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Changements géophysiques de la Terre : continuité ou discontinuité ?

lundi 16 mai 2011, par Robert Paris

On a longtemps, à la suite de Linné, présenté les changements géophysiques de la terre comme des changements graduels, lents et continus s’étalant sur des dizaines voir des centaines de milliers d’années. Mais on constate de plus en plus qu’ils sont relativement courts, massifs et brutaux, qu’il s’agisse de changements de mode climatique, de changements volcaniques, d’apparition de modes nouveaux comme l’eau des mers, l’oxygène de l’air, ou la vie.

L’EXEMPLE DU SÉISME DU JAPON

Le séisme au Japon aurait déplacé de près de 10 cm l’axe de rotation de la Terre, a indiqué l’institut italien de géophysique et de vulcanologie aujourd’hui, quelques heures après la catastrophe qui a fait près de 1000 morts selon une agence de presse japonaise.

"Des résultats préliminaires d’études effectuées par l’Institut national italien de géophysique et de vulcanologie (INGV) indiquent que le séisme du Japon aurait déplacé l’axe de rotation de la terre de près de 10 cm", a indiqué le directeur de recherche Antonio Piersanti dans un communiqué publié sur le site de l’institut.

Ce mouvement "est beaucoup plus important que celui du grand tremblement de terre de Sumatra de 2004 et probablement juste derrière celui du Chili de 1960", a ajouté M. Piersanti.

L’Agence spatiale italienne était pour sa part plus réservée, estimant qu’il fallait recueillir de nombreuses autres données avant d’établir la mesure exacte du mouvement, a rapporté l’agence Ansa.

La modification de l’axe terrestre peut avoir des répercussions sur la durée du jour solaire mais il s’agit de changements minimes et imperceptibles, de l’ordre de quelques millionièmes de seconde.

LE VOLCANISME

« Il est devenu difficile de refuser l’hypothèse que ce sont des éruptions volcaniques rares et extrêmes qui sont responsables de ces moments où se réoriente complètement l’évolution des espèces, où c’est le plus chanceux plutôt que le mieux adapté qui survit. ». Vincent Courtillot, géophysicien, directeur de l’Institut Physique du Globe de Paris.

Avant de semer la pagaille chez les climato-alarmistes, Vincent Courtillot s’était penché sur les causes de l’extinction en masse des espèces, ce qui a quelque peu contrarié les adeptes de la théorie de la météorite censée expliquer la disparition brutale des dinosaures… Et, contrairement aux idées reçues, la disparition des dinosaures ne serait pas due à l’impact d’une météorite, mais plutôt à un « trap » (un mot d’origine suédoise désignant une zone d’écoulement de lave) qui aurait provoqué l’extinction massive des espèces (les chercheurs en ont recensé 6 au total !).

« Il y a 65 millions d’années, la terre a connu la plus célèbre de ces extinctions avec la disparition de tous les dinosaures qui avaient régné sur Terre depuis 150 millions d’années (les oiseaux qui en descendent eux ont survécu).(…) Toutes les espèces naissent, évoluent et s’éteignent ou sont remplacées par d’autres. L’extinction est une élément naturel de la courbe de l’évolution. » explique le directeur de l’IPGP dans son exposé. « A la fin de l’ère primaire, disparaissent les dinosaures. L’évolution reprend ensuite de plus belle. Evolution interrompue par des moments différents, catastrophiques. ». Selon M. Courtillot, l’hypothèse de l’impact d’un gros astéroïde (la thèse de la météorite des Alvarez père et fils qui rencontre un grand succès depuis 25 ans), bien que convaincante n’explique pas tout : « Les éruptions des traps, marqueurs de toutes les grandes phases de la tectonique des plaques et de l’anoxie des océans, ont ponctué le ballet de la dérive des continents. Une météorite peut causer un gros impact, mais pas d’extinction. Les éruptions, elles, peuvent provoquer des extinctions massives. ». De plus, la chute de la météorite serait survenue après l’éruption volcanique : « Il y a une corrélation entre l’âge des traps et l’âge des extinctions en masse des espèces » précise-t-il.

L’humanité a connu plusieurs éruptions catastrophiques comme celle du plateau du Deccan en Inde ou du Laki en Islande, qui ont eu des impacts considérables. En Angleterre et en France à la fin du XVIII° siècle, le Laki (1783-1784) a provoqué une véritable catastrophe écologique et humaine en rejetant, dans l’atmosphère, des acides sulfuriques toxiques, du soufre, du chlore, du fluor et du gaz carbonique… avec pour effet de modifier de façon majeure le climat en créant du froid en surface et du chaud en altitude (la stratosphère se réchauffe, mais la chaleur n’arrive pas en bas) ce qui a diminué le rayonnement solaire et plongé tout l’hémisphère nord dans des brouillards acides persistants. Un événement qui a eu des conséquences désastreuses (pic exceptionnel du taux de mortalité pendant plusieurs mois, brouillards acides, pourriture des feuilles, baisse de l’efficacité du rayonnement solaire, refroidissement brutal,…) et sans équivalent depuis 1783 fort heureusement !

Si le grand public connaît surtout Vincent Courtillot à travers ses prises de position « climato-sceptiques modérées » dans les médias, il est important de préciser que son domaine d’action ne se limite évidemment pas à se battre pour le droit au doute scientifique ou à réclamer un vrai débat sur le réchauffement climatique. Scientifique de renommée internationale, M. Courtillot a publié plus de 200 articles dans de grandes revues scientifiques internationales sur le géomagnétisme (découverte des sauts de variation séculaire ou « jerks »), le paléomagnétisme (collision de l’Inde et de l’Asie, formation du Tibet), la tectonique des plaques au Tibet et en Afar (propagation des déchirures continentales), les points chauds et leurs conséquences en terme de dérive des continents et d’extinction en masse des espèces biologiques. Les derniers travaux de son équipe démontrent l’ampleur des éruptions dans les traps du Deccan il y a 65 millions d’années (crise Crétacé-Tertiaire, avec notamment l’extinction des dinosaures) : des coulées de lave de près de 10 000 km3 ont pu se mettre en place en quelques décennies, polluant l’atmosphère avec des vapeurs de gaz sulfureux.

Après l’Eyjafjöll, quatre volcans islandais menacent d’entrer prochainement en éruption. Avec des conséquences potentiellement beaucoup plus graves.

L’Europe vient de réaliser que l’Islande abrite une force colossale, avec laquelle ses habitants ont appris à vivre depuis des siècles. Les fumées émises par l’Eyjafjöll, entré en éruption le 20 mars 2010, ont semé la panique dans le trafic aérien mondial du 14 au 20 avril, entraînant des pertes massives pour les compagnies aériennes, et au-delà pour toute l’économie internationale. Mais d’autres volcans beaucoup plus puissants sont prêts aujourd’hui à se réveiller en Islande. Les volcanologues, sismologues et géologues qui surveillent minutieusement cette terre à haut risque ont resserré le dispositif d’alerte autour de quatre cratères dont le réveil pourrait être imminent ; une échéance comprise entre moins d’un an et un demi-siècle. La plus potentiellement dangereuse de ces éruptions est celle du volcan Askja, qui promet d’être colossale. Non seulement les liaisons aériennes seraient à nouveau paralysées, mais, cette fois, les cendres elles-mêmes pourraient atteindre l’Europe continentale.
Ce documentaire suit quelques-uns des plus grands spécialistes des volcans d’Islande sur leurs terrains de recherches, à travers les paysages spectaculaires forgés par la lave et les cendres.

Les changements tectoniques rapides et massifs ont certainement joué un grand rôle dans le climat et dans les changements de la vie sur Terre.

Les épanchements volcaniques considérables de Sibérie centrale (trapps de Sibérie), datant de la limite Permien-Trias (environ - 250 millions d’années), sont d’une extension plus importante que préalablement supposé, ce qui n’est pas sans répercussions sur les modèles tectoniques définis jusqu’alors pour cette région de l’Arctique.

Les îles de Nouvelle Sibérie, situées approximativement entre 700 et 1 200 km au nord du cercle polaire arctique, marquent la séparation entre les mers de Sibérie orientale et de Laptev (océan Arctique) aux environs de 75° de latitude Nord. Elles furent le siège d’un volcanisme basaltique que les auteurs (des chercheurs russe et suédois) tentent de rapprocher des célèbres trapps [1] affleurant largement sur le continent voisin (situé à moins de 100 km au Sud), dénommés trapps de Sibérie. Ces derniers sont considérés comme représentatifs du plus grand épanchement volcanique de surface des 500 derniers millions d’années. On estime que leur volume est compris entre 2 et 3 millions de km3 et que leur mise en place s’est effectuée durant une période de l’ordre de 1 million d’années, voire moins, durée relativement faible à l’échelle des temps géologiques.

Une autre conclusion est que l’activité volcanique intraplaque (en provenance du manteau) affectant la région à la limite Permien-Trias apparaît d’une extension spatiale plus étendue encore comparée à celle initialement supposée. D’aucuns considèrent que cet épisode magmatique, particulièrement intense mais de courte durée, est directement à mettre en relation avec l’une des plus importantes (sinon la plus importante) extinctions de masse ayant jalonné l’histoire de la Terre, située précisément à la limite Permien-Trias et durant laquelle il a été estimé que près de 90% des êtres vivants (en pourcentages d’espèces) disparurent de la surface de la planète, tant sur terre que dans les mers. Pour plus d’informations sur l’origine de tels événements apocalyptiques ayant profondément marqué l’histoire de la biosphère et les processus évolutifs qui ont suivi.

La découverte de roches montrant de fortes similitudes avec les formations ophiolitiques indique que dès l’Archéen sont intervenus au Groenland une mise en place de croûte océanique ainsi qu’un processus de subduction, ce qui va à l’encontre des idées généralement admises...

Les roches de la ceinture d’Isua, qui affleurent dans la partie sud-ouest du Groenland, ont valeur de véritables reliques en ce sens qu’elles sont parmi les plus anciennes connues ayant été préservées à la surface de la Terre. Elles remontent en effet à quelques 3,8 milliards d’années, soit à l’Archéen inférieur (dans l’Antécambrien [1]) et à ce titre, ont été étudiées par de nombreuses équipes de chercheurs.

Lors d’un sérieux refroidissement du climat, survenant à la fin de l’Eocène et faisant suite à une période reconnue comme ayant été la plus chaude de l’ère tertiaire, interviennent une augmentation significative et une forte diversification des populations de manchots de la péninsule Antarctique. Ces changements seraient à mettre en relation avec les conditions paléoclimatiques, tout en étant concomitants de l’apparition de nouvelles sources de nourriture censée refléter une modification de la circulation océanique.

LE CLIMAT

Evolution des deux gaz à effet de serre de l’atmosphère les plus importants après la vapeur d’eau : le dioxyde de carbone (courbe bleue) et le méthane (courbe verte), au cours des derniers 800 000 ans. Ce que l’on constate, c’est la similarité de ces trois courbes : deux courbes du CO2 et du méthane entourant une courbe de la température. Mais ce qui frappe d’abord à part leur similarité, c’est la brutalité du changement : courbe quasi verticale au démarrage d’un nouveau phénomène...

L’arrêt brutal de la dernière période glaciaire
(d’après HAMIAUX, Ludovic)

Les glaces des inlandsis offrent parfois aux spécialistes des informations inattendues sur l’histoire climatique de notre planète.

L’étude approfondie d’une carotte de glace du Groenland a montré que le basculement d’une période glaciaire froide vers une période interglaciaire plus clémente pouvait intervenir en quelques années seulement. Un tel phénomène climatique, qui s’est produit il y a environ 11 000 ans, a été mis en évidence par une équipe internationale, dont font partie deux chercheurs français de l’Institut Pierre Simon Laplace / Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement. La glace analysée provient du site de forage nommé North Greenland Ice Core Project (NGRIP ou NorthGRIP) d’où proviennent les échantillons. Ils ont été prélevés jusqu’à 3 km de profondeur, permettant ainsi de remonter jusqu’à 125 000 ans dans l’histoire climatique de la Terre.

Dans la glace, les éléments qui renseignent les spécialistes sont des poussières et des isotopes comme celui de l’oxygène (O 18) et celui de l’hydrogène (deutérium) présents à la surface de la Terre au moment de la formation de la glace.

Une surabondance de poussières dans celle-ci traduit une période de climat froid, au cours de laquelle elles ont été transportées par la circulation atmosphérique, depuis des zones arides vers le pôle nord. En revanche, concernant l’isotope de l’oxygène 18, plus sa quantité est importante, plus le climat local est chaud au moment du dépôt de la neige. Enfin, un excès de deutérium caractérise une température élevée de l’océan.

La très haute résolution temporelle des mesures donne des informations à l’année près. Les chercheurs ont ainsi constaté que des épisodes de réchauffement et de refroidissement récents sont intervenus très brutalement, le basculement d’un épisode climatique à l’autre pouvant même se produire en une année.

Ainsi, les scientifiques ont découvert dans le forage les traces d’un premier réchauffement avec une augmentation moyenne de la température de l’air de plus de 10° C au Groenland datant de 14 700 ans. Puis, plus récemment, il y a 12 900 ans, est intervenu un changement climatique radical de refroidissement aboutissant à un nouvel épisode glaciaire. Enfin, un nouveau réchauffement de la planète, datant de 11 700 ans, marqua la fin de la dernière glaciation, conduisant ainsi à la période interglaciaire plus clémente que nous connaissons actuellement.

Ces informations sur les changements climatiques passés aident les scientifiques à comprendre les évènements climatiques actuels liés aux activités humaines, et, par là-même, de modéliser leurs évolutions possibles.

De nouvelles analyses à ultra-haute résolution de carottes de glace du Groenland révèlent que le climat a basculé extrêmement brutalement, en quelques années, à la fin de la dernière période glaciaire voici environ 10 000 ans. C’est ce que montre l’équipe internationale qui a analysé les carottes du forage profond NorthGRIP, à laquelle les paléoclimatologues français du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (CEA – CNRS – Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines) ont participé. Les chercheurs ont mis en évidence que ces brusques changements climatiques sont liés à des modifications radicales de la circulation atmosphérique. Ces résultats sont publiés le 19 juin 2008 dans Science et Science Express.

Année après année, la neige qui tombe sur le Groenland s’accumule et se transforme progressivement en une épaisse calotte de glace, l’inlandsis. Ces couches annuelles de glace fournissent un enregistrement de l’évolution du climat. Mené sur une épaisseur de plus de 3 kilomètres, le forage NorthGRIP permet ainsi de connaître l’histoire du climat au cours des derniers 125 000 ans. Dans l’hémisphère Nord, la dernière période glaciaire (Quaternaire) s’est achevée de manière brutale, avec deux épisodes de réchauffement intenses, interrompus par une période froide. Le premier réchauffement rapide s’est produit voici 14 700 ans, lorsque la température du Groenland a augmenté de plus de 10°C : pendant cette période douce, appelée le Bølling, les premiers peuples de l’âge de pierre se sont installés en Europe du Nord et en Scandinavie. Mais les réjouissances ont été brèves. Il y a 12 900 ans, un retour à des conditions glaciaires s’est traduit par des températures extrêmement froides, avant un réchauffement final, il y a 11 700 ans. Celui-ci a marqué la fin de la dernière glaciation. Les carottes de glace du Groenland, qui reflètent l’évolution du climat de l’hémisphère Nord, révèlent que ces bouleversements climatiques se sont produits de façon extrêmement rapide.
Un an pour mettre fin à une glaciation
Une équipe de chercheurs vient de montrer que le climat a véritablement basculé d’une année à l’autre. « Nous avons analysé la transition entre la dernière période glaciaire et notre période interglaciaire chaude actuelle. Les renversements climatiques se produisent aussi abruptement que si quelqu’un avait soudain appuyé sur un bouton », constate Dorthe Dahl-Jensen, coordinatrice du projet NorthGRIP, et professeur au Centre d’étude de la glace et du climat au Niels Bohr Institute de l’Université de Copenhague.

Les différents paramètres analysés à partir des couches annuelles de glace apportent chacun une information spécifique sur le climat :
 Les poussières. Plus le climat est froid, plus l’atmosphère de la Terre contient de poussières soulevées au-dessus des zones arides, et plus elle en dépose au-dessus de la calotte du Groenland.
 L’oxygène. L’abondance de l’isotope O-18 reflète l’évolution de la température atmosphérique lorsque les précipitations se forment. Plus l’abondance de l’isotope O-18 est élevée, et plus le climat local est chaud.
 L’hydrogène. L’excès de l’isotope deutérium varie lorsque les conditions d’évaporation de la vapeur d’eau sont modifiées à la surface des océans, dans les zones sources des précipitations polaires. Un excès élevé en deutérium témoigne d’une température chaude de l’océan.

En comparant l’évolution de l’abondance de poussières, d’isotopes de l’oxygène et de l’hydrogène dans les couches annuelles des carottes de glace, les scientifiques sont parvenus à déterminer la manière dont le climat change, année après année. C’est d’abord le contenu en poussières qui change, et qui diminue d’un facteur 10 en quelques décennies. Le premier signe de bascule du climat se trouve donc loin du Groenland, dans les déserts d’Asie, sources de ces poussières.

« Le résultat le plus spectaculaire est la modification de l’origine des précipitations du Groenland. Quelques années après la modification du contenu en poussières, l’excès en deutérium de la glace bascule d’un niveau glaciaire à un niveau interglaciaire quasiment d’une année à l’autre, ce qui témoigne d’une réorganisation extrêmement rapide de la circulation atmosphérique tropicale puis polaire » explique Valérie Masson-Delmotte, directeur de recherches au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement.

Basculement brutal de climat à la fin de la dernière ère glaciaire

LA VIE

Sur les sauts dans le Vivant

la suite...

CHAMP MAGNÉTIQUE

Soubresauts géomagnétiques

Une curieuse secousse dans l’évolution du champ magnétique de la Terre aura divisé les géophysiciens pendant plus de quinze ans : trouve-t-elle son origine dans les courants de la haute atmosphère ou dans le fluide métallique du coeur de la planète ? Il aura fallu attendre un nouvel outil mathématique pour trancher le débat.

Quelechampmagnétique terrestre évolue au cours du temps n’est pas une nouveauté. Depuis les premières boussoles et les mesures plus systématiques en région parisienne de l’abbé Picard et de Thévenot au XVIIe siècle, on sait en effet que la direction du nord magnétique peut varier de plusieurs degrés en quelques décennies. Et cela fait désormais un peu plus d’un siècle que ces variations sont enregistrées à l’Observatoire magnétique national, fondé à Saint-Maur en 1883 et aujourd’hui situé en forêt d’Orléans, près de Chambon- la-Forêt. Mais les spécialistes n’en ont pas pour autant décodé toutes les informations qui continuent de susciter d’importantes controverses. Ainsi, à la fin des années 1970, la découverte d’un nouveau type de variation, un saut brutal et inattendu, a déclenché un débat houleux qui vient seulement d’être tranché.

Pour en situer le contexte, rappelons tout d’abord ce que l’analyse des séries de mesures comme celles de Chambon-la-Forêt nous a appris : les fluctuations du champ magnétique de la Terre sont nombreuses et ont des durées très différentes allant de la minute à plusieurs décennies. Les plus intenses, celles qui imposent la tendance générale, constituent ce que l’on appelle la variation séculaire (fig. 1). On sait depuis les années 1940 que la source de cette évolution lente se situe dans le noyau de fer liquide à plus de 2 900 kilomètres sous nos pieds(1). Les mouvements de fluide conducteur, qui s’y déroulent pour évacuer la chaleur vers l’extérieur, génèrent en effet l’essentiel du champ magnétique terrestre, grosso modo celui d’un aimant dont le pôle Sud serait actuellement proche du pôle Nord géographique(I).

Courants atmosphériques. Mais à cette variation séculaire se surimposent des fluctuations annuelles assez régulières, décelables à l’oeil sur les enregistrements, en particulier sur la composante nord-sud (fig. 1). Un traitement mathématique du signal, une analyse spectrale, confirme ces variations annuelles et surtout en révèle d’autres, ayant des périodes d’un jour, de 27 jours ou encore de onze ans. Exactement celles des cycles astronomiques bien connus que sont la rotation de la Terre autour du Soleil, celle de la Terre sur elle-même et celle du Soleil sur lui-même. La périodicité de onze ans correspond au pic d’activité de l’étoile se traduisant par un nombre maximal de taches solaires. Ces phénomènes périodiques sont dus aux courants électriques qui circulent dans les enveloppes externes de la planète. Dans l’ionosphère*, les vents sont autant de gigantesques courants électriques qui produisent un champ magnétique intense dans la journée lorsque le chauffage solaire est maximal. Et au-delà, dans la magnétosphère*, les fluctuations évoluent au gré des coups de vent solaire(2). Les causes des variations du champ magnétique terrestre sont donc très diverses. De manière générale, on considère que les fluctuations dont la période est inférieure à onze ans sont d’origine externe et qu’au-delà elles sont le fruit du brassage des profondeurs métalliques de la planète.

Quand on cherche à comprendre le fonctionnement du champ magnétique terrestre et à reconstituer les écoulements de fer à la surface du noyau liquide, la variation séculaire est donc la plus précieuse. Ainsi, à l’instar des océanographes qui suivent les courants marins grâce aux bouées dérivantes, les géophysiciens enregistrent les lents déplacements du champ magnétique à la surface du Globe pour en déduire les courants de métal, 2 900 kilomètres plus bas. Il faut pour cela préalablement isoler cette longue tendance des variations d’origine externe. C’est en réalisant ce type d’opération en 1977 que trois géophysiciens français, Vincent Courtillot, Joël Ducruix et Jean-Louis Le Mouël de l’Institut de physique du Globe de Paris, ont découvert dans cette variation séculaire une secousse brutale vers 1970 à laquelle ils ont attribué une origine interne(3).

Naissance de la controverse. Pour la première fois, une évolution rapide semblait échapper à la règle. Nombreuses ont été les réactions à la publication de ce résultat, et plusieurs spécialistes, à leur tête le géophysicien américain Leroy Alldrege de l’US Geological Survey à Denver, l’ont contesté(4). Leurs arguments se situaient à deux niveaux. Premièrement, ils mettaient en doute l’existence même de la secousse, objectant qu’elle pouvait tout simplement être un artefact de la méthode d’analyse. Cette dernière présentait en effet l’inconvénient de présupposer de la date et de la forme mathématique de la secousse à mettre en évidence. Deuxièmement, dans l’hypothèse où cette secousse était bien réelle, ils en réfutaient l’origine interne : pour eux, l’écran électromagnétique que constitue le manteau terrestre conducteur de l’électricité rendait impossible la transmission à la surface de la Terre d’impulsions magnétiques rapides provenant du noyau. Autrement dit, si ce saut existait vraiment, il ne pouvait qu’être le résultat de phénomènes externes. Ce désaccord a donné lieu à un débat scientifique qui a duré près de quinze ans. L’une des raisons de ce statu quo était l’absence de méthode d’analyse suffisamment simple et objective pour éliminer tout risque d’artefact ou d’interprétation abusive(5).

Pendant que le débat sur l’origine des secousses magnétiques s’intensifiait, un nouvel outil mathématique voyait le jour dans un domaine beaucoup plus appliqué des sciences de la Terre. Jean Morlet, un ingénieur géophysicien travaillant dans l’industrie pétrolière, mettait au point une nouvelle méthode d’analyse des enregistrements sismiques : l’analyse en ondelettes. Le principe est de corréler le signal étudié avec une famille de fonctions mathématiques. Toute l’astuce consiste à construire cette famille à partir d’une fonction dont toutes les descendantes, de durée plus ou moins grande ont la même forme. Résultat, quelle que soit la durée ou la période caractéristique d’une variation présente dans un signal, il se trouve toujours une ondelette adaptée pour la détecter (voir l’encadré p. 29). Très vite, Alex Grossmann et son équipe de physique théorique de l’université de Marseille-Luminy, tout comme le groupe de mathématiciens de l’université de Paris-Dauphine, animé par Yves Meyer, ont réalisé que le principe de base de cette approche était d’une richesse mathématique considérable(6). Aujourd’hui, quinze ans plus tard, la théorie des ondelettes constitue une nouvelle branche de l’analyse mathématique auréolée d’élégants développements théoriques et de nombreuses applications. Mais à l’époque, c’est parce que l’un d’entre nous, travaillant à la fois en géomagnétisme et en sismique, a suivi de près les travaux de Jean Morlet que nous avons saisi l’intérêt de cette approche pour l’analyse des données magnétiques. Les ondelettes sont en effet très efficaces pour détecter des événements dont l’allure ne varie pas lorsqu’on leur applique un zoom centré sur un point précis : or, de telles singularités homogènes - c’est ainsi qu’on les nomme en langage mathématique - constituent un bon modèle des secousses magnétiques que nous recherchions.

Dans cette technique, l’effet de zoom tient au fait que les ondelettes ayant des durées variables ont en quelque sorte des champs de vision variables : une ondelette courte correspondra à un fort grossissement et une ondelette longue à un faible grossissement. En d’autres termes, cette décomposition correspond à une sorte de microscope mathématique : son grossissement peut varier continûment et permet de détecter des inflexions brutales indécelables par simple examen visuel .

C’est au crible de ce microscope que nous avons passé les mesures d’une centaine d’observatoires magnétiques(7,8). Les transformées en ondelettes des signaux montrent clairement que plusieurs secousses de variation séculaire sont survenues depuis le début du siècle (fig. 2). Les résultats obtenus sont remarquablement cohérents d’un observatoire à l’autre, tant du point de vue de la date des événements que de leur intensité. Ainsi, non seulement on retrouve l’événement de1969, mais aussi d’autres secousses en 1904, 1913, 1925, 1978 et 1991. Par ailleurs, la simplicité de la méthode - une simple corrélation - permet d’éliminer tout risque d’artefact méthodologique et de maîtriser les effets produits par les variations parasites périodiques. Autre observation inattendue, un décalage de deux ans et demi sépare les événements détectés en Europe de ceux décelés dans la région Pacifique : un tel retard ne peut s’expliquer par des phénomènes ayant lieu dans la haute atmosphère écartant ainsi l’hypothèse de l’origine externe. De plus aucune combinaison de ces fluctuations atmosphériques ne permet d’expliquer la nature des discontinuités que nous avons mises en évidence.

Transmission en surface. La preuve de l’existence de ces soubresauts et de leur origine interne étant faite, elle remet en question l’efficacité du manteau terrestre comme écran électromagnétique ! Reste donc à expliquer comment des secousses profondes et aussi soudaines se manifestent en surface. Pour ce faire, nous venons de calculer la valeur de la conductivité électrique du manteau inférieur qui autorise un telle transmission. Conclusion, les soubresauts imposent une conductivité faible (10 siemens par mètre), et ce, sur les 2 200 derniers kilomètres du manteau(9). Ce nouveau résultat, en accord avec d’autres études récentes, est important car le couplage électromagnétique entre le noyau et le manteau, élément crucial du mécanisme qui génère le champ magnétique, dépend de la présence d’une couche fortement conductrice à la base du manteau inférieur(II). La conductivité que nous avons trouvée est compatible avec le fait que, si elle existe, une telle couche doit être très mince, de l’ordre de la centaine de mètres.

Tous ces éléments - régularité des événements, retard dans l’hémisphère sud, polarité, amplitude - sont donc autant de nouvelles contraintes pour les modèles qui tentent de reproduire les écoulements rapides du fer à la surface du noyau... Ainsi des données acquises il y un siècle et analysées avec des méthodes mathématiques récentes continuent d’ouvrir des voies de recherche. Il se pourrait également qu’elles soulèvent de nouvelles questions : nous venons en effet de trouver une étonnante corrélation entre les dates des secousses magnétiques et celles d’irrégularités brutales dans l’oscillation libre de l’axe de rotation de la Terre(10). Jusqu’à présent, on attribuait ces dernières à des variations de la circulation atmosphérique et des courants marins, mais le noyau terrestre exerce peut-être, là aussi, son influence...

DOMINIQUE GIBERT ET MIOARA MANDEA-ALEXANDRESCU

Un siècle de fluctuations magnétiques

Figure 1. Les séries de mesures du champ magnétique de la Terre de l’Observatoire de Chambon-la-Forêt figurent parmi les plus longues des quelque deux cents observatoires internationaux actuels. Les trois composantes du champ magnétique y sont mesurées chaque minute avec une précision relative de 0,01 %. A gauche, l’ensemble des mesures montre très bien la variation séculaire, c’est-à-dire la lente évolution du champ magnétique au cours du siècle. A droite, le zoom sur les vingt dernières années fait apparaître la variation annuelle d’origine externe sur la composante nord-sud (en haut, à droite), la composante est-ouest (au milieu) étant la moins affectée par les fluctuations d’origine externe.

La puissance des ondelettes

Comment révéler des fluctuations contenues dans un signal, indiscernables à l’oeil nu ? Dans la panoplie des outils mathématiques de traitement du signal, l’analyse en ondelettes mise au point dans les années 1980 est la plus adaptée aux secousses magnétiques. L’idée est d’utiliser une famille de fonctions toutes de même forme mais de durée variable, que Jean Morlet l’inventeur de la technique a baptisé ondelettes. Pour la créer, on choisit une fonction de durée limitée et de moyenne nulle, comme celle dessinée en rouge, que l’on dilate et contracte dans le temps. Toutes les courbes bleues vont alors servir à l’analyse. Le résultat, la transformée en ondelettes (en bas à droite), est obtenu en corrélant chaque fonction avec le signal étudié. Lorsqu’une fluctuation dans le signal s’accorde avec la période caractéristique d’une ondelette, la corrélation est bonne, proche de 1 (en rouge dans la transformée en ondelettes), sinon, elle est quasi nulle (en bleu). Dans le cas des singularités homogènes, des événements qui sont invariants par effet de zoom, toutes les ondelettes se corrèlent de façon équivalente, ce qui se traduit par une signature en pointe caractéristique. La pointe indique la date de la secousse, et sa forme dépend de la nature de la discontinuité. Dans cet exemple, aux côtés des trois singularités décelables au premier coup d’oeil, apparaissent deux autres discontinuités à droite du signal, dont les signatures dans la transformée en ondelettes sont aussi nettes que celles des trois premières. Tout cela sans traitement préalable du signal !

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