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Etienne Marcel ou la révolution bourgeoise triomphante en 1356

dimanche 29 novembre 2009, par Robert Paris

La défaite de la royauté française à Crécy est une défaite de la France mais aussi une défaite de la féodalité

L’Etat français n’a plus de roi car celui-ci a été capturé par les Anglais

Etienne Marcel, prévôt des marchands de Paris, en quelques étapes, va prendre les rênes de l’Etat

Etienne Marcel en uniforme de chef de guerre tenant l’épée d’un côté et de l’autre la charte imposée à la royauté symbolise la nouvelle force de la bourgeoisie parisienne prenant la tête de la bourgeoisie de tout le nord du pays. Elle ne compte plus sur le roi et ses féodaux pour se défendre et le fait elle-même, notamment en fortifiant Paris.

Etienne Marcel a organisé la prise du palais royal avec une armée de la bourgeoisie s’appuyant sur le peuple de Paris

La mort des maréchaux sous les yeux du Dauphin signe la révolution

Mort des maréchaux

Etienne Marcel est dès lors le véritable chef de l’Etat et, pour la première fois, la bourgeoisie gouverne

La révolte des paysans assassine les seigneurs mais fait peur à la bourgeoisie des villes qui n’ose pas s’allier avec elle

L’armée paysanne des Jacques est écrasée à Meaux

Etienne Marcel est assassiné par trahison mais surtout parce que la bourgeoisie parisienne est incapable d’assumer le caractère révolutionnaire du pouvoir bourgeois qu’il incarne. Etienne Marcel, contrairement à Robespierre, ne dispose pas de la force des sans culottes des villes.

Le Dauphin rentre dans Paris en vainqueur en 1358

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La Révolution française bourgeoise et le pouvoir bourgeois
datent de ... 1356-1358 !

La Révolution française de 1789 apparaît souvent comme la victoire « naturelle » de la bourgeoisie française, puis européenne. Naturelle signifie en l’occurrence que cette bourgeoisie aurait été logiquement portée au pouvoir par son rôle, par sa conscience et par se capacité à diriger les autres classes opprimées. La date de 1789 serait donc le moment inévitable pour lequel la bourgeoisie devait nécessairement gouverner. C’est loin d’être aussi simple. Il est exact que les circonstances historiques ont joué favorablement à ce moment. Le caractère inévitable de cette victoire est loin d’être établi. Quant à concevoir que c’était forcément le bon moment, ce n’est pas ainsi que l’Histoire semble nous raconter cette histoire de la bourgeoisie. La bourgeoisie européenne (et ne parlons pas de la bourgeoisie mondiale !) a gouverné des villes-Etats bien avant 1789. Elle a plus ou moins durablement pris le pouvoir des centaines d’années avant. Un seul exemple en dira assez long : la révolution de 1356 au cours de laquelle la bourgeoisie a momentanément eu le pouvoir d’Etat. Si la révolution de 1789 en France a marqué l’Histoire, les multiples révolutions bourgeoises qui l’ont précédé, elles, sont souvent oubliées. Pourquoi la bourgeoisie française qui présente comme naturelle sa prise de pouvoir en 1789, aurait-elle intérêt à se souvenir qu’elle a pris le pouvoir une première fois à Paris en 1358, avec la révolution d’Etienne Marcel , soit plus de 400 ans avant la « grande révolution » française ? Voilà qui ne pourrait que nuire à l’image simple et tranquille d’une évolution naturelle vers la société bourgeoise. Combien ont appris que la bourgeoisie française a échoué une dizaine de fois dans ses tentatives révolutionnaires avant de prendre le pouvoir ? N’oublions pas qu’en 1306, 1358, 1382, 1410, 1588, 1648, 1789, 1793, 1830, 1848 et 1871, le petit peuple de la ville de Paris est apparu comme le drapeau de la révolution aux yeux du monde. La nécessité de la révolution est d’autant plus masquée que 1789 est présenté comme un événement à part, isolé de la transformation du monde, de la révolution américaine, de la révolution anglaise, de la révolution européenne. Se souvient-on, par exemple, que la révolution « française », avant de gagner la France, a débuté en 1782 en Suisse, puis en 1783-87 aux Pays Bas et en 1789 en Belgique, avant de gagner la France en 1789 et d’exploser à nouveau en 1793 ? Bien peu de gens, en France, connaissent la révolution bourgeoise anglaise, qui a eu lieu environ cent ans avant la française. La bourgeoisie anglaise ne fait-elle pas elle-même semblant de n’avoir jamais été révolutionnaire en conservant une royauté sans utilité autre que décorative et dépensière. Elle a pourtant initié la révolution bourgeoise et coupé la tête du roi bien avant d’en faire de même sur le continent européen. La société actuelle fait tout ce qu’elle peut pour ne pas se souvenir qu’elle a été engendrée par des révolutions .

RESUME

Le 22 février 1358, Étienne Marcel, prévôt des marchands de Paris, prend violemment à partie le Dauphin Charles, régent du royaume. Pour la première fois, la monarchie chancelle. La France ne passe pas loin d’une révolution comparable à celle qui surviendra 440 ans plus tard...
La France dans l’abîme
Quinze mois plus tôt, la noblesse française a été défaite à Poitiers par les Anglais et le roi capturé, fait sans précédent dans l’Histoire des capétiens.
Le Dauphin Charles, héritier du trône, assume aussitôt la régence avec le titre de lieutenant général du royaume. C’est un jeune homme de dix-huit ans, malingre et incapable de tenir une épée. Il ne paie pas de mine mais va très vite montrer un tempérament hors du commun.
Il réunit à Paris les états généraux de langue d’oïl (le nord de la Loire) et à Toulouse ceux de langue d’oc (le sud de la Loire). En l’absence de nombreux féodaux, capturés ou tués à la bataille de Poitiers, les riches bourgeois des villes dominent ces assemblées. Le Dauphin leur demande de nouveaux subsides mais les députés en profitent pour faire entendre leurs conditions.
Aux états généraux de langue d’oïl se font entendre Robert Le Coq, évêque de Laon, dévoué à Charles le Mauvais, et Étienne Marcel. Ce dernier est un riche drapier quadragénaire qui a été élu prévôt des marchands de Paris aux états généraux de 1355.
Les deux meneurs exigent de libérer le roi de Navarre, incarcéré deux ans plus tôt par Jean II le Bon, ainsi que de contrôler la perception et l’usage des impôts. Le Dauphin n’a pas le choix. Il s’incline et promulgue le 3 mars 1357 une Grande Ordonnance de 61 articles dans lesquels s’affichent des préoccupations sociales et démocratiques. Il se garde néanmoins de la mettre en application...
Très vite, la pagaille s’installe dans le royaume. Charles le Mauvais, qui a été libéré et veut se venger des Valois, entre en tractations avec les Anglais en vue de s’approprier quelques belles provinces.
De son côté, Étienne Marcel, qui tient les fonctions d’un maire et rêve pour Paris d’une autonomie analogue à celle des villes flamandes ou italiennes de l’époque (Bruges, Florence,...), se lasse de la résistance du Dauphin. Il lie partie avec le roi de Navarre qui n’hésite pas à venir dans la capitale haranguer le peuple. Le Dauphin agit de même !
Massacre au saut du lit
Les rixes se multiplient dans la capitale. N’en pouvant plus d’attendre, Étienne Marcel décide de forcer la main du Dauphin...
C’est ainsi que ce matin du 22 février 1358, le prévôt accompagné d’une troupe en armes pénètre à grand fracas dans la chambre du Dauphin.
Il s’en prend à deux conseillers du dauphin, les maréchaux de Champagne et de Normandie, Robert de Clermont et Jean de Conflans, et les accuse de mal servir la couronne.
Les deux hommes sont assassinés sous les yeux terrifiés de Charles, qui doit accepter de coiffer le chaperon rouge et bleu, aux couleurs de la capitale, dont Étienne Marcel a fait le signe de ralliement de ses partisans.
Complètement démuni, le Dauphin dépend du prévôt pour obtenir des subsides. Aussi feint-il d’accepter ses conseils et ses projets de réformes.
Revanche royale
Quelques semaines après avoir fait mine de se soumettre au prévôt des marchands, il s’enfuit de Paris de façon quelque peu rocambolesque. Il assiège aussitôt la capitale avec ses troupes.
De son côté, Étienne Marcel se déconsidère par ses alliances avec les paysans en révolte du Beauvaisis et le roi de Navarre Charles II le Mauvais.
Le 31 juillet 1358, Jean Maillard, un échevin fidèle à la royauté, fait assassiner le prévôt des marchands, Étienne Marcel, devant la porte Saint-Antoine, alors qu’il s’apprêtait à livrer les clés de la ville à Charles le Mauvais.
L’héritier de la couronne, le dauphin Charles, qui a surpris tout le monde par sa force de caractère, peut enfin rentrer en triomphe dans sa capitale le 2 août 1358.
Quelques années plus tard, devenu roi sous le nom de Charles V le Sage, il n’aura rien de plus pressé que de faire édifier la Bastille afin de tenir en respect les turbulents Parisiens. De tous ces malheurs qui auraient pu entraîner révolution et séditions, la monarchie et l’État vont paradoxalement sortir renforcés.

La première victoire de la révolution bourgeoise en France

« Pratiquement au moins depuis 1295, c’est la bourgeoisie du royaume qui assure la trésorerie du roi de France. Quand Philippe le Bel a besoin d’argent, et il en a constamment besoin, il s’adresse aux fidèles bourgeois de ses villes et leur demande des prêts. Ces prêts, il les rembourse en autorisant les échevinages à percevoir des tailles ou des maltôtes sur le produit desquels les prêteurs se paient. (…) L’année 1303 est une date marquante (…) Une sévère défaite a été infligée à l’armée de Philippe le Bel par les Flamands à Courtrai. (…) A la bataille de Courtrai, les bourgeois de la Flandre ont vaincu les chevaliers du roi de France. Le retentissement de cette action est immense. Non seulement les bourgeois ont pour eux leur richesse, leurs relations commerciales, leur sens des affaires mais ils sont capables de battre les militaires de profession. La bourgeoisie du royaume bénéficie, en un sens, de la défaite de son pays. Il est évident pour tous qu’une politique qui les laisserait à l’écart serait vouée à l’échec. D’ailleurs la royauté elle-même tire la leçon de sa défaite et la victoire royale de Mons-en-Pévèle est due, pour une part majeure, à la présence et à la bonne tenue sur le champ de bataille des contingents envoyés par les villes.
Les attaques de la noblesse et du clergé contre la bourgeoisie se heurtent au fait que le concours de celle-ci est indispensable à la monarchie capétienne. (…) Cet état de choses a suscité les protestations dès la fin du règne de Philippe le Bel, avec l’apparition des ligues provinciales, animées par les barons, qui réclament un retour aux anciennes franchises et la suppression des maltôtes. (…)
La confrérie, au Moyen Age, joue le rôle que tiennent aujourd’hui les syndicats, pour défendre le métier, et de mutuelles pour venir en aide aux personnes âgées, aux malades, aux veuves et aux orphelins. (…) Les confréries ont joué un rôle majeur à Paris dans la période troublée qui aboutit à l’insurrection du petit peuple de la capitale contre les patriciens et qui voit le pillage des hôtels et biens d’Etienne Barbette. (...) Une des premières confréries à obtenir une autorisation après l’insurrection de la fin 1306 est celle des marchands hansés de Paris en octobre 1307. Celle des drapiers le sera deux ans plus tard, en 1309. Il est probable qu’Etienne Marcel faisait partie de la première. Il est certain qu’il ne peut manquer d’appartenir à la seconde, qui regroupe les hommes de sa profession. Mais c’est à une troisième que nous le voyons participer activement en 1338, celle des Pèlerins de Saint-Jacques. (…) Il dispose désormais de cette ressource essentielle qu’est le renseignement. (…)
En 1328, le Comte de Valois est monté sur le trône et les historiens l’appellent Philippe VI. (…) Mais il y a un autre prince en âge de relever la couronne : le roi d’Angleterre Edouard III. (…) On ne l’écoute pas et Philippe de Valois est couronné à Reims dans un grand faste. (…) Tout paraît donc réglé pour le mieux et la victoire que Philippe VI remporte sur les Flamands, encore une fois rebelles, à Cassel aussitôt après cet avènement, a conforté sa situation. (…) En 1337, le roi d’Angleterre n’hésite à revenir sur les hommages qu’il a prêtés et à se proclamer le véritable et légitime roi de France. La guerre est inévitable. (…) La Flandre s’allie aux Anglais, sous le gouvernement de Jacques d’Artevelde. Progressivement toute la partie occidentale de la France, depuis la région de Bordeaux jusqu’aux frontières flamandes, s’agite ou s’enflamme. (…) L’opinion s’étonne que la royauté ait toujours besoin de nouvelles contributions, alors que Philippe VI renforce la gabelle, continue de lever la taxe sur les transactions dans les boutiques et les marchés et que la monnaie a perdu, par mutations, les quatre cinquièmes de sa valeur. (…) C’est le motif avoué de la convocation d’une assemblée d’Etats à Paris, au mois d’août 1343. A cette assemblée sont invités ceux qu’on appelle les « trois états du royaume », c’est-à-dire des représentants du clergé, de la noblesse et des villes. (…) L’assemblée d’Etats de 1343 inaugure la série des consultations de représentants du royaume qui va durer quinze ans et auxquelles Etienne Marcel prendra, un jour, une part majeure. (…) Mais la guerre a repris. Il faut encore et toujours de l’argent pour la faire. Le roi le demande de nouveau aux Etats qui sont convoqués pour le mois de février 1346. (…) Les hommes désignés pour lever et répartir ce fouage militaire demandent un homme d’armes, c’est-à-dire un cavalier monté, armé et accompagné, pour deux cent feux, ou encore quatre sergents de guerre pour cent feux. C’est cette armée qui est lancée à la rencontre, puis à la poursuite d’Edouard III, débarqué dans le Cotentin, et qui va se faire massacrer dans la plaine de Crécy, le 26 août 1346. (…) Après un moment de panique, d’étourdissement, l’opinion se rassemble et se dresse contre le pouvoir. Elle exige un changement. Elle les obtient. (…) L’épuration, c’est l’élimination des hommes d’affaires, bailleurs de fonds de la monarchie. (…) L’armée qui a été envoyée pour débloquer le port de Calais, assiégé par terre et par mer par Edouard III se disloque sans avoir obtenu le résultat qu’elle recherchait. (…) Les populations s’inquiètent, et c’est le cas de celle de Paris. Le 12 août 1346, au moment où Edouard III, débarqué en Normandie, s’approche de la capitale, on a donné l’ordre de démolir les maisons et autres constructions que les Parisiens avaient édifiées contre le rempart et qui pourraient gêner la résistance à un siège par l’ennemi. Certains habitants s’y opposent et prennent les armes pour empêcher cette démolition. (…)
La grande peste de 1348-1349, la Peste Noire comme on l’a appelée, suspend toutes choses. Chacun se terre dans l’attente de la fin du fléau. Il n’est plus question de rassembler des armées pour combattre. (…)
Etienne Marcel continue ses fournitures de draps de Flandre et du Brabant en 1352 et 1353. (…) Par les contacts qu’il a eu eus au cours de ces voyages d’affaires, il a rencontré des collègues qui lui ont parlé de ce qui était arrivé en Flandre, à l’époque où le brasseur Jacques d’Artevelde avait fait acte de rébellion contre le comte de Flandre. On peut imaginer que le futur chef de la Révolution parisienne a subi l’influence de bourgeois de Gand ayant participé aux événements survenus dans leur ville entre 1338 et 1345. (…) Etienne Marcel est assidu aux séances des confréries auxquelles il appartient et, en août 1350, il est choisi comme prévôt de l’importante confrérie aux Prêtres et Bourgeois de Paris, la plus prestigieuse et la plus ancienne de ces associations. (…) Etienne Marcel est prévôt des marchands de Paris en 1354. (…) On constate qu’Etienne Marcel parvient à ce poste éminent dans un moment difficile où le roi de France est confronté à la contestation (…) La désignation d’Etienne Marcel comme successeur de Jean de Pacy marque-t-elle un changement de la part de la haute bourgeoisie de la capitale ? A première vue, il n’en est rien. Etienne Marcel appartient à l’un des clans les plus en vue de cette bourgeoisie. (…) Ses attaches familiales l’unissent aux Cocatrix, aux Pacy, aux Dammartin, à la bourgeoisie d’affaires de la première moitié du 14e siècle. On peut donc penser que les hommes les plus influents du patriciat parisien l’ont choisi pour tenir le même rôle qu’un jean Pidzoue ou qu’un Jean de Pacy. Et pourtant l’élection d’Etienne Marcel n’est pas la simple continuation de ses prédécesseurs. Le nouveau prévôt des marchands est un homme sur lequel les événements ont marqué (…) La bourgeoisie parisienne est sensible à ces différences. (…) Si elle choisit Etienne Marcel comme prévôt des marchands en 1354, c’est parce qu’il leur paraît l’homme le mieux adapté à la grande confusion politique du moment. (…) Des négociateurs, qui ont conclu pour le roi Jean le traité de Mantes si avantageux pour le roi de Navarre, sont maintenant à l’œuvre dans une autre négociation avec le roi d’Angleterre, Edouard III. Les négociations (…) aboutissent à un véritable partage du royaume. Edouard III recevrait, en toute souveraineté, l’Aquitaine, le Poitou, le Limousin, la Touraine, l’Anjou, le Maine, le Ponthieu et la région Calais-Guines. Pour ces immenses fiefs, le roi d’Angleterre ne serait plus tenu de rendre hommage au roi de France. (…) Que peuvent penser les bourgeois de Paris des traités de Mantes et de Guines et de la situation difficile du roi débordé par ses propres conseillers ? Ils sont fort inquiets. Partager le royaume, c’est renoncer à l’œuvre centralisatrice de deux siècles. Si Paris est la plus grande ville de l’occident, elle le doit à sa situation de capitale du plus grand royaume de l’Europe chrétienne. (…) Il y a un autre risque pour la hanse parisienne. (…) Renforcer la situation de Charles le Mauvais en Normandie, alors qu’il tient déjà les verrous de Meulan ou de Mantes, c’est risquer l’interruption, ou au moins la gêne, pour l’important trafic qui va de Paris à la basse Seine. (…) A partir du 30 novembre 1355, toute l’activité politique est suspendue à la réunion des Etats de la langue d’oil. (…) Le choix d’Etienne Marcel comme l’orateur des villes est important. Il prouve que le nouveau prévôt des marchands de Paris est déjà connu et apprécié par les représentants des autres cités de la langue d’oil. (…) L’archevêque de Reims, le duc d’Athènes et le prévôt des marchands de Paris donnent la réponse des Etats aux demandes exposées par le chancelier Pierre de La Forêt. Pour battre les troupes gasconnes et anglaises du Prince Noir et d’Edouard III, les Etats chiffrent à 30 000 hommes d’armes le montant nécessaire de l’armée. C’est considérable et cela va coûter très cher. (…) En échange, le gouvernement royal accorde toute une série de choses. La monnaie forte sera rétablie et stabilisée. (…) Le roi s’engage à ne pas proclamer l’arrière-ban, qui oblige tous les hommes valides à venir en armes (…) On interdit de nouveau les prises, ainsi que les emprunts forcés. (…) Les Etats de 1355 ont été dominés par une majorité de nobles et de bourgeois travaillant de concert. (…) On peut penser que ce sont les amis et collègues d’Etienne Marcel qui, avec lui, ont dominé les débats de l’assemblée. (…) Ces collègues qui ont travaillé avec Etienne Marcel, nous savons de quelles villes ils viennent. (…) La majorité de ces villes se situent sur les fleuves et les rivières par lesquelles passe le courant d’affaires de la bourgeoisie parisienne : Seine, Oise, Marne, Yonne et Loire. (…) Toutes ces villes sont unies, ou fédérées, pour contrôler l’exercice du pouvoir royal à la veille du grand affrontement contre l’armée anglaise. (…) une des conditions majeures mises par les Etats à l’octroi de l’aide est que le produit de la taxe sur les transactions de 8 deniers par livre et celui de la gabelle soient gérés par des « élus » sur le plan local comme à l’échelle de toute la langue d’oil. (…) Ce sont trois Parisiens qui représentent la bourgeoisie de tout le royaume de la langue d’oil dans la commission des généraux élus. Il n’y a aucun représentant des autres villes. Cela prouve le rôle majeur joué par le prévôt des marchands de la capitale au sein des Etats. (…) L’esprit qui règne alors sans contestation apparente s’exprime par un geste lourd de sens : la confirmation de l’ordonnance de réforme arrachée à Philippe le Bel en 1303. (…)
Au mois de juillet 1356, la détresse du Trésor et de la caisse des receveurs des impôts contraint le roi à revenir aux pratiques décriées des années précédentes. (…) Il ordonne un affaiblissement de la livre. (…) Quand les bourgeois apprennent que l’expérience est finie, ils considèrent que l’engagement qu’ils ont pris envers le roi est caduc. (…) A partir du mois de juillet 1356, Etienne Marcel cesse d’être l’appui du trône. (…) En s’écartant, il retire au roi le support militaire des contingents de Paris et des villes amies. C’est une armée composée uniquement de nobles qui affronte le Prince Noir à Poitiers, le 19 septembre 1356 et qui subit un immense désastre. Devant cet effondrement, les bourgeois peuvent proclamer hautement que la noblesse, à elle seule, est incapable de défendre le royaume, que si on avait davantage écouté les gens des villes, on aurait peut-être évité la honte de la défaite et de la capture du roi par l’ennemi.
Durant la première moitié de l’année 1356, Etienne Marcel apparaît non seulement comme le patron des commerçants parisiens, mais aussi, et surtout, comme un chef de guerre. (…) Etienne Marcel fait isoler le rempart de Philippe Auguste pour creuser les fossés qui le bordent. (…) Pour faciliter la défense, Etienne Marcel fait murer certaines portes, ne laissant subsister sur la rive droite que les portes Saint-Honoré, Saint-Eustache, Saint-Denis, Saint-Martin, du Temple et Saint Antoine. Il les fera protéger par des ouvrages fortifiés, des « bastilles ». (…)
Le dauphin a pris le titre de « lieutenant du roi » (…) C’est sur le fils aîné du roi que repose le destin du royaume. (…) Il n’a pas d’expérience. Il ne connaît pas les choses de l’Etat. (…) Que faire sinon, encore une fois, réunir des Etats ? (…) Etienne Marcel est de nouveau un des députés de Paris. (…) Etienne Marcel prend la parole en tant que représentant des bonnes villes (…) La représentation des villes domine, en nombre au moins, celle du clergé et de la noblesse. (…) Le 2 novembre, constatant qu’il n’y a pas d’accord possible avec les Etats, le dauphin quitte Paris pour Montlhéry et déclare que les Etats sont dissous. Le dauphin et son conseil, d’une part, Etienne Marcel et ses adhérents, de l’autre, restent face à face. Ils s’observent dans l’attente des nouveaux événements qui ne pourront manquer de survenir en raison des attitudes rigides des deux partis. (…) Etienne Marcel n’est plus l’homme au dévouement absolu sur lequel le roi Jean avait compté. (…) La rupture du contrat passé avec les Etats de la fin de 1355, la réintégration des officiers royaux de médiocre réputation, la terrible impéritie qui a conduit au désastre de Poitiers le poussent à plus de détermination (…).
Le dauphin décide que la monnaie sera rehaussée. (…) Ces ordonnances, qui datent des 23 et 25 novembre 1356, n’ont pas été tout de suite publiées. Les conseillers du dauphin craignent probablement une réaction hostile des populations. A Paris, au moins, les nouvelles ne sont annoncées que le 10 décembre (…) L’émotion de la population est immédiate. Dès le lundi 12, Etienne Marcel et un certain nombre de Parisiens demandent à être reçus par le Comte d’Anjou qui représente le dauphin absent. (…) Le mardi, Etienne Marcel et ses amis, quatre fois plus nombreux que la veille, viennent chercher la réponse. Le prévôt et les Parisiens se présentent encore le lendemain, en plus grand nombre, et le Comte d’Anjou (…) admet qu’on ne frappera pas la nouvelle monnaie (…). Le 12 décembre le roi lui-même écrit au prévôt des marchands (…) : « Nous savons bien que vous êtes gouverneur de notre bonne ville de Paris, qui est chef principal de toutes les autres villes de notre royaume… » (…) Etienne Marcel, après l’avoir reçue, en a établi copie qu’il a adressée à « d’honorables hommes, sages, en tous biens pourvus » (…) En cette période où le dauphin voyage avec le chancelier et une partie de son conseil, en ces temps où les conseillers du roi sont discutés, peu obéis, c’est naturellement vers le chef du seul pouvoir qui subsiste, la bourgeoisie des villes qui n’est pas sortie vaincue de Poitiers comme la noblesse, que se tournent les populations qui ont besoin de secours. (…)
Etienne Marcel se rend (…) avec un grand nombre de bourgeois, (…) à la rencontre du dauphin. (…) Le dauphin le convoque à nouveau le jeudi 19 janvier 1357. Etienne Marcel va au rendez vous qui lui est fixé. Mais il ne s’y rend pas seul. Il est accompagné d’une foule de bourgeois montrant ostensiblement les armes qu’ils portent. Les conseillers du duc demandent à Marcel de cesser son opposition à la frappe de la monnaie décidée au mois de novembre. Le prévôt des marchands refuse. (…) La réunion semble avoir tourné au tumulte et les officiers du roi qui se trouvent dans la capitale craignent pour leur vie. La grève des corps de métiers, la circulation de la foule en état d’alerte dans la rue n’ont rien de rassurant. (…) Le lendemain 20 janvier, assez tôt dans la matinée, le duc quitte le Louvre pour la Palais. (…) Se porter du Louvre au Palais, c’est déjà un geste de rapprochement de la part du dauphin. (…) Le 20 janvier présente plutôt les allures d’une soumission obtenue sous la contrainte d’une journée révolutionnaire. Il assure d’abord ceux qui assistent à la réunion qu’il ne tient pas rigueur à la population de Paris de la façon dont elle s’est comportée la veille. Il pardonne de bon gré. (…) Il déclare que, pour donner satisfaction à Etienne Marcel et ses amis, il accepte que la monnaie dernièrement établie n’ait plus cours. (…) Etienne Marcel triomphe. (…) Ces journées de janvier, spécialement celles des 19 et 20 janvier 1357, sont le moment décisif de la carrière d’Etienne Marcel. L’appel au peuple, la grève des ateliers, la descente de la population dans la rue et l’escorte armée, sorte de garde prétorienne destinée à protéger le prévôt des marchands, sont autant de faits exorbitants qui impriment à l’aventure du tribun un caractère nouvellement révolutionnaire. (…)
La bourgeoisie de haut niveau apporte sans conteste son concours à Etienne Marcel. Mais en est-il de même du peuple de Paris, de ceux qu’on appelle les « menus » ? le monde des gens de petits métiers, des maîtres des professions moins cotées, des valets, compagnons et manouvriers, apparaît moins clairement que les grands bourgeois. Etienne Marcel a suffisamment de poids sur ces gens pour obtenir , notamment au moment où il refuse la monnaie, la grève générale des ateliers. (…) Il existe dans Paris, par quartiers, un encadrement d’individus qui sont responsables de ce qu’on appellerait aujourd’hui des ilôts, ou bien des groupements de rues. (…) C’est une armature qui quadrille la capitale et qui tient l’autorité municipale au courant de tout ce qui se passe. (…)
Le prévôt des marchands a pu profiter de l’organisation existante du Châtelet et de la Prévôté de Paris. (…) Le sceau du Châtelet (…) est utilisé par Etienne Marcel pour sceller ses propres ordres, notamment durant la jacquerie, ce qui lui permet d’entretenir une certaine confusion entre les actes émanant de sa propre autorité et ceux du régent. Il ne fait d’ailleurs pas seulement usage du sceau du Châtelet ; il utilise aussi, pour ses propres besognes, les sergents à pied et à cheval du Châtelet et du guet et il n’hésite pas à leur confier des commissions à l’extérieur de la région parisienne. (…) Etienne Marcel est apparu comme délégataire de l’autorité publique. Cela lui a servi dans ses relations avec les autres villes. Paris, durant ces trois longues et dures années, s’est tenu constamment en relations avec les autres villes de la langue d’oil. Il n’y a pas entre ces cités, seulement échange de messages et d’informations, mais réelle communauté de vues sur la solution des problèmes du jour, avec appui mutuel au sein des assemblées. (…)
Du 5 février au 3 mars 1357, les Etats délibèrent. (…) Le dauphin a pris son parti de la soumission. Il ratifie toutes les décisions des Etats. (…) L’ordonnance pose un certain nombre de conditions au subside : répartition, levée et distribution par les Etats eux-mêmes, institution de dix maîtres généraux à Paris et de maîtres particuliers dans les diocèses (…) Les Etats sont libres de se réunir quand ils le désirent, sans attendre leur convocation de la bonne volonté du roi ou de son fils. (…) Le dauphin sort de cette journée politiquement et financièrement très amoindri, car le gouvernement du royaume lui est retiré de fait, pendant qu’on lui enjoint de restreindre le luxe de son hôtel (…). Les Etats ont fait table rase de toute l’organisation du royaume. (…) Aucun document ne cite Etienne Marcel en qualité de membre du conseil du dauphin dans les semaines qui ont suivi da victoire et celle des Etats. (…) Etre membre du Conseil royal, c’est être officier du roi avec un traitement fixe et quelques avantages en nature. Or l’ordonnance de mars interdit aux officiers du roi de faire acte de marchandise ou de change. (…) Son rôle est toujours essentiel. Il a fallu qu’il approuve l’ordonnance pour qu’elle soit mise en vigueur. (…) C’est à lui qu’on remet l’instruction sur les modalités du subside consenti par les Etats, instruction dont il examine les dispositions avant qu’elle ne soit rendue publique le 4 mars. (…)
Pendant que ces événements se déroulent dans Paris et au cœur du royaume, le roi Jean est toujours à Bordeaux le prisonnier du Prince de Galles et du roi d’Angleterre. (…) Le roi admet de sacrifier à la paix quelques provinces et une partie de sa souveraineté, alors que les Etats et Etienne Marcel ne conçoivent pas l’’ »abrègement » du royaume et le passage sous une autre tutelle de villes et de régions regardant vers Paris depuis un siècle ou plus. (…) Le premier soin de Jean le Bon, une fois la trêve conclue, est de la faire connaître dans son royaume, et tout spécialement dans la ville de Paris. (…) Mais Jean le Bon ne se contente pas de la publication de cet armistice ; il en tire toutes les conséquences c’est-à-dire que, la guerre cessant, les aides établies par les Etats ne doivent plus être perçues et que les cessions prochaines de ces Etats sont contremandées. (…) le roi manifeste ainsi franchement, pour la première fois, sa réserve envers les meneurs de Paris et de l’assemblée qui s’y était tenue. (…) La cessation de la levée des impôts est une mesure habile de la part du roi car il est certain de satisfaire de cette façon les contribuables. Mais les délégués des Etats ne peuvent y souscrire, puisque tout le système qu’ils ont construit repose sur la perception du subside (…) Les Parisiens s’en prennent d’abord aux messagers du roi Jean (…) obligés de s’enfuir de la capitale sous les menaces. En même temps le dauphin Charles, dûment chapitré par Etienne Marcel, Robert Lecoq et leurs amis, est contraint de désavouer son père. Le 8 et 10 avril, il ordonne la continuation de la levée de l’impôt et la convocation de la nouvelle cession des Etats prévue trois semaines avant Pâques. (…) Les Etats se réunissent à Paris le 22 juillet. (…) Devant le mauvais rendement de l’impôt, la plupart des représentants conviennent qu’il n’est pas juste d’en poursuivre la perception (…) Cet session est un échec très net pour les réformateurs et le dauphin (…) isole Etienne Marcel de ceux qui ont jusque là mené le même combat que lui. (…) Aux environs du 15 août, il lui fait savoir qu’il doit se contenter de son rôle municipal et corporatif. (….) Mais le dauphin est démuni des moyens de se faire obéir. Sans entente avec ceux qui sont les maîtres de Paris, il lui est impossible de gouverner. De son côté, Etienne Marcel a besoin pour agir de se couvrir de l’autorité du fils aîné du roi. (…) Se rendant compte qu’ils ne peuvent se passer l’un de l’autre, le dauphin et le prévôt des marchands sont conduits par la force des choses à se rapprocher. (…) Des négociations ont accompagné le rapprochement du duc et des autorités parisiennes. Charles est sans ressources. Etienne Marcel lui aurait promis, en cas de retour à Paris, « très grande devance ». (…) En échange, le duc de Normandie aurait accepté la convocation à Paris des députés d’une vingtaine ou d’une trentaine de villes, sans députés du clergé ou de la noblesse. (….)
(Pour la convocation des nouveaux Etats le 7 novembre), Etienne Marcel se voit attribuer un pouvoir analogue et égal à celui du prince, lieutenant général du roi captif. La puissance d’Etienne Marcel est un fait, mais la reconnaître de telle façon est revêtir le tribun d’une nouvelle autorité, d’une légitimité réelle. (…) C’est inviter les gens des provinces qui, jusque là, n’ont pas reconnu la prééminence des autorités parisiennes à faire amende honorable et à se joindre au parti du prévôt. (…) Les débats des Etats devaient très vite prendre ne allure nouvelle et précipitée par suite d’un événement d’une portée considérable : Charles le Mauvais s’est échappé de sa prison d’Arleux. (…) Charles d’Evreux est roi, mais en Navarre, et il regrette que sa mère ait été évincée du trône de France. (….) En avril 1356, Jean le Bon, déjouant un complot contre sa personne ou contre son autorité, a fait brutalement saisir Charles le Mauvais, bien qu’il soit son gendre, et le tient étroitement emprisonné depuis cette date (…) Charles le Mauvais ne suscite pas seulement des sympathies au nom de sa naissance ou de sa détention. Il est aussi devenu, par le simple fait qu’il s’oppose au roi, le porte-drapeau de tous ceux qui ont quelque motif de ne pas être satisfaits du régime ou de la dynastie. La tante et la sœur de Charles le Mauvais, qui sont toutes deux d’anciennes reines de France, se rendent à Paris et (…) le dauphin doit se résigner à donner u sauf-conduit au roi de Navarre. (…) Muni d’un sauf-conduit obtenu par les deux reines, Charles de Navarre quitte bientôt Amiens pour Paris. Il y arrive le 28 novembre 1357. (…) Le dimanche même où le dauphin réhabilite Charles le Mauvais, Jean II écrit aux bourgeois de Montpellier que ses gens et ceux du roi d’Angleterre « sont venus à un accord sur toutes les demandes ». Ce traité remet entièrement en question la politique menée par Robert Le Coq et par Etienne Marcel. (…) La présence même autour de la capitale de bandes armées, théoriquement aux ordres du dauphin mais dont les intentions paraissent mal définies, inquiètent le prévôt des marchands et la population parisienne. (…) Pour ne pas être victime d’un coup de main, la municipalité parisienne décide qu’aucun homme armé n’entrera dans la ville, à moins d’y être déjà bien connu. Elle fait, en même temps, soigneusement garder les portes, de jour comme de nuit. Enfin, pour distinguer par un signe de ralliement clair ses amis de ses ennemis, Etienne Marcel fait décider que ses partisans porteront des chaperons rouge et bleu. (…) Il identifie sa cause à celle de Paris en leur faisant porter les couleurs de la ville (…). Le port de ces chaperons sera considéré en 1358 (…) comme un acte de rebellion devant être condamné et puni. (…) (Le 11 janvier 1358, le duc s’adresse à la population parisienne avec un certain succès.) Etienne Marcel sent qu’il va être débordé sur son propre terrain et, dès le lendemain, il rassemble à son tour les Parisiens à l’hôpital Saint-Jacques (…) Charles Toussac affirme qu’Etienne Marcel est prêt à se retirer si le peuple de Paris ne lui fait plus confiance. On acclame alors Etienne Marcel ; on s’engage à le suivre et à le défendre contre tous. (…) Les habitants de Paris paraissent fort hésitants sur le parti à prendre. (…) La partie est d’autant plus serrée que les Etats doivent se réunir le 14 janvier et que celui qui dominera Paris risque bien d’être le maître de ces Etats, car il s’y trouve surtout des députés des villes, presque pas de nobles et peu d’ecclésiastiques. (…) La capitale est partagée ; mais il semble pourtant que, dans chaque parti, on hésite à engager l’épreuve de force qui risque de conduire à une catastrophe générale. (…)
Le samedi 27 janvier 1358 arrive à Paris une délégation de Français qui débarquent d’Angleterre. (…) Etienne Marcel et les Etats se sont jusqu’à présent montrés hostiles à une paix fondée sur le partage du royaume. (…) Se donnant une apparence de neutralité entre le duc et le roi de Navarre, l’Université rejoint les thèses d’Etienne Marcel (…) Les Etats de 1358 ont voté un impôt mais moins généreux que celui de janvier (…) Le lendemain de la promulgation de l’ordonnance, le 22 février 1358, le prévôt des marchands convoque les gens de métiers de Paris à Saint-Eloi. (…) Environ 3000 Parisiens répondent à l’appel d’Etienne Marcel et s’assemblent à Saint-Eloi dans la matinée. Ils sont armés et paraissent excités. (…) Renaud d’Acy, avocat du roi, (…) est rejoint par la foule, frappé, on dirait aujourd’hui lynché par les gens de métiers (…). Peu après Etienne Marcel conduit ses hommes au Palais, où le dauphin se trouve dans ses appartements. (…) Etienne Marcel s’écrie : « sire, ne vous ébahissez pas des choses que vous aller voir car elles ont été décidées par nous et il convient qu’elles soient faites. » Des Parisiens armés se jettent sur le maréchal de Champagne et le tuent. Le maréchal de Normandie (…) est trouvé et percé de coups. (…) « Sire, n’ayez garde, ne craignez rien, il en vous sera fait aucun mal ». Et il le coiffe de son chaperon bleu et rouge, aux couleurs de la ville, pendant qu’il se couvre lui-même de la coiffure du prince. Puis les compagnons du prévôt traînent les deux cadavres des maréchaux (…) et les exposent sur les marches de marbre du perron afin que tout le monde puisse les voir. (…) Etienne Marcel et sa suite se rendent à la nouvelle maison de la ville, place de Grève. D’une fenêtre, le prévôt des marchands s’adresse à la foule armée qui stationne devant l’Hôtel de ville. (…) Fort de la ratification populaire, Etienne Marcel retourne ensuite au Palais dont la cour s’emplit d’hommes d’armes. (…) Il demande au duc d’entériner le fait accompli et de se rallier à son parti. (…) le dauphin acquiesce et déclare à Etienne Marcel qu’il désire que les Parisiens soient ses amis et qu’il sera le leur. En preuve de son bon vouloir, il fait porter le chaperon de la ville à ses gens et aux membres de son administration qui se trouvent dans la capitale. (…)
Le lendemain, vendredi 23 février, le prévôt des marchands convoque encore les Parisiens. (…) Il invite les représentants des villes du royaume qui sont encore à Paris à s’y rendre et il donne la parole à Robert de Corbie, cet universitaire qui représente les gens d’Amiens. Celui-ci justifie la conduite d’Etienne Marcel et explique que la très grande majorité des conseillers du roi auraient été d’accord avec les propositions rédigées de concert par l’Université, le clergé et la bourgeoisie de Paris. (…) Le samedi 24 février, Etienne Marcel rejoint le dauphin avec le même cortège de Parisiens que les jours précédents, et soumet de nouvelles exigences pour sanctionner sa victoire. (…) Le fils du roi n’a aucun moyen de s’opposer à ces exigences. (…) Le Palais devient un pâle reflet de la Maison-aux-piliers et chacun y porte le chaperon aux couleurs de la ville, l’exemple étant donné par le duc et par son jeune oncle, Philippe d’Orléans. Le peuple en armes est toujours menaçant. (…)
(Le duc, devenu régent, quitte Paris et s’empare de Montereau et Meaux.). Lorsque le duc donne ordre à ses gens de prendre l’artillerie qui garnit le Louvre pour la faire porter à Meaux, Etienne Marcel s’y est opposé et a fait déposer cette artillerie dans l’Hôtel de ville. (…) Etienne Marcel continue de mettre Paris en état de défense pour parer à des actions offensives des amis du dauphin. (…)
(Etienne Marcel fait détruire des châteaux tout autour de Paris par ses gens d’armes.) Les émissaires d’Etienne Marcel alertent aussi les hommes des campagnes. (...) Le prévôt utilise à ses fins les sergents du Châtelet de Paris qu’il envoie dans les campagnes pour inciter les gens du plat pays à agir contre les châteaux. (…) Cette mobilisation obtient un écho extraordinaire dans les campagnes, exaspérées par les exactions de la noblesse. (…) L’étincelle qui met le feu aux poudres se produit le lundi 28 mai à Saint-Leu d’Esserent. (…) Les nobles sont venus exiger quelque chose des habitants, mais ceux-ci refusent de les satisfaire et se sont groupés au nombre d’environ une centaine pour la résistance. La bagarre attendue se produit et, au cours de celle-ci, neuf nobles trouvent la mort (…). Les rebelles affirment que tous les nobles, chevaliers comme écuyers, trahissent le royaume et que ce serait une bonne chose de les détruire tous. La propagande des Parisiens a porté. (…) Le mouvement se développe dans le Beauvaisis. Les ruraux font la chasse aux nobles, se rassemblent en petites bandes qui attaquent les châteaux et qui exercent contre leurs propriétaires des sévices dont le moindre est la mort ou le viol. C’est la Jacquerie. (…) La jacquerie, c’est avant tout une guerre des non-nobles contre les nobles. C’est une guerre sociale. (…) La jacquerie se répand avec une extrême rapidité, en remontant les vallées de l’Oise, du Thérain et de la Brèche. Les jacques vont jusque dans l’actuel département de la Seine Maritime. (…) Les trois cent hommes (du prévôt) commandés par Jean Vaillant ne sont pas revenus de Gonesse et de Bonneuil sur Paris ; ils ont continué leur chemin vers le nord et se sont réunis devant Ermenonville à une troupe de Jacques, autre signe de la connivence qui existe entre le prévôt des marchands et le chef des Jacques, Guillaume Cale, qui vient en personne à Ermenonville. Les deux troupes réunies attaquent, prennent et pillent le château (…)
(Jean Vaillant est battu à Meaux et Guillaume Cale battu par traitrise par les troupes de Charles de Navarre.)
Avec la victoire de la contre-jacquerie, le duc est résolu à s’emparer de Paris. (…) L’armée d’assaut se rapproche de Paris et, le 28 juin au soir, le régent se loge à Charenton, en bordure du Bois de Vincennes. (…) Marcel sollicite les villes (…) de venir avec le plus grand nombre de gens d’armes possible, de pied ou de cheval, car il se dit assiégé par les nobles et en danger de mort. (…)
(Charles le Mauvais devenu capitaine de Paris signe un accord avec le régent, traité qui sacrifie les Parisiens et qu’Etienne Marcel refuse.)
Etienne Marcel et ses concitoyens refusent de se soumettre. Ils refusent la « servitude » qu’entraînerait pour eux la victoire des nobles. (…) Les gens du régent et ceux de Paris se heurtent en armes, à la Grange-aux-merciers, près de Bercy, et les bourgeois ne s’en tirent pas sans pertes. (…) Le 16 juillet 1358, la bulle par laquelle le pape invite le recteur (de l’Université de Paris) à demander à Etienne Marcel et aux échevins de changer d’attitude est lue publiquement. (…) Les Parisiens demanderont au régent son pardon. (…) Le régent renoncera à son blocus qu’il exerce sur les cours d’eau qui permettent le ravitaillement de Paris. (…) Le dauphin fait tout de suite annoncer dans son camp la conclusion de l’accord. Immédiatement, son armée se disloque (…) Le vainqueur de cette négociation, c’est Etienne Marcel. (…) Le duc décide de s’expatrier, de quitter le royaume pour se réfugier dans le Dauphiné. (…)
La grande bourgeoisie parisienne a peur de la nouvelle orientation de la politique du prévôt, de son durcissement. (…) La cassure de la société entre nobles et non-nobles paraît préjudiciable à beaucoup, et spécialement à ces grands bourgeois qui incarnent à la fois la bourgeoisie et la noblesse.
(Etienne Marcel est assassiné dans ses propres fortifications par des hommes de Paris, avec l’accord du parti bourgeois anti-Marcel. La bourgeoisie n’a pas osé gouverner elle-même le pays. Etienne Marcel était trop en avance sur son temps. Le dauphin deviendra le futur roi de France, sous le nom de Charles V.)

Extraits de « Etienne Marcel, la révolte de Paris »
de Raymond Cazelles

La jacquerie

Le premier soulèvement survint le 28 mai 1358, à Saint-Leu-d’Esserent, où des paysans attaquèrent une bande de routiers qui interceptaient les convois destinés à Paris. Ensuite, le mouvement se propagea rapidement dans le Vexin, le Beauvaisis, atteignit Corbeil, Arpajo, et Montlhéry.
Cette révolte fut spontanée, donc peu organisée ; les Jacques étaient en infériorité en face des chevaliers et des hommes d’armes, et tentèrent d’y remédier en désignant des chefs, tels Hue de Sailleville et Guillaume Carle : "Parmi eux était un homme bien sachant et bien parlant, de belle figure et forme. Il s’appelait Guillaume Charles. Les Jacques en firent leur chef. [...] Quand les Jacques se virent nombreux assemblés, ils coururent sus aux nobles et en tuèrent plusieurs. Et ils firent encore pis, comme des gens enragés et sans réflexion. Car ils mirent à mort des femmes et enfants nobles [...]".
Le sang appelant le sang, les Jacques commirent les pires excès : "ils allèrent à un fort château et prirent le chevalier et le lièrent moult fort et, sous ses yeux, violèrent la dame et la fille, puis tuèrent la dame enceinte et la fille, et puis le chevalier et tous les enfants et brûlèrent le château [...]".
Carle s’allia à Etienne Marcel et aux Parisiens, et reçut un renfort de 300 hommes. La troupe s’attaqua aux demeures des nobles dans les environs de Paris, pour y emporter le matériel agricole, les troupeaux et les réserves alimentaires.
La collaboration avec les Parisiens dura pas. La noblesse s’était ressaisie et se préparait à châtier les Jacques, dont la violence aveugle frappait de terreur tous les contemporains.
Donc, les nobles originaires des régions menacées allèrent trouver le roi de Navarre : "Sire, vous n’êtes le plus gentilhomme du monde, ne souffrez pas que gentillesse (noblesse) soit mise à néant ; si cette gent qui se disent Jacques durent longuement et les bonnes villes soient de leur aide, ils mettront gentillesse à néant et tout détruiront".
L’appel fut entendu, et il se mit en route avec 400 combattants vers Mello, où les Jacques se préparaient tant bien que mal. Carle les placa en trois corps, derrière les charettes et ceux qui avaient arcs ou arbalètes. Le 10 juin, le roi de Navarre demanda à parler au chef ; Carle vint seul et fut retenu traîtreusement. Privés de leur chef, les Jacques furent tués en grand nombre, et Carle fut décapité.
Le même jour, le comte de Foix, qui revenait de Prusse avec le captal de Buch, délivra la noblesse qui s’était réfugiée dans le marché de Meaux ; l’affaire était importante, il y avait là la Dauphine Jeanne, ainsi que sa soeur et sa fille. Les chevaliers du comte de Foix massacrèrent presque tous les Jacques qui étaient en passe de prendre le marché : "ils en mirent à fin plus de sept mille et boutèrent le feu en la désordonnée ville de Meaux".

Il y eut quelques troubles encore, mais la Jacquerie avait vécu. Le Dauphin eut la sagesse d’accorder une lettre de rémission générale, le 10 août 1358.

Messages

  • Extraits de « Etienne Marcel, la révolte de Paris » de Raymond Cazelles
    Pourquoi la bourgeoisie française qui présente comme naturelle sa prise de pouvoir en 1789, aurait-elle intérêt à se souvenir qu’elle a pris le pouvoir une première fois à Paris en 1358, avec la révolution d’Etienne Marcel , soit plus de 400 ans avant la « grande révolution » française ? Voilà qui ne pourrait que nuire à l’image simple et tranquille d’une évolution naturelle vers la société bourgeoise. Combien ont appris que la bourgeoisie française a échoué une dizaine de fois dans ses tentatives révolutionnaires avant de prendre le pouvoir ? N’oublions pas qu’en 1306, 1358, 1382, 1410, 1588, 1648, 1789, 1793, 1830, 1848 et 1871, le petit peuple de la ville de Paris est apparu comme le drapeau de la révolution aux yeux du monde. La nécessité de la révolution est d’autant plus masquée que 1789 est présenté comme un événement à part, isolé de la transformation du monde, de la révolution américaine, de la révolution anglaise, de la révolution européenne. Se souvient-on, par exemple, que la révolution « française », avant de gagner la France, a débuté en 1782 en Suisse, puis en 1783-87 aux Pays Bas et en 1789 en Belgique, avant de gagner la France en 1789 et d’exploser à nouveau en 1793 ? Bien peu de gens, en France, connaissent la révolution bourgeoise anglaise, qui a eu lieu environ cent ans avant la française. La bourgeoisie anglaise ne fait-elle pas elle-même semblant de n’avoir jamais été révolutionnaire en conservant une royauté sans utilité autre que décorative et dépensière. Elle a pourtant initié la révolution bourgeoise et coupé la tête du roi bien avant d’en faire de même sur le continent européen. La société actuelle fait tout ce qu’elle peut pour ne pas se souvenir qu’elle a été engendrée par des révolutions .

  • La première victoire de la révolution bourgeoise en France

    « Pratiquement au moins depuis 1295, c’est la bourgeoisie du royaume qui assure la trésorerie du roi de France. Quand Philippe le Bel a besoin d’argent, et il en a constamment besoin, il s’adresse aux fidèles bourgeois de ses villes et leur demande des prêts....

    La cassure de la société entre nobles et non-nobles paraît préjudiciable à beaucoup, et spécialement à ces grands bourgeois qui incarnent à la fois la bourgeoisie et la noblesse. (Etienne Marcel est assassiné dans ses propres fortifications par des hommes de Paris, avec l’accord du parti bourgeois anti-Marcel. La bourgeoisie n’a pas osé gouverner elle-même le pays. Etienne Marcel était trop en avance sur son temps. Le dauphin deviendra le futur roi de France, sous le nom de Charles V.) Extraits de « Etienne Marcel, la révolte de Paris » de Raymond Cazelles

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