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En 1999, on pouvait lire dans une revue de l’organisation française Lutte Ouvrière

dimanche 8 janvier 2012, par Robert Paris

Voilà ce que l’on ne pourrait plus lire dans Lutte Ouvrière et Lutte de classe

Lutte de Classe, Revue de Lutte Ouvrière

n°43 (Mai 1999)

Les travailleurs peuvent prendre l’offensive et laisser les bureaucrates politiques et syndicaux à quai. Qu’on se le dise !

Avec la grève des cheminots de ce début du mois de mai, la politique de collaboration des directions syndicales et du gouvernement pour imposer aux travailleurs, sous couvert de la loi d’aménagement du temps de travail, cette plus grande flexibilité que souhaite le patronat, a rencontré sa plus sérieuse difficulté.

Démarrée le 27 avril à l’appel d’un seul syndicat, corporatiste, la fédération autonome des agents de conduite, la FGAAC, appel rapidement relayé par des militants de tous bords, la grève a duré plus de dix jours. Elle est certes restée minoritaire et catégorielle, limitée essentiellement aux agents de conduite, peu étendue aux sédentaires. Mais elle a paralysé une partie du trafic et finalement contraint la direction de la SNCF à prendre la mesure du peu de popularité de son projet et du peu d’efficacité des grands appareils syndicaux à le faire passer pour « constructif ». Cette grève aura probablement d’abord surpris les grandes fédérations qui s’apprêtaient à signer tranquillement !

Mais la caractéristique de cette grève des cheminots, c’est qu’elle n’est pas restée la grève catégorielle des agents de conduite telle que la FGAAC l’aurait sûrement voulu. Elle n’a certes pas été la lame de fond, l’explosion qui bouscule sans peine tous les barrages syndicaux. Loin s’en faut. Elle est restée dans la plupart des endroits limitée aux seuls agents de conduite, et même parmi eux, elle est restée tout au long du conflit minoritaire. Mais elle a tenu et s’est en partie étendue alors qu’elle était combattue par les plus influentes des fédérations syndicales de cheminots, la fédération CGT et la fédération CFDT (dont le responsable s’est illustré par des propos à la grande presse contre ces « 2,5 % de grévistes » qui auraient bloqué l’application d’un bon accord !). Quant au syndicat SUD-Rail qui a fini, avec un temps de retard, par déposer un préavis de grève, par crainte lui aussi de voir sa base partir et lui échapper, il a tout fait pour que son préavis ne soit pas vraiment suivi. Et ce qui a donné, malgré toutes ces oppositions, à la grève un dynamisme et une portée qui dépassaient les intentions et les possibilités de la fédération autonome qui l’avait déclenchée, c’est qu’un peu partout des travailleurs du rang mais surtout des militants et adhérents de tous les syndicats à commencer par des militants et des sections syndicales entières, de la CGT ont saisi l’occasion de l’appel de la FGAAC pour agir et appeler à la grève, contre l’avis de leurs propres fédérations.
Ils disaient « constructif » ?

Il faut dire que le projet d’aménagement du temps de travail préparé par la direction de la SNCF, et que les fédérations rêvaient de signer, a de quoi alarmer les cheminots.

Déjà aujourd’hui les roulants se voient contraints de prendre leur service à peu près à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Les cheminots en 3x8 ou en service décalé travaillent le dimanche ou les jours fériés et font des périodes de 48 heures en 6 jours. Ceux qui travaillent à l’entretien des voies sont déjà amenés fréquemment à travailler de nuit ou le week-end. La perspective de davantage de flexibilité ne pouvait que susciter la colère.

En fait, la prétendue « avancée constructive » évoquée par les bureaucrates syndicaux et la SNCF tend à rendre réglementaire ce qui n’était qu’exceptionnel pour certaines catégories, ou négociable, et à supprimer bon nombre de compensations financières ou en temps. Par exemple, les travaux de nuit ou de week-end à l’entretien des voies et installations ferroviaires, jusque-là discutés et planifiés quasi systématiquement, faits au volontariat et donnant lieu à des compensations, devaient selon le projet accorder à cette catégorie de travailleurs un forfait appréciable de repos supplémentaires par an, mais donnés à l’appréciation de la SNCF et rendre le travail du dimanche et de nuit systématique, sans les compensations en repos et financières actuelles.

La direction voudrait aussi modifier la durée journalière de travail de la majorité des cheminots, avec des « mini » de 5 h 30 par jour et des « maxi » de 8 h 30 (8 h 15 pour les roulants). Et le travail serait planifié sur six mois, avec des périodes hautes et basses, durant lesquelles seraient programmés unilatéralement les journées les plus courtes et les repos supplémentaires qui représentent la réduction du temps de travail. Et qui plus est, la direction s’arrogerait le droit de remettre en cause cette programmation en prévenant seulement dix jours à l’avance.

Le projet prévoit aussi un ralentissement des augmentations de salaire pendant trois ans. Quant à la promesse de 23 500 à 25 000 embauches sur trois ans, elle ne peut faire illusion qu’auprès du grand public. La réalité est que, pendant la même période, les départs s’élèveront à 19 500. Ce qui ne ferait tout au plus, si était réalisée l’hypothèse la plus haute, à laquelle du fait de la grève Gallois a promis de se tenir, à savoir 25 000 embauches, qu’une augmentation de 5 500 agents, dit-il, en trois ans. Cette augmentation est en fait en trompe l’oeil puisqu’elle inclut la titularisation de milliers de contractuels qui sont déjà en poste et comprend des temps partiels. Alors qu’il faudrait 20 000 cheminots, vraiment en plus, pour permettre une réelle diminution du temps de travail.

La grève, contre les appareils, dont celui de la CGT

La grève a donc démarré et vite pris de l’ampleur. Surtout là où des militants se sont mis en avant pour l’organiser. Assemblées générales dans des dépôts d’agents de conduite de la banlieue parisienne, mais aussi des régions Nord, Picardie, Champagne-Ardenne, Alsace, Lorraine, Normandie, Provence-Côte d’Azur, etc. 19 %, puis 30 %, puis 40 % de grévistes, selon la direction, en réalité plus de 50 % dans quelques dépôts, surtout là où localement, la CGT avait appelé à cesser le travail. Quelques secteurs de sédentaires ont rejoint la lutte comme à Rouen (Matériel, Transport et Commercial), à St-Lazare (Transport et Commercial), à Marseille (tous services), etc. Souvent à l’appel des conducteurs.

Mais partout, se sont vite produites les mêmes scènes et les mêmes discussions entre partisans de la grève et certains responsables cégétistes opposés à celle-ci, servant partout les mêmes phrases et les mêmes arguties, selon lesquelles le déclenchement du mouvement aurait été précipité, à l’appel d’une FGAAC préoccupée surtout de ses intérêts corporatistes, qu’il faudrait aux cheminots le temps de comprendre, de débattre, de se forger leur propre opinion, qu’il faudrait les consulter par un grand référendum pour lequel la direction avait offert son soutien logistique. En attendant, la grève était prématurée, expliquait l’appareil CGT, qui a mis tout son poids, contre une partie de ses propres militants, pour batailler contre elle, faire voter et revoter contre la grève. D’où la colère, des discussions vives, des engueulades... qui n’ont pas entamé la détermination.
Ultime manoeuvre, tandis qu’entrait en vigueur, mardi 4 mai, le préavis déposé par SUD-Rail, pour lequel les dirigeants de ce syndicat se gardaient bien de militer dans les chantiers, la fédération CGT déposait elle aussi un préavis de grève, mais à partir du dimanche 9 mai au soir, soit près d’une semaine plus tard, et seulement pour 36 heures, faisant allègrement fi de la grève en cours ! Une partie des responsables CGT qui jusque-là n’avaient pas osé s’opposer ouvertement à la grève, avaient enfin, vis-à-vis de leurs propres militants, l’argument de poids : forts du préavis déposé par leur fédération, ils appelèrent à partir du mardi 4 mai à suspendre la grève sous prétexte qu’elle aurait été presque exclusivement celle des agents de conduite et donc corporatiste et qu’il fallait en démarrer sérieusement une autre, intercatégorielle... la semaine suivante, une fois que tout serait fini !

C’était étudié pour permettre à la direction d’organiser à nouveau des rencontres et palabres avec les appareils syndicaux et leur donner quelques broutilles à se mettre sous la dent pour justifier les appels à la reprise. C’était destiné à décourager les grévistes, tuer le mouvement et se préparer à aller tranquillement vers cette grande consultation prétendument démocratique qui pourrait avoir lieu à la fin mai. On ne sait pas si, au bout du compte, la CGT signera ou pas, mais il reste surtout qu’elle a mis tout son poids pour faire passer pour globalement positif un catalogue de mesures contre les cheminots, et tout son poids pour empêcher la grève contre ces mesures, grève où pourtant ses propres militants s’étaient engagés. Le référendum, pourtant, a eu lieu : c’est cette grève de dix jours qui a tenu malgré l’opposition au mouvement des plus influentes des directions syndicales.

Le mercredi 5 mai, le mouvement commençait à faiblir. Ou plus exactement il était de bon ton de le dire dans les milieux syndicaux qui lui étaient hostiles. Voire d’en rajouter. Car à Marseille, par exemple, s’il est vrai que des cheminots grévistes avaient « suspendu » leur grève à l’appel de la CGT, il restait malgré tout 60 % des roulants en lutte, et 80 % à Miramas. Dans la soirée, les directions syndicales qui avaient cru jusque-là l’affaire ficelée, grimaçaient devant les petites concessions que Gallois venait de faire aux grévistes. Et le jeudi 6 mai s’amorçait la reprise.

Belles manoeuvres des fédérations CGT et CFDT, la main dans la main comme Thibault et Notat à leurs congrès respectifs, pour tenter de sauver la mise du gouvernement de la gauche plurielle.
Mais la direction de la SNCF, avec à la rescousse celles des centrales syndicales, n’est pas au bout de ses peines pour faire avaler aux cheminots la réorganisation du temps de travail, sans compter la réforme du système des retraites, qu’elle leur concocte. Une éventuelle signature du projet d’accord, que les concessions de dernière minute faites pour enrayer la grève n’ont pas changé sur le fond, pourrait coûter cher à la direction de la CGT cheminote. Et le conflit pourrait bien rebondir, pas seulement chez les conducteurs, mais aussi chez les autres roulants ou chez les sédentaires lorsque tomberont les mesures concrètes prévues dans le projet.
« Si j’étais cheminot, je ne me mettrais pas grève... » c’est le dirigeant du PC qui vous le dit !

Les organisations syndicales, et notamment la CGT, freinant des quatre fers pour enrayer la grève, n’est certes pas une nouveauté. On a vu dans le passé bien des grèves démarrées sans la CGT, ou même malgré elle, et que ses responsables se dépêchaient de rattraper pour mieux les freiner, voire des grèves que l’appareil de la CGT généralisait pour ensuite les canaliser et les arrêter. On a connu toutes les variations sur le thème « Il faut savoir terminer une grève... » (selon la formule de Thorez en 1936). Mais cette année « mutation communiste » ou « syndicalisme de proposition » obligent ? , il aurait même fallu, selon les dirigeants du PC et de la CGT, savoir ne pas la commencer ! Tel est le sens de la déclaration faite par le chef de file du Parti Communiste, Robert Hue, en plein milieu de la grève, devant les caméras de télévision : « Si j’étais cheminot, je ne me mettrais pas en grève, moi, parce que je pense qu’il y a là une proposition pour les 35 heures » ! Même Jospin, interrogé quelques jours plus tard, s’est gardé de s’imaginer en cheminot aux prises avec des plages horaires démentes : il était plus préoccupé, pour ce qui le concerne, de s’imaginer en gendarme aux prises avec des plages fumantes.
Mais Robert Hue a, vis-à-vis du gouvernement, une mission non pas d’incendiaire, mais de pompier. Pour la direction du PC, et par là aussi pour celle de la CGT, il s’agit d’aider le gouvernement à boucler le premier acte de son scénario dit des 35 heures, visant sous couvert d’aide à l’emploi et d’embauche, à donner aux patrons carte blanche (et pactole supplémentaire) pour flexibiliser les horaires, supprimer le paiement de primes ou d’heures supplémentaires, modérer voire réduire les salaires.

Les statistiques d’avril du ministère du Travail et de l’Emploi indiquent le nombre ridicule de 40 000 emplois (sur trois millions de chômeurs officiels) « préservés ou créés » en un an par ces accords de 35 heures sans que soit précisé le coût pour l’État des 24 000 emplois « aidés » sur ce total. L’arnaque est tellement visible, les travailleurs tellement peu dupes que les appareils de la CGT et de la CFDT, qui disent désormais marcher la main dans la main pour le dialogue social et avaient commencé à parler « d’avancées positives ou constructives » dans bien des secteurs clés, jugent parfois plus prudent de faire machine arrière. C’est surtout vrai pour la CGT qui a dû céder à sa façon à la base ouvrière et n’a pas répondu à l’attente du gouvernement en apportant moins souvent que prévu son paraphe aux accords.

Le stylo des bureaucrates, bien souvent retenu par le mécontentement des travailleurs

Des syndicats CGT d’entreprise ont certes signé un grand nombre d’accords locaux sur les 35 heures. La CGT vient en la matière en seconde position derrière la CFDT. Mais pour ce qui est des accords de branches, des accords à portée nationale où la CGT était attendue au tournant par Jospin et Aubry parce qu’elle avait les moyens, par son poids, d’accréditer leur politique, force est de reconnaître qu’elle s’est plutôt dérobée. Parce qu’elle a essuyé presque partout la résistance des travailleurs.

Le jeu avait bien commencé par la signature de l’accord dans le textile, présenté pour la circonstance comme le modèle d’un « bon accord », opposé par la CGT (et par Martine Aubry !) à celui de la métallurgie, alors qu’ils étaient grosso modo de la même eau.
Puis il y a eu la signature de la fédération CGT de l’énergie, sous la houlette de son responsable Denis Cohen, l’un des plus fervents promoteurs de la nouvelle ligne confédérale dite de « syndicalisme de proposition ». La fédération avait dans un premier temps fait casser en justice, en septembre 1998, un premier accord sur la réduction du temps de travail à EdF-GdF signé du temps du gouvernement Juppé par les syndicats minoritaires. La même fédération, après s’être ainsi montrée intransigeante avec la réduction du temps de travail proposée par la droite, signait quatre mois plus tard, en janvier 1999, l’accord sur les 35 heures à la sauce Aubry, sous prétexte qu’EdF-GdF promettait 19 000 embauches (dont 15 000 n’étaient pourtant que des remplacements de départs). Le même Denis Cohen, contesté depuis par nombre de militants de sa fédération pour le soutien apporté, en même temps que les députés communistes, à la loi ouvrant EdF à la concurrence du secteur privé, a l’honneur de figurer sur la liste de Robert Hue pour les prochaines européennes.

Mais là s’est arrêtée la liste des grands accords de branches signés nationalement par la CGT. Que ce soit dans les banques, à Air France, à La Poste ou dans l’automobile, le stylo des fédéraux de la CGT est resté en l’air. Car dans chacune de ces branches, les mesures de flexibilité et de modération salariale qui ont constitué le fond des accords sur les 35 heures, ont suscité des réactions de la part des travailleurs.

A La Poste, le secrétaire de la fédération CGT, Alain Gautheron, le même qui en septembre 1997, pour ne pas décevoir sa base, avait mené le chahut à la fête de l’Humanité contre la privatisation de France-Télécom, a commencé par vanter les « avancées positives » (pléonasme d’usage) qu’aurait comportées, selon lui, le projet gouvernemental. Mais en même temps, dans les bureaux de poste dits « pilotes » où les PTT avaient commencé à appliquer par avance, à titre de test, les restructurations et changements d’horaires envisagés, des grèves ont éclaté. Et dans les divers congrès locaux ou départementaux de la CGT, un bon nombre de militants et de sections syndicales se sont exprimés ouvertement contre toute signature. Le 17 février dernier, la fédération CGT de La Poste retenait donc sa plume, de même que SUD, laissant aux autres syndicats la responsabilité de l’autographe. Ce qui n’a pas empêché Alain Gautheron d’annoncer que la CGT allait désormais « investir toutes les portes ouvertes » par l’accord, en se lançant dans les négociations locales d’application de celui-ci.

Même scénario à Air France, chez PSA, à Renault, dans les banques, où les projets d’application des 35 heures ont suscité protestations, grèves ou débrayages et où la CGT, du coup, a préféré s’abstenir alors que le stylo la démangeait. Mais là non plus, la direction de la CGT n’entend pas pour autant s’opposer vraiment au contenu des accords qu’elle laisse aux autres le soin de signer, tablant sur une des astuces de la loi Aubry qui considère qu’un accord est applicable dès qu’un syndicat au moins le signe.

Cela laisse à la CGT une liberté de manoeuvre un peu semblable à celle que Jospin peut laisser au Parti Communiste dont les députés peuvent éventuellement s’abstenir, voire voter contre une loi, pour peu qu’elle obtienne une majorité sans eux !

Mais ce jeu a très certainement ses limites pour le gouvernement. Jospin et Aubry ont besoin de succès et de soutien politique affiché. Parmi les secteurs importants, restait donc la SNCF. Un secteur présentant tous les ingrédients de la réussite : une CGT forte, rassemblant près de la moitié des voix des 170 000 cheminots aux élections professionnelles, un ministre de tutelle communiste et un pédégé se félicitant, au terme de quatre mois de négociations sur les 35 heures, d’être parvenu à un texte qui ne serait pas celui de la direction, mais « celui de la négociation » ! Plus fièrement qu’ailleurs, CGT et CFDT s’apprêtaient donc à signer !

Manque de chance pour eux, c’est là que l’opposition des travailleurs, et des militants syndicaux de base, a été la plus intempestive !

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