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Socialisme et émancipation des femmes

mercredi 29 décembre 2010, par Robert Paris

Décembre 1925

Léon Trotsky

Construire le socialisme implique émanciper les femmes
et protéger les mères

La manière la plus scientifique de mesurer notre progrès consiste à observer les mesures pratiques mises en œuvres pour l’amélioration de la situation de la mère et de l’enfant. Cet étalon est très fiable ; il ne se trompe pas. Il révèle les réussites matérielles et les réalisations, dans le sens large du terme. L’expérience historique nous montre que même le prolétariat, déjà en lutte contre les oppresseurs, ne fixe pas toute l’attention nécessaire à la situation opprimée de la femme en tant que ménagère, mère et épouse. Aussi terrible est la puissance de l’habitude de l’esclavage familial de la femme ! Cela sans parler de la paysannerie. Le fardeau et le désespoir du destin de la paysanne, qu’elle soit d’une famille moyenne ou pauvre, ne peuvent probablement pas être comparés aujourd’hui aux pires travaux forcés. Aucun répit, aucune vacance, aucune lueur d’espoir ! Notre révolution ne parvient que graduellement à toucher aux fondements familiaux, et ceci particulièrement dans les villes et dans les régions industrielles, et ne pénètre que très lentement à la campagne. Mais là, les problèmes sont incommensurables.

Changer à la base la situation de la femme n’est possible que si toutes les conditions de l’existence sociale, familiale et domestique sont changées. L’importance de la question de la mère s’exprime par le fait que, par elle-même, elle constitue le point vivant où se croisent de manière décisive tous les fils du travail économique et culturel. La question de la maternité est d’abord celle d’un appartement, de l’eau courante, d’une cuisine, d’une laverie, d’une salle à manger. Mais c’est autant la question d’une école, d’un club (*), de livres. L’ivrognerie s’abat le plus impitoyablement sur la femme au foyer et sur la mère. L’analphabétisme et le chômage en font tout autant. Avant tout, l’eau courante et l’électricité dans l’appartement allège le fardeau des femmes. La maternité est la question des questions. Ici tous les fils se rejoignent, et partent dans toutes les directions.

La croissance évidente des ressources matérielles dans le pays crée la possibilité, et donc la nécessité, d’aller au-delà dans la prise en considération de la mère et de l’enfant qu’auparavant. Le degré de notre énergie dans ce domaine montrera, dans quelle mesure nous nous sommes renforcés idéologiquement, culturellement, à quel point nous avons appris à lier les buts avec les fins dans les questions principales de notre vie.

Autant il était impossible d’entreprendre la construction de l’Etat soviétique sans libérer le paysan et l’ouvrier de l’ignorance du servage, autant il est impossible d’avancer vers le socialisme sans libérer la paysanne et l’ouvrière du servage de la famille et du ménage. Si dans le passé nous avons défini la maturité de l’ouvrier révolutionnaire non seulement selon par sa politique vis à vis du capitaliste, mais aussi par sa politique à l’égard du paysan — c’est-à-dire par sa compréhension de la nécessité de l’émancipation paysanne, — aujourd’hui nous pouvons et nous devons mesurer la maturité socialiste de l’ouvrier et du paysan progressistes par son attitude envers la femme et l’enfant, par sa compréhension de la nécessité de libérer la mère des travaux forcés, de lui donner la possibilité de se redresser et de s’impliquer comme elle le devrait dans la vie sociale et culturelle.

La maternité est le nœud de tous les problèmes. C’est pour cela que chaque nouvelle mesure, chaque loi, chaque étape de la construction économique doit être vérifié ainsi que ses effets sur la situation de la famille, afin de voir si il empirera ou améliorera le sort de la mère, si il améliorera la situation de l’enfant.

Le nombre élevé d’enfants vagabonds dans nos villes témoigne plus terriblement nous sommes encore actuellement emmêlés dans les vestiges de l’ancienne société, ces derniers se manifestant plus brutalement à l’époque de leurs destructions. La situation de la mère et de l’enfant n’avait jamais été aussi difficile que durant les années de transition de l’ancien vers le nouveau, en particulier lors des années de la guerre civile. L’intervention de Clémenceau et de Churchill, et des éléments commandés par Koltchak, Denikine et par Wrangel ont frappé plus cruellement l’ouvrière, la paysanne, la mère, et nous ont légué un taux sans précédent d’enfants vagabonds. L’enfant vient de la mère ; l’enfant vagabond est d’abord le fruit de la mère sans abris. La prise en compte de la mère est la manière la plus sûre et approfondie d’améliorer le sort de l’enfant.

La croissance générale de l’économie crée les conditions d’une reconstruction graduelle de la famille et de la vie domestique. Toutes les questions en relation avec cela doivent être posées dans toute leur importance. Dans diverses directions, nous procédons au renouvellement du capital de base du pays ; nous acquérons de nouvelles machines pour remplacer les vieilles ; nous construisons de nouvelles usines ; nous renouvelons les chemins de fer ; le paysan acquiert des charrues, des semoirs, des tracteurs. Mais le « capital » le plus fondamental est constitué par le peuple, c’est-à-dire sa force, sa santé, son niveau culturel. Ce capital a encore plus besoin d’un renouveau que l’équipement des usines ou les outils des paysans. Il est inimaginable que les siècles d’esclavage, de famine et de servage, les années de guerre et d’épidémies, soient passés sans laisser de trace. Non. L’organisme vivant qu’est le peuple en porte les blessures et les cicatrices. La tuberculose, la syphilis, la neurasthénie, l’alcoolisme : toutes ces maladies et bien d’autres sont largement répandues parmi les masses populaires. Il faut assainir la nation. Sans cela, le socialisme est inconcevable. Il faut parvenir aux racines, aux sources. Mais où se trouve la source de la nation sinon dans la mère ? Le combat contre le manque d’égards envers les mères doit être à la première place ! La construction de logements, la création de jardins d’enfants, de crèches, de cantines et de laveries communales doivent être mise au centre de nos préoccupations, et cela nous demande une attention soutenue et une bonne organisation. Ici la question de la qualité est décisive. Nous devons donner aux crèches, aux cantines et aux laveries des avantages tels qu’elles puissent porter un coup mortel à la vieille famille, entièrement close et s’appuyant uniquement sur les épaules courbées de la femme au foyer, de la mère. Inévitablement, l’amélioration de l’organisation provoquera une affluence de la demande, et ensuite une affluence des moyens. Le soin des enfants dans les jardins d’enfants et les crèches, de même que la nourriture des adultes dans les cantines communales, sont meilleur marché que dans la famille. Mais le transfert des moyens matériels de la famille aux crèches et aux cantines n’aura lieu que si l’organisation sociale apprend à mieux satisfaire les besoins fondamentaux que la famille. Aujourd’hui il faut porter aux questions de la qualité une attention particulière. Le contrôle social soutenu et l’encouragement constant de tous les organismes et de toutes les institutions qui servent la famille et les besoins domestiques des masses laborieuses sont nécessaires.

Bien entendu, les initiateurs du grand combat pour la libération des mères doivent être, les ouvrières avancées. Ce mouvement, à tout prix, doit être dirigé aux villages. Dans notre vie quotidienne urbaine, aussi, il demeure beaucoup du caractère paysan et petit-bourgeois. Le regard, que portent sur la femme, nombre d’ouvriers n’est pas socialiste, mais conservateur, paysan, essentiellement médiéval. Le joug de la famille opprime tellement la mère paysanne que celle-ci entraîne derrière elle, dans l’abîme, la mère ouvrière. Il faut faire progresser la paysanne. Il faut qu’elle désire se redresser, cela signifie qu’il faut la réveiller et lui montrer la voie.

Il est impossible de progresser en laissant la femme loin en arrière. La femme est la mère de la nation. De la servitude des femmes fleurissent des préjugés et des superstitions qui enveloppent l’enfance des nouvelles générations et qui pénètrent profondément dans les pores de la conscience sociale. La meilleure voie, et la plus efficace, du combat contre la superstition de la religion est la voie de la prise en compte approfondie de la mère. Il faut l’élever et l’instruire. La libération de la mère exige la coupure du dernier cordon ombilical liant le peuple à un passé sombre et superstitieux.

Kislovodsk, novembre 1925

« Za Novyi Bit »

Décembre 1925

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