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Une journée contre les violences envers les femmes et toute l’année d’exploitation par les classes dirigeantes de la division hommes/femmes !

vendredi 26 novembre 2010, par Robert Paris

Les discours officiels laisseraient entendre que les gouvernants et les classes dirigeantes souhaitent combattre les violences faites aux femmes. Mensonge ! Ce sont eux qui favorisent depuis des lustres la tendance de la société à se fonder sur l’oppression de la femme. Et ce n’est pas un hasard : cette oppression a considérablement stabilisé la société de classe. Et ce n’est pas aujourd’hui, alors que le capitalisme est ébranlé, que ces classes dirigeantes vont abandonner cette méthode si profitable...

Bien sûr, souvent les femmes sont victimes de violences domestiques et même conjugales mais quand ces violence se chiffrent en dizaines de millions de femmes battues ce ne sont plus des cas particuliers : c’est le produit d’une société et des classes qui la dirigent...

Ce ne sont pas seulement "les hommes" qui sont à accuser mais ceux qui mettent en place cet ordre social.

Il est faux de prétendre que les mentalités et la culture des peuples sont la cause. Qui peut croire qu’on laisserait quelqu’un attaquer une banque sous le prétexte que ce serait dans sa mentalité ou sa culture ?

Pour la mille et unième fois, les violences faites aux femmes n’ont rien à voir avec des mauvaises pratiques qui dévieraient du comportement social collectif. Au contraire, elles appartiennent à ce comportement collectif voulu par les classes dirigeantes, nationales comme internationales.

Faire croire que c’est un lent progrès est tout aussi mensonger. Bien des fois la cause des femmes a fait un bon en avant. A chaque fois, c’était lié à l’état de la lutte des classes. Soit parce que la lutte des travailleurs et des peuples imposait ce bon en avant. Soit parce que les classes dirigeantes estimaient qu’il valait mieux améliorer la situation des femmes vu la situation explosive.

L’oppression de la femme, ce n’est pas autrefois ni ailleurs mais maintenant et chez nous

Le rôle de la religion et de la classe sociale

Un autre champ de bataille important contre l’idéologie sexiste est celui de la religion. Dans toutes les sociétés de classe, les idées religieuses, transmises par des Eglises souvent liées à l’Etat, jouent un rôle fondamental en appliquant et en sanctifiant l’idéologie de l’oppression des femmes.

A l’ouest, le christianisme et le judaïsme, tous deux fondés sur des idéologies qui se sont consolidées dans des sociétés pré-capitalistes et farouchement patriarcales, ont, pendant des siècles, enseigné la doctrine de la subordination des femmes. Cette doctrine a des conséquences concrètes pour des millions de femmes.

Les positions de l’Eglise catholique sur la contraception et l’avortement en sont un exemple clair. Dans les pays impérialistes, ces déclarations peuvent être la cause de la misère et des souffrances qui sont liées à la grossesse et aux enfants non-désirés. Dans les pays semi-coloniaux, ces résultats sont renforcés par la pauvreté.

En Amérique latine, un continent dominé par l’idéologie catholique, les doctrines réactionnaires de l’Eglise, malgré la théologie de la libération, conduisent littéralement à l’assassinat de milliers de femmes : le refus de la liberté d’avorter n’élimine pas l’avortement.

Il ouvre simplement la porte à des “faiseuses d’ange” et à la mort stupide de nombreuses femmes. De telles règles contre l’avortement et la contraception visent à assurer que la femme ne contrôle pas sa propre fertilité. En outre, parce que le sexe ne se justifie que pour la reproduction, l’Eglise enseigne aux femmes que la sexualité hors mariage et pour le plaisir est interdite.

La mythologie complexe du christianisme et du judaïsme renforce leurs enseignements réactionnaires sur les femmes. Le mythe d’Eve, l’histoire de la femme de Lot dans l’Ancien Testament, et le culte de la Vierge Marie, donnent toutes de la femme une image de servante dévouée aux besoins des hommes qui peut être punie quand, comme la femme de Lot, elle est désobéissante.

Le fond de ces idéologies religieuses est la sanctification de la famille et de sa structure autour de la domination masculine. La nature de la famille a changé dans différentes sociétés de classe et la religion l’a pris en compte dans des évolutions subtiles de doctrines.

Mais le contenu réactionnaire des enseignements de la religion sur les femmes et la famille n’a pas qualitativement été modifié à travers les siècles. Ces enseignements sont les manifestations les plus claires du poids d’un passé mort, sur le présent. Ceci est vrai même là où la religion adopte des comportements libérateurs.

Cela s’est passé au sein de l’Eglise catholique avec le développement de la théologie de la libération, en particulier en Amérique latine. Bien qu’elle justifie la violence contre l’oppression impérialiste, cette théologie reste liée aux enseignements réactionnaires de l’Eglise sur toutes les questions-clés sociales concernant les femmes.

Finalement, toutes les religions, quelles que soient leurs différences, sont réactionnaires vis-à-vis du progrès humain en général et de la libération des femmes en particulier, parce qu’elles déléguent la libre activité et la responsabilité de l’action humaine à un pouvoir hors du champ de l’être humain. De cette façon, elles renforcent le sentiment d’impuissance, limitant ainsi la capacité à l’auto-détermination.

Islam, hindouisme et bouddhisme

Les religions orientales ne font en aucun cas exception à cela. Elles ne sont pas qualitativement différentes de celles de l’Occident. L’hindouisme, le bouddhisme et l’islam peuvent sembler différents du christianisme et du judaïsme sur de nombreux points, mais, comme toutes les religions, qui toutes ont été inventées par l’homme afin de justifier l’ordre existant des choses, leurs enseignements cantonnent les femmes à un rôle subordonné au sein de la société et de la famille.

Aujourd’hui l’Islam est à l’avant-garde de la contre-révolution contre les femmes en Afrique du Nord et au Proche-Orient. Les femmes continuent à être traitées comme du bétail en Afghanistan, où, dans les tribus, la mariée a un prix comme une marchandise.

La volonté d’éliminer l’influence “occidentale” sur les femmes dans la République islamique d’Iran, par la réintroduction forcée du voile et des lois punissant l’adultère, montrent les dangers que l’Islam fait courir aux femmes.

Malgré toute la rhétorique anti-impérialiste, malgré tous les paroles mensongères sur “le respect de l’Islam pour les femmes”, rien ne change le fait que la conséquence réelle de l’Islam pour la vie des femmes est profondément destructive.

Les marxistes ont le devoir de combattre la religion organisée tout en respectant le droit des individus à la liberté de croyance et de culte. Nous ne pouvons considérer la religion comme une affaire simplement privée. Nous luttons pour briser le poids de l’idéologie religieuse à travers la propagande militante en faveur du matérialisme.

Nous luttons contre la volonté des Eglises de contrôler les vies privées des gens en promouvant une éducation sexuelle laïque, l’avortement et la contraception libres et gratuits sur simple demande, etc. Et nous luttons pour parvenir à satisfaire cette revendication de la démocratie bourgeoise, minimale, qu’est la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Encore la question de classe

L’expérience de l’oppression des femmes est différente selon l’origine de classe. Pour la classe dirigeante et pour certaines femmes cadres ou des professions libérales, beaucoup d’aspects de la vie et du travail qui leur avaient été refusés — comme des postes de responsabilité, l’accès à certaines professions, etc, leur sont maintenant beaucoup plus ouverts.

Elles sont aussi capables d’acheter certaines “libertés” en embauchant des femmes de ménage pour accomplir le travail domestique et élever leurs enfants. Pour les femmes des familles richissimes, cette situation leur laisse la possibilité d’être aussi oisives que leurs ancêtres.

Cela ne signifie pas pour autant qu’elles sont égales aux hommes de leur milieu. De nombreux droits relatifs à l’héritage et à la propriété leur sont encore refusés, et leur rôle reste principalement celui de femmes ou de soeurs soumises, redevables aux hommes chefs de leurs familles.

En ce sens, les femmes des classes dirigeantes n’échappent pas à l’oppression de leur sexe. Pourtant, elles n’en appartiennent pas moins à la classe dirigeante non-productive, et jouent souvent un rôle-clé dans la perpétuation de l’idéologie de la subordination des femmes à travers leurs oeuvres religieuses et charitables, ou comme membres de familles dirigeantes ou royales proposées comme modèles à la classe ouvrière.

La situation des femmes de la petite bourgeoisie traditionnelle (artisans, paysans, petits entrepreneurs) est totalement différente. Il y a de grandes différences au sein de cette classe, mais pour beaucoup l’exploitation sociale et l’oppression sexuelle coïncident avec les rapports privés entre homme et femme.

Ces femmes sont souvent directement exploitées comme salariées dans l’entreprise familiale et font le travail domestique pour le mari et les enfants. Jusqu’à aujourd’hui, la structure familiale traditionnelle de type nucléaire autoritaire s’est maintenue. Cette situation d’exploitation et d’oppression multiforme n’est atténuée que pour une minorité de ces femmes, par un niveau de vie supérieur à celui de la famille ouvrière moyenne.

Pour les femmes de la classe moyenne, un meilleur accès à l’éducation, aux carrières et à la propriété, a permis une amélioration considérable de leur existence.

Dans les pays impérialistes, la possibilité d’une meilleure contraception et d’avortements plus sûrs a permis aux femmes de contrôler leur fertilité de manière à ce que leur vie sexuelle et personnelle soit combinée à la vie professionnelle, ce qui, pour les générations précédentes était tout à fait impossible. De plus, ces femmes, dont les revenus permettent d’utiliser la force de travail d’autres femmes pour le ménage et l’éducation des enfants, peuvent combiner une carrière avec une vie de famille.

Mais cette égalité apparente ne les a pas émancipées complètement de leur oppression. Les femmes sont toujours sous-représentées aux échelons supérieurs de leur profession ; les possibilités de promotion sont très difficiles du fait des préjugés des patrons, et les carrières ne sont pas encore assez souples pour permettre aux femmes d’avoir des périodes, même courtes, d’inactivité afin d’avoir des enfants, tout en maintenant leur salaire et leur poste.

Au foyer, ces femmes des “classes moyennes” sont toujours soumises à leurs époux, et peuvent être l’objet d’abus physique et sexuel. Mais comme leurs soeurs vraiment bourgeoises, leur expérience de l’oppression peut être atténuée par le biais de l’argent, utilisé pour échapper au travail domestique, voire aux situations violentes, ce qui n’est pas le cas pour les femmes de la classe ouvrière.

Ainsi, en ce qui concerne la structure familiale, l’idéologie, les modes de vie, les conditions des femmes les mieux rémunérées et les plus qualifiées se rapprochent de celles de la classe moyenne ou de la petite bourgeoisie.

A l’autre extrémité, parmi le lumpenprolétariat, parmi les chômeurs de longue durée, les plus exploités et les plus malheureux, la prostitution, l’éclatement de la structure familiale, la violence et la criminalité sont les traits habituels de l’oppression des femmes.

L’oppression des femmes travailleuses et des paysannes

Pour la grande masse des travailleuses, et cela comprend beaucoup de femmes salariées qui peuvent se considérer comme appartenant à la classe moyenne parce que leur travail n’est pas manuel (à savoir les “cols blancs”, les professeurs, les infirmières), leur oppression est vécue de manière différente.

La majorité doit combiner le travail à l’usine ou au bureau avec la charge prioritaire qui est d’assurer le travail domestique et l’éducation des enfants. Ce “double travail” peut être particulièrement difficile pour celles qui travaillent la nuit, puis de retour à la maison, font le ménage et préparent les repas. Elles ne dorment pas assez et n’ont pas assez de temps de repos.

Les femmes de la classe ouvrière ont rarement accès à des structures d’accueil pour leurs enfants leur permettant de satisfaire leurs besoins en tant que travailleuses (à la différence des femmes bourgeoises ou cadres supérieures qui peuvent employer des nourrices et des crèches privées). De plus, leurs salaires insuffisants ainsi que le peu de sécurité de l’emploi dont elles jouissent font qu’elles continuent de dépendre économiquement de leur époux.

Sans aucun doute, le nombre croissant de femmes qui reçoivent un salaire indépendant permet une certaine liberté financière, mais rarement suffisante pour leur permettre de choisir de quitter leur époux si elles le souhaitent et de garder les enfants sans trop de problèmes financiers et de logement. Ceci est même souvent le cas pour des femmes qui dépendent des allocations de l’Etat, qui, dans tous les grands pays impérialistes, prend comme point de départ que l’unité familiale est celle d’un chef de famille homme, la responsabilité pour sa femme et les enfants.

Souvent, donc, il n’y a que les hommes qui peuvent demander ces aides financières. Dans certains pays, les femmes qui élèvent seules leurs enfants rencontrent de grandes difficultés pour avoir accès aux allocations familiales ou au logement.

Les paysannes, qui sont des millions dans les pays dominés par l’impérialisme, souffrent d’une oppression extrême. L’idée qu’une paysanne d’Amérique latine pourrait avoir un intérêt commun fondamental avec les femmes des classes dirigeantes est risible.

L’oppression subie par les paysannes, en particulier par les paysannes pauvres, est omniprésente et variée. Comme travail, la paysanne sera obligée de participer aux récoltes, de nourrir les animaux, de s’occuper de son foyer et d’en gérer le budget, d’apporter les produits de la ferme au marché, de les vendre et d’acheter les biens dont elle et sa famille ont besoin.
Si on ajoute à cette corvée quotidienne sans fin les tâches de porter et d’élever les enfants qu’elle accomplit, on voit clairement l’étendue de l’oppression subie par la paysanne. La paysanne, encore plus que la paysannerie en général, est vraiment “la bête de somme de l’Histoire.”

La violence contre les femmes

Les femmes de la classe ouvrière subissent des actes de violence et des abus sexuels, à la fois au foyer et au travail à travers le harcèlement sexuel. Bien que les abus sexuels et physiques ne soient en aucun cas limités aux femmes de la classe ouvrière, ces dernières sont moins en état de “s’acheter” une solution à une situation violente, en quittant leur maison ou leur travail, ou en utilisant des voitures ou des taxis pour éviter d’être attaquées dans la rue.

Naturellement, nous ne confondons pas (quoique nous ne l’excusions pas) la violence sporadique qui peut éclater dans la famille du fait des tensions de la vie quotidienne dans la société capitaliste avec la brutalité systématique de certains hommes contre des femmes.

Mais la violence domestique, si terrible qu’elle soit pour les personnes concernées, doit être mise en perspective. Ce n’est pas une manifestation du “pouvoir des mâles” ou un moyen de le perpétuer.

C’est le produit des frustrations qui rendent la vie quotidienne sous le capitalisme misérable et sans joie. Elle ne peut pas être comparée à l’utilisation systématique de la violence, en particulier par des dictatures dans le monde semi-colonial, dirigée contre des hommes et des femmes dans le but de maintenir le pouvoir de la bourgeoisie semi-coloniale et de leurs maîtres impérialistes.

Dans ces pays les dictateurs, et non les maris, sont les véritables responsables de la violence systématique contre les femmes. Ainsi, nous n’exagérons pas la question de la violence contre les femmes dans les pays impérialistes, comme le font les féministes, dans le but de prouver que le pouvoir des mâles existe et s’impose par une violence systématique.

De toutes façons, il n’y a rien de naturellement masculin à la violence. Le suggérer c’est aller dans le sens de l’idéologie réellement réactionnaire qui décrit les femmes comme des objets passifs n’opposant aucune résistance, et inévitablement faibles.

A travers le monde, du Nicaragua pendant la révolution contre Somoza à la Grande-Bretagne pendant la grève des mineurs de 1984-85, des combattants de classe femmes se sont montrées capables de lutter physiquement contre les véritables responsables de leur oppression, les capitalistes et leurs Etats.

Différences au sein de la classe ouvrière

Les rapports entre les hommes et les femmes sont également différents pour la classe ouvrière. La famille reste souvent le dernier refuge pour les travailleurs, là où le capitalisme est incapable d’apporter, à travers la protection sociale, l’aide mutuelle nécessaire aux individus et particulièrement aux personnes dépendantes. Elle est aussi le lieu où des liens affectifs fondamentaux sont forgés, et où les hommes et les femmes de la classe ouvrière trouvent amour et soutien.

La famille est donc défendue par les travailleurs, hommes et femmes. A la différence de la situation des femmes bourgeoises exerçant une profession libérale, pour les femmes travailleuses, ce ne sont pas leurs maris ou les hommes de leur classe qui représentent la cause fondamentale de leurs problèmes.

Pour les femmes de la classe dirigeante, c’est leur propre classe qui produit leur inégalité et leur subordination. Ce sont les hommes qui font obstacle à une véritable égalité.

Mais pour les femmes de la classe ouvrière ce ne sont pas les travailleurs hommes qui sont leurs “ennemis”. C’est le système capitaliste, et en conséquence les hommes et femmes de la classe dirigeante, qui crée à la fois l’exploitation et l’oppression des femmes travailleuses.

C’est ce que montrent les luttes communes des hommes et des femmes, par exemple quand dans une communauté ces dernières soutiennent le combat de leurs époux (les mineurs d’étain en Bolivie ou les mineurs de charbon en Grande Bretagne sont d’excellents exemples de cette unité). Pour les hommes et les femmes, ce sont les patrons qui sont leurs véritables ennemis.

Pourtant, il est aussi vrai que les travailleurs hommes sont en général mieux payés et ont de meilleures conditions de travail que les femmes. Ils profitent aussi du fait que les femmes accomplissent la majeure partie des corvées domestiques ennuyeuses, souvent en plus de leur travail salarié.

La structure de la famille, la domination masculine qui y règne et l’idéologie sexiste envahissante qui aide à perpétuer cette situation, conduisent les hommes à agir d’une façon qui opprime directement les femmes. Ils refusent le contrôle des femmes sur leur vie familiale commune, ils décident quelle part de leur salaire sera consacrée au ménage. Dans certains cas, ils abusent, physiquement et sexuellement, de leurs épouses et d’autres femmes.

Cette division au sein de la classe ouvrière affaiblit sa force collective. Cela a conduit à des exemples de travailleurs s’organisant pour empêcher l’accès des femmes à certains emplois, en particulier aux métiers qualifiés, et à des hommes brisant les grèves de femmes qui revendiquaient un salaire égal. Ces travailleurs hommes croient que les femmes travailleuses sont une menace pour leur propre salaire et leurs conditions de travail, et agissent donc comme un obstacle réactionnaire vis à vis des femmes.

Les hommes de la classe ouvrière profitent-ils de l’oppression des femmes ?

Il ne fait donc aucun doute que les hommes jouissent de véritables avantages matériels du fait de l’oppression des femmes. Pourtant, ces avantages soit sont éphémères (la position de l’homme au sein de la famille), soit transitoires (accès à certains emplois à certaines périodes) ou, à l’échelle historique, mineure (une moindre obligation à remplir les tâches ménagères).

Bien entendu, l’idéologie de la domination masculine — l’identité “machiste” — existe souvent au sein de la classe ouvrière, et est renforcée par les privilèges matériels dont jouissent les travailleurs hommes et que parfois ils défendent.

Ce machisme doit être combattu constamment par le parti révolutionnaire et le mouvement des femmes travailleuses. Pourtant, les avantages matériels des hommes ne signifient pas que ces derniers exploitent économiquement les femmes. Ils ne s’approprient pas et ne contrôlent pas les fruits du travail domestique des femmes.

Quels que soient les privilèges relatifs dont jouissent les travailleurs hommes à la maison ou au travail, les problèmes auxquels ils doivent faire face du fait de l’oppression sociale des femmes sont immenses.

Les divisions au sein de la classe ouvrière qui se développent en conséquence de l’oppression des femmes affaiblissent le prolétariat dans son ensemble et le rendent vulnérable aux attaques économiques, sociales et politiques des patrons. La possibilité de vaincre le système qui exploite à la fois tous les travailleurs et opprime les femmes est retardé du fait de ces divisions.

En ce sens, donc, les avantages des hommes ne sont pas fondamentaux. Ils ne signifient pas que les hommes aient un intérêt historique à l’oppression des femmes, pas plus que les avantages dont jouissent certains travailleurs au détriment d’autres ne leur donnent un intérêt historique au maintien du capitalisme.

Au contraire, l’intérêt historique des travailleurs hommes est de vaincre le capitalisme et, en agissant ainsi, de détruire la base de l’oppression sociale des femmes. Ils sont les véritables alliés stratégiques des femmes travailleuses dans le combat contre l’oppression et l’exploitation. En fait, la classe ouvrière est affaiblie par cette division, et sa capacité à lutter collectivement pour renverser le système qui produit à la fois l’exploitation et l’oppression en est affaiblie.

Les avantages que les hommes de la classe ouvrière recevront de la libération finale des femmes de la famille — la responsabilité collective des soins et de l’éducation des enfants, la liberté dans les relations, la libération sexuelle et les acquis économiques du socialisme — tout cela signifie que les hommes du prolétariat ne tirent de fait aucun avantage décisif, mais au contraire souffrent de l’oppression des femmes.

Les avantages des hommes sur les femmes — imaginaires ou réels — conduisent des hommes, de façon individuelle, et, de façon collective, dans les syndicats, à croire, à tort, que leur position sera mieux servie en continuant à participer à l’oppression des femmes.
Pouvoir ouvrier

Les origines de l’oppression des femmes
Sharon Smith
Traduit et adapté par John Mullen
Le texte original a été publié dans l’International Socialist review

Karl Marx et Friedrich Engels1 considéraient que l’origine de l’oppression des femmes se trouvait dans l’émergence de la société de classes il y a quelques milliers d’années. Leur analyse de l’oppression des femmes n’était pas un rajout secondaire à leur analyse de la société des classes, elle en constituait un élément clé. Lors de la rédaction du Manifeste du Parti communiste en 1848, la libération des femmes était déjà centrale à la théorie socialiste révolutionnaire : « Pour le bourgeois, sa femme n’est autre chose qu’un instrument de production. Il entend dire que les instruments de production doivent être exploités en commun et il conclut naturellement que les femmes elles-mêmes partageront le sort commun de la socialisation.

« Il ne soupçonne pas qu’il s’agit précisément d’arracher la femme à son rôle actuel de simple instrument de production. »

Marx et Engels ont développé une théorie de l’oppression des femmes, théorie qui a culminé dans la publication de L’origine de la famille, de la propriété privée, et de l’Etat en 18842. Engels a rédigé ce livre après la mort de Marx. Mais il s’est servi de ses notes détaillées sur le sujet.

La théorie exposée dans le livre est basée sur les recherches publiées en 1877 de l’anthropologue contemporain Lewis Henry Morgan.3 Le livre de Morgan constitue la première tentative d’analyse matérialiste de l’évolution de l’organisation sociale des êtres humains. Morgan a découvert, dans son long travail auprès des Iroquois du Nord Est des Etats Unis, un système de parenté entièrement différent de la famille moderne occidentale.

Cette découverte a poussé Morgan à étudier d’autres communautés. Dans le cours de son travail, il a appris que d’autres sociétés, distantes de milliers de kilomètres des Iroquois, utilisaient des structures de parenté très similaires. Il en a conclu que l’organisation sociale de l’humanité avait connu une évolution par étapes, due au développement des « arts de subsistance » différents (horticulture, agriculture, etc.). Même si une partie des données utilisées par Morgan est dépassée, il ne manque pas de travaux d’anthropologie plus récents qui confirme les fondements de son analyse de l’évolution sociale.

Engels, partant de la théorie de Morgan, produit une conception d’ensemble sur la manière dont la montée de la société des classes a donné lieu à la fois à l’émergence de l’Etat - qui représente les intérêts de la classe dominante dans la lutte quotidienne entre les classes -, et l’émergence de la famille, comme moyen pour les premières classes dirigeantes de posséder et transmettre la richesse privée.

Engels écrit seulement 13 ans après la publication par Darwin de La Descendance de l’Homme qui présenta sa théorie de l’évolution de l’homme en tant qu’animal, et seulement 30 ans après la découverte en 1856 des premiers squelettes des êtres humains préhistoriques. C’est pour cela que certaines des formulations précises de Engels doivent être révisées.
Mais ceci n’enlève rien à ce qui constitue son apport fondamental. Il nous offre une explication de l’origine de l’oppression des femmes. Depuis plus d’un siècle tout le débat sur cette origine tourne autour de l’œuvre d’Engels. L’essentiel des auteurs sur ce thème tentent de confirmer ou de contredire sa théorie. Nous allons ici présenter ses éléments essentiels et aborder certaines questions controversées.

Des Neandertal machistes ?

Le plus souvent, les marxistes sont les seuls à contredire l’idée que l’oppression des femmes trouve sa source dans le besoin séculaire des hommes de dominer et d’opprimer. Cette position est partagée par des phallocrates vieux style, qui voudraient démontrer que les hommes dominent les femmes par nature, et par certaines féministes. Il est rare que ces gens défendent ouvertement une position de déterminisme biologique, mais des idées reçues sur la biologie et la nature humaine ne sont jamais pas loin.

Les explications spécifiques de l’oppression des femmes sont très variées - certaines sont tout à fait ridicules et la plupart se basent plus sur des spéculations que sur des preuves tangibles. Les théories les plus courantes prétendent que la force physique plus développée des hommes donne lieu à une agressivité accrue. L’imagerie populaire des hommes de néanderthal rentrant à la caverne en traînant leur femme par les cheveux est basée sur une idée fausse de la biologie humaine.

C’est dans le domaine de l’anthropologie qu’a eu lieu le débat le plus complet sur les origines de l’oppression des femmes. L’objectivité est difficile à atteindre en anthropologie - chaque chercheur entreprend son travail avec en tête ses propres préjugés culturels. Le préjugé le plus important est le sexisme qui dominait totalement le domaine de la recherche il y a quelques décennies. Ce sexisme mena la quasi-totalité des anthropologues à supposer à priori que tous les rôles importants dans la société étudiée furent remplis par les hommes. Eleanor Burke Leacock4 cite un exemple clair dans son livre Myths of Male Dominance. Elle montre que l’anthropologue Robin Cook écrit parfois uniquement pour des lecteurs hommes : « Puisque nous n’avions pas une anatomie spécialisée comme nos cousins les babouins, nous devions inventer des solutions telles que la domination et l’échange des femelles ». Leacock poursuit : « Parler de l’échange des femmes [dans les sociétés spécifiques qu’elle étudie] ne permet pas de comprendre la structure des sociétés égalitaires, dans lesquelles il est contradictoire avec la réalité de parler des femmes comme de choses qu’on peut échanger. Les femmes sont, dans ces sociétés, des personnes qui échangent et non des choses échangées. Elles échangent leur travail et leurs produits avec des hommes et avec d’autres femmes5 ».

Jusqu’à l’arrivée des mouvements d’émancipation des femmes dans les années 1960, les préjugés sexistes permettaient des généralisations très larges. Claude Lévi Strauss allait jusqu’à affirmer que la société humaine était avant tout une société masculine et que l’échange des femmes constituait un élément universel de cette société. Les hommes seraient par nature polygames et les femmes les victimes passives de l’agressivité sexuelle masculine.

De même, des chercheurs occidentaux ont souvent vu les sociétés qu’ils étudiaient à travers le prisme de leurs propres préjugés culturels. Les coutumes sont évaluées selon des valeurs occidentales et non analysées en fonction de la logique interne des sociétés étudiées. Par exemple, dans certaines sociétés esquimaudes, le fait que les femmes couchaient avec des visiteurs hommes est souvent interprété comme preuve qu’elles sont en position de nette infériorité, puisqu’elles auraient été proposées comme cadeaux aux visiteurs. Mais d’autres interprétations sont possibles.

Comme l’écrit Leacock, il faut éviter « une lecture ethnocentrique qui suppose qu’une femme ne peut pas (puisqu’elle ne « devrait » pas) aimer et avoir des rapports sexuels avec un autre homme que son mari. Une telle lecture nie qu’une variété de rapports sexuels peut être intéressant pour les femmes tout comme pour les hommes6 ».

Beaucoup d’auteurs féministes ont été également coupables de maltraiter les données pour confirmer leurs préjugés. La coutume - assez fréquente dans des sociétés primitives - d’isoler les femmes lorsqu’elles ont leurs règles, est souvent interprétée par des féministes comme une preuve que les capacités reproductives des femmes sont une source universelle de peur et de mépris. Mais c’est entièrement faux.

Certaines sociétés de chasseurs et de cueilleurs n’ont aucun tabou lié à la menstruation. Dans d’autres, les hommes tentent d’imiter les capacités reproductives des femmes.
Certaines anthropologues féministes ont recueilli beaucoup de données permettant de confirmer la thèse de Engels sur l’existence de sociétés égalitaires primitives où les femmes ne furent pas opprimées - nous pouvons citer le travail de Patricia Draper sur les !Kung d’Afrique du Sud et celui de Judith Brown sur les Iroquois7.

Mais une très grande partie de la théorie produite par les féministes aux Etats-Unis reste extrêmement spéculative. Certaines écrivent que le renversement de la société matriarcale a donné naissance au patriarcat, d’autres que le patriarcat a toujours existé…Comme l’écrit Gerda Lerner dans son livre The Creation of Patriarchy :

« Susan Brownmiller8 affirme que la capacité des hommes à violer les femmes a mené à leur penchant pour le faire, et c’est ceci qui aurait conduit à la suprématie masculine. Elizabeth Fisher prétend que c’est la domestication des animaux qui a suggéré aux hommes l’idée de violer les femmes. La violence impliquée dans la domestication et l’élevage des animaux aurait mené à l’institutionnalisation de l’agressivité. Mary O Brien affirme que les hommes dominent les femmes pour compenser leur incapacité à accoucher d’enfants… 9 »

La méthode marxiste

La théorie marxiste doit traiter la question de l’oppression des femmes tout autrement, d’un point de vue matérialiste.
Engels écrit : « Selon la conception matérialiste, le facteur déterminant, en dernier ressort, dans l’histoire, c’est la production et la reproduction de la vie immédiate. Mais, à son tour, cette production a une double nature. D’une part, la production de moyens d’existence, d’objets servant à la nourriture, à l’habillement, au logement, et des outils qu’ils nécessitent ; d’autre part, la production des hommes mêmes, la propagation de l’espèce ».

Mais le marxisme est à la fois matérialiste et dialectique. Nous voyons les êtres humains à la fois en tant que produits du monde naturel et en tant qu’acteurs qui transforment leur environnement qui, à son tour, transforme les êtres humains.
Il y a des aspects des toutes premières sociétés humaines que nous ne connaîtrons jamais, car elles n’ont pas laissé de trace écrite. Néanmoins, l’étude des outils et des fossiles nous permet de cerner ce qui distinguait nos ancêtres des singes. Tout d’abord, leur capacité de planifier leurs actions pour mieux maîtriser la nature. C’est ce qui a permis aux humains de survivre dans une variété plus large de climats et de circonstances. C’est ce processus que Marx appelle « le travail ». Dans son article « Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme »10 Engels écrit : « Dans un sens, nous pouvons dire que le travail a créé l’homme ».
Chris Harman a écrit que les singes « sont programmés génétiquement pour avoir des comportements appropriés à une variété limitée d’environnements, [mais les humains] ont une immense flexibilité de comportement qui nous permet, quasiment seuls dans le monde animal, de vivre partout sur la terre. C’est une différence fondamentale entre nous et les singes.

« Les gorilles ne vivent que dans les forêts tropicales, les chimpanzés seulement dans les bois de l’Afrique sub-saharienne, les orangs-outans en Indonésie ; mais les humains vivent dans l’ensemble de l’Afrique, en Europe et en Asie depuis au moins cinq cent mille ans. Notre particularité génétique est justement que nous ne sommes pas spécialisés, nous ne sommes pas limités par quelques comportements instinctifs11 ».

La consommation de viande a permis aux premiers humains de survivre dans des climats bien plus variés. Ils ont pu ainsi se répandre sur toute la planète. Le besoin de planification inhérent à la chasse a donné lieu au besoin de communication verbale et de coordination sociale, ce qui a mené à son tour au développement du larynx. La production des outils, en nécessitant une dextérité manuelle et une intelligence, a encouragé le développement de la main et la croissance du volume du cerveau.

L’anatomie humaine a évolué selon les besoins du processus de travail. Mais à son tour, celui-ci a avancé selon l’évolution de l’anatomie humaine, ce qui a mené à des outils plus complexes et des formes de communication plus sophistiquées. Comme l’explique Engels : « La main n’est pas seulement un outil de travail, elle est également un produit du travail ». Une évolution similaire s’applique à la société humaine dans son ensemble.

Le communisme primitif

Avant l’émergence de la société de classes, l’idée d’un couple strictement monogame vivant avec ses enfants était inconnue dans l’histoire de l’humanité. L’inégalité était tout aussi inexistante. Pendant plus de deux millions d’années, les êtres humains ont vécu dans des groupes constitués de personnes ayant une parenté de sang, dans des conditions d’égalité relative. Les premières preuves de ces faits ont été recueillies par les missionnaires jésuites du XVIIe et XVIIIe siècle, qui ont rédigé leurs observations des cultures amérindiennes qu’ils ont rencontrées.

Dans l’ensemble les Jésuites furent très choqués par l’égalitarisme de ces sociétés - y compris celle entre femmes et hommes - et par la liberté sexuelle régnant. Un des Jésuites, ayant rencontré les Montagnais-Naskapi du Canada, a écrit : « Je lui ai dit qu’il n’était pas honorable pour une femme d’aimer un autre homme que son mari, et qu’avec ce mal qui s’insérait entre eux, il ne pouvait même pas être sûr que son fils était bien le sien ».

Mais les Naskapi furent tout aussi choqués par les Jésuites. L’homme répondit : « Tu es insensé. Vous, les Français, vous aimez seulement vos propres enfants ; nous aimons tous les enfants de la tribu ».

Les Jésuites furent étonnés que les Indiens n’avaient pas et ne voulaient pas de hiérarchie sociale quelle qu’elle soit. Le commentaire du Père Paul Le jeune, décrivant les Naskapi en 1634 est typique : « [Ils] ne peuvent pas supporter le moins du monde ceux qui ont envie d’être supérieurs aux autres ; toute leur idée de la vertu est douceur et apathie ».

Lejeune et les autres missionnaires avaient en tête bien sûr de changer cette situation. « Hélas, écrit-il, si quelqu’un pouvait empêcher les errements des sauvages, donner l’autorité à l’un d’entre eux et régner sur les autres, nous pourrions rapidement les convertir et les civiliser ».

Mais les obstacles étaient nombreux. « Puisqu’ils ont ni organisation politique, ni postes d’autorité… ni autorité quelconque, car ils obéissent à leur chef uniquement de bonne volonté, ils ne s’entre-tuent jamais pour avoir les honneurs. Et, puisqu’ils se satisfont de vivre paisiblement, aucun ne se vend au diable pour acquérir des richesses12 ».

Lewis Henry Morgan, après avoir passé de nombreuses années avec les Iroquois de l’Etat de New York, conclu que leur système de parenté traçait les lignes de sang par la mère - un système matrilinéaire et non patrilinéaire. En étudiant d’autres sociétés, Morgan recueillit des données qui suggéraient que la société humaine évoluait en fonction des méthodes de production.

Il esquissa trois périodes différentes, chacune nouvelle étape du développement sociétal. Il les nomma « sauvagerie, barbarie et civilisation ». Nous n’utilisons plus ces termes de l’époque victorienne, mais son schéma reste juste. L’étape qu’il nommait « la sauvagerie » correspond aux sociétés de chasse et de cueillette. La « barbarie » connaît l’agriculture comme mode de production dominant - d’abord la culture sur brûlis, puis l’horticulture, puis des méthodes plus sophistiquées, telles que l’irrigation et les labours. La « civilisation » se réfère au développement de la société urbaine et aux débuts de l’industrie.

Les recherches de Morgan ont confirmé la thèse de Marx et de Engels sur l’existence d’une période longue de « communisme primitif » avant l’émergence de la société de classes. Mais ces recherches aidèrent aussi Engels à comprendre les origines de l’oppression des femmes. Les études détaillées de Morgan sur les sociétés Iroquoises montrent que :

1) les hommes et les femmes Iroquois avaient une division stricte du travail entre les sexes.
Mais que 2) Les femmes étaient égales des hommes, jouissaient d’une autonomie complète pour leurs propres responsabilités et d’un pouvoir décisionnel au sein de la société dans son ensemble.

Les femmes âgées participaient aux discussions du conseil décisionnel de la communauté. Comme l’a remarqué un témoin du XXe siècle, les femmes disposaient d’un droit de veto sur des décisions clé comme celle de déclarer ou non la guerre.

« […] les mères exercent une forte autorité sur leurs filles et fils ; la femme occupe une place centrale dans le discours religieux ; ses connaissances en matière médicale sont reconnues et elle détient souvent un droit de vie ou de mort sur les prisonniers de guerre. Autonome et jouissant d’une grande autorité sociale, la femme iroquoienne ne vit pas, quoi qu’en dise le jésuite Lafitau, dans une « gynécocratie », mais elle n’est pas dominée13 ».

Judith K Brown souligne que le rôle économique important des femmes leur conférait beaucoup d’autorité, y compris sur les activités des hommes. « Les femmes ne contrôlaient la distribution uniquement dans le domaine domestique. Les hommes avaient besoin de nourriture pour la chasse, la guerre et le Conseil. Les femmes pouvaient également exercer leur influence sur ces activités. Comme l’a noté Randle, Indirectement, on dit que les femmes pouvaient retarder voire empêcher une guerre qu’elles n’approuvaient pas en refusant de fournir les stocks de maïs séché et de mocassins dont avaient besoin les guerriers14 ».

Un ouvrage récent sur les Iroquois anciens, Femmes de personne - Sexe genres et pouvoirs chez les anciens Iroquois, de Roland Viau15 confirme les conclusions de Morgan sur l’égalité entre les sexes.16

Les données recueillies chez les Iroquois suffisent pour exclure l’hypothèse que l’oppression des femmes aurait existée dans toutes les sociétés humaines.17 Mais des recherches récentes ont identifié bien d’autres exemples d’égalité entre les sexes dans les sociétés avant l’émergence des classes.18

Des études sur les peuples !Kung dans le désert du Kalahari aboutissent à des conclusions similaires. Patricia Draper découvrit que dans les sociétés !Kung de chasseurs et cueilleurs, les femmes contribuaient autant que les hommes, si ce n’était plus, à la production de la nourriture. Elle note une égalité complète entre les deux sexes :

« Parmi les !Kung il y a extrêmement peu de tolérance pour des comportements agressifs masculin ou féminin. Dans les sociétés où l’agressivité et la domination sont valorisées, de tels comportements deviennent davantage le propre des hommes, et les victimes sont couramment les femmes, ce qui les dévalorise. Les femmes !Kung ne sont pas prises dans cette division de rôles. D’habitude, elles ont des manières douces, tout comme leurs hommes19 ».

Ces conclusions ont été ignorées ou niées par certaines féministes. En France, Christine Delphy a pu écrire dans L’ennemi principal : « Il suffit de dire que l’ensemble des documents ethnologiques démontre que l’importance économique des productions effectuées par les femmes ou par les hommes est sans relation avec la prééminence sociale de l’un ou l’autre sexe20 ».

Elle ne ressent pas le besoin de citer un seul des documents ethnologiques dont elle parle.

L’émergence des sociétés de classe
L’évolution de l’humanité s’est étendue sur une très longue période, des millions d’années. Les premiers de nos ancêtres (Homo habilis ) apparurent probablement il y a environ deux millions d’années. Les êtres humains qui ont la même anatomie que nous ( Homo sapiens sapiens) apparurent il y a environ 200 000 ou 100 000 ans. Les premières formes de l’agriculture apparurent il y a seulement dix mille ans.
Pendant la plus grande partie de l’histoire humaine il était impossible d’accumuler des richesses et il n’y avait peu de motivation pour le faire. Il n’y avait, par exemple, aucun endroit pour les stocker. On vivait dans des groupes nomades - de chasse et de cueillette - ; on vivait des fruits et racines qu’on trouvait, de la chasse et de la pêche.

Généralement, dans ces sociétés, il n’y avait aucune raison de travailler plus que les quelques heures par jour nécessaires pour assurer la subsistance. Même dans les premières sociétés qui inventèrent l’horticulture, il n’était pas possible de produire beaucoup plus que ce que la bande allait consommer immédiatement.

C’est l’émergence d’une agriculture plus sophistiquée utilisant labourage et irrigation, les débuts de la sédentarisation, qui permirent à certaines sociétés d’extraire de l’environnement plus que ce qu’il fallait pour survivre. C’était la première accumulation d’un surplus, de richesses.

Comme l’explique Engels « Avant tout, nous voyons les premiers socs de charrue en fer, tirés par du bétail, ce qui a rendu possible la culture des champs et ainsi a permis une production de nourriture pratiquement illimitée comparée aux possibilités antérieures21 ». Ce fut un tournant dans l’évolution de la société humaine. S’ouvrait la possibilité qu’à terme la production pour la consommation immédiate puisse laisser place à la production pour l’échange et, plus tard, à la production pour le profit.

Ce processus mena à l’émergence des premières sociétés de classe, il y a à peu près six mille ans (d’abord en Mésopotamie, quelques siècles plus tard en Egypte, en Iran, en Chine, et dans la vallée de l’Indus).

Selon Engels, l’émergence d’une société de classes impliquait l’émergence des inégalités, entre dirigeants et dirigés mais aussi entre hommes et femmes. Au début, le surplus était partagé entre tous et les richesses ne pouvaient donc pas être accumulées par une personne ou par un groupe particulier.
Mais au fur et à mesure que les communautés sédentarisées grandissaient, et que le surplus augmentait, la distribution des richesses devenait inégalitaire, et un petit nombre d’hommes formait une élite plus riche et plus puissante que le reste de la communauté.

La division sexuelle du travail au sein de la société de classe

Au centre de la théorie d’Engels sur l’oppression des femmes se trouve le rapport entre la division sexuelle du travail et le mode de production, qui s’est profondément transformé au début des sociétés de classe. Dans les sociétés de chasse et de cueillette, et dans les sociétés horticulturales, il existait une division sexuelle du travail : les responsabilités des femmes et des hommes étaient strictement séparées. Mais chaque sexe jouissait d’une large autonomie dans l’exercice de ses tâches. De plus (on l’a découvert depuis l’époque de Engels), les femmes fournissaient souvent plus de nourriture que les hommes dans ces sociétés.22

Ainsi, dans les sociétés d’avant l’émergence des classes sociales, les femmes pouvaient combiner la maternité et le travail productif - en fait, il n’existait pas une division stricte entre les sphères de la production et de la reproduction.
Souvent, les femmes pouvaient porter des petits enfants pendant leur travail de cueillette ou d’horticulture, ou laisser les enfants avec d’autres adultes pendant quelques heures.

D’ailleurs, une grande partie de la production avait lieu à la maison. Puisque les femmes, avant l’apparition des classes, jouaient un rôle central dans la production, l’inégalité systématique entre hommes et femmes n’existait pas, et les femmes âgées en particulier jouissaient d’un grand prestige.
Tout ceci a changea avec l’apparition de la propriété privée. Du fait de la division sexuelle du travail, en général les hommes s’occupaient des travaux agricoles plus pénibles, tels les labours, tâches plus difficiles à réaliser pour les femmes enceintes ou allaitant. Et puisque les hommes dans la plupart des sociétés (mais pas dans toutes) s’occupaient de la chasse des grands animaux, ils se mirent logiquement à s’occuper de l’élevage du bétail.

A la même époque que la production s’éloignait de la maison, le rôle de la reproduction changeait radicalement. L’introduction de l’agriculture augmenta massivement la productivité du travail de même que le besoin de main d’œuvre.

Contrairement aux sociétés de chasse et de cueillette, qui tentaient de limiter les naissances, les sociétés agricoles voulaient autant d’enfants que possible pour aider aux champs. Ainsi, en même temps que le rôle des hommes dans la production devenait plus central, les femmes se concentraient beaucoup plus sur la reproduction.

La division stricte du travail entre les sexes perdura, mais la production s’éloigna de la maison. La famille servait désormais seulement à la reproduction. Les femmes furent piégées chacune dans sa famille, éloignées de la production. Ces changements eurent lieu tout d’abord au sein des familles des premières propriétaires, mais peu à peu la famille nucléaire devint une norme dans toute la société.

Nous ne devons pas oublier que ces changements intervinrent sur une très longue période de plusieurs milliers d’années. D’ailleurs, au début, l’avidité n’était pas le moteur de la distribution inégale des richesses. Ce n’est pas plus le désir masculin de domination qui explique l’accaparement du pouvoir par une petite partie des hommes, et la dégradation dramatique de la position des femmes.

Il n’y a aucune raison de supposer que ce sont les hommes qui ont obligé les femmes à jouer leur nouveau rôle. Pour les familles propriétaires, un surplus plus important avantageait l’ensemble des membres de la famille.

Bien sûr, toutes les sociétés humaines ne se sont pas transformées exactement de la même façon et aux mêmes rythmes. Engels connaissait bien les sociétés d’Allemagne comme les sociétés antiques de Méditerranée et d’Asie. Pour les autres sociétés de par le monde, il s’appuyait sur le travail de Morgan. On ne peut pas dire non plus que des transformations du mode de production créent « automatiquement » des changements précis dans le rôle de la reproduction.

Ainsi, l’inceste entre frères et sœurs était courant en Egypte ancienne, tandis qu’il était interdit dans la majorité des sociétés à niveau similaire de développement. Depuis l’époque d’Engels, comme le souligne Eleanor Leacock : « Les recherches archéologiques ont esquissé une image indéniable d’un développement de l’humanité des chasseurs « sauvages » en passant par des sociétés agricoles « barbares » et enfin aux « civilisations » de l’Orient antique. »

Chris Harman écrit « Le chemin qui mena de la chasse et la cueillette vers la civilisation, en passant par l’horticulture et l’agriculture varia en effet considérablement d’une société à une autre. » Mais « Les formes diverses qu’ont prises les sociétés de classe ne doivent pas nous faire oublier les très grandes similitudes entre elles. Partout il y eut au début le communisme primitif. Partout, elles se transformèrent en sociétés agricoles sédentarisées. Certains [groupes] ou « grands hommes » pouvaient commencer à gagner en prestige de par leur rôle dans la gestion du petit surplus dans l’intérêt de toute la communauté. Partout, au fur et à mesure que ce surplus s’agrandissait, cette petite minorité de la société commença à contrôler plus grande une partie des richesses produites, atteignant ainsi une position où elle pouvait s’ériger progressivement en classe sociale23 ».

Les vieilles formes d’organisation communales ne se transformèrent pas du jour au lendemain. Mais lentement la générosité inhérente aux sociétés de communisme primitif, dans lesquelles l’échange de cadeaux est un élément central de la vie sociale, se transforma en pratiques tout à fait différentes dans les nouvelles conditions d’inégalité. Les offrandes de cadeaux avaient été une forme d’échange réciproque. Mais si le donneur est riche et le receveur n’a pas de propriété, la réciprocité devient impossible.

Dans de telles conditions, le donneur peut facilement devenir un exploiteur. Un chef qui utilise peu d’autorité dans une bande de nomades peut facilement devenir un prêtre ou un bureaucrate au-dessus de la société une fois que les classes sociales ont émergé. Un homme qui possède quelques têtes de bétail ou un terrain fertile peut devenir un puissant propriétaire terrien.

Karen Sachs résume l’effet de l’introduction de la propriété privée sur la situation générale des femmes au sein de la société : « La propriété privée a transformé les rapports entre hommes et femmes au sein de la famille uniquement à cause des transformations radicales qu’elle porta aux rapports politiques et économiques dans la société dans son ensemble. Pour Engels la nouvelle richesse des animaux domestiqués impliquait un surplus de produits pour l’échange […]

« Avec le temps, la production par des hommes spécifiquement à des fins de commerce s’est développée et a dépassé en importance la production à la maison pour la consommation immédiate. […Ceci] transforma la nature de la maison et l’importance du travail des femmes, et ainsi la position sociale des femmes se trouva également radicalement changée24 ».

La famille nucléaire - racine de l’oppression des femmes

C’est dans ces circonstances que la famille nucléaire monogame, celle que nous connaissons, a commencé à prendre forme. La famille moderne fut introduite pour une seule raison : pour permettre la transmission par héritage de la propriété privée d’une génération à la suivante.

Très tôt Marx et Engels identifièrent les racines matérielles de la famille nucléaire dans la société de classe En 1846, dans L’idéologie Allemande25 ils expliquent que, lors de l’abolition de la propriété privée « l’abolition de la famille va de soi 26 ». Engels trace l’histoire de la famille qui évolue avec la société de classe : « Le mot familia ne signifie pas, à l’origine, cet idéal du philistin contemporain, fait de sentimentalisme et de scènes de ménage ; tout d’abord, il ne s’applique même pas, chez les Romains, au couple et aux enfants de celui-ci, mais aux seuls esclaves. Famulus veut dire « esclave domestique » et la familia, c’est l’ensemble des esclaves qui appartiennent à un même
homme.

« Encore au temps de Gaïus la familia « id est patrimonium » (c’est-à-dire la part d’héritage) était léguée par testament. L’expression fut inventée par les Romains afin de désigner un nouvel organisme social dont le chef tenait sous l’autorité paternelle romaine la femme, les enfants et un certain nombre d’esclaves, et avait, sur eux tous, droit de vie et de mort27 ».

Mais, selon Engels, il existait une contradiction supplémentaire entre l’organisation sociale communale précédente et la société de classe. Les hommes possédaient la richesse, mais puisque la plupart des sociétés étaient matrilinéaire, l’héritage était transmis par la mère et non par le père. D’ailleurs, sans un système strictement monogame, un homme ne peut pas être certain que les enfants de son épouse sont également les siens.

Engels écrit : « Ainsi, d’une part, au fur et à mesure que la richesse augmentait, la position de l’homme dans la famille devenait plus importante que celle de la femme. D’autre part, ceci a créé l’envie de profiter de la position de domination pour renverser, à la faveur de ses enfants, le système matrilinéaire d’héritage. Le droit matrilinéaire devait être renversé, et il le fut 28 ».

Engels souligne que puisque cette transformation de la famille a eu lieu dans la préhistoire, nous ne pouvons pas savoir comment et quand cela se produisit. Il exagère sans doute l’universalité du droit matrilinéaire dans les premières sociétés humaines. Il est vrai que les sociétés que Morgan et lui étudiaient étaient pour la plupart matrilinéaires. Mais les Iroquois avaient une société horticulturale relativement avancée. Engels en tira la conclusion injustifiée qu’il en résultait forcément que toutes les sociétés de chasse et de cueillette devaient être matrilinéaires.

On ne peut ni confirmer ni infirmer cette hypothèse, mais ce n’est pas l’essentiel. Ce qui est indéniable est que l’émergence de la société de classe a universalisé le droit patrilinéaire et, plus important encore, l’installation de l’homme comme « chef de la famille ».

Sans aucun doute, Engels avait-il raison de dire que l’émergence de la famille nucléaire a induit une dégradation de la condition des femmes encore inconnue dans les sociétés précédentes. Engels écrit : « Le renversement du droit maternel fut la grande défaite historique du sexe féminin. Même à la maison, ce fut l’homme qui prit en main le gouvernail ; la femme fut dégradée, asservie, elle devint esclave du plaisir de l’homme et simple instrument de reproduction… Pour assurer la fidélité de la femme, donc la paternité des enfants, la femme est livrée au pouvoir discrétionnaire de l’homme : s’il la tue, il ne fait
qu’exercer son droit29 ».

Eleanor Burke Leacock explique comment la famille moderne s’est développée pour répondre aux besoins de la nouvelle société de classe : « La séparation de la famille du clan et l’institution du mariage monogame furent l’expression sociale de l’introduction de la propriété privé ; la soi-disant monogamie permettait l’héritage individuel. Et pour certains la propriété privé signifiait aucune propriété pour d’autres, c’est à dire l’émergence de différents rapports de production correspondant à des groupes sociaux différents30 ».
D’ailleurs, Engels propose une explication de la transformation de la femme plutôt que de l’homme en sexe opprimé. Beaucoup d’auteurs qui acceptent ses analyses sur l’évolution de la famille considèrent qu’elles n’expliquent pas l’inégalité entre les sexes. Ils ont ainsi cherché d’autres explications, comme le rôle des hommes dans la guerre ou dans le commerce.

L’analyse de Engels n’est pas compliquée. La division sexuelle du travail qui existait dans les sociétés sans classes sociales, quand la production pour la subsistance dominait, n’impliquait pas l’inégalité entre les sexes. Les femmes pouvaient combiner leurs rôles dans la production et dans la reproduction, et les deux sexes participaient à la production. Mais avec l’émergence de la société qui généralisa la production pour l’échange, la division sexuelle du travail contribua à éroder l’égalité. Progressivement, la production et le commerce se déroulèrent à distance de la maison ; le foyer devint prioritairement sphère de reproduction.

Coontz et Henderson écrivent : « Le besoin grandissant de redistribution des produits (à la fois au sein des groupes locaux et entre localités différentes) et les tâches politiques créées par ce besoin ont des conséquences pour les rôles sexuels. Ces nouveaux rôles sont souvent occupés par des hommes, même dans des sociétés matrilinéaires. Sans doute, cela vient-il de la division du travail qui associe les hommes avec les activités éloignées du foyer, alors que les femmes s’occupent de tâches productives quotidiennes dont elles ne peuvent s’absenter31 ».

Ainsi naît la différentiation entre « sphère publique » et « sphère privée ». Dans les familles de propriétaires, les femmes furent de plus en plus enfermées au foyer.

La famille sous le capitalisme

Le capitalisme moderne a transformé les vies des femmes depuis un siècle. Aujourd’hui, la grande majorité des femmes travaille en dehors du foyer. En France, les femmes constituent plus de la moitié de la population active. Par rapport au siècle dernier, la technologie a réduit énormément le temps passé au travail ménager.

Mais l’oppression perdure. Les salaires des femmes sont partout inférieurs à ceux des hommes. Pour les femmes au travail, le harcèlement sexuel est un problème courant. Le viol est la violence domestique ne sont pas des phénomènes rares. Des profits énormes sont faits chaque année en réduisant les femmes à des objets sexuels dans les publicités et ailleurs dans les médias. Et, même si la plupart des femmes ont un travail salarié, elles restent responsables de la plus grosse partie du travail de ménage et d’éducation des enfants.
Et l’essentiel de l’analyse d’Engels reste vraie. Il écrit que la source de l’oppression des femmes vient de leur rôle de reproduction au sein de la famille, et du rôle économique de la famille au sein de la société.

« Dans l’ancienne économie domestique communiste, qui comprenait beaucoup de couples conjugaux avec leurs enfants, la direction du ménage, confiée aux femmes, était une industrie publique de nécessité sociale, au même titre que la fourniture des vivres par les hommes. Avec la famille patriarcale, et plus encore avec la famille individuelle monogamique, il en alla tout autrement. La direction du ménage perdit son caractère public. Elle ne concerna plus la société ; elle devint un service privé ; la femme devint une première servante, elle fut écartée de la participation à la production sociale.

« C’est seulement la grande industrie de nos jours qui a rouvert - et seulement à la femme prolétaire - la voie de la production sociale ; mais dans des conditions telles que la femme, si elle remplit ses devoirs au service privé de la famille, reste exclue de la production sociale et ne peut rien gagner ; et que, par ailleurs, si elle veut participer à l’industrie publique et gagner pour son propre compte, elle est hors d’état d’accomplir ses devoirs familiaux.

« […] La famille conjugale moderne est fondée sur l’esclavage domestique, avoué ou voilé, de la femme, et la société moderne est une masse qui se compose exclusivement de familles conjugales, comme d’autant de molécules32 ».
Il est clair que l’analyse de Engels a besoin d’être mise à jour. Tout d’abord, cet extrait le montre, il sous-estimait la possibilité pour les femmes des classes moyennes, voire des classes possédantes, d’intégrer la force de travail depuis un siècle, pendant que des domestiques s’occupent de la maison.

Plus important du point de vue théorique, l’analyse d’Engels de la famille s’est concentrée presque exclusivement sur le rôle de la famille de la classe dirigeante. Ainsi, il n’a pas prévu que le capitalisme parvienne à intégrer les femmes de la classe ouvrière dans la force de travail sans les soustraire à leur rôle central dans la reproduction. On peut le comprendre : les femmes en âge d’accoucher ne sont entrées en masse dans la force de travail que depuis l’arrivée de méthodes de contraception fiables au XXe siècle.

Engels avait, par ailleurs, une vision presque romantique de la famille prolétaire : « Il ne s’y trouve aucune propriété, pour la conservation et la transmission de laquelle furent précisément instituées la monogamie et la suprématie de l’homme ; il y manque donc tout stimulant pour faire valoir la suprématie masculine. Qui plus est, les moyens mêmes du faire valoir y font défaut ; le droit bourgeois, qui protège cette suprématie, n’existe que pour les possédants et pour leurs rapports avec les prolétaires.

« […] Et par surcroît, depuis que la grande industrie, arrachant la femme à la maison, l’a envoyée sur le marché du travail et dans la fabrique, et qu’elle en fait assez souvent le soutien de la famille, toute base a été enlevée, dans la maison du prolétaire, à l’ultime vestige de la suprématie masculine - sauf, peut-être encore, un reste de la brutalité envers les femmes qui est entrée dans les mœurs avec l’introduction de la monogamie. »

Engels a raison de dire que l’entrée des femmes de la classe ouvrière dans la production sociale est un pas en avant. Mais il surestime l’effet de ce phénomène sur la position des femmes au sein de la classe ouvrière. Nous voyons dans cet extrait que Engels reconnaît mais sous-estime l’effet de l’idéologie sur la société. Mais, comme le souligne Martha Gimenez : « La classe qui contrôle les moyens de production contrôle également les conditions de la reproduction physique et sociale des classes qui n’ont pas de propriété 33 ».

En réalité, l’expérience de l’oppression des femmes de la classe ouvrière est sans doute plus sévère que celle vécue par les femmes de la classe possédante, justement parce que leurs familles n’ont pas de propriété. Ceci était sans doute vrai aussi du temps d’Engels. On ne peut pas comparer la vie de Liliane de Bettencourt ou Barbara Bush à celle d’une salariée au bureau ou à l’usine.

Mais la différence n’est pas seulement une question de degré. Comme l’a décrit Engels, une fois que la production s’est éloignée de la maison, la famille se limite de plus en plus au rôle de la reproduction privatisée. Sous le capitalisme, malgré tous les autres changements qui ont eu lieu, la famille nucléaire est restée un centre de la reproduction privatisée.
Si les familles de la classe dirigeante permettent de produire la génération suivante de cette même classe, les familles ouvrières servent pour produire la prochaine génération de travailleurs. La nature même de l’oppression des femmes dans les deux classes est donc différente.

Pendant longtemps, les femmes de la classe dirigeante étaient réduites à un rôle décoratif, et leur contribution à la société se réduisait à accoucher d’un fils qu’il hérite des richesses familiales. L’ennui et un sentiment d’inutilité sont les caractéristiques principales de l’oppression des femmes de la classe dirigeante. Quand elles occupent un poste salarié de cadre supérieur, celui-ci n’alourdit pas leur oppression, car elles disposent d’une équipe de servantes.

La situation n’est pas la même pour les femmes de la classe ouvrière. Malgré l’enseignement gratuit, les capitalistes ne s’occupent que très peu des travailleurs dont ils ont besoin. Le fardeau de la reproduction de la force de travail dépend encore pour l’essentiel de la famille ouvrière. C’est cette famille, et avant tout les femmes, qui a en charge le ressourcement des travailleurs afin qu’ils retournent chaque matin au travail, et de produire la génération suivante de travailleurs. La famille ouvrière est extrêmement utile au système capitaliste.

Cela n’a pas changé depuis l’insertion en masse des femmes dans le marché du travail. Engels croyait que les femmes de la classe ouvrière auraient à choisir entre les deux rôles - dans la famille ou dans la production. Mais l’expérience du capitalisme moderne nous a montré que ce n’est pas le cas. On demande aux femmes de jouer les deux rôles, d’endosser un double fardeau.

Ainsi, bien que les femmes jouent un rôle productif important dans le capitalisme moderne, il ne s’ensuit pas un retour à l’égalité des sexes comme c’était le cas dans les sociétés primitives avant l’émergence des classes sociales. Tant que la reproduction privatisée à l’intérieur de la famille nucléaire se poursuivra, l’oppression des femmes subsistera.

Ce qui était vrai du temps d’Engels l’est encore plus aujourd’hui : la société dispose de suffisamment de richesses pour transformer les tâches ménagères, et les aspects les plus ardus de l’éducation des enfants, en une « industrie sociale », utilisant du travail payé, productif. Mais ceci est impossible tant que la production n’a comme priorité que le profit. Seule une transformation socialiste de la société peut permettre d’atteindre la pleine égalité pour les femmes.

On ne devrait pas être surpris de trouver un nombre considérable d’erreurs dans le livre d’Engels ; il était tellement en avance sur son époque. Les erreurs les plus graves se trouvent là où il accepte certains aspects de la morale victorienne.

Ainsi, après avoir critiqué très durement la monogamie obligatoire, il imagine que le socialisme apporterait un renouveau de la monogamie librement consentie. Bien sûr, nous ne pouvons absolument pas savoir quels rapports les êtres humains auront entre eux dans une société qui ne connaît plus l’aliénation de la sexualité.

De plus, toute analyse de l’oppression des homosexuels est absente du travail de Engels, bien que des théoriciens marxistes plus récents aient fait de la famille nucléaire la base de l’oppression des homosexuels et des lesbiennes.
Cela dit, la méthode d’Engels ouvrit la porte à une compréhension de l’oppression des femmes. Plus important, il exprima une conception de la libération des femmes qui éclaira et inspira des générations de révolutionnaires.

Sharon Smith
(International Socialist
Organization)

______________________________
1Dans cet article nous défendons l’essentiel des thèses de Engels. Pour un autre point de vue, voir Josette Trat Engels et l’émancipation des femmes dans G. Labica et M.Delbraccio (dir.) Friedrich Engels, savant et révolutionnaire, Paris, PUF, 1997.
2 On peut le lire en ligne au http://marxists.anu.edu.au/francais/engels/works/1884/00/fe18840000h.htm
3 La société archaïque de L H Morgan. Edité en 1985 par Anthropos, 652 pages.
4 Malheureusement le travail de Leacock n’est pas traduit en français. Son livre en anglais Myths of Male dominance (New York, 1981) est le plus important.
5 Cité p. 46
6 Ibid
7 Patricia Draper Room to maneuver : !Kung women cope with men dans D.A. Counts, J.K. Brown, and J.C. Campbell, Sanctions and sanctuary : Cultural perspectives on the beating of wives, pp. 43 à 51 eds. Boulder, CO : Westview Press, 1992 - Judith Brown, Economic Organization and the Position of Women among the Iroquois, Ethnohistory 17, (1970)
8 Brownmiller S., Le viol, Stock, 1976
9 G. Lerner, The Creation of Patriarchy, p. 46.
10 On peut le lire en ligne au http://www.marxists.org/francais/marx/76-rotra.htm
11 C. Harman, Engels and the Origins of Human Society, International Socialism Journal 65, Hiver 1994, p. 84. Chris Harman est un des dirigeants du Socialist Workers Party britannique.
12 Leacock Op.Cit. pp. 22,35
13 Critique du livre de Roland Viau par Louis Cornellier dans Le Devoir 3.9.00
14 Judith Brown, Iroquois women : an ethnohistoric note in R. Reiter (Dir) Toward an Anthropology of women New York, 1975, p. 240.
15 Edité chez Le Boréal, Montréal, 2000,
16 Voir aussi en français, Andrée Michel, Le féminisme, PUF, 2003, pages 14-15.
17 Il faut attendre l’ère industrielle pour assister à la dégénérescence de l’égalitarisme iroquoien : « Quand les Iroquois, en particulier les Mohawks, travailleront pour la plupart dans l’industrie de la construction en haute altitude comme monteurs de charpentes métalliques, les femmes deviendront graduellement les adjointes domestiques des hommes », écrit Viau.
18 Voir par exemple F Dahlberg (Ed) Woman the gatherer (New Haven 1981)
19 Draper P. «  !Kung women : contrasts in sexual egalitarianism in foraging and sedentary contexts » dans R. Reiter (Ed), op.cit.
20 Delphy Christine L’ennemi Principal, Syllepse, 1998, p. 36
21 F. Engels op. cit.
22 Voir l’article de Karen Sachs - Engels Revisited : Women, the organization of Production, and Private Property dans Reiter R. (dir) Toward an Anthropology of Women (New York 1975) pp. 211-212.
23 C.Harman, op. cit., p.125
24 K. Sachs dans R.Reiter, op. cit., pp. 216-217.
25 On peut lire en ligne au http://www.marxists.org/francais/marx/works/1845/00/kmfe18450000.htm
26 Citation qui souligne l’éloignement absolu de la société soviétique des années staliniennes du communisme de Marx.
27 F. Engels op. cit.
28 Ibid.
29 Ibid.
30 op. cit., p. 121.
31 Stephanie Coontz et P. Henderson (Dir) Women’s work, men’s property : the origins of gender and class, London, 1986, p. 124.
32 Engels, op. cit.
33 Gimenez, Marxist and non-marxist elements in Engels views, in J. Sayers et al, Engels revisited : New Feminist Essays (London 1987), p. 48.

L’avenir de la société dépend des femmes travailleuses : sans elles pas de révolution socialiste et pas de libération des femmes, des enfants et... des hommes !!!

Messages

  • Bien sûr, ceux qui militent au quotidien pour la cause des femmes ont droit à tout notre soutien. Mais ils doivent cesser de tomber dans le panneau du discours moralisateur selon lequel il faut progressivement changer les conceptions des hommes. S’ils veulent vraiment servir la cause des femmes, il faut qu’ils comprennent que celle-ci est directement liée à la lutte sociale c’est-à-dire à la lutte des classes. C’est celle-ci qu’il faut mener pour combattre l’oppression des femmes, des enfants et ... des hommes.

    On ne saurait libérer les femmes sans combattre la misère et l’exploitation.}

  • Kollontaï :

    La guerre de 14-18 fut jusque-là la guerre la plus sanglante dans l’histoire de l’humanité. Les plus grands États d’Europe et d’Amérique y participèrent. La société bourgeoise capitaliste fut ébranlée dans ses fondements, et la production capitaliste entièrement déséquilibrée. Des millions de travailleurs furent arrachés à leurs lieux de travail et jetés sur les champs de bataille. Toutefois, une limitation de la production ne devait intervenir d’aucune façon. Bien au contraire. Le caractère de la production se modifia considérablement. A la place des biens de consommation courante, l’industrie produisait alors des machines de guerre et de mort. Chaque pays avait besoin, pour remporter la victoire, d’une industrie d’armement en expansion, garantissant la fabrication d’explosifs, ) de canons, etc. Il ne pouvait y avoir d’issue favorable à la guerre que si l’on disposait entre le front et l’arrière-pays d’une liaison organique continue. Car le destin des armées ne se décidait pas seulement sur le champ de bataille. La course aux armements engagée entre les différents pays fut au moins aussi importante. L’élargissement de la production supposait un potentiel suffisamment important en forces de travail. Comme l’industrie de guerre fut une branche de production de la grande industrie capitaliste, elle employa aussi de la main-d’œuvre non qualifiée. C’est ainsi que, après la mobilisation générale, les femmes, les filles, les sœurs et les mères des soldats occupèrent les places restées vacantes dans les ateliers. Abandonnées par leurs « soutiens de famille », les femmes s’empressèrent d’assurer leur propre entretien. Les industriels accueillirent cette main-d’œuvre bon marché à bras ouverts, d’une part parce que les femmes remplaçaient parfaitement les hommes alors au fond des tranchées, d’autre part parce qu’elles augmentaient les profits. Nous enregistrons dans cette période entre la déclaration de la guerre jusqu’à la démobilisation un accroissement constant du travail féminin. Cela vaut également pour les pays neutres, pour lesquels la Première Guerre mondiale représentait une excellente affaire. C’est pourquoi ils incorporèrent naturellement toutes les forces de travail disponibles, hommes et femmes dans la production.

    La situation de la femme dans la société se modifia alors prodigieusement. La société bourgeoise, qui avait tenu jusque là à ce que la femme occupât sa juste place au foyer, exalta dès lors le « patriotisme » des femmes prêtes à devenir « soldats derrière le front » et à exécuter un travail dans l’intérêt de l’économie et de l’État. Et des intellectuels, des politiciens et d’habiles journalistes firent chorus avec les membres de la classe dominante pour appeler la femme à « accomplir ses devoirs civiques » et lui recommander de ne pas trop s’attarder « à la cuisine » ni « auprès de ses enfants », qu’il valait mieux pour elle servir la patrie, ce qui signifiait en clair qu’il valait mieux qu’elle vende au rabais sa force de travail aux trusts d’armement. Le travail des femmes s’imposa dans toutes les branches de l’industrie. Il fut surtout le plus répandu dans l’industrie métallurgique, dans la fabrication d’explosifs, d’uniformes et de conserves qui produisaient directement pour le front. Mais d’autres branches furent également envahies par les femmes, même les secteurs qui leur étaient restés totalement interdits jusque-là. II suffit de nous rappeler comment, pendant la guerre, apparurent des contrôleurs de tramways et de trains, ainsi que des conducteurs de taxis, des portiers, des gardiens, des dockers et des porteurs féminins. De nombreuses femmes travaillaient dans les mines ou sur les chantiers de construction et exécutaient des travaux pénibles et nuisibles à l’organisme féminin. Le nombre des employées dans les services publics, telle la poste, se multiplia à l’infini. Les femmes remplissaient leurs tâches avec toute la conscience et le sérieux des néophytes, c’est-à-dire le mieux possible. Dans la période de 1914 à 1918, le travail des femmes augmenta dans les diverses branches entre 70 et 400 %. Dans l’industrie métallurgique allemande, ce pourcentage atteignit même 408 %. En France, le nombre des femmes doublèrent dans ces branches. En Russie, fréquemment, les femmes composaient la majorité des effectifs de nombreuses professions. Même dans les compagnies de chemins de fer russes, où les femmes n’étaient tolérées avant la guerre que comme femmes de ménage ou comme gardes-barrière, le nombre des femmes atteignit jusqu’à 35 % du personnel. En France également, des millions de femmes durent travailler dans la production. En Angleterre, le nombre des ouvrières augmenta d’un million et demi et en Allemagne de deux millions. Dans l’ensemble, le nombre des femmes travailleuses en Europe et en Amérique augmenta de près de dix millions.

  • N’oublions pas que le christianisme a débuté (avec Paul dans "Corinthiens") en déclarant :
    "Je veux cependant que vous sachiez que le chef de tout homme c’est le Christ, que le chef de la femme, c’es l’homme, et que le chef du Christ, c’est Dieu.
    Tout homme qui prie ou qui prophétise la tête couverte, déshonore sa tête.
    Toute femme qui prie ou qui prophétise la tête non voilée, déshonore sa tête : elle est comme celle qui est rasée.
    Si une femme ne se voile pas la tête, qu’elle se coupe aussi les cheveux. Or, s’il est honteux à une femme d’avoir les cheveux coupés ou la tête rasée, qu’elle se voile.
    L’homme ne doit pas se couvrir la tête, parce qu’il est l’image de la gloire de Dieu, tandis que la femme est la gloire de l’homme.
    En effet, l’homme n’a pas été tiré de la femme, mais la femme de l’homme ;
    et l’homme n’a pas été créé pour la femme, mais la femme pour l’homme.
    C’est pourquoi la femme doit, à cause des anges, avoir sur la tête un signe de sujétion. "

  • De toutes façons, il n’y a rien de naturellement masculin à la violence. Le suggérer c’est aller dans le sens de l’idéologie réellement réactionnaire qui décrit les femmes comme des objets passifs n’opposant aucune résistance, et inévitablement faibles.

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