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Qui a tué Evariste Galois ?

mercredi 25 mai 2016, par Robert Paris

Evariste Galois  : "Tout voir, tout entendre ; ne perdre aucune idée !"

« La vie d’Evariste Galois a été la somme extrême des actes les plus hardis qu’une intelligence puisse prévoir. » André Dalmas dans « Evariste Galois, Révolutionnaire et Géomètre »

Qui était Evariste Galois ? Grand mathématicien et révolutionnaire.

Évariste Galois avait 20 ans quand il a été assassiné le 31 mai 1832. Beaucoup d’auteurs prétendent qu’il est mort dans un duel, mais c’est très probablement la police qui lui avait envoyé son adversaire en lui faisant croire que c’était une idylle avec une femme qui en était cause. Pourquoi la police aurait-elle voulu supprimer celui qui était déjà connu comme grand mathématicien ? Nous ne développerons pas le caractère révolutionnaire de Galois en mathématiques. Il est courant de parler de lui comme un grand mathématicien, moins courant comme un véritable révolutionnaire. Pourtant, il était dangereux pour les classes dirigeantes et s’avérait être en train de devenir aussi radical que Blanqui, ce qui n’arrangeait aucune classe sociale dirigeante, aucun clan politicien, aucun pouvoir... Ce n’est pas par incompréhension de ses capacités mathématiques qu’il a été viré de l’Ecole Normale le 8 janvier 1831, mais du fait de ses activités politiques révolutionnaires... Sa mort n’est nullement une espèce de suicide !

Galois était un révolutionnaire décidé et déterminé, en politique comme en mathématiques, qui, à ce titre, s’est heurté à toutes les autorités de l’époque qui l’ont fait enfermer deux fois. Contrairement à la réputation qui lui a été faite, ce n’est pas un étudiant aigri car déçu de ne pas être reconnu à sa juste valeur, un génie désespéré car incompris. Et ce n’est pas un jeune désespéré qui s’est lancé dans le mouvement révolutionnaire par étourderie, inconscience et bizarrerie, comme on nous le présente souvent. Il participe activement d’une époque qui est révolutionnaire, liée par son père à la révolution française puis à 1830 et aux mouvements révolutionnaires blanquistes. Le 31 mai 1832, peu après avoir été emprisonné par le pouvoir, on le retrouve assassiné sous prétexte de duel... Le pouvoir tenait à éliminer un militant qui allait devenir un nouveau Blanqui et il a masqué l’assassinat sous le prétexte d’un duel entre deux républicains. On verra plus loin qu’il n’en est rien... Il faut remarquer qu’il n’est pas très défendu par le camp républicain qu’il déborde par son radicalisme social et politique. Raspail le rencontre en prison. Il constate qu’on cherche à l’éliminer physiquement, mais il ne cherche nullement à le protéger. Il assiste même à des tentatives de provocateurs pour le supprimer à Sainte Pélagie. Même après sa mort, il ne cherche pas spécialement à enquêter sur une responsabilité policière dans son exécution...

On a surtout essayé de faire croire à une espèce de suicide d’un schizophrène désespéré...

La présentation selon laquelle Galois était prêt à mourir par dépit et insuccès de ses thèses mathématiques est parfaitement mensongère. La dernière phrase de Galois, et qui n’est nullement celle d’un être désespéré, a été : "J’avais bien de la vie pour le bien public." A l’époque, être pour le bien public était synonyme d’être contre la dictature politique et sociale au pouvoir...

La thèse classique est qu’il est mort à cause d’un "orgueil excessif", qui aurait eu la malchance de se heurter à un peu trop d’incompréhension, thèse qui se trouve en préface par Emile Picard pour la première édition de ses œuvres mathématiques !!! Picard écrit : "Le sentiment de cette immense supériorité développe chez lui un orgueil excessif."
Il est présenté comme un fou de mathématiques qui ne voyait pas le monde autour de lui. Mais sa dernière lettre à un ami rapporte : "Le cœur chez moi s’est révolté contre la tête ; je n’ajoute pas, comme toi, que c’est bien dommage." Avec son décès, qu’il prévoyait du fait d’un duel, Galois savait que l’on perdait le plus grand mathématicien de son temps, mais, pour lui, ce n’était pas le plus regrettable....

Galois était, au contraire, modeste et patient. Il parle de "mission des géomètres futurs" et déclare au cours d’un procès politique : "Nous sommes des enfants, mais des enfants progressifs, pleins de force et de courage."

Et comme rajoute Dalmas, "Galois est tout un ; il n’existe pas d’un côté le mathématicien et, de l’autre, le républicain." Nous dirions aujourd’hui le révolutionnaire...

Dalmas rappelle la définition du républicain donnée à l’époque par Cavaignac : "La révolution, c’est la nation tout entière, moins ceux qui l’exploitent !"

Citons André Dalmas dans "Evariste Galois, Révolutionnaire et Géomètre" : "Un de ses proches parents assura qu’à l’été 1830, Il avait défendu, devant sa famille consternée, "le droit des masses" - c’est le mot qu’il avait employé." Et Dalmas rajoute : L’avenir seul l’intéressait..."

On remarquera que le texte, qui suit et que nous critiquerons systématiquement, ne cite même pas Blanqui et oublie que le père Nicolas-Gabriel Galois, directeur du collège de Bourg-la Reine, était un révolutionnaire républicain (carbonari) et pas "un libéral" bourgeois... Or Galois était quelqu’un de la même veine que Blanqui et dans la même organisation. Il gênait le pouvoir. On ne peut en avoir la preuve, mais il est quasi certain qu’il a été éliminé par une manigance du pouvoir.

Voici, en résumé, ce qu’en dit Wikipedia et c’est cette thèse que nous allons contredire point par point par la suite :

"Les démêlés de Galois avec les autorités, tant scientifiques que politiques, les zones d’ombre entourant sa mort prématurée, le contraste de celles-ci avec l’importance désormais reconnue à ses travaux, ont contribué à en faire l’incarnation du génie malheureux né « trop tôt dans un monde trop vieux » et d’une jeunesse prometteuse et mal aimée.

Évariste Galois naquit le 25 octobre 1811, 20 grande rue au Bourg-la-Reine, dans une famille de tradition républicaine appartenant à cette bourgeoisie modeste et lettrée que la Révolution avait favorisée, en l’occurrence par la sécularisation des écoles cléricales du 2 novembre 1789. Son père, Nicolas-Gabriel Galois (1775-1829), directeur de l’établissement scolaire du village que dirigeait déjà le propre père de celui-ci, devint lors des Cent-Jours le maire libéral9 de Bourg-la-Reine et le resta jusqu’à son suicide. Sa mère, Adélaïde-Marie Demante (1788-1872), élevée dans une famille de juristes et de magistrats, était plus pénétrée de stoïcisme que de christianisme.

À la rentrée de 1826, il fut admis sur l’insistance de son père et contre l’avis du proviseur en Rhétorique. Son manque de maturité le fit rétrograder à la fin du premier trimestre en Seconde, tout en lui donnant le loisir de s’inscrire simultanément en Mathématiques Élémentaires, où il absorba avec une facilité déconcertante les Éléments de géométrie de Legendre. Dès lors, il cessa de fournir aucun effort qui puisse contrarier ce que ses maîtres regardaient comme un génie propre. Ses résultats au sein d’une classe regroupant les meilleurs élèves (second en version grecque, accessits dans toutes les autres matières, accessit au Concours général de version grecque), quoique obtenus sans aucun travail c’est-à-dire sur les acquis maternels, l’autorisaient à bâcler les sujets qui ne l’intéressaient pas, les professeurs mesurant bien qu’ils étaient face à une « bizarrerie ».

Négligeant leurs enseignements, Évariste Galois consacra sa seconde Rhétorique à assimiler son sujet directement à la source, le traité d’algèbre et celui d’analyse avec son supplément de Lagrange, si bien qu’il fut dans l’année même, 1828, lauréat au Concours général de mathématiques.

À la rentrée 1828, le disciple « synthétiste » de Floréal Chasles39 et futur professeur de Charles Hermite, Louis-Paul-Émile Richard, qui dirigeait la classe préparatoire de Mathématiques Spéciales de Louis le Grand, y admit Galois, bien que celui-ci n’eût donc pas obtenu son baccalauréat, pour le présenter « hors ligne » au concours d’entrée à Polytechnique. Le professeur y explicitait au reste de la classe les solutions élégantes que son élève « à la supériorité marquée » donnait aux khôlles. Inversement, celui-ci se montrait perdu quand il devait lui-même développer scolairement au tableau une démonstration imposée.

Le 1er mars, les Annales de mathématiques pures et appliquées de Gergonne publiaient son premier article, portant sur le développement périodique en fractions continues des racines d’un polynôme. Les 25 mars et 1er juin, il remit à Augustin Cauchy, rapporteur pour les mathématiques à l’Académie des Sciences, une première ébauche d’un Mémoire sur les conditions de résolubilité des équations par radicaux sur la théorie des équations.

Reçu cinquième au Concours général de mathématiques de cette année 1829, il se présenta de nouveau au concours d’entrée à l’École polytechnique, où le cours de mathématiques était assuré par le congrégationniste Cauchy. Le suicide mélancolique de son père, maire libéral, le 2 juillet 1829, à la suite d’attaques des ultras de sa commune et de libelles anonymes, précéda de deux semaines son second échec à ce concours.

Galois fut classé en revanche deuxième, donc admissible, au concours passé en août pour entrer à l’École Préparatoire, alors dirigée par le proviseur de Louis-le-Grand et logée dans une annexe, le collège du Plessis. Il obtint de justesse le 14 décembre les deux baccalauréats, ès lettres et ès sciences, qui lui manquaient et le 20 février 1830 put signer, contre l’avis du maître de conférences en Physique, son engagement décennal obligatoire par l’Université qui assurerait un revenu à sa mère devenue veuve.

En février 1830, Augustin Cauchy remit à son secrétaire perpétuel au sein de l’Institut, Joseph Fourier, le Mémoire sur les conditions de résolubilité des équations par radicaux qu’Évariste Galois lui avait confié sept mois plus tôt après qu’il eût demandé à son auteur de le réviser pour qu’il concoure au Grand Prix des Sciences Mathématiques organisé par l’Académie des Sciences. En avril et juin 1830, le Bulletin général et universel des annonces et des nouvelles scientifiques du baron de Férussac publiait trois articles du jeune concurrent, un premier développant les travaux de Cauchy sur le polynôme primitif, les deux autres, dont la fameuse théorie des nombres algébriques, exposant certains aspects de sa théorie des permutations en forme d’appui au mémoire soumis au concours de l’Académie.

Malgré le soutien chaleureux que Cauchy apporta à son poulain devant les membres du jury, le Prix fut attribué le 28 juin à Niels Abel, à titre posthume, et à Charles Jacobi, deux mathématiciens pour lesquels Évariste Galois avait lui-même la plus grande admiration. Fourier étant mort le 16 mai, le mémoire ne fut pas retrouvé dans les papiers de celui-ci et fut considéré comme perdu.

Lorsque les étudiants, en particulier polytechniciens, de l’Association des Patriotes, déclenchèrent les Trois Glorieuses, le directeur des études de l’École Préparatoire, Joseph-Daniel Guigniault, s’adressant personnellement à Évariste Galois, plus jeune des mineurs au sein des élèves assemblés, pria ceux qui voulaient rejoindre leurs aînés de Polytechnique dans les combats de rue de ne pas le faire sans le prévenir puis fit verrouiller les issues du collège du Plessis. Le 30 juillet, il déclarait par voie de presse remettre ses élèves à la disposition du nouveau régime. À la suite de cette habilité, il fut nommé directeur de l’établissement, lequel reçut à cette occasion son autonomie sous le nom d’École Normale qu’il avait adopté en 1809 en hommage au projet révolutionnaire de l’École de l’An III puis perdu à la Restauration.

À la rentrée, il repoussa la demande des élèves d’être reconnus, à l’instar de ce qui se faisait sous la direction de François Arago dans le collège de Navarre voisin, comme des interlocuteurs participant à la réorganisation de l’école. Les revendications des élèves s’exprimèrent en plusieurs temps. Ils réclamaient d’avoir des uniformes comme les polytechniciens, d’avoir des armes et de « s’exercer aux manœuvres militaires, afin de pouvoir défendre le territoire, en cas de besoin », de participer eux-mêmes à l’élaboration du nouveau cursus qui fut étendu, au mépris des engagements contractuels, sur trois années. Pour tous les étudiants non polytechniciens, la révolution s’arrêtait en fait à une curée des postes masquée en monarchie tiède.

La frustration qu’en éprouva Évariste Galois, qui se crut soutenu par ses collègues scientifiques plus que leur lâcheté ne leur laissera montrer par la suite, le détermina à s’engager plus avant. Le 10 novembre, il s’inscrivit à la Société des amis du peuple que présidait François-Vincent Raspail et où se réunissaient autour du charbonnier égalitariste Philippe Buonarroti les jeunes ingénieurs, civils étudiants ou diplômés, composant le corps d’artillerie de la Garde Nationale que le ministère Villèle avait dissout en 1827. La froide détermination à la logique parfaite de ce nouveau camarade effrayait et, bien qu’il se plia au rituel de la beuverie, sorte de bizutage par l’alcool dont sa personnalité en faisait la victime désignée, ne lui permit pas de tisser de véritables amitiés sinon avec un saintsimonien, Auguste Chevalier. C’est en fait dans cette société bourgeoise fréquentée par quelques jeunes aristocrates qu’il trouva ses futurs assassins.

Le 3 décembre, la Gazette des Écoles, journal qu’imprimait Antoine Guillard, agrégé de mathématiques au collège Louis-le-Grand et rival de Guigniault, publia un texte anonyme et manipulateur qui mettait en cause l’engagement libéral, c’est-à-dire sa fidélité au nouveau régime, du nouveau directeur de l’École. Celui-ci riposta le 9 décembre 1830 par l’expulsion d’Évariste Galois. Cet acte rappelait fâcheusement l’exclusion de Victor Cousin en 1821. Sans base légale, il fut ressenti comme une volonté de reprendre en main une jeunesse révolutionnaire en faisant un exemple de l’étudiant le plus célèbre, approuvée par certains, dénoncée par d’autres, et provoqua un émoi certain relayé par les amis républicains jusqu’au sein du gouvernement. Le 2 janvier, la Gazette publia une critique "Sur l’enseignement des sciences" dénonçant l’ignorance des enseignants dans ce domaine, dévalorisé par rapport aux humanités, et la perversité de leur pédagogie. Le 4 janvier 1831, le ministère entérina provisoirement la situation créée par le directeur tout en assurant à Évariste Galois mis à pieds le maintien de son statut de fonctionnaire en l’attente d’une décision.

Évariste Galois, qui avait obtenu sa licence en juin, inaugura le 13 janvier dans la librairie du 5 rue de la Sorbonne avec trente élèves un cours privé d’algèbre supérieure visant explicitement à suppléer les carences de l’enseignement public. Il réécrivit son mémoire perdu à la demande de Siméon Denis Poisson qui l’examina à son tour en compagnie de Sylvestre-François Lacroix dans le but d’un exposé à l’Académie des sciences.

Le 9 mai, au rez de jardin des Vendanges de Bourgogne, un restaurant du faubourg du Temple à Belleville, Évariste Galois participait avec deux cents donateurs à un banquet organisé à l’occasion de l’acquittement de dix neufs officiers républicains, dont Ulysse Trélat, Joseph Guinard, Godefroi Cavaignac et Pescheux d’Herbinville, accusés d’avoir, lors de l’émeute des 17 et 18 octobre 1830, armé le peuple insurgé contre l’abolition de la peine de mort pour les ministres les plus ultras de Charles X inculpés. C’était un genre de cérémonie dont le tapage voulait braver la clandestinité imposée et où la présence d’indicateurs de la police était inévitable. Pas moins ivre que les autres convives mais visiblement désireux d’honorer par la surenchère sa réputation de républicain des plus enragés, il porta à son tour un toast en tenant un couteau ouvert dans la main brandissant le verre « à Louis-Philippe, s’il trahit ! » c’est-à-dire « s’il viole la Charte » établie en droit sur la représentation nationale mais de fait sur la souveraineté du peuple en armes. L’inconscience du geste de menace, dont l’humour désinvolte et violent avait été prémédité trois jours plus tôt, la référence, dans le débat contextuel sur la peine de mort pour les politiques, au sort de Louis XVI, provoquèrent le départ très précipité, fût-ce par les fenêtres, d’un certain nombre de participants. Arrêté au petit matin sur le Pont Neuf alors qu’il rentrait chez lui, Évariste Galois passa quelques semaines en prison avant d’être jugé le 15 juin et, malgré un souci de vérité totale qui n’appartient qu’à ceux pour qui elle importe plus que leur intérêt et une revendication explicite de son geste devant le juge, acquitté.

Au sortir de prison, l’Académie adressa finalement une fin de non-recevoir à Évariste Galois. Celui-ci ayant annoncé une théorie plus vaste, Poisson, dérouté par l’abstraction inhabituelle de l’exposé, suggéra dans son court rapport daté du 4 juillet d’attendre la publication de cette dernière.

Le 14 juillet 1831, lors de la commémoration républicaine et non autorisée de la Fête de la Fédération, qui n’était pas encore fête nationale, Galois fut de nouveau arrêté, cette fois pour port d’armes illégal et usurpation de l’uniforme de l’artillerie. La commémoration et le défilé des citoyens en armes ont été ressentis par le jury comme un attentat à la monarchie ou du moins contre l’ordre. Il fut condamné le 23 octobre à six mois de prison.

Enfermé à Sainte Pélagie, il y côtoya Gérard de Nerval et François-Vincent Raspail qui évoquera l’isolement intérieur et les longues périodes de silence du très jeune homme. La mise au cachot de celui-ci à la suite d’une altercation avec la direction révolta tous ses amis républicains incarcérés avec lui et provoqua une mutinerie générale matée par la gendarmerie. Le quartier des prisonniers politiques jouissait en fait d’une grande liberté, ceux-ci organisant des chants et des cérémonies au drapeau à leur guise dans une cour qui leur était réservée et dormant dans des dortoirs qui n’étaient pas toujours fermés. Évariste Galois, qui ne s’était pas remis du suicide de son père, lui-même suicidaire et dégoûté du résultat de ses camarades, y fut à l’école de l’alcoolisme complaisamment toléré par l’administration, qui tenait, en sus de la cantine officielle, un véritable cabaret géré par un prisonnier et accessible aux plus riches. Il sombra pitoyablement dans la dipsomanie. Il réussit néanmoins à travailler ses mémoires sur les équations et à entamer d’autres recherches sur les fonctions elliptiques.

Le 16 mars 1832, Henri Gisquet, nouveau préfet de police, à ce titre responsable de Sainte Pélagie, voulant prévenir les ravages de l’épidémie de choléra, transféra, en échange de leur parole, ses prisonniers les plus fragiles, dont Galois, dans une maison de santé privée pour « aliénés et tous genres de maladies », la clinique Faultrier, 86 rue de Lourcine, actuel 94 rue Broca. Le jeune homme s’y énamoura, apparemment sans retour, de Stéphanie-Félicie, la fille d’un des internes, Jean-Louis Auguste Poterin du Motel, et nièce d’Eugène P. Poterin du Motel, spécialiste de la mélancolie. Deux brouillons de réponses datés du 14 mai montrent qu’après un temps de rêveries ou peut-être même d’extase, les illusions de leur auteur étaient brisées, soit que ses sentiments étaient depuis le début ambivalents soit qu’ils s’étaient inversés vers cette date.

À la suite de ce dépit, la rancune lui fit dénoncer à deux amis une « vérité si funeste » touchant « l’infâme coquette », lesquels amis, « si peu en état de l’entendre de sang froid », s’en sentirent eux-mêmes insultés, l’un prétendant être le fiancé de la jeune fille, l’autre inventant une parenté avec celle-ci. Deux semaines plus tard, au plus tôt le 25 mai, il reçut un défi des offensés en personne. Évariste Galois, « la conscience nette de mensonge », resta persuadé d’avoir dit la vérité, d’avoir de son côté employé « tous les moyens » pour éviter l’incident, malgré un refus évident d’envisager ses propres torts possibles, d’être victime d’une « provocation ».

Au matin du mercredi 30 mai 1832, devant ses témoins, il affronta, à l’étang de la Glacière, en duel au pistolet, celui qui fut son frère d’armes puis compagnon de cellule, le chartiste Ernest Duchâtelet, accompagné de l’aérostier militaire Pescheux d’Herbinville. Blessé de profil à l’abdomen de part en part, Galois fut transporté à l’hôpital Cochin et mourut le lendemain à dix heures, à l’âge de 20 ans et 7 mois, d’une péritonite hémorragique, après avoir souffert douze heures d’agonie et refusé les offices d’un prêtre. "

CRITIQUES DU TEXTE DE WIKIPEDIA :

Sur le toast contre le roi du 9 mai 1831

Remarquons d’abord la question du toast contre la royauté à la société des Amis du peuple. Wikipedia écrit : "L’inconscience du geste de menace, dont l’humour désinvolte et violent ..."

Le geste de Galois n’est ni humoristique, ni désinvolte, ni inconscient... C’était une révolte contre la tendance dominante chez les républicains à s’écraser face au pouvoir.

Voyons ce qu’en dit André Dalmas :

"Le texte des toasts avait été préparé à l’avance et il était convenu qu’on n’en lirait pas d’autres. C’était ignorer que la fraction la plus jeune et la plus ardente du parti républicain s’élevait maintenant contre la platitude de ces discours prononcés par leurs dirigeants. A la fin du repas, un jeune citoyen porta un toast très court, de trois mots : "A Louis-Philippe" D’une main, il levait le verre et, de l’autre, il montrait un couteau. C’était Evariste Galois. La plus grande partie de l’assemblée applaudit tandis que, seuls, protestèrent ceux des convives qui n’avaient pas vu le couteau. Alexandre Dumas, qui était placé à la table d’honneur du banquet, s’enfuit par la fenêtre. Le lendemain matin, Galois était arrêté chez sa mère. A cette occasion, la Gazette des Ecoles se tourna contre Galois qu’elle avait défendu cinq mois auparavant. Voici l’information publiée dans le numéro du 12 mai : "Plusieurs toasts ont été portés... Il paraît qu’un énergumène, qu’on dit étudiant, s’est levé de table, a tiré de sa poche un poignard et, l’agitant en l’air, s’est mis à dire "voilà comment je prêterai serment à Louis-Philippe..." "Galois était cet énergumène ! rajoute Dalmas. Galois précisera que le texte complet est "A Louis-Philippe, s’il trahit". Galois a alors été accusé d’"attentat à la vie et à la personne du roi des Français" et il a gagné son procès...

Sur le décès du père

Le père était un fervent révolutionnaire, devenu bonapartiste et devenu aussi maire de Bourg la reine à l’occasion du retour de Napoléon Bonaparte.

Il était trop populaire pour que le retour de la monarchie permette de le renverser de son poste...

De telles tensions régnaient également à Bourg-la-Reine, où au début de l’année 1829, un jeune prêtre arriva dans la paroisse et y prit position contre le maire libéral, Nicolas Gabriel Galois. « Il lia partie avec un adjoint pour supplanter Monsieur Galois : on monta une cabale contre lui, des couplets à la fois bêtes et licencieux coururent et furent attribués à la plume du maire, calomnies d’autant plus perfides qu’un membre même de sa famille y était tourné en ridicule ? Monsieur Galois ne put résister à ces attaques : il succomba à un délire de persécution, et, le 2 juillet 1829, profitant d’une absence de sa femme, il s’asphyxia dans l’appartement qu’il avait à Paris, rue Jean-de-Beauvais, à deux pas du collège Louis-le-Grand. » (Dupuy) En fait c’était le curé qui avait écrit les lettres anonymes et les lui avait attribués.

Le 2 juillet 1829, le père de Galois, ne pouvant supporter les attaques du curé de Bourg-la-Reine (des lettres anonymes), se suicide dans son appartement parisien (par asphyxie écrit Paul Dupuy).

"Il m’est dur de te dire adieu, mon cher fils. Tu es mon fils aîné et j’ai toujours été fier de toi. Un jour, tu seras un grand homme et un homme célèbre. Je sais que ce jour viendra, mais je sais aussi que la souffrance, la lutte et la désillusion t’attendent.

Tu seras mathématicien. Mais même les mathématiques, la plus noble et la plus abstraite de toutes les sciences, pour éthérées qu’elles soient, n’en ont pas moins leurs racines profondes sur la terre où nous vivons. Même les mathématiques ne te permettront pas d’échapper à tes souffrances et à celles des autres hommes. Lutte, mon cher enfant, lutte plus courageusement que je ne l’ai fait. Puisses-tu entendre avant de mourir sonner le carillon de la Liberté."

Évariste conduit l’enterrement de son père ; à Bourg-la-Reine, une petite émeute a lieu ; le curé est blessé.

Sur le duel où il a été tué, il écrit : "Je prend le ciel à témoin que c’est contraint et forcé que j’ai cédé à une provocation que j’ai conjurée par tous les moyens." Dans sa "Lettre à tous les républicains" du 29 mai 1832, quelques jours avant sa mort.

Il y a une très forte probabilité que la "provocation" en question n’était pas un hasard mais une action de la police...

Le 14 juillet, Galois, à la tête de plusieurs centaines de manifestants, est arrêté sur le Pont-Neuf , avec une carabine chargée, des pistolets, un poignard ; il est écroué de nouveau à Sainte-Pélagie. Voici ce qu’en disait à sa seconde incarcération Évariste Galois : « Porte aussi massive que rébarbative, murs épais d’un mètre qui le disputent à l’horreur de sombres couloirs, suintant la crasse, le froid et le désespoir. Tout ici sent la Mort ! Dante a dû y venir, rédiger ses Enfers. » Après trois mois de détention, il est condamné le 23 octobre, à sa profonde surprise, à six mois de prison supplémentaires ; le motif trouvé est le port illégal de l’uniforme de la garde nationale. Son ami Ernest Duchatelet, arrêté en même temps que lui, n’est condamné qu’à trois mois pour le même motif. Galois fait appel, mais la condamnation est confirmée le 3 décembre : il doit rester incarcéré jusqu’au 29 avril 1832.

Nerval a été brièvement incarcéré à Sainte Pélagie en février 1832. Il raconte son séjour dans Mes prisons, en 1841, ce qui permet d’imaginer que la vie de Galois à Sainte Pélagie n’était pas si difficile qu’on pourrait l’imaginer. Les détenus chantaient La Marseillaise, pouvaient se faire apporter leurs repas, etc. Nerval raconte son départ : "Il était cinq heures. L’un des convives me reconduisit jusqu’à la porte, et m’embrassa, me promettant de venir me voir en sortant de prison. Il avait, lui, deux ou trois mois à faire encore. C’était le malheureux Gallois, que je ne revis plus, car il fut tué en duel le lendemain de sa mise en liberté."

Sa mise en liberté est d’autant plus sujette à caution qu’on l’avait volontairement maintenu en prison au delà du jugement (il avait été condamné à un mois de prison et on lui avait rajouté huit mois sur des motifs bidon), qu’il y avait subi nombre de provocations pouvant mener à sa mort, dans la prison. Il avait été provoqué par un codétenu et s’en était sorti de justesse.

C’est le pouvoir qui a conditionné sa libération (elle n’était nullement obligée de le libérer sur parole...) par un emprisonnement sur parole chez une personne liée à la police qui l’a mis en contact avec une femme chargée de l’emberlificoter dans une manœuvre policière. Elle lui a fait croire qu’elle l’aimait puis on lui a montré qu’elle trompait en même temps une personne qu’on lui a présenté comme un militant républicain. Une personne se présentant comme l’oncle de la femme s’est prétendu offensé par l’accusation de Galois contre la jeune femme... Connaissant le sens de l’honneur de Galois, celui-ci ne pouvait refuser le duel au pistolet, arme pour laquelle son adversaire était un professionnel. On parle de duel, et Galois y a cru, mais où sont passés les témoins et qui était le tueur ? Silence ! Ce genre de méthode était relativement courante dans la police... Alexandre Dumas, dans ses Mémoires, dit expressément que l’un d’eux était Pécheux d’Herbinville, l’un des acquittés du procès des Dix-neuf, et que c’est lui qui blessa Galois. Pécheux était un militaire aux ordre du pouvoir et fut ensuite, en récompense, nommé par l’Etat conservateur du château de Fontainebleau. La Tribune annonça son enterrement en ces termes : « Les obsèques de M. Evariste Galois, artilleur de la garde nationale parisienne, et membre de la Société des Amis du peuple, auront lieu aujourd’hui samedi 2 courant. Le convoi partira de l’hospice Cochin à 11 heures et demie du matin. » Deux ou trois mille républicains s’y donnèrent rendez-vous : il y eut des députations de l’École de Droit, de l’École de Médecine, de l’artillerie de la garde nationale, sans parler, bien entendu, d’une nuée d’agents de police. Le préfet de police, M. Gisquet, se méfiait en effet. La veille, il avait interdit une réunion de la Société des Amis du peuple, dans une maison de la rue Saint-André-des-Arts, et fait faire plusieurs arrestations, sous prétexte qu’on voulait préparer des troubles à l’enterrement de Galois. Comme il fut mis dans la fosse commune, [Registre d’inhumations du Cimetière du sud.] il ne reste plus trace aujourd’hui de la sépulture de Galois.

Alfred Galois, le frère d’Evariste, qui avait recueilli toutes ses confidences avant sa mort, était persuadé qu’il était tombé dans un piège de la police.

Dans les mémoires de Gisquet, préfet de police, on trouve la mention d’Evariste Galois, suivi de près par la police qui s’en méfiait comme un dangereux révolutionnaire, républicain influent…C’est lui qui avait, en personne, décidé de faire sortir Galois de Sainte Pélagie pour l’envoyer dans une résidence sur parole et c’est là qu’il a rencontré ceux qui allaient lui donner la mort... Certains veulent croire que c’est par hasard !

Le simple fait d’avoir abandonné la victime mourant sur le terrain sans que les témoins ni de l’une ni de l’autre partie s’en occupent n’a rien de courant dans un duel…

La politique et la science

On a présenté Galois comme un mathématicien que la politique distrayait à tort de sa tâche...

Dalmas conclue : « Ceux qui condamnent, ceux qui, seulement, regrettent que Galois ait donné une part de son ardeur à ce que nous appelons (aujourd’hui) la politique, se privent du droit de mesurer l’étendue et la nouveauté de ses travaux. Ils s’en privent parce qu’ils sont persuadés que la théorie est indépendante de la pratique de la vie... Enfermé à Sainte-Pélagie, Evariste Galois imaginait ce que serait, ce que devrait être demain, la collaboration entre scientifiques : « Les savants ne sont pas plus que d’autres faits pour l’isolement... eux aussi appartiennent à leur époque... et tôt ou tard ils décupleront leurs forces par l’association. » Jamais un jeune mathématicien ne fut si proche de réaliser lui-même une semblable ambition. Jamais aussi la société ne mit autant d’acharnement à tenter de réduire sa volonté.

A Auguste Chevalier, le 25 mai 1832, quelques jours avant sa mort :

"Venez demander aux hommes qui souffrent d’avoir pitié de ce qui est ! Pitié, jamais ! Haine, voilà tout ! Qui ne la ressent pas profondément, cette haine du présent, n’a pas vraiment l’amour de l’avenir !"

Blanqui

En juillet 1830, quand s’élevèrent les premières protestations contre les ordonnances de Charles X, Blanqui quitta la rédaction du Globe et se hâta, selon ses propres termes, de « prendre le fusil et d’arborer la cocarde tricolore ». Au cours des journées révolutionnaires, il se rangea aux côtés du peuple parisien contre les troupes de Charles X. Enivré par la lutte, il était persuadé que le peuple serait victorieux et que c’en était fini à tout jamais de la monarchie et du joug qu’elle faisait peser. Il fut déçu par l’issue de la révolution : la monarchie ressuscita sous une nouvelle forme Charles X fut remplacé sur le trône par le « roi-bourgeois » Louis-Philippe.

Aussitôt après la Révolution, Blanqui donna son adhésion à la Société des Amis du peuple, dirigée par Godefroy Cavaignac. Cette société propageait activement les idées républicaines. Blanqui prit souvent la parole à ses réunions. Par hasard, Henri Heine entendit son discours du 2 février 1832 qu’il qualifie de « discours plein de sève, de droiture et de colère » à l’égard de la bourgeoisie. Ce discours fut prononcé en présence de mille cinq cents personnes, dans une atmosphère qui rappelait celle de 1793.

Au début de 1831, Blanqui, qui prenait une part active aux manifestations d’étudiants, fut arrêté par la police et enfermé à la Force, d’où il sortit au bout de trois semaines. La Force fut la première des nombreuses prisons dans lesquelles Blanqui passa la moitié de sa vie.

En 1832, Casimir Périer, ministre de l’Intérieur du gouvernement de Louis-Philippe, qui voulait dissoudre la Société des Amis du peuple et arrêter ses dirigeants, obtint la mise en jugement de la société sous l’inculpation de violation des lois sur la presse et de complot contre la sûreté de l’État. En janvier 1832, Blanqui, Raspail, Thouret, Huber et d’autres furent arrêtés. Ce fut le fameux Procès des Quinze qui eut lieu du 10 au 12 janvier devant la Cour d’assises de la Seine. La cour d’assises acquitta les accusés, mais la défense que prononça Blanqui lui valut d’être inculpé par le procureur d’atteinte à la tranquillité publique. Blanqui fut condamné à un an de prison et 200 francs d’amende. Il subit sa peine d’abord à la prison de Versailles, puis à celle de Sainte-Pélagie à Paris.

Cependant les épreuves subies ne firent que fortifier Blanqui. À sa sortie de prison, il se mit avec une énergie accrue à répandre les idées révolutionnaires. Parallèlement, il élargissait et approfondissait ses connaissances en matière sociale et politique. Au cours de cette période, Blanqui subit l’influence de Buonarroti, l’ami de Babeuf, qui transmettait et diffusait la tradition glorieuse des « Égaux ». Blanqui fut également influencé dans une certaine mesure par Raspail, savant et révolutionnaire. Les premières années de la monarchie de Juillet étaient pleines de mouvements importants. Les troubles parisiens en septembre 1831, le soulèvement des ouvriers lyonnais en novembre 1831, l’insurrection républicaine de Paris en juin 1832, la deuxième insurrection des ouvriers lyonnais en avril 1834 et ses répercussions sur les autres villes françaises (les journées du 13 et du 14 avril à Paris et leur fin tragique, les massacres de la rue Transnonain), cette suite d’événements historiques ne put que renforcer Blanqui dans ses convictions révolutionnaires.

BLANQUI

"QUI FAIT LA SOUPE DOIT LA MANGER

(1834)

La richesse naît de l’intelligence et du travail, l’âme et la vie de l’humanité. Mais ces deux forces ne peuvent agir qu’à l’aide d’un élément passif, le sol, qu’elles mettent en œuvre par leurs efforts combinés. Il semble donc que cet instrument indispensable devrait appartenir à tous les hommes. Il n’en est rien.

Des individus se sont emparés par ruse ou par violence de la terre commune, et, s’en déclarant les possesseurs, ils ont établi par des lois qu’elle serait à jamais leur propriété, et que ce droit de propriété deviendrait la base de la constitution sociale, c’est-à-dire qu’il primerait et au besoin pourrait absorber tous les droits humains, même celui de vivre, s’il avait le malheur de se trouver en conflit avec le privilège du petit nombre.

Ce droit de propriété s’est étendu, par déduction logique, du sol à d’autres instruments, produits accumulés du travail, désignés par le nom générique de capitaux. Or, comme les capitaux, stériles d’eux-mêmes, ne fructifient que par la main-d’œuvre, et que, d’un autre côté, ils sont nécessairement la matière première ouvrée par les forces sociales, la majorité, exclue de leur possession, se trouve condamnée aux travaux forcés, au profit de la minorité possédante. Les instruments ni les fruits du travail n’appartiennent pas aux travailleurs, mais aux oisifs. Les branches gourmandes absorbent la sève de l’arbre, au détriment des rameaux fertiles. Les frelons dévorent le miel créé par les abeilles.

Tel est notre ordre social, fondé par la conquête, qui a divisé les populations en vainqueurs et en vaincus. La conséquence logique d’une telle organisation, c’est l’esclavage. Il ne s’est pas fait attendre. En effet, le sol ne tirant sa valeur que de la culture, les privilégiés ont conclu, du droit de posséder le sol, celui de posséder aussi le bétail humain qui le féconde. Ils l’ont considéré d’abord comme le complément de leur domaine, puis, en dernière analyse, comme une propriété personnelle, indépendante du sol.

Cependant le principe d’égalité, gravé au fond du cœur, et qui conspire, avec les siècles, à détruire, sous toutes ses formes, l’exploitation de l’homme par l’homme, porta le premier coup au droit sacrilège de propriété, en brisant l’esclavage domestique. Le privilège dut se réduire à posséder les hommes, non plus à titre de meuble, mais d’immeuble annexe et inséparable de l’immeuble territorial.

Au XVIe siècle, une recrudescence meurtrière de l’oppression amène l’esclavage des noirs, et aujourd’hui encore les habitants d’une terre réputée française possèdent des hommes au même titre que des habits et des chevaux. Il y a du reste moins de différence qu’il ne paraît d’abord entre l’état social des colonies et le nôtre. Ce n’est pas après dix-huit siècles de guerre entre le privilège et l’égalité que le pays, théâtre et champion principal de cette lutte, pourrait supporter l’esclavage dans sa nudité brutale. Mais le fait existe sans le nom, et le droit de propriété, pour être plus hypocrite à Paris qu’à la Martinique, n’y est ni moins intraitable, ni moins oppresseur.

La servitude, en effet, ne consiste pas seulement à être la chose de l’homme ou le serf de la glèbe. Celui-là n’est pas libre qui, privé des instruments de travail, demeure à la merci des privilégiés qui en sont détenteurs. C’est cet accaparement et non telle ou telle constitution politique qui fait les masses serves. La transmission héréditaire du sol et des capitaux place les citoyens sous le joug des propriétaires. Ils n’ont d’autre liberté que celle de choisir leur maître.

De là sans doute cette locution railleuse : « Les riches font travailler les pauvres. » À peu près, en effet, comme les planteurs font travailler leurs nègres, mais avec un peu plus d’indifférence pour la vie humaine. Car l’ouvrier n’est pas un capital à ménager comme l’esclave ; sa mort n’est pas une perte ; il y a toujours concurrence pour le remplacer. Le salaire, quoique suffisant à peine pour empêcher de mourir, a la vertu de faire pulluler la chair exploitée ; il perpétue la lignée des pauvres pour le service des riches, continuant ainsi, de génération en génération, ce double héritage parallèle d’opulence et de misère, de jouissances et de douleurs, qui constitue les éléments de notre société. Quand le prolétaire a suffisamment souffert et laissé des successeurs pour souffrir après lui, il va, dans un hôpital, fournir son cadavre à la science, comme moyen d’études, pour guérir ses maîtres.

Voilà les fruits de l’appropriation des instruments de travail ! Pour les masses, des labeurs incessants, à peine l’obole de la journée, jamais de lendemain sûr, et la famine, si un caprice de colère ou de peur retire ces instruments ! Pour les privilégiés, l’autocratie absolue, le droit de vie et de mort ! car ils ont les mains pleines, ils peuvent attendre. Avant que l’épuisement de leur réserve les contraigne à capituler, le dernier plébéien serait mort.

Qui ne se rappelle les misères de 1831, quand le capital s’est caché par crainte ou par vengeance ? Du fond de leur fromage de Hollande les barons du coffre-fort contemplaient froidement les angoisses de ce peuple décimé par la faim, en récompense de son sang versé au service de leurs vanités bourgeoises. Les représailles de la grève sont impossibles.

Les ouvriers de Lyon viennent de les tenter . Mais à quel prix ! Soixante mille hommes ont dû fléchir devant quelques douzaines de fabricants et demander grâce. La faim a dompté la révolte. Et n’est-ce pas un miracle même que cette velléité de résistance ? Que de souffrances n’a-t-il pas fallu pour lasser la patience de ce peuple et le raidir enfin contre l’oppression !

Le pauvre ne connaît pas la source de ses maux. L’ignorance, fille de l’asservissement, fait de lui un instrument docile des privilégiés. Écrasé de labeur, étranger à la vie intellectuelle, que peut-il savoir de ces phénomènes sociaux où il joue le rôle de bête de somme ? Il accepte comme un bienfait ce qu’on daigne lui laisser du fruit de ses sueurs, et ne voit dans la main qui l’exploite que la main qui le nourrit, toujours prêt, sur un signe du maître, à déchirer le téméraire qui essaie de lui montrer une destinée meilleure.

Hélas ! l’humanité marche avec un bandeau sur les yeux, et ne le soulève qu’à de longs intervalles pour entrevoir sa route. Chacun de ses pas dans la voie du progrès écrase le guide qui le lui fait faire. Toujours ses héros ont commencé par être ses victimes. Les Gracques sont mis en pièces par une tourbe ameutée à la voix des patriciens. Le Christ expire sur la croix, aux hurlements de joie de la populace juive excitée par les Pharisiens et les prêtres et, naguère, les défenseurs de l’égalité sont morts sur l’échafaud de la Révolution par l’ingratitude et la stupidité du peuple, qui a laissé la calomnie vouer leur mémoire à l’exécration. Aujourd’hui encore, les stipendiés du privilège enseignent chaque matin aux Français à cracher sur la tombe de ces martyrs.

Qu’il est difficile au prolétariat d’ouvrir les yeux sur ses oppresseurs ! Si à Lyon il s’est levé comme un seul homme, c’est que l’antagonisme flagrant des intérêts ne permettait plus l’illusion à l’aveuglement même le plus obstiné. Alors se sont révélés les trésors de haine et de férocité que recèlent les âmes de ces marchands ! Au milieu des menaces de, carnage, de toutes parts accouraient pour l’extermination canons, caissons, chevaux, soldats. Rentrer dans le devoir ou périr sous la mitraille, telle est l’alternative posée aux rebelles. Le devoir du travailleur lyonnais, l’homme-machine, c’est de pleurer la faim, en créant jour et nuit, pour les plaisirs du riche, des tissus d’or, de soie et de larmes.

Mais une si dure tyrannie a ses dangers : le ressentiment, la révolte. Pour conjurer le péril, on essaie de réconcilier Caïn avec Abel. De la nécessité du capital comme instrument de travail, on s’évertue à conclure la communauté d’intérêts, et par la suite la solidarité entre le capitaliste et le travailleur. Que de phrases artistement brodées sur ce canevas fraternel ! La brebis n’est tondue que pour le bien de sa santé. Elle redoit des remerciements. Nos Esculapes savent dorer la pilule.

Ces homélies trouvent encore des dupes, mais peu. Chaque jour fait plus vive la lumière sur cette prétendue association du parasite et de sa victime. Les faits ont leur éloquence ; ils prouvent le duel, le duel à mort entre le revenu et le salaire. Qui succombera ? Question de justice et de bon sens. Examinons.

Point de société sans travail ! partant point d’oisifs qui n’aient besoin des travailleurs. Mais quel besoin les travailleurs ont-ils des oisifs ? Le capital n’est-il productif entre leurs mains, qu’à la condition de ne pas leur appartenir ? Je suppose que le prolétariat, désertant en masse, aille porter ses pénates et ses labeurs dans quelque lointain parage. Mourrait-il par hasard de l’absence de ses maîtres ? La société nouvelle ne pourrait-elle se constituer qu’en créant des seigneurs du sol et du capital, en livrant à une caste d’oisifs la possession de tous les instruments de travail ? N’y a-t-il de mécanisme social possible que cette division de propriétaires et de salariés ?

En revanche, combien serait curieuse à voir la mine de nos fiers suzerains, abandonnés par leurs esclaves ! Que faire de leurs palais, de leurs ateliers, de leurs champs déserts ? Mourir de faim au milieu de ces richesses, ou mettre habit bas, prendre la pioche et suer humblement à leur tour sur quelque lopin de terre. Combien en cultiveraient-ils à eux tous ? J’imagine que ces messieurs seraient au large dans une sous-préfecture.

Mais un peuple de trente-deux millions d’âmes ne se retire plus sur le Mont Aventin. Prenons donc l’hypothèse inverse, plus réalisable. Un beau matin, les oisifs, nouveaux Bias, évacuent le sol de France, qui reste aux mains laborieuses. Jour de bonheur et de triomphe ! Quel immense soulagement pour tant de millions de poitrines, débarrassées du poids qui les écrase ! Comme cette multitude respire à plein poumon ! Citoyens, entonnez en chœur le cantique de la délivrance !

Axiome : la nation s’appauvrit de la perte d’un travailleur ; elle s’enrichit de celle d’un oisif . La mort d’un riche est un bienfait.

Oui ! le droit de propriété décline. Les esprits généreux prophétisent et appellent sa chute. Le principe essénien de l’égalité le mine lentement depuis dix-huit siècles par l’abolition successive des servitudes qui formaient les assises de sa puissance. Il disparaîtra un jour avec les derniers privilèges qui lui servent de refuge et de réduit. Le présent et le passé nous garantissent ce dénouement. Car l’humanité n’est jamais stationnaire. Elle avance ou recule. Sa marche progressive la conduit à l’égalité. Sa marche rétrograde remonte, par tous les degrés du privilège. Jusqu’à l’esclavage personnel, dernier mot du droit de la propriété. Avant d’en retourner là, certes, la civilisation européenne aurait péri. Mais par quel cataclysme ? Une invasion russe ? C’est le Nord, au contraire, qui sera lui-même envahi par le principe d’égalité que les Français mènent à la conquête des nations. L’avenir n’est pas douteux.

Disons tout de suite que l’égalité n’est pas le partage agraire. Le morcellement infini du sol ne changerait rien, dans le fond, au droit de propriété. La richesse provenant de la possession des instruments de travail plutôt que du travail lui-même, le génie de l’exploitation, resté debout, saurait bientôt, par la reconstruction des grandes fortunes, restaurer l’inégalité sociale.

L’association, substituée à la propriété individuelle, fondera seule le règne de la justice par l’égalité. De là cette ardeur croissante des hommes d’avenir à dégager et mettre en lumière les éléments de l’association. Peut-être apporterons-nous aussi notre contingent à l’œuvre commune."

Entré dans l’association républicaine Les Amis du Peuple, Blanqui se plaça à l’aile gauche de celle-ci. Pour les premières années de la monarchie de juillet, deux documents témoignent de ses idées. Le premier est sa déclaration au procès des « Amis du Peuple », en janvier 1832 (Procès des Quinze). Le second est un discours prononcé à une réunion organisée par cette Société, le 2 février de la même année. Le premier de ces documents a été imprimé, à l’époque même, par l’association des « Amis du Peuple » ; le second nous est parvenu à l’état de manuscrit.

Devant le tribunal, Blanqui posait nettement le problème de la division de la société en classes ; il liait la lutte que mènent les « Amis du peuple » pour les droits politiques aux besoins matériels, aux intérêts et aux souffrances des es populaires. Mais ses idées concernant les classes sociales de son temps n’avaient pas un suffisant degré de précision et son programme social était encore très indéterminé.

Au président du tribunal qui lui demandait sa profession, Blanqui répondit : Prolétaire. Mais la suite de ses explications indique que, pour lui, le mot « prolétaire » désignait le travailleur en général :

C’est la profession de trente millions de Français qui vivent de leur travail et qui sont privés de leurs droits politiques.

Il est clair que Blanqui donnait à la notion de prolétaire Le même sens que les démocrates donnaient à la notion de « peuple ». C’est l’opposition entre « l’aristocratie de la richesse et le peuple » ou bien entre « la bourgeoisie et le peuple », qui caractérise la pensée sociale de cette période. L’imprécision dans les termes de cette opposition reflétait le niveau insuffisant du développement capitaliste en France, le non-achèvement de l’évolution industrielle. Comme nous le verrons plus loin, Blanqui confond « prolétaire » et « pauvres ».

Je suis accusé, poursuit Blanqui dans la même déclaration, d’avoir dit aux 30 millions de Français, prolétaires comme moi, qu’ils avaient le droit de vivre...

En formulant une telle accusation,

le ministère public ne s’est point adressé à votre équité et à votre raison, mais à vos passions et à vos intérêts, dit Blanqui aux juges. Le ministère public vous a dit : vous voyez, c’est la guerre des pauvres contre les riches : tous ceux qui possèdent sont intéressés à repousser l’invasion. Nous vous amenons vos ennemis ; frappez-les avant qu’ils ne deviennent plus redoutables. Oui, Messieurs, ceci est la guerre entre les riches et les pauvres ; les riches... sont les agresseurs, seulement ils trouvent mauvais que les pauvres fassent résistance... On ne cesse de dénoncer les pauvres comme des voleurs prêts à se jeter sur les propriétés. [Les riches, ce sont] de légitimes possesseurs menacés du pillage par une avide populace...

Qui donc sont ces « légitimes possesseurs » ? Qui sont les « voleurs » ? Les « légitimes possesseurs », ce sont les

privilégiés qui vivent grassement de la sueur du prolétaire ... ; ce sont deux ou trois cent mille oisifs qui dévorent paisiblement les milliards payés par les voleurs. [Et les « voleurs » ?] Trente millions de Français qui paient au fisc un milliard et demi, et une somme à peu près égale aux privilégiés.

En effet, poursuivait Blanqui, le gouvernement actuel n’a point d’autre base que cette inique répartition des charges et des bénéfices,

d’autre but que l’exploitation du pauvre par le riche. L’État est une

pompe aspirante et foulante qui foule la matière appelée peuple pour en aspirer des milliards incessamment versés dans les coffres de quelques oisifs...

Tous les moyens légaux qui protègent les intérêts, qui permettent d’agir sur l’opinion publique, sont entre les mains des privilégiés. Le peuple n’en a aucun.

Les lois sont faites par cent mille électeurs, appliquées par cent mille jurés, exécutées par cent mille gardes nationaux... Or, ces électeurs, ces jurés, ces gardes nationaux, ce sont les mêmes individus, lesquels cumulent les fonctions les plus opposées et se trouvent tout à la fois législateurs, juges et soldats.

Trente millions de prolétaires restent en dehors de ce système que font-ils ?

Ils paient... [Mais comment] des hommes de cœur et d’intelligence... pourraient-ils demeurer indifférents... aux souffrances des prolétaires... ? Leur devoir est d’appeler les masses à briser un joug de misère...

à prendre les affaires politiques entre leurs mains. Le peuple veut faire et il fera les lois qui doivent le régir ; alors ces lois ne seront plus faites contre lui ; elles seront faites pour lui, parce qu’elles le seront par lui.

La conclusion à laquelle Blanqui conduit ses auditeurs est claire : pour supprimer les maux de la société, il est indispensable de créer une démocratie politique. Au cours de sa déclaration, il ne fait pas de proposition de caractère socialiste ; mais la tendance socialiste est indiscutable. Il considère comme but de la lutte l’établissement de l’égalité sociale ; mais, comme mesure concrète pour améliorer le sort des opprimés, il n’indique que la réforme des impôts. Ceci est assurément dû au fait que Blanqui considère naïvement le système fiscal comme le mécanisme essentiel qui permet aux riches de piller les pauvres. Ces impôts « pillards » doivent être supprimés et remplacés par un impôt qui « devra s’emparer du superflu des oisifs », pour le répartir par « un système de banques nationales » (idée probablement inspirée par la propagande saint-simonienne) « entre cette masse de gens indigents que le manque d’argent condamne à l’inaction ».

Dans son discours du 2 février 1832, Blanqui a caractérisé de manière plus concrète les forces de classes en lutte dans la France de son époque.

Il ne faut pas se dissimuler qu’il y a guerre à mort entre les classes qui composent la nation... le parti vraiment national, celui auquel les patriotes doivent se rallier, c’est le parti des masses.

Dans la France de son temps, Blanqui constate l’existence de trois intérêts :

Celui de la classe dite très élevée, celui de la classe moyenne ou bourgeoise, enfin celui du peuple... En 1814 et 1815, la classe bourgeoise fatiguée de Napoléon, surtout parce que la guerre... nuisait à sa tranquillité et empêchait le commerce d’aller, reçut les soldats étrangers en libérateurs et les Bourbons comme les envoyés de Dieu.

Aussi les Bourbons récompensèrent-ils la bourgeoisie « par la Charte ». Par le moyen de la Charte, la haute société et les grands propriétaires, d’une part, la classe moyenne, d’autre part, se partageaient entre elles le pouvoir. « Le peuple fut mis de côté. » « Privé de chefs », démoralisé par la défaite, il se taisait. La bourgeoisie a prêté son appui aux Bourbons jusqu’en 1825. Mais, par la suite, Charles X,

se croyant assez fort sans les bourgeois voulut procéder à leur exclusion, comme on avait fait pour le peuple en 1815

La bourgeoisie devint furieuse.

Alors commença cette guerre de journaux et d’élections [menée par elle contre Charles X]. Mais les bourgeois combattaient au nom de la Charte, rien que pour la Charte... [Le peuple] restait spectateur silencieux de la querelle ; et chacun sait bien que ses intérêts ne comptaient pas dans les débats survenus entre ses oppresseurs... en voyant ses maîtres se disputer, il épiait en silence le moment de s’élancer sur le champ de bataille et de mettre les parties d’accord.

Lorsque, dans cette lutte entre la bourgeoisie et le gouvernement, la victoire commença à pencher vers la première, Charles X résolut de faire un coup d’État. Il décréta la dissolution de la Chambre des députés et menaça de se servir de la force armée. Les royalistes se montraient sûrs d’eux, et la bourgeoisie était prise de panique. Ni l’une, ni l’autre partie ne s’attendait à l’intervention du peuple.

Lorsque le peuple se dressa, réveillé d’un sommeil qui avait duré quinze ans, une frayeur plus grande encore saisit les bourgeois.

Au travers des débris, des flammes et de la fumée, sur le cadavre de la royauté, le peuple leur apparaît debout, debout comme un géant, le drapeau tricolore à la main ; ils demeurent frappés de stupeur...

D’abord, ils avaient redouté la victoire de Charles X et ils avaient tremblé devant ses conséquences. Ensuite, quand le peuple triompha, contre toute attente, les bourgeois furent stupéfaits.

Pendant ces jours où le peuple fut si grand, les bourgeois ont été ballottés entre deux peurs, celle de Charles X d’abord et celle des ouvriers ensuite.

Mais comment se fait-il qu’une révélation si soudaine et si redoutable de la force des masses soit demeurée stérile ?...

[Cette révolution] devait marquer la fin du régime exclusif de la bourgeoisie, ainsi que l’avènement des intérêts de la puissance populaire.

Comment « n’a-t-elle eu d’autre résultat que d’établir le despotisme de la classe moyenne » ? C’est que « le peuple n’a pas su profiter de sa victoire ».

Le combat fut si court que ses chefs naturels, ceux qui auraient donné cours à sa victoire, n’eurent pas le temps de sortir de la foule ! [Le peuple accordait sa confiance à ceux] qui avaient figuré en tête de la bourgeoisie dans la lutte parlementaire contre les Bourbons.

La victoire une fois remportée, le peuple rentra « dans ses ateliers » ; la bourgeoisie entra dans l’arène. N’osant, par crainte du peuple, rétablir Charles X, elle proclama roi un autre Bourbon.

La classe moyenne qui s’est cachée pendant le combat et qui l’a désapprouvé... a escamoté le fruit de la victoire remportée malgré elle. Le peuple, qui a tout fait, reste zéro comme devant. [Mais il est entré malgré tout sur la scène] il n’en a pas moins fait acte de maître... C’est désormais entre la classe moyenne et lui que va se livrer une guerre acharnée. Ce n’est plus entre les hautes classes et les bourgeois ; ceux-ci auront même besoin d’appeler à leur aide leurs anciens ennemis pour mieux lui résister, pour résister à l’offensive menaçante des prolétaires.

La peur du peuple, le désir de trouver un soutien dans l’aristocratie déterminent toute la politique du gouvernement de Louis-Philippe ; réactionnaire en toutes ses manifestations, ce gouvernement « copie la Restauration ».

« Deux principes divisent la France, le principe de la légitimité et celui de la souveraineté du peuple », déclare Blanqui, en conclusion de son aperçu historique. « Il n’y a pas de troisième drapeau, de terme moyen. » Tous ceux qui dénoncent « l’anarchie » et qui soutiennent « la vieille organisation du passé » se groupent autour du drapeau de la légitimité.

Le principe de la souveraineté du peuple rallie tous les hommes d’avenir, les masses qui, fatiguées d’être exploitées, cherchent à briser ces cadres clans lesquels elles se sentent étouffer .

Comme nous le voyons, dans ce discours aussi, les groupes sociaux sont assez mal définis ; et on n’y rencontre pas non plus un exposé des mesures concrètes qui permettraient aux masses de se libérer de l’exploitation. À défaut, l’attention de Blanqui se concentre sur le but politique de la lutte : l’établissement de la souveraineté du peuple. Mais les tendances égalitaires, communes à presque tous les démocrates de cette époque, étaient aussi celles de Blanqui ; il est très probable que, dès 1832, il avait une certaine sympathie pour le socialisme. Il n’est pas douteux qu’il ait connu, avant même la Révolution de 1830, les œuvres des saint-simoniens et le livre de Buonarroti : La Conspiration pour l’Égalité. En tout cas, au début de 1834, ses convictions socialistes avaient déjà pris forme. Dans un article écrit cette même année, et qu’il avait destiné au journal Le Libérateur, Blanqui se prononce non seulement contre l’inégalité, mais aussi contre les grossières recettes de l’égalitarisme pour lutter contre le mal social ; il leur oppose le principe de l’association.

Il existe deux sources de la richesse :

l’intelligence et le travail, l’âme et la vie de l’humanité, écrit-il. Mais ces deux forces ne peuvent agir qu’à l’aide d’un élément passif, le sol, qu’elles mettent en œuvre par leurs efforts combinés... Cet instrument indispensable devrait appartenir à tous les hommes. Il n’en est rien.

La terre est devenue propriété particulière.

Des individus se sont emparés par ruse ou par violence de la terre commune, et, s’en déclarant les possesseurs, ils ont établi par des lois qu’elle serait à jamais leur propriété... Ce droit de propriété s’est étendu... du sol à d’autres instruments, produits accumulés du travail désignés par le nom générique de capitaux.

L’établissement de la propriété a engendré un conflit entre « les droits humains même celui de vivre » et « le privilège du petit nombre ... »

Comme les capitaux stériles d’eux-mêmes ne fructifient que par la main-d’œuvre et que, d’un autre côté, ils sont nécessairement la matière première œuvrée par les forces sociales, la majorité, exclue de leur possession, se trouve condamnée aux travaux forcés, au profit de la minorité possédante... La conséquence logique d’une telle organisation, c’est l’esclavage.

Cependant, le principe d’égalité, gravé au fond des cœurs et qui conspire, avec les siècles, à détruire sous toutes ses formes l’exploitation de l’homme par l’homme, porta le premier coup au droit sacrilège de propriété, en brisant l’esclavage domestique.

Les esclaves, propriété « à titre de meuble », ont été transformés en serfs, « propriété immeuble annexe et inséparable de l’immeuble territorial ». Mais l’esclavage existe encore de nos jours.

La servitude, en effet, ne consiste pas seulement à être la chose de l’homme, ou le serf de la glèbe. Celui-là n’est pas libre qui, privé des instruments de travail, demeure à la merci des privilégiés qui en sont détenteurs... « La transmission héréditaire du sol et des capitaux place les citoyens sous le joug des propriétaires. »

La condition de l’ouvrier est pire que celle des nègres esclaves dans les plantations.

Car l’ouvrier n’est pas un capital à ménager comme l’esclave ; sa mort n’est pas une perte, il y a toujours concurrence pour le remplacer.

Le pauvre, poursuit Blanqui, ne connaît pas la source de ses maux. L’ignorance, fille de l’asservissement, fait de lui un instrument docile des privilégiés... Si à Lyon il [le prolétariat] s’est levé comme un seul homme, c’est que l’antagonisme flagrant des intérêts ne permettait plus l’illusion à l’aveuglement même le plus obstiné.

La situation est grosse de révoltes. Le sentant bien, les défenseurs de l’ordre s’évertuent à prêcher

la communauté des intérêts et, par suite, la solidarité entre le capitaliste et le travailleur... Ces homélies trouvent encore des dupes, mais peu. Chaque jour fait plus vive la lumière sur cette prétendue association du parasite et de sa victime. Les faits ont leur éloquence ; ils prouvent le duel, le duel à mort entre le revenu et le salaire.

Blanqui est convaincu que, au bout de cette lutte, la victoire restera non aux oisifs, mais aux travailleurs. Oui, ajoute-t-il, le droit de propriété décline... Il disparaîtra un jour avec les derniers privilèges qui lui servent de refuge et de réduit... L’humanité n’est jamais stationnaire. Elle avance ou recule.

La marche rétrograde remonterait jusqu’à l’esclavage personnel, dernier mot du droit de propriété. La marche progressive la conduit à l’égalité.

Disons tout de suite, explique Blanqui en conclusion de cet article, que l’égalité n’est pas le partage agraire. Le morcellement infini du sol ne changerait rien, dans le fond, au droit de propriété... La richesse provenant de la possession des instruments de travail plutôt que du travail lui-même, le génie de l’exploitation resté debout saurait bientôt, par la reconstruction des grandes fortunes, restaurer l’inégalité sociale. L’association, substituée à la propriété individuelle, fondera seule le règne de la justice par l’égalité .

Biographies de Galois

En 1957, Leopold Infeld, le collaborateur d’Albert Einstein avec lequel il a écrit L’évolution des idées en physique, publiait un livre au titre évocateur "Ceux qui sont aimés des dieux", clairement inspiré d’une citation de l’auteur grec Ménandre, « Whom the gods love die young ». Ceux qui sont aimés des dieux meurent jeunes... Il s’agissait d’une biographie romancée de la vie d’Évariste Galois.

Alfred Galois (frère d’Evariste) : « Pourquoi Évariste n’a-t-il
pas suivi l’exemple de Cauchy ? Je crois qu’il était anxieux de rejoindre au plus vite un
lieu qui lui permettrait de s’impliquer immédiatement dans l’action politique tout autant
que dans l’action mathématique. Il ne put supporter l’attente, car, avec son intuition
habituelle, il sentait venir l’orage et voulait être au sein de la tourmente… Pourquoi ses adversaires (au duel) ne
voulaient-ils pas la présence d’autres patriotes au duel ? Pourquoi ? Pour ma part, je crois
qu’ils étaient à la solde de la police du roi, se prétendaient patriotes et avaient peur d’être
reconnus. Évariste avait aussi écrit qu’il emportait au tombeau une conscience nette de
mensonge, nette de sang patriote. … Remarque bien qu’il dit « nette de sang patriote ».
Comment aurait-il pu écrire ces mots, la veille du duel où il devait, selon toi, peut-être,
tuer un patriote. Non, non, ça n’a pas de sens ! Il savait que ses adversaires étaient de faux
patriotes. Mais, pour une raison d’honneur que je ne comprends pas, il les absout
d’avance. Évariste s’est lancé tête baissée dans un guet-apens comme le fit notre propre
père trois ans auparavant. Ceux qui l’ont ourdi savaient que brandir le mot ‘honneur’
devant Évariste, c’était agiter une cape rouge devant un taureau. »

Les trois suicides d’Évariste Galois / Marie La Palme Reyes

Evariste ou l’arbre de la liberté de Nicole Muchnik

Biographies historiques

Astruc Alexandre, Évariste Galois, Paris, Flammarion, 1994

Dalmas André, Évariste Galois, révolutionnaire et géomètre, Paris, Fasquelle, 1956

Dupuy Paul, La vie d’Évariste Galois, Annales scientifiques de l’École normale supérieure, 3é sér., vol. 13, p. 187–266 [2e éd. Cahiers de la Quinzaine, 2e sér., 5e cahier, 1903, 3e ed. Jacques Gabay 1992]

Ehrhardt Caroline, Évariste Galois. La fabrication d’une icône mathématique, Paris, Editions de l’EHESS, parution 20 oct. 2011

Kollros Louis, Evariste Galois, Basel, Birkhäuser, 1949

Toti Rigatelli Laura, Évariste Galois (1811–1832), Basel, Birkhaüser, 1996

Biographies romancées

Arnoux Alexandre, Algorithme, Paris, Grasset, 1948

Auffray Jean-Paul, Évariste, 1811–1832, le roman d’une vie, Lyon, Aléas, 2004
Auffray Jean-Paul, Icare trahi, Paris, Editions Viviane Hamy, sept. 2011

Infeld Leopold, Whom the Gods Love. The Story of Evariste Galois, New York, Whittlesey House, 1948. [trad. fr. Le roman d’Evariste Galois, Paris, La farandole, 1857 (réed. 1978)

Petsinis Tom, The French mathematician, Londres, Penguin Books, 1998

Articles

Numéro spécial de la Revue d’histoire des mathématiques, oct. 2011

Châtelet Albert, Évariste Galois, Cahiers rationalistes, no 180, juin-juill. 1959

Devaux Pierre, Les aventuriers de la science (Watt, Ampère, Galois, Edison), 1re éd., Paris, Gallimard, 1943, p. 117–140

Ehrhardt Caroline, La naissance posthume d’Evariste Galois, Revue de synthèse, 4/2010

Ehrhardt Caroline, A Social History of the Galois’s Affair at the Paris Academy of Sciences, Science in Context, 1/2010

Ehrhardt Caroline, Évariste Galois, un candidat à l’école préparatoire, Revue d’histoire des mathématiques, vol. 14, fascicule 2, 2008, p. 289–328

Infantozzi, Sur la mort d’Évariste Galois, Revue d’histoire des sciences, t. 21, 1968, p. 157–160

Lesieur M., Note sur la vie et l’œuvre d’Évariste Galois, La Jaune et la Rouge, 1964, p. 14–24

Sarton George, Évariste Galois, The Scientific Monthly, oct. 1921, p. 363–375 [repr. in Osiris, vol. 3, 1937, p. 241–259]

Taton René, Les relations scientifiques d’Évariste Galois avec les mathématiciens de son temps, Revue d’histoire des sciences, t. 1, 1947, p. 114–130

Taton René, Sur les relations mathématiques d’Augustin Cauchy et Évariste Galois, Revue d’histoire des sciences, t. 24, 1971, p. 123–148

Taton René, Évariste Galois et ses contemporains, p. 5–11 in WALUSINSKI (Gilbert) (ed.), Présence d’Évariste Galois (1811–1832), Paris, APMEP, 1983

Taton René, Évariste Galois et ses biographes. De l’histoire aux légendes, Sciences et techniques en perspective, t. 26, 1993, p. 155–172

Messages

  • Lettre de Monsieur Galois, maire de Bourg-la-Reine, à son fils Evariste :

    « Mon bien cher fils, Voici la dernière lettre que tu recevras de moi. Lorsque tu liras ces mots, je ne serai plus au nombre des vivants. Je ne veux pas que tu te désespères ni que tu t’affliges. Essaie de reprendre une vie normale dès que possible. Je sais qu’il te sera difficile d’oublier un père quia aussi été un ami pour toi. Je vais essayer de t’expliquer de mon mieux pourquoi j’ai décidé d’accomplir ce geste sans retour. Tu sais, mon enfant, que j’ai été pendant dix-sept ans le maire de notre ville. Après Waterloo, les ennemis de la Liberté ont essayé de m’évincer, mais en vain. Chacun connaissait mes convictions, et mon opinion sur les Bourbons et les jésuites. Je suis sûr, mon fils, que le curé de la paroisse et les hommes qui l’y envoyèrent savaient qu’ils ne pourraient saper mon autorité dans un franc combat. Ils changèrent de méthode. Je n’étais plus l’adversaire que l’on craint, on me ridiculisa. Certains commencèrent à me gratifier de sourires mal réprimés. D’autres, mes ennemis de toujours, me riaient au nez, en chantant des petites chansons sur Bourg-la-Reine, qui, pour s’être choisi un maire fou, était la risée du pays. Si je ne réagissais pas, on me riait au nez, si j’essayais d’user de persuasion, on me riait au nez, si je prenais de colère, on me riait doublement au nez. Par ce geste ultime, je puis faire renaître le respect qu’ils ont éprouvé pour moi et ma famille. Personne n’osera alors se moquer de ta mère et de toi. Je meurs étouffé. Je meurs par manque d’air pur. Cet air empoisonné qui me tue a été vicié par des hommes de Bourg-la-Reine. Il faut que cela se sache et soit compris. Il m’est dur de te dire adieu, mon cher fils. Tu es mon fils aîné et j’ai toujours été fier de toi. Un jour, tu seras un grand homme et un homme célèbre. Je sais que ce jour viendra, mais je sais aussi que la souffrance, la lutte et la désillusion t’attendent. Tu seras mathématicien. Mais même les mathématiques, la plus noble et la plus abstraite de toutes les sciences, pour éthérées qu’elles soient, n’en ont pas moins leurs racines profondes sur la terre où nous vivons. Même les mathématiques ne te peremttront pas d’échapper à tes souffrances et à celles des autres hommes. Lutte, mon cher enfant, lutte plus courageusement que je ne l’ai fait. Puisses-tu entendre avant de mourir sonner le carillon de la Liberté. Ton père. »

    Rapport de police sur Evariste Galois :

    « A pris part à presque tous les soulèvements et troubles de Paris. Lors d’une réunion publique de la Société des Amis du Peuple, il essaye de soulever l’assemblée en criant « Mort aux ministres ! » Il s’enrôle dans l’artillerie de la Garde nationale et passe les nuits des 21 et 22 décembre 1830 à essayer de convaincre les artilleurs de livrer leurs canons à la populace. Le 9 mai 1831, au banquet républicain, qui se tenait aux « Vendanges de Bourgogne », un poignard à la main, il a porté un toast : « A Louis-Philippe ». Caractère : dans ses discours, tantôt calme et ironqiue, tantôt passionné et violent. Serait un génie mathématique bien que non reconnu des mathématiciens. Pas de relations féminines. C’est l’un des républicains les plus farouches. Très courageux, extrémiste, fanatique. Peut-être des plus dangereux à cause de son audace. Facile à aborder par nos hommes car fait généralement confiance aux gens et ne connaît rien à la vie. »

    La police va lui envoyer un de ses agents féminins pour le jouer à l’amour et le faire tomber de le piège d’un duel le 31 mai 1832 sous prétexte de jalousie…

    La suite

  • « La science progresse par une série de combinaisons, [...], sa vie est brute et ressemble à celle des minéraux qui croissent par juxtaposition. [...] En vain les analystes voudraient-ils se le dissimuler : ils ne déduisent pas, ils combinent, ils composent : toute immatérielle qu’elle est l’analyse n’est pas plus en notre pouvoir que d’autres ; il faut l’épier, la sonder, la solliciter. Quand ils arrivent à la vérité, c’est en heurtant de ce côté et d’autre qu’ils y sont tombés. [...] Nous ne nous plaindrons donc point de l’irrégularité des ouvrages de Mathématiques, qui est inhérente à la liberté absolue du savant. Une théorie nouvelle est bien plutôt la recherche que l’expression de la vérité, et si on pouvait la déduire régulièrement des théories déjà connues, elle ne serait pas nouvelle. Ce dont nous nous plaindrons, c’est que la pensée qui a dirigé l’auteur reste le plus souvent cachée. [...] Quand la concurrence, c’est-à-dire l’égoïsme, ne régnera plus dans les sciences, quand on s’associera pour étudier au lieu d’envoyer aux académies des paquets cachetés, on s’empressera de publier ses moindres observations pour peu qu’elles soient nouvelles, et on ajoutera : « Je ne sais pas le reste ». »

    Évariste Galois ; Écrits et mémoires mathématiques

    Lire les manuscrits d’Evariste Galois

    Œuvres mathématiques

    Mathématicien et révolutionnaire

    La pensée d’Evariste Galois

  • « Un républicain exalté, le sieur Gallois, est tué en duel par un de ses amis. » écrit le préfet de police Gisquet, donnant une version policière curieusement mensongère. Personne en effet n’a dit que c’était avec un ami que le duel avait eu lieu…

    Lire ici

    En fait, il a été tué par le militaire Perscheux d’Herbinville de l’armée du roi Louis-Phillipe.

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