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Qui peut faire triompher la révolution en Tunisie et assurer qu’elle aille jusqu’au bout ?

mercredi 26 janvier 2011, par Robert Paris

C’est la classe ouvrière !

Les travailleurs des villes et des champs sont la force d’avenir

Derrière l’image carte postale de pays touristique (qui ne représente que 7% de l’activité), la Tunisie est un pays d’exploitation : des mines de phosphate à l’industrie textile... d’exploitation des travailleurs !!!

Le secteur privé reste pour sa part dominé par une vingtaine de groupes, souvent familiaux et constitués en conglomérats hétérogènes (industrie, distribution, banque, etc.), qui peinent à se concentrer sur une activité dominante. Les trois principaux sont les groupes Poulina, Mabrouk et UTIC suivis de groupes plus modestes comme Bayahi, One Tech, Mzabi, Bouricha, Ben Yedder, Chakira ou encore Med Business Holding.

La remise en cause du pouvoir central dictatorial s’est poursuivie par la remise en cause d’un ordre social injuste qui a été dès le départ le motif de la révolte...

Car il conviendrait de ne pas occulter un fait considérable : c’est la misère qui a jeté les milieux populaires dans la rue et un gouvernement d’union nationale ou une élection ne supprimera pas la misère...

Au delà des manifestations et des émeutes, un tremblement de terre se réalise en Tunisie dans les entreprises où les salariés se révoltent...

Certains ont viré leur patron ou leur responsable. Certains sont en train de les dénoncer...

La révolte sociale ne va pas s’en arrêter là...

Car la révolte ouvrière en Tunisie est à la mesure de l’exploitation réalisée par le patronat...

D’après les études statistiques effectuées en 2008 le smic en Tunisie est donné par cette formule :

Horaires

 Pour le régime 48 heures : c’est de 1,164DT de l’heure l’équivalent de 0,62 Euro de l’heure

 Pour le régime 40 heures : c’est de 187,880DT l’équivalent de 0, 637 Euro de l’heure

Mensuels :

 Pour le régime 48 heures : c’est de 242DT l’équivalent de 139 Euros par mois

 Pour le régime 40 heures : c’est de 205DT l’équivalent de 110 Euros par mois

Une misère qui rend la vie impossible en cas de hausse de prix...

Des revendications il y en a :

 Emploi, salaire décent, logement, santé, prix abordables, éducation pour tous

 Dissolution des monopoles privés de l’agroalimentaire. Monopole de l’Etat sur le commerce extérieur et la distribution des produits alimentaires de base.

 Rétablissement des prix fixés, subventionnés et contrôlés par des comités de citoyens

 Echelle mobile des salaires. Quand les prix augmentent les salaires doivent augmenter autant sous le contrôle de comités ouvriers.

 Allocation chômage de 50% du SMIC

 Droit de grève et d’organisation dans l’entreprise

 Embauche des jeunes par répartition du travail entre tous sans diminution de salaires

 Comité ouvriers de surveillance des prix, de surveillance des attributions de fonds, de logements...

 Comités ouvriers de défense de la sécurité des citoyens

 Comités ouvriers de surveillance des services d’Etat

Le bénalisme à renverser existe dans chaque exploitation de Tunisie.

La dictature est sociale et la révolution aussi...

On a parlé pour la Tunisie de "miracle économique" mais le "miracle" c’est le chômage des jeunes et la misère de leurs parents !!!

Il y a eu des profiteurs qui ont détourné le miracle dans leurs poches.

Ceux-là se sentent aujourd’hui menacés et voudraient empêcher la révolution de continuer, voudraient que la déferlante de la révolte s’arrête là !!

La colère sociale a pour noms : chômage, vie chère, manque de logement, régions à l’abandon, manque d’accès à l’emploi, à l’éducation, au logement...

La grande bourgeoisie tunisienne, soignée sous Ben Ali, n’a pas l’intention de satisfaire ces revendications...

Mais les travailleurs ont la force de les imposer !!!

La grande bourgeoisie le sait : c’est pour cela qu’elle crie maintenant au risque de chaos.

Pour elle, si le peuple a le droit au logement, à une vie décente, à la santé et à l’emploi... c’est le chaos !!!

Si les patrons ne peuvent plus faire les Ben Ali locaux et qu’ils ont en face d’eux des comités de travailleurs et de jeunes déterminés, c’est la chaos !!!

Pour ces profiteurs, si on ne peut plus compter sur la peur des forces de l’ordre pour empêcher les grèves et manifestations, c’est la Tunisie qui sombre dans le chaos !!!

Ils ont déjà lancé partout l’idée des milliards perdus à cause du mouvement. Mais, nous les opprimés, nous n’avons pas perdu ces milliards que nous n’avons jamais eu !!!

Des jeunes qui n’ont aucun travail ne vont pas se contenter qu’on leur dise que les riches perdent de l’argent ! Allez expliquer cela aux jeunes du sud tunisien !!! Même l’eau n’y est parfois disponible que quelques heures par jour alors les milliards...

Derrière le paravent d’"économie modèle" il y a des profits d’un côté, de la misère de l’autre...

Alors, quel avenir de la révolution : tout dépendra des travailleurs

Au plan politique comme social, la révolution ne fait que commencer

Et les travailleurs sont au centre de ce combat, ils sont la clef de son succès

Non seulement la classe ouvrière et les travailleurs de toutes catégories se battent pour leurs revendications, mais ils sont la force capable de renverser définitivement la dictature.

Quartier ouvrier

En Tunisie, le prolétariat des villes et des campagnes représente une force sociale considérable.

Pour l’industrie manufacturière, la Tunisie est le premier exportateur industriel d’Afrique en valeur absolue — elle est ainsi passée devant l’Afrique du Sud en 1999.

Les secteurs du textile et de l’agroalimentaire représentent 50 % de la production et 60 % de l’emploi de l’industrie manufacturière.

À la fin 2007, près de 4 000 entreprises, principalement dans les secteurs de la construction (21 %) mais aussi dans le textile, la mécanique, l’électrique et l’électronique et l’agroalimentaire (19 % chacun), ont ainsi investi plus de 4,3 milliards de dinars

S’il y a une telle activité économique, pourquoi la gravité de cette crise sociale ?

La réforme économique au service des intérêts privée a complètement déstabilisée les relations sociales.

Depuis le lancement du nouveau programme de privatisation en 1987, le gouvernement a totalement ou partiellement privatisé 217 entreprises publiques ou semi-publiques en décembre 2008, dont de grands établissements publics comme Tunisie Télécom, pour une recette globale de 6,013 milliards de dinars, avec une place particulière accordée au secteur des services (53,9 % des entreprises) et de l’industrie (37,8 %)[32]. Cette politique a conduit à une modernisation des techniques de production et des procédures de gestion des entreprises et donné un coup de fouet à l’investissement direct étranger[32]. Toutefois, elle n’a pas permis d’augmenter significativement l’investissement productif et la création d’emplois[32]. Par ailleurs, un rapport de la Banque mondiale daté de juin 2004 avait épinglé les « interventions discrétionnaires du gouvernement » et le « pouvoir des initiés » qui affaiblissaient, selon elle, le climat des affaires et les éventuelles prises de risque des investisseurs étrangers[26]. Ce phénomène est renforcée par les créances douteuses des banques publiques tunisiennes, encore majoritaires sur le marché, qui pourrait expliquer en partie le niveau modéré bien que croissant des investissements étrangers. Dans ce contexte, le secteur privé « reste de taille modeste » et se trouve encore majoritairement composé de petites et moyennes entreprises (PME) familiales qui, selon les statistiques de l’Institut national de la statistique[33], contribuaient tout de même à 72 % du PIB en 2006 contre 63 % en 1997 et employaient trois millions de personnes ; elles réalisaient à la même époque 85 % des exportations et 56 % du volume total des investissements malgré leur dépendance financière à l’État, eu égard au taux élevé du crédit bancaire et aux conditions difficiles pour l’accès au crédit dans un système bancaire majoritairement public malgré les appels du FMI à l’accélération de la réforme et de la privatisation du secteur bancaire.

Par ailleurs, l’absence de préparation de plusieurs secteurs à l’ouverture a conduit au maintien d’un niveau de chômage élevé et variant selon les sources de 13 % à 20 %[30] en raison de la différence entre le nombre des nouveaux emplois créés chaque année et l’augmentation régulière de la population active (85 000 nouveaux travailleurs pour 60 à 65 000 emplois créés). Pourtant, le chômage ne touche pas que les populations les plus vulnérables : le taux de chômage des diplômés de l’enseignement supérieur est ainsi en augmentation depuis plusieurs années[34]. Alors qu’il était de 4 % en 1997 et de 0,7 % en 1984[29], il atteint 20 % contre une moyenne nationale de 14 %, voire près de 60 % dans certaines filières selon une enquête de la Banque mondiale[35]. Entre 1997 et 2007, leur nombre a été multiplié par trois, passant de 121 000 à 336 000, l’économie n’ayant pas réussi à grossir au même rythme que l’effort de formation, les difficultés de l’enseignement supérieur (marquées par l’écart entre la hausse du financement et la croissance exponentielle du nombre d’étudiants) ne faisant qu’accroître ces problèmes. Une réforme du Code du travail de 1994 a également « favorisé la flexibilité du travail et le développement des emplois précaires »[26] et les différences entre régions et entre catégories socioprofessionnelles auraient tendance à s’accroître avec le temps : la Banque mondiale met ainsi en avant, selon un calcul du plafond de revenu différent de celui retenu par les autorités tunisiennes, une hausse absolue de l’effectif des personnes considérées comme « pauvres » malgré une baisse relative de leur proportion au sein de la population[36]. On peut ainsi constater que l’ouverture du marché tunisien a remis en cause les bases sur lesquelles le régime politique s’est bâti jusque-là, contraignant celui-ci à adapter ces stratégies pour développer l’économie et assurer l’équilibre social. Par ailleurs, le chômage persistant et les difficultés liées à la lente restructuration de l’État laissent une partie de la population en marge du développement économique qui est pourtant le principal fondement de la politique gouvernementale.

Principal secteur potentiellement menacé, le textile représente en 2005 plus de 40 % des exportations tunisiennes et plus de 46 % des emplois industriels du pays (occupés à 80 % par des femmes)[30]. Après une croissance soutenue (+10 %) entre 1997 et 2001, la production est désormais stable car le niveau des salaires pèse lourdement : un ouvrier tunisien gagne chaque mois entre 115 et 130 euros (pour 40 à 48 heures de travail hebdomadaire) quand un ouvrier chinois perçoit entre 50 et 60 % de moins[30]. Quatrième fournisseur de l’Union européenne en produits textiles, elle était jusqu’en 2002 le premier fournisseur de la France avant d’être surclassée par la Chine en 2003.

Alors que la Banque mondiale estimait alors qu’un tiers des 250 000 emplois du secteur étaient menacés, les délais de production et de livraison, les petites séries et les réassortiments restent un élément de décision important pour les fabricants européens, comme l’illustre le groupe Benetton qui fabrique plus du tiers de sa production mondiale en Tunisie. Ainsi, le pays a réussi à se spécialiser dans la lingerie féminine (un soutien-gorge sur trois en France est de fabrication tunisienne). De fait, l’année 2006 n’a vu qu’un léger tassement de 4 % de la production.

Par ailleurs, sur les quelques 10 000 entreprises industrielles que compte le pays et qui représentent quelques 550 000 postes, plus de 2 000 sont partiellement ou en totalité en mains européennes.

Réforme ou révolution ?

"Quiconque se prononce en faveur de la voie des réformes légales, au lieu et à l’encontre de la conquête du pouvoir politique et de la révolution sociale, ne choisit pas en réalité une voie plus tranquille, plus sûre et plus lente, conduisant au même but, mais un but différent, à savoir, au lieu de l’instauration d’une société nouvelle, des modifications purement superficielles de l’ancienne société […] non pas la suppression du salariat, mais le dosage en plus ou en moins de l’exploitation." écrit Rosa Luxemburg dans "Réforme sociale ou révolution ?".

On peut faire partir Ben Ali, et même destituer son premier ministre et ses anciens ministres et interdire le RCD, cela ne signifie pas que le système d’exploitation ait changé en Tunisie...

Pour que le peuple ait de quoi vivre, se nourrir, se loger, se soigner, donner un avenir avec un travail à ses enfants, il faut...

Eh bien il faut vraiment faire la révolution...

Et pas celle de Jasmin...

Il faut prendre possession des richesses des prévaricateurs, des oligarques, des bandits qui ont pillé le pays.

Pour cela il faut occuper leurs biens.

Il faut le faire collectivement.

Il faut que cesse la répression.

Le soldat, le policier qui veulent se mettre du côté du peuple doivent pouvoir le faire.

Cela signifie en finir avec l’ordre établi et mettre en place des comités populaires pour surveiller non seulement les tueurs de Ben Ali mais aussi les grands voleurs, les grands profiteurs que ces derniers défendent...

Il faut que les travailleurs décident que le pays leur appartient et qu’ils se prennent en main.

Il faut qu’ils s’organisent partout, dans les quartiers, des les entreprises, dans les champs, dans les écoles, dans les casernes, de manière complètement autonome de l’Etat de toutes les institutions que connait le pays.

Il faut que ces comités, ces conseils, ces collectifs se donnent à eux-mêmes le droit de discuter et de décider.

Il faut qu’ils choisissent en leur propre sein des délégués afin de constituer des comités locaux, régionaux, nationaux...

Et que ces élus soient révocables à tout moment.

C’est cela la démocratie du peuple travailleur...

Ce n’est pas à un général de décider pour les soldats, à un patron pour les ouvriers, à un chef d’Etat pour le peuple.

"Dans toutes les révolutions précédentes, ce fut une petite minorité du peuple qui prit la direction de la lutte révolutionnaire, qui lui donna un but et une orientation, et qui se servit de la masse comme d’un instrument pour conduire à la victoire ses propres intérêts, les intérêts d’une minorité. La révolution socialiste est la première qui ne puisse être menée à la victoire que dans l’intérêt de la grande majorité, et par l’action de la grande majorité des travailleurs." disait aussi Rosa Luxemburg dans "La Révolution de Spartacus".

Le consensus qui règne actuellement dans les médias dominants sur la « révolution démocratique tunisienne », la manière dont on est passés en quelques jours des « émeutes » à une « révolution » parce que Ben Ali a quitté le pouvoir et le pays, vise à nous suggérer que l’essentiel est accompli. Le « dictateur » dorénavant en fuite, il s’agit d’engager une « transition démocratique », c’est-à-dire un processus électoral dont il est bien entendu qu’il doit conduire à la victoire d’un parti ou d’une coalition calquée sur le modèle des partis de gouvernement européen. Parler de « révolution » aujourd’hui revient à accepter ce fait, qu’il n’y a plus qu’à préserver, consolider un acquis, maintenir l’ordre face aux opportunes exactions des bandes armées de Ben Ali, ce qui est plus consensuel qu’interdire des manifestations contre le pouvoir intérimaire comme cela a été fait il y a quelques jours par l’armée. On devrait plutôt à nos yeux parler d’un soulèvement qui a obtenu le départ de Ben Ali, soulèvement victorieux qui n’est — pourrait n’être — que la première phase d’un processus révolutionnaire. Évidemment, nos gouvernements, une grande part des sympathisants français à ce soulèvement, comme à n’en pas douter une part non négligeable de la population tunisienne, souhaiteraient que ce premier acte soit aussi le dernier.

Par delà l’égrenage du chapelet libéral assimilé à la démocratie

Des élections non truquées, une relative liberté d’expression et d’organisation définies dans un cadre constitutionnel, une plus grande transparence des institutions et une plus grande séparation des pouvoirs, constituent selon tous les « observateurs » le programme politique maximum de la « révolution tunisienne ». La question est toujours ouverte de savoir si le parti de Ben Ali, le RCD, va réellement consentir à un processus qui pourrait le contraindre à partager, voire à perdre le pouvoir. Il faudra certainement une présence déterminée et répétée des révoltés de décembre-janvier dans la rue, une intense pression pour résister au prévisible relâchement de l’attention de la « communauté et de l’opinion publique internationales ». Ces dernières sont depuis longtemps habituées à se contenter de simili-progrès et de vagues mesures de « libéralisation » (telles celles qui avaient succédé, un an durant, à la prise de fonction par Ben Ali en 1987, célébrées à l’époque déjà sous le nom de « révolution de jasmin » et qui devaient lui valoir le prix Louise Michel, Démocratie et Droits de l’Homme en 1988). Pour autant, la légitimité réelle qu’ont les révoltés à préserver et à étendre les libertés de parole et d’organisation acquises ces derniers jours -libertés qui pourraient trouver une manière de confirmation dans la tenue d’élections non truquées- ne doit pas masquer quelle est l’opération visée « consciemment » ou non par tous ceux qui ont les moyens de saturer l’espace médiatique. Il s’agit de dicter quelle doit être l’interprétation de ce soulèvement et comment le processus politique qu’il ouvre doit suivre la voie d’un alignement sur le modèle politique libéral occidental- faute de quoi, toutes les scénarios catastrophes seraient alors possibles : chaos, guerre civile, péril islamiste ou nouvel homme à poigne.

Le soi-disant passage du « social » au « politique »

L’évaporation subite de certains des motifs du soulèvement (chômage, mal-logement, vie chère, sentiment d’humiliation des pauvres et déshérités d’être maintenus à l’écart des richesses et du pouvoir d’influer sur leurs conditions d’existence) n’est pas l’effet du hasard. Ces raisons, généralement évoquées à chaque fois que des émeutes se produisent au Maghreb, mais aussi, très récemment en Grèce et il n’y a pas si longtemps en France, sont communes à ceux qui sont censés être voués à une répression sévère : sort bon pour des « émeutiers » — quand ce ne sont pas des « casseurs ». Le passage de l’« émeute » à la « révolution » dans le discours médiatique s’est immédiatement accompagné de l’élimination de ces raisons en jeu dans la plupart des révoltes contemporaines. L’élimination de ces raisons a pour corollaire immédiat la prise en main de la révolte par le capital tunisien (relativement « divisé » entre « critiques » de Ben Ali et « fidèles » cependant pas au point de refuser la recherche d’un compromis), mais aussi français et international, jusqu’ici pour le moins complaisants envers des « excès » d’accaparement des richesses vis-à-vis desquels ils ont désormais des objections de principe. Identifier une telle reprise en main du mouvement par la bourgeoisie ne signifie pas que les révoltés soient déjà vaincus, mais que les capitalistes ont aujourd’hui l’initiative, avec l’espoir de tuer la révolte dans l’œuf, de lui dicter son « nécessaire » devenir capitalo-parlementaire, en rétablissant le pouvoir contesté avec quelques aménagements.

Les affaires reprennent

N’en doutons pas, si l’armée intervient si vite après la chute de Ben Ali (à laquelle elle a fortement contribué en lui retirant son soutien), ce n’est pas seulement pour protéger la population mais aussi pour rétablir au plus vite l’ordre et la stabilité, conditions premières à la reprise des activités économiques. Si l’action de l’armée est, semble-t-il, bien acceptée, voire encouragée par de nombreux Tunisiens, c’est aussi qu’existe pour le moment un consensus sur le fait que l’économie, et au fond le capitalisme, doivent reprendre leur cours. Les pillages sélectifs des biens du clan Ben Ali (même s’il n’est pas du tout certain que tous les autres, les « mauvais » pillages, bien allusivement rapportés, puissent être exclusivement imputés à des manœuvres de provocation des fidèles du président) font système avec l’idée que mettre fin au « pillage » de l’économie par Ben Ali suffit largement en termes de réforme économique. Ce à quoi applaudit avec beaucoup d’à propos Mme Parisot, salivant déjà sur les parts du gâteau que son « clan » espère pouvoir récupérer.

C’est pas la rue qui gouverne !

Cette manœuvre d’appropriation bourgeoise du soulèvement populaire semble d’autant plus aisée qu’en l’absence d’organisations populaires fortes, qu’elles soient partisanes, syndicales ou assembléistes, qui posent aujourd’hui la question du pouvoir politique en rapport concret avec l’organisation du travail et l’administration des subsistances, l’alternative au capitalisme — du moins, à nos yeux lointains — se limite aux gestes de confrontation avec la police, d’incendie des symboles du pouvoir et de pillage. On peut néanmoins espérer que les formes organisationnelles nées avec le soulèvement et se structurant aujourd’hui à travers les comités d’autodéfense ne se laissent pas désarmer au point de laisser à nouveau à l’armée et à une police « épurée » le monopole de la violence légitime. Pour autant, et n’en déplaise au lyrisme ambiant, il n’y a pas eu d’insurrection, de prise d’armes en Tunisie, et qu’on le veuille ou non, ces comités sont pour le moment subordonnés à l’armée et pas l’inverse.

À moins de céder aux sirènes ultra-conformistes des médias français, il serait aberrant de croire qu’un gouvernement élu après la reddition de la rue, pourrait faire autre chose que de chercher à développer le capitalisme tunisien selon les diktats des capitalistes, des banquiers et des économistes nationaux et internationaux, c’est-à-dire avec les mêmes incidences pour les conditions de vie des classes populaires. Seul un puissant mouvement « de classe », « anticapitaliste », pourrait ne serait-ce qu’imposer des concessions aux capitalistes, comme c’est le cas en Bolivie ou au Venezuela. Dans la situation actuelle, la stabilisation de la « révolution démocratique » est ce qui exige d’étouffer toute velléité de poser la question du contrôle populaire sur l’économie, de l’intervention populaire sur les prix, les salaires, l’emploi, la gestion des services publics…

Ingérence et prise de parti

Dans le discours soudainement terriblement révolutionnaire des journalistes européens qui se demandent « à quand la contagion dans tous les pays arabes », il ne faudrait pas oublier que c’est exactement à partir du point de vue d’une supposée supériorité de nos régimes politiques européens, qui auraient atteint un niveau de civilisation, de culture et de liberté qu’on pourrait objectivement dire supérieur — qu’on construit des consentements capables de laisser faire les offensives militaires en Irak, en Afghanistan ou ailleurs. Il est curieux que le gouvernement français cherchant à justifier son attitude d’avant la chute de Ben Ali se soit abrité derrière le principe de « non-ingérence », habituellement invoqué par les adversaires des interventions militaires des pays occidentaux visant à installer des gouvernements à leur solde dans les États qualifiés de « voyous ». Nous ne pensons pas que la question soit de choisir entre un rôle de censeur des agissements des États à l’aune de notre supposé modèle, et celui de défendre en toutes circonstances la non-intervention en invoquant le respect de la souveraineté des États. Il ne s’agit pas de choisir entre ingérence et non-ingérence, mais de prendre parti pour les révoltés de Tunisie, contre tous ceux qui chercheront à restreindre leur volonté d’émancipation. Prise de parti qui implique de chercher d’abord en quoi leur révolte résonne avec nos combats, ici et maintenant, contre les gouvernements et capitalistes français et occidentaux.

Dans ces conditions, si l’on ne veut pas faire chorus, comme tout nous y incite, avec les adversaires de la démocratie qu’ils assimilent au capitalisme (qui se détourneront du soulèvement en Tunisie aussi vite qu’ils n’en auront célébré les gestes émeutiers) nous ne pouvons qu’affirmer que la démocratie en Tunisie comme ailleurs réside dans le soulèvement lui-même et son prolongement sous des formes diverses (manifestations, grèves, assemblées, réquisitions, comités de quartier et d’auto-défense, insurrection armée…). La conquête des droits politiques que la situation actuelle permet d’espérer doit être au plus tôt utilisée pour l’auto-organisation populaire, faute de quoi le reflux du mouvement risque de s’accompagner rapidement de limitations draconiennes à l’usage de ces droits. Mouvement des Chômeurs et Précaires en lutte de Rennes

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