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Descartes a-t-il raison de dire que le langage est ce qui distingue l’homme de l’animal ?

samedi 25 août 2012, par Abdel

Est-il vrai, comme le prétend Descartes, que le langage serait le propre de l’homme ?

La thèse de Descartes sur l’inexistence du langage chez les animaux est liée à la théorie de l’animal-machine rédigées l’une comme l’autre dans son fameux "Discours de la Méthode".

"Les animaux sont des automates", affirme alors Descartes.

Des "automates" qui seraient dépourvus d’âme et de raison. Si les bêtes expriment des passions cependant, il n’y a pas chez elles de véritable langage.

Tous les hommes, en effet, emploient des signes pour communiquer leurs pensées. Aussi, l’absence de ces signes chez l’animal montre qu’il ne pense pas.

Toutefois, il n’est pas exclu de penser que les bêtes "parlent" entre elles mais que nous ne les entendons pas car, ajoute t-il en conclusion :

Citation :
"Comme les chiens et quelques autres animaux qui nous expriment leurs passions, ils nous exprimeraient aussi bien leurs pensées, s’ils en avaient."

Il était indispensable à Descartes, dans sa philosophie, de distinguer de manière diamétralement opposée l’homme et l’animal car tout le but de Descartes est de sortir philosophiquement l’âme du corps, de faire de l’homme un être caractérisé par sa pensée et non issu de son corps...

Mais nous savons aujourd’hui que le cerveau humain se construit en symbiose avec le corps, qu’aucun ne peut fonctionner sans l’autre et que l’opposition corps/cerveau est dialectique et non diamétrale !

« Le langage est le propre de l’homme Il n’y a pas de préjugé auquel nous ne soyons tous plus accoutumés qu’à celui qui nous a persuadés depuis notre enfance que les bêtes pensent. De tous les arguments qui nous persuadent que les bêtes sont dénuées de pensée, le principal, à mon avis, est que bien que les unes soient plus parfaites que les autres dans une même espèce, tout de même que chez les hommes, comme on peut voir chez les chevaux et chez les chiens, dont les uns apprennent beaucoup plus aisément que d’autres ce qu’on leur enseigne ; et bien que toutes nous signifient très facilement leurs impulsions naturelles, telles que la colère, la crainte, la faim, ou autres états semblables, par la voix ou par d’autres mouvements du corps, jamais cependant jusqu’à ce jour on n’a pu observer qu’aucun animal en soit venu à ce point de perfection d’user d’un véritable langage c’est-à-dire d’exprimer soit par la voix, soit par les gestes quelque chose qui puisse se rapporter à la seule pensée et non à l’impulsion naturelle. Ce langage est en effet le seul signe certain d’une pensée latente dans le corps ; tous les hommes en usent, même ceux qui sont stupides ou privés d’esprit, ceux auxquels manquent la langue et les organes de la voix, mais aucune bête ne peut en user ; c’est pourquoi II est permis de prendre le langage pour la vraie différence entre les hommes et les bêtes. »

DESCARTES

Descartes contre Montaigne : les animaux ne parlent pas ?

1) Montaigne, Les Essais, II, xii : les animaux ont un langage.

Montaigne part du constat de cette communication animale pour dire que les animaux parlent tout comme l’homme. Il donne donc à la communication animale pleine valeur de langage : "qu’est-ce autre chose que parler, cette faculté que nous leur voyons de se plaindre, de se réjouir, de s’entr’appeler au secours, se convier à l’amour, comme ils font par l’usage de leur voix ?"

Précision : si Montaigne peut soutenir la thèse d’un langage animal, c’est parce qu’il a d’abord nié la spécificité du langage verbal par rapport à la communication par gestes. Pour lui, le corps signifie tout entier. Il estime même que l’immédiateté et la publicité avantagent la communication par gestes sur la communication langagière.

Bref : si les animaux parlent tout comme l’homme, c’est parce que le langage est naturel. Etant naturel, il ne peut pas être la différence spécifique entre l’homme et l’animal.

2) Descartes, Lettre à Newcastle ; Discours, 5 : le langage est le propre de l’homme.

Part du même constat que Montaigne et que V.Frisch : les animaux communiquent entre eux, et parfois de manière vraiment très complexe.

Contrairement à Montaigne, il va se poser la question de savoir si cela est bien le signe que les animaux parlent, en isolant d’abord les caractéristiques du langage humain au sein des systèmes de communication.

Il montre que ces caractéristiques se ramènent à l’expression des pensées : la parole véritable renvoie à une pensée dont elle est l’extériorisation.

Par là, il refuse de limiter les fonctions linguistiques au seul usage de la voix : cf. fait que les sourds-muets de naissance ne peuvent s’exprimer par la voix mais inventent "quelques signes par lesquels ils se font entendre" et "expriment leurs pensées"

Puis il va se demander quelles capacités il faut donner à l’animal pour rendre compte de ses performances. Supposent-elles qu’on lui accorde la faculté de penser, ou bien les passions sont-elles suffisantes pour en rendre compte ?

Les passions sont suffisantes car les animaux ne font qu’exprimer des affects (cris) ou poursuivre des fins biologiques. On ne trouve chez l’animal que quelque chose de l’ordre de la réaction immédiate à une sollicitation extérieure. Le langage n’est pas un comportement, un programme.

Conclusion : le langage est le propre de l’homme non parce que seul l’homme peut proférer des paroles, mais parce que seul il pense et peut exprimer ou communiquer ses pensées aux autres et surtout parce qu’il a un aspect créateur.

Ce qui singularise l’homme, c’est d’avoir un langage qui lui permet de s’ajuster à n’importe quelle situation. L’homme a la capacité de composer les signes linguistiques selon des arrangements divers, qui lui permettent de faire face à n’importe quelle situation de discours (ce que l’on fait grâce à la dimension syntaxique : sans programmation préalable, une réponse sera toujours possible).

Comme chacun sait, l’homme a cherché dans de multiples domaines la raison de ce qu’il estimait être sa supériorité sur l’animal. Une quête sans fin car l’homme fait partie intégrante de l’animalité et la recherche de frontières étanches en de tels domaines est définitivement inutile. On connait bien les comparaisons de l’homme et des singes.

On sait aussi que le gros cerveau a longtemps servi à nous distinguer de l’animal : lire ici. Or d’anciens humanoïdes pouvaient avoir un cerveau aussi gros ou plus gros que nous, le sapiens sapiens !

Pour Descartes, le langage est une spécificité humaine. Seul l’homme parle et utilise des signes pour communiquer ses pensées. Il doit apprendre ces signes. Ces signes sont d’une autre nature que le cri inné et codifié des animaux. Parler est donc le propre de l’homme. D’ailleurs, les sourds-muets en sont un excellent exemple puisqu’ils parviennent à communiquer en inventant un autre langage. L’homme peut penser sans parler mais il ne peut pas parler sans pensée. C’est le cogito. Le langage humain fait appel à l’imagination, à l’invention, à la création. Le linguiste français Benveniste récuse l’expression de "langage animal" : les animaux usent en réalité d’un code de signaux. interprétant les recherches du zoologiste autrichien Karl von Frisch, il observe que la communication animale est stéréotypée (le signal a toujours la même signification), héréditaire ( le signal est inné, transmis génétiquement) et ne permet pas l’échange linguistique (les abeilles ne "dialoguent" pas mais répondent à un signal par une action ; exemple : aller chercher la nourriture). On ne peut donc pas parler d’un langage animal. Des études scientifiques montrent actuellement que les choses ne sont pas si tranchées : certains animaux "inventent" et "échangent" entre eux, "communiquent" avec l’homme, prennent des initiatives et que s’ils ne parlent pas "humain", on ne peut plus affirmer qu’il ne pensent pas (dauphins, grands singes, et quelques autres mammifères).

Mais, cette fois, nous trouvons que des animaux, très différents des singes ou des anciens humanoïdes peuvent communiquer par un langage !

Les papillons et leur langage fondé sur la couleur des ailes

Les jolies couleurs irisées parfois visibles sur les ailes transparentes des Insectes ne seraient pas aléatoires, mais définies par l’espèce et le sexe de l’animal. Cette découverte devrait permettre de revoir la classification des Insectes par les entomologistes.

Lorsque l’on regarde les ailes transparentes des Insectes selon un angle particulier, de jolis reflets irisés sont perceptibles. Roses, verts, jaunes, bleus… Ce joli patchwork coloré nous est donné par un effet d’optique lié à la lumière blanche qui arrive sur les ailes dans des conditions favorables.

Il est le résultat d’interférences de lumière dus à la superposition de deux très fines couches de chitine, une protéine qui constitue les ailes et la cuticule. Lorsque des rayons lumineux arrivent sur cette surface, 80 % traversent l’aile alors que les 20 autres pourcents sont reflétés par la chitine, nous offrant ce beau spectacle.

Bien que les couleurs des Insectes aient été dans l’ensemble largement étudiées (notamment chez les papillons), il semble que les couleurs des ailes transparentes, pourtant connues depuis longtemps, n’aient intéressé personne jusqu’à présent. Une équipe de recherche menée par des entomologistes de l’université de Lund en Suède ont comblé ce manque en étudiant en détail ces étonnantes couleurs.

Afin de comparer de façon précise les différents motifs, les ailes d’Insectes (de diptères et d’hyménoptères) provenant principalement de collections de musées ont été placées horizontalement sur un fond noir et photographiées à des angles proches de la perpendiculaire. Ce genre d’observation n’avait jamais été réalisé puisque les entomologistes préfèrent généralement observer les insectes sur fond blanc où il est alors plus facile de déterminer l’appartenance de l’animal à une espèce particulière.

Grâce à la génération par ordinateur d’une série de couleurs de Newton par interférence à l’aide de l’indice de réfraction de la chitine (1,57), les chercheurs ont obtenu une échelle de couleurs qui correspondent à la lumière réfléchie par les deux couches de chitine superposées en fonction de l’épaisseur globale de l’aile. L’échelle est composée de l’ensemble des couleurs du spectre visible (l’arc-en-ciel), excepté le rouge. Ce motif se répète trois fois (jusqu’à une épaisseur d’aile de 550 nanomètres), puis la lumière réfléchie donne ensuite des couleurs magenta et vertes non-spectrales (couleurs visibles par l’œil humain, mais en réalité composées d’un mélange de plusieurs longueurs d’ondes), pour finir progressivement sur un gris pâle au niveau des couches les plus épaisses.

Ces reflets sont bien connus puisque l’on observe les mêmes lorsqu’une fine couche d’huile recouvre une flaque d’eau ou sur une bulle de savon. Mais à l’inverse de ces reflets qui sont aléatoires, les chercheurs se sont vite rendu compte que les motifs d’interférence des ailes ou WIP (pour wing interference patterns en anglais) étaient constants quel que soit l’angle d’observation. En fait, les motifs ne dépendaient que de la morphologie et de l’épaisseur de l’aile, des critères constants en fonction de l’espèce de l’insecte et de son sexe, d’après les travaux publiés dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences.

Si ces propriétés des ailes permettront probablement aux entomologistes de mieux distinguer deux espèces de mouches morphologiquement très similaires et ainsi de revoir les classifications phylogénétiques, ces couleurs seraient également importantes pour les Insectes. En effet, alors que les ailes ont une utilité incontestable pour la mobilité de l’Insecte et donc pour qu’il puisse trouver de la nourriture ou échapper à un prédateur, elles seraient aussi probablement importantes pour la communication intra ou inter-espèce, à l’image des ailes colorées des papillons.

Leurs couleurs pourraient notamment leur permettre d’être reconnues par un individu de sexe opposé pour favoriser l’accouplement. Comme les abeilles qui sont attirées par les fleurs aux couleurs ultraviolettes, les autres insectes pourraient également utiliser ces couleurs irisées pour mieux interagir avec leurs congénères.

Le langage des dauphins

Chez le dauphin, l’émission se fait à partir de sa tête. Dans un premier temps, l’animal comprime son évent, ce qui produit des sons qu’il regroupe ensuite dans son melon : une sorte de boule graisseuse située juste au-dessus du crâne, à la place de notre front humain. Le dauphin peut d’ailleurs déformer son melon s’il souhaite donner plus de puissance aux ultrasons qu’il envoie. Puis, du melon, les sons sont directement envoyés droit devant. Ils finissent tous par heurter un obstacle (rocher, épave, banc de poissons), ce qui les fait rebondir et revenir jusqu’au dauphin qui les reçoit grâce à sa mâchoire inférieure. Les sons sont alors reconduits vers l’oreille interne du cétacé. Ne reste plus au cerveau qu’à interpréter les informations que contiennent ces sons et à dresser une image des objets et animaux environnants.

Les dauphins ont effectivement un langage

Pourra-t-on décrypter le langage des dauphins ?

Un autre langage que possèdent les dauphins est celui des "clicks". Il s’agit d’une impulsion sonore que peuvent entendre des oreilles humaines (pas comme pour le sonar où il s’agit d’ultrasons). Ces impulsions se traduisent par des petits bruits explosifs et graves.
Ceux-ci ont plusieurs fonctions. Ils peuvent aussi bien correspondre au nom d’un dauphin : de cette manière, les individus s’identifient entre eux ; tout comme ils peuvent être un moyen pour perturber le système d’orientation de leurs proies. Elles sont donc déstabilisées et plus faciles à attraper. Ces bruits servent également à intimider les squales, dangereux ennemis des dauphins car redoutables carnassiers des océans. Enfin, ces impulsions sont également utilisées, lorsqu’elles sont plus longues et portées à l’aigu, pour aider le dauphin à se repérer et à chercher de la nourriture.
La précision d’un click dépend de sa fréquence : plus elle est élevée, plus le click est précis.

La réponse des philosophes

Lire ici la discussion sur le langage qui serait "le propre de l’homme"

Une autre manière de répondre à Descartes

« C’est notre conscience qui nous fait croire que l’homme est le centre de l’univers. »

Spinoza

Petit historique

En 1952, le linguiste Emile Benveniste publie un article dans Diogène, intitulé « Communication animale et langage humain »3. Cet article est une réaction aux découvertes fondamentales (et très modernes pour l’époque) du zoologue Karl von Frisch sur la communication des abeilles. En montrant que les abeilles ouvrières pouvaient indiquer à leurs congénères la direction, la distance mais aussi la qualité d’une source de nourriture par rapport à la ruche.

Le linguiste suisse analyse les différences entre le « langage » des abeilles et celui des humains. L’enjeu est considérable, puisqu’il s’agit de savoir si l’être humain a, d’un point de vue linguistique, un semblable sur terre : « [...] pour la première fois nous pouvons nous représenter le fonctionnement d’un « langage » animal. Il peut être utile de marquer brièvement en quoi il est ou il n’est pas un langage, et comment ces observations sur les abeilles aident à définir, par ressemblance ou par contraste, le langage humain. »

Les différences relevées par Benveniste sont les suivantes :

« Le message des abeilles consiste entièrement dans la danse, sans intervention d’un appareil « vocal », alors qu’il n’y a pas de message sans voix » ;

« Le message des abeilles n’appelle aucune réponse de l’entourage, sinon une certaine conduite, qui n’est pas une réponse » : le dialogue (et l’intersubjectivité qui lui est essentielle) est une condition du langage ;

« Le message d’une abeille ne peut être reproduit par d’autres » : la fonction métalinguistique du langage est ignorée des abeilles ;
« dans le langage humain, le symbole en général ne configure pas les données de l’expérience » : le signe chez les abeilles n’est pas arbitraire puisqu’il y a correspondance entre la quantité de danses et la distance de la fleur ;

« Le message des abeilles ne se laisse pas analyser » : il n’y a pas de morphologie du « langage » des abeilles. Dans le langage humain, « un nombre assez réduit de morphèmes permet un nombre considérable de combinaisons, d’où naît la variété du langage humain, qui est capacité de tout dire ».

Selon ces critères, la danse des abeilles n’est donc pas un langage mais seulement une capacité à communiquer. Ces conditions nécessaires sont néanmoins critiquables en particulier la première : Le système vocal n’étant qu’un système de transmission d’information comme un autre. La langue des signes bien que n’utilisant pas la voix humaine, est bel et bien un langage doté d’une syntaxe et d’une sémantique.

Dans le Schéma de Jakobson, les abeilles connaissent la fonction référentielle de la communication. Elles ne connaissent pas vraiment la fonction conative puisqu’il n’y a pas possibilité de dialogue, et pas d’attention aux autres individus (sinon sur la ruche dans son ensemble). Les abeilles ignorent la fonction phatique puisqu’elles ne vérifient pas que le contact a bien lieu ; elles ignorent aussi les fonctions métalinguistique et expressive puisqu’elles ne peuvent ni parler d’elles ni parler du langage. La différence avec le langage humain est donc considérable. Benveniste conclut l’article en remarquant : « Ce n’est pas le moindre intérêt des découvertes de Karl von Frisch, outre les révélations qu’elles nous apportent sur le monde des insectes, que d’éclairer indirectement les conditions du langage humain et du symbolisme qu’il suppose ».

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