalistes exilés en galilée. Mais c’est la prédication de Montan (160) qui en fera une religion populaire proche de celle d’Attis, rejetant la gnose (la kabbale) au profit de la foi et faisant de Jésus un personnage historique, introduisant la vierge (sans doute à cause de la traduction grecque d’Isaïe). Le succès durable de cette nouvelle prophétie (Tertullien, Irénée, évangiles canoniques) malgré sa répression, ses martyrs, (et malgré le manichéisme qui lui fait concurrence ensuite) va mener Constantin à la transformer 150 ans après en religion d’état pour asseoir l’empire sur une autre base religieuse que le culte de l’empereur : Eusèbe de Césarée et le concile de Nicée (325) vont définir le nouveau dogme (le pouvoir de l’empereur comme représentant du pouvoir divin) en accord avec les intérêts de Rome, respectant les coutumes acquises comme la fête de Mitra le 25 Décembre (naissance de Mitra le soleil-bienfaiteur-ami-allié d’une vierge dans une grotte, qui rend Varuna propice, culte du Soma-sang du Christ somagraha=graal), constituant avec les théologiens néoplatonisants une synthèse remarquable des grandes traditions de l’empire (les trois rois mages Égyptien, Perse et Chaldéen, les juifs plus la philosophie) et imposant le Christianisme romain (catholique) en opposition au Christianisme oriental (monophysistes, gnostiques, montanistes).
Le syncrétisme ne s’arrêtera pas là et, à travers le culte des saints, donnera au christianisme une capacité immense d’absorber les cultes locaux païens (la Vierge Marie, Mère de Dieu depuis le concile d’Ephèse ne sera vraiment divinisée que vers l’an mil sous l’influence de l’amour courtois, retrouvant la trinité Perse Ahura Mazda-Mithra-Anahita).
Alors même que le Nouveau Testament est basé sur des constructions savantes, ésotériques et littérales, constituant des "réalisations des écritures" (surtout Isaïe et Le livre d’Esther), la traduction en d’autres langues que l’Hébreux devait rendre ses "jeux de mots", ses résonances, ses rimes inaccessibles, devenus simplement un récit fantastique. La nouvelle religion populaire se réclamant alors d’une révélation historique, rejette toute interprétation symbolique, ésotérique et combat les gnostiques (où l’influence Perse/Hindouiste est très forte) ce qui va permettre la séparation de la Science et de la Religion (la docte ignorance de Nicolas de Cues "La connaissance, relative, complexe et finie, est incapable de saisir la Vérité simple et infinie" ) ainsi qu’une désacralisation se prolongeant jusqu’à nos jours au profit de l’histoire (tendance fortement romaine). Ce n’est pas le savoir qui sauve mais la foi et la charité. En reniant la tradition de sagesse dont il est issu, le Christianisme va permettre à la science de se développer sur l’expérimentation, en dehors des références théologiques (alors même que la Renaissance se réclamait, grâce aux Arabes, d’un retour aux sources de la tradition grecque, un retour aux écrits originels du Christianisme).
C’est l’Église qui a reconnu et établi ces doctrines, c’est l’esprit de la communauté. 255
L’intelligence ne se suffit pas encore à elle-même et ne consiste que dans l’esprit d’une autorité étrangère. Ainsi ce régime spirituel est par la suite devenu un régime ecclésiastique. 256

6. L’unité de l’Islam (630)
Tandis que l’Occident commence à se fixer à demeure dans la contingence, la complexité et la particularité, la direction contraire devait apparaître dans le monde pour intégrer la totalité ; cela arriva dans la Révolution de l’Orient qui brisa toute particularité et toute dépendance, éclairant et purifiant parfaitement l’âme, en faisant de l’Un abstrait, seul, l’objet absolu. Et de même de la pure conscience subjective, de la science de cet Un l’unique fin de la réalité, - de l’inconditionné, la condition de l’existence.
Honorer l’Un est l’unique fin du mahométisme et la subjectivité n’a pour matière de son activité que ce culte ainsi que l’intention de soumettre le monde à l’Un. Or, cet Un a, il est vrai, la détermination de l’esprit ; cependant comme la subjectivité se résout dans l’objet, cet Un perd toute détermination concrète. Le mahométisme toutefois ne s’absorbe pas à la manière indienne ou monacale dans l’absolu, mais la subjectivité y est vivante et infinie ; c’est une activité qui, paraissant dans le monde, le nie, n’agissant et n’intervenant que pour l’existence du culte pur de l’Un. L’objet du mahométisme n’est qu’intellectuel, on ne tolère aucune image, aucune représentation d’Allah : Mahomet est un prophète, mais un homme qui n’est pas au-dessus des faiblesses humaines. Les traits fondamentaux du mahométisme contiennent ceci que dans la réalité rien ne peut se stabiliser mais que tout, agissant et vivant, va vers le lointain infini du monde, le culte de l’Un demeurant le seul lien qui doit tout unir. En ce lointain, en cette puissance disparaît toute borne, toute distinction de nation et de caste ; nulle race, nul droit politique de naissance et de propriété n’a de valeur, seul l’homme comme croyant en a une : adorer l’Un, croire en lui, jeûner, se dégager du sentiment corporel de la particularité, faire l’aumône, cela signifie se défaire de son bien particulier : ce sont là les simples commandements ; mais le mérite le plus haut, c’est de mourir pour la foi, et qui meurt pour elle dans la bataille est sûr du Paradis.
L’abstraction dominait les mahométans ; leur but était de faire valoir le culte abstrait ; et ils y ont tendu avec le plus grand enthousiasme. Cet enthousiasme était du fanatisme, c’est-à-dire l’enthousiasme pour un abstrait, pour une idée abstraite qui se comporte négativement à l’égard de ce qui existe. 275/276
Issu de pratiques magiques archaïques, qu’il contredit, et du culte de la pierre noire qu’il continue (inspirant la pierre philosophale des alchimistes), c’est pourtant par l’Islam que nous est parvenue la tradition antique refoulée par l’Église (D’Aristote à Plotin ou Hermès trismégiste). Le culte de l’Un trouvait dans ces antiques références la confirmation de l’unité du savoir et de la foi, ne permettant pas à une science indépendante de se développer mais produisant plutôt une science théologique l’alchimie.
Réponse à un christianisme des maîtres, l’Islam est la vérité de la soumission (Islam) de tous, la liberté consistant à se soumettre à la loi divine mais celle-ci est donnée de façon toute extérieure comme la prière du musulman. Seul Dieu est libre et il l’est absolument.
Hegel a pu croire que cette religion de l’unité de la communauté qui a si bien réussi à des Arabes dispersés avait fait son temps mais l’individualisme moderne y a trouvé son puissant antidote, la revendication sans faux semblant de l’unité du monde qui nous manque, sans références familiales et biologiques (Ni Père, ni fils).
7. Le protestantisme (1517)
La Réforme est le produit de l’imprimerie, de la généralisation du Livre et, comme la promotion de l’écriture dans la Grèce antique, la valorisation du jugement critique de l’individu contre l’autorité des prêtres.
Pour les Catholiques, la plus profonde intériorité ne leur appartient pas en propre. Ils la laissent en quelque sorte sur l’autre bord, contents que cette affaire se résolve ailleurs. Cet ailleurs auquel ils l’abandonnent, c’est l’Église (division de l’intérêt religieux d’avec l’intérêt temporel). 322
Luther a rejeté cette autorité et a mis en sa place la Bible et le témoignage de l’esprit humain. Or, ce fait que la Bible même soit devenue la base de l’Église chrétienne, est de la plus grande importance : chacun doit lui-même maintenant s’instruire dans ce livre, et pouvoir diriger sa conscience d’après lui. 320
La réforme est issue de la corruption de l’Église. La corruption de l’Église n’a rien de contingent, elle n’est pas seulement abus de la violence et de l’autorité. 317
De cette ruine du spirituel, c’est-à-dire de l’Église, sort la forme plus haute de la pensée raisonnable. 86
L’esprit n’est plus étranger à L’État. 86
La doctrine de Luther est simplement que le ceci, l’infinie subjectivité, c’est-à-dire la vraie spiritualité, le Christ, n’est d’aucune manière extérieurement présent et réel, mais qu’il ne s’acquiert d’une manière générale comme spiritualité que dans la réconciliation avec Dieu, dans la foi et la communion. 318
Le Christ ne doit donc pas être considéré seulement comme une personne historique, mais l’homme, en esprit, est en un rapport immédiat avec lui.
L’individu sachant maintenant qu’il est plein de l’esprit divin, toute condition d’extériorité disparaît ; il n’y a plus désormais de différence entre prêtres et laïcs ; chacun doit en lui-même accomplir l’oeuvre de réconciliation. La subjectivité s’approprie maintenant le contenu objectif, c’est-à-dire la doctrine de l’Église. Ainsi se libère dans la vérité l’esprit subjectif, il nie son être particulier, et reprend conscience de lui-même dans sa vérité propre. Ainsi s’est trouvée réalisée la liberté chrétienne.
Voilà ainsi déployée la nouvelle, la dernière bannière, autour de laquelle se groupent les peuples, le drapeau de l’esprit libre qui est en lui-même et en la vérité et n’est en lui-même qu’en la vérité. C’est le drapeau sous lequel nous servons et que nous portons. 319
Le développement et le progrès de l’esprit à partir de la Réforme, consiste en ce que l’esprit, conscient désormais de sa liberté, grâce à la médiation qui se passe entre l’homme et Dieu, certain que le processus d’objectivation est celui de l’Être divin même, appréhende maintenant celui-ci et l’accomplit en avançant la formation du monde temporel. 323
La Réforme, en détruisant les solidarités féodales, a préparé l’avènement des nations modernes. En reportant la vérité de la religion sur la foi individuelle, elle a préparé le subjectivisme de l’expérience cartésienne. En exigeant que chacun se donne sa propre loi, elle a ouvert la voie au rationalisme de Kant où les êtres singuliers ne se rencontrent que dans l’universalité de la raison.
Voir aussi L’histoire du protestantisme d’un point de vue matérialiste de F.Engels.
Le protestantisme du point de vue matérialiste
Friedrich Engels
(extrait de Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande 1888)
Le besoin de compléter l’Empire mondial par une religion universelle apparaît clairement dans les tentatives faites en vue de faire admettre à Rome, à côté des dieux indigènes, tous les dieux étrangers dignes de quelque respect et de leur procurer des autels. Mais une nouvelle religion universelle ne se crée pas de cette façon, au moyen de décrets impériaux. La nouvelle religion universelle, le christianisme, s’était déjà constituée clandestinement par un amalgame de la théologie orientale universalisée, surtout de la théologie juive, et de la philosophie grecque vulgarisée, surtout le stoïcisme. Pour connaître l’aspect qu’il avait au début, il faut procéder d’abord à des recherches minutieuses, car la forme officielle sous laquelle il nous a été transmis n’est que celle sous laquelle il devint religion d’État et fut adapté à ce but par le concile de Nicée. A lui seul, le fait qu’il devint religion d’État 250 ans seulement après sa naissance prouve qu’il était la religion correspondant aux conditions de l’époque.

Au moyen âge, il se transforma, au fur et à mesure du développement du féodalisme, en une religion correspondant à ce dernier, avec une hiérarchie féodale correspondante. Et lorsque apparut la bourgeoisie, l’hérésie protestante se développa, en opposition au catholicisme féodal, d’abord dans le midi de la France, chez les Albigeois, à l’époque de la plus grande prospérité des villes de cette région. Le moyen âge avait annexé à la théologie toutes les autres formes de l’idéologie : philosophie, politique, jurisprudence et en avait fait des subdivisions de la première. Il obligeait ainsi tout mouvement social et politique à prendre une forme théologique ; pour provoquer une grande tempête, il fallait présenter à l’esprit des masses nourri exclusivement de religion leurs propres intérêts sous un déguisement religieux. Et de même que, dès le début, la bourgeoisie donna naissance dans les villes à tout un cortège de plébéiens, de journaliers et de domestiques de toutes sortes, non possédants et n’appartenant à aucun ordre reconnu, précurseurs du futur prolétariat, de même l’hérésie se divise très tôt en une hérésie bourgeoise modérée et une hérésie plébéienne révolutionnaire, abhorrée même des hérétiques bourgeois.

L’indestructibilité de l’hérésie protestante correspondait à l’invincibilité de la bourgeoisie montante ; lorsque celle-ci fut devenue suffisamment forte, sa lutte contre la noblesse féodale, de caractère jusque-là presque exclusivement local, commença à prendre des proportions nationales. La première grande action eut lieu en Allemagne : c’est ce qu’on appelle la Réforme. La bourgeoisie n’était ni assez forte, ni assez développée pour pouvoir grouper sous sa bannière les autres ordres révoltés : les plébéiens des villes, la petite noblesse des campagnes et les paysans. La noblesse fut battue la première ; les paysans se soulevèrent dans une insurrection qui constitue le point culminant de tout ce mouvement révolutionnaire ; les villes les abandonnèrent, et c’est ainsi que la révolution succomba devant les armées des princes, lesquels en tirèrent tout le profit. De ce jour, l’Allemagne va disparaître pour trois siècles du rang des pays qui jouent un rôle autonome dans l’histoire. Mais à côté de l’Allemand Luther, il y avait eu le Français Calvin. Avec une rigueur bien française, Calvin mit au premier plan le caractère bourgeois de la Réforme, républicanisa et démocratisa l’Église. Tandis qu’en Allemagne la Réforme luthérienne s’enlisait et menait le pays à la ruine, la Réforme calviniste servit de drapeau aux républicains à Genève, en Hollande, en Écosse, libéra la Hollande du joug de l’Espagne et de l’Empire allemand et fournit au deuxième acte de la révolution bourgeoise, qui se déroulait en Angleterre, son vêtement idéologique. Ici le calvinisme s’avéra a être le véritable déguisement religieux des intérêts de la bourgeoisie de l’époque, aussi ne fut-il pas reconnu intégralement lorsque la révolution de 1689 s’acheva par un compromis entre une partie de la noblesse et la bourgeoisie. L’Église nationale anglaise fut rétablie, non pas sous sa forme antérieure, en tant qu’Église catholique avec le roi pour pape, mais fortement calvinisée. La vieille Église nationale avait célébré le joyeux dimanche catholique et combattu le morne dimanche calviniste, la nouvelle Église embourgeoisée introduisit ce dernier qui embellit aujourd’hui encore l’Angleterre.

En France, la minorité calviniste fut, en 1685, opprimée, convertie au catholicisme ou expulsée du pays. Mais à quoi cela servit-il ? Déjà à cette époque, le libre penseur Pierre Bayle était à l’oeuvre, et, en 1694, naquit Voltaire. La mesure draconienne de Louis XIV (révocation de l’Edit de Nantes) ne fit que faciliter à la bourgeoisie française la réalisation de sa révolution sous la forme irréligieuse, exclusivement politique, la seule qui convînt à la bourgeoisie développée. Au lieu de protestants, ce furent des libres penseurs qui siégèrent dans les assemblées nationales. Par-là le christianisme était parvenu à son dernier stade. Il était devenu incapable de servir à l’avenir de manteau idéologique aux aspirations d’une classe progressive quelconque ; il devint de plus en plus la propriété exclusive des classes dominantes qui l’emploient comme simple moyen de gouvernement pour tenir en lisière les classes inférieures. A remarquer que chacune des différentes classes utilise la religion qui lui est conforme : l’aristocratie foncière avec le jésuitisme catholique ou le rigorisme protestant, la bourgeoisie libérale et radicale avec le rationalisme ; et que ces messieurs croient ou non à leurs religions respectives, cela ne fait aucune différence.

Nous voyons par conséquent que la religion, une fois constituée, a toujours un contenu traditionnel, et aussi que, dans tous les domaines idéologiques, la tradition est une grande force conservatrice. Mais les changements que subit ce contenu ont leur source dans les rapports de classes, par conséquent dans les rapports économiques entre les hommes qui procèdent à ces changements. Et, cela suffit ici.-


Messages

  • La question des origines du christianisme dépasse largement celle de l’historicité du personnage de Jésus.

    Que le personnage de Jésus de Nazareth soit réel, au plan historique, ou mythique, quelle est la base réelle de l’idéologie que ce personnage sous-tend et celle de son succès ?

  • Le christianisme est fondé sur quelques éléments novateurs par rapport aux religions précédentes et en particulier de celles de la région où le christianisme est apparu, en Palestine :

    1°) un dieu réincarné dans un être humain qui est Jésus Christ, avec tous les attributs humains, y compris la capacité de mourir (du moins dans un premier temps) et reconnu comme humain par les chrétiens, et qui prouve son éternité par une réincarnation après son exécution.

    2°) l’être humain qui a été choisi par dieu est né d’une femme seulement et n’a pas eu d’autre père que dieu lui-même mais pas au sens matériel. Il est né sans sexualité, sans rapport sexuel et sans père génétique.

    3°) ce dieu-humain a souffert comme un être humain, a saigné, a été torturé comme un humain et, nous dit-on, pour souffrir à la place des humains, pour les sauver, pour les défendre y compris contre leurs mauvaises pensées.

    4°) le rôle central de la mère de Jésus est d’autant plus souligné qu’il n’a pas de père à proprement parler et c’est une grande nouveauté à l’époque dans la région et par rapport notamment à la religion des Hébreux.

    5°) un dieu de bonté et de justice s’opposant au dieu de peur et de vengeance, un dieu de pardon et de douceur, un dieu qui cherche amour et bienveillance et non punition et violence

    D’où proviennent, dans les événements historiques, ces caractéristiques particulières qui les distinguent de celles des religions dominantes de l’époque et de la région ?

    Mais, pour ce que l’Histoire peut reconstituer, qui étaient Jésus, Marie sa mère, Joseph, qui étaient le père et la mère de Jésus et quelles circonstances historiques ont amené un groupe de Juifs à croire à l’histoire de Jésus ?

    Les historiens ont reconnu qu’un dénommé Jésus est né en l’année quatre… après J.-C. ce qui suppose une simple erreur de quatre ans sur la date de sa naissance, ce qui est un péché véniel par rapport à la vérité historique. Il semble même qu’il ne soit pas né à Béthléem ni le 25 décembre mais tout cela n’est que détails. Il y aurait bel et bien un être humain qui s’est appelé Jésus et qui est né Juif de par sa mère Marie, qui était juive et s’appelait Myriam, fille d’Hanna et Joachim, deux Juifs de Galilée. Pourquoi Marie a considéré que son fils n’avait pas de père ? Eh bien, parce que l’enfant de Myriam est né d’un viol, celui de sa mère par les troupes romaines qui assiégeaient la région et avaient programmé des massacres du fait de la révolte de certaines villes des Hébreux de Galilée dont la ville d’Hanna et Joachim, c’est-à-dire la ville Sepphoris Cette ville de Galilée avait été écrasée, après s’être révoltée, et a été massacrée par les troupes romaines de Varus, les hommes (des Hébreux) assassinés massivement (deux mille morts) et les femmes violées et condamnées à devenir femmes de soldats. L’histoire de la campagne militaire du général romain Varus a été racontée par l’historien juif Flavius Josèphe. Myriam n’était que l’une d’entre elles et Jésus que l’un des multiples enfants qui avaient une mère juive et un père guerrier et violeur… romain. Toutes ces victimes des horreurs subies ont été fortement frappées physiquement et psychologiquement par la violence des guerriers. Elles ont développé une croyance dans laquelle la mère avait un rôle central, et déifié en partie Marie et son rôle de mère, ce qui les distinguait à la religion juive où la femme était complètement discréditée et mise à l’écart de toute la religion.

    Ces femmes, forcées d’épouser des soldats romains et d’éduquer leurs enfants, ont développé une philosophie de paix, de pardon, de réconciliation (elles devaient se réconcilier avec leur mari romain qui les avait enlevées et enfantées de force), une idéologie qui ne glorifiait plus les massacres guerriers, qui avait des racines dans l’idéologie juive en même temps que dans celle des Romains, et dans laquelle les Romains et les Hébreux allaient pouvoir se reconnaître, car leurs enfants, même s’ils étaient Juifs car de mère juive (la religion s’y transmettant de mère en enfants), étaient aussi Romains (la citoyenneté s’y transmettant de père en enfants), car fils de père Romain, de guerriers de l’armée romaine… Selon les historiens, Jésus était le fils d’un guerrier romain de l’armée de Varus nommé Abdes Pantera et dont l’enfant avait été appelé Yeshua ben Pantera. Ce phénicien, membre de l’armée romaine, est devenu par la suite citoyen romain sous le nom de Tiberius Julius Abdes Pantera.

  • Les origines du christianisme - Karl Kautsky :

    En français : Lire ici

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